Bowater Pâtes et Papiers (Gatineau) et Chartrand |
2010 QCCLP 6497 |
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DÉCISION ______________________________________________________________________
[1] Le 19 septembre 2007, Bowater Pâtes et Papiers (Gatineau) (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 4 septembre 2007 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 1er mai 2007 et déclare que monsieur Yves Chartrand (le travailleur) a subi une lésion professionnelle en raison du syndrome du canal carpien bilatéral dont il souffre.
[3] L’audience s’est tenue le 16 décembre 2009 à Gatineau en présence du travailleur et de son représentant. L’employeur y est aussi représenté et monsieur Claude Hétu, planificateur chez l’employeur, est également présent. L’audience est ajournée à une date ultérieure et entre-temps la Commission des lésions professionnelles rend une décision sur une question préalable présentée par l’employeur et déclare que la réclamation du travailleur est recevable.
[4] L’enquête se poursuit donc le 14 juillet 2010 en présence des parties et de leur représentant et la cause est mise en délibéré à cette date.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[5] L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que le travailleur n’a pas subi une lésion professionnelle en raison du syndrome du canal carpien bilatéral dont il souffre.
LES FAITS
[6] Le travailleur est électricien chez l’employeur depuis 1979. De 1986 à 1998, il a travaillé à l’atelier des moteurs, de 1998 à 2003, il occupait le poste d’électricien de construction et de 2003 à 2008, celui d’électricien d’entretien.
[7] Il présente une réclamation pour une maladie professionnelle qui est reçue par la CSST le 27 décembre 2006. Il décrit l’apparition du syndrome du canal carpien bilatéral dont il souffre de la façon suivante :
Depuis environ 5 ans, lors de travail répétitif j’ai commencé à avoir les doigts engourdis la nuit. Et cela s’est aggravé de mois en mois et depuis 1 an environ à certaines occasions, j’ai les mêmes symptômes le jour.
[8] Le 4 juillet 2002, le travailleur passe une électromyographie qui démontre un syndrome du canal carpien bilatéral plus marqué à droite qu’à gauche.
[9] Le 18 décembre 2006, la docteure Tracey Thompson, chirurgienne plasticienne, remplit le Rapport médical. Elle diagnostique un syndrome du canal carpien bilatéral et prévoit une intervention chirurgicale qu’elle fait le 30 janvier 2007 alors qu’elle procède à une décompression ouverte du nerf médian droit.
[10] Le travailleur est en arrêt de travail à compter du 18 décembre 2006. L’assignation temporaire est autorisée par la suite et le travailleur reprend son travail habituel le 12 mars 2007.
[11] Le 25 janvier 2007, la CSST reçoit l’Annexe à la réclamation du travailleur - Maladie professionnelle - Mouvements répétitifs. Le travailleur écrit qu’il est attitré à l’éclairage, qu’il fait l’installation de nouvel équipement électrique et de la réparation de moteur. Il ajoute qu’il travaille constamment avec son poignet et son avant-bras droit. Les outils utilisés sont des tournevis, pince, clé et des outils électriques pendant, dit-il, six heures par jour alors qu’il décrit faire des mouvements à répétition et des mouvements rotatifs du poignet et de l’avant-bras droits.
[12] Le 23 avril 2007, le docteur Raymond Dion, médecin régional auprès de la CSST, écrit dans sa note d’intervention ce qui suit :
Suite à ma note du 19 fév 07, j’ai révisé les informations au dossier et j’estime que le travail d’électricien comme décrit présente des facteurs de risque pour un tunnel carpien bilatéral, et ce aux motifs suivants :
- la longue durée (27 ans) à cet emploi
- travail manuel impliquant des activités avec les poignets en extension, flexion ou déviation, activités de préhension d’outils avec traction ou rotation des poignets, application de pression sur la paume des mains (tournevis, pinces, clés, etc.)
- utilisation d’outils vibrants (scies électriques et drill, notamment à percussion)
Même si le travail décrit n’est pas strictement répétitif, les différentes activités impliquent les facteurs de risques énumérés ci-haut la vaste majorité du temps travaillé.
La relation est acceptable entre le travail d’électricien décrit et le syndrome du tunnel carpien bilatéral.
[13] Le 1er mai 2007, la CSST accepte la réclamation du travailleur pour une maladie professionnelle. Cette décision est maintenue à la suite d’une révision administrative le 4 septembre 2007, d’où la présente contestation.
