Chabot et Concassage Marc-Syl inc. |
2011 QCCLP 5300 |
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[1] Le 26 mars 2009, monsieur Joël Chabot (le travailleur) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste une décision rendue le 18 mars 2009 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST conclut, d’abord, que la demande de révision formulée par le travailleur, le 17 décembre 2008, à l’encontre de sa décision rendue le 24 janvier 2008, a été produite hors du délai prévu à l’article 358 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) et qu’aucun motif raisonnable n’a été démontré lui permettant de le relever de son défaut d’avoir respecté le délai. Par conséquent, la CSST conclut qu’elle n’est pas compétente pour revoir les critères de l’emploi convenable ni pour statuer si cet emploi est convenable ou non et déclare irrecevable la demande de révision produite par le travailleur, le 17 décembre 2008.
[3] Par sa décision initiale rendue le 24 janvier 2008, la CSST décidait qu’à compter du 22 janvier 2008, le travailleur était capable d’exercer l’emploi convenable qui a déjà été retenu le 10 septembre 2007, soit camionneur de classe 1, sans chargement ni déchargement, puisque la mesure de réadaptation mise en place pour assurer son retour sur le marché du travail est complétée. La CSST estime alors son revenu brut annuel à 23 500 $ et continuera de lui verser une indemnité de remplacement du revenu entière jusqu’à la fin de l’année de recherche d’emploi qui se termine, au plus tard, le 22 janvier 2009, si le travailleur n’occupait aucun emploi à cette date.
[4] Au plus tard, le 22 janvier 2009, le travailleur aura droit à une indemnité de remplacement du revenu réduite établie par la CSST à 4 424,71 $ par année, ce qui représente une somme de 170,18 $ payable au travailleur à toutes les deux semaines, par la CSST.
L’AUDIENCE
[5] Une audience fut tenue le 17 mai 2011 à Lévis. Le travailleur est présent et représenté par Me Annie Noël. Concassage Marc-Syl inc. (l’employeur) est absent et non représenté. La CSST est représentée par Me Lucie Rondeau.
[6] Le travailleur de même que sa conjointe, madame Cindy Pelletier, ont témoigné. De plus, le travailleur a déposé en liasse, sous la cote T-1, différentes offres d’emploi et deux courriels expédiés à madame Nicole Reny, conseillère en réadaptation à la CSST dans le dossier du travailleur. Ces documents couvrent la période du 3 avril 2008 jusqu’au 20 mai 2009.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[7] Initialement, le travailleur et son ex-représentante de l’ATA, madame Micheline Pelletier, demandaient au tribunal de le relever de son défaut d’avoir contesté la décision rendue par la CSST, le 24 janvier 2008, puisqu’il avait soulevé un motif raisonnable selon l’article 358.2 de la loi. Le travailleur soulève alors qu’il n’y a pas de possibilité raisonnable d’embauche dans cet emploi retenu, compte tenu des multiples recherches d’emploi infructueuses qu’il a faites par le travailleur depuis janvier 2008 jusqu’en décembre 2008 notamment. Il n’aurait donc pas la capacité de l’exercer.
[8] Subsidiairement, la procureure du travailleur demande au tribunal de conclure, par la contestation produite le 17 décembre 2008 par l’ex-représentante du travailleur, que celle-ci pouvait aussi viser la décision rendue le 10 septembre 2007 par la CSST. Il s’agit de la détermination de l’emploi convenable retenu, soit camionneur de classe 1 sans chargement ni déchargement, pour lequel une mesure de réadaptation a été mise en place par la CSST, et ce, jusqu’à ce qu’elle rende sa décision du 24 janvier 2008 qui conclut que le travailleur est maintenant capable de l’exercer à compter du 22 janvier 2008, aux conditions déterminées dans cette décision.
[9] Elle entend démontrer, par les témoignages du travailleur et de sa conjointe, qu’il n’y avait pas de possibilité raisonnable d’embauche, que le travailleur ne peut respecter certaines de ses limitations fonctionnelles s’il devait exercer cet emploi et qu’il n’avait pas les qualifications professionnelles pour exercer cet emploi convenable retenu par la CSST, le 10 septembre 2007.
[10] Elle demande donc au tribunal de déclarer recevable la demande de révision produite par le travailleur, le 17 décembre 2008, laquelle peut porter sur les deux décisions rendues par la CSST, soit celle du 10 septembre 2007 qui déterminait l’emploi convenable et une mesure de réadaptation professionnelle, ainsi que celle du 24 janvier 2008, puisque le travailleur a soulevé un motif raisonnable permettant au tribunal de le relever de son défaut d’avoir respecté le délai dans l’une ou de ces deux décisions.
[11] Quant au fond, et si nécessaire, elle demande au tribunal de retourner le dossier au greffe du tribunal afin de fixer une nouvelle date d’audience et de statuer sur le fond de la ou les décisions rendues par la CSST.
LES FAITS ET LA PREUVE
[12] Le travailleur est âgé de 32 ans au moment où il subit un grave accident du travail le 20 septembre 2005, alors qu’il exerce son emploi de journalier pour l’employeur, et ce, depuis mai 2003.
[13] Plusieurs diagnostics ont été reconnus par la CSST en relation avec cette lésion professionnelle du 20 septembre 2005, soit ceux de contusion crânienne et entorse cervicale; fracture de l’apophyse transverse gauche de C7 avec compression probable de la racine C7 gauche avec léger listhésis de C6 sur C7 secondaire à une subluxation facettaire bilatérale gauche plus qu’à droite, sténose foraminale gauche C6-C7 et hernie discale C6-C7 avec extension foraminale gauche.
[14] Le 20 juin 2006, le docteur Jean-François Turcotte, neurochirurgien, a opéré le travailleur en pratiquant une discoïdectomie C6-C7 avec greffe faite à ce niveau, suite à un diagnostic postopératoire de hernie discale avec sténose foraminale C6-C7.
[15] Toutes les lésions reconnues par la CSST, notamment au niveau cervical, ont été consolidées en date du 5 mars 2007, par le docteur Jacques Francoeur, neurochirurgien et médecin désigné par la CSST, qui est devenu, par le fait même, médecin qui a charge du travailleur aux fins de compléter le rapport d’évaluation médicale, puisque le docteur Zinga a confirmé, le 12 avril 2007, toutes les conclusions médicales retenues par le docteur Francoeur.
[16] Le docteur Turcotte lui a attribué un déficit anatomo-physiologique total de 7 % pour l’ensemble des séquelles que le travailleur présente au niveau de sa région cervicale, dont des limitations de mouvements résultent de la fracture et de la discoïdectomie cervicale C6-C7. De plus, des limitations fonctionnelles permanentes ont été retenues, soit les suivantes :
Évaluation des limitations fonctionnelles résultant de la lésion professionnelle :
Monsieur doit être dirigé dans un travail où il lui faudra éviter d’accomplir de façon répétitive ou fréquente les activités qui impliquent de :
- Soulever, porter, pousser ou tirer de façon répétitive ou fréquente des charges dépassant environ 15 kg;
- Effectuer des mouvements répétitifs ou fréquents de flexion, d’extension ou de torsion de la colonne cervicale même de faible amplitude;
- Subir des vibrations de basse fréquence ou des contrecoups à la colonne vertébrale (comme celles provoquées par du matériel roulant sans suspension);
- Il doit éviter au travail d’avoir à travailler de façon fréquente les bras au-dessus de l’horizontal.
