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[1] Le 10 février 2004, Horance Bacon (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 28 janvier 2004 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celles qu’elle a initialement rendues les 14 avril 2003 et 15 avril 2003 en déclarant que le travailleur est capable d’exercer l’emploi convenable de gardien de stationnement déjà déterminé depuis le 14 avril 2003 et qu’il n’a plus droit à la pleine indemnité de remplacement du revenu après cette date mais plutôt à une indemnité réduite. Cette décision déclare aussi que la CSST n’a pas à rembourser les frais de déneigement du stationnement et de la toiture non plus que ceux concernant la tonte du gazon.
[3] Une audience est tenue à Trois-Rivières le 9 novembre 2004 en présence du travailleur, de son représentant et de la procureure de la CSST. L’employeur est quant à lui absent tel qu’il en a avisé le tribunal par lettre du 9 novembre 2004.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’il a droit au remboursement des frais de déneigement de son toit et de son stationnement pour l’hiver 2002-2003 de même que pour la tonte du gazon à l’été 2003.
[5] Il ne remet pas en cause que l’emploi de gardien de stationnement constitue un emploi convenable, mais il affirme que sa lésion n’étant pas consolidée, il est incapable d’effectuer cet emploi et a droit à la poursuite de l’indemnité de remplacement du revenu.
LES FAITS
[6] En 1972, alors qu’il travaille chez l’employeur, le travailleur subit un accident du travail et s’inflige une déchirure du ménisque interne gauche. Il subit alors une méniscectomie interne aux mains du docteur Lamarre, orthopédiste.
[7] Le 30 août 1995, le travailleur subit une nouvelle lésion professionnelle au genou gauche dans le cadre d’un traumatisme avec torsion qui entraînera une arthroscopie et une méniscectomie externe en date du 8 mars 1996. En postopératoire, le patient développera une thrombophlébite. Notons que le travailleur est diabétique. Cette lésion a d’ailleurs été acceptée par la CSST en 1996 en vertu de l’article 31 de la Loi[1].
[8] Les diagnostics retenus en relation avec la lésion du 30 août 1995 sont notamment de l’arthrose au genou gauche, une entorse à ce genou accompagnée d’une déchirure méniscale.
[9] Le 5 décembre 1995, le travailleur rencontre son agente d’indemnisation et lui demande entre autres le remboursement de certains frais de déneigement, de fermeture de piscine, etc. L’agente d’indemnisation lui explique qu’elle ne peut faire suite à cette demande étant donné qu’aucune atteinte permanente n’a encore été établie et que la lésion du travailleur n’est pas consolidée. L’agente d’indemnisation inscrit aux notes évolutives que le travailleur faisait « tout son entretien seul » mais que depuis août, date de l’accident du travail, il requiert de l’aide pour l’entretien lourd.
[10] Le 28 janvier 1998, le docteur Laurent Cardin de la CSST procède à un bilan téléphonique avec le docteur Pierre Naud. Ce dernier mentionne que la chirurgie de prothèse totale du genou est élective et elle mérite d’être reportée dans le temps le plus tard possible.
[11] Le 3 mars 1998, le docteur Pierre Naud indique au rapport d’évaluation médicale que les risques d’une phlébothrombose postprothèse totale du genou sont élevés chez le travailleur à cause de ses antécédents. Une orthèse et des médicaments sont prescrits pour retarder l’éventualité de la chirurgie.
[12] Le 5 mai 1998, la CSST rend une décision à l’effet de reconnaître une atteinte permanente totale de 16,90 % en lien avec l’événement du 30 août 1995.
[13] Le 21 juillet 1998, le travailleur est évalué par le docteur Raouf Antoun, orthopédiste, agissant à titre de membre du Bureau d’évaluation médicale suite à la lésion du 30 août 1995. Il évalue le déficit anatomo-physiologique à 15 % et les séquelles antérieures à 1 %. Il constate qu’il y a unanimité quant à la nature des limitations fonctionnelles qu’il énonce comme suit :
[…]
Le patient doit :
Éviter de marcher pendant plus de dix minutes de façon continue;
Éviter de demeurer debout pendant plus de dix minutes de façon continue;
Éviter de monter et descendre fréquemment les escaliers;
Éviter de transporter des poids excédant une quinzaine de livres;
Éviter de travailler en position accroupie.
[14] Le 22 mars 1999, la CSST rend une décision établissant l’emploi convenable de gardien de terrain de stationnement que le travailleur est capable d’effectuer à compter du 19 mars 1999.
[15] Le 10 janvier 2001, le travailleur subit une récidive, rechute ou aggravation acceptée par décision du 8 mars 2001 en lien avec un diagnostic d’ostéoarthrose au genou gauche.
[16] Le 18 septembre 2000, la Commission des lésions professionnelles rend une décision dans le dossier numéro 126630-63-9911 afin d’entériner un accord conformément à l’article 429.46 de la Loi. Cette décision a pour effet notamment de confirmer l’emploi convenable de gardien de stationnement et la capacité du travailleur de l’effectuer. Cet emploi avait d’ailleurs été déterminé d’un commun accord tel qu’il appert de la note évolutive du 19 mars 1999.
[17] Le 22 janvier 2002, la docteure Olga Dafniotis rédige une expertise après avoir vu le travailleur à la demande de la CSST (article 204). Elle mentionne notamment que le patient aura éventuellement besoin d’une arthroplastie de son genou gauche mais, comme il a présenté une phlébite antérieurement qui a nécessité une anticoagulothérapie pendant quelques mois, il y a des risques associés à cette intervention chirurgicale. Elle ajoute que le patient est diabétique ce qui complique également le tableau. Elle suggère la poursuite d’un traitement conservateur pour essayer de retarder l’installation d’une prothèse du genou.
[18] Le 30 avril 2002, le travailleur rencontre le docteur Marcel Dufour, orthopédiste, agissant à titre de membre du Bureau d’évaluation médicale. Il estime que la récidive, rechute ou aggravation du 10 janvier 2001 n’est pas consolidée et qu’il est trop tôt pour se prononcer sur les questions de l’atteinte permanente et des limitations fonctionnelles. Il croit que la seule modalité thérapeutique potentiellement bénéfique serait un remplacement par prothèse totale de son genou mais ajoute qu’il y a certains risques à pareille chirurgie. Il croit toutefois que ces risques peuvent être éliminés à trois conditions qu’il énonce.
[19] Les 11, 18, 24, 25 septembre 2002, 6 novembre 2002 et 29 janvier 2003, le travailleur rencontre le docteur Bruno La Haye qui estime que la lésion n’est pas consolidée et qu’elle le sera dans plus de 60 jours.
[20] Le 25 octobre 2002, Carrières Crête inc., entrepreneur de Saint-Tite, produit une estimation concernant les coûts du déneigement de la cour du travailleur au montant de 300 $.
[21] Le 1er novembre 2002, un contrat de déneigement entre le travailleur et Ferme LP Germain SENC entre en vigueur pour se terminer le 1er avril 2003. La somme de 200 $ est payée par le travailleur le 6 novembre 2002.
[22] Le 6 mars 2003, le travailleur rencontre le docteur Jean-Pierre Dalcourt, orthopédiste, à la suite d’une demande de la CSST faite en vertu de l’article 204 de la Loi. À l’examen physique il note que le travailleur se déplace avec une boiterie et qu’il y a maintien en flexum de son genou gauche avec un varus aux alentours de 15 degrés à gauche. La démarche en plantiflexion et en dorsiflexion est impossible à cause de la douleur au niveau du genou gauche. Une légère hypoesthésie est notée à la face antérieure du genou gauche avec évidence d’une diminution antalgique. Il y a également léger épanchement à ce genou avec limitation de certains mouvements. Il émet les limitations fonctionnelles suivantes :
[…]
9.LIMITATIONS FONCTIONNELLES
Je suis antérieurement (sic) d’accord avec les limitations mentionnées antérieurement par les autres orthopédistes, à savoir
-éviter de demeurer debout plus de 10 minutes de façon continue
-éviter de marcher plus de 10 minutes
-éviter de monter et descendre les escaliers fréquemment
-éviter de transporter des poids excédant 15 livres
-éviter de travailler en position accroupie
-éviter les terrains inégaux.
[…]
Dans le dossier, on parle de cette arthroplastie totale depuis plusieurs années et après discussion avec le patient, je réalise que celui-ci ne se sent pas prêt à cette chirurgie, tenant compte qu’il est diabétique et est très craintif face aux risques de complications et refuse donc pour l’instant cette alternative.
