[1.] Le 6 mai 1998, Olymel St-Simon (l’employeur) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles à l’encontre d’une décision rendue le 23 avril 1998, par le service de recours et conciliation de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), accueillant la plainte logée par monsieur Daniel Chamberland (le travailleur) en vertu de l’article 32 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q. c. A-3.001) (la Loi) et ordonnant à l’employeur de verser au travailleur ses frais de déplacement pour consulter un professionnel de la santé en date du 3 mars 1998.
OBJET DE LA CONTESTATION
[2.] L’employeur est d’avis que le travailleur n’a pas été victime d’une sanction au sens de l’article 32 de la Loi et demande à la Commission des lésions professionnelles d’infirmer la décision du conciliateur-décideur de la CSST et de conclure au rejet de la plainte logée par le travailleur.
LES FAITS
[3.] Le 3 mars 1998, le travailleur est victime d’une lésion professionnelle le rendant incapable de travailler. Il quitte son travail pour consulter un médecin. Son état de santé est tel qu’il peut se rendre lui-même chez son médecin, sans l’aide d’une autre personne. Il s’y rend avec son automobile.
[4.] Le travailleur demande à son employeur de lui rembourser les frais de transport encourus pour cette journée mais, celui-ci refuse. Il loge alors, le 4 mars, une plainte en vertu de l’article 32 de la Loi où il allègue que son employeur exerce des mesures discriminatoires ou de représailles à son égard et ce, en raison du non-respect de l’article 190 de la Loi.
[5.] Toujours le 4 mars 1998, le travailleur remplit le formulaire « Réclamation de frais » où il demande à ce que la CSST lui rembourse les frais de déplacement de St-Simon à Pierreville, soit une distance de 75 kilomètres, pour une visite médicale à son médecin traitant le 3 mars 1998.
[6.] Le 31 mars, la CSST accuse réception de la demande du travailleur et l’informe qu’elle ne peut le rembourser puisque ces frais sont à la charge de l’employeur. Le travailleur ne conteste pas cette décision.
[7.] Le 23 avril 1998, statuant sur la plainte logée par le travailleur le conciliateur-décideur lui donne raison pour le motif suivant :
Le soussigné est d’avis que l’obligation de l’employeur de rembourser les frais de transport pour faire transporter un travailleur dans un établissement de santé ou chez un professionnel de la santé ne se limite pas seulement aux cas où le travailleur a besoin d’assistance pour s’y rendre. Lorsqu’un travailleur doit consulter un professionnel de la santé, il a droit au remboursement de ses frais de déplacement et l’article 190 de la LATMP donne l’obligation à l’employeur de rembourser ces frais de la première visite médicale s’il quitte l’usine pour s’y rendre. Ces frais sont remboursés par la CSST pour les visites médicales subséquentes. Quant au choix du moyen de transport, il appartient à l’employeur de choisir le moyen que requiert l’état du travailleur, ce qui n’exclut pas son automobile personnelle si l’employeur décide que c’est le moyen approprié à son état de santé.
[8.] Le 6 mai 1998, l’employeur conteste la décision datée du 23 avril 1998, soit celle qui est l’objet du présent litige.
[9.] À l’audience tenue devant la Commission des lésions professionnelles, les parties admettent qu’il n’y a pas de litige lorsqu’un travailleur de l’entreprise requiert de l’aide à se faire transporter. À ce moment-là, l’employeur accepte de rembourser les frais encourus pour un tel déplacement. Par contre, il refuse de rembourser le travailleur puisqu’il a utilisé son automobile. Donc, ne requérant pas d’aide à se faire transporter, il n’aurait pas droit à être remboursé.
AVIS DES MEMBRES
[10.] Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis que ce n’est que lorsqu’un travailleur doit se faire transporter que la personne qui en a assumé les coûts s’en voit rembourser le montant défrayé par l’employeur. Si, comme dans la présente affaire, un travailleur utilise son automobile, il n’a pas droit au remboursement de son transport puisqu’il ne s’est pas fait transporter et ce, d’autant plus que son état ne le requerrait pas. La plainte du travailleur devrait donc être rejetée.
