Décision

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Modèle de décision CLP - juin 2011

Bergeron

2013 QCCLP 1980

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Saguenay

26 mars 2013

 

Région :

Saguenay-Lac-Saint-Jean

 

Dossier :

487837-02-1211

 

Dossier CSST :

104145941

 

Commissaire :

Réjean Bernard, juge administratif

 

Membres :

Jean-Eudes Lajoie, associations d’employeurs

 

Alain Hunter, associations syndicales

______________________________________________________________________

 

 

 

Jacques Bergeron

 

Partie requérante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 19 novembre 2012, monsieur Jacques Bergeron (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles (le tribunal) une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue, le 24 septembre précédent, à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 10 août 2012 et refuse d’accorder le remboursement du coût de certaines options reliées à l’achat d’un véhicule automobile de marque Toyota modèle Sienna SE et totalisant la somme de 7 705 $.

[3]           L’audience s’est tenue, le 14 mars 2013, à Saguenay en présence du travailleur seulement. 

 


L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]           Le travailleur demande au tribunal de déclarer qu’il a droit au remboursement du coût de certaines options reliées à l’achat d’un véhicule automobile de marque Toyota modèle Sienna SE, totalisant la somme de 7 705 $.

MOYEN PRÉALABLE

[5]           Le tribunal soulève d’office la question de la recevabilité de la requête du travailleur laquelle a été produite le 19 novembre 2012 à l’encontre de la décision rendue, le 24 septembre précédent, à la suite d'une révision administrative.

LES FAITS

[6]           Le travailleur a été victime d’un accident du travail, le 18 février 1993, lequel a entraîné une fracture-luxation du rachis au niveau C4-C5. Cette condition se traduit dans les faits par une tétraplégie et une invalidité totale permanente. La CSST a d’ailleurs reconnu une atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique de l’ordre de 599,5 %.[1]

[7]           Le 18 août 2003, le véhicule du travailleur est adapté pour tenir compte de sa condition. Le 10 mai 2005, la CSST accepte de lui rembourser la somme de 4 204,16 $ quant à la différence entre le coût d’achat d’un véhicule automobile allongé par rapport au modèle régulier de marque Dodge modèle Grand Caravan 2003, et ce, incluant le coût d’un système de climatisation. Un remboursement additionnel s’élevant à 472,30 $ est également autorisé à la suite des achats d’un démarreur à distance et d’une radio adaptée. Cette décision n’a pas fait l’objet d’une demande de révision. Il est également mentionné dans la décision que « lors de l’échange de votre véhicule 2003 dans le futur, la [CSST] n’assumera plus la différence. »

[8]           Le 28 mai 2012, le travailleur effectue une demande d’adaptation d’un nouveau véhicule automobile dont il envisage faire l’acquisition.[2] À l’audience, le travailleur précise avoir défrayé lui-même le coût d’achat dudit véhicule et que sa demande visait uniquement les adaptations requises en raison de sa condition.

[9]           Dans une note, prise le 8 août 2012, l’agente d’indemnisation autorise le remboursement du coût des adaptations du nouveau véhicule (Toyota Sienna SE 2012), soit le montant de 29 995 $. Toutefois, le remboursement de la somme de 7 705 $ est refusé quant à une porte coulissante (3 625 $), un système d’air climatisé (2 850 $) et des vitres et serrures électriques (1 230 $). L’agente, pour justifier son refus, réfère à un extrait de la politique 4.07 de la CSST intitulée L’adaptation du véhicule principal, qu’elle reproduit ainsi :

« En ce qui concerne les équipements optionnels, c’est-à-dire ceux offerts par le constructeur d’origine, leurs coûts sont assumés lorsque :

 

ú     le véhicule principal, au moment de la lésion n’était pas muni de ces équipements; ou

 

ú     le travailleur, au moment de la lésion, ne possédait pas de véhicule.