[23] En conclusion, il mentionne que la pathologie du travailleur a évolué vers une importante ostéoarthrose multicompartimentale du genou gauche qui ne répond plus à aucun traitement conservateur et qui de toute évidence est rendue au stade d’une arthroplastie totale. Le travailleur ne se dit cependant pas prêt à subir cette chirurgie parce qu’il est diabétique et très craintif face aux risques de complications. Il refuse donc « pour l’instant » cette alternative.
[24] Au niveau de la consolidation, il mentionne ce qui suit :
[…]
Je suis donc en désaccord avec le dernier avis au BEM du Dr Dufour. Ce patient refuse pour l’instant la chirurgie et doit être considéré comme consolidé, puisqu’il n’y a pas d’autre traitement médical efficace à lui recommander. De fait, tel n’est pas le cas, (refusant toujours sa chirurgie), il n’y aura donc jamais de consolidation.
[25] Il évalue les séquelles actuelles à 15 %.
[26] Le 4 avril 2003, le docteur Bruno La Haye, orthopédiste et médecin qui a charge du travailleur, émet un rapport complémentaire sans revoir le travailleur. Ce rapport est émis en réponse à l’expertise du docteur Dalcourt. Il écrit ce qui suit :
Dx : OA dégénérative genou gauche important
Date : consolidé
tx :PTG éventuelle. (dès que le patient sera d’accord avec cette alternative thérapeutique)
DAP : D’accord avec expertise Dr Dalcourt
Limitations foncti. : D’accord avec expertise Dr Dalcourt
[27] Le 10 avril 2003, le travailleur communique avec son agente d’indemnisation pour discuter de la possibilité du remboursement de travaux de déneigement et de tonte de gazon. Il mentionne qu’avant la lésion du 30 août 1995, il donnait le déneigement de son entrée à contrat car il n’avait pas le temps de s’en occuper à cause de son travail. Quant à la tonte du gazon, le travailleur payait des étudiants pour effectuer cette tâche. Il en va de même pour le déneigement de la toiture de sa résidence. Il ajoute avoir déjà fait lui-même tous ces travaux avant 1993.
[28] Le 16 avril 2003, en mai 2003 (attestation 43400) ainsi que les 18 août et 27 octobre 2004, le docteur Bruno La Haye mentionne que la lésion n’est pas consolidée et qu’elle le sera dans plus de 60 jours (pièce T-1). Il mentionne de plus en mai 2003 que le travailleur est en attente d’une chirurgie, ce qu’il réitère le 18 août 2004 et le 27 octobre 2004.
[29] Le 24 avril 2003, le travailleur communique avec la CSST pour mentionner que suite à la visite chez le docteur La Haye le 16 avril 2003, il envisage maintenant une chirurgie pour une prothèse totale du genou en novembre 2003. Il ajoute qu’il n’avait pas bien compris la question de l’agente lorsqu’elle lui avait demandé qui effectuait le déneigement avant la lésion du 30 août 1995. Il mentionne que c’est bien lui qui l’effectuait puisqu’il était propriétaire d’une souffleuse à neige et qu’il donnait parfois des contrats à des tiers lorsqu’il y avait une tempête.
[30] À l’audience, sont déposés sous les cotes I-1 et I-2 des extraits du système Repères et de la Classification nationale des professions concernant l’emploi de préposé aux terrains de stationnement. On indique que la fonction d’une telle personne est de surveiller un terrain de stationnement et de contrôler les allées et venues des automobilistes en faisant respecter notamment les règlements d’utilisation des espaces disponibles. On indique aussi qu’il doit voir à maintenir l’ordre, la propreté et la sécurité du terrain. Il peut être appelé également à stationner certaines voitures ou à aller les chercher au départ des clients, tout comme il peut déplacer certaines voitures si le stationnement est plein. Son intervention peut être également requise lors d’un incident ou d’un problème. Il doit alors régulariser la situation. Comme environnement physique, on mentionne que le lieu de travail peut être à l’intérieur comme à l’extérieur. Au niveau des capacités physiques, l’employé doit être capable de travailler en position assise et debout ou encore en marche.
[31] Le travailleur témoigne à l’audience. Il relate l’accident du travail survenu en 1972 chez l’employeur.
[32] Actuellement il continue de voir un médecin aux trois ou quatre mois.
[33] Il parle de la chirurgie qu’il doit subir et qu’il a retardée à cause des risques inhérents à son diabète et à ses antécédents de phlébite lors de la chirurgie de 1996. Il comprend que cette chirurgie amènera une amélioration certaine et il est conscient que le tout « devra être fait ».
[34] Il avait demandé en 1995 le remboursement de frais de déneigement et comme la CSST avait refusé, il a confié ses travaux à des contracteurs depuis en assumant les coûts lui-même.
[35] Il affirme sous serment qu’avant 1995, il faisait lui-même les travaux de déneigement et la tonte du gazon à environ 50 % du temps. Pour le reste, il donnait des contrats à des tiers ou à de jeunes voisins, notamment lors d’une tempête ou s’il ne se sentait pas capable de le faire à cause de ses problèmes au genou qui perduraient depuis 1972. Il possédait d’ailleurs à cette époque, comme aujourd’hui, une souffleuse à neige et une tondeuse.
[36] Entre 1995 et 2003, il a confié le déneigement à de jeunes voisins ou encore à un contracteur qui passait dans sa rue.
[37] À l’hiver 2002-2003, un entrepreneur en déneigement lui a dit qu’il lui en coûterait environ 300 $ pour déneiger son entrée. Pour ce qui est de son gazon, depuis 1995, ce sont de jeunes voisins qui le tondent pour environ 100 à 150 $ pour l’été.
[38] Physiquement, il est tout juste capable de faire certaines activités personnelles comme aller à l’épicerie ou au centre d’achat à condition qu’il puisse s’asseoir. Il peut parfois marcher jusqu’à 30 minutes mais parfois il ne peut pas marcher plus de 10 minutes sans s’asseoir.
[39] Il est notamment incapable d’aller au Festival de Saint-Tite, sauf s’il se limite aux abords du site près de sa maison. S’il décide d’aller plus loin, il doit arrêter dans des restaurants pour se reposer.
[40] Il prend régulièrement des analgésiques mais dit qu’il doit continuer quand même à vivre. Depuis sa lésion, il a arrêté la pêche, la chasse et le quatre-roues. Il a dû vendre ses bateaux.
[41] Revenant sur la conversation téléphonique qu’il aurait eue avec une agente de la CSST le 10 avril 2003, il réitère qu’il y a eu incompréhension de sa part puisque c’est lui-même qui s’occupe des travaux d’entretien courant de son domicile même s’il lui arrivait parfois de donner des contrats. Plusieurs de ses médecins, comme les docteurs Giroux, Rousseau et La Haye, lui ont fait part des risques importants qu’il encourt s’il se soumet à la chirurgie d’une prothèse totale de son genou.
[42] Il a cherché des emplois de gardien de stationnement dans son milieu sans succès. Ce genre d’emploi n’existe pas dans sa région selon lui. Il reconnaît que la plupart des stationnements qui existent dans sa région sont asphaltés mais qu’aucun d’eux ne requiert les services d’un gardien. Il n’a cependant pas vérifié à Trois-Rivières puisqu’il y a au moins une heure de route pour s’y rendre.
[43] Quant au déneigement de son toit, il l’a toujours confié à des tiers. Il ne l’a jamais fait lui-même.
[44] Monsieur Mario Lainesse est ensuite entendu. Il est enquêteur à la CSST.
Les objections
[45] Le représentant du travailleur a formulé deux objections quant au témoignage de monsieur Lainesse, objections que le tribunal a rejetées séance tenante.
[46] Dans un premier temps, il est reproché à la CSST de ne pas avoir avisé à l’avance la partie adverse du fait que l’enquêteur Lainesse serait entendu à l’audience.
[47] En matière civile, aucune règle n’exige d’une partie une telle divulgation. La jurisprudence des tribunaux civils et administratifs, notamment des arbitres de griefs, confirme qu’une telle divulgation n’a pas à être faite. Le tribunal réfère à la décision rendue par la commissaire Danièle Gruffy dans l’affaire Reis et Industries Maintenance Empire inc.[2] où elle mentionnait que chaque partie étant maître de sa preuve, on ne peut contraindre ni l’employeur ni le travailleur à transmettre à l’autre partie avant l’audience une copie d’une cassette vidéo ce qui reviendrait à dévoiler d’avance des faits qui auraient pu aussi bien être constatés par le simple témoignage d’un enquêteur sans rapport écrit ou sans enregistrement vidéo, lesquels n’auraient pas eu à être divulgués.