[11.] La membre issue des associations syndicales est d’avis que dès qu’un travailleur se voit remettre une attestation médicale initiale prouvant son état de santé, il a droit au remboursement de ses frais de transport de l’établissement de l’employeur à l’établissement de santé. Comme c’est le cas du travailleur, sa plainte envers son employeur serait bien fondée.
MOTIFS DE LA DÉCISION
[12.] La Commission des lésions professionnelles doit décider si l’employeur a exercé des mesures discriminatoires ou de représailles envers le travailleur ou lui a imposé une sanction parce qu’il a été victime d’une lésion professionnelle en refusant de lui rembourser les frais de transport encourus lors de la journée du 3 mars 1998.
[13.] La Loi accorde une protection particulière au travailleur victime d’une lésion professionnelle qui croit avoir été l’objet d’une sanction en raison de sa lésion professionnelle ou encore en raison de l’exercice d’un droit que lui confère la Loi.
[14.] Ainsi, les dispositions de l’article 32 de la Loi se lisent comme suit :
32. L’employeur ne peut congédier, suspendre ou déplacer un travailleur, exercer à son endroit des mesures discriminatoires ou de représailles ou lui imposer toute autre sanction parce qu’il a été victime d’une lésion professionnelle ou à cause de l’exercice d’un droit que lui confère la présente loi.
Le travailleur qui croit avoir été l’objet d’une sanction ou d’une mesure visée dans le premier alinéa peut, à son choix, recourir à la procédure de griefs prévue par la convention collective qui lui est applicable ou soumettre une plainte à la Commission conformément à l’article 253.
[15.] Dans le but de faciliter la tâche au travailleur, le législateur a édicté, par son article 255, une présomption en sa faveur :
255. S’il est établi à la satisfaction de la Commission que le travailleur a été l’objet d’une sanction ou d’une mesure visée dans l’article 32 dans les six mois de la date où il a été victime d’une lésion professionnelle ou de la date où il a exercé un droit que lui confère la présente loi, il y a présomption en faveur du travailleur que la sanction lui a été imposée ou que la mesure a été prise contre lui parce qu’il a été victime d’une lésion professionnelle ou à cause de l’exercice de ce droit.
Dans ce cas, il incombe à l’employeur de prouver qu’il a pris cette sanction ou cette mesure à l’égard du travailleur pour une autre cause juste et suffisante.
[16.] En bénéficiant de cette présomption, le travailleur n’a pas à démontrer que la sanction lui a été imposée en raison d’une lésion professionnelle ou en raison de l’exercice d’un droit que lui confère la Loi. Ce sera plutôt à l’employeur de prouver qu’il a pris cette sanction pour une autre cause juste et suffisante.
[17.] Par contre, avant de pouvoir procéder à l’application de la présomption, le travailleur doit préalablement démontrer qu’il rencontre les conditions d’ouverture au recours de l’article 32 de la Loi qui sont :
· être un travailleur au sens de la Loi;
· ne pas avoir eu recours à la procédure de griefs prévue à la convention collective qui lui est applicable; et
· soumettre une plainte conformément à l’article 253 de la Loi.
[18.] Dans le cas qui nous occupe, monsieur Chamberland remplit ces trois conditions puisqu’il est un travailleur au sens de la Loi; il n’a pas eu recours à la procédure de griefs pour régler son litige et il a soumis sa plainte conformément à l’article 253 de la Loi, à savoir qu’il l’a faite par écrit dans les 30 jours de la connaissance de l’acte, de la sanction ou de la mesure dont il se plaint.