[14] Le 30 mai 2007, la docteure Thompson remplit le Rapport final. Elle maintient le diagnostic de syndrome du canal carpien bilatéral et estime que la lésion professionnelle n’entraîne ni atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique ni limitations fonctionnelles.
[15] Le 11 juin 2007, le travailleur revoit la docteure Thompson qui note qu’il n’y a aucune indication à faire une décompression du nerf médian gauche étant donné que le travailleur ne rapporte pas d’engourdissement au niveau de la main gauche.
[16] Le 25 novembre 2007, le travailleur est évalué par le docteur Éric Renaud, chirurgien orthopédiste, à la demande de l’employeur. Il écrit dans son rapport d’expertise médicale que le travailleur ne décrit aucune paresthésie au niveau de la main gauche et qu’il n’a jamais présenté de symptômes significatifs malgré le résultat de l’électromyographie.
[17] Le 31 mars 2009, monsieur François Taillefer, ergonome, produit une opinion sur le poste d’électricien et les risques de développer un syndrome du canal carpien à la demande de l’employeur.
[18] Cette opinion est basée sur le vidéo numérique du poste de travail que le tribunal a visionné à l’audience. Les postes de travail ont été filmés le 11 mars 2009 en compagnie de monsieur Hétu et du travailleur qui y a participé.
[19] L’opinion du monsieur Taillefer réfère aussi à l’analyse des tâches fonctionnelles associées au poste d’électricien déposée en preuve et à de la littérature scientifique sur le syndrome du tunnel carpien citée en annexe de son opinion écrite.
[20] Dans cette analyse, les tâches que le travailleur ne fait plus aujourd’hui sont aussi étudiées et il y en ressort que les tâches principales du travailleur à l’atelier des moteurs sont les suivantes :
- Désassembler un moteur (30 minutes)
- Changer les roulements du moteur (30 minutes)
- Réassembler le moteur (30 minutes)
- Nettoyer les moteurs (10 minutes)
- Peindre le moteur (30 minutes)
[21] Les tâches principales au poste d’électricien de construction sont les suivantes :
- Installer un éclairage (2 heures)
- Passer un câble (60 minutes)
- Installer une boîte électrique (60 minutes)
- Installer une prise électrique (30 minutes)
- Troubleshooting lors des arrêts (durée variable - minimum 60 minutes)
[22] Les tâches principales au poste d’électricien d’entretien sont les suivantes :
- Inspection visuelle de la machine avec l’aide d’un check liste (20 minutes)
- Préparer ses outils et tout le nécessaire pour le changement d’éclairage (30 minutes)
- Changer un éclairage défectueux (10 minutes)
- Se préparer pour changer un ballast (10 minutes)
- Changer un ballast (30 minutes)
- Ranger ses outils (15 minutes)
- Se préparer à changer les brosses d’un moteur (15 minutes)
- Changer les brosses du moteur (30 minutes)
[23] Les outils utilisés pour ces tâches sont, entre autres, une clé à cliquet, une clé à chocs, un tournevis, un marteau, un punch, une pince, un puller, une buse à air, une perceuse à percussion, une scie à fer, un couteau, un testeur et du papier de verre.
[24] Il ressort de l’opinion et du témoignage de monsieur Taillefer que :
- Une personne sur cinq souffre d’un syndrome du canal carpien;
- De 35 à 80 % des cas de syndrome du canal carpien sont sans cause identifiable;
- Parmi les facteurs de risques prédisposant au développement d’un syndrome du canal carpien, il y a le sexe féminin, l’âge jusqu’à 54 ans, l’hérédité, la dominance, la morphométrie du canal carpien, l’obésité, le diabète, l’arthrite rhumatoïde, la femme enceinte, l’état d’entraînement physique et l’usage de contraceptif;
- Les facteurs de risques de développer un syndrome du canal carpien relié à l’emploi sont de 13 %.
[25] Selon la littérature étudiée par l’IRSST et rapportée dans l’opinion écrite de monsieur Taillefer, les divers mouvements et postures les plus fréquemment associés à l’apparition d’un syndrome du canal carpien sont les suivants :
- Activité avec le poignet en extension ou en flexion;
- Déviation radiale ou cubitale répétée ou continue;
- Mouvements répétés avec un ou plusieurs doigts;
- Préhension répétée d’objets avec pince digitale;
- Préhension d’objets avec traction répétée ou rotation du poignet;
- Préhension pleine main;
- Gestes de cisaillement;
- Application d’une pression directe;
- Utilisation d’outils vibrant - percussion;
- Membre supérieur en flexion ou en abduction.
