Décision

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Hamilton et Toyota Pie IX inc.

2011 QCCLP 1532

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Montréal

1er mars 2011

 

Région :

Lanaudière

 

Dossier :

312268-63-0703-R  312272-63-0703-R

 

Dossier CSST :

128480530

 

Commissaire :

Anne Vaillancourt, juge administratif

 

Membres :

Guy Mousseau, associations d’employeurs

 

Jacynthe Fortin, associations syndicales

______________________________________________________________________

 

 

 

Cathya Hamilton

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Toyota Pie IX inc.

 

Partie intéressée

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 6 avril 2010, madame Cathya Hamilton (la travailleuse) dépose une requête en révision ou en révocation à la Commission des lésions professionnelles à l’encontre d’une décision rendue par ce tribunal le 4 mars 2010.

[2]           Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles :

Dossier 312268-63-0703

 

REJETTE la requête de madame Cathya Hamilton, la travailleuse;

 

CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 6 mars 2007 à la suite d’une révision administrative;

 

DÉCLARE que la travailleuse n’a pas subi une récidive, rechute ou aggravation le 24 avril 2006.

 

Dossier 312272-63-0703

 

REJETTE la requête de madame Cathya Hamilton, la travailleuse;

 

CONFIRME pour d’autres motifs la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 27 février 2007 à la suite d’une révision administrative;

 

DÉCLARE que la travailleuse est capable de refaire son emploi à compter du 8 mars 2006.

 

 

[3]           À l’audience portant sur la présente requête, tenue à Joliette le 14 janvier 2011, la travailleuse était présente et représentée par procureur. Toyota Pie IX inc.  (l’employeur) était représenté par procureur.  L’affaire a été mise en délibéré le 14 janvier 2011.

L’OBJET DE LA REQUÊTE

Dossier 312272-63-0703

[4]           Le procureur de la travailleuse demande à la commission des lésions professionnelles d’accueillir sa requête, de réviser la décision du 4 mars 2010 et de reconnaître que la travailleuse n’était pas capable de faire son emploi le 8 mars 2006.

Dossier 312268-63-0703

[5]           Le procureur de la travailleuse demande d’accueillir sa requête, de révoquer la décision rendue le 4 mars 2010 et de convoquer les parties pour une nouvelle audience dans ce dossier ou, subsidiairement, de réviser la décision et de reconnaître que la travailleuse a subi une rechute, récidive ou aggravation le 24 avril 2006.

L’AVIS DES MEMBRES

[6]           Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis de rejeter la requête en révision ou en révocation.

[7]           Il estime que la décision dont on demande la révision ne contient aucune erreur manifeste en faits ou en droit. 

[8]           Quant au membre issu des associations syndicales, il estime que la requête devrait être accueillie.  Il est d’avis que la procédure d’évaluation médicale est irrégulière.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[9]           La Commission des lésions professionnelles doit décider s’il y a lieu de réviser ou révoquer la décision qu’elle a rendue le 4 mars 2010.

[10]        Le recours en révision ou en révocation est prévu à l’article 429.56 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) qui se lit comme suit :

429.56.  La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :

 

1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;

 

2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;

 

3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.

 

Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

[11]        Dans le présent dossier, le procureur de la travailleuse invoque que la décision dont il demande la révision ou la révocation est entachée d’un vice de fond.

[12]        Il importe de rappeler que les décisions rendues par la Commission des lésions professionnelles sont finales et sans appel, tel que libellé à l’article 429.49 de la loi.

[13]        Le recours en révision ou en révocation constitue donc un recours exceptionnel qui se distingue d’un appel.

[14]        Concernant la notion de « vice de fond », la jurisprudence de la Commission des lésionnelles[2] est constante et continue de se référer aux affaires Produits forestiers Donohue inc. et Villeneuve[3] et Franchellini et Sousa[4] qui ont interprété cette notion pour conclure qu’il s’agit d’une erreur manifeste de droit ou de faits qui a un effet déterminant sur le litige.

[15]        Cette interprétation est confirmée par la Cour d’appel, notamment dans l’affaire Bourassa c. Commission des lésions professionnelles[5], dont il convient de reproduire l’extrait suivant sous la plume du juge   :

22.     Sous prétexte d’un vice de fond, le recours en révision ne doit cependant pas être un appel sur la base des mêmes faits.  Il ne saurait non plus être une invitation faite à un commissaire de substituer son opinion et son appréciation de la preuve à celle de la première formation ou encore une occasion pour une partie d’ajouter de nouveaux arguments.

 

 

[16]        La Cour d’appel dans l’affaire Fontaine[6] réitère à propos de l’erreur:

50.       On voit donc que la gravité, l’évidence et le caractère déterminant d’une erreur sont des traits distinctifs susceptibles d’en faire un «vice de fond de nature à invalider une décision».

 

 

[17]        C’est à l’intérieur de ce cadre que la Commission des lésions professionnelles doit procéder à l’analyse des arguments présentés par le procureur de la travailleuse à l’encontre de la décision dont il demande la révision.

[18]        Les faits pertinents sont rapportés aux paragraphes 10 à 24 de la décision :

[10]      Le 8 août 2005, la travailleuse subit une lésion professionnelle (accident du travail) dans l’exécution de ses tâches d’aviseure technique chez l’employeur. Son pied droit s’est accroché sur une grille au plancher. Elle a basculé vers l’avant, sans tomber. Elle a ressenti une douleur immédiate au genou droit avec une sensation de relâchement du genou. La douleur était diffuse autour du genou et en bas de la rotule.

 

[11]      Sa réclamation est acceptée par la CSST sur la base du diagnostic d’entorse du genou droit posé par le docteur Daniel Beaudoin, médecin qui prend en charge la travailleuse le jour même.

 

[12]      Le docteur Beaudoin assure un suivi régulier. Le 6 septembre 2005, il note un état stable mais dirige la travailleuse auprès du docteur Bernard Tran-Van, chirurgien orthopédiste.