[48] En conséquence, aucune règle de divulgation du nom des témoins n’existe devant la Commission des lésions professionnelles. Autrefois, l’ancien article 417 de la Loi prévoyait spécifiquement qu’une partie devait produire une déclaration contenant notamment la liste des témoins qu’elle comptait faire entendre. Cette disposition a été abrogée et n’a aucun équivalent dans la législation actuelle. Si le législateur avait voulu qu’il en soit ainsi, il aurait été facile pour lui de prévoir une disposition dans la Loi à cet effet tout comme il aurait été facile au tribunal d’inscrire une disposition dans ce sens à la section V des Règles de preuves de procédure et de pratique qui ont été entérinées par le législateur.
[49] La deuxième objection vise le fait que le témoin Lainesse témoigne sur l’état des stationnements de la région de Trois-Rivières et sur le fait qu’un gardien de stationnement y soit présent ou non. Le représentant du travailleur affirme que le témoin n’est pas expert en matière de stationnements. Or, le tribunal est d’avis que le témoignage de monsieur Lainesse ne constitue nullement un témoignage d’expert puisque les faits sur lesquels il est entendu ne concernent nullement des questions scientifiques, techniques, complexes ou d’opinion et ne sont donc nullement réservées à un témoin expert. Lorsque les faits sont simples et que le décideur est aussi capable que toute autre personne de les comprendre et de déduire les conclusions qui en découlent, on ne peut alors parler de témoignage d’expert[3].
[50] Comme la Cour suprême du Canada l’a rappelé dans l’affaire R. c. Mohan[4],pour être nécessaire, la preuve d’expert doit dépasser l’expérience et la connaissance du décideur. En l’espèce, autant le témoin Lainesse que le tribunal est en mesure de décrire la matière dont est composé le revêtement d’un stationnement tout comme il peut affirmer s’il y a présence ou non d’un gardien. Cette preuve est donc totalement admissible bien qu’elle soit soumise à l’appréciation du tribunal quant à sa valeur probante.
[51] En conséquence, comme les renseignements fournis par le témoin Lainesse ne dépassent pas l’expérience et les connaissances ordinaires du décideur et qu’il s’agit d’observations factuelles et non d’une opinion, l’objection a donc été rejetée séance tenante[5].
Le témoignage de Mario Lainesse
[52] Le témoin Lainesse a donc témoigné comme suit. Tous les stationnements qu’il connaît dans la région de Trois-Rivières, Shawinigan ou Grand-Mère sont asphaltés. Il a connaissance que des gardiens se trouvent sur certains stationnements soit les bureaux de la CSST à Trois-Rivières, l’Hôtel Delta, le Palais de justice, la Caisse populaire Notre-Dame et l’édifice d’Hydro-Québec. Il ajoute qu’à Shawinigan et Grand-Mère, certaines industries retiennent les services d’un gardien de même qu’une usine à Gentilly et l’Institut de police à Nicolet.
[53] En contre-interrogatoire, il mentionne qu’il est à Trois-Rivières depuis 1990. Il affirme que la distance entre Nicolet et la résidence du travailleur prend environ 1 h 05 à parcourir. Il n’a fait aucune étude spécifique sur les stationnements mais témoigne selon l'expérience générale qu’il a développée en parcourant le territoire.
[54] En hiver, il estime que les stationnements sont en général bien déneigés mais admet que tel n’est pas toujours le cas selon la période, les intempéries et la compétence du contracteur.
[55] Il ne lui est jamais arrivé de voir dans la région des gardiens de stationnement se déplacer dans le cadre de leurs fonctions.
L’ARGUMENTATION DES PARTIES
[56] Le représentant du travailleur croit que la CSST n’aurait pas dû rendre la décision mettant fin à l’indemnité de remplacement du revenu parce que le travailleur n’était pas consolidé. La définition contenue à la loi de la notion de consolidation n’est pas rencontrée en l’espèce puisqu’il y a toujours possibilité et même certitude d’amélioration lorsqu’une chirurgie sera effectuée. Le docteur La Haye a mentionné à plusieurs reprises que le travailleur n’était pas consolidé et il a réitéré le tout récemment en octobre 2004. L’avis complémentaire qui se trouve à la page 217 du dossier ne doit pas être interprété comme établissant une consolidation puisqu’il réfère à l’avis du docteur Dalcourt qui ne consolide pas le travailleur. Comme il n’était pas consolidé en avril 2003, il avait donc droit à la poursuite de l’indemnité de remplacement du revenu en vertu de l’article 46 de la Loi.
[57] Le refus manifesté par le travailleur quant à une chirurgie ne résulte pas d’un caprice mais d’une crainte sérieuse alimentée par l’avis des médecins. L’article 142 de la Loi prévoit d’ailleurs que la CSST ne peut réduire ou mettre fin à une indemnité si un travailleur refuse une chirurgie.
[58] Subsidiairement, le travailleur n’est pas capable d’exercer l’emploi de gardien de stationnement parce que les nouvelles limitations fonctionnelles émises ne sont pas respectées dans ce travail.
[59] Quant aux travaux d’entretien de son domicile, le travailleur y a droit parce qu’avant 1995, c’est lui-même qui s’en occupait. Il y a eu certaines incompréhensions avec l’agente de la CSST pour lesquelles le travailleur n’a d’ailleurs pas à être puni. Le travailleur a toujours possédé une tondeuse et une souffleuse et il aurait continué à s’en servir s’il avait été capable. Il dépose de la jurisprudence au soutien de ses prétentions[6].
[60] La procureure de la CSST estime que le docteur La Haye s’est exprimé clairement dans son rapport complémentaire qui lie le présent tribunal en vertu de l’article 224. D’ailleurs, le refus d’une chirurgie ne peut prolonger indéfiniment la date de consolidation d’une lésion puisque lorsqu’on décide qu’on ne se fera pas opérer, on doit conclure qu’il n’y a plus d’amélioration possible de prévisible.
[61] La CSST a examiné d’office et sans réclamation la possibilité de reconnaître une rechute en 2003 pour en venir à la conclusion qu’il n’en était pas ainsi à défaut d’une nouvelle chirurgie.
[62] Le travailleur est donc capable de reprendre son emploi convenable et, comme la Cour supérieure l’a mentionné, lors d’une rechute on ne doit se préoccuper que de la capacité physique à faire l’emploi déjà déterminé eu égard aux nouvelles limitations fonctionnelles. Elle rappelle que l’emploi de gardien de stationnement a été déclaré convenable par accord entériné par la CSST. Or, la preuve indique que les stationnements de la région sont asphaltés et elle ne considère pas que ces terrains deviennent inégaux ou accidentés l’hiver. De plus, un gardien de stationnement reste habituellement dans sa guérite.
[63] Quant aux frais d’entretien du domicile réclamés, le déneigement de la toiture ne découle pas d’un entretien courant et le travailleur ne l’a jamais effectué. Elle demande de retenir de la preuve que le travailleur ne s’occupait pas lui-même de la tonte du gazon et du déneigement de son entrée avant la lésion de 1995 de sorte que la décision de refus de la CSST est bien fondée. Elle mentionne de plus que le travailleur demande ni plus ni moins qu’un jugement déclaratoire parce qu’il n’a pas de reçus, qu’il n’a pas logé de réclamations et qu’il n’a pas prouvé ses déboursés. De plus les limitations fonctionnelles du travailleur ne l’empêchent pas de faire les travaux pour lesquels il demande un remboursement. Elle dépose au soutien de ses prétentions un extrait du Petit Larousse illustré, édition 1999 ainsi que de la jurisprudence[7].
L’AVIS DES MEMBRES
[64] Les membres issus des associations syndicales et d’employeurs partagent le même avis. Les frais de déneigement du toit de la résidence du travailleur ne sont pas remboursables puisque la preuve ne démontre pas que c’est lui qui l’aurait effectué à l’hiver 2002-2003. La preuve indique qu’il ne s’en est jamais occupé lui-même et de plus il ne s’agit pas d’entretien courant du domicile. Il en va autrement des frais de tonte du gazon et de déneigement de l’entrée. À cet effet, il y a lieu de retenir la version la plus contemporaine faite par le travailleur à l’agent d’indemnisation et qu’on retrouve à la page 5 du dossier à l’effet qu’il faisait lui-même l’entretien avant la lésion de 1995. La preuve démontre de plus qu’il possède l’équipement requis. En conséquence, on peut conclure que le travailleur effectuerait lui-même ces travaux n’eut été la survenance de sa lésion professionnelle. Ces travaux ne respectent pas les limitations fonctionnelles du travailleur qui est porteur d’une atteinte permanente grave. La CSST doit donc rembourser les frais de tonte de gazon pour l’été 2003 et les frais de déneigement pour l’hiver 2002-2003.