[19.] Remplissant ces conditions, il y a lieu alors de déterminer s’il peut bénéficier de la présomption prévue à l’article 255 de la Loi. Pour ce, il doit en prouver les éléments constitutifs soit :
· démontrer qu’il a été l’objet d’une sanction ou d’une mesure visée dans l’article 32 de la Loi ;
· qu’il a été victime d’une lésion professionnelle ou qu’il a exercé un droit que lui confère la Loi ; et
· que la mesure prise à son égard l’a été dans les 6 mois de la date de la lésion ou de l’exercice d’un droit.
[20.] Ainsi, le travailleur doit d’abord établir qu’il a été l’objet d’une sanction ou d’une mesure visée dans l’article 32 de la Loi soit un congédiement, une suspension ou un déplacement, une mesure discriminatoire ou de représailles ou toute autre sanction.
[21.] En l’espèce, le travailleur n’invoque pas avoir été victime d’un congédiement, d’une suspension ou d’un déplacement ; c’est plutôt d’avoir été l’objet d’une mesure discriminatoire ou de représailles ou d’une sanction qu’il se plaint.
[22.] La situation, ici, est toutefois plus complexe puisqu’elle implique de référer à une disposition spécifique de la Loi pour décider en quoi la position adoptée par l’employeur contrevient ou non à l’article de Loi en cause et conclure ensuite à l’imposition d’une sanction, d’une mesure discriminatoire ou de représailles.
[23.] Donc, dépendant de l’interprétation que la Commission des lésions professionnelles donnera à l’article 190 de la Loi et à la situation du travailleur, elle devra conclure ou non à la présence d’une sanction, d’une mesure discriminatoire ou de représailles.
[24.] L’article 190 de la Loi se lit comme suit :
190. L'employeur doit immédiatement donner les premiers secours à un travailleur victime d'une lésion professionnelle dans son établissement et, s'il y a lieu, le faire transporter dans un établissement de santé, chez un professionnel de la santé ou à la résidence du travailleur, selon que le requiert son état.
Les frais de transport de ce travailleur sont assumés par son employeur qui les rembourse, le cas échéant, à la personne qui les a défrayés. (…)
[25.] Cet article vise les premiers secours à apporter à un travailleur et prévoit comme première obligation pour l’employeur de les assumer immédiatement sur les lieux du travail. La deuxième obligation de l’employeur est de faire transporter le travailleur, s’il y a lieu, dans un établissement de santé, chez un professionnel de la santé ou à sa résidence, selon que le requiert son état et ce n’est que dans un tel cas, qu’il en assume les coûts ou les rembourse à la personne qui les a défrayés.
[26.] La Commission des lésions professionnelles est d’avis que cela ne vise nullement le cas du travailleur, puisque les mots « s’il y a lieu » et « selon que le requiert son état » perdrait alors toute signification.
[27.] Ce n’est que lorsque l’état d’un travailleur le requiert, qu’un l’employeur doit le faire transporter dans un établissement de santé, chez un professionnel de la santé ou à sa résidence. Dans le cas contraire, à savoir, si l’état d’un travailleur ne le requiert pas, l’employeur n’assume aucune obligation de le faire transporter avec comme corollaire aussi aucune obligation de lui rembourser les coûts encourus pour un tel déplacement.
[28.] Il est admis par les parties que lorsqu’un travailleur requiert de l’aide pour ses déplacements, l’employeur le fait transporter. Il respecte donc ses deux obligations et il doit alors assumer les frais de transport de ce travailleur ou rembourser la personne qui les a défrayés.
[29.] Ici, ce qui est mis en preuve, c’est que le travailleur ne requerrait pas d’aide à se déplacer, qu’il était capable d’aller seul consulter un médecin. Donc, l’employeur n’a aucune obligation de le faire transporter dans un établissement de santé, chez un professionnel de la santé ou à sa résidence puisque son état ne le requerrait pas. Le travailleur pouvait très bien utiliser son automobile, tel qu’il l’a fait, mais, à ce moment, c’est à la CSST à rembourser les frais engagés pour ce déplacement et ce, tel que le prévoit l’article 115 de la Loi et le Règlement sur les frais de déplacement et de séjour, A-3.001, r. 0.4.1, 93-06-07, G.O., p.4257. Certes, ici, la CSST a refusé de le faire et a rendu une décision à cet effet. Malheureusement, le travailleur n’a pas contesté cette décision. La Commission des lésions professionnelles ne peut donc ordonner à la CSST de le rembourser pour ce frais de déplacement.