 

[13]      Le 28 septembre 2005, le docteur Tran-Van transmet un rapport de consultation au docteur Beaudoin. Il lui indique qu’il demande une arthrographie et, au besoin, un examen par résonance magnétique, puisqu’il soupçonne une lésion à la corne postérieure du genou droit. L’examen par résonance magnétique effectué le 27 décembre 2005 est normal.

 

[14]      Le 28 janvier 2006, le docteur Beaudoin voit la travailleuse et il se questionne sur le résultat de la résonance magnétique qu’il n’a visiblement pas reçu. Il indique simplement que la travailleuse reverra le docteur Tran-Van le 15 février prochain.

 

[15]      Le 28 février 2006, le docteur Tran-Van indique que les douleurs persistent selon la travailleuse, mais que l’examen par résonance magnétique effectué le 27 décembre 2005 est dans les limites de la normale. Il n’a aucun traitement à proposer et demande « un code 204 ». En audience, la travailleuse affirme que le docteur Tran-Van ne l’a pas examinée et qu’elle ne sait pas ce qu’est un « code 204 ».

 

[16]      Le 8 mars 2006, le docteur Pierre Legendre, chirurgien orthopédiste, examine la travailleuse à la demande de l’employeur.

 

[17]      Le docteur Legendre note que la travailleuse a une démarche avec une boiterie antalgique au niveau du membre inférieur. Au niveau du genou droit, il y a absence d’effusion ou d’hypertrophie synoviale. Les amplitudes articulaires actives du genou droit démontrent une extension à 0 degrés et une flexion à 140 degrés.

 

[18]      Il importe de rapporter ici son examen quant au flexum et sur la présence de douleurs :

 

[...]

 

Au niveau du genou droit, on note un flexum avec tremblements à 10 degrés. Lorsque nous demandons à madame Hamilton d’étendre son genou, elle le fait avec difficulté mais il y a atteinte du 0 degré. La flexion se fait jusqu’à 130 degrés et est limitée par la douleur. De façon passive, nous n’obtenons pas de blocage franc mais plutôt une contraction contre notre mouvement du quadriceps droit de madame Hamilton.

 

Il y a présence de douleurs diffuses à la palpation de l’interligne médian, de la région antéro-médiane du genou droit et au niveau de l’aspect antérieur du genou droit. Il est à noter que lors des manœuvres de distraction, à la palpation, les douleurs ne sont pas toujours présentes.

 

Il y a présence également de douleurs à la compression de l’articulation patello-fémorale et encore là, lors des manœuvres de distraction, ces douleurs ne sont pas toujours présentes. [...]

 

[19]      Ce médecin conclut que l’entorse du genou droit est consolidée à la date de son examen, sans nécessité de soins ou de traitements additionnels, sans déficit anatomo-physiologique ni limitations fonctionnelles.

 

[20]      Le 30 mars 2006, le docteur Tran-Van complète le rapport complémentaire transmis par l’employeur. Il se dit en accord avec le diagnostic et la date de consolidation retenus par le docteur Legendre. Il est indiqué, par on ne sait qui, « c.c travailleur ».

 

[21]      Dans les notes évolutives de la CSST en date du 12 avril 2006, l’agente d’indemnisation indique avoir communiqué avec la secrétaire du docteur Tran-Van, madame Pierrette Trottier. Cette dernière confirme que le médecin n’a pas revu la travailleuse pour compléter le rapport complémentaire et qu’il n’y a pas d’autre rendez-vous prévu. Il transmettra un rapport final indiquant que la lésion est consolidée le 8 mars 2006, sans atteinte permanente à l’intégrité physique ni limitations fonctionnelles.

 

[22]      De fait, le 13 avril 2006, le docteur Tran-Van complète le rapport final indiquant que la lésion est consolidée le 8 mars 2006, sans atteinte permanente à l’intégrité physique ni limitations fonctionnelles. Le diagnostic est celui de « dérangement interne genou droit ».

 

[23]      Dans les notes évolutives de la CSST, en date du 18 avril 2006, l’agente d’indemnisation indique avoir reçu le rapport final et que la travailleuse est avisée « qu’elle doit retourner au travail dès le 2006-04-19 ». L’agente d’indemnisation ajoute que la travailleuse demande une copie du rapport complémentaire et du rapport final émis par le docteur Tran-Van et qu’elle ira consulter un autre médecin.

 

[24]      Le même jour, la CSST rend la décision déterminant que la travailleuse est capable d’occuper son emploi depuis le 8 mars 2006 et que l’indemnité de remplacement du revenu reçue pour la période du 8 mars au 18 avril 2006 ne sera pas réclamée.

 

Erreur de droit concernant la régularité de la procédure d’évaluation médicale

[19]        Le procureur de la travailleuse allègue que le premier juge administratif commet  des erreurs en concluant que la procédure d’évaluation médicale est régulière.

[20]        Il y a lieu de reproduire les motifs de la décision concernant la régularité du processus d’évaluation médicale :

[65]      La Commission des lésions professionnelles doit au préalable décider de la validité du processus d’évaluation médicale.

 

[66]      Les articles 203 et 205.1 de la Loi se lisent comme suit :

 

203.  Dans le cas du paragraphe 1° du premier alinéa de l'article 199, si le travailleur a subi une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique, et dans le cas du paragraphe 2° du premier alinéa de cet article, le médecin qui a charge du travailleur expédie à la Commission, dès que la lésion professionnelle de celui-ci est consolidée, un rapport final, sur un formulaire qu'elle prescrit à cette fin.

 

Ce rapport indique notamment la date de consolidation de la lésion et, le cas échéant :

 

1° le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur d'après le barème des indemnités pour préjudice corporel adopté par règlement;

 

2° la description des limitations fonctionnelles du travailleur résultant de sa lésion;

 

3° l'aggravation des limitations fonctionnelles antérieures à celles qui résultent de la lésion.

 

Le médecin qui a charge du travailleur l'informe sans délai du contenu de son rapport.

