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[1] Le 9 juin 2003, monsieur Marc-André Choinière-Lapointe (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue le 28 mai 2003 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d’une révision administrative qui confirme deux décisions initialement rendues le 7 avril 2003.
[2] La CSST conclut que le travailleur n’a pas subi de lésion professionnelle le 10 septembre 2002 et qu’elle était justifiée de cesser le versement des indemnités de remplacement du revenu versées en vertu de l’article 129 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1]. La CSST conclut aussi que le travailleur devra lui rembourser la somme de 669,60$, versée pour la période du 11 au 24 septembre 2002, lorsque la décision deviendra finale.
[3] Le travailleur et son représentant sont présents à l’audience au 6 janvier 2004.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande de déclarer qu’il a subi une lésion professionnelle le 10 septembre 2002 et qu’il a droit aux prestations prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (la loi).
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Le membre issu des associations d'employeurs et la membre issue des associations syndicales sont d'avis que la preuve n'est pas prépondérante pour conclure que le travailleur a subi une lésion professionnelle. D’une part, tous les médecins spécialistes des deux comités des maladies pulmonaires professionnelles ont conclu à un asthme personnel et non professionnel et la preuve médicale soumise par le travailleur ne permet pas de modifier leurs avis. D’autre part, les tests de provocation exécutés deux jours consécutifs en milieu de travail, sur la ferme avicole et porcine, se sont avérés négatifs de même que les tests avec les plumes de volailles et les poils de porcs.
[6] Le membre issu des associations d'employeurs est de plus d’avis que les études déposées par le travailleur ne permettent pas d’établir que les gens qui travaillent dans les poulaillers ou les porcheries sont plus à risque de développer un asthme professionnel : une étude concerne les problèmes musculo-squelettiques et l’autre fait état de bactéries et non d’acariens.
LA PREUVE ET LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[7] La Commission des lésions professionnelles doit décider si le travailleur a subi une lésion professionnelle, particulièrement un asthme professionnel, le 10 septembre 2002 et s’il a droit aux prestations prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
[8] L’article 2 de la loi définit ainsi la notion de lésion professionnelle :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:
« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;
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1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27.
[9] Précisons que c’est au travailleur, de prouver, par une preuve prépondérante, qu’il a subi une lésion professionnelle.
[10] Pour faciliter la preuve des travailleurs, le législateur a établi deux présomptions en leur faveur : la présomption de lésion professionnelle (article 28) et la présomption d’une maladie professionnelle (article 29).
[11] Pour pouvoir bénéficier de la présomption de lésion professionnelle établie à l’article 28 de la loi, le travailleur doit démontrer, par une preuve prépondérante, les trois éléments qui constituent cette présomption, à savoir qu’il a subi une blessure, que cette blessure est arrivée sur les lieux du travail et qu’il était alors à effectuer son travail :
28. Une blessure qui arrive sur les lieux du travail alors que le travailleur est à son travail est présumée une lésion professionnelle.
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1985, c. 6, a.
[12] Pour pouvoir bénéficier de la présomption de maladie professionnelle établie à l’article 29 de la Loi, le travailleur doit démontrer, par une preuve prépondérante, que sa maladie fait partie des maladies qui sont énumérées à l’annexe 1 de la Loi et qu’il effectue le travail qui correspond à cette maladie selon cette annexe :
29. Les maladies énumérées dans l'annexe I sont caractéristiques du travail correspondant à chacune de ces maladies d'après cette annexe et sont reliées directement aux risques particuliers de ce travail.
Le travailleur atteint d'une maladie visée dans cette annexe est présumé atteint d'une maladie professionnelle s'il a exercé un travail correspondant à cette maladie d'après l'annexe.
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1985, c. 6, a. 29.
[13] S’il ne peut bénéficier des présomptions prévues à la loi, il appartient au travailleur d’établir, par une preuve prépondérante, qu’il a subi un accident du travail au sens de l’article 2 de la Loi ou encore, et c’est ce que soumet le travailleur, qu’il est atteint d’une maladie professionnelle au sens des articles 2 et 30 de la Loi :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:
« accident du travail » : un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l'occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle;
« maladie professionnelle » : une maladie contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui est caractéristique de ce travail ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail;
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1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27.
