DÉCISION
[1] Le 13 janvier 2000, monsieur Antonio Pietrangelo (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête en vertu de l'article 429.56 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) à l'encontre d'une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 31 mars 1999.
[2] Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles rejette la contestation du travailleur, maintient la décision rendue par l'instance de la révision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 11 novembre 1998 et déclare que la réclamation pour rechute, récidive ou aggravation est irrecevable parce que faite en dehors du délai prévu aux articles 270 et 271 de la loi sans qu’un motif raisonnable ne permette de prolonger le délai.
[3] À l'audience tenue devant la Commission des lésions professionnelles, le travailleur était présent et représenté. L'employeur n'était ni présent ni représenté. La CSST, bien qu’étant partie intervenante a fait savoir qu’elle ne serait pas présente à l'audience et ne s'objectait pas à la présente requête.
L'OBJET DE LA REQUÊTE
[4] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de réviser la décision qu'elle a rendue le 31 mars 1999 parce qu’il a découvert un fait nouveau, qui, s'il avait été connu au moment de la décision initiale, aurait pu justifier une conclusion différente.
[5] Pour des fins de compréhension, il importe de revenir sur la chronologie des événements.
[6] Il s'agit d’une deuxième requête en révision à l’encontre d’une même décision. En effet, le 21 avril 1999, le travailleur présentait à la Commission des lésions professionnelles une requête en révision en vertu du troisième alinéa de l'article 429.56 en invoquant alors que la décision de la Commission des lésions professionnelles du 31 mars 1999 était entachée d'un «vice de fond ou de procédure de nature à l'invalider».
[7] Le 5 octobre 1999, la Commission des lésions professionnelles rejetait la requête présentée par le travailleur au motif qu'aucun «vice de fond ou de procédure de nature à invalider la décision» n'avait été démontré.
[8] Le 27 octobre 1999, le travailleur présentait une requête en révision judiciaire à l'encontre de la décision de la Commission des lésions professionnelles du 5 octobre 1999.
[9] Juste avant la date de l’audience en Cour supérieure prévue le 23 décembre 1999, le représentant de la CSST a déposé une attestation médicale datée du 12 décembre 1994 qui ne figurait pas au dossier et qui n'était connue ni du travailleur ni de son représentant. Cette attestation médicale n'avait jamais été déposée et versée au dossier de la Commission des lésions professionnelles. Suite au dépôt de ce nouveau document, l’audience à la Cour supérieure a été suspendue.
[10] Le représentant du travailleur invoque maintenant dans cette deuxième requête en révision, que cette attestation médicale constitue un fait nouveau déterminant qui n'était pas connu de la Commission des lésions professionnelles au moment de rendre sa décision initiale et que ce fait s'il avait été connu, aurait pu justifier une décision différente. Dans sa décision du 31 mars 1999, la Commission des lésions professionnelles déclarait que le formulaire de réclamation de rechute complété par le travailleur en 1996 était hors délai, puisque le travailleur référait à la date de prise en charge par le docteur Giroux le 14 décembre 1994 et que c'est à compter de cette date que le travailleur aurait dû présenter sa réclamation.
[11] En effet dans sa décision du 31 mars 1999 la Commission des lésions professionnelles écrivait à la page 9 que c'est «à compter du moment où l'instabilité lombaire est diagnostiquée que le travailleur devait loger sa réclamation et non pas uniquement à compter du 12 février 1996».
[12] La découverte d'une attestation médicale «CSST» complétée par le docteur Giroux le 12 décembre 1994 posant un diagnostic de listhésis L4-L5 avec compression L5 droite, constitue un fait nouveau. Ce rapport médical n'était pas au dossier de la Commission des lésions professionnelles lorsqu'elle a entendu la contestation du travailleur et rendu sa décision le 31 mars 1999. Non plus, lors de la requête en révision présentée en septembre 1999, ce rapport médical n'était pas au dossier de la Commission des lésions professionnelles. Ce n'est qu’au moment de la révision judiciaire à la Cour supérieure que le travailleur et son représentant ont pris connaissance de ce rapport, lorsque la CSST, intervenant pour la première fois dans ce recours, l’a déposé au dossier.