__________

1985, c. 6, a. 203; 1999, c. 40, a. 4.

 

205.1.  Si le rapport du professionnel de la santé désigné aux fins de l'application de l'article 204 infirme les conclusions du médecin qui a charge du travailleur quant à l'un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212, ce dernier peut, dans les 30 jours de la date de la réception de ce rapport, fournir à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, un rapport complémentaire en vue d'étayer ses conclusions et, le cas échéant, y joindre un rapport de consultation motivé. Le médecin qui a charge du travailleur informe celui-ci, sans délai, du contenu de son rapport.

 

La Commission peut soumettre ces rapports, incluant, le cas échéant, le rapport complémentaire au Bureau d'évaluation médicale prévu à l'article 216.

__________

1997, c. 27, a. 3.

 

[Notre soulignement]

 

[67]      La Cour d’appel3 a eu à se prononcer sur l’obligation d’informer le travailleur du contenu de son rapport conformément aux articles 203 et 205.1 de la Loi.

 

[68]      Sous la plume du juge Dalphond, la Cour d’appel considère que l’obligation faite à l’article 203 in fine au médecin qui a charge d’informer le travailleur du contenu de son rapport ne pouvait être violée. Notons toutefois que les faits de cette cause diffèrent de notre dossier puisqu’il y avait une contradiction entre l’opinion du médecin qui avait charge et celle du médecin spécialiste, qui a effectué le rapport d'évaluation médicale à la demande du médecin qui avait charge. Dans ce cas, le manquement d’information par le médecin qui a charge avait une incidence dans la poursuite du dossier.

 

[69]      À la suite de cette décision, la Commission des lésions professionnelles a eu, à maintes reprises4, l’occasion de se prononcer sur la régularité du processus d’évaluation médicale lorsqu’un travailleur n’a pas été informé « sans délai » par le médecin qui a charge du contenu du rapport final ou du rapport complémentaire.

 

[70]      Il ressort qu’il faut d’abord tenir compte du fait que les articles 224 et 358 de la Loi, qui font en sorte qu’un travailleur ne peut contester l’opinion de son médecin qui a charge, doivent être respectés. L’objectif des articles 203 et 205.1 quant à l’obligation d’informer le travailleur constitue un rouage dans la transmission de l’information au travailleur pour l’informer si le processus d’indemnisation doit être poursuivi ou interrompu. Aucune sanction n’y est rattachée et le travailleur demeure lié par les conclusions de son médecin qui a charge. Il s’agit donc de cas particuliers qu’il faut analyser à la lumière des faits propres à chaque dossier. Le manquement à l’obligation faite au médecin qui a charge n’est pas nécessairement ou automatiquement fatal.

 

[71]      Dans le cas qui nous occupe, la Commission des lésions professionnelles estime que les faits prouvés démontrent d’abord que le médecin qui a charge dans le présent dossier est le docteur Tran-Van, étant donné le contexte dans lequel le docteur Beaudoin dirige le travailleur auprès du docteur Tran-Van.

 

[72]      En effet, le 28 janvier 2006, le docteur Beaudoin revoit la travailleuse après l’avoir dirigée auprès du docteur Tran-Van. Quant à la conduite à tenir, il inscrit simplement que la travailleuse reverra le docteur Tran-Van le 15 février. Il n’inscrit pas vouloir la revoir pour un suivi. D’ailleurs, selon la preuve offerte, la travailleuse ne le reverra pas avant le 9 mai 2006, et ce, après avoir pris un rendez-vous deux semaines auparavant. Il est donc raisonnable de conclure que le docteur Beaudoin n’était pas le médecin qui a charge, c’est-à-dire le médecin qui établit le plan de traitement et en fait le suivi.

 

[73]      Par ailleurs, lors de la dernière rencontre avec le docteur Tran-Van, ce médecin retient que la travailleuse se plaint toujours de douleur « selon elle » mais qu’il n’a aucun traitement à offrir. Il inscrit « code 204 », ce qui veut dire qu’il demande une évaluation par un médecin choisi par la CSST.

 

[74]      Or, à la période contemporaine, c’est plutôt l’orthopédiste désigné par l’employeur qui examine la travailleuse. Ce médecin arrive aux mêmes conclusions que le docteur Tran-Van, à savoir qu’il n’a aucun traitement à offrir et qu’il est d’avis que son examen est normal, faisant en sorte qu’il n’y a pas de déficit anatomo-physiologique ni limitations fonctionnelles à émettre.

 

[75]      Dans ce contexte, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que le docteur Tran-Van n’avait pas à examiner à nouveau la travailleuse5. On comprend aisément de sa note datée du 28 février 2006, qu’en présence d’un examen par résonance magnétique normal, il n’y a rien à objectiver. En effet, la simple anomalie retrouvée lors de son examen médical, soit un signe de Mac Murray positif, faisant en sorte qu’il pouvait se questionner sur la possibilité d’une atteinte du ligament de la corne postérieure, s’est avérée négative. Il n’avait alors rien à chercher d’autre. C’est pourquoi, la Commission des lésions professionnelles estime que le docteur Tran-Van avait en main tous les éléments requis pour compléter un rapport complémentaire et un rapport final de manière éclairée6, sans avoir besoin d’examiner à nouveau la travailleuse.

 

[76]      Enfin, la Commission des lésions professionnelles estime que le fait que le docteur Tran-Van n’ait pas informé la travailleuse n’invalide pas le processus. Il est raisonnable de croire que le docteur Tran-Van a avisé la travailleuse qu’il n’avait aucun traitement à offrir puisqu’elle n’a pas pris d’autres rendez-vous avec lui. Aussi, le docteur Tran-Van a complété le rapport complémentaire le 30 mars et une copie conforme est adressée à la travailleuse. Ensuite, le rapport final est complété le 13 avril et la travailleuse est avisée du contenu le 18 avril. Enfin, il n’y a aucune opinion médicale au dossier autre que celles des deux orthopédistes qui s’entendent. Étant donné l’ensemble des faits, la Commission des lésions professionnelles estime que le fait que le docteur Tran-Van n’ait pas personnellement informé la travailleuse du contenu du rapport final et complémentaire ne pouvait avoir d’incidence sur la poursuite de son dossier et ne constitue donc pas un accroc invalidant le processus d’évaluation médicale.

