DÉCISION
[1] Le 18 août 2000, monsieur Marc Champagne (le travailleur) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 15 août 2000 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme une décision déjà rendue le 1er décembre 1999 et déclare que le travailleur ne peut bénéficier du remboursement du coût d’achat de bois de chauffage à titre de travaux d’entretien courant du domicile.
[3] À l’audience tenue le 21 novembre 2000, le travailleur est absent et il n’est pas représenté. À la demande de l’employeur et du syndicat CSN, la Commission des lésions professionnelles a reporté la décision dans la présente affaire afin de permettre à l’employeur et au syndicat CSN de régler le dossier par la conciliation quoique tardive. Le 22 février 2001, le conseiller syndical, monsieur Jean-Claude Larouche, avisait la Commission des lésions professionnelles de rendre sa décision.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles d’infirmer la décision de la CSST, rendue le 15 août 2000 à la suite d’une révision administrative, et de déclarer qu’il a droit au remboursement du coût d’achat du bois de chauffage.
LES FAITS
[5] Suite à l’analyse des éléments contenus au dossier du travailleur, la Commission des lésions professionnelles retient les faits pertinents suivants.
[6] Le travailleur est victime d’un accident du travail le 6 mai 1984 à la suite duquel il subit l’amputation des 4 derniers doigts de la main droite au niveau de l’interphalangienne proximale.
[7] Le 17 mars 1994, le travailleur s’est vu reconnaître un déficit anatomo-physiologique de 40 % + 5 % pour préjudice esthétique et 1,5 % pour inaptitude à reprendre le travail par la Commission des affaires sociales. Le 30 mars 1998, suite à l’aggravation de sa lésion professionnelle, un déficit anatomo-physiologique de 15 % s’ajoute à celui déjà déterminé.
[8] À compter de 1994, la CSST rembourse, dans le cadre de l’article 165 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi), le coût de l’exécution de travaux d’entretien courant du domicile comme suit :
1994-02-25 déneigement 225,00 $
1995-08-03 entretien de pelouse 647,26 $
1995-11-10 coupe de bois de chauffage 360,00 $
1995-11-21 déneigement 341,86 $
1996-05-13 entretien de pelouse 647,26 $
1996-12-02 frais de peinture 275,00 $
1997-10-07 entretien de pelouse 647,26 $
1998-05-04 frais de peinture non précisés
1998-05-19 entretien du gazon 568,00 $
bois de chauffage 600,00 $
1998-12-14 déneigement 460,00 $
1999-07-23 entretien de pelouse 568,00 $
1999-08-05 peinture extérieure 700,00 $
1999-10-20 déneigement 460,00 $
[9] Les décisions accordant le remboursement du coût d’achat de bois de chauffage pour les années 1996 et 1997 ne sont pas au dossier de la Commission des lésions professionnelles. Toutefois, les notes évolutives de la CSST indiquent que, le 16 octobre 1996, la CSST a remboursé 375,00 $ pour l’achat de bois de chauffage.
[10] Dans sa décision de refus de rembourser le coût d’achat du bois de chauffage le 1er décembre 1999, la CSST indique qu’elle n’autorisera plus ni l’achat ni le cordage de bois de chauffage puisque le chauffage au bois n’est pas le principal ou unique système de chauffage dans la résidence du travailleur.
[11] La dernière note évolutive au dossier de la CSST, dont la date sur la photocopie au dossier est illisible, indique que le travailleur a présenté sa demande de remboursement du coût d’achat de bois de chauffage et qu’il possède un deuxième système de chauffage en plus de celui au bois. L’agent au dossier indique qu’il achemine au travailleur un tableau des travaux inclus dans l’entretien courant du domicile. La décision du 1er décembre 1999 est accompagnée dudit tableau au dossier de la Commission des lésions professionnelles.
[12] À la lecture du tableau, la Commission des lésions professionnelles constate que les travaux relatifs au bois de chauffage et à la main-d’œuvre s’y rattachant sont exclus des travaux d’entretien courant du domicile dont fait mention l’article 165 de la loi.
