Imperial Tobacco Canada Ltd. c. Québec (Procureur général) |
2010 QCCS 5208 |
|||||||
JC 1615 |
||||||||
|
||||||||
CANADA |
||||||||
PROVINCE DE QUÉBEC |
||||||||
DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
|||||||
|
||||||||
N° : |
500-17-052494-096 |
|||||||
|
|
|||||||
|
||||||||
DATE : |
Le 2 novembre 2010 |
|||||||
______________________________________________________________________ |
||||||||
|
||||||||
SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
PAUL CHAPUT, J.C.S. |
||||||
______________________________________________________________________ |
||||||||
|
||||||||
Imperial Tobacco Canada Limited |
||||||||
et |
||||||||
Rothmans, Benson & Hedges inc. |
||||||||
et |
||||||||
JTI-MacDonald Corp. |
||||||||
Demanderesses |
||||||||
c. |
||||||||
Le Procureur Général du Québec |
||||||||
Défendeur |
||||||||
|
||||||||
______________________________________________________________________ |
||||||||
|
||||||||
JUGEMENT |
||||||||
______________________________________________________________________ |
||||||||
|
||||||||
[1] Le 19 juin 2009, est entrée en vigueur la Loi sur le recouvrement du coût des soins de santé et des dommages-intérêts liés au tabac[1].
[2] Le 25 août 2009, les demanderesses introduisent une demande ayant pour objet de faire déclarer que la Loi est invalide parce qu’elle violerait la Charte des droits et libertés de la personne[2] et la Charte canadienne des droits et libertés[3].
[3]
Le 2 octobre 2009, le défendeur[4]
fait signifier une requête en rejet (art.
[4] Il y est allégué que la Loi est de la même nature et au même effet que la Tobacco Damages and Health Care Cost Recovery Act[5] dont la Cour suprême du Canada a reconnu la validité dans l’arrêt Colombie-Britannique c. Imperial Tobacco Canda Ltée[6]. Le PGQ soutient que les motifs et principes retenus dans cet arrêt imposent l’autorité du précédent à l’égard de la présente demande et que, sur la foi de ce précédent et d’autres décisions des tribunaux d’appel, le recours est voué à l’échec.
[5] Le 9 novembre 2009, le tribunal fait droit à la demande du PGQ que la requête en rejet soit entendue in limine litis. L’audition est fixée les 22 et 23 décembre.
[6] Selon les procès-verbaux au dossier, l'audition a été reportée à deux reprises.
[7] Le 17 septembre 2010, les demanderesses amendent leur requête introductive.
[8]
Bien que la requête du PGQ comporte, à son titre, la référence aux
articles
«165. Le défendeur peut opposer l'irrecevabilité de la demande et conclure à son rejet:
[…]
4. Si la demande n'est pas fondée en droit, supposé même que les faits allégués soient vrais.»
[9]
Comme le rappelle la Cour d’appel dans l’arrêt Gillet c.
Arthur[7], dans le cas de l’article
[10] De même, comme l’écrit le juge Jacques dans l’arrêt Canada Mortgage and Housing Corp. c. Turenne[8] :
«La requête en irrecevabilité n'a pas pour but de
décider, avant procès, des prétentions légales des parties. Son seul but est de
juger si les conclusions de la procédure sont solidaires des faits allégués, ce
qui nécessite évidemment un examen du droit invoqué explicitement ou
implicitement, car deux prémisses sont nécessaires pour supporter toutes
conclusions. En effet, le Code de procédure édicte que le rejet de l'action
peut être prononcé "si la demande n'est pas fondée en droit, supposé même
que les faits allégués soient vrais" (art.
[11] L’examen de ce droit peut requérir une discussion et étude sérieuse[9].
[12]
Et ce n’est que dans le cas d’une situation de droit claire et bien
définie que la requête en rejet aux termes de l’article
[13] À la fin, comme l’écrit la juge Tourigny dans l’arrêt Gagnon c. Le Procureur général du Québec[11], il suffit, pour faire échec à une requête en déclaration d’irrecevabilité, que le tribunal retienne que, à partir des allégations, le recours paraît possible.
- - -
[14] Les faits allégués se retrouvent à la requête introductive amendée.
[15] Il y est d’abord exposé qui sont les demanderesses et qu’elles sont engagées dans la fabrication et la commercialisation de produits du tabac; aussi, qu’elles sont déjà engagées dans deux recours collectifs (500-06-000076-980 et 500-06-000070-983).
[16] Ensuite, sont alléguées la mise en vigueur de la loi, les règles particulières qu’elle introduit, le désavantage qu'elle crée pour les demanderesse, notamment par l'intervention de la Loi dans les recours collectifs pendants..
