Décision

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Modèle de décision ( 81/2 x 11)

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Québec

Le 8 juin 2006

 

Région :

Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine, Bas-Saint-Laurent et Côte - Nord

 

Dossier :

180573-01C-0203-R

 

Dossier CSST :

119454338

 

Commissaire :

Me Michèle Carignan

 

Membres :

Aubert Tremblay, associations d’employeurs

 

Nelson Isabel, associations syndicales

______________________________________________________________________

 

 

 

Angelo Tapp

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Noranda Division CCR

Samson, Bélair, Deloitte & Touche

 

Parties intéressées

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION

______________________________________________________________________

 

 

[1]                Le 18 janvier 2002, Noranda Division CCR (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête en révision d’une décision rendue par cette instance le 10 mars 2004.

[2]                Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles déclare que M. Angelo Tapp (le travailleur) conserve une atteinte permanente à l’intégrité physique de 24 % à la suite de sa lésion professionnelle survenue le 7 octobre 1999.

[3]                À l’audience tenue par la Commission des lésions professionnelles le 20 octobre 2005 à Sainte-Anne-des-Monts, le travailleur était absent mais il était représenté par un avocat. L’employeur était également représenté par un avocat.

L’OBJET DE LA REQUÊTE

[4]                L’employeur demande la révision de la décision pour le motif qu’elle est entachée d’un vice de fond de nature à l’invalider. Sur le fond du litige, il demande à la Commission des lésions professionnelles de maintenir la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite de la révision administrative selon laquelle, le travailleur a une atteinte permanente de 5.75 %.

L’AVIS DES MEMBRES

[5]                Tant le membre issu des associations syndicales que celui issu des associations d’employeurs recommandent à la Commission des lésions professionnelles de rejeter la requête en révision puisqu’il n’a pas été démontré que la décision comporte un vice de fond de nature à l’invalider.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[6]                La Commission des lésions professionnelles doit décider s’il a été démontré un motif permettant la révision de la décision rendue par cette instance le 10 mars 2004.

[7]                Le recours en révision ou en révocation est prévu à l’article 429.56 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) :

429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :

 

1°   lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;

 

2°   lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;

 

3°   lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.

 

Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

[8]                Au soutien de sa requête en révision, l’employeur soumet que la décision est entachée d’un vice de fond de nature à l’invalider. La jurisprudence[2] a établi qu’on entend, entre autres, par la notion « vice de fond ... de nature à invalider la décision », une erreur manifeste de droit ou de faits qui est déterminante sur l’issue du litige. La Cour d’appel, dans Bourassa c. C.L.P.[3] rappelle ainsi la notion de « vice de fond » :

« [21]   La notion [vice de fond] est suffisamment large pour permettre la révocation de toute décision entachée d’une erreur manifeste de droit ou de fait qui a un effet déterminant sur le litige. Ainsi, une décision qui ne rencontre pas les conditions de fond requises par la loi peut constituer un vice de fond.

 

[22]      Sous prétexte d’un vice de fond, le recours en révision ne doit cependant pas être un appel sur la base des mêmes faits. Il ne saurait non plus être une invitation faite à un commissaire de substituer son opinion et son appréciation de la preuve à celle de la première formation ou encore une occasion pour une partie d’ajouter de nouveaux arguments(4).

______________

(4)          Yves Ouellette. Les tribunaux administratifs du Canada : procédure et preuve. Montréal : Éd. Thémis, 1997. P. 506-508; Jean-Pierre Villagi. « La Justice administrative », dans École du Barreau du Québec. Droit public et administratif. Volume. 7 (2002-2003). Cowansville : Y. Blais, 2002. P. 113, 127-129.

 

 

[9]                Encore plus récemment, la Cour d’appel dans l’affaire C.S.S.T. et Fontaine[4], réaffirme que la révision n’est pas l’occasion pour le tribunal de substituer son appréciation de la preuve à celle déjà faite par la première formation ou encore interpréter différemment le droit. La Cour d’appel précise que le tribunal ne peut pas intervenir en révision à moins qu’il soit établi l’existence d’une erreur manifeste et déterminante dans la première décision.

[10]           Le 23 octobre 2000, la CSST reconnaît que le travailleur est victime d’une maladie pulmonaire sur la base d’un diagnostic de bérylliose chronique.

[11]           Le 1er novembre 2001, la CSST fixe à 5.75 % l’atteinte permanente à l’intégrité physique et psychique à la suite de l’avis émis par le Comité spécial des présidents. Le travailleur conteste cette décision à la Commission des lésions professionnelles.

[12]           Le 12 novembre 2003, la Commission des lésions professionnelles tient une audience à laquelle le travailleur est présent et représenté. Me Alain Galarneau représente l’employeur.