[17] Le 24 avril 2007, le travailleur se voit attribuer 8,05 % d’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique, des suites de sa lésion professionnelle du 20 septembre 2005.
[18] Auparavant, soit le 20 avril 2007, la CSST rendait une décision à l’effet que le travailleur avait droit à la réadaptation et qu’il avait besoin de services professionnels pour pouvoir retourner sur le marché du travail.
[19] Madame Nicole Reny, conseillère en réadaptation à la CSST, a pris en charge le dossier du travailleur à compter du 19 avril 2007.
[20] Or, puisque le travailleur ne pouvait reprendre aucun emploi chez l’employeur, la CSST a entrepris des mesures de réadaptation professionnelle. Elle a autorisé un cours en informatique d’une durée de 60 heures au travailleur. La CSST a aussi autorisé un suivi avec madame Marie-Josée Morin, consultante externe en main-d’œuvre, afin qu’elle produise un rapport déterminant des possibilités d’emplois convenables pour le travailleur.
[21] Ce rapport fut produit le 10 septembre 2007 par madame Morin qui a alors identifié avec le travailleur des possibilités d’emplois convenables. Trois emplois furent identifiés, soit aide-commis de magasin, commis de matériaux de construction et/ou de quincaillerie et conducteur de camion.
[22] Bien que le travailleur ait déjà été commis dans une quincaillerie, lors de ses emplois occupés antérieurement, il était beaucoup plus intéressé à suivre une formation de conducteur de camion, sans diplôme d’études professionnelles. Ensuite, il devait obtenir un permis de conduire de la Société de l’assurance automobile du Québec (la SAAQ), d’une classe appropriée à sa formation. Le travailleur ne priorisait pas les autres emplois retenus par madame Morin, qui correspondent aussi à son profil et qui respectaient ses limitations fonctionnelles permanentes, selon madame Reny.
[23] Ce rapport du 10 septembre 2007 confirmait ainsi l’analyse faite par madame Reny, le 30 août 2007, à savoir que les trois emplois pouvaient être qualifiés de convenables pour le travailleur, mais que la solution retenue la plus économique pour la CSST était de retenir celui de camionneur, sans chargement ni déchargement à faire par le travailleur et sans diplôme d’études professionnelles. Toutefois, une formation d’environ 149 heures sur une période de 6 mois était nécessaire, de même qu’un permis de conducteur de classe 1 que devait obtenir le travailleur auprès de la SAAQ, et ce, afin qu’il ait la capacité d’exercer cet emploi convenable selon le système « REPÈRES - Profession(s) » qui détermine les caractéristiques de cet emploi.
[24] Ce sont donc ces mesures de réadaptation professionnelle mises en place par la CSST qui ont conduit, d’abord, à la décision rendue le 10 septembre 2007 par la CSST qui détermine l’emploi convenable du travailleur, lequel doit s’exercer ailleurs que chez son employeur, soit celui de camionneur classe 1 sans déchargement ni déchargement à faire par le travailleur.
[25] De plus, la CSST précise dans cette décision du 10 septembre 2007, qu’afin que le travailleur soit capable de l’exercer, elle a convenu, avec la collaboration du travailleur, de mettre en place une mesure de réadaptation professionnelle, soit un cours de formation de conducteur de camion classe 1 auprès de l’École nationale de camionnage et équipement lourd (ENCEL) dont cette formation débutera le 24 septembre 2007.
[26] Or, la preuve démontre que cette formation fut terminée en janvier 2008. De plus, le travailleur a obtenu son permis de conducteur classe 1 de la SAAQ, le ou vers le 22 janvier 2008. Madame Reny, de la CSST, collige alors dans les notes évolutives datées du 23 janvier 2008, que le travailleur a les capacités pour exercer l’emploi convenable déterminé précédemment.
[27] Madame Reny avait auparavant vérifié si cet emploi retenu de « conducteur de camion lourd », mentionné dans le système « REPÈRES - Profession(s) », permettait au travailleur de l’occuper compte tenu des caractéristiques à respecter, à cet emploi.
[28] D’ailleurs, en janvier 2008, madame Reny a complété un document s’intitulant « Détermination de l’emploi convenable » où elle décrit tout le processus qu’elle a fait avant de le retenir comme emploi convenable :
[…]
Objectifs:
- démonstration d’emploi convenable
- démonstration du salaire retenu / étude de marché
Le métier est de conduire de façon sécuritaire et professionnelle un véhicule lourd tel qu’un tracteur semi-remorque ou un train double sur les routes publiques en suivant le trajet autorisé en vue d’assurer un service de transport et de livraison de marchandises efficace et conforme aux horaires établis.
Démonstration d’un emploi convenable
Titre de l’emploi convenable : camionneur classe 1 sans chargement et sans déchargement.
Code provenant du C.N.P. : 7411-001
1. Un emploi qui permet au travailleur d’utiliser sa capacité résiduelle :
Le T a un bon champ visuel et est capable de distinguer les couleurs. D’ailleurs, il a déjà fait des démarches à la SAAQ et a reçu par lettre l’autorisation de cet organisme, son formulaire médical a été approuvé. De plus, il aime travailler plus seul. Il est capable de coordonner la vue avec les mouvements des mains et des pieds. Il aime aussi conduire. De plus, il a fait des tests sur la route afin de connaître sa résistance et dit ne pas avoir de difficultés en position assise prolongée.
2. Un emploi qui permet au travailleur d’utiliser ses qualifications professionnelles :
Le T répond aux conditions d’admission de la classe 1 au niveau de la SAAQ, il a aussi conduit un loader par le passé et sait en faire l’entretien. Il a chargé aussi des camions avec des lifts, etc., donc connaît l’importance de la répartition de la charge.
Le cours chez Encel lui permettra d’avoir une formation privée et sécuritaire et augmente ses chances de se placer en emploi.
La formation sera comme suit :
La durée totale de la formation est 149 heures, soit 6 mois max comprenant délais d’attente de 3 mois obligatoire de la SAAQ pour l’obtention du permis de conducteur classe 1.
Le T pourrait débuter le 24 septembre 2007. Il faut comprendre que T fera 1 mois approximativement de cours à temps plein pour avoir permis temporaire, puis terminera cours en novembre. En janvier 2008, il passera alors un examen final de la SAAQ. Donc, à ce moment, il aura acquis et pourra utiliser ses qualifications professionnelles pour occuper l’emploi convenable.
3. Un emploi qui présente une possibilité raisonnable d’embauche :
Selon Emploi Québec, les perspectives sont acceptables.
Pour l’ensemble du Québec, selon Emploi-Avenir :
Légèrement supérieures à la moyenne
Donc, l’emploi respecte ce critère.