- - -
[17] Le droit soulevé par les demanderesses est celui de questionner la validité de la Loi par le biais des Chartes des droits; elles font les allégations suivantes:
«24. The Act inoperative as it violates the Quebec Charter and the Canadian Constitution, on the following grounds :
a) The Act deprives ITCAN, RBH and JTIM of their right to a fair, full and equal trial, as guaranteed by the Quebec Charter and the Canadian Constitution;
b) The
Act deprives ITCAN, RBH and JTIM of their vested right to prescription, and
therefore violates sections
c) The
Act, to the extent that it purports to apply to on-going proceedings between
private parties, constitutes a breach of the rule of law protected by the Canadian
Constitution and a violation of Section
[18] Sur ces moyens, les demanderesses exposent que la Loi :
«a) porte
atteinte à leur droit à un procès juste et équitable aux termes de l’article
b) élimine
rétroactivement la prescription, ce qui équivaut à une expropriation illégale
leur droit de propriété aux termes de l’article
c) en étendant l’effet de la loi aux actions pendantes, avantage indûment lune partie et intervient illégalement dans le processus judiciaire :
38. In Pleas filed in 2008 in the above-mentioned class actions, both ITCAN, RBH and JTIM specifically plead that any claim against them is prescribed and additionally that to succeed in such a claim, any individual would have to demonstrate the existence of a causal link, on a personal basis, between the alleged fault and damages, in accordance with the prevailing law of civil liability in Quebec;
Defendants
in those class actions, including ITCAN, RBH and JTIM, are therefore not
afforded the equality of arms and a fair trial, as guaranteed by section
39. The legislature thereby interferes de facto with the judicial process to the material detriment of the tobacco manufacturers, for no legitimate public purpose and in a most unique fashion, by targeting a particular industry, and depriving its members of grounds of defence already raised in on-going class actions and which are available to any other citizen;
40.1 ITCAN, RBH and JTIM shall demonstrate that by enacting the Act, the legislature is in fact complying with and responding to the demands of the anti-tobacco lobbies, the same groups that are behind and/or support ot ongoing class actions, to affect cases already long underway;
40. The legislative attempt to influence, determine or assist in the outcome of on-going class actions constitutes and invalid encroachment by the legislative branch into the judicial process, contrary to the rule of law principle sanctioned by the Canadien Constitution;»
[19] Bien que, selon la conclusion de la demande, c’est la déclaration d’invalidité de la Loi dans son entièreté qui est recherchée, l’essentiel de la demande porte sur les dispositions qui visent l’introduction des nouvelles règles de preuve et de fardeau de preuve, la suppression du moyen de la prescription acquise et l’intervention dans les causes pendantes. Cette déclaration d’invalidité est recherchée aux motifs d’atteinte à certains droits garantis par la Charte québécoise.
- - -
[20] Dans leur plan d’argumentation, les procureurs du PGQ résument leur position sur le rejet comme suit :
«7. Le Procureur général du Québec estime que ces moyens de droit que soulèvent les demanderesses ne sont pas fondés en droit, notamment parce qu'ils ont été tranchés par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Imperial Tobacco, lequel porte sur des questions de droit similaires qu'elles ont soulevées quant à la validité constitutionnelle d'une loi similaire.
8. Il
estime, du reste, que le fait d'invoquer les articles
[21] Certes, l’on ne peut que reconnaître que plusieurs dispositions de la Loi sont similaires à celle de la BC Recovery Act dont la validité a été reconnue par la Cour suprême dans l’arrêt Imperial Tobacco.
[22] Cependant, comme l’écrit le juge Iacobucci dans l’arrêt M. c. H.[12], bien que l’autorité du précédent puisse s’imposer généralement, il faut tenir compte du caractère distinct de loi considérée, comme, en l’espèce, la Loi par rapport à la BC Recovery Act.
[23] Comme l'écrivent les professeurs Brun, Tremblay et Brouillet[13] :
«Malgré sa signification précise et sa rigidité apparente, la règle du stare decisis n'est pas censée ramener le processus judiciaire à un jeu mécanique et réduire le droit à une technique de compilation. Deux facteurs tendent à repousser dans une bonne mesure cette simplification.
D'abord les règles qui ont fait l'objet de décisions
passées sont innombrables et souvent concurrentes. Ensuite et surtout, les
tribunaux accordent une grande importance aux faits et aux contextes particuliers
des affaires qu'ils sont appelés à juger; ils peuvent ainsi «distinguer» le cas
sous étude de ceux qui ont déjà fait jurisprudence. En conséquence, «un choix
d'extraits de motifs n'a aucune force indépendante à moins de tenir compte des
points en litige et du contexte de ces extraits» : Renvoi : résolution
pour modifier la Constitution,
[24] S’agissant d’une loi du Québec, le tribunal devra vraisemblablement de tenir compte de l’enseignement de la Cour suprême dans l’arrêt Chaoulli c. Québec (Procureur général)[14] aux termes duquel, dans le cas où la validité d’une loi du Québec est attaquée, il convient d’abord d’examiner cette loi à la lumière des articles de la Charte québécoise.