 

Et qu’au point 9, Frais acquittés par la CSST, de la même politique, on précise :

 

Le coût des équipements optionnels et adaptés requis afin de compenser les limitations fonctionnelles du travailleur et rendre le véhicule accessible et la conduite sécuritaire;

 

La CSST acquitte une seule fois le coût des équipements optionnels selon les conditions décrites à la section 2 " Évaluation des besoins " »

 

[10]        Le 10 août 2012, la CSST refuse de rembourser la somme de 7 705 $. Il est précisé que le coût d’achat des équipements optionnels offerts par le constructeur d’origine n’est remboursable qu’une seule fois et que le travailleur a bénéficié de cette mesure lors de l’adaptation de son précédent véhicule, un Dodge Grand Caravan 2003. Cette décision est confirmée, le 24 septembre 2012, à la suite d'une révision administrative.

[11]        Le travailleur conteste cette dernière décision en produisant sa requête au greffe du tribunal par voie électronique, le 19 novembre 2012. À l’audience il ne peut préciser quand il a reçu la décision rendue le 24 septembre précédent. Cependant, il affirme avoir contacté un agent de la CSST, le 19 novembre 2012, lequel lui aurait confirmé qu’il disposait encore de quatre à cinq jours pour contester la décision rendue à la suite d’une révision administrative. Le travailleur déclare formellement avoir produit sa requête par voie électronique, et ce, le jour même.

[12]        D’autre part, le travailleur précise qu’il est le propriétaire du véhicule Toyota Sienna SE, tel qu’il appert de son certificat d’immatriculation[3]. Il s’agit de son principal véhicule automobile, lequel est conduit par sa conjointe.

[13]        En regard des options que la CSST a refusé de rembourser, le travailleur précise que les modèles Sienna sont nécessairement munis d’une porte coulissante, mais que le coût de 3 625 $ concerne le fonctionnement électrique de cette porte. Selon ses dires, il peut se hisser lui-même dans le véhicule, à l’aide d’une commande à distance actionnant la rampe d’embarquement. Il soutient qu’il est essentiel pour sa propre autonomie et sa sécurité, qu’il soit en mesure d’actionner lui-même tant la porte coulissante que les serrures des portières.

[14]        Quant au système de climatisation, le travailleur reconnaît que son précédent véhicule en était muni. Il soutient que cette option est nécessaire pour qu’il puisse accompagner sa conjointe lors des longues sorties estivales.

L’AVIS DES MEMBRES

[15]        Les membres issus des associations d’employeurs et syndicales sont d’avis que le travailleur a produit sa requête, à l’endroit de la décision rendue le 24 septembre 2012, avant l’expiration du délai prévu par la loi. En conséquence, ils estiment que sa réclamation est recevable.

[16]        Les membres sont également d’avis que les options requises par le travailleur facilitent sa réadaptation sociale et constituent des adaptations lui permettant d’avoir pleinement accès à son véhicule.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[17]        Le tribunal doit d’abord décider de la recevabilité de la requête présentée par le travailleur au greffe du tribunal, le 19 novembre 2012, à l’encontre de la décision rendue, le 24 septembre précédent, à la suite d'une révision administrative.

[18]        Le délai de contestation d’une décision rendue par la CSST, à la suite d’une révision administrative, est de 45 jours en vertu de l’article 359 de la loi.

359.  Une personne qui se croit lésée par une décision rendue à la suite d'une demande faite en vertu de l'article 358 peut la contester devant la Commission des lésions professionnelles dans les 45 jours de sa notification.

__________

1985, c. 6, a. 359; 1992, c. 11, a. 32; 1997, c. 27, a. 16.

 

 

[19]        Si cette requête est produite après l’expiration de ce délai, le tribunal doit déterminer si le travailleur a fait valoir un motif raisonnable qui justifie de le relever des conséquences de son défaut conformément à l’article 429.19 de la loi.