[26] Il y existe des cofacteurs de risques soit, entre autres, la force, la répétition, le froid, etc., et le syndrome du canal carpien ne peut être dû à une seule cause, mais provient de causes multifactorielles.
[27] Monsieur Taillefer analyse le poste d’électricien chez l’employeur qui comporte cinq grandes fonctions soit : la préparation, l’entretien préventif, l’électricien de quart, l’atelier des moteurs et l’électricien de construction. L’atelier des moteurs n’existe plus, mais les tâches ont été reproduites afin d’évaluer les gestes et postures nécessaires à ces tâches.
[28] Selon l’observation faite par monsieur Taillefer, les tâches de préparation et de rangement des outils, les déplacements et les pauses d’un électricien durent 4,5 à 5 heures par quart de travail, soit entre 56,5 % et 62,5 % du temps de travail. Donc, le travail effectif d’un électricien dure entre 3 et 3,5 heures au maximum, soit entre 35,5 % et 43,75 % et aucune cadence n’est imposée.
[29] La force déployée pour lever, transporter, tirer ou pousser un outil ou une pièce d’équipement est généralement inférieure à 4,4 kg et cela dans moins du tiers du temps de travail. Le travailleur manipule rarement une clé à chocs d’un poids de 5,4 à 8,4 kg.
[30] Le nombre et le temps de déplacement sont de deux à trois heures par quart de travail de huit heures. Les diverses tâches sont exécutées avec les mains sous la hauteur des épaules.
[31] Le travailleur manipule des tournevis, pinces, marteau, barre de fer comme bras de levier, couteau, clés à cliquet de diverses grosseurs. Les observations des tâches fonctionnelles rapportent que les poignets sont alignés avec les avant-bras ou en légère flexion afin de pouvoir forcer sur l’outil (prise en force) lors de l’ensemble de l’exécution de la tâche. Il n’y a pas de travail continu sur une période prolongée et les courtes périodes de sollicitation des poignets sont entrecoupées par de grandes périodes de repos physique faisant place au travail cognitif de résolution de problème et au déplacement dans l’usine.
[32] Lors de l’utilisation des clés à percussion pour sortir les roulements du moteur (3 minutes maximum 3 fois par jour, soit 9 min) et de la perceuse à béton pour installer un luminaire (6 trous maximum, 1 min/trou, 3 fois maximum par jour, soit 18 min) ou une boîte électrique (4 trous, 1min/trou, soit 4 min), un travailleur affecté à ces tâches serait soumis à de la vibration durant un maximum de 18 minutes par jour de façon non consécutive.
[33] Concernant les facteurs de risques pour un électricien de développer un syndrome du canal carpien chez l’employeur, monsieur Taillefer écrit que :
On remarque dans les postures effectuées durant le cycle de travail pour le poste d’électricien, que les poignets sont généralement en position neutre correspondant à une angulation de 0 à 25 degrés selon les critères de l’étude de Moore et Garg (1994) et très rarement en posture non neutre de 25 à 45 degrés et extrême à plus de 45 degrés.
La force déployée pour manipuler les outils et les pièces d’équipement est classée selon Sylverstein (1987) à la limite de faible et n’est pas soutenue sur des périodes longues et prolongées. Il y a des périodes de repos compensatoires qui rencontrent les normes de Colombini et coll. (2001).
Les analyses des exigences physiques démontrent clairement que le travail d’électricien n’est pas un travail exigeant physiquement et que le temps de récupération physique est plus élevé que le temps de travail physique. Que les tâches d’électricien sont très variées et sont loin de solliciter constamment les poignets ou de devoir utiliser sur de longue période de temps des outils vibrants. Qu’il n’y a pas de travail continu sur une période prolongée et les courtes répétitions de travail physique sont entrecoupées par de grandes périodes de repos physique faisant place au travail cognitif de résolution de problème et au déplacement dans l’usine. Le travail s’effectue sans cadence imposée et les cycles de travail sont au-delà de 60 sec, ce qui est suffisamment long pour être classé peu répétitif selon l’étude de Sylverstein (1987).
Le travail n’est pas effectué dans un environnement froid qui pourrait contribuer, selon l’étude de Chiang et coll., (1990), à augmenter le risque de développer un tunnel carpien.
L’utilisation d’outils vibrants n’est pas effectuée de façon répétitive et vigoureuse. L’utilisation occasionnelle d’un outil vibrant, telle une clé à chocs, ne peut être associée au développement du SCC selon NIOSH et les études de Wieslander et coll. (1989).