L’AVIS DES MEMBRES
[13] Le membre issu des associations syndicales est d’avis que la demande de remboursement du coût d’achat du bois de chauffage doit être accueillie car le travailleur rencontre les conditions de l’article 165 de la loi.
[14] Pour sa part, le membre issu des associations d'employeurs est d’avis que les travaux relatifs au bois de chauffage ne sont pas inclus dans les dispositions de l’article 165 de la loi.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[15] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le travailleur a droit au remboursement du coût d’achat de bois de chauffage.
[16] En matière de réadaptation sociale, pour la question en litige, les principaux articles de la loi auxquels la Commission des lésions professionnelles doit se référer sont les suivants :
151. La réadaptation sociale a pour but d'aider le travailleur à surmonter dans la mesure du possible les conséquences personnelles et sociales de sa lésion professionnelle, à s'adapter à la nouvelle situation qui découle de sa lésion et à redevenir autonome dans l'accomplissement de ses activités habituelles.
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1985, c. 6, a. 151.
152. Un programme de réadaptation sociale peut comprendre notamment :
1 des services professionnels d'intervention psychosociale;
2 la mise en oeuvre de moyens pour procurer au travailleur un domicile et un véhicule adaptés à sa capacité résiduelle;
3 le paiement de frais d'aide personnelle à domicile;
4 le remboursement de frais de garde d'enfants;
5 le remboursement du coût des travaux d'entretien courant du domicile.
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1985, c. 6, a. 152.
165. Le travailleur qui a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique en raison d'une lésion professionnelle et qui est incapable d'effectuer les travaux d'entretien courant de son domicile qu'il effectuerait normalement lui - même si ce n'était de sa lésion peut être remboursé des frais qu'il engage pour faire exécuter ces travaux, jusqu'à concurrence de 1 500 $ par année.
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1985, c. 6, a. 165.
[17] L’article 165 de la loi encadre le droit au remboursement des frais d’entretien courant du domicile. Les conditions particulières d’ouverture à ce droit y sont énoncées de même que la limite de la responsabilité financière de la CSST.
[18] Ces conditions sont les suivantes :
- le travailleur doit avoir subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique en raison d’une lésion professionnelle;
- il est incapable d’effectuer des travaux d’entretien courant de son domicile qu’il effectuerait normalement lui-même si ce n’était de sa lésion professionnelle;
- les frais dont le remboursement est requis doivent être engagés pour faire exécuter des travaux d’entretien courant du domicile.
[19] La notion de bois de chauffage et de ses activités afférentes (coupe, transport, cordage) a fait l’objet de plusieurs décisions tant à la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles (la Commission d’appel) qu’à la Commission des lésions professionnelles.
[20] La majorité des décisions accordent le remboursement du coût d’achat du bois de chauffage ou des activités inhérentes aux conditions que le travailleur coupait lui-même son bois de chauffage et s’adonnait aux activités inhérentes avant son accident du travail et qu’il conserve, de sa lésion professionnelle, une atteinte permanente telle qu’elle l’empêche d’effectuer lui‑même lesdits travaux.
[21] Ainsi, dans ces décisions, à chaque fois que le travailleur rencontrait les deux conditions énoncées au paragraphe précédent, on accueillait sa demande et, par automatisme, les activités reliées au bois de chauffage devenaient des travaux d’entretien courant du domicile sans autre questionnement.
[22] Toutefois, dans Rioux et Scobus inc.[2], la Commission d'appel décidait que les frais encourus pour la livraison et la manutention de bois de chauffage constituaient des frais d’exploitation du domicile et ne tombaient pas sous l’application des dispositions de l’article 165 de la loi.
[23] Une autre décision de la Commission d'appel va dans le même sens. Dans Dumont et Centre hospitalier de Matane[3], le commissaire Rémi Chartier concluait également que les frais de livraison et de manutention de bois de chauffage constituaient des frais d’exploitation du domicile et non pas des travaux d’entretien courant du domicile.
[24] Le commissaire Robin Savard de la Commission des lésions professionnelles retient la même conclusion dans l’affaire Marcel Paquet et Pavillon de l’Hospitalité inc.[4].