 

[77]      Par conséquent, étant donné l’effet liant de l’opinion du docteur Tran-Van, la lésion professionnelle de la travailleuse était consolidée le 8 mars 2006, sans déficit anatomo-physiologique ni limitations fonctionnelles. Il y a donc lieu de déclarer que la travailleuse était capable de refaire son emploi à compter du 8 mars 2006.

_____________________

3      Lapointe et Commission des lésions professionnelles et als, C.A. 500-09-013413-034, 19 mars 2004, j. Dalphond

4      Raymond et Transformation B.F.L., C.L.P. 230973-04-0403, 25 février 2005, A. Gauthier; Trudel et Transelec/Common inc., C.L.P. 257302-01B-0502, 24 février 2006, L. Desbois, révision rejetée, 13 juillet 2007, C.-A. Ducharme; Rangers et Asphalte ST [2009] C.L.P. 180

5      Dhaliwal et Gusdorf Canada ltée, C.L.P.168883-72-0109, 10 mai 2002, Y. Lemire

6      Morin et Forage Orbit inc., C.L.P. 225507-08-0401, 9 juillet 2004, G. Morin, révision rejetée, 28 octobre 2004, M. Carignan

 

[21]        Dans sa requête détaillée et à l’audience, le procureur de la travailleuse invoque les erreurs de droit suivantes :

·        En ajoutant de nouvelles considérations au jugement de la Cour d’appel (affaire Lapointe) le premier juge administratif a dénaturé la portée de ce jugement et l’a écarté en ajoutant des critères non prévus par la loi;

·        En concluant qu’il n’y a pas eu d’incidence dans le cheminement du dossier, à la suite du défaut de faire suivre une copie du rapport médical à la travailleuse qui n’en a pas été informée en temps voulu, le premier juge a imposé un fardeau de preuve additionnel, ce qui constitue un vice de fond.

[22]        Par ces erreurs, le premier juge administratif a fait défaut d’appliquer une règle de droit qu’il aurait dû appliquer, ce qui constitue un vice de fond.

[23]        De plus, il y aurait aussi manquement au droit d’être entendu, puisque la travailleuse n’a pas pu faire la preuve de l’incidence ou des conséquences sur le cheminement de son dossier, ignorant que le premier juge administratif donnerait une telle portée au jugement de la Cour d’appel.

[24]        Et, même en supposant que le premier juge administratif n’a pas commis d’erreur de droit en examinant si le défaut d’informer la travailleuse avait une incidence ou non dans la poursuite de son dossier, il commet une erreur en concluant qu’il n’y a pas d’incidence.  Sur ce point, il allègue que la travailleuse aurait pu alors consulter un autre médecin si elle avait été informée du contenu du rapport, puisqu’il y avait contradiction entre le rapport du médecin traitant et le rapport final. De plus, l’opinion du médecin traitant était contradictoire entre son rapport d’évolution et son rapport complémentaire qui n’a pas été envoyé à la travailleuse.

[25]        Après avoir analysé les arguments soulevés par le procureur de la travailleuse, la soussignée estime qu’aucun ne peut constituer un vice de fond pour les motifs ci-après exposés.

[26]        Les motifs principaux de la décision rendue par la Cour d’appel sont les suivants :

[28] En l'instance, l'appelante allègue, ce qui est avéré pour nous, que ni le Dr Roy ni le Dr Dubé ne l'ont avisée du contenu du rapport final du Dr Roy avant que la décision de la CSST ne soit rendue.

 

[29] Avec égards pour les différents décideurs, il m'apparaît ici qu'il n'y avait que deux façons possibles de traiter le dossier. La première était de considérer que le Dr Dubé avait été en tout temps pertinent le médecin qui avait charge du travailleur au sens de l'art. 203 et, par conséquent, de qui le rapport final devait émaner. Si, comme en l'instance, il est incapable de répondre à certaines des questions prévues au «rapport final», il lui est alors loisible de retenir les services d'un autre médecin pour produire un rapport complémentaire[4]. Il demeure cependant que cet autre médecin ne devient pas le médecin qui a charge du travailleur au sens de la Loi, mais uniquement un professionnel qui a mandat de compléter le rapport du médecin qui a charge. Il s'ensuit que si le Dr Dubé était le médecin qui avait charge de l'appelante, il avait l'obligation en vertu de l'art. 203 in fine d'informer cette dernière sans délai du contenu du rapport complémentaire du Dr Roy. Cela implique que le Dr Roy avait l'obligation de lui transmettre copie de son rapport afin que le Dr Dubé puisse remplir son obligation légale d'informer l'appelante. Une fois informée, il appert qu'à l'initiative du Dr Dubé ou de l'appelante, un autre médecin aurait été retenu pour préparer un nouveau rapport complémentaire. En effet, le dossier tel que constitué révèle que le Dr Dubé, malgré le rapport complémentaire du Dr Roy, a maintenu son diagnostic que la lésion professionnelle avait causé des limitations et des atteintes permanentes à l'appelante.

 

[30] En retenant cette approche, pour les fins de l'art. 203 de la Loi, le rapport final complet est constitué du rapport du médecin qui a charge du travailleur (Dr Dubé) et du rapport complémentaire demandé au Dr Roy. La décision de la CSST ne peut ensuite écarter le rapport du médecin qui a charge pour retenir le rapport complémentaire (Slailaty, précité). Au mieux, elle peut constater que le rapport du médecin qui a charge du travailleur et celui qui a préparé le rapport complémentaire sont contradictoires et, conformément à l'art. 204, exiger du travailleur qu'il se soumette à un examen auprès d'un médecin désigné par la CSST. Il est alors probable qu'il y aura des diagnostics contradictoires et que l'affaire aboutira devant le bureau de l'évaluation médicale (BEM). Il demeure que la décision du BEM, même si elle liera la CSST, ne liera pas l'appelante qui pourra alors se prévaloir de ses recours devant la CLP et tenter d'établir, par toute preuve appropriée, sa condition médicale véritable.