429.19.  La Commission des lésions professionnelles peut prolonger un délai ou relever une personne des conséquences de son défaut de le respecter, s'il est démontré que celle-ci n'a pu respecter le délai prescrit pour un motif raisonnable et si, à son avis, aucune autre partie n'en subit de préjudice grave.

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

[20]        Bien que le travailleur ne soit pas en mesure de préciser quand la décision contestée lui a été notifiée, il a contacté toutefois un agent le 19 novembre 2012, lequel lui a confirmé qu’il disposait encore de quatre à cinq jours pour produire sa requête. Le travailleur a produit celle-ci par voie électronique le même jour.

[21]        Le témoignage du travailleur s’est avéré crédible et celui-ci n’a pas été contredit. En conséquence, le tribunal retient que sa requête a été produite avant l’expiration du délai fixé par la loi et qu’elle est  conséquemment recevable.

[22]        Le tribunal doit maintenant déterminer si le travailleur a droit au remboursement de la somme de 7 705 $ relié au coût de certaines options qu’il a défrayées lors de l’achat du véhicule automobile de marque Toyota modèle Sienna SE.

[23]        Le droit d’obtenir réparation est modulé dans la première section du quatrième chapitre de la loi. Le travailleur victime d’une lésion professionnelle ayant entrainé une atteinte permanente à son intégrité physique a droit à la réadaptation requise par son état.

145.  Le travailleur qui, en raison de la lésion professionnelle dont il a été victime, subit une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique a droit, dans la mesure prévue par le présent chapitre, à la réadaptation que requiert son état en vue de sa réinsertion sociale et professionnelle.

__________

1985, c. 6, a. 145.

 

 

[24]        Dans la sous-section relative à la réadaptation sociale, il est établi que celle-ci vise à aider le travailleur à surmonter, dans la mesure du possible, les conséquences personnelles et sociales de sa lésion professionnelle et à s’adapter à la nouvelle situation qui en découle tout en redevenant autonome dans l’accomplissement de ses activités habituelles.

151.  La réadaptation sociale a pour but d'aider le travailleur à surmonter dans la mesure du possible les conséquences personnelles et sociales de sa lésion professionnelle, à s'adapter à la nouvelle situation qui découle de sa lésion et à redevenir autonome dans l'accomplissement de ses activités habituelles.

__________

1985, c. 6, a. 151.

 

 

[25]        Le programme de réadaptation sociale du travailleur peut comprendre la mise en œuvre de moyens permettant à celui-ci de se procurer un véhicule adapté à sa capacité résiduelle. À cette fin, le travailleur doit être affligé d’une atteinte permanente grave à son intégrité physique. D’autre part, il doit s’agir de son véhicule principal et l’adaptation de celui-ci doit être nécessaire, du fait de la lésion elle-même, pour rendre le travailleur capable de conduire le véhicule ou lui permettre d’y avoir accès.

152.  Un programme de réadaptation sociale peut comprendre notamment :

 

[…]

 

2° la mise en oeuvre de moyens pour procurer au travailleur un domicile et un véhicule adaptés à sa capacité résiduelle;

 

[…].

__________

1985, c. 6, a. 152.

 

 

155.  L'adaptation du véhicule principal du travailleur peut être faite si ce travailleur a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique et si cette adaptation est nécessaire, du fait de sa lésion professionnelle, pour le rendre capable de conduire lui-même ce véhicule ou pour lui permettre d'y avoir accès.

__________

1985, c. 6, a. 155.

 

 

[26]        En l’espèce, la lésion professionnelle du travailleur a entraîné une atteinte permanente à l'intégrité physique éminemment grave.

[27]        Ensuite, le tribunal accorde une valeur probante au témoignage crédible et non contredit du travailleur. Il appert que le fonctionnement électrique de la porte coulissante et des serrures des portières permettent au travailleur d’accéder et de sortir du véhicule sans aide extérieure étant donné les autres adaptations autorisées par la CSST. En conséquence, le travailleur peut pendant l’absence temporaire de la conductrice ou advenant l’impossibilité de celle-ci à agir, pour une raison ou une autre, sortir par ses propres moyens du véhicule. Ces options s’avèrent nécessaires pour assurer sa sécurité et, en permettant de lui donner accès au véhicule, participent grandement à lui assurer un certain degré d’autonomie dans l’accomplissement de ses activités habituelles.