4. Un emploi qui ne présente pas de danger pour la santé ou la sécurité du travailleur :
Quant aux capacités physiques, l’emploi exige :
Vision : Avoir un champ visuel global.
Perceptions sensorielles : Être capable de distinguer les couleurs.
Être capable de communiquer verbalement
Position corporelle : Être capable de travailler principalement en position assise.
Coordination des membres : Être capable de coordonner les mouvements de ses membres supérieurs et inférieurs.
Force physique : Être capable de soulever un poids d’environ 10 à 20 kg.
Autre(s) capacité(s)
physique(s) : Être capable de coordonner la vue avec les mouvements des mains et des pieds.
Avoir de bons réflexes.
Éviter d’accomplir de façon répétitive ou fréquente les activités qui impliquent de:
Soulever, porter, pousser ou tirer de façon répétitive ou fréquente des charges dépassant environ 15 kg;
Effectuer des mouvements répétitifs ou fréquents de flexion, d‘extension ou de torsion de la colonne cervicale même de faible amplitude;
Subir des vibrations de basse fréquence ou des contrecoups à la colonne vertébrale (comme celles provoquées par du matériel roulant sans suspension);
Il doit éviter au travail d‘avoir à travailler de façon fréquente les bras au-dessus de l’horizontal.
À noter que l’emploi sera sans chargement et sans déchargement, ce qui limitera le poids des charges manipulées ainsi que les mouvements qui se situent en bas de l’horizontal (soit en bas de 90°).
Dans ce travail de camionnage au niveau de remorques fermées, le T na qu’à piner et dépiner la remorque et il le fait 1 à 2 fois par jour. Donc, il ne s’agit pas de mouvements répétés et encore moins répétitifs.
L’utilisation des miroirs dans la conduite de tout véhicule et surtout de ce type de camion fait en sorte que les torsions sont pratiquement inexistantes. Les vibrations ne dépassent pas celles d’un véhicule normal (ce qui serait différent au niveau d’un camion à benne basculante (cl 3).
Donc, l’emploi ne constitue pas un danger pour sa santé et sa sécurité.
5. Un emploi approprié :
C’est un emploi de « nature manuelle » qui est aussi le choix du T et qui se retrouve dans sa région (St-Pamphile) et pour lequel le T a déjà un employeur prêt à l’embaucher (Transbois).
De plus, cet emploi respecte les critères ci-haut mentionnés.
[...]
[29] Auparavant, madame Reny avait fait l’historique de tous les emplois exercés par le travailleur depuis qu’il est sur le marché du travail. Comme premier emploi, en 1989, il était stagiaire-étalagiste pour une compagnie de pièces et d’accessoires située à Saint-Pamphile. En 1991, il a été stagiaire et réparateur de tuyaux dans une érablière. De 1992 à 1994, il a été pileur de bois franc pour une entreprise de Laval. En 1994, il a été assembleur d’armoires de cuisine à Saint-Pamphile. De 1994 à 1995, il a été pileur de bois également pour une entreprise de cette localité. De 1995 à 2003, il a œuvré pour une autre entreprise dans l’industrie du bois. De mai 2003 jusqu’à sa lésion professionnelle du 20 septembre 2005, le travailleur a opéré un chargeur sur roues pour l’employeur au dossier et a également été journalier.
[30] Le travailleur n’a pas complété sa 3e année de secondaire. Il n’avait aucun dossier avec la CSST ni antécédent concernant sa région cervicale et/ou ses membres supérieurs, et ce, avant d’être victime de cet accident du travail survenu le 20 septembre 2005. C’est ce qui appert de la volumineuse preuve documentaire qui se retrouve au dossier de la Commission des lésions professionnelles.
[31] Le travailleur reconnaît ne pas avoir contesté la décision déterminant l’emploi convenable et les mesures de réadaptation, soit celle du 10 septembre 2007.
[32] Le 24 janvier 2008, la CSST rend une décision sur la capacité de travail du travailleur. D’abord, elle précise au travailleur que tel que convenu précédemment, les mesures de réadaptation qui ont été mises en place pour lui permettre de retourner au travail sont finalement complétées, ce qui fait en sorte qu’il est capable, à compter du 22 janvier 2008, d’exercer l’emploi convenable retenu précédemment, soit celui de camionneur de classe 1 sans chargement et sans déchargement. Le revenu annuel brut estimé par la CSST est de 23 500 $ et le travailleur a droit à une année pour se trouver un emploi, pendant laquelle l’indemnité de remplacement du revenu lui sera versée complètement, jusqu’au plus tard, le 22 janvier 2009, s’il n’occupe pas d’emploi à cette date. La CSST précise que le travailleur bénéficiera d’une indemnité de remplacement du revenu réduite à compter du 22 janvier 2009, selon les termes établis dans l’annexe jointe à la décision du 24 janvier 2008.
[33] On précise aussi que le travailleur peut demander la révision de cette décision dans les 30 jours suivant la réception de cette lettre datée du 24 janvier 2008. Il peut aussi communiquer avec la CSST s’il a besoin de renseignements supplémentaires et téléphoner directement à madame Reny.
[34] En outre, le 24 janvier 2008, la CSST joint une autre lettre s’intitulant « Subvention à l’employeur ». Celle-ci s’adresse, en général, aux employeurs intéressés à embaucher le travailleur puisqu’il est à la recherche d’un emploi et que la CSST, pour appuyer ses démarches, peut offrir une subvention à un éventuel employeur qui désire l’embaucher. L’employeur reçoit ainsi un soutien financier pendant la période d’adaptation à ce nouvel emploi.
[35] Les lettres ou décisions du 24 janvier 2008 qu’a reçues le travailleur n’ont pas été contestées par ce dernier, à tout le moins, jusqu’au 17 décembre 2008.
[36] C’est donc à la suite d’une contestation du 17 décembre 2008, de la décision rendue le 24 janvier 2008, que la CSST s’est prononcée le 18 mars 2009, lors d’une révision administrative, en déclarant irrecevable cette demande de révision puisque hors délai et qu’aucun motif raisonnable n’a été soulevé par le travailleur. De plus, dans sa décision rendue le 18 mars 2009, la révision administrative de la CSST précise que le travailleur n’ayant pas contesté la décision initiale du 10 septembre 2007 portant sur la détermination de l’emploi convenable et la mesure de réadaptation accordée au travailleur, elle n’aurait alors pas la compétence pour revoir les critères à respecter pour déterminer si c’est un emploi convenable ou non. La CSST mentionnait aussi que le travailleur a attendu presque 10 mois pour manifester son intention de contester la décision du 24 janvier 2008 et qu’il n’aurait fait aucun geste pour demander la révision de cette décision. Le travailleur n’aurait donc pas fait preuve de diligence dans la conduite de son dossier.
[37] Il s’agit donc du litige à décider par le tribunal.