Le temps de récupération plus qu’équivalent au temps d’effort est nettement suffisant afin de permettre aux tissus de retrouver leur état initial, selon les études de Colombini et coll. (2001). Ces temps de repos incluent les pauses statutaires (dîner, pauses) et les moments durant le cycle où les muscles, habituellement sollicités, sont inactifs. Il n’y a pas de travail nécessitant des postures statiques et le travail dynamique est entrecoupé de pauses physiologiques par un effort cognitif de résolution de problèmes afin d’analyser la façon de résoudre le problème ou d’enlever ou mettre la pièce.
[34] Le travailleur se déplaçant à bicyclette, monsieur Taillefer précise qu’il n’y a pas de posture extrême lors de l’utilisation de la bicyclette.
[35] Il ajoute que lors de l’utilisation de la pince, le travailleur utilise un gant qui crée une couche supplémentaire et minimise l’impact sur la paume de la main. S’il y a une mauvaise couture dans le sens du canal carpien, cela pourrait être un facteur de risques, mais cela n’est pas le cas en l’espèce.
[36] Pour résumer, selon lui, il n’y a pas de tâches à risques de développer un syndrome du canal carpien parce que, malgré la présence de postures à risques, il n’y a pas répétitivité ni force ni cadence imposée.
[37] Le tribunal entend ensuite monsieur Hétu qui travaille pour l’employeur depuis 31 ans, entre autres, comme planificateur de 2008 à 2010 et comme contremaître de 1996 à 2008.
[38] Monsieur Hétu dépose une liste de réparations des moteurs effectuées par le travailleur du 15 octobre 1996 au 4 février 1999. Il appert de ce document que la réparation d’un moteur prend entre 2 heures et 24 heures. Le témoin précise qu’il n’y a pas de cadence imposée.
[39] Une journée typique d’électricien de construction et d’électricien d’entretien commence vers 8 h 30 après la réunion du matin et s’établit de la façon suivante :
Horaire |
Activités |
8 h à 8 h 30 |
Réunion |
8 h 30 à 9 h 40 |
Temps de travail comprenant le déplacement à bicyclette entre le magasin, l’atelier de réparations et les bureaux ou l’usine |
9 h 40 à 10 h - 10 h 15 |
Pause du matin |
10 h 15 à 11 h 30 |
Temps de travail |
11 h 30 à 12 h 30 - 12 h 45 |
Dîner |
12 h 45 à 15 h |
Temps de travail |
15 h - 15 h 15 |
Fin de la journée de travail |
[40] De 2003 à 2007, le travailleur occupe le poste d’électricien d’entretien. Les tâches principales sont l’entretien et le changement d’éclairage ainsi que le changement de ballast. Une fois par année, il y a la réparation de la bouilloire. Le travailleur est affecté à l’inspection des moteurs et au changement des brosses, une fois par deux semaines.
[41] À l’audience, le travailleur décrit en détail et mime les gestes et les postures qu’il exécute au travail dans les trois postes occupés, soit à l’atelier des moteurs, comme électricien de construction et comme électricien d’entretien.
[42] Il énumère aussi les outils utilisés : pince, tournevis, clé à molette, clé à rochet, perceuse, perceuse à percussion, couteau, scie à fer, cisaille électrique et différents outils électriques, dont une scie électrique et un marteau à air comprimé.
[43] Le travailleur insiste sur la force constante qu’il doit utiliser lors de l’utilisation de pince, tournevis, clé à molette et précise qu’il doit souvent utiliser les deux mains. Il ajoute qu’il porte des gants la majorité du temps. Il fait aussi grand cas de la force utilisée lors de son travail à l’atelier des moteurs.
[44] Commentant le vidéo, il affirme qu’il reflète plus ou moins ce poste de travail, que souvent il devait aller aider un collègue de travail à changer un roulement à billes. Il précise qu’il ne s’agit pas du même emplacement et que l’outil à percussion n’était pas du même modèle, il exhibe l’outil utilisé alors. Cet outil est utilisé au maximum dix minutes au démontage et dix minutes au montage. Cette affirmation est confirmée par monsieur Hétu.
[45] Selon lui, il s’agit beaucoup plus d’un travail de mécanicien que d’un travail d’électricien. Il prétend qu’il travaillait toujours avec de la force pour visser et dévisser.
[46] Concernant le travail d’électricien de construction qu’il a exécuté de 1998 à 2003, il énumère les tâches effectuées et souligne que durant un an, un an et demi, il a remplacé de 150 à 160 luminaires.