[25] Le Petit Larousse illustré[5] donne la définition suivante du mot « entretien » :
« entretien : n. m. 1. Action de maintenir une chose en bon état, de fournir ce qui est nécessaire pour y parvenir. L’entretien d’un moteur. Frais d’entretien. 2. Service d’une entreprise chargé de maintenir en état et de réparer des équipements et des matériels. 3. Conservation suivie. Solliciter un entretien. » (sic)
[26] Le mot « courant » y est également défini :
« courant,e : adj. (de courir) 1. Qui est habituel; ordinaire, banal. Les dépenses courantes. C’est un mot tellement courant ! Un modèle courant. 2. Qui a cours. Monnaie courante. Franc courant. C’est monnaie courante : c’est habituel, cela se produit souvent […] » (sic)
[27] La Commission d'appel dans l’affaire Lévesque et Mine Northgate[6] concluait que, bien que la loi ne précise pas le sens qui doit être donné à l’expression « entretien courant », il faut comprendre qu’il s’agit de travaux d’entretien habituels, ordinaires du domicile par opposition à des travaux d’entretien inhabituels ou extraordinaires.
[28] La Commission des lésions professionnelles considère qu’il faut comprendre de l’expression « travaux d’entretien courant du domicile » des travaux qui sont exécutés pour maintenir en bon état le domicile du travailleur et dont la nature même des travaux fait qu’ils sont habituels, ordinaires et banals.
[29] La Commission des lésions professionnelles est d’avis que l’achat de bois de chauffage et ses activités afférentes (coupe, transport, cordage) ne constituent pas ou ne peuvent être assimilés à des travaux exécutés pour garder en bon état le domicile du travailleur lorsque le chauffage au bois ne constitue pas le principal ou l’unique mode de chauffage du domicile du travailleur.
[30] Dans un tel cas, rembourser le coût d’achat du bois de chauffage et ses activités afférentes constituerait pour le demandeur un avantage dont ne pourrait bénéficier un autre travailleur, conservant également une atteinte grave de sa lésion professionnelle, et dont l’unique mode de chauffage ne serait qu’à l’électricité, à l’huile ou au gaz.
[31] La Commission des lésions professionnelles, à l’instar de la CSST, considère que, lorsque le chauffage au bois est le principal ou l’unique moyen de chauffage du domicile du travailleur, il y a lieu d’assimiler l’achat de bois de chauffage et ses activités afférentes (coupe, transport et cordage) à des travaux d’entretien courant du domicile.
[32] En effet, considérant nos hivers rigoureux en Abitibi-Témiscamingue, le refus de rembourser à un travailleur, porteur d’une atteinte permanente telle qu’il ne peut plus couper, transporter et corder son bois de chauffage, risquerait de le priver de pouvoir chauffer son domicile. À très court terme, cela provoquerait la détérioration du domicile, comme le bris des conduites d’eau par exemple, et l’empêcherait de pouvoir y habiter tout simplement ce qui contribuerait également à la détérioration pendant environ 7 mois par année (octobre à avril inclusivement).
[33] Dans la présente affaire, il ressort de l’analyse des éléments contenus au dossier du travailleur que ce dernier n’a pas démontré que le chauffage au bois de son domicile constitue le moyen principal ou unique de chauffage.
[34] Dans les circonstances, la Commission des lésions professionnelles considère que l’achat du bois de chauffage, pour entretenir un système de chauffage d’appoint, ne peut être assimilé à des travaux d’entretien courant du domicile bien que le travailleur soit porteur d’une atteinte permanente telle qu’elle l’empêche de couper lui-même son bois de chauffage.
[35] La Commission des lésions professionnelles conclut donc que le travailleur ne peut bénéficier du remboursement du coût d’achat de son bois de chauffage puisqu’il ne rencontre pas toutes les conditions de l’article 165 de la loi.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête de monsieur Marc Champagne (le travailleur);
CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 15 août 2000 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le travailleur n’a pas droit au remboursement du coût d’achat de bois de chauffage.
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Me Pierre Prégent |
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Commissaire |
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CSN (Jean-Claude Larouche) |
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Représentant de la partie requérante |
AVIS :
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