30. Le travailleur atteint d'une maladie non prévue par l'annexe I, contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui ne résulte pas d'un accident du travail ni d'une blessure ou d'une maladie causée par un tel accident est considéré atteint d'une maladie professionnelle s'il démontre à la Commission que sa maladie est caractéristique d'un travail qu'il a exercé ou qu'elle est reliée directement aux risques particuliers de ce travail.
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1985, c. 6, a. 30.
[14] La Commission des lésions professionnelles considère que le travailleur n’a pas démontré, par une preuve prépondérante, qu’il a subi une lésion professionnelle le 10 septembre 2002.
[15] En effet, le tribunal ne peut conclure à la survenance d’une « blessure » survenue sur les lieux du travail, ni à la survenance d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle.
[16] Le travailleur, né en 1976, travaille à la ferme de son oncle à titre de responsable de l’unité porcine et avicole. Il a débuté à l’âge de 13 ans alors qu’il y travaillait deux à trois jours durant la semaine ainsi que les fins de semaine et les étés, puis à temps plein, environ 40 heures par semaine, à compter de l’année 1998.
[17] Le travailleur a décrit ses tâches que ce soit au poulailler ou à la porcherie. Au poulailler, il portait un masque puisqu’il y avait beaucoup de poussière et de plumes, que ce soit lorsqu’il nourrissait les oiseaux ou ramassait les oiseaux morts. Il y restait généralement une heure à la fois. Une fois par deux mois, il procédait au lavage (machine à pression) des lieux (poussiéreux) durant environ trois heures.
[18] À la porcherie, il ne portait pas de masque, que ce soit pour nourrir les animaux (en transvidant la moulée dans une chaudière) ou encore lorsqu’il avait à les déplacer ou les manipuler (soins, insémination, etc.). Deux jours par semaine, il procédait au lavage des lieux avec une machine à pression. C’est à cet endroit que les premiers symptômes ont débuté, vers l’été 2000 : toux grasse, écoulement nasal. L’été suivant, les symptômes étaient pires : éternuement, respiration difficile, manque d’énergie. Il a dû quitter le travail deux ou trois fois pour une durée de quelques heures.
[19] Comme les symptômes étaient encore pires l’été 2002, le travailleur a consulté un médecin estimant être allergique au pollen d’arbres. Ses symptômes (il râlait et avait de la difficulté à respirer) débutaient 45 minutes après son arrivée au travail et perduraient un maximum de 4 heures après qu’il ait quitté le travail. Chez lui, il n’avait aucun symptôme.
[20] Le 10 septembre 2002, le médecin du travailleur, le Dr Rohan pose le diagnostic d’asthme professionnel à investiguer et demande une consultation au Dr Ostiguy, pneumologue.
[21] Le 23 octobre, le Dr Ostiguy pose le diagnostic suivant : « exposition à des substances sensibilisantes en milieu de travail, Rhino conjonctivite allergique, asthme à faire évaluer par comité des mpp (maladie pulmonaire professionnelle). »
[22] Le travailleur est retiré de son milieu de travail. Dans son témoignage, il affirme n’avoir jamais présenté de problèmes par la suite, sauf à une occasion, lorsqu’il a eu à transvider un contenant de métabisulfite et a eu les mêmes symptômes.
[23] La CSST accepte de consentir au travailleur une avance de l’indemnité de remplacement du revenu en vertu de l’article 129 de la loi, en lui précisant qu’il ne s’agit pas de l’acceptation de sa réclamation, puisqu’il doit être évalué par un comité de pneumologues :
129. La Commission peut, si elle le croit à propos dans l'intérêt du bénéficiaire ou dans le cas d'un besoin pressant du bénéficiaire, verser une indemnité de remplacement du revenu avant de rendre sa décision sur le droit à cette indemnité si elle est d'avis que la demande apparaît fondée à sa face même.