[47] Comme électricien d’entretien, il est attitré aux machines et fait l’entretien préventif. Il allègue que toutes les tâches n’ont pas été filmées et que lors de la simulation du changement de brosses, l’ergonome ne s’est informé que de certains outils.
[48] La bicyclette filmée n’est pas la bicyclette qu’il utilise normalement et avec laquelle il se déplace fréquemment, sauf lorsqu’il travaillait dans l’atelier des moteurs. Il mentionne qu’il doit appuyer ses mains sur le guidon.
[49] Le travailleur informe le tribunal qu’il ne fume pas, n’abuse pas d’alcool, ne fait pas d’hypertension ni de diabète et n’a pas de problème cardiaque. De plus, aucune personne dans sa famille ne souffre d’un syndrome du canal carpien.
[50] Contre-interrogé par le représentant de l’employeur, le travailleur confirme qu’il a participé à la vidéo, qu’il a discuté des tâches devant être analysées avec monsieur Hétu et qu’aucune tâche n’a été refusée. Il admet que toutes les personnes présentes ont convenu des tâches, mais souligne que, selon lui, les tâches n’étaient pas représentatives parce que lorsqu’il simule les gestes posés, cela ne démontre pas l’effort déployé. Par contre, il n’en a pas discuté avec monsieur Taillefer. Les postures sont représentatives, mais les outils ne seraient représentatifs que « jusqu’à un certain point ».
[51] Interrogé par le tribunal, le travailleur affirme que les symptômes sont apparus entre 2000 et 2001 alors qu’il occupait l’emploi d’électricien de construction. Au début, il ressentait des engourdissements la nuit et, par la suite, les symptômes se sont aussi fait sentir le jour lorsqu’il utilisait une perceuse. En dehors du travail, il ressentait des symptômes lorsqu’il peinturait, lorsqu’il utilisait son vélo ou lorsqu’il manipulait la souris d’ordinateur.
[52] Le travailleur dépose à l’audience un extrait du site internet du Centre canadien d’hygiène et de sécurité au travail (CCHST) intitulé Réponses SST : Syndrome du canal carpien[1] dans lequel il est écrit que :
Quels facteurs professionnels favorisent le syndrome du canal carpien?
Le syndrome du canal carpien est plus particulièrement associé à certains facteurs, notamment les suivants :
· les mouvements répétitifs de la main,
· les positions non naturelles de la main,
· la préhension serrée,
· le stress mécanique exercé sur la paume des mains,
· les vibrations.
Divers métiers nécessitent des mouvements répétitifs qui sont associés au syndrome du canal carpien; c’est le cas, par exemple, des métiers de caissier (ère), coiffeur (se), opérateur de machine à tricoter et de machine à coudre. Il y a aussi le métier de boulanger, qui oblige à plier et déplier les poignets, pour pétrir la pâte, et toutes les activités qui demandent de plier les doigts et les poignets comme la traite des vaches, la peinture au pistolet et le sarclage manuel. L’utilisation excessive d’outils à main vibratoires peut aussi causer le syndrome du canal carpien.
[53] Voici un extrait du tableau 1 concernant les activités et métiers associés au syndrome du canal carpien :
Activités |
Métiers |
Encliqueter une roue à rochet au moyen d’un tournevis |
Mécanicien |
Porter des gants mal ajustés, ce qui entraîne une pression externe |
Travailleur agricole, mécanicien, travailleur d’usine |
Serrer un outil dans la main |
Peintre, charpentier, soigneur d’animaux |
Utiliser un outil pneumatique |
Travailleur de chaîne d’assemblage |
[54] Il est mentionné que l’analyse du travail prend en compte la fréquence, l’intensité, la durée et la régularité de chacune des opérations exécutées.
[55] Le travailleur dépose aussi un extrait de la Pathologie médicale de l’appareil locomoteur[2] dans lequel il est mentionné que le syndrome du canal carpien est présent chez les athlètes et se rencontre, entre autres, chez les cyclistes. Il est aussi écrit que les activités nécessitant des mouvements forcés ou répétitifs des mains ou soumettant les mains et les bras à des vibrations sont associés au syndrome du canal carpien.
[56] Dans le résumé de l’article Clinical Evaluation and Management of Work-Related Carpal Tunnel Syndrome[3], il est écrit que :
Increasing evidence suggests that occupational factors, including forceful use of hands, repetitive use of the hands, and hand-arm vibration, are etiologic for CTS.