[28]        Quant au système de climatisation, son absence pourrait contraindre le travailleur à limiter ses déplacements pendant la saison estivale et par le fait même à restreindre son accès au véhicule.

[29]        Certes, la CSST justifiait son refus de rembourser les options dont il est question compte tenu de sa politique no. 4.07, laquelle énonce qu’un tel remboursement ne peut être effectué qu’une seule fois. En l’occurrence, la CSST avait autorisé ce remboursement le 10 mai 2005, quant au précédent véhicule du travailleur acquis en 2003.  Or, il s’avère que le tribunal n’est pas lié par une politique de la CSST. D’autre part, un véhicule est un bien ayant une durée d’utilisation restreinte. Les options considérées comme des adaptations nécessaires au premier véhicule ne le sont pas moins lors de son remplacement si la condition du travailleur demeure inchangée. D’ailleurs, le travailleur n’a pas abusé de la situation en acquérant un second véhicule en 2012, soit neuf années après l’acquisition du premier.

[30]        En conséquence, il y a lieu d’analyser l’article 155 de la loi non pas de façon hermétique, mais en corrélation avec les autres dispositions de la section relative au droit à la réadaptation et plus spécifiquement de la sous-section réadaptation sociale.

[31]        Le tribunal retient que les trois options pour lesquelles le travailleur demande le remboursement sont des adaptations requises par son état en vue de faciliter sa réadaptation sociale. L’objectif de celle-ci est en partie atteint puisque les options, dont il est question, aident le travailleur à surmonter les conséquences personnelles et sociales de sa lésion. De surcroît, elles lui permettent de mieux s’adapter à la situation qui découle de sa lésion en lui permettant de gagner de l'autonomie dans l’accomplissement de ses activités habituelles. Ces options constituent des moyens mis en œuvre pour procurer au travailleur un véhicule adapté à sa capacité résiduelle et s’avèrent nécessaires pour lui permettre d’avoir pleinement accès à son véhicule principal. Cette notion « d’avoir accès » doit être interprétée de manière libérale de façon à ce que l’esprit de la loi, tel que libellé à l’article premier, soit respecté, soit la réparation des lésions professionnelles et des conséquences que celles-ci génèrent.

1.  La présente loi a pour objet la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu'elles entraînent pour les bénéficiaires.

 

Le processus de réparation des lésions professionnelles comprend la fourniture des soins nécessaires à la consolidation d'une lésion, la réadaptation physique, sociale et professionnelle du travailleur victime d'une lésion, le paiement d'indemnités de remplacement du revenu, d'indemnités pour préjudice corporel et, le cas échéant, d'indemnités de décès.

 

La présente loi confère en outre, dans les limites prévues au chapitre VII, le droit au retour au travail du travailleur victime d'une lésion professionnelle.

__________

1985, c. 6, a. 1; 1999, c. 40, a. 4.

 

 

[32]        En conséquence, le tribunal donne droit à la demande du travailleur.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête de monsieur Jacques Bergeron, le travailleur;

INFIRME la décision rendue, le 24 septembre 2012, par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, à la suite d’une révision administrative;


DÉCLARE que le travailleur a droit au remboursement de la somme de 7 705 $ afin de défrayer le coût des adaptations (porte coulissante, climatisation, vitres et serrures électriques) de son nouveau véhicule Toyota Sienna SE 2012.

 

 

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Réjean Bernard

 

 

 

 

 



[1]           Note de l'agente d’indemnisation prise le 23 juillet 2010.

[2]           Note de l’agente d’indemnisation prise le 18 juin 2012.

[3]           Page 509 du dossier administratif.

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