Si par la suite la Commission rejette la demande ou l'accepte en partie, elle ne peut recouvrer les montants versés en trop de la personne qui les a reçus, sauf si cette personne:
1° a obtenu ces montants par mauvaise foi; ou
2° a droit au bénéfice d'un autre régime public d'indemnisation en raison de la blessure ou de la maladie pour laquelle elle a reçu ces montants.
Dans le cas du paragraphe 2°, la Commission ne peut recouvrer les montants versés en trop que jusqu'à concurrence du montant auquel a droit cette personne en vertu d'un autre régime public d'indemnisation.
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1985, c. 6, a. 129.
[24] Le 20 décembre 2002, le comité A des maladies professionnelles pulmonaires de Montréal, formé de trois pneumologues, examine le travailleur.
[25] Dans l’histoire de la maladie actuelle, ce comité rapporte que les symptômes ont débuté en 2001 (rhinite, irritation des yeux, éternuements) et qu’il ne présentait que des symptômes allergiques lorsqu’il travaillait environ 3 heures à la ferme alors qu’il présentait en plus des difficultés respiratoires ainsi que de la toux lorsqu’il travaillait plus de quatre heures à la ferme. Les membres du comité notent que depuis son retrait du milieu de travail en octobre 2002, le travailleur est complètement asymptomatique du côté respiratoire mais qu’il présente, de temps à autre, une rhinorrhée et des éternuements lorsqu’il est en contact avec beaucoup de poussière.
[26] Le comité note que les tests cutanés d’allergie à la piqûre aux pneumo-allergènes communs sont très positifs aux dermatophygoïdes pteronyssinus et farinae et un peu positif à la poussière. Des tests supplémentaires faits avec du poil de porc et des plumes de poulets se sont avérés négatifs. L’image cardio-pulmonaire est normale. Les tests fonctionnels respiratoires ont démontré une hyperexcitabilité bronchique non spécifique légère.
[27] Devant la possibilité d’asthme professionnel, les membres du comité demandent un rendez-vous auprès des responsables de l’investigation de l’asthme professionnel à l’Hôpital Sacré-Cœur de Montréal avant d’émettre leur avis. Des tests de provocation spécifiques y ont donc été effectués par le pneumologue Lemière, qui précise, dans son rapport de janvier 2003, que le travailleur a été évalué deux journées consécutives en milieu de travail (une journée de 7 heures et une autre de 6 heures 30 minutes).
[28] Lors de ces tests (par temps très froid), le travailleur a effectué toutes ses tâches usuelles, incluant celle du lavage à la machine à pression. Au poulailler, il s’agissait de poulets qui venaient de naître, donc sans plumes.
[29] Le Dr Lemière note que durant les journées de visite, le travailleur dit présenter davantage de symptômes, une sensation d’avoir plus de difficultés à respirer et de la toux, à savoir des symptômes qui ressemblent à ceux dont il se plaignait alors qu’il était au travail.
[30] Le Dr Lemière conclut que les tests de provocation bronchique menés en milieu de travail n’ont pas permis de confirmer le diagnostic d’asthme professionnel chez le travailleur. Le Dr Lemière note que le travailleur est asthmatique, très allergique aux acariens et qu’il est possible qu’il soit plus symptomatique lorsqu’il est en contact avec un milieu très poussiéreux. Comme il s’agit d’un asthme léger peu symptomatique et que le travailleur ne retourne pas dans ce milieu de travail, le Dr Lemière n’entend pas donner de suivi au cas dans l’immédiat.
[31] Le 14 février 2003, dans son rapport complémentaire, le comité des maladies professionnelles pulmonaires conclut à l’absence d’asthme professionnel. Les membres du comité sont d’avis que le travailleur est porteur d’un asthme personnel surtout au contact avec les acariens et que ce n’est pas relié à son exposition professionnelle.
[32] Le 20 mars 2003, le Comité spécial des présidents, composé également de trois pneumologues (différents de ceux du comité précédent), conclut ainsi : « compte tenu des tests de provocation bronchique spécifique faits en usine où l’on ne note pas de diminution du VEMS ni apparition d’une éosinophilie dans ses expectorations ni une hyperexcitabilité bronchique plus importante, les membres du Comité spécial des présidents ne croient pas que ce réclamant est porteur d’asthme professionnel. Il est porteur d’un asthme personnel aux acariens non relié à son exposition professionnelle ».