L’AVIS DES MEMBRES
[57] Le membre issu des associations d’employeurs accueillerait la requête de l’employeur puisque, selon lui, les tâches sont variées et, même si certaines d’entre elles sollicitent les poignets, cette sollicitation n’est pas fréquente et n’est pas faite avec force. De plus, il y a beaucoup de périodes de récupération. Il estime que le travailleur n’a pas démontré, par une preuve prépondérante dont le fardeau lui incombe, que le syndrome du canal carpien dont il souffre est relié aux risques particuliers du travail d’électricien qu’il a exercé chez l’employeur.
[58] Quant au membre issu des associations syndicales, il rejetterait la requête de l’employeur, car les différents gestes posés par le travailleur sollicitent les poignets et qu’il y a utilisation d’outils avec force. Lors des déplacements, le travailleur doit pousser un chariot ou utiliser une bicyclette, ce qui implique des mouvements au niveau des poignets. Donc, selon lui, le travailleur a démontré que le syndrome du canal carpien bilatéral dont il souffre est relié aux risques particuliers du travail d’électricien qu’il a exercé chez l’employeur.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[59] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le travailleur a subi une lésion professionnelle en raison du syndrome du canal carpien bilatéral dont il souffre.
[60] La lésion professionnelle est définie à l’article 2 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[4] (la loi) :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :
« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;
__________
1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1.
[61] Le travailleur n’allègue pas avoir subi un accident du travail ni une récidive, une rechute ou une aggravation et aucune preuve n’est offerte à cet effet.
[62] Le diagnostic de syndrome du canal carpien bilatéral posé par la docteure Thompson, médecin qui a pris charge du travailleur, n’est pas contesté et lie les parties ainsi que la Commission des lésions professionnelles, elle doit donc décider si ce syndrome dont souffre le travailleur constitue une maladie professionnelle.
[63] La maladie professionnelle est définie à l’article 2 de la loi de la façon suivante :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:
« maladie professionnelle » : une maladie contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui est caractéristique de ce travail ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail;
__________
1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27.
[64] Afin de faciliter la preuve d’une maladie professionnelle, le législateur prévoit une présomption à l’article 29 de la loi qui énonce que :
29. Les maladies énumérées dans l'annexe I sont caractéristiques du travail correspondant à chacune de ces maladies d'après cette annexe et sont reliées directement aux risques particuliers de ce travail.
Le travailleur atteint d'une maladie visée dans cette annexe est présumé atteint d'une maladie professionnelle s'il a exercé un travail correspondant à cette maladie d'après l'annexe.
__________
1985, c. 6, a. 29.
[65] Le syndrome du canal carpien n’étant pas prévu à l’annexe I de la loi, le travailleur doit démontrer que cette maladie est caractéristique d’un travail qu’il a exercé ou qu’elle est reliée directement aux risques particuliers de ce travail, conformément à l’article 30 de la loi :
30. Le travailleur atteint d'une maladie non prévue par l'annexe I, contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui ne résulte pas d'un accident du travail ni d'une blessure ou d'une maladie causée par un tel accident est considéré atteint d'une maladie professionnelle s'il démontre à la Commission que sa maladie est caractéristique d'un travail qu'il a exercé ou qu'elle est reliée directement aux risques particuliers de ce travail.
__________
1985, c. 6, a. 30.
[66] Pour établir qu'une maladie est « caractéristique » d'un travail, il faut démontrer qu'un nombre significatif de personnes travaillant dans des conditions semblables en sont également affectées. Cette preuve peut être faite de plusieurs façons, notamment par des études statistiques et épidémiologiques, mais elle doit nécessairement porter sur un nombre significatif de personnes tendant ainsi à éliminer une simple association fortuite[5].
[67] Cette preuve n’a pas été présentée et le travailleur allègue plutôt que le syndrome du canal carpien bilatéral dont il souffre est relié aux risques particuliers du travail d’électricien qu’il a exercé chez l’employeur.
[68] Or, la Commission des lésions professionnelles estime que tel n’est pas le cas.
[69] En effet, malgré que le travailleur exécute des tâches avec le poignet en extension ou en flexion, qu’il y ait déviation radiale ou cubitale, préhension d’objets avec pince digitale ou d’objets avec traction ou rotation du poignet, préhension pleine main, geste de cisaillement, application de pression directe, membre supérieur en flexion ou en abduction et utilisation d’outils vibrants, tous ces gestes à risques ne sont faits ni avec force, ni avec répétition, ni sur des périodes de temps prolongées.