 

[31] En résumé, si l'on retient que le médecin qui avait charge de l'appelante était le Dr Dubé, la procédure suivie par la CSST est irrégulière puisqu'elle a écarté son rapport pour y substituer un rapport complémentaire, ce que ne permet pas l'art. 203 qui exige que le rapport final émane du médecin qui a charge du travailleur. Si ce rapport est incomplet, il revient à ce médecin de le faire compléter ou encore à la CSST de prendre les moyens pour qu'il soit complété. En l'instance, ce n'est pas la procédure qui a été suivie. L'approche retenue par la CSST a pour effet de nier à l'appelante la possibilité d'une indemnisation si le diagnostic du Dr Roy, remis à la CSST à l'insu de l'appelante, est mal fondé. Une telle conclusion ne peut qu'être contraire à l'art. 351 de la Loi et, par conséquent, manifestement déraisonnable.

 

[32] La deuxième possibilité était de considérer que le médecin qui avait charge de l'appelante en juin 1998 était désormais le Dr Roy. Il demeure que l'appelante a allégué dès la décision de la CSST connue, qu'elle ignorait le contenu de ce rapport. En somme, elle a allégué violation de l'obligation faite à l'art. 203 in fine au médecin qui avait charge de l'informer. La CSST devait alors vérifier la véracité de l'allégation et, si bien fondée, conclure que le rapport final reçu du Dr Roy ne pouvait lier l'appelante en vertu de la Loi, car violant l'art. 203 de la Loi et la finalité sous-jacente, soit celle du droit du travailleur de choisir le médecin de son choix (art. 192) et d'être informé du contenu du rapport final de ce dernier.

 

[33] Le refus de reconsidérer la décision du 10 juin en pareilles circonstances revient à stériliser la fin de l'art. 203 et, par conséquent, constitue une décision contraire à la Loi, ce que le législateur n'a pu vouloir. Une décision si contraire à l'intention législative est alors manifestement déraisonnable.

 

[34] En résumé, que l'on retienne que le médecin qui avait charge est le Dr Dubé ou, au contraire, le Dr Roy, le dossier tel qu'il nous est présenté révèle une décision manifestement déraisonnable de la part de la CSST lorsqu'elle refuse de reconsidérer la décision du 10 juin 1999 et de la CLP lorsqu'elle confirme cette décision. En présence d'une décision manifestement déraisonnable, contraire à la Loi, l'appelante pouvait demander la révision pour cause (T.A.Q c. Godin, J.E. 2003-1695 (C.A.)). Les décisions de la CLP en révision sont aussi déraisonnables que la décision initiale de CLP; la Cour supérieure aurait dû intervenir.

___________________

[4]  Le formulaire «rapport final», préparé par la CSST, envisage expressément cette possibilité. Quant à la Loi, elle n'interdit pas cette façon de faire; au contraire, elle reconnaît la possibilité de rapport complémentaire (voir, par exemple, l'art. 205.1)

 

 

[27]        Dans cette affaire, le médecin traitant, le docteur Dubé, avait complété un rapport final en retenant le diagnostic de tendinite de la coiffe des rotateurs et en concluant qu’il y avait atteinte permanente et limitations fonctionnelles. Le docteur Dubé avait indiqué qu’il ne produirait pas le rapport d’évaluation médicale pour établir en détail les déficits anatomo-physiologiques et définir les limitations fonctionnelles. Le docteur Dubé a indiqué que cette évaluation devait être faite par le docteur Roy. Or, ce dernier, au lieu de donner suite au rapport final du docteur Dubé et de procéder à l’évaluation des séquelles permanentes, produit un nouveau rapport final avec un autre diagnostic et indique qu’il n’y a pas d’atteinte permanente ni de limitations fonctionnelles. Le docteur Roy envoie ensuite une copie de son rapport final directement à la CSST, mais sans en donner copie à la travailleuse ni au docteur Dubé.  Entre temps, le docteur Dubé complète un nouveau rapport final établissant toujours que la lésion professionnelle a entraîné une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles. La CSST a rendu sa décision portant sur la capacité de travail en se fondant sur le rapport du docteur Roy sans que la travailleuse n’ait pu être informée du contenu du rapport final complété par le docteur Roy.

[28]        La Cour d’appel retient dans les motifs de sa décision qu’il y avait deux possibilités pour le décideur de déterminer lequel des deux rapports liait la CSST et la CLP, soit en décidant que le docteur Dubé était médecin traitant ou qu’il s’agissait plutôt du docteur Roy.  Les deux rapports étaient contradictoires et avaient des incidences bien différentes sur la conduite du dossier, selon que la lésion entraîne une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles ou non.

[29]        Les faits dans le présent dossier se présentent bien différemment. Tel que rapporté par le premier juge administratif dans sa décision, le docteur Tran-Van, qui est identifié comme étant désormais le médecin qui charge, a complété un rapport complémentaire dans lequel il se dit d’accord avec le médecin désigné par l’employeur et a ensuite complété un rapport final confirmant les mêmes conclusions, soit que la lésion professionnelle est consolidée sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles.  Étant donné l’absence de contradiction entre le rapport du médecin traitant et celui du médecin désigné, il ne s’agissait pas d’une situation où le dossier pouvait être  acheminé au Bureau d’évaluation médicale.

[30]        De plus, il importe aussi de constater que, dans les circonstances, le docteur Tran-Van, n’ayant pas retenu que la lésion professionnelle était consolidée avec une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles, avait entièrement satisfait aux obligations de l’article 203 de la loi et n’avait donc pas à référer la travailleuse à un autre médecin évaluateur pour procéder à l’évaluation des séquelles dont il ne reconnaît pas l’existence. 