[33] Le diagnostic d’asthme professionnel a donc été écarté par le Comité spécial des présidents des maladies professionnelles pulmonaires, comme prévu à l’article 231 de la loi :
231. Sur réception de ce rapport, la Commission soumet le dossier du travailleur à un comité spécial composé de trois personnes qu'elle désigne parmi les présidents des comités des maladies professionnelles pulmonaires, à l'exception du président du comité qui a fait le rapport faisant l'objet de l'examen par le comité spécial.
Le dossier du travailleur comprend le rapport du comité des maladies professionnelles pulmonaires et toutes les pièces qui ont servi à ce comité à établir son diagnostic et ses autres constatations.
Le comité spécial infirme ou confirme le diagnostic et les autres constatations du comité des maladies professionnelles pulmonaires faites en vertu du deuxième alinéa de l'article 230 et y substitue les siens, s'il y a lieu; il motive son avis et le transmet à la Commission dans les 20 jours de la date où la Commission lui a soumis le dossier.
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1985, c. 6, a. 231.
[34] Liée par les conclusions de cet avis, la CSST a refusé la réclamation du travailleur. Le travailleur a demandé la révision de cette décision de même que celle où on lui réclamait une somme d’argent et la révision administrative a confirmé ses décisions, d’où le présent litige.
[35] La Commission des lésions professionnelles n’est pas liée par l’avis du Comité spécial des présidents. Elle ne peut cependant modifier les conclusions de ce Comité spécial des présidents sans une preuve médicale prépondérante à l’effet contraire, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
[36] En effet, l’opinion du Dr Lecours, de la Clinique de toxicologie de Montréal, Clinique de médecine industrielle et environnementale, qu’a déposée le travailleur à l’audience ne permet pas de conclure, de façon prépondérante, que le travailleur est atteint d’asthme professionnel.
[37] Non seulement le Dr Lecours ne pose pas ce diagnostic mais il recommande de référer le travailleur à un nouveau pneumologue et de refaire les tests de provocation avant qu’un tel diagnostic puisse être posé, ce dont il doute d’ailleurs. Voici, en effet, comment s’exprime le Dr Lecours dans son rapport du 20 octobre 2003 :
« 3. Conclusion
Le CMPP a évalué M. Choinière le 17, 22, et 23 janvier 2003 alors qu’il était en arrêt de travail depuis octobre 2002. Les conditions de travail n’étaient pas tout à fait les mêmes que lorsqu’il était là de manière régulière. Donc, cette exposition n’est pas complètement représentative du travail que faisait monsieur Choinière. Cependant, nous avons une conclusion d’asthme personnel. Par ailleurs, Dr Rohan qui l’a évalué durant cette période mentionne un asthme professionnel sur la base entre autres d’un DEP significatif pour lequel nous n’avons pas les données brutes.
4. Recommandation
Trois solutions sont possibles dans ce dossier :
1. Retourner le travailleur dans le même milieu et l’évaluer concomitamment.
2. Faire évaluer le présent dossier par un pneumologue, mais je doute que le résultat soit différent du présent rapport.
3. Demander au Dr Rohan les informations complémentaires et un rapport qui permet d’établir qu’il y a asthme professionnel puisqu’il a posé le diagnostic initialement.
[38] Considérant que sept pneumologues ont émis l’avis, avec motifs à l’appui, que le travailleur n’était pas atteint d’asthme professionnel et considérant que les tests de provocation à un agent spécifique sensibilisant en milieu de travail se sont avérés négatifs ainsi que les tests cutanés au poil (de poulet et de porc), la Commission des lésions professionnelles considère que les conclusions du Dr Lecours ne permettent pas d’écarter l’avis du Comité spécial des présidents.
