Décision

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Soares et Simard-Beaudry construction inc.

2009 QCCLP 4186

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Saint-Jérôme

18 juin 2009

 

Région :

Laurentides

 

Dossier :

336067-64-0712

 

Dossier CSST :

128007796

 

Commissaire :

Robert Daniel, juge administratif

 

Membres :

Alain Allaire, associations d’employeurs

 

Stéphane Marinier, associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Joao Carlos Soares

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Simard-Beaudry construction inc.

 

Partie intéressée

 

 

 

et

 

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

 

Partie intervenante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]                Après examen et audition et après avoir reçu l'avis des membres, la Commission des lésions professionnelles rend la décision suivante.

[2]                ATTENDU que le 17 décembre 2007, monsieur Joao Carlos Soares (le travailleur) dépose, à la Commission des lésions professionnelles, une requête à l’encontre d’une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 6 novembre 2007, à la suite d’une révision administrative ;

[3]                ATTENDU que par cette décision, la CSST confirme celle initialement rendue le 29 juin 2007, déclarant que le travailleur est apte à exercer l'emploi convenable de gardien de sécurité et que le versement de l'indemnité de remplacement du revenu prendre fin le 27 juin 2007, puisque l'emploi est disponible et procurera au travailleur un revenu équivalent ou supérieur à celui qu'il gagnait au moment de la lésion professionnelle ;

[4]                ATTENDU que le 4 juin 2009, Me Marie-Pierre Dubé-Iza, représentante de la CSST, adresse une lettre à la Commission des lésions professionnelles pour informer le tribunal que la CSST ne sera pas représentée à l'audience prévue le 8 juin 2009 ;

[5]                ATTENDU qu’à l’audience tenue à Saint-Jérôme le 8 juin 2009, le travailleur est présent et est représenté par Me Chantal Paquet.  Simard Beaudry construction inc. (l’employeur) est représenté par madame Nancy Evoy qui est accompagnée de madame Johanne Desmarais ;

[6]                ATTENDU que le travailleur a été victime d'une lésion professionnelle survenue le 2 août 2005 ;

[7]                ATTENDU que le travailleur occupait l'emploi de journalier spécialisé chez l'employeur depuis septembre 2000 ;

[8]                ATTENDU que cette lésion, survenue à l'épaule gauche, a entraîné une acromioplastie, un débridement gléno-huméral et une ténodèse du biceps le 18 octobre 2006 ;

[9]                ATTENDU qu'à la suite d'un Rapport d’évaluation médicale produit par le docteur D. Blanchette, orthopédiste, le 1er mai 2007, le travailleur s'est vu octroyer une atteinte permanente de 15,61 % et les limitations fonctionnelles suivantes qui l'empêchent d'exercer son emploi :

Le travailleur doit éviter de :

Ø      élever le bras plus haut qu'à la hauteur des épaules;

Ø      garder le bras en position statique d'élévation ou d'abduction, même inférieure à 90 degrés ;

Ø      soulever ou porter des charges dépassant environ 10 kg ;

Ø      pousser, presser, appuyer ;

Ø      tirer ;

Ø      s'accrocher, s'agripper ;

Ø      lancer.

[10]           ATTENDU que le travailleur est dirigé en réadaptation le 1er juin 2006 ;

[11]           ATTENDU que le 28 juin 2006, une rencontre se tient chez l'employeur entre l'employeur, le travailleur et la CSST, au cours de laquelle il est statué que l'emploi de gardien de nuit est un emploi convenable, respectant les limitations fonctionnelles, au même salaire que l'emploi prélésionnel ;

[12]           ATTENDU que, selon les notes évolutives, le travailleur n'aurait que de la surveillance à faire ;

[13]           ATTENDU que le travailleur n'était pas tout à fait satisfait de cette proposition étant donné que cet emploi était de nuit ;

[14]           ATTENDU que pour la CSST, cet emploi respecte la capacité résiduelle du travailleur (les limitations fonctionnelles retenues), les qualifications professionnelles du travailleur (lien d'emploi conservé, de même que les acquis, fond de pension assurances), la possibilité raisonnable d'embauche (emploi disponible dès maintenant) et l’absence de danger pour la santé et l'intégrité du travailleur (limitations fonctionnelles respectées) ;

[15]           Le membre issu des associations d'employeurs est d'avis, malgré les admissions retenues par les parties et le témoignage du docteur Beltrami, qu'il y a lieu de rejeter la requête du travailleur.  Le membre trouve inconcevable et impensable que le travailleur ne puisse se divertir en cours d'emploi, comme en témoigne le docteur Beltrami, alors qu'il a occupé cet emploi durant près d'un an.  Le travailleur vit au Québec depuis près de vingt ans.  Le membre ne peut concevoir que le travailleur ne peut se distraire par le visionnement de films en anglais ou en français au motif qu'il ne comprend pas les langues.  Il ne peut souscrire au fait que le travailleur ne peut se désennuyer dans le cours de son emploi au point d'engendrer une dépression.