[13]           Après avoir analysé l’ensemble de la preuve et reçu l’avis des deux membres qui recommandaient d’accueillir la requête du travailleur, la Commission des lésions professionnelles accueille la requête et déclare qu’il conserve une atteinte permanente à l’intégrité physique de 24 % à la suite de sa lésion professionnelle survenue le 7 octobre 1999. Dans la décision, le tribunal reprend les dispositions pertinentes de la loi et résume les arguments soumis par chacune des parties.

[14]           Dans son argumentation, e travailleur réfère au rapport d’expertise de son médecin expert, le Dr Guildo Renzi, pneumologue, qui établit à 20 % le déficit anatomo-physiologique total. Quant à l’employeur, il plaide que les seules séquelles qui doivent être retenues lors de l’évaluation du déficit anatomo-physiologique sont celles qui ont un caractère permanent. Il est d’avis que l’évaluation du Dr Renzi ne tient pas compte d’une éventuelle diminution de l’importance des effets secondaires reliés à la médication. Il se réfère à l’expertise faite à sa demande par la Dre Manon Labrecque, pneumologue, qui, contrairement à l’opinion émise par le Dr Renzi, est d’avis que les tests effectués ne démontrent aucune anomalie au niveau de la fonction respiratoire.

[15]           Après avoir apprécié les arguments soumis par chacune des parties, la Commission des lésions professionnelles s’exprime comme suit dans sa décision :

« [32]   À la lumière de ce qui précède, le tribunal considère que le déficit anatomo-physiologique doit être déterminé sur la base des conclusions du rapport d'expertise du docteur Renzi.

 

[33]      D'une part, il est indéniable qu'un pourcentage de 5 % doit être automatiquement alloué en raison de la présence de la bérylliose, celle-ci étant une maladie pulmonaire professionnelle à caractère irréversible.

 

[34]      D'autre part, à l'audience, le travailleur a établi de manière indiscutable qu'il éprouve des effets secondaires importants résultant de la prise du Méthotrexate. Il reçoit une injection de ce médicament tous les mercredis soirs. Chaque injection entraîne de nombreux malaises. Par exemple, il mentionne éprouver dans les heures qui suivent de « gros maux de tête » et des « maux d'estomac ». Il ne dort « presque pas » dans les deux ou trois jours suivants, puisqu'il souffre de diarrhées et de nausées importantes. Les nausées s'accompagnent de vomissements environ une semaine sur deux. Dans les premiers jours, il ne peut pratiquement pas s'alimenter. Par la suite, il ressent « une grande fatigue » qui l'empêche de fonctionner normalement, et ce, jusqu'au dimanche, moment où les effets secondaires s'amenuisent un peu (il indique être « pas trop pire [...] vers le dimanche »). Tous ces symptômes l'obligent à prendre de nombreux autres médicaments dont il produit une liste sous la cote T-1.

 

[35]      Lors de son témoignage, le travailleur explique avoir commencé à prendre du Méthotrexate au mois de mars 2001. Depuis ce temps, la dose a été augmentée pour se situer présentement à 20 mg par semaine. Il indique que plus la dose est élevée, plus les effets secondaires sont importants. Par ailleurs, il ajoute que son médecin ne lui a donné aucune indication au sujet d’une éventuelle diminution de la dose ou arrêt de la prise du Méthotrexate.

 

[36]      La docteure Labrecque, qui n'a pas rencontré le travailleur et n'a pas entendu son témoignage, reconnaît que les effets secondaires « reliés à l'utilisation du Méthotrexate [...] auraient pu faire l'objet d'anomalies discrètes cliniques », conformément au code 223047 du barème. Elle explique qu'il n’y a pas lieu d'accorder un pourcentage pour anomalies « importantes » puisque « les effets secondaires sont habituellement passagers et cessent avec le temps (nos soulignements). De plus, elle indique que les effets secondaires cessent avec l'arrêt de la médication.

 

[37]      Or, rien dans la preuve présentée ne permet de considérer que la médication sera éventuellement arrêtée. Par ailleurs, le travailleur prend du Méthotrexate depuis l'hiver 2001 et il éprouve toujours des effets secondaires importants. Dans son cas, l'on ne peut parler d'effets « passagers ».

 

[38]      Ainsi, en raison de l'importance des symptômes, des signes cliniques et des besoins en médication du travailleur, le tribunal partage l'opinion exprimée par le docteur Renzi et considère qu'il y a lieu d'allouer un pourcentage de 10 % pour anomalies cliniques importantes, le tout en conformité avec le code 223056 du barème.

 

[39]      Finalement, en tenant compte du résultat du test d'épreuve d'effort effectué au mois de février 2002, le tribunal constate, à l'instar du docteur Renzi, que le travailleur présente une anomalie discrète de la fonction respiratoire.