[38] Par contre, la procureure du travailleur entend démontrer par le témoignage du travailleur et de sa conjointe, de même que par les documents déposés en liasse sous la cote T-1, que le travailleur a toujours fait des démarches seul et sans aide jusqu’à la fin octobre 2008, et ce, afin de se trouver un emploi de conducteur de camions de classe 1 sans chargement ni déchargement, mais qu’il en est arrivé à la conclusion, surtout à partir de décembre 2008 notamment, qu’il n’y avait pas de possibilité raisonnable d’embauche compte tenu de ses limitations fonctionnelles permanentes ou encore de ses qualifications professionnelles, soit le manque d’expérience, ce qui n’en faisait plus un emploi convenable au sens de l’article 2 de la loi.
[39] La procureure du travailleur entend prouver un motif raisonnable permettant au tribunal de relever le travailleur de son défaut d’avoir respecté le délai prévu à l’article 358.2 de la loi, et ce, tant pour la décision rendue par la CSST, le 10 septembre 2007, que pour celle du 24 janvier 2008.
[40] Qu’en est-il en l’espèce?
[41] D’abord, le tribunal constate que ce n’est qu’à compter du 21 octobre 2008 que madame Nicole Reny de la CSST prend note du document T-1 expédié à la même date par la conjointe du travailleur, qui lui a été adressé par courriel et qui se lit comme suit :
[…]
J’ai eu un accident de travail en 2005 et j’ai eu des restrictions coté travail et vous m’avez fait suivre une formation pour avoir mon permis de camionneur. La période de temps allouée pour me placer se termine en janvier 2009 et je n’ai toujours pas réussi à me trouver un emploi. J’ai eu plusieurs refus des compagnies à cause de mes restrictions. Est-ce qu’il y a un programme ou quelqu’un qui pourrait m’aider à me trouver un emploi? Est-ce que ce serait possible de rencontrer quelqu’un pour en discuter? J’ai fait tout mon possible pour me trouver un emploi mais j’ai toujours des refus, je me suis même rapproché pour avoir plus de chance. J’habite Lévis maintenant, mais toujours rien.
J’attend de vos nouvelles (…)
Joël Chabot (…)
[sic]
[Les soulignés sont du soussigné]
[42] Auparavant, soit le 3 avril 2008, à 21 h 22, la conjointe du travailleur, agissant alors en son nom, expédie un premier courriel à madame Reny dont le sujet traité est « Curriculum vitae pour poste de camionneur ». Ce courriel n’est pas mentionné dans les notes évolutives de la CSST, colligées par madame Reny et contrairement à celui du 21 octobre 2008, il n’est pas déposé au dossier et se lit comme suit :
[…]
Joël est présentement en pleine recherche d’emploi, mais il reçoit toujours la même réponse… Qu’ils exigent un minimum d’expériences. Qu’est-ce qu’on pourrait faire pour qu’il puisse se trouver un emploi le plus rapidement possiblement. Plus bas dans ce message se trouve la réponse qu’il a reçu d’une compagnie où il a postulé, mais ce n’est pas la seule à donner cette réponse. Ça fait déjà deux compagnies qui lui répondent ceci.
[sic]
[43] Ce courriel indique le nom du travailleur, son numéro de dossier et fait mention d’un message provenant d’un des employeurs sollicités par le travailleur lors de sa recherche d’emploi. Cet employeur précise que le travailleur n’a pas un minimum d’expérience de travail comme conducteur de véhicules lourds, notamment aux États-Unis et/ou au Canada et qu’il ne peut satisfaire à l’offre d’emploi.
[44] Or, selon le travailleur, aucun employeur potentiel n’a répondu favorablement à ses offres d’emploi de conducteur de camion de classe 1 sans chargement ni déchargement. De plus, dans ses nombreux courriels auxquels il joignait son curriculum vitae, le travailleur précisait aussi qu’il possédait son permis de conduire de classe 1 de même que certaines cartes de compétence pour l’ajustement des freins pneumatiques, celle du Conseil canadien de la sécurité et celle concernant le transport de matières dangereuses. Il ajoute même que la CSST est prête à offrir une aide financière à l’entreprise qui l’embauchera. Cela appert de plusieurs courriels du mois d’avril 2008, expédié par le travailleur à des compagnies de transport.
[45] Toujours selon les pièces déposées en liasse, sous la cote T-1, il s’avère que la plupart des courriels ont été expédiés par le travailleur en avril 2008 et ont repris à compter du 19 octobre 2008. Par contre, le travailleur précise à l’audience qu’il a fait des démarches d’emploi entre cette période et que ce n’est qu’en octobre 2008 qu’il s’est bien aperçu qu’aucun employeur ne voulait l’embaucher pour différentes raisons, notamment parce qu’il n’avait pas les exigences physiques de l’emploi ou encore l’expérience requise, ce qui diminuait considérablement ses possibilités raisonnables d’embauche pour ce type d’emploi.
[46] Dès que le travailleur faisait état de ses limitations fonctionnelles aux employeurs qui le questionnaient à ce sujet, il recevait une réponse négative de leur part en raison surtout de celles-ci.
[47] Il reconnaît qu’un employeur de Saint-Pamphile, soit la compagnie Transbois, devait l’engager initialement, vers le mois de janvier 2008, mais qu’il n’a pu en raison de ses limitations fonctionnelles puisqu’il devait pelleter de la « rip » de bois. Lorsqu’il demeurait à St-Pamphile, le travailleur a fait plusieurs démarches lors de sa recherche d’un emploi. Il a utilisé son automobile dans un rayon de 50 kilomètres de sa résidence située à Saint-Pamphile, et ce, jusqu’en juillet 2008, mois où il a déménagé à Lévis pour augmenter ses chances de se trouver un emploi de conducteur de camion classe 1 pour un employeur situé dans la région de Québec et/ou de Chaudière-Appalaches.
[48] Durant sa recherche d’emploi, il a expédié plusieurs curriculum vitae à des compagnies de transport ou de livraison de marchandises et se rendait fréquemment, soit au moins deux à trois fois par semaine, au centre local d’emploi pour consulter les offres d’emplois dans ce domaine ou dans d’autres activités connexes qu’il était en mesure d’exercer. Il s’est rendu également, en personne, visiter les parcs industriels où il y avait des compagnies de transport, que ce soit à Saint-Romuald, Lauzon, Lévis ou Saint-Nicolas.
[49] Par trois fois, il s’est rendu postuler un emploi chez Transbois de Saint-Pamphile. Il fut toujours refusé en raison de ses limitations fonctionnelles. Il en est de même pour d’autres transporteurs de bois en longueur ou pour d’autres matières ou produits. Le fait que le travailleur était prestataire de la CSST occasionnait une certaine peur à d’éventuels employeurs par rapport aux risques qu’ils encouraient (coûts de la CSST).
[50] D’autres employeurs nommés par le travailleur à l’audience œuvrant dans le domaine du transport de matières dangereuses, tels de l’essence, du mazout ou de l’huile ou comme chauffeur-livreur de pièces automobiles ou autres produits alimentaires, ne lui répondaient pas ou encore lui mentionnaient qu’il n’avait pas les capacités physiques pour exercer les emplois disponibles.