[16]           Le membre issu des associations syndicales est d'avis que l'opinion du docteur Beltrami doit prévaloir, considérant qu'elle demeure non contredite et admise par l'employeur.  Cette opinion décrit la réalité psychologique du travailleur lorsque ce dernier a occupé son emploi convenable.  Puisqu'il s'agit d'une circonstance nouvelle, découverte en cours d'emploi, il est alors justifié d'accueillir la requête du travailleur voulant que cet emploi ne lui soit pas convenable, considérant sa capacité résiduelle psychologique.

[17]           CONSIDÉRANT que les parties ont convenu des admissions suivantes en preuve :

À la fin du mois de juin 2007, le travailleur débute son emploi de gardien de nuit chez l'employeur ;

Peu de temps après le début de cet emploi, soit le 11 juillet 2007, s'adaptant mal à ce nouvel emploi, le travailleur consulte à l'urgence et sera vu en psychiatrie.  La description des symptômes amène le médecin à conclure à une dépression majeure ;

 

Après un court arrêt de travail, le travailleur reprendra son emploi, il reconsultera le 11 août 2008 ;

 

Depuis le 11 août 2008, le travailleur n'a pas repris l'emploi de gardien de nuit ;

 

Suivant l'opinion du Dr. Édouard Beltrami, médecin psychiatre lequel a préparé le 10 mars 2009 un rapport d'expertise déposé au dossier de la CLP, l'emploi de gardien de nuit ne serait être un emploi convenable pour le travailleur et ceci pour les motifs suivants :

 

Travail solitaire qui pour Monsieur provoquerait plus d'ennui et de difficultés d'adaptation à cause de son manque de scolarité dans les deux langues et aussi à cause d'un manque de capacité symbolique qui ne lui permettrait pas de se distraire par un riche imaginaire de nature scolaire ;

 

En raison de ses limitations sur le plan linguistique de suivre et comprendre des séries télévisées avec intérêt ;

 

Cette situation nouvelle et difficilement prévisible est apparue avec le test de la réalité lors de son exécution de l'emploi.

[sic]

 

 

[18]           CONSIDÉRANT que ces admissions sont conformes à la réalité du dossier ;

[19]           CONSIDÉRANT que le travailleur a occupé, dès le mois de juin 2007, l'emploi convenable, et ce, malgré ses réticences exprimées lors de la rencontre du 28 juin 2006 ;

[20]           CONSIDÉRANT que l'article 2 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) définit ainsi l'emploi convenable :

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :

 

« emploi convenable » : un emploi approprié qui permet au travailleur victime d'une lésion professionnelle d'utiliser sa capacité résiduelle et ses qualifications professionnelles, qui présente une possibilité raisonnable d'embauche et dont les conditions d'exercice ne comportent pas de danger pour la santé, la sécurité ou l'intégrité physique du travailleur compte tenu de sa lésion;

__________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1.

 

[21]           CONSIDÉRANT que dans son expertise du 25 février 2009, le docteur E. Beltrami note ce qui suit ;

Il est à noter qu'il avait du mal à comprendre le français et nous n'avons pas pu faire passer le MMPI puisqu'il n’en comprenait pas suffisamment le sens.  Par contre il a pu passer le test de Millon avec notre assistante en expertise qui lui expliquait les phrases qu'il ne comprenait pas.

[…]

Il a un léger retard psychomoteur sans désinhibition, fuite des idées, sans blocage ni hésitation.

[…]

[…] Donc, il a parfois une capacité de mémoire et parfois c’est difficile.

[…]

Monsieur qui est habitué à travailler à l'extérieur, d'être un individu actif mais ayant peu de vie symbolique, ce qui lui aurait permis de pouvoir rester de longues heures sans activité particulière a fait, suite à la proposition de travail qu'on lui a donné, une claustrophobie et une phobie de plusieurs éléments qui était reliée à ce type de travail jusqu'à un point où il y a une souffrance significative qui doit être traitée avec médication.

 

Réponses aux questions avec motivation

 

   1. Y a-t-il une relation entre le trouble de l'adaptation et le travail de gardien de sécurité de nuit ?  Veuillez nous expliquer votre opinion s'il vous plaît.

 

Oui très clairement.  Monsieur  a acquis des symptômes anxieux à cet endroit et il continue à faire une phobie de cet endroit ou d'endroits similaires.

[…]

 

Conclusions et Discussion

 

[…] Il est clair que ce travail n'allait pas du tout avec le type de personnalité de monsieur qui a peu d'activités symboliques qui lui aurait permis de passer à travers ce type de travail et qui aurait permis de défouler son anxiété ou sa tension par de la marche ou de l'activité physique.

[sic]

 

 

[22]           CONSIDÉRANT que le docteur Beltrami témoigne également de ce qui suit :

Ø      Le travailleur ne dispose pas d’un imaginaire suffisant pour écouler le temps, durant son emploi, sans développer une anxiété ;

Ø      Le travailleur n'a pas une connaissance suffisante de l'anglais ou du français pour pouvoir soutenir une série télévisée ou un film durant sa période de travail ;

Ø      Le travailleur ne dispose pas d'une capacité intellectuelle suffisante pour se souvenir sur ce plan d'éléments pour mobiliser sa pensée et le stimuler ou le tenir en éveil durant de longues heures ;

Ø      Le travailleur ne dispose pas d'un imaginaire suffisant pour se tenir occupé et fonctionner durant ses heures de travail, ce qui entraîne pour lui une forme d’anxiété, étant incapable de s'adapter à ce type de travail sédentaire.