[65] La CSST n’aurait pas dû mettre fin à l’indemnité de remplacement du revenu. L’avis du docteur La Haye dans lequel il mentionne « consolidé » n’est pas clair puisqu’il ne mentionne pas de date de consolidation, qu’il réfère nécessairement à l’opinion du docteur Dalcourt qui lui-même ne consolide pas le travailleur et qu’il est précédé et suivi de nombreux avis concluant à la non-consolidation. Il est de plus manifeste que le docteur La Haye n’a pas vu le travailleur à la date de ce rapport. La lésion du travailleur n’étant pas consolidée, il est présumé incapable d’exécuter son travail et a droit à la poursuite de l’indemnité de remplacement du revenu.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[66] La Commission des lésions professionnelles doit décider si le travailleur a droit au remboursement des frais de déneigement et de tonte du gazon qu’il requiert pour l’année 2002-2003.
[67] Le tribunal doit aussi décider du bien-fondé de la décision de la CSST quant à la capacité du travailleur d’occuper l’emploi de gardien de stationnement déjà déterminé et ce, en date du 14 avril 2003 avec comme conséquence la fin de l’indemnité de remplacement du revenu.
[68] Le droit au remboursement des travaux courants d’entretien du domicile est prévu au chapitre de la réadaptation sociale. L’article 151 de la Loi mentionne ce qui suit :
151. La réadaptation sociale a pour but d'aider le travailleur à surmonter dans la mesure du possible les conséquences personnelles et sociales de sa lésion professionnelle, à s'adapter à la nouvelle situation qui découle de sa lésion et à redevenir autonome dans l'accomplissement de ses activités habituelles.
__________
1985, c. 6, a. 151.
[69] L’article 165 prévoit les conditions auxquelles la CSST accepte de rembourser le coût de tels travaux :
165. Le travailleur qui a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique en raison d'une lésion professionnelle et qui est incapable d'effectuer les travaux d'entretien courant de son domicile qu'il effectuerait normalement lui-même si ce n'était de sa lésion peut être remboursé des frais qu'il engage pour faire exécuter ces travaux, jusqu'à concurrence de 1 500 $ par année.
__________
1985, c. 6, a. 165.
[70] La première condition est l’existence d’une atteinte permanente grave à l’intégrité physique du travailleur en conséquence de la lésion professionnelle. Aucun argument n’a été présenté en ce sens à l’audience de sorte que cette condition ne semble pas être problématique. D’ailleurs, le taux d’atteinte permanente octroyé au travailleur fait en sorte qu’on peut parler d’atteinte permanente grave. De plus, la jurisprudence a rappelé que l’article 165 devait être lu dans son ensemble et dans le contexte de l’objet de la loi et du but recherché par la réadaptation sociale. Il y a donc lieu d’analyser le caractère grave d’une atteinte permanente à l’intégrité physique en tenant compte de la capacité résiduelle du travailleur à exercer les activités visées par l’article 165[8].
[71] En l’espèce, les limitations fonctionnelles importantes du travailleur et les séquelles laissées par la lésion en général diminuent grandement sa capacité d’effectuer la tonte du gazon et le déneigement au point qu’on peut dire qu’il en est incapable à toutes fins utiles. De plus, même si la chirurgie éventuelle pourra diminuer l’atteinte permanente et améliorer l’état du travailleur, cela ne fait pas en sorte qu’on ne puisse qualifier actuellement l’atteinte permanente de grave[9]. En conséquence la première condition d’application est remplie.
[72] La deuxième condition est que le travailleur soit incapable d’effectuer les travaux en question. Le tribunal a déjà mentionné qu’il en était ainsi puisque les limitations fonctionnelles établies chez le travailleur contreviennent aux activités de déneigement et de tonte du gazon, notamment parce que le travailleur ne doit pas demeurer debout plus de 10 minutes, qu’il doit éviter de marcher plus de 10 minutes et qu’il doit éviter de transporter des poids excédant 15 livres. Le tribunal estime que pelleter ou tondre le gazon par séquences de 10 minutes rend l’activité impraticable. De plus, même si le travailleur admet pouvoir parfois marcher jusqu’à 30 minutes, ce sont les limitations fonctionnelles émises suite à la lésion de 1995 qui prévalent en l’espèce.
[73] Il faut aussi que les travaux soient considérés comme étant d’entretien courant du domicile. La jurisprudence a mentionné qu’il s’agissait de travaux d’entretien habituels et ordinaires du domicile par opposition à des travaux d’entretien inhabituels ou extraordinaires[10]. Il est clair que le déneigement de l’entrée et la tonte du gazon sont couverts par ce concept.
[74] Dans l’affaire Babeu et Boulangeries Weston Québec ltée[11], la Commission des lésions professionnelles décidait que la pose de moustiquaires, la réparation de gouttières, l’installation d’un patio et le ménage d’une remise constituaient des travaux d’entretien courant du domicile. S’appuyant sur cette décision, le présent tribunal estime que le déneigement d’un toit en hiver au Québec constitue un travail d’entretien courant. Cette dernière notion ne veut pas dire que de tels travaux doivent être effectués à toutes les semaines ou à tous les mois. L’important est que ces travaux soient habituels et ordinaires sans qu’il soit nécessaire d’établir qu’ils reviennent à une fréquence importante.
[75] Il est clair qu’il est nécessaire chaque hiver de déneiger les toits à plusieurs reprises et il s’agit là d’une tâche habituelle et ordinaire par opposition à des travaux inhabituels ou extraordinaires. L’article 165 ne prévoit donc pas de date ou d’époque à laquelle les travaux doivent être effectués et encore moins le nombre de fois ni l’intervalle requis pour qu’on puisse prétendre qu’il s’agit de travaux d’entretien courant.
[76] Le tribunal est d’avis que les travaux visant à déneiger le toit de la résidence du travailleur tout comme ceux visant à déneiger son entrée ou à tondre son gazon sont des travaux d’entretien courant du domicile[12] bien que survenant à des fréquences différentes.
[77] La prochaine condition à remplir est que les travaux d’entretien réclamés soient des travaux que le travailleur « effectuerait normalement lui-même si ce n’était de sa lésion ». D’entrée de jeu, le tribunal remarque que la CSST et certaines décisions du présent tribunal semblent remplacer le verbe « effectuerait » par « effectuait » en référant systématiquement au vécu prélésionnel du travailleur au niveau des travaux d’entretien courant du domicile. Le tribunal note que le législateur a plutôt utilisé le verbe « effectuer » au conditionnel et non pas à l’imparfait. Le tribunal estime donc qu’il doit plutôt rechercher dans la preuve les éléments démontrant ce qui se serait passé dans l’éventualité où le travailleur ne s’était pas blessé et non pas systématiquement et uniquement ce qu’il faisait auparavant. Bien entendu, le vécu passé du travailleur pourra être garant de l’avenir et constituer une preuve très importante pour démontrer qu’il n’aurait pas effectué lui-même certains travaux. Cependant, si un travailleur peut démontrer par une preuve prépondérante que, bien qu’il n’effectuait pas lui-même les travaux d’entretien courant avant sa lésion il les aurait effectués après cette lésion, ceci lui permettra d’obtenir les bénéfices prévus par la Loi.
[78] Cette interprétation a d’ailleurs été adoptée par le commissaire Pierre Simard dans l’affaire Huard et Huard[13]. Dans cette affaire, un travailleur avait acquis une résidence après la survenance de sa lésion professionnelle de sorte qu’avant cette lésion, il n’effectuait pas lui-même la tonte du gazon. En se procurant cette résidence, le travailleur constate qu’il est incapable de procéder lui-même à la tonte du gazon et il demande à la CSST le remboursement des frais encourus à cet effet, ce que la CSST refuse prétextant qu’il n’effectuait pas lui-même cette tâche auparavant n’ayant pas de gazon à couper. La Commission des lésions professionnelles décide dans cette affaire que lorsqu’elle interprète le terme « effectuerait normalement lui-même », la CSST en révision administrative ajoute à cette condition qui emploie le conditionnel, une seconde condition à savoir que le travailleur devait lui-même accomplir les travaux antérieurement à sa lésion professionnelle. Selon la Commission des lésions professionnelles, donner un tel sens à l’article 165 en réduit considérablement la portée, ce qui est inacceptable. Le test constitue donc plutôt de vérifier si le travailleur, dans l’hypothèse où il n’aurait pas subi de lésion professionnelle, effectuerait lui-même les travaux. Le présent tribunal se rallie totalement à cette position qui est conforme à l’objectif ultime de la Loi tel qu’énoncé à son article 1, soit la réparation des lésions professionnelles ainsi que des conséquences qu’elles entraînent pour les bénéficiaires.