[31]        Après avoir procédé à distinguer les faits en litige des faits en cause dans la décision de la Cour d’appel au paragraphe 68 de sa décision, le premier juge administratif réfère à la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles concernant la régularité de la procédure d’évaluation médicale, dont l’affaire Rangers et Asphalte ST[7].  Il est intéressant de reproduire les paragraphes 36 à 39 de cette décision :

[36]      Le représentant du travailleur a invoqué l’arrêt Lapointe5. Dans cette affaire, la Cour d’appel rejette les conclusions des instances antérieures, lesquelles soutenaient que le rapport d’évaluation du spécialiste, qui complète le rapport final du médecin ayant pris charge du travailleur, ne peut être contesté quelles que soient les circonstances.6 La trame factuelle dans la présente affaire est bien différente que celle analysée par la Cour d’appel où le spécialiste posait un diagnostic différent de celui retenu dans le rapport final et modifiait intégralement les autres questions sur lesquelles le médecin, qui avait pris charge du travailleur, s’était prononcé. Dans cette affaire, la Cour d’appel sanctionne essentiellement la substitution intégrale du rapport final par le rapport complémentaire du spécialiste.  

 

[37]      Finalement, la preuve démontre que le travailleur n’a pas été informé du contenu du rapport d’évaluation émis par le Dr Lépine avant que la décision de la CSST ne soit rendue. Et cela contrairement aux prescriptions du dernier alinéa de l’article 203 de la loi.

 

203.  […]

 

Le médecin qui a charge du travailleur l'informe sans délai du contenu de son rapport.

__________

1985, c. 6, a. 203; 1999, c. 40, a. 4.

 

[38]      Cette dérogation vicie-t-elle le processus d’évaluation médicale au point qu’il soit nécessaire d’infirmer la décision rendue par la CSST. Le tribunal ne le croit pas.

 

[39]      Certes le travailleur n’a pas été informé du contenu du rapport préparé par le Dr Lépine. D’une part, le législateur n’ayant pas retenu de sanction à cet égard, il relève de l’appréciation de ce tribunal d’évaluer si une irrégularité a été commise et quelle en est sa gravité.

_______________________

5      Lapointe c. CLP, C.A. Montréal, 500-09-013413-034, 19 mars 2004, jj. A. Forget, P.-J. Dalphond et P. Rayle.

6      Idem, par. 26.

 

[32]        En interprétant la portée de la décision rendue par la Cour d’appel, notamment en analysant les faits en cause dans la présente affaire pour en établir des distinctions significatives, le premier juge administratif ne commet aucune erreur de droit.

[33]        De surcroît, il réfère à la jurisprudence pertinente, dont l’affaire Rangers précitée dans laquelle la Commission des lésions professionnelles dans une affaire similaire interprète la portée de la décision rendue par la Cour d’appel et conclut que dans les circonstances le fait de ne pas avoir  informé sans délai du contenu du rapport n’était pas suffisant pour conclure à l’irrégularité de la procédure d’évaluation médicale.

[34]        Il s’agit d’une interprétation fondée sur les dispositions pertinentes de la loi et la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles. De plus, cette interprétation est appliquée à une situation factuelle circonscrite avec exactitude et bien différente des faits en cause dans la décision de la Cour d’appel.

[35]        En concluant qu’il n’y avait pas d’incidence dans le présent dossier, le premier juge administratif ne commet aucune erreur de droit ni n’ajoute des critères non prévus au jugement de la Cour d’appel ni non plus de nouvelles conditions non prévues à la loi,  faisant en sorte d’alourdir le fardeau de preuve de la travailleuse.

[36]        L’absence d’incidence sur le dossier est analysée ici non pas dans le but d’ajouter une condition non prévue au jugement de la Cour d’appel ou à la loi, mais bien pour déterminer si le fait de ne pas avoir informé sans délai la travailleuse est suffisant pour invalider la procédure d’évaluation médicale. Or, cette décision appartient au juge administratif qui doit analyser les principes de droit applicable en l’espèce.

[37]        En matière de régularité de la procédure d’évaluation médicale, plusieurs autres principes de droit doivent guider le tribunal, dont celui qu’un travailleur ne peut contester l’opinion de son médecin, tel qu’il appert de l’effet combiné des articles 224  et 358 de la loi, tel que le rappelle le premier juge administratif au paragraphe 70 de sa décision.

[38]        Le procureur de la travailleuse allègue que le premier juge administratif commet une erreur déterminante en décidant qu’il n’y avait pas d’incidence pour la travailleuse. Questionné à l’audience sur la nature de ces conséquences, il invoque que la travailleuse aurait pu, si elle avait été informée, choisir un nouveau médecin comme le lui permet l’article 192 de la loi pour procéder à une autre évaluation par un médecin de son choix.

[39]        Encore une fois, la réponse à cette question découle de la lecture combinée des paragraphes 70, 71, 73, 74 et 75 de la décision.

[40]        En résumé, le premier juge administratif considère que le docteur Tran-Van est le médecin traitant, qu’il émet une opinion selon laquelle il n’a plus de traitements à offrir à la travailleuse et recommande même une autre évaluation (204). Le docteur Tran-Van complète ensuite un rapport complémentaire dans lequel il se dit d’accord avec le médecin désigné par l’employeur qui juge la lésion professionnelle consolidée sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles et produit ensuite un rapport final complet qui respecte l’article 203 de la loi, sans avoir à poursuivre plus loin le processus d’évaluation des séquelles, puisqu’il arrive justement à la conclusion qu’il n’y a pas de séquelles. Le rapport final est complet en soi et il n’y a pas d’autres médecins évaluateurs à choisir lorsque le médecin traitant ne retient pas l’existence d’une atteinte permanente ou de limitations fonctionnelles. Aucun rapport d’évaluation médicale n’est alors nécessaire.