[70] Le travailleur allègue que les tâches qu’il effectue nécessitent de la force, mais le tribunal estime que cette simple affirmation du travailleur est contredite par l’opinion de monsieur Taillefer voulant que la force déployée pour manipuler des outils et des pièces d’équipement soit classée à la limite de faible. De plus, la force déployée n’est pas soutenue sur des périodes longues et prolongées.
[71] La preuve démontre que les structures du poignet sollicitées dans les différentes tâches bénéficient de nombreuses et longues périodes de récupération.
[72] Le tribunal partage l’opinion émise par monsieur Taillefer voulant que :
Les analyses des exigences physiques démontrent clairement que le travail d’électricien n’est pas un travail exigeant physiquement et que le temps de récupération physique est plus élevé que le temps de travail physique. Que les tâches d’électricien sont très variées et sont loin de solliciter constamment les poignets ou de devoir utiliser sur de longues périodes de temps des outils vibrants. Qu’il n’y a pas de travail continu sur une période prolongée et les courtes répétitions de travail physique sont entrecoupées par de grandes périodes de repos physique faisant place au travail cognitif de résolution de problème et au déplacement dans l’usine. Le travail s’effectue sans cadence imposée et les cycles de travail sont au-delà de 60 sec, ce qui est suffisamment long pour être classé peu répétitif selon l’étude de Sylverstein (1987).
[73] En effet, cette opinion est supportée par la preuve documentaire, la preuve par vidéo et la preuve testimoniale.
[74] Il est important de souligner que le temps de déplacement est de deux à trois heures par quart de travail, ce qui distingue les faits de la présente affaire de ceux de la décision Blais et Services AP Guay[6], alors que les déplacements ne représentaient que 13 % du temps travaillé.
[75] De plus, dans cette dernière affaire les tâches accomplies étaient variées, mais impliquaient toujours les mêmes mouvements, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
[76] Le travailleur allègue aussi que la conduite de la bicyclette constitue un facteur de risque et dépose de la littérature médicale dans laquelle il est mentionné que le syndrome du canal carpien se rencontre chez les athlètes, dont les cyclistes.
[77] Or, la preuve ne démontre pas qu’il s’agit d’un vélo dont les guidons sont faits de la même manière, ni le temps et les conditions d’utilisation qui sont susceptibles de causer un syndrome du canal carpien pour une personne utilisant un vélo.
[78] D’autre part, le travailleur plaide que le port des gants est un facteur contributif, ce qui est effectivement reconnu dans la littérature médicale. Mais dans le cas présent, monsieur Taillefer affirme que les gants utilisés par le travailleur créent une couche supplémentaire et minimise l’impact sur la paume de la main et qu’il n’y a pas de couture dans le sens du canal carpien. Le tribunal estime que le fait de travailler avec des gants n’est pas, en l’espèce, un facteur déterminant.
[79] Le travailleur a aussi insisté lors de son témoignage sur l’utilisation de l’outil à percussion lorsqu’il travaillait à l’atelier des moteurs. D’une part, les symptômes sont apparus en 2001 alors que le travailleur a cessé de travailler à l’atelier des moteurs en 1998 et d’autre part, la preuve démontre que cet outil est utilisé au maximum dix minutes au démontage du moteur et dix minutes au montage et que la réparation d’un moteur varie entre 2 et 24 heures. Force est de conclure que l’utilisation de cet outil n’est pas prolongée, ce qui distingue les faits de la présente affaire de ceux de l’affaire Maheux et Gervais équipement inc.[7] qui concernait un mécanicien d’autobus et d’autocar.
[80] Par ailleurs, la preuve démontre que l’utilisation d’outils vibrants n’est pas effectuée de façon répétitive et vigoureuse, mais n’est qu’occasionnelle.
[81] Au surplus, les tâches ne sont pas effectuées dans un environnement froid.
[82] Donc, le tribunal estime que la preuve prépondérante démontre que le travail d’électricien chez l’employeur implique des postures à risques, mais que l’exposition à ces postures sans cadence n’est pas répétitive, que l’utilisation de la force excessive ou importante est occasionnelle, que les tâches sont variées et que les structures sollicitées bénéficient de longues périodes de récupération. Le travailleur devait se déplacer souvent, prendre le temps de réfléchir à la résolution de problème; il ne s’agit pas d’un travail sur une chaîne de production. Le temps effectif de travail est de courte durée.