[30.] Au surplus, si la Commission des lésions professionnelles retenait plutôt l’interprétation de la représentante du travailleur voulant que ce soit à l’employeur de rembourser le travailleur pour les frais de déplacement occasionnés par l’utilisation de son automobile lors de la journée du 3 mars 1998, on se demande bien sur quelle base il le ferait puisque l’article 190 de la Loi ne prévoit aucune norme contrairement à l’article 115 de la Loi où le règlement prévoit les montants payables à savoir 0,340$ par kilomètre lorsque la CSST autorise le travailleur à utiliser son véhicule automobile ou 0,125$ s’il n’est pas autorisé.
[31.] Ainsi, en raison de l’interprétation donnée à l’article 190 de la Loi, la Commission des lésions professionnelles conclut que l’employeur ne contrevient pas à l’article 190 de la Loi. N’ayant pas à rembourser le travailleur des frais encourus pour son déplacement chez un professionnel de la santé, puisque son état ne nécessitait pas qu’il se fasse transporter, il en résulte que l’employeur n’a pas imposé de sanction au travailleur.
[32.] Par ailleurs, la décision de l’employeur de ne pas rembourser le travailleur pour ses frais de transport de la journée du 3 mars 1998 ne constitue pas non plus une mesure de représailles envers lui puisque rien ne permet de croire qu’elle visait à riposter à l’absence du travailleur en raison de sa lésion professionnelle.
[33.] Il ne s’agit pas plus d’une mesure discriminatoire puisque l’employeur n’a pas privé le travailleur de certains droits accordés aux autres travailleurs de l’entreprise. Il n’a pas remboursé le travailleur de ses frais de transport tout comme il le fait toujours dans les cas des travailleurs qui ne requiert pas de l’aide à se faire transporter dans un établissement de la santé, chez un professionnel de la santé ou à leur résidence.
[34.] Il est vrai que dans les cas où un travailleur doit se faire transporter, en raison de son état, il assume les frais de transport et les rembourse à la personne qui les a défrayés. Cependant, il ne faut pas prendre en considération le traitement accordé à des groupes différents aux fins de déterminer si un travailleur a été victime d’une mesure discriminatoire. Le travailleur ne peut être traité comme si son état requérait qu’il doive se faire transporter.
[35.] N’ayant pu établir qu’il a été victime d’une sanction ou d’une mesure visée par l’article 32, le travailleur ne peut bénéficier de la présomption prévue à l’article 255 de la Loi et du même fait le litige est résolu puisqu’il est évident qu’il ne peut davantage s’agir d’une mesure prohibée par l’article 32 en raison d’une lésion professionnelle ou de l’exercice d’un droit conféré par la Loi.
[36.] POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la contestation de l’employeur, Olymel St-Simon ;
INFIRME la décision rendue le 23 avril 1998 par le conciliateur-décideur de la CSST ;
REJETTE la plainte déposée par monsieur Daniel Chamberland en vertu de l’article 32 de la Loi ;
DÉCLARE que l’employeur n’a pas exercé des mesures discriminatoires ou de représailles envers le travailleur ou lui a imposé une sanction parce qu’il a été victime d’une lésion professionnelle en refusant de lui rembourser les frais de transport encourus lors de la journée du 3 mars 1998.
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Commissaire |
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(Me André Johnson) 1150, rue de Claire-Fontaine Bureau 300 Québec (Québec) G1R 5G4
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Représentant de la partie requérante |
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CSN(Mme Josée Vanasse) 5110, Boul. Cousineau, Bureau 200 St-Hubert (Québec) J3Y 7G5 |
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Représentant de la partie intéressée |
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AVIS :
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