 

[40]      En effet, le pneumologue ayant fait passer le test d'épreuve d'effort confirme la présence d'une désaturation significative de 7 % à l'effort maximal. Il conclut son rapport d'examen en spécifiant : « Au niveau de la réponse respiratoire, on note une désaturation significative à l'effort maximal ». À ce sujet, la docteure Labrecque reconnaît elle-même qu'une désaturation de plus de 4 % est « significative ».

 

[41]      Il est donc approprié d'accorder un pourcentage de 5 % pour cette discrète anomalie constatée à l'épreuve d'effort, d'autant que celle-ci est corroborée par le témoignage du travailleur, entre autres, lorsqu'il mentionne ne plus être capable d'effectuer les activités physiques qu'il pratiquait auparavant et ne plus être en mesure de monter des escaliers comme il le faisait par le passé.

 

[42]      Bref, la preuve prépondérante démontre que le déficit anatomo-physiologique du travailleur est de 20 %, comme le suggère le docteur Renzi.

 

[43]      L'atteinte permanente à l'intégrité physique résultant de la lésion professionnelle doit donc être établie à 24 %, incluant 4 % à titre de douleurs et perte de jouissance de la vie (conformément au code 225205 du barème). »

 

 

[16]           À l’audience tenue par la Commission des lésions professionnelles siégeant en révision, l’employeur était représenté par un nouveau procureur. Il soumet un argument en droit qui n’a jamais été soumis au premier commissaire. Il prétend que la Commission des lésions professionnelles devait s’en tenir à la preuve médicale contemporaine sur laquelle s’est appuyée la CSST pour rendre sa décision sur l’atteinte permanente en 2001. Il fait ainsi valoir que la Commission des lésions professionnelles ne pouvait s’appuyer sur le rapport d’expertise rédigé par le Dr Renzi en 2003. Il fait un résumé de la preuve médicale au dossier et se réfère à l’opinion médicale émise par le Comité spécial des présidents le 17 mai 2001 selon laquelle le bilan fonctionnel respiratoire réalisé en mars 2000 était normal. Il énumère également les problèmes de nature personnelle que présente le travailleur. Enfin, il reprend les conclusions émises par la Dre Labrecque qui ne partage pas l’opinion du Dr Renzi quant aux effets secondaires permanents de la médication. Il plaide que la preuve médicale ne supporte pas la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles.

[17]           La Commission des lésions professionnelles siégeant en révision estime que la requête en révision de l’employeur équivaut à un deuxième appel au moyen duquel on vient bonifier son argumentation, ce que ne permet pas l’article 429.56 de la loi.

[18]           En effet, l’employeur a déjà plaidé devant le premier commissaire que la médication prise par le travailleur ne rencontrait pas le caractère permanent requis pour l’évaluation du déficit anatomo-physiologique. Le premier commissaire y a répondu de façon motivée en appréciant la preuve qui lui a été soumise. Il n’y a pas lieu de revenir sur cette appréciation puisqu’elle ne comprend aucune erreur manifeste. Le seul fait de ne pas être d’accord avec cette décision n’en fait une décision comportant une erreur manifeste et déterminante.

[19]           Aussi, devant la Commission des lésions professionnelles siégeant en révision, l’employeur soulève un nouveau point de droit non soulevé lors de la première audience. Il soulève que le tribunal devait s’en tenir à la preuve médicale qui existait au moment où la CSST a rendu sa décision en 2001 sur l’atteinte permanente et que si l’état du travailleur s’est détérioré par la suite, il peut toujours se faire réévaluer.

[20]           Il doit être rappelé que tant l’employeur que le travailleur ont déposé au tribunal des rapports d’expertise rédigés en 2003. Il n’y a eu aucune objection à ce moment-là au dépôt de ces expertises. Bien au contraire, les deux parties se sont appuyées sur leur expertise médicale respective pour soumettre leur argumentation. Avec respect, il est un peu tard pour soulever, en révision, le fait que le tribunal ne devait pas tenir compte de cette preuve. Aussi, tel que mentionné précédemment, la révision ne peut pas servir à venir bonifier son argumentation.

[21]           Compte tenu de ce qui précède, la Commission des lésions professionnelles estime qu’il n’a pas été démontré que la décision comporte un vice de fond de nature à l’invalider.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête en révision déposée par Noranda Division CCR.

 

 

 

 

 

MICHÈLE CARIGNAN

 

Commissaire

 

 

 

 

 

Me Gilles Chouinard

CHOUINARD & ROY

            Représentant de la partie requérante

 

 

Me Jacques Rousse

MCCARTHY, TÉTRAULT

            Représentant des parties intéressées

 



[1]          L.R.Q., c. A-3.001.

[2]          Produits forestiers Donohue et Villeneuve [1998] C.L.P. 733 ; Franchellini et Sousa [1998] C.L.P. 783 .

[3]          CAM500-09-011-014-016, 03-08-28.

[4]          500-09-014608-046, 05-09-07.

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