[79] Ceci étant dit, le tribunal estime que les frais de déneigement du toit de la résidence du travailleur ne peuvent lui être remboursés. En effet, le travailleur affirme lui-même à l’audience qu’il ne s’est jamais occupé de cette tâche et qu’il n’avait pas l’intention de s’en occuper dans l’avenir. Ainsi, le tribunal ne dispose d’aucune preuve qu’en l’absence de sa lésion professionnelle c’est le travailleur qui aurait effectué cette tâche lui-même. Il s’agit d’un cas patent où le passé est garant de l’avenir et où on peut se baser sur le fait que le travailleur n’a jamais effectué ce travail lui-même par le passé comme élément venant appuyer le fait qu’il ne l’effectuerait pas non plus après sa lésion.
[80] Il en va autrement des frais de déneigement de la cour et de tonte du gazon.
[81] À ce sujet, la preuve est contradictoire. Lors d’une conversation téléphonique avec une agente de la CSST le 10 avril 2003, le travailleur mentionne qu’il confiait le déneigement de son entrée à contrat parce qu’il n’avait pas le temps de le faire à cause de son travail. Il mentionne de plus qu’il payait des étudiants pour couper le gazon avant août 1995.
[82] À l’audience, il mentionne qu’avant 1995, il faisait la tonte du gazon et le déneigement de sa cour lui-même dans une proportion d’environ 50 %, des contrats étant donnés à des tiers pour le reste.
[83] Par contre, dans une version beaucoup plus contemporaine aux faits en litige, le travailleur affirme lors d’une conversation avec son agente d’indemnisation le 5 décembre 1995, qu’il fait lui-même tout son entretien sauf depuis la lésion professionnelle survenue en août où il doit requérir de l’aide pour certaines tâches.
[84] Le tribunal préfère retenir cette version qui est contemporaine aux événements qui étaient alors plus frais à la mémoire du travailleur. Ses déclarations postérieures de même que celles faites à l’audience plusieurs années plus tard sont, de l’avis du tribunal, moins fiables que cette déclaration initiale. Le tribunal n’hésite pas dans le cadre de certains dossiers à écarter les déclarations faites à l’audience et qui « améliorent » la cause d’un travailleur pour préférer se baser sur les déclarations contemporaines jugées plus fiables. Le tribunal ne voit pas pourquoi il en irait autrement lorsque cet exercice a pour conséquence d’avantager le travailleur plutôt que de le désavantager.
[85] Il a pu également y avoir confusion puisque le travailleur a subi deux lésions professionnelles, soit une en 1995 et une autre en 2001. Il a pu mal comprendre ce à quoi on référait lorsqu’on lui demandait s’il faisait des travaux lui-même avant sa lésion. Le tribunal estime que le travailleur a rendu un témoignage crédible à l’audience et qu’il était sincère. Il y a toutefois une démarcation entre la sincérité et la vérité, la crédibilité et la fiabilité. Il est certain que quelqu’un faisait le déneigement et la tonte du gazon chez le travailleur avant la lésion, cette personne étant ou bien le travailleur ou des tiers. Il n’y a pas des centaines d’alternatives. C’est obligatoirement l’un ou l’autre. Devant choisir entre des versions contraires, le tribunal choisit la version la plus contemporaine jugée plus fiable.
[86] Le tribunal retient donc la déclaration contemporaine du travailleur faite en 1995 à l’effet qu’il s’occupait lui-même de l’entretien de son domicile avant l’événement. Il s’agit donc là d’un élément important pour appuyer les prétentions du travailleur à l’effet qu’il aurait lui-même effectué ses travaux n’eut été sa lésion professionnelle.
[87] Le travailleur mentionne de plus qu’il a toujours été propriétaire d’une souffleuse et d’une tondeuse et que c’est encore le cas depuis sa lésion professionnelle. Il s’agit là d’un autre indice que le travailleur aurait effectué lui-même les travaux n’eut été de sa lésion. Autrement dit, la preuve milite en faveur du fait que le travailleur aurait lui-même effectué les travaux en question n’eut été de sa lésion professionnelle et le remboursement est donc acceptable. De toute façon, le fait que le travailleur ait pu de temps à autre donner certains contrats à des tiers ne change rien au présent litige tel qu’il fut déjà décidé dans certaines affaires[14].
[88] Subsidiairement, et même si le tribunal avait décidé qu’avant la lésion professionnelle le travailleur n’effectuait pas lui-même ses travaux, comme il a pris sa retraite depuis et qu’il a tout l’équipement pour le faire, le tribunal croit que le travailleur aurait effectué lui-même le déneigement et la tonte de gazon en 2002-2003. En effet, si le tribunal retenait les versions données par le travailleur à son agente d’indemnisation en 2003 ou à l’audience, la preuve démontrerait alors que le travailleur confiait les travaux à des tiers surtout à cause de son manque de temps parce qu’il travaillait. On doit donc conclure que, comme le travailleur était à sa retraite en 2002-2003, il aurait effectué lui-même les travaux, la condition d’empêchement n’existant plus. Il s’agit là d’un exemple patent de la différence de résultats qui peut découler du fait que l’on emploie le verbe effectuer au conditionnel ou au passé.
[89] On pourrait argumenter qu’il faut référer à la dernière lésion professionnelle en liste, soit celle du 10 janvier 2001, pour appliquer l’article 165. On pourrait alors prétendre qu’avant cette lésion, le travailleur n’effectuait pas lui-même les travaux d’entretien courant du domicile en étant incapable depuis 1995, suite à une autre lésion professionnelle. Bien entendu, le tribunal estime que cette interprétation mènerait à un résultat inacceptable, à savoir qu’une personne qui bénéficiait du droit au remboursement des frais d’entretien courant suite à une lésion professionnelle le perdrait suite à la survenance d’une seconde lésion qui, il va sans dire, n’améliore généralement pas les capacités d’une personne. Ceci serait complètement inacceptable et ne peut être représentatif du but recherché par le législateur. Le tribunal estime donc que, malgré la survenance d’une nouvelle lésion, on peut toujours référer à la lésion initiale si elle a laissé une atteinte permanente grave à l’intégrité physique du travailleur qui le rend incapable d’effectuer lui-même les travaux d’entretien courant de son domicile. La survenance d’une nouvelle lésion ne change donc en rien les droits du travailleur à cet effet.
[90] La dernière condition exigée par l’article 165 est que des frais soient engagés pour faire exécuter ces travaux. Il s’agit d’un remboursement et non d’une allocation. La jurisprudence a rappelé qu’il est prématuré de faire droit à la réclamation d’un travailleur lorsque les projets de travaux ne sont qu’au stade préliminaire, n’ont pas débuté et qu’une simple évaluation du coût des travaux est produite. Le projet doit donc être matérialisé[15].
[91] Le tribunal estime que les travaux ont bel et bien été réalisés et que le travailleur a acquitté des sommes en conséquence. C’est ce qui ressort du contrat de déneigement entré en vigueur le 1er novembre 2002 démontrant que pour l’hiver 2002-2003, le travailleur a versé la somme de 200 $ à un entrepreneur. Une estimation avait été faite par un autre entrepreneur le 25 octobre 2002 au montant de 300 $ mais il ne s’agit que d’une estimation. Il semble plutôt que le travailleur ait confié le déneigement de son entrée à Ferme L.P. Germain et qu’il ait dû débourser 200 $.
[92] Quant à la tonte de gazon, aucun contrat ou document n’a été produit au dossier. Le tribunal retient cependant le témoignage crédible du travailleur à l’effet qu’il donnait cette tâche à de jeunes voisins à tour de rôle, ce qui explique l’absence de contrats écrits. Il a mentionné débourser entre 100 et 150 $ par été pour ce service, de sorte que le tribunal fixe arbitrairement le montant pour l’été 2003 à 125 $. Le tribunal estime donc que le travailleur a droit au remboursement d’un montant de 325 $ pour les travaux d’entretien courant du domicile pour l’année 2002-2003.