[41]        Le fait de choisir ici un autre médecin équivaudrait à contester l’opinion de son médecin traitant, ce qui n’est pas permis par la loi. 

Erreurs factuelles déterminantes dans la décision portant sur la régularité du processus d’évaluation médicale

[42]        Le procureur de la travailleuse invoque que le premier juge administratif a « créé de la preuve » en écrivant au paragraphe 76 de sa décision que le docteur Tran-Van avait informé la travailleuse qu’il n’avait pas d’autres traitements à lui offrir, puisque la travailleuse n’a pas pris d’autres rendez-vous avec lui. Dans son témoignage à l’audience, la travailleuse a affirmé qu’elle avait communiqué avec le bureau du docteur Tran-Van pour obtenir un autre rendez-vous et on lui a dit qu’il avait pris sa retraite.

[43]        Il reproche aussi au premier juge administratif d’avoir écrit au paragraphe 76 de sa décision que « le docteur Tran-Van a complété le rapport complémentaire le 30 mars et une copie conforme est envoyée à la travailleuse ».  Au paragraphe 20 de sa décision, le premier juge administratif écrit que le rapport complémentaire comporte la mention « par on ne sait qui, c.c. travailleur ».

[44]        Puis, toujours au même paragraphe, le premier juge administratif conclut que le premier juge administratif a écrit, quant au rapport final, qu’il avait été complété le 30 mars, que « la travailleuse est avisée du contenu de rapport le 18 avril ».  Le procureur de la travailleuse mentionne que la travailleuse a affirmé dans son témoignage en avoir eu une copie au mois d’août seulement.

[45]        Ces erreurs ont fait un effet déterminant selon lui, puisque l’on conclut à la régularité du processus au paragraphe 76 de la décision.

[46]        Puis, le procureur de la travailleuse allègue aussi des erreurs déterminantes au paragraphe 75 de la décision qui conclut que le docteur Tran-Van n’avait pas besoin  d’examiner la travailleuse. Selon sa compréhension, le docteur Tran-Van avait plutôt abdiqué son rôle en suggérant qu’un autre médecin examine la travailleuse. Par la même occasion, compléter un rapport final et se désintéresser du dossier sont deux conduites irréconciliables. De plus, au paragraphe 74 de sa décision, il reproche au juge administratif d’avoir écrit que le docteur Tran-Van avait conclu que la lésion professionnelle était consolidée sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles, après avoir examiné la travailleuse.

[47]        De l’avis de la soussignée, toutes ces erreurs factuelles invoquées par le procureur de la travailleuse apparaissent à sa face même comme étant non démontrées.  Le résumé des faits aux paragraphes 15, 20, 21, et 23 ne contient aucune erreur. Le témoignage de la travailleuse est rapporté fidèlement. Ce sont ces éléments de la preuve rapportée qui démontrent que le premier juge les a bien compris et considérés.

[48]        Il se peut qu’une partie du témoignage de la travailleuse n’ait pas été rapportée, mais encore il ne s’agit pas d’un élément déterminant.  Il n’est pas nécessaire de tout rapporter en autant que les éléments essentiels y soient, ce qui est le cas.

[49]        Les erreurs reprochées au premier juge administratif dans la partie « motifs » de sa décision ne sont que des conclusions tirées à partir de la preuve. Il s’agit essentiellement d’un travail d’appréciation de la preuve qui consiste à tirer des conclusions à partir des faits mis en preuve. 

[50]        Au paragraphe 74 de sa décision, on ne peut faire dire au juge administratif ce qu’il n’a pas écrit. Il s’agit d’une question de formulation lorsqu’il écrit « que son examen est normal », il est question de l’examen du docteur Legendre et non du docteur Tran-Van.

[51]        De même, les autres erreurs invoquées apparaissent plutôt découler de la perception du procureur de la travailleuse qui tire des conclusions à partir de la formulation employée dans la rédaction.

[52]        Dans la mesure où les conclusions sont fondées sur des éléments mis en preuve, on peut constater qu’il y a un lien rationnel entre les conclusions et les éléments mis en preuve[8].  Il ne s’agit donc pas d’un vice de fond.

Omission de tenir compte d’éléments de la preuve dans la détermination de la récidive, rechute ou aggravation

[53]        Tous les arguments soulevés par le procureur de la travailleuse relèvent de l’appréciation de la preuve.

[54]        Le premier juge administratif a expliqué aux paragraphes 84 à 95 pourquoi l’opinion du docteur Tremblay n’a pas été retenue :

[84]      Il faut aussi mettre en perspective l’avis de deux spécialistes, le docteur Legendre et le docteur Tran-Van, qui est le médecin qui a charge, voulant que malgré l’allégation de douleur importante par la travailleuse, leurs examens n’objectivent pas une lésion le 8 mars 2006. Ils consolident donc l’entorse sans déficit anatomo-physiologique ni limitations fonctionnelles.

 

[85]      Lors de son témoignage, le docteur Tremblay est d’avis que l’examen du docteur Legendre, en mars 2006, n’était pas normal contrairement à l’opinion de ce médecin. Or, rappelons que le docteur Tran-Van, qui a examiné la travailleuse à l’époque contemporaine et qui était le médecin qui a charge, partage l’avis du docteur Legendre. La Commission des lésions professionnelles considère donc que l’avis de ces deux médecins à la période contemporaine est prépondérant et qu’il faut en conclure que l’examen était normal malgré la boiterie notée et la douleur alléguée.

 

[86]      Aussi, avec respect pour l’opinion du docteur Tremblay, la Commission des lésions professionnelles souligne partager l’avis du docteur Legendre voulant qu’à titre de médecin expert dont le rôle, selon les attentes de la Commission des lésions professionnelles, est « d’éclairer le tribunal et de l’aider à évaluer la preuve qui relève de l’expertise que le tribunal lui reconnaît », fait en sorte que devant un tableau clinique de douleur sans véritables éléments objectifs concrets, l’opinion médicale doit être rendue en fonction d’un ensemble d’éléments qui se doivent d’être vérifiés, notamment par des tests croisés, et aussi être expliqués.