[23]           CONSIDÉRANT que le travailleur a consulté dès le 11 juillet 2007 le docteur O. Costisella, à l’urgence, lequel a posé un diagnostic de trouble de l'adaptation à la fois anxieux et avec humeur dépressive et, comme facteur stressant, un changement de travail ;

[24]           CONSIDÉRANT que l'article 146 de la loi prévoit ce qui suit :

146.  Pour assurer au travailleur l'exercice de son droit à la réadaptation, la Commission prépare et met en œuvre, avec la collaboration du travailleur, un plan individualisé de réadaptation qui peut comprendre, selon les besoins du travailleur, un programme de réadaptation physique, sociale et professionnelle.

 

Ce plan peut être modifié, avec la collaboration du travailleur, pour tenir compte de circonstances nouvelles.

__________

1985, c. 6, a. 146.

 

 

[25]           CONSIDÉRANT que l'exécution même du travail de gardien de nuit entraîne des répercussions importantes à la santé psychologique du travailleur dans les circonstances décrites ;

[26]           CONSIDÉRANT que ni la CSST, ni l'employeur, ni le travailleur ne pouvait prévoir une telle circonstance avant que le travailleur ne puisse exercer l'emploi convenable retenu ;

[27]           CONSIDÉRANT que la jurisprudence définit une circonstance nouvelle comme une circonstance qui doit se rapporter directement au plan individualisé de réadaptation, soit que le travailleur ne puisse pas accomplir le travail, soit que l'emploi convenable ne réponde plus aux critères énoncés à la définition d'emploi convenable[2] ;

[28]           CONSIDÉRANT que pour modifier le plan individualisé de réadaptation du travailleur, la CSST doit tenir compte de circonstances nouvelles, c'est-à-dire de circonstances qui n'existaient pas ou qui n'étaient pas connues au moment de l'établissement de ce plan[3];

[29]           CONSIDÉRANT que le tribunal estime qu'il s'agit, dans le présent dossier, d'une circonstance nouvelle, qui n'était pas connue au moment de la détermination de l'emploi convenable en juin 2006 et dont l'exécution compromet la santé psychologique du travailleur, comme l'explique le docteur Beltrami ;

[30]           CONSIDÉRANT que l'article 47 de la loi prévoit ce qui suit :

47.  Le travailleur dont la lésion professionnelle est consolidée a droit à l'indemnité de remplacement du revenu prévue par l'article 45 tant qu'il a besoin de réadaptation pour redevenir capable d'exercer son emploi ou, si cet objectif ne peut être atteint, pour devenir capable d'exercer à plein temps un emploi convenable.

__________

1985, c. 6, a. 47.

 

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête déposée par monsieur Joao Carlos Soares ;

INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 6 novembre 2007, à la suite d’une révision administrative ;

DÉCLARE que l'emploi de gardien de nuit chez Simard Beaudry construction inc. ne constitue pas un emploi convenable au sens de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles ;

RENVOIE le dossier à la Commission de la santé et de la sécurité du travail pour que soit à nouveau déterminé un emploi convenable pour monsieur Joao Carlos Soares ;

DÉCLARE que, durant cette période, monsieur Joao Carlos Soares  a droit au versement de l’indemnité de remplacement du revenu.

 

 

__________________________________

 

Robert Daniel

 

Me Chantal Paquet

C.S.D.

Représentante de la partie requérante

 

 

Madame Nancy Evoy

Santinel inc.

Représentante de la partie intéressée

 

 

Me Marie-Pierre Dubé-Iza

Panneton Lessard

Représentante de la partie intervenante

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001

[2]           Villeneuve et Ressources Aunore inc., [1992] C.A.L.P. 06 ; Chassé et Jules Fournier inc., C.A.L.P. 29829-03-9106, 8 octobre 1993, R. Jolicoeur ; Foisy et Clarke Transport Canada inc., C.A.L.P. 44094-62-9208, 14 mars 1994, A. Suicco, (J6-12-02) ; Rocca et J.A. Hubert ltée, C.A.L.P. 35236-08-9112, 26 février 1996, B. Lemay ; Brodeur et Coopers & Lybrand inc. Syndic, C.L.P. 106594-61-9811, 25 février 1999, M. Cuddihy ; Bolduc et Restaurant Trois cent trente-trois inc., C.L.P. 109871-72-9902, 5 juin 2001, J.-D. Kushner ; McRae et Industries C.P.S. inc., C.L.P. 172570-72-0111, 11 juillet 2002, D. Lévesque, (02LP-65).

[3]           Foisy et Clarke Transport Canada inc., précitée, note 2 ; Rocca et J.A. Hubert ltée, précitée, note 2.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.