[51] Questionné à savoir s’il y a eu une suite au premier courriel expédié par sa conjointe, le 3 avril 2008, à madame Reny de la CSST, le travailleur mentionne, qu’à sa connaissance, il n’a pas eu de réponse de celle-ci. Il a alors continué sa recherche d’emploi puisqu’il était toujours motivé à s’en trouver un.
[52] Il a continué ses démarches auprès d’éventuels employeurs, jusqu’à ce qu’il constate à nouveau, en octobre 2008, que les possibilités raisonnables d’embauche étaient très limitées par rapport à toutes les recherches et les demandes d’emploi qu’il a faites auprès de nombreux employeurs œuvrant dans différents secteurs du transport. C’est ce qui l’a conduit à envoyer le deuxième courriel à madame Reny, soit celui du 21 octobre 2008, dans lequel il demande clairement de l’aide afin de se trouver un emploi.
[53] Madame Reny a répondu immédiatement à ce courriel, le 21 octobre 2008, le tout tel qu’il appert de ses notes évolutives colligées à la même date. Elle écrit que le travailleur fait une demande d’aide en recherche d’emploi, qu’il est déménagé à Lévis et qu’il n’a pas reçu d’aide avec une ressource externe pour sa recherche d’emploi. Elle réfère alors le travailleur auprès de madame Gisèle Rouillon, conseillère en emploi, qui a rencontré le travailleur à deux reprises, soit le 24 octobre 2008 et le 18 décembre 2008. Dès le 21 octobre 2008, madame Reny a fait un contrat de services professionnels à madame Rouillon dont le sommaire du mandat inscrit est une aide en recherche d’emploi de même qu’un soutien individuel qui devait débuter le 28 octobre 2008 et prendre fin vers le 6 janvier 2009. La date limite du dépôt du rapport final devait être le 16 janvier 2009. Deux pages d’informations concernant le travailleur ont été transmises avec le contrat de service à madame Rouillon.
[54] Le 4 février 2009, madame Rouillon a produit son rapport à l’attention de madame Reny, de la CSST. Le tribunal croit utile et nécessaire de citer les informations qu’elle a colligées dans son rapport et qui se lisent comme suit :
[…]
Soutien à la réintégration professionnelle
Déroulement de la démarche
Vous nous avez confié le dossier de votre client, monsieur Joël Chabot, afin de commencer les démarches de recherche d’un emploi. L’objectif visé était d’aider le travailleur en le supervisant dans ces démarches et en communiquant avec des employeurs afin de le placer en emploi, et ce, dans le respect de ses limitations fonctionnelles. L’emploi retenu pour le travailleur est celui de chauffeur de camion classe 1 (sans chargement ni déchargement).
Pour ce faire, nous avons rencontré le travailleur deux fois dans nos bureaux. La première fois en date du 24 octobre, et la seconde le 18 décembre 2008. Monsieur s’est toujours présenté à l’heure convenue et il était vêtu correctement et il a démontré du respect et une bonne motivation à retourner prochainement sur le marché du travail.
Éléments personnels et sociaux
Monsieur Chabot est un jeune travailleur de 33 ans. Il vit avec sa conjointe et leurs deux petits enfants à Lévis. Il déclare que sa conjointe s’implique beaucoup dans sa recherche d’emploi. Il nous affirme ne connaître aucune problématique particulière, mis à part un écart de conduite en état d’ébriété en 2000. Monsieur nous dit qu’il n’y a plus de trace juridique de cette « erreur de jeunesse », selon ses propos.
Formation
Monsieur a un niveau d’étude de secondaire III. Il détient une formation au niveau de la conduite de camion classe 1 qu’il a suivi chez E.N.CE.L à Québec.
Attentes du travailleur
Monsieur Chabot souhaite travailler sur la rive-sud ou dans la grande région de Québec, et ce, à temps plein en qualité de chauffeur, mais il n’exclut pas d’occuper un autre emploi qui respecte ses limitations, comme chauffeur- livreur, par exemple.
Capacités physiques
Suite à un accident du travail le client doit à présent éviter de :
· Soulever, porter, pousser ou tirer de façon répétitive ou fréquente des charges dépassant 15 kilos;
· Les mouvements de flexion, d’extension ou de torsion de la colonne cervicale;
· Les vibrations de basse fréquence ou des contrecoups à la colonne cervicale;
· La position des membres supérieurs au-dessus des épaules;
Déroulement des démarches
Nous avons ciblé un très grand nombre d’entreprises qui offrent le type d’emploi recherché, à savoir conducteur de camion classe 1.
Voici les noms des entreprises approchées, mais qui n’ont pas répondu positivement à nos demandes, soit à cause du manque d’expérience du travailleur soit que leur personnel était complet, soit qu’il y avait eu des mises à pied temporaires dans leurs effectifs, mais que leurs chauffeurs allaient être rappelés ou encore, et pour la plupart des emplois, le chargement et le déchargement faisaient partie des tâches du chauffeur.
Rapport d’un soutien à la réintégration professionnelle
Astral Transport, Gesticam International, Delta Transport inc., Canionage SLC Inc, Litière Pouliot, Transport TriCam, Gestion Raymond Denis, Mainguy Pièces d’autos, Réseau Pro-Routiers, Simon Giguère Produits Pétroliers, Transport Idéal Inc, Entreprise Tremblay, Les Voituriers Transit Inc, Aliments Breton Inc, Les Industries Laliberté ltée, Ets Tramec, Transport L.F. L Inc, Les Bois de Plancher P.G Inc, Remorquage Cantin, L. Bilodeau & FiIs ltée, Légubec Inc, Deschênes & FiIs Ltée, Entreprises Réal Caron Ltée, Transport L&R Martel, Transport Réjean Vennes Inc, Transport Pouliot Inc, Boutin Express, Transport Rhéaume, Midland Express, Reiyer Express, Transport Subito, Thibodeau transport, Transport en Vrac Chauveau, Transport en vrac Ste Foy, Transport en Vrac Région 03, Baillargeon Express, Transport Raymond Denis, Enviro Express, Dantex Transport Inc, Lévio Transport, Besner Transport, RST Industries, Transport Beaulac, Services Alimentaires Mon Château Inc, Transport BMR-Matco-Ravary, Les structures R.B.R. Inc, Les entreprises C.N.R, Équipements Supérieurs Inc, Logistiques Seawest Inc, Transport DPM, Transport Harold Carruthers Inc, Transport Marc Juneau (transport scolaire, embauche en août seulement) Intercar, Transport A. Beaumont Inc, Blouin Transport, Courtiers en Transport J. Julien, Transport Sego Inc, Fortier-Boostway, G. Gagné Transport Inc, Léo Dussault Transport Inc, Nor-Co Transport Inc, Montkar Transport, Transport Bernières Inc, Transport Brymag Inc, Transport Guy Lajeunesse, Transport G.M.S Ménatti Inc, Transport Gauvin, Transport Gilmyr, C.R.S Transport, Distribution Marc Boivin.
Entreprises qui ont reçu le c.v. du travailleur et/ou qui ont accordé une entrevue à monsieur Chabot.