[93] La CSST a argumenté à l’audience que le travailleur ne demandait ni plus ni moins qu’un jugement déclaratoire, référant le tribunal à une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Lamontagne et C.L.S.C. Samuel de Champlain[16]. Le tribunal estime que les faits rapportés dans cette cause diffèrent substantiellement de ceux qui intéressent le présent tribunal. On recherchait dans cette affaire une décision déclarant que la travailleuse aurait eu droit au remboursement de certains frais pour l’année 2001, frais qui n’avaient pas été engagés puisque les travaux n’avaient pas été effectués. Or, en l’espèce, le déneigement et la tonte du gazon ont bel et bien été effectués en 2002-2003 et le travailleur a bel et bien dû débourser des sommes envers ceux qui les ont effectués. Il ne s’agit donc pas d’un jugement déclaratoire qui est demandé mais bien d’une application pratique de cette disposition. De plus, la réclamation du travailleur ne vise que l’année 2002-2003, année pour laquelle les frais ont été réellement engagés. La Commission des lésions professionnelles ne pourrait disposer à l’avance et de façon exécutoire du droit du travailleur au remboursement de frais éventuels susceptibles d’être engagés pour des années à venir puisqu’ils n’ont pas fait l’objet d’une réclamation et n’ont pas été réellement engagés pour faire exécuter les travaux en question[17].
[94] En conséquence, le travailleur a droit au remboursement des coûts de tonte du gazon et de déneigement de sa cour pour l’année 2002-2003.
[95] Le tribunal doit maintenant décider du bien-fondé de la décision de la CSST considérant que le travailleur était capable d’exercer l’emploi convenable de gardien de terrain de stationnement à compter du 14 avril 2003.
[96] Le représentant du travailleur a mentionné en début d’audience qu’il ne remettait aucunement en cause le caractère convenable de l’emploi de gardien de stationnement. D’ailleurs, même s’il avait voulu le remettre en question, le présent tribunal rappelle que la jurisprudence est à l’effet qu’à la suite d’une récidive, rechute ou aggravation, il n’est pas possible de réétudier le caractère convenable de l’emploi prédéterminé lors de la lésion initiale si ce dernier n’a pas alors été contesté. En effet, l’emploi convenable a alors acquis un caractère définitif et irrévocable et on ne peut revenir sur le fait que les critères contenus à la définition d’emploi convenable de l’article 2 sont remplis. Cet article se lit comme suit :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:
« emploi convenable » : un emploi approprié qui permet au travailleur victime d'une lésion professionnelle d'utiliser sa capacité résiduelle et ses qualifications professionnelles, qui présente une possibilité raisonnable d'embauche et dont les conditions d'exercice ne comportent pas de danger pour la santé, la sécurité ou l'intégrité physique du travailleur compte tenu de sa lésion;
__________
1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27.
[97] À la suite d’une récidive, rechute ou aggravation, tout ce que le tribunal peut faire c’est de vérifier si le travailleur peut exercer l’emploi convenable qui a été prédéterminé eu égard aux nouvelles séquelles retenues par le médecin traitant ou le Bureau d’évaluation médicale le cas échéant[18]. Le tribunal souligne de plus que la question de l’emploi convenable a fait l’objet d’une décision de la Commission des lésions professionnelles faisant suite à un accord entre les parties. C’est donc que le travailleur a manifesté, à l’époque, son accord avec le caractère convenable de cet emploi ainsi qu’avec le fait qu’il était capable de l’exercer.
[98] L’argumentation du représentant du travailleur a plutôt porté sur le fait que la lésion de monsieur Bacon n’était pas consolidée le 14 avril 2003 de sorte qu’il était présumé incapable de reprendre son emploi à cette date. Le tribunal estime qu’il a raison.
[99] La CSST prétend que la lésion du travailleur est consolidée en conséquence de l’avis du docteur Bruno La Haye inscrit sur un rapport complémentaire le 4 avril 2003. Il est vrai qu’en vertu de l’article 224 de la Loi, l’avis du médecin qui a charge lie la CSST et le présent tribunal et qu’il ne peut généralement pas changer d’avis après qu’il ait inscrit sur un rapport de nature finale son opinion sur l’un des cinq points prévus à l’article 212. Toutefois, la jurisprudence rappelle qu’en certaines circonstances, les conclusions apparentes ou réelles d’un rapport de nature finale peuvent être modifiées par le médecin qui a charge[19]. Un rapport de nature finale peut notamment être modifié pour corriger une erreur matérielle manifeste ou en raison d’une situation inattendue[20]. Cette jurisprudence démontre qu’un premier rapport de nature finale n’est pas nécessairement et automatiquement liant au sens de l’article 224.
[100] La jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles est également à l’effet qu’il est possible pour la CSST d’obtenir l’accord, et non seulement l’étaiement de l’avis initial, du médecin qui a charge du travailleur par la procédure prévue à l’article 205.1 qui se lit comme suit :
205.1. Si le rapport du professionnel de la santé désigné aux fins de l'application de l'article 204 infirme les conclusions du médecin qui a charge du travailleur quant à l'un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212, ce dernier peut, dans les 30 jours de la date de la réception de ce rapport, fournir à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, un rapport complémentaire en vue d'étayer ses conclusions et, le cas échéant, y joindre un rapport de consultation motivé. Le médecin qui a charge du travailleur informe celui-ci, sans délai, du contenu de son rapport.
La Commission peut soumettre ces rapports, incluant, le cas échéant, le rapport complémentaire au Bureau d'évaluation médicale prévu à l'article 216.
__________
1997, c. 27, a. 3.
[101] C’est essentiellement ce que la CSST a fait en demandant au docteur La Haye de commenter le rapport obtenu du docteur Dalcourt en vertu de l’article 204. En pareil cas, la CSST et le présent tribunal deviennent liés par l’avis du médecin du travailleur entérinant les conclusions du médecin désigné[21]. Cependant, la jurisprudence a aussi rappelé que pour lier la CSST et la Commission des lésions professionnelles, la réponse du médecin du travailleur à l’avis du médecin désigné par la CSST devait être claire et limpide[22].
[102] Dans l’affaire Ouellet et Métallurgie Noranda inc.[23], la commissaire Monique Lamarre affirme que dans le cadre d’un rapport complémentaire, un médecin ne doit pas être empêché de modifier son opinion auquel cas il doit étayer son avis pour permettre de comprendre, du moins sommairement, les raisons qui l’amènent à se rallier au médecin désigné. Cette opinion doit donc être exprimée clairement. Ainsi, si le médecin qui a charge n’étaye pas ses conclusions et rend un avis imprécis et que l’opinion du médecin désigné infirme celui du médecin traitant, le litige devra alors être soumis au Bureau d’évaluation médicale. Dans cette affaire, la Commission des lésions professionnelles juge que le médecin traitant a changé d’avis sans explication et qu’on ne peut considérer qu’il a étayé ses conclusions.
[103] De l’avis du présent tribunal, ce souci de transparence et de clarté s’explique du fait de l’absence de tout recours du travailleur face à l’avis de son propre médecin.
[104] L’étude du dossier en litige convainc le tribunal qu’on ne peut qualifier l’avis du docteur La Haye de clair ou d’étayé. En effet, il ne fait qu’inscrire les mots « date : consolidé ». Il ne s’agit nullement d’une conclusion étayée au sens de l’article 205.1 et qui plus est, le docteur La Haye n’a pas réexaminé le travailleur le 4 avril 2003 de sorte que lorsqu’il mentionne que la lésion est « consolidée », le tribunal ne peut comprendre à quelle date il réfère puisqu’il ne peut sûrement pas s’agir du 4 avril 2003, date où il n’a pas examiné le travailleur. Il ne peut que référer à la date de consolidation retenue par le docteur Dalcourt dont on lui demandait de commenter le rapport. Cependant, le docteur Dalcourt est ambivalent au niveau de la consolidation mentionnant que le travailleur doit être considéré comme consolidé parce qu’il refuse la chirurgie mais se corrigeant tout de suite après en affirmant qu’en l’absence de chirurgie, on ne peut parler de consolidation. Donc, si le docteur La Haye réfère à l’opinion du docteur Dalcourt, encore là, on ne peut conclure à un avis clair et limpide. Qui plus est, on peut même conclure qu’il n’y a pas consolidation puisqu’il s’agit de l’opinion du docteur Dalcourt lorsqu’on examine son avis dans son ensemble. En effet, après avoir affirmé l’existence d’une consolidation, il ajoute que dans les faits, tel n’est pas le cas et qu’il n’y aura pas de consolidation à cause du refus de subir la chirurgie.