[39] Bien que les symptômes habituels allégués par le travailleur ont été reproduits lors des tests de provocation spécifique en milieu de travail, les membres des deux comités ont émis l’avis que le travailleur n’a pas été exposé dans son milieu de travail à un agent spécifique sensibilisant. Au surplus, cette visite comportait toutes les tâches du travailleur, incluant le lavage à la machine à pression (que ce soit au poulailler ou à la porcherie). Le tribunal ne peut donc que conclure que le travailleur n’est pas atteint d’asthme professionnel.
[40] Le fait que les tests de provocation ainsi que les tests cutanés d’allergie se soient révélés négatifs constitue, de l’avis du tribunal, une preuve prépondérante de l’absence de relation entre l’asthme du travailleur et un agent spécifique sensibilisant et ce, même si les tests ont été faits quelques mois après le retrait du travail. À cet égard le tribunal note qu’aucun des deux comités n’a écarté le résultat des tests compte tenu de cet élément ou d’autres (froid, poulet naissant).
[41] Bien que le travailleur soit atteint d’un asthme bronchique, il ne peut bénéficier de la présomption de maladie professionnelle puisqu’il n’a pas démontré, de façon prépondérante, que son travail implique une exposition à un agent spécifique sensibilisant. Le représentant du travailleur n’a d’ailleurs pas allégué que le travailleur pouvait bénéficier des présomptions prévues à la loi.
[42] Le travailleur demande de déclarer qu’il est atteint d’une maladie professionnelle au sens des articles 2 et 30 de la loi.
[43] Pour qu’une maladie soit considérée comme caractéristique du travail effectué, le travailleur doit démontrer que d’autres travailleurs exerçant les mêmes tâches, dans le même contexte, ont contracté la même maladie. Aucune preuve n’a été soumise en ce sens, que ce soit chez l’employeur ou des entreprises du même type.
[44] Le travailleur prétend que sa maladie est reliée directement aux risques particuliers de son travail à la ferme avicole et porcine, où il se dit exposé à beaucoup de poussière. Sa preuve repose principalement sur le fait que ses symptômes débutaient environ 45 minutes après le début de son travail et que ceux-ci disparaissaient environ 3 à 4 heures après son retrait en milieu de travail alors qu’il n’avait jamais pareils symptômes avant de travailler à cet endroit. Il soumet aussi que les tests de provocation ont mis en évidence ses symptômes mais que ceux-ci étaient moindres en raison de son retrait du travail depuis 3 mois ainsi que du fait que la visite a eu lieu par temps très froid alors qu’il s’agissait de poulets naissants, sans plumes et qu’il y avait moins de poussière.
[45] La Commission des lésions professionnelles a pris connaissance des deux études déposées par le travailleur. L’une vise les problèmes musculo-squelettiques et les mouvements répétitifs dans les abattoirs de volailles (IRSST oct. 1993). On y rapporte que les poussières provenant des poulets sont de type allergène et peuvent causer de l’asthme et des problèmes respiratoires et pulmonaires. Selon les personnes rencontrées, les quantités de poussière sont plus ou moins appréciables en fonction de deux facteurs principaux, la propreté du poulailler et la saison, puisqu’en temps sec, les poussières ont plus tendance à se disperser. Dans cette étude, on note que les poussières ne sont présentes qu’au département de la réception et abattage, où les niveaux varient de 4,9 mg/m3 à 21,5 mg/m3 et on considère comme très élevées les concentrations des poussières nuisibles supérieurs à 10 mg/m3.
[46] L’autre étude déposée par le travailleur traite de la microflore de l’air ambiant des porcheries (IRSST juil. 1989). Considérant que le but de l’étude est d’identifier et quantifier la flore microbienne des porcheries et de fournir les mesures nécessaires à la réalisation subséquentes d’une étude immunologique et épidémiologique sur les maladies respiratoires, c’est dire qu’il ne s’agit pas d’une étude épidémiologique. On précise que l’identification de la microflore présente dans les parcs d’engraissement et de maternité des porcs permettra ensuite d’utiliser des tests d’allergie plus spécifique lors d’une recherche à venir. Aucune autre recherche n’a été déposée en preuve.