[83] Le tribunal ne retient pas l’opinion du docteur Dion, médecin régional auprès de la CSST, parce que cette opinion n’est basée que sur les informations succinctes apparaissant à l’Annexe à la réclamation du travailleur - Maladie professionnelle - Mouvements répétitifs et est basée sur la fausse prémisse que les différentes activités impliquent des facteurs de risques dans la vaste majorité du temps travaillé.
[84] Dans l’affaire Wood et Bruneau électrique inc.[8] concernant un électricien de chantier de construction résidentielle, industrielle et institutionnelle, la Commission des lésions professionnelles s’exprime ainsi :
[123] L’ensemble des tâches du travailleur, prise de mesure, coupage, pliage, perçage et vissage, a certes sollicité les membres supérieurs, les poignets et les mains, mais de façon tellement variée et entrecoupée de tant de pauses de récupération que le tribunal ne peut considérer de façon prépondérante qu’il s’agit là de répétition de mouvements tels qu’il y a là un risque particulier. De toute évidence, le travailleur devait se déplacer souvent sur l’élévateur, s’interrompre pour mesurer, prendre une vis, une crampe ou un conduit, le couper et le plier. Le travailleur travaillait certes sans arrêt mais de façon tellement variée que ses tâches ne présentaient pas de facteur de risque quant aux mouvements effectués.
[124] La preuve révèle que le travailleur devait faire usage de force pour percer les trous et plier les conduits. Encore une fois sans être épisodique, cet usage de force n’a jamais été requis de façon répétitive sans que le travailleur ne bénéficie de pauses lui permettant une récupération des structures anatomiques sollicitées.
[…]
[127] Le tribunal considère que la preuve dans son ensemble ne permet pas d’identifier une conjugaison de facteurs de risques dans le contexte du travail d’électricien effectué par le travailleur.
[85] Il en est de même dans la présente affaire, la preuve ne permet pas d’identifier une conjugaison de facteurs de risques.
[86] Le travailleur témoigne qu’il ne souffre d’aucune condition personnelle prédisposante à la survenance d’un syndrome du canal carpien, mais comme le dit la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire précitée : « Par contre, il ne suffit pas de démontrer l’absence d’une autre cause pour conclure que le travail est ipso facto la cause d’une lésion. »
[87] Par conséquent, le tribunal estime que le travailleur n’a pas démontré, par une preuve prépondérante dont le fardeau lui incombe, que le syndrome du canal carpien bilatéral dont il souffre est relié directement aux risques particuliers du travail d’électricien qu’il a exercé chez l’employeur.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête déposée par Bowater Pâtes et Papiers (Gatineau), l’employeur;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 4 septembre 2007 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que monsieur Yves Chartrand, le travailleur, n’a pas subi de lésion professionnelle en raison du syndrome du canal carpien bilatéral dont il souffre.
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Suzanne Séguin |
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Me Simon-Pierre Hébert |
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McCarthy, Tétrault |
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Représentant de la partie requérante |
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M. Michel Julien |
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S.D.A.T. |
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Représentant de la partie intéressée |
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[1] CENTRE CANADIEN D’HYGIÈNE ET DE SÉCURITÉ AU TRAVAIL, Réponses SST : Syndrome du canal carpien, [En ligne], http://www.cchst.ca/repensesst/diseases/carpal.html (Page consultée le 30 juillet 2008)
[2] Daniel BOULET et Richard LECLAIRE, chap. 15 : « Syndromes de compression nerveuse du membre supérieur », dans Yves BERGERON, Luc FORTIN et Richard LECLAIRE, Pathologie médicale de l'appareil locomoteur,2e éd., St-Hyacinthe, Edisem, Paris, Maloine, 2008, p. 931-969
[3] Robin HERBERT, Frederic GERR et Jonathan DROPKIN, « Clinical Evaluation and Management of Work-Related Carpal Tunnel Syndrome », (2000) 37 American Journal of Industrial Medicine 62, p.
[4] L.R.Q., c. A-3.001
[5] Voir notamment : Versabec inc. et Levasseur, C.A.L.P. 39198-60-9204, 29 juin 1994, L. Thibault; Entreprises d'émondage LDL inc. et Rousseau, C.L.P. 214662-04-0308, 4 avril 2005, J.-F. Clément.
[6] C.L.P. 361986-81-0810, 4 mars 2009, C. Lessard
[7] C.L.P. 87989-08-9704, 5 juillet 1999, P. Prégent
[8] C.L.P. 296803-64-0608, 15 avril 2008, J. David
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