InterCam, Courtiers en transports G.M.R, Autobus Interrives, Sté de Transport de Lévis, Entreprises & Transport Orléans, Transport C.D.G, Transport M.A Colibri Inc, Les Entreprises A.R Carrier, Transport V.A, Transport Boulin.
À la fin du mois de décembre, nous avons rencontré à nouveau le travailleur afin d’établir un bilan de nos démarches, car beaucoup d’appels aux employeurs, mais peu de résultats concrets.
Nous avons donc remis les copies de toutes nos lettres adressées aux entreprises et lui avons demandé de faire le suivi de ces envois afin que nous puissions nous consacrer à une ultime recherche au niveau du camionnage.
Suite à une récente conversation téléphonique avec votre client nous avons appris que celui-ci avait été en rencontre avec l’agence de placement de camionneurs « InterCam » qui lui a proposé un emploi qu’il a dû refuser car il y avait trop de manutention.
Puis monsieur Chabot nous informe qu’il est en emploi depuis peu. Il livre le journal Le Soleil à Lévis, et ce, de 1h à 5h tous les matins. Il travaille environ 35h/semaine pour un salaire de 500 à 600 $ /semaine. Son employeur est monsieur Steeve Beauregard.
Le travailleur semble satisfait de sa nouvelle condition de travail même s’il déclare continuer à regarder les emplois de camionneur. Nous lui avons communiqué de nouvelles offres d’emplois où il pourra postuler, s’il le souhaite.
Voilà qui termine ces démarches dans ce dossier et en vous remerciant pour cette référence, nous vous prions de croire, madame Reny, en nos sentiments les plus dévoués.
Giselle Rouillon, conseillère en emploi.
[sic]
[Les soulignements sont du soussigné]
[55] C’est donc avant la dernière rencontre tenue avec madame Rouillon, soit celle du 18 décembre 2008 et devant l’impasse de se trouver un emploi malgré toutes les démarches faites par le travailleur et par madame Rouillon, et ce, même si le travailleur avait obtenu quelques entrevues auprès d’employeurs potentiels, que le travailleur mandate, le 8 décembre 2008, madame Micheline Pelletier de l’ATA pour le représenter dans son dossier qui concerne la CSST.
[56] Madame Pelletier, de l’ATA, décide alors, le 17 décembre 2008, de contester seulement la décision rendue le 24 janvier 2008 par la CSST qui concerne la capacité du travailleur à exercer un emploi convenable déjà retenu, soit camionneur de classe 1 sans chargement ni déchargement. Elle demande une copie intégrale du dossier du travailleur et achemine sa contestation auprès de la CSST, soit en révision administrative.
[57] Suite à la réception de cette contestation, la révision administrative de la CSST a demandé des explications au travailleur ou encore à sa représentante, madame Pelletier, concernant le hors délai et si c’est le cas, quel serait le motif raisonnable invoqué par le travailleur. Cela appert des notes évolutives du 10 mars 2009, colligées par madame Viel, de la révision administrative de la CSST. Les raisons invoquées par le travailleur ou sa représentante n’ont pas été retenues comme étant un motif raisonnable selon la CSST. Cela appert de sa décision rendue le 18 mars 2009, que le travailleur a contestée le 26 mars 2009, d’où le présent litige.
[58] Au soutien de sa requête, le travailleur réaffirme ce qu’il a déjà mentionné à la CSST, mais ajoute les motifs suivants :
- D’abord, il s’agit de son premier dossier CSST, ce qui fait en sorte qu’il n’a jamais su comment on procédait en réadaptation, notamment pour établir un emploi convenable jusqu’à sa capacité de l’exercer.
- À l’époque de la détermination de l’emploi convenable, il était sûr et certain de se trouver un emploi dans ce domaine étant donné que la plupart des chauffeurs de camion sont des personnes assez âgées ou retraitées qui reviennent travailler.
- Lorsqu’il rencontrait des employeurs, il n’avait pas son rapport d’évaluation médicale avec lui, mais il leur décrivait ses limitations fonctionnelles permanentes et précisait à l’éventuel employeur qui l’embaucherait, qu’il pourrait obtenir une subvention de la CSST durant sa période de formation professionnelle auprès de cette entreprise.
[59] Le travailleur ajoute qu’il a même essayé de faire enlever ou modifier ses limitations fonctionnelles permanentes, notamment la restriction concernant le poids, mais son médecin qui a charge n’a pas voulu.
[60] Toutefois, il reconnaît avoir exercé un emploi de camelot lorsqu’il livrait le journal « Le Soleil », en utilisant son véhicule automobile. C’est cet emploi qu’il occupait lors de son accident d’automobile survenu le 5 avril 2009. Sa rémunération était d’environ 600 $ par semaine, ce qui confirme les dires de madame Rouillon.
[61] Le travailleur reconnaît n’avoir fait aucune autre démarche (sauf le courriel du 3 avril 2008) ni appel téléphonique auprès de madame Reny, entre le mois de janvier 2008 jusqu’au 21 octobre 2008, soit la date de son deuxième courriel expédié à madame Reny. Il avait toujours espoir de se trouver un emploi jusqu’à ce que ses illusions disparaissent, surtout à compter du mois de décembre 2008, malgré qu’il bénéficiait de l’aide de madame Rouillon, à ce moment.
[62] Le travailleur croit avoir offert sa collaboration lors de la détermination de l’emploi convenable mais aussi lors de ses recherches d’ emploi. Il a toujours eu la motivation et le goût d’exercer cet emploi qu’il a d’ailleurs choisi comme premier choix d’emploi convenable possible.
[63] La preuve démontre aussi que pendant son année de recherche d’emploi qui se terminait le 22 janvier 2009, alors qu’il recevait une pleine indemnité de remplacement du revenu, le travailleur a manifesté son besoin d’aide auprès de la CSST, et ce, avant de contester, le 17 décembre 2008. C’est en raison de tous ces faits et de toutes ces démarches infructueuses pour occuper un emploi de camionneur de classe 1 sans chargement ni déchargement, qu’il a donc réalisé, surtout en décembre 2008, qu’il ne pouvait s’agir d’un emploi convenable puisqu’il n’a jamais été capable de se trouver un emploi dans ce domaine, d’où sa contestation tardive.
Le témoignage de madame Cindy Pelletier (conjointe du travailleur)
[64] Madame Pelletier est courtière en assurance de dommages dans les secteurs de l’automobile et de l’habitation. Elle est la conjointe de fait du travailleur depuis 2001. Elle reconnaît que la plupart des courriels ont été expédiés par elle et qu’elle a aussi fait de la recherche d’emploi avec son conjoint par le biais des sites Internet comme Emploi Québec ou autres, ce qui confirme le témoignage du travailleur.
[65] Elle confirme également qu’elle n’a reçu aucune réponse du premier courriel du 3 avril 2008 puisque ce n’est qu’après le 21 octobre 2008, soit le deuxième courriel (T-1) que son conjoint a eu des nouvelles de la CSST, alors que madame Reny lui a recommandé une personne-ressource comme soutien à la recherche d’emploi, soit madame Rouillon.