 

[87]      C’est pourquoi, même si la travailleuse présente lors de l’examen du docteur Legendre une boiterie antalgique, il faut retenir qu’il y a absence d’atrophie, absence d’effusion ou d’hypertrophie synoviale, présence d’une douleur estimée à sept, ce qui est suspect étant donné les résultats de l’examen par résonance magnétique et le long délai depuis l’accident. Étant donné ces éléments, le flexum noté à 10 en actif se devait d’être estimé de façon passive. Or, à ce titre, il est absent.

 

[88]      Par ailleurs, rappelons qu’à la période contemporaine de la récidive, rechute ou aggravation alléguée, les docteurs Lavigne et Beaudoin ont des examens essentiellement superposables à celui du docteur Legendre. Il y a allégation de douleur mais aucun signe franc de lésion. Il n’y a donc pas de changement significatif objectif de l’état du genou droit de la travailleuse

 

[89]      Par la suite, la travailleuse sera examinée à plusieurs reprises. La Commission des lésions professionnelles note plusieurs inconsistances lors de ces examens. Il est difficile d’en tirer une conclusion prépondérante d’un changement significatif du tableau clinique de la travailleuse.

 

[90]      Notamment, la Commission des lésions professionnelles constate que, même s’il s’agit du même site de lésion au sens large, le genou droit, les diagnostics et examens diffèrent selon les propres médecins de la travailleuse, à la suite de la récidive, rechute ou aggravation.

 

[91]      En effet, pour le docteur Caron, il s’agit d’une récidive, rechute ou aggravation de l’entorse du genou. Pour le docteur Lincoln, il s’agit d’une tendinite rotulienne avec syndrome rotulien, diagnostic que ne retiendra toutefois pas ultimement le docteur Tremblay, ce dernier indiquant spécifiquement qu’il n’y a pas de craquement. Le docteur Tremblay maintiendra le diagnostic d’entorse, et ce, même à l’audience. Sa théorie est plutôt que la douleur qu’a occasionné l’entorse a entrainé un flexum qui lui-même entraîne un déficit anatomo-physiologique et des limitations fonctionnelles.

 

[92]      La Commission des lésions professionnelles, pour déterminer la survenance d’une récidive, rechute ou aggravation, se doit d’examiner l’ensemble des faits prouvés.

 

[93]      L’opinion du docteur Tremblay laisse perplexe à plusieurs égards. D’abord, sa revue du dossier est brève ainsi que son examen, qui ne contient d’ailleurs aucun test croisé, ce qui étonne dans un contexte où une simple[9] entorse du genou perdure si longtemps. Aussi, lors de son examen, il note la présence d’une douleur « intense » au niveau du retinaculum interne de la rotule. Or, dans son expertise, il ne propose rien, sauf « peut-être le port d’une orthèse compressive élastique ». Toutefois, peu de temps après, il demande un nouvel examen par résonance magnétique avec des renseignements cliniques précis. Il est difficile de comprendre pourquoi cette demande d’investigation n’a pas été expliquée alors qu’une expertise est faite dans le but d’apporter des explications. Quoiqu’il en soit, le docteur Tremblay maintiendra son opinion.

 

[94]      À partir de touts ces constats, à savoir : que la lésion professionnelle est une simple entorse, sans coup direct au genou, sans atteinte méniscale ou ligamentaire, consolidée par le médecin orthopédiste qui a charge sans déficit anatomo-physiologique ni limitations fonctionnelles; que le retour au travail n’a été que de quelques heures; que les différents examens faits par les médecins de la travailleuse sont inconsistants et ne peuvent permettre de conclure à un changement objectif de l’état du genou de la travailleuse; que des déclarations faites à l’agente d’indemnisation démontrent son intention ferme de se faire reconnaître une récidive, rechute ou aggravation, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que les faits prouvés ne démontrent pas qu’il y a eu une récidive, rechute ou aggravation le 24 avril 2006.

 

[95]      Quant à la condition psychologique de la travailleuse, la preuve est insuffisante pour établir un lien de causalité, surtout dans le contexte où la Commission des lésions professionnelles conclut à l’absence d’une lésion professionnelle après le 8 mars 2006. Les éléments psychiques rapportés quelque mois plus tard ne peuvent être reliés à la survenance d’une entorse du genou droit le 8 août 2005. 

 

 

[55]        L’opinion des deux médecins experts ayant témoigné est rapportée.  De plus, les examens contemporains ont été examinés et analysés aux paragraphes 88 à 91 de la décision.

[56]        La décision n’est entachée d’aucune erreur manifeste. Le procureur de la travailleuse aurait souhaité une autre interprétation de la preuve, mais il ne s’agit pas d’un motif de révision.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête présentée par madame Cathya Hamilton, la travailleuse.

 

 

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Anne Vaillancourt

 

 

 

 

Me André Laporte

LAPORTE & LAVALLÉE

Représentant de la partie requérante

 

 

Me Céline Servant

BÉCHARD, MORIN ET ASS.

Représentante de la partie intéressée

 



[1]          L.R.Q. c. A-3.001

[2]           Cornswarem et Commission scolaire Lac-Abitibi, CLP 291308-08-0606-R, 22 juillet 2008, L. Nadeau

[3]           (1998) C.L.P. 733

[4]           (1998) C.L.P. 783

[5]           (2003) C.L.P. 601 (CA)

[6]           CSST et Fontaine et CLP, (2005) C.L.P. 626 (CA)

[7]           (2009) C.L.P.180

[8]           Gendron et Entreprise Harry Taylor ltée (fermée) C.L.P. 149861-08-0011, 25 février 2004, P. Simard; Thiffault et CLP et CSST, (2000) C.L.P. 814 .

[9]           Ce terme est utilisé pour faire référence au fait qu’il n’y a aucune atteinte d’une structure ligamentaire ou méniscale.

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