[105] En conséquence, le tribunal retient que le rapport complémentaire du docteur La Haye au niveau de la consolidation n’est pas clair en soi et que, par référence à l’opinion du docteur Dalcourt, on doit conclure que la lésion n’est pas consolidée. On ne peut conclure que le docteur La Haye décide lui-même de consolider le travailleur le 4 avril 2003 alors que lors de la dernière visite il mentionnait que la consolidation prendrait plus de 60 jours à se réaliser et qu’il n’a pas réexaminé le travailleur par la suite. Le tribunal ne peut comprendre comment un médecin pourrait vouloir consolider la lésion de son patient sans l’avoir revu. Le tribunal estime que telle n’était sûrement pas l’intention du docteur La Haye et que son avis ne peut être interprété de la sorte. Le tribunal réitère que cet avis ne peut que référer à celui du docteur Dalcourt et d’ailleurs le rapport complémentaire demandait au docteur La Haye de commenter ce rapport. Or, l’avis du docteur Dalcourt est que le travailleur n’était pas consolidé ou, à tout le moins, son avis est nébuleux. Dans un cas comme dans l’autre, on ne peut donc parler d’une opinion claire, précise, limpide et étayée.
[106] De plus, le tribunal comprend difficilement pourquoi le docteur La Haye aurait déclaré la lésion consolidée dans ce rapport complémentaire alors que tous les rapports médicaux auparavant et tous les rapports médicaux qui ont suivi ont déclaré la lésion non consolidée après des examens médicaux. Ceci rend donc d’autant évidente la conclusion à l’effet que le rapport complémentaire du docteur La Haye ne peut être interprété comme signifiant la consolidation de la lésion du travailleur.
[107] Le tribunal croit donc que le rapport complémentaire du docteur La Haye ne peut nullement constituer la base sur laquelle on peut considérer la lésion comme consolidée. La CSST ayant omis de transmettre le dossier au Bureau d’évaluation médicale, c’est donc l’avis clairement exprimé par le docteur La Haye dans les rapports subséquents qui doit prévaloir ou encore celui moins clairement exprimé le 4 avril 2003. Le tribunal conclut donc que la lésion du travailleur n’est pas consolidée.
[108] Comme il n’y a pas eu de référence au Bureau d’évaluation médicale, il ne peut être question de discuter du bien-fondé ou non de l’avis du médecin traitant sur la consolidation. Cependant, et vu les arguments avancés par les parties à l’audience, le tribunal croit utile de rappeler certains principes. La notion de consolidation est inscrite à l’article 2 de la Loi :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:
« consolidation » : la guérison ou la stabilisation d'une lésion professionnelle à la suite de laquelle aucune amélioration de l'état de santé du travailleur victime de cette lésion n'est prévisible;
__________
1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27.
[109] Ainsi, la consolidation ne sera atteinte que lorsque la lésion sera ou bien guérie ou encore lorsqu’elle sera stabilisée sans qu’aucune amélioration de l’état de santé du travailleur ne soit prévisible. Il est clair en l’espèce que la chirurgie recommandée au travailleur améliorera son sort, du moins c’est l’avis de plusieurs experts au dossier. Le tribunal estime qu’en l’espèce, l’avis du docteur La Haye est donc bien fondé puisqu’une amélioration de l’état de santé est non seulement prévisible mais certaine au moment où la chirurgie sera effectuée. Il est vrai que dans le passé le travailleur a hésité à plusieurs reprises avant de donner son accord à une éventuelle chirurgie. Cependant, le tribunal rappelle que ce n’est pas par caprice mais suite à l’avis de plusieurs médecins qu’il a rencontrés et qui craignaient des complications dues au fait qu’il est atteint de diabète et qu’il a déjà subi une thrombophlébite dans le passé. Cependant, certains documents contenus dans la pièce T-1 indiquent que la chirurgie est maintenant prévue puisque le docteur La Haye indique que son patient est en attente d’une chirurgie pour prothèse totale du genou. De plus, le témoignage du travailleur à l’audience est à l’effet qu’il n’a plus tellement le choix. Le travailleur a en effet mentionné à l’audience que l’opération lui apporterait une « amélioration certaine » et qu’elle « devra donc être faite ». Les listes d’attente dans les hôpitaux, dont le tribunal a une connaissance d’office, font probablement en sorte que cette intervention est retardée mais il n’en reste pas moins que le travailleur, lorsqu’il la subira, pourra jouir d’une amélioration de son état de santé, ce qui fait échec à la notion de consolidation.
[110] Bien entendu, dans le cas où un travailleur refuse clairement et définitivement une chirurgie, le tribunal ne croit pas que cela ferait en sorte de retarder indéfiniment la date de consolidation. En effet, la renonciation à une chirurgie fait en sorte qu’on ne peut plus compter sur une amélioration prévisible de l’état de santé du travailleur, ce dernier ayant choisi de ne pas se prévaloir des moyens possibles pour améliorer cet état de santé. En pareil cas, on ne pourrait donc compter sur la chirurgie comme moyen d’amélioration prévisible d’une lésion et on pourra conclure à la consolidation. Ce n’est cependant pas le cas en l’espèce.
[111] Le tribunal rappelle également que la capacité du travailleur doit se décider en tenant compte qu’il a subi une récidive, rechute ou aggravation le 10 janvier 2001. Ainsi, les hésitations à subir une chirurgie exprimées entre 1995, date de la lésion initiale et janvier 2001, ne sont pas pertinentes en l’espèce. Or, à compter de la rechute, le travailleur a discuté avec certains médecins de l’éventualité de cette chirurgie. La docteure Dafniotis, médecin désigné par la CSST, lui a mentionné au début 2002, qu’il y avait des risques associés à son intervention chirurgicale et qu’il était mieux de continuer le traitement conservateur pour essayer de retarder la prothèse de genou. On ne peut donc alors parler d’un refus du travailleur à subir une chirurgie.
[112] Quant au docteur Dalcourt, il constate que le travailleur ne se sent pas encore prêt à la chirurgie à cause des craintes justifiées pour sa santé. Le travailleur lui mentionne cependant qu’il ne refuse pas définitivement cette alternative mais simplement pour le moment. Force est de constater que par la suite le travailleur a changé d’idée et qu’il est maintenant en attente de cette chirurgie. Le fait que le travailleur ait tardé à accepter la chirurgie se comprend du fait des avis reçus de nombreux médecins et notamment de la docteure Dafniotis, médecin désigné par la CSST, qui lui mentionne au début 2002, qu’il devrait repousser le plus longtemps possible sa chirurgie. En l’espèce, le tribunal ne peut conclure que le travailleur avait renoncé totalement à la chirurgie et il ne peut que conclure que l’avis du docteur La Haye à l’effet qu’il n’est pas consolidé est bien fondé.
[113] Si le tribunal décidait que la lésion était consolidée à défaut du travailleur d’avoir accepté une chirurgie et qu’il pourrait éventuellement, comme le suggère la CSST, déposer une réclamation pour récidive, rechute ou aggravation lors de cette chirurgie, cela amènerait un résultat pour le moins particulier. En effet, comme il est clair au dossier que la chirurgie améliorera la situation du travailleur, il y aura donc de toute évidence diminution des limitations fonctionnelles et de l’atteinte permanente déterminées tentativement par les docteurs Dalcourt et La Haye. Or, il est de la nature des séquelles permanentes comme l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles d’être justement permanentes. Et ce n’est pas ce qui arriverait si on retenait la prétention de la CSST. Cette baisse éventuelle de l’atteinte permanente et des limitations fonctionnelles illustre une fois de plus qu’on ne peut parler de consolidation de la lésion lorsqu’une chirurgie envisagée pourrait améliorer l’état du travailleur.
[114] Il n’est pas inutile de rappeler également les termes de l’article 142 de la Loi.
142. La Commission peut réduire ou suspendre le paiement d'une indemnité:
2°si le travailleur, sans raison valable:
c)omet ou refuse de se soumettre à un traitement médical reconnu, autre qu'une intervention chirurgicale, que le médecin qui en a charge ou, s'il y a contestation, un membre du Bureau d'évaluation médicale, estime nécessaire dans l'intérêt du travailleur;
__________
1985, c. 6, a. 142; 1992, c. 11, a. 7.