[66] Madame Pelletier confirme aussi que le travailleur a fait plusieurs recherches d’emploi auprès de différents employeurs comme camionneur ou camionneur-livreur.
[67] Selon elle, si le travailleur n’a pas contesté d’abord la décision déterminant un emploi convenable et ensuite celle qui statuait qu’il était capable de l’exercer, soit celle du 24 janvier 2008, c’est parce qu’il avait bon espoir de se trouver un emploi dans ce domaine et que « ça déboucherait ». Cependant, ce ne fut pas le cas, dit-elle.
L’ARGUMENTATION DES PARTIES
[68] La procureure du travailleur a d’abord soumis quelques décisions rendues par la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles (la CALP) ou encore de la Commission des lésions professionnelles pour soutenir certaines de ses prétentions.
[69] D’abord, elle soumet comme motif raisonnable pouvant expliquer le ou les hors délais de ces deux décisions rendues par la CSST, la longue période de recherche d’emploi infructueuse s’étalant sur près de 12 mois.
[70] Elle plaide aussi la diligence et la bonne foi du travailleur, car ce n’est qu’après ces recherches d’emploi infructueuses, malgré l’aide reçue à compter d’octobre 2008, associées à son désir d’exercer cet emploi, que ce dernier a constaté que les possibilités raisonnables d’embauche dans ce domaine étaient presque inexistantes alors que sa période annuelle de recherche d’emploi se terminait le 22 janvier 2008.
[71] Elle soumet donc que le travailleur avait non seulement une intention de contester sa capacité d’exercer cet emploi convenable, mais aussi la décision qui déterminait cet emploi convenable, puisqu’il n’existe pas de possibilité raisonnable d’embauche, compte tenu notamment de ses limitations fonctionnelles permanentes qui l’empêchent de l’exercer ou encore des autres contraintes dont elle entend établir au moment d’une prochaine audience, si le tribunal prolonge le délai de révision de l’une ou de ses deux décisions.
[72] À ce sujet, elle a réitéré, lors de son argumentation, qu’elle n’entendait pas procéder immédiatement sur l’emploi convenable ni sur la capacité du travailleur à l’exercer, soit les décisions rendues initialement par la CSST en date des 10 septembre 2007 et 24 janvier 2008.
[73] Elle conclut que les témoignages du travailleur et de sa conjointe démontrent qu’il n’y avait, pour le travailleur, aucune possibilité raisonnable d’embauche afin qu’il puisse exercer cet emploi retenu, que la CSST qualifiait de convenable lorsqu’elle a rendu sa première décision, le 10 septembre 2007, en autorisant aussi une mesure de réadaptation afin que le travailleur ait la capacité de l’exercer à la fin de celle-ci. Elle ajoute que le travailleur n’avait aucun intérêt à contester l’une ou l’autre de ces décisions, et ce, avant de se rendre compte, tard en décembre 2008, qu’il n’y avait pas de possibilité raisonnable d’embauche pour le travailleur.
[74] Elle demande d’accueillir la requête du travailleur, de déclarer recevable sa contestation du 17 décembre 2008 qui peut porter sur les deux décisions rendues par la CSST et de retourner le dossier au greffe de la Commission des lésions professionnelles afin de se prononcer sur le fond de l’une ou de ces deux décisions rendues par la CSST, soit celles du 10 septembre 2007 et du 24 janvier 2008.
[75] Le motif raisonnable soulevé par le travailleur serait l’absence de possibilité raisonnable d’embauche due aux recherches d’emploi infructueuses et régulières faites par le travailleur depuis janvier 2008 jusqu’à janvier 2009, elle précise que cette preuve démontre aussi la bonne foi et la diligence du travailleur, puisque lorsqu’il s’est rendu compte qu’il ne pouvait exercer cet emploi pour différentes raisons, dont il entend établir lors d’une prochaine audience, il a contesté rapidement.
[76] Pour sa part, la procureure de la CSST soumet que la plupart des décisions déposées par le travailleur font état d’un courant jurisprudentiel minoritaire qui met en cause la stabilité des décisions rendues par la CSST lorsqu’elle détermine un emploi convenable avec une mesure de réadaptation, et ce, afin qu’un travailleur ou une travailleuse puisse l’exercer à la fin de cette mesure de réadaptation.
[77] Elle soumet que la CSST a respecté tous les critères d’un emploi convenable, ce qui inclut la possibilité raisonnable d’embauche qui se trouve à être le motif raisonnable soulevé par le travailleur pour expliquer son long hors délai de 15 mois, s’il s’agit alors de contester la décision rendue le 10 septembre 2007 par la CSST ou encore de 11 mois pour la décision du 24 janvier 2008.
[78] Elle ajoute que le ou les motifs invoqués par le travailleur lors de son témoignage ne sont pas raisonnables, au sens de la jurisprudence majoritaire, et qu’en conséquence, sa requête portant sur l’une ou les deux décisions rendues par la CSST est donc hors délai puisqu’aucun motif raisonnable n’a été soulevé par ce dernier, d’où le maintien de la décision rendue le 18 mars 2009 par la révision administrative de la CSST, à savoir que sa demande de révision est irrecevable.
L’AVIS DES MEMBRES
[79] Le membre issu des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales sont d’avis d’accueillir la requête du travailleur et de considérer recevable la demande de révision qu’il a déposée le 17 décembre 2008, à l’encontre de la décision rendue le 24 janvier 2008 par la CSST, mais aussi de celle du 10 septembre 2007.
[80] Ils sont d’avis que les explications fournies par le travailleur, lesquelles sont corroborées par sa conjointe qui a participé avec lui dans sa recherche d’emploi active, qui a duré près de 11 mois, démontrent un motif raisonnable justifiant les hors délais de ces deux décisions rendues par la CSST qui ont été contestées par le travailleur tardivement.
[81] Ils sont d’avis que leurs témoignages sont crédibles, vraisemblables et cohérents et démontrent un motif raisonnable chez un travailleur qui a été naïf, mais diligent dans l’administration de son dossier.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[82] La Commission des lésions professionnelles doit décider de la recevabilité de la requête produite le 17 décembre 2008 par le travailleur, à l’encontre de la décision rendue le 24 janvier 2008 par la CSST.
[83] Subsidiairement, la procureure du travailleur demande aussi au tribunal de se prononcer sur la même question, mais cette fois, en regard de la première décision rendue par la CSST, soit celle du 10 septembre 2007 qui déterminait alors l’emploi convenable et une mesure de réadaptation pouvant rendre le travailleur capable de l’exercer, et ce, à la fin de celle-ci.
[84] Dans un premier temps, le tribunal prend acte du fait que le travailleur n’a contesté aucune des deux décisions rendues par la CSST, soit celles du 10 septembre 2007 et du 24 janvier 2008, et ce, à l’intérieur du délai prévu à l’article 358 de la loi qui se lit comme suit :
358. Une personne qui se croit lésée par une décision rendue par la Commission en vertu de la présente loi peut, dans les 30 jours de sa notification, en demander la révision.