[25]
Il est possible que les dispositions de la Loi, si elles sont
examinées à la lumière de la Charte québécoise, bien qu’elles soient en
partie similaires à celles de la BC Recovery Act, puissent recevoir une
interprétation différente de celle qu’on en propose à la lumière de l’arrêt Imperial
Tobacco en raison notamment de l’article
«52. Aucune disposition d'une loi, même postérieure à la Charte, ne peut déroger aux articles 1 à 38, sauf dans la mesure prévue par ces articles, à moins que cette loi n'énonce expressément que cette disposition s'applique malgré la Charte.»
à propos duquel la juge Deschamps écrit dans l’arrêt Chaoulli[15] :
«25 (…) Les tribunaux québécois disposent, en raison de l’art. 52, du pouvoir de contrôler les lois pour vérifier leur conformité avec les règles prévues par la Charte québécoise. La Charte québécoise possède une identité autonome par rapport aux lois québécoises.»
[26] Aucune disposition comme celle de cet article 52 ne fut examinée dans l’arrêt Imperial Tobacco.
[27]
Sur le moyen de l’absence de procès équitable, le jugement au fond
pourrait différer de l’arrêt Imperial Tobacco du fait de l’article
[28]
Et sur le moyen de l’atteinte au droit de propriété protégé par
l’article
«9.1. Les libertés et droits fondamentaux s'exercent dans le respect des valeurs démocratiques, de l'ordre public et du bien-être général des citoyens du Québec.
La loi peut, à cet égard, en fixer la portée et en aménager l'exercice.»
sur lequel, la Cour suprême écrit dans l’arrêt Ford c. Québec (Procureur général)[16] :
«63 (…)En l'espèce, la Cour supérieure et la Cour
d'appel ont conclu que l'art. 9.1 était une disposition justificative
correspondant à l'article
[29] Aussi, à propos de l’article 27 de la Loi qui en rend les dispositions applicables aux actions en cours, dont les recours collectifs auxquels les demanderesses sont parties, il faut bien reconnaître que dans la BC Recovery Act il n’est pas question d’application aux actions en cours.
[30] Dans l’arrêt Imperial Tobacco, la Cour suprême reconnaît qu’il est possible qu’une loi constitutionnellement valide crée un avantage pour le gouvernement. Mais, il n’y est pas discuté de l’extension d’un tel avantage à des parties privées dans des actions en cours, comme cela semble être le cas par l’effet des articles 24, 25 et 27 de la Loi.
- - -
[31] S'ils sont considérés à la lumière de la Charte québécoise comme le plaident les demanderesses, les moyens soulevés par la demande paraissent sérieux comme l'écrit le juge Dufresne dans l’arrêt Henderson[17] :
«[65] À cet égard, la question soulevée à propos de la validité de la Loi apparaît sérieuse. La proposition de droit avancée par l'appelant Henderson repose sur des arguments de droit qui méritent, à tout le moins, considération au fond.»
[32] Dans le sens de l’arrêt Turenne[18], l’on ne peut soutenir, en début d’instance, que les allégations de l’atteinte aux droits garantis par la Charte québécoise ne sont pas solidaires de la conclusion recherchée.
[33] REJETTE la requête en rejet;
[34] AVEC DÉPENS.
|
||
|
__________________________________ PAUL CHAPUT, J.C.S. |
|
|
||
Me Éric Préfontaine |
||
Me Karim Renno |
||
Me Anne-Marie Legendre-Lizotte |
||
Osler, Hoskin, Harcourt |
||
Procureurs de la demanderesse Imperial Tobacco Canada Limited |
||
|
||
Me Simon Potter |
||
Me Donald Bisson |
||
Me Jean-François Lehoux |
||
McCarthy, Tétrault |
||
Procureurs de la demanderesse Rothmans, Benson & Hedges inc. |
||
|
||
Me François Grondin |
||
Me Guy Pratte |
||
Borden, Ladner, Gervais |
||
Procureurs de la demanderesse JTI-MacDonald Corp. |
||
|
||
Me Benoît Belleau |
||
Me Francis Demers |
||
Me Marylène Boisvert |
||
Bernard, Roy (Justice-Québec) |
||
Procureurs du défendeur |
||
|
||
Dates d’audience : |
Les 13, 14 et 15 octobre 2010 |
|
[1] Adoptée et sanctionnée le 19 juin 2009; L.Q. 2009, ch. 34; désignée ci-après «la Loi».
[2] L.R.Q., ch. C-12; désignée ci-après «la Charte québécoise».
[3] L.R.C. (1985), App. II, no. 44; désignée ci-après «La Charte canadienne».
[4] Désignée ci-après PGQ.
[5] SBC 2000, ch. 30; ci-après désignée «BC Recovery Act».
[6]
[7]
[8]
[9]
Avis Canada Ltd. c. Condoroussis,
[10]
Union des municipalités du Québec c. Québec (Procureur général)
[11]
[12]
[13]
Henri Brun, Guy Tremblay et Eugénie Brouillet,
[14]
[15] Note 12.
[16]
[17] Note 9.
[18] Note 8.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.