[115] Le législateur a donc décidé qu’un travailleur pouvait refuser une intervention chirurgicale même sans raison valable sans risquer de voir réduire ou suspendre le paiement de ses indemnités. Le travailleur avait au surplus des raisons valables pour refuser une telle intervention. Ce choix législatif est d’ailleurs conforme à la législation qui prévaut en matière de droits de la personne notamment quant à la protection de l’intégrité physique des citoyens. Ainsi, le législateur accepte qu’un travailleur continue de recevoir l’indemnité de remplacement du revenu même s’il refuse une intervention chirurgicale.
[116] En conséquence, comme la lésion du travailleur n’est pas consolidée, les dispositions de l’article 46 de la Loi s’appliquent.
[117] Aucune preuve n’a renversé cette présomption d’incapacité de sorte que le travailleur a droit à la poursuite de l’indemnité de remplacement du revenu prévue à l’article 44 de la Loi.
44. Le travailleur victime d'une lésion professionnelle a droit à une indemnité de remplacement du revenu s'il devient incapable d'exercer son emploi en raison de cette lésion.
Le travailleur qui n'a plus d'emploi lorsque se manifeste sa lésion professionnelle a droit à cette indemnité s'il devient incapable d'exercer l'emploi qu'il occupait habituellement.
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1985, c. 6, a. 44.
[118] Le tribunal espère que le travailleur pourra subir sa chirurgie rapidement après quoi, la CSST devra obtenir du médecin traitant un rapport d’évaluation médicale pour évaluer à nouveau l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles et ultimement le droit à l’indemnité de remplacement du revenu du travailleur. En l’absence de consolidation de la lésion, il va de soi que les limitations fonctionnelles émises par le docteur Dalcourt et confirmées par le docteur La Haye ne peuvent prévaloir puisque selon les termes mêmes de l’article 203 de la Loi, l’évaluation des séquelles ne peut se faire que lorsque la lésion est consolidée.
[119] Subsidiairement, et même si le tribunal en était venu à la conclusion que la lésion était bel et bien consolidée et qu’il n’y avait qu’une nouvelle limitation fonctionnelle émise au dossier à savoir l’interdiction de se déplacer en terrain inégal, le tribunal aurait quand même accueilli la requête du travailleur. En effet, la connaissance d’office du tribunal est à l’effet qu’en hiver au Québec, la chaussée des routes ou des terrains de stationnement peut être inégale. Même le témoignage du témoin de la CSST est à l’effet qu’en hiver, les terrains de stationnement ne sont pas toujours bien déneigés. Lorsqu’il affirme que selon lui les gardiens de stationnement restent toujours dans leur guérite, il contredit les documents produits par la CSST elle-même, sous les cotes I-1 et I-2. Ces documents indiquent bien que les gardiens de stationnement doivent se déplacer que ce soit pour maintenir l’ordre, la propreté et la sécurité du terrain, déplacer des voitures, stationner les voitures et aller les chercher au départ du client, intervenir lors d’un incident pour régler la situation, etc. Au niveau des capacités physiques, on demande d’être capable de travailler debout ou en marche et ce, à l’intérieur comme à l’extérieur. Tout ceci convainc donc le tribunal que, de toute façon, et même si les prétentions de la CSST avaient été retenues quant à la date de consolidation, le travailleur n’était plus capable d’exercer l’emploi convenable préalablement déterminé. Il aurait donc en pareil cas conservé le droit à l’indemnité de remplacement du revenu.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de monsieur Horance Bacon, le travailleur;
INFIRME la décision rendue par la CSST le 28 janvier 2004 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le travailleur n’était pas capable d’exercer l’emploi de gardien de stationnement le 14 avril 2003 puisque sa lésion n’était pas consolidée;
DÉCLARE que le travailleur a droit à la poursuite de l’indemnité de remplacement du revenu après le 14 avril 2003.
DÉCLARE que le travailleur a droit au remboursement de la somme de 325 $ en lien avec les travaux de déneigement et d’entretien du gazon pour 2002-2003.
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Me Jean-François Clément |
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Commissaire |
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Marc Caissy |
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T.C.A. (Local 698) |
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Représentant de la partie requérante |
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André Leduc, avocat |
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Représentant de la partie intéressée |
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Me Mireille Cholette |
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PANNETON, LESSARD |
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Représentante de la partie intervenante |
[1] L.R.Q., c. A-3001.
[2] C.L.P . 144355-71-0008, le 3 octobre 2002.
[3] Jean-Claude ROYER, La preuve civile, 2e édition, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1995, p. 265.
[4] [1994] 2 RCS 9 .
[5] R. c. D.D., [2002] RCS 275; R. c. Abbay, [1982] 2 RCS 24 .
[6] Landry et Thiro ltée, C.L.P. 158556-02-0104, le 14 septembre 2001, R. Deraîche; Huard et Huard (employeur), C.L.P. 222161-31-0311, le 12 février 2004, P. Simard.
[7] Bélisle c. C.L.P. et CSST et Centre hospitalier Robert Giffard, Cour supérieure 200-17-004451-043, le 9 juillet 2004, J. Allard, J.C.S.; Lamontagne et C.L.S.C. Samuel de Champlain, C.L.P. 175805-62-0112, le 7 janvier 2004, É. Ouellet.
[8] Cyr et Thibault et Brunelle, C.L.P. 165507-71-0107, 25 février 2002, L. Couture; Bouthillier et Pratt & Whitney Canada Inc., [1992] C.A.L.P. 605 .
[9] Paquet et Ville de Rimouski, C.L.P. 10797-01-8902, le 5 avril 1991, S. Lemire.
[10] Lévesque et Mines Northgate inc., [1990] C.A.L.P. 683 .
[11] C.L.P. 166478-62B-0108, le 16 janvier 2003, N. Blanchard.
[12] Lévesque et Mines Northgate inc., [1990] C.A.L.P. 683 ; Paquet et Pavillon de l’hospitalité inc., C.L.P. 142213-03B-0007, le 12 décembre 2000, R. Savard. Quant au déneigement de la toiture voir l’affaire Mercier et Contrôles A.C. inc., C.L.P. 130934-31-0002, le 29 janvier 2001, P. Simard et Lalonde et Mavic Construction, C.L.P. 146710-07-0009, le 28 novembre 2001, M. Langlois.
[13] Déjà citée.
[14] Landry et Thiro ltée, déjà citée; Joly et Hydro-Québec, C.L.P. 121158-62B-9908, le 31 mai 2000, M.-D. Lampron.
[15] Air Canada et Chapdelaine, C.A.L.P. 35803-64-9112, le 17 novembre 1995, B. Roy; Lebrun et Ville de Sept-Îles, C.A.L.P. 79061-04-9605, le 27 mars 1997, P. Brazeau; Benoît et Produits électriques Bezo ltée, C.L.P. 144924-62-0008, le 13 février 2001, R.L. Beaudoin; Ouellet et Ent. Québec Excavation Leqel 1993 ltée, C.L.P. 144557-03B-0008, le 13 février 2001, P. Brazeau.
[16] Déjà citée.
[17] Ouellet et Ent. Québec Excavation Leqel, déjà citée.
[18] Bélisle c. Commission des lésions professionnelles, Cour supérieure de Québec, 200-17-004451-043, le 9 juillet 2004, juge J. Allard; Laurin et Centre hospitalier Laurentien, [2001] C.L.P. 570 , décision accueillant la requête en révision; Marroni et T.N.T. Canada Inc., [1997] C.A.L.P. 190 , décision accueillant la requête en révision.
[19] Hôpital de l’Enfant-Jésus et Desmeules, [1992] C.A.L.P. 848 , requête en révision judiciaire rejetée, [1992] C.A.L.P. 1411 .
[20] Lab Chrysotile inc. et Dupont, [1996] C.A.L.P. 132 ; Couture et Ferme Jacmi SENC, 162026-03B-0105, le 16 novembre 2001, G. Marquis.
[21] Grignano et Récital Jeans Inc., [2000] C.L.P. 329 ; Lussier et Berlines R C L inc., C.L.P. 122844-05-9908, le 21 septembre 2000, L. Boudreault.
[22] Ferguson et Industries de moulage Polytech inc., C.L.P. 155516-62B-0102, le 3 octobre 2001, A. Vaillancourt; Fox et Commission scolaire South Shore, 152348-62A-0012, le 22 mars 2002, N. Tremblay, révision rejetée le 25 juin 2003, N. Lacroix.
[23] C.L.P. 190453-08-0209, le 9 septembre 2003, M. Lamarre.