[13] Suite à la découverte de ce nouveau rapport, le représentant du travailleur a choisi de présenter à nouveau une requête en révision mais demandant cette fois à la Commission des lésions professionnelles de réviser la décision du 31 mars parce qu’elle a été rendue avant qu'un fait nouveau ne soit connu en temps utile.
[14] Le travailleur demande donc à la Commission des lésions professionnelles de réviser la décision rendue le 31 mars et de déclarer que la réclamation du travailleur n'était donc pas hors délai.
[15] Au soutien de sa demande, le représentant du travailleur dépose une décision de la Cour supérieure dans l'affaire Galipeau c. Bureau de révision paritaire et la CSST [2] dans laquelle la Cour supérieure a déclaré:
«Il n'y a aucune preuve au dossier qu'un travailleur doive remplir un formulaire lorsqu'il prétend une aggravation de son état, même si cette aggravation constitue une lésion professionnelle. Comme le dit l'intimé Guénette dans sa dissidence, un tel formulaire vise à faciliter le traitement des dossiers. Le travailleur donne ainsi à la CSST tous les renseignements dont elle a besoin pour traiter son cas. Mais, lorsque le dossier est déjà ouvert, elle a déjà par définition tous les renseignements requis et, dans notre cas, le dossier du requérant est ouvert depuis 1949. La CSST n'avait besoin pour traiter de cette nouvelle demande, que de renseignements additionnels sur la condition physique du requérant depuis la date de son dernier examen médical en 1979.»
[16] Il soumet également de la jurisprudence de la Commission d'appel et de la Commission des lésions professionnelles au même effet.
L'AVIS DES MEMBRES
[17] Le membre issu des associations syndicales et le membre issu des associations d'employeurs sont tous deux d'avis qu'il y a lieu d’accueillir la requête en révision. En effet, le travailleur a démontré que le rapport médical daté du 12 décembre 1994 n'avait jamais été déposé au dossier de la Commission des lésions professionnelles et qu'il s'agit d'un fait qui existait mais n'était pas connu au moment où la Commission des lésions professionnelles a rendu sa décision le 31 mars 1999. Ce fait est déterminant et est de nature à changer la décision rendue initialement. Il y a donc lieu d'accueillir la requête en révision, de réviser la décision rendue le 31 mars et de déclarer recevable la réclamation du travailleur.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[18] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le travailleur a démontré un motif permettant de réviser la décision rendue le 31 mars 1999.
[19] En l’espèce, le travailleur invoque le premier alinéa de l'article 429.56 qui se lit comme suit:
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
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1997, c. 27, a. 24.
[20] Il importe également de rappeler le caractère final et sans appel des décisions rendues par la Commission des lésions professionnelles. En effet le troisième alinéa de l'article 429.49 de la loi stipule clairement ce qu’il en est:
429.49. Le commissaire rend seul la décision de la Commission des lésions professionnelles dans chacune de ses divisions.
Lorsqu'une affaire est entendue par plus d'un commissaire, la décision est prise à la majorité des commissaires qui l'ont entendue.
La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.
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1997, c. 27, a. 24.
[21] Le premier paragraphe de l'article 429.56 de la loi prévoit qu'une décision peut être révisée lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente. Il convient de voir dans un premier temps l’interprétation qui a été faite de cette situation.
[22] Dans la décision Beauregard et Aliments Guildar inc. et Somme Lévis & Associés inc. (syndic) et CSST [3] la Commission des lésions professionnelles a interprété le premier alinéa de l'article 429.56 comme suit:
«L'ancien article 24 de la Loi sur la Commission des affaires sociales, L.R.Q., C.C.-34 (article abrogé par l'article 184 de la Loi sur l'application de la loi sur la justice administrative), article comparable à l'article 429.56 de la loi, renferme une disposition identique au paragraphe 1 de l'article 429.56. Concernant cette question de découverte d'un fait nouveau, la jurisprudence de la Commission des affaires sociales a établi qu'un requérant doit établir de façon prépondérante les trois critères suivants:
· la découverte postérieure d'un fait nouveau;
· la non disponibilité de cet élément au moment où s'est tenue l'audition initiale;
· le caractère déterminant qu'aurait eu cet élément sur le sort du litige, s'il eût été connu en temps utile.
Chacun de ces trois critères doit être rencontré pour satisfaire aux exigences de cette disposition.»