[47] Dans cette étude, on note l’importance de mesurer les poussières, car elles peuvent servir de vecteur au déplacement des bactéries (favorise le déplacement aérien des micro-organismes). Les concentrations de poussière mesurées dépassent la valeur limite de 10 mg/m3 dans le cas d’un parc d’engraissement.
[48] De l’avis du tribunal, ce que l’on peut retenir de ces études, c’est qu’il y a beaucoup de poussière dans les poulaillers et dans les porcheries et que les concentrations de poussière varient et peuvent être supérieures à la norme généralement admise. Aucune preuve n’a par ailleurs été soumise quant au milieu spécifique dans le présent cas, où le travailleur exécute les mêmes fonctions depuis qu’il a l’âge de 13 ans, à mi-temps, puis à plein temps, depuis qu’il a 18 ans. Il a 26 ans au moment de sa réclamation. Le travailleur demande de considérer que la présence de poussière en milieu de travail constitue un risque particulier de développer un asthme ou encore de rendre symptomatique un asthme personnel.
[49] La Commission des lésions professionnelles ne peut souscrire à pareilles prétentions puisque les membres (pneumologues) des deux comités des maladies professionnelles pulmonaires ont conclu spécifiquement que l’asthme que le travailleur présente n’était pas relié à son exposition professionnelle. Aucune autre opinion médicale probante ne permet d’ailleurs de conclure que leurs avis soient non fondés.
[50] Le tribunal note que dans l’affaire Dominion Textile inc. et Chartier[2], soumise par le travailleur, le comité des maladies professionnelles pulmonaires avait conclu à l’existence d’un lien direct entre le milieu de travail et la détérioration de l’état pulmonaire du travailleur et le Comité spécial des présidents avait émis l’avis que la condition d’asthme atopique avait été exacerbée par le milieu de travail mais qu’il n’y avait pas de sensibilisation particulière à la poussière de coton. Soulignons que les divers tests avaient révélé que l’exposition à son milieu de travail provoquait chez le travailleur une détérioration significative de sa fonction respiratoire, ce qui n’a pas été démontré dans le présent cas.
[51] D’ailleurs, dans le présent cas, aucun des deux comités n’a émis la conclusion que l’asthme du travailleur avait pu être exacerbé par le milieu de travail. Soulignons que le témoignage du travailleur révèle qu’après son retrait du milieu de travail, il a connu un autre épisode de symptômes en manipulant beaucoup de poussière. C’est aussi ce qu’a noté le comité des maladies professionnelles pulmonaires dans son rapport, ce qui démontre que la condition se manifeste également en dehors du travail, sans que le travail en soit la cause. Le tribunal privilégie donc les opinions médicales à la preuve circonstancielle sur laquelle se fonde le travailleur. Le travailleur n’a donc pas démontré que sa maladie est due à des risques particuliers dans son milieu de travail.
[52] Vu l’absence d’un diagnostic qui témoigne d’une « blessure », le tribunal ne peut appliquer la présomption de lésion professionnelle. Et, considérant l’absence d’événement imprévu et soudain, rien n’ayant changé dans le milieu de travail depuis que le travailleur effectue ses tâches normales et usuelles, le tribunal ne peut conclure à la survenance d’un accident du travail.
[53] N’ayant pas subi de lésion professionnelle au sens de l’article 2 de la loi, la CSST était donc bien fondée de cesser de verser au travailleur les indemnités de remplacement du revenu qu’elle lui avait consenties en vertu de l’article 129 de la loi. Ainsi, le travailleur devra rembourser à la CSST la somme de 669,60$, versée pour la période du 11 au 24 septembre 2002 (montant non contesté).
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête du travailleur, monsieur Marc-André Choinière-Lapointe;
CONFIRME la décision rendue le 28 mai 2003 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le travailleur n’a pas subi de lésion professionnelle le 10 septembre 2002 et qu’il n’a pas droit aux prestations prévues à la Loi sur les accidents et les maladies professionnelles;
DÉCLARE que la CSST est bien fondée de lui réclamer la somme de 669,60$.
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Marie-Danielle Lampron |
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Commissaire |
François Massie |
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C.S.N. |
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Représentant de la partie requérante |
AVIS :
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