[23] Après appréciation de toutes les circonstances de la présente affaire, la Commission des lésions professionnelles est d'avis que le travailleur a démontré un fait nouveau au sens du premier paragraphe de l'article 429.56 de la loi et qu'il y a lieu de réviser la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 31 mars 1999 pour les motifs qui suivent.
[24] Il appert de la preuve que le rapport médical daté du 12 décembre 1994 n'avait pas été versé au dossier de la Commission des lésions professionnelles et n'était connu ni du travailleur ni de son représentant. Ce document n’avait pas plus été porté à la connaissance de la Commission des lésions professionnelles lors de la décision initiale du 31 mars 1999.
[25] Ce n'est que lorsque la CSST est intervenue pour la première fois, soit lors de la requête en révision judiciaire, qu'elle a fait connaître cette pièce fort importante qui n'avait jamais été versée au dossier. Or ce rapport médical du 12 décembre 1994 change complètement l'analyse du dossier qui avait été faite lors de la précédente décision.
[26] Si le rapport du docteur Giroux de décembre 1994 avait été connu, la réclamation pour rechute faite en 1996 aurait pu, malgré tout, être considérée faite dans le délai puisque c’est justement la présence d’une attestation médicale qui peut, davantage qu’un formulaire, permettre de rouvrir un dossier dans un cas de rechute, récidive ou aggravation.
[27] La jurisprudence déposée par le représentant du travailleur à cet effet est claire. Dans l'affaire Galipeau[4] le juge Durand déclare qu'en matière de rechute, récidive ou aggravation lorsque le dossier est déjà ouvert à la CSST et que tous les renseignements ont été recueillis, celle-ci n'a pas besoin, pour traiter cette nouvelle demande, d'un formulaire de réclamation formel. Le simple fait de fournir des renseignements additionnels sur la condition physique du travailleur est suffisant pour rouvrir un dossier.
[28] Dans la décision Villeneuve et Saint-Raymond Paper[5] la Commission d'appel déclarait ce qui suit:
«Incidemment, la Commission d'appel retient aussi, que le travailleur avait déjà manifesté sa volonté de réclamer à la Commission en raison de sa surdité, par ces seuls envois de rapports médicaux et que le seul fait de ne pas avoir utilisé la formule exigée par les termes de l'article 272 de la loi peut, à la limite, être considéré comme un vice de forme ou une irrégularité qui, en vertu de l'article 353 ne doit être fatale quant à la validité de la procédure en cause, soit la réclamation du travailleur.»
[29] La Commission d’appel a décidé dans le même sens dans l'affaire CSST et Sears Canada inc. et Leunens[6] :
«Il ressort de la jurisprudence soumise par le travailleur que l'exigence d'une réclamation sur le formulaire prescrit par la Commission appartient davantage au domaine des formalités administratives.
La Cour supérieure comme la Commission d'appel elle-même s'est déjà exprimée sur cette question. Selon elle, le formulaire de réclamation dont la loi parle n'est qu'une norme administrative.»
[30] Il s'ensuit que le dépôt à la CSST d'une attestation médicale datée du 12 décembre 1994 laquelle a été déposée à la CSST en décembre 1994 faisait en sorte que le travailleur avait bel et bien présenté une réclamation à cette date et qu’il n’était donc pas en dehors du délai prévu par l'article 270 de la loi. Par conséquent, sa réclamation était donc recevable.
[31] À la lumière des critères élaborés par la jurisprudence, on peut conclure que ce fait a été découvert postérieurement, soit lors de l'audience à la Cour supérieure et que ce fait n’était pas connu, même s’il existait, au moment où la Commission des lésions professionnelles a rendu sa décision le 31 mars 1999. Il est clair aussi que ce fait, s’il avait été connu en temps utile, aurait justifié une décision différente.
POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête présentée par monsieur Antonio Pietrangelo;
RÉVISE la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 31 mars 1999;
DÉCLARE recevable la réclamation du travailleur pour la rechute du 12 décembre 1994;
CONVOQUE les parties pour qu’elles soient entendues sur le fond à savoir l’existence d’une rechute, récidive ou aggravation le 12 décembre 1994.
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Me Anne Vaillancourt |
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Commissaire |
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Me Raymond Landry 2015, rue Peel, bureau 450 Montréal (Québec) H3A 1T8 |
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Représentant de la partie requérante |
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AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.