Cependant, une personne ne peut demander la révision d'une question d'ordre médical sur laquelle la Commission est liée en vertu de l'article 224 ou d'une décision que la Commission a rendue en vertu de la section III du chapitre VII, ni demander la révision du refus de la Commission de reconsidérer sa décision en vertu du premier alinéa de l'article 365 .
Une personne ne peut demander la révision de l'acceptation ou du refus de la Commission de conclure une entente prévue à l'article 284.2 ni du refus de la Commission de renoncer à un intérêt, une pénalité ou des frais ou d'annuler un intérêt, une pénalité ou des frais en vertu de l'article 323.1 .
Une personne ne peut demander la révision du taux provisoire fixé par la Commission en vertu de l'article 315.2 .
__________
1985, c. 6, a. 358; 1992, c. 11, a. 31; 1996, c. 70, a. 40; 1997, c. 27, a. 14; 2006, c. 53, a. 26.
[85] Par ailleurs, en vertu de l’article 358.2 de la loi, la CSST peut prolonger le délai prévu à l’article 358 si un travailleur démontre un motif raisonnable. L’article 358.2 de la loi se lit comme suit :
358.2. La Commission peut prolonger le délai prévu à l'article 358 ou relever une personne des conséquences de son défaut de le respecter, s'il est démontré que la demande de révision n'a pu être faite dans le délai prescrit pour un motif raisonnable.
__________
1997, c. 27, a. 15.
[86] Or, puisque la notion de « motif raisonnable » n’est pas définie dans la loi, il faut se référer à la jurisprudence qui l’a définie, dont le soussigné réfère à des extraits tirés de la décision suivante[2] :
[…]
[63] Le concept de « motif raisonnable » de l’article 358.2 de la loi est vaste et peut englober différentes situations.
[64] Selon la jurisprudence du tribunal, le motif raisonnable correspond à un motif non farfelu, crédible et qui fait preuve de bon sens, de mesure et de réflexion5.
[65] La jurisprudence a également décrit le motif raisonnable comme une « notion vaste dont l’interprétation peut varier dans le temps, tout comme celle de la notion de bon père de famille, de l’homme prudent et diligent; cependant il doit y avoir un motif raisonnable et le tribunal ne saurait sanctionner la négligence d’une partie »6.
[66] Bien que son application comporte l’exercice d’une grande discrétion de la part du décideur, il importe de ne pas être trop formaliste et de favoriser l’exercice des droits que le législateur accorde à un justiciable. Encore faut-il que la justification apportée ne soit pas de l’ordre de la négligence ou qu’elle ne corresponde pas à une nouvelle appréciation d’une décision qui n’aurait pas été contestée en temps utile, comme en l’espèce.
[67] C’est ce que rappelle la Cour supérieure du Québec dans l’affaire Cormier et Commission des lésions professionnelles7 :
[57] Il faut que les organismes administratifs cessent d’être plus rigides que les tribunaux de droit commun quant à la procédure. Rarement devant un tribunal ordinaire, un justiciable perd un droit à cause de la procédure. L’article 352 de ladite loi permet de prolonger un délai lorsqu’on a des motifs raisonnables. Tout cet imbroglio dans lequel se trouve la demanderesse n’est-il pas un motif raisonnable ? La décision du commissaire Maurice Sauvé (R-1) est raisonnable et le Tribunal ne doit pas intervenir.
[68] Cette opinion est reprise par la juge Suzanne Ouellet dans l’affaire Cantin c. Commission des lésions professionnelles et Commission de la santé et de la sécurité du travail8. Elle rappelle aux tribunaux administratifs que le rejet d’un recours pour vice procédural va à l’encontre du contexte législatif qui l’encadre. Selon elle, faire preuve de rigidité procédurale déroge aux règles édictées par les articles 351 et 353 de la loi :
[50] Rejeter la réclamation d’un travailleur sur la base d’une telle technicalité ne rencontre pas les objectifs de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles:
«Art. 1. La présente loi a pour objet la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu'elles entraînent pour les bénéficiaires.»
[51] Deuxièmement, cette rigidité procédurale déroge aux règles des articles 351 et 353 de la LATMP.
«Art. 351. La Commission rend ses décisions suivant l'équité, d'après le mérite réel et la justice du cas. […]» (soulignements ajoutés)
«Art. 353. Aucune procédure faite en vertu de la présente loi ne doit être rejetée pour vice de forme ou irrégularité.» (soulignements ajoutés)
[52] En plus, la CLP avait le pouvoir de prolonger le droit ou de relever Monsieur Cantin des conséquences de son défaut, le cas échéant36.
____________
36 Cormier c. Commission des lésions professionnelles, 2009 QCCS 730
___________________
5 Dansereau et Hôpital Maisonneuve-Rosemont [1993] C.A.L.P. 1074 (C.S.).
6 2009 QCCS 730 .
7 C.S. 200-17-011649-092, 15 janvier 2010, 2010 QCCS 184 .
8 Purolator ltée et Langlais, C.A.L.P., 87109-62C-9703, 11 décembre 1997, R. Jolicoeur.
[87] Tout d’abord, le tribunal conclut qu’il y a lieu aussi de se saisir de cette même contestation datée du 17 décembre 2008 afin de se prononcer sur le hors délai de la première décision rendue par la CSST, soit celle du 10 septembre 2007. D’ailleurs, l’article 377 de la loi donne ce pouvoir au tribunal. Il se lit comme suit :
377. La Commission des lésions professionnelles a le pouvoir de décider de toute question de droit ou de fait nécessaire à l'exercice de sa compétence.
Elle peut confirmer, modifier ou infirmer la décision, l'ordre ou l'ordonnance contesté et, s'il y a lieu, rendre la décision, l'ordre ou l'ordonnance qui, à son avis, aurait dû être rendue en premier lieu.
__________
1985, c. 6, a. 377; 1997, c. 27, a. 24.
[88] De plus, la procureure de la CSST ne s’est plus objectée à cette façon de faire du travailleur compte tenu de la preuve qu’il a administrée à l’audience. Elle a même précisé au tribunal, lors de son argumentation, qu’il avait le pouvoir de le faire, ce qu’entend faire le tribunal.
[89] Conséquemment, le tribunal se saisit de ces deux décisions rendues par la CSST qui ont été contestées par le travailleur hors délai.
[90] Or, après l’analyse de la preuve documentaire et surtout des témoignages crédibles rendus par le travailleur et sa conjointe, la Commission des lésions professionnelles conclut que le travailleur a soulevé un motif raisonnable lui permettant de prolonger le délai, non seulement concernant la décision rendue le 24 janvier 2008 par la CSST qui était celle présentement litigieuse, mais aussi de celle du 10 septembre 2007, et ce, en raison des motifs suivants.
[91] D’abord, le tribunal est du même avis que la jurisprudence fortement majoritaire qui considère que le motif raisonnable ne doit pas être farfelu, mais plutôt crédible, faire preuve de bon sens, de mesures et de réflexions. En somme, la notion du « bon père de famille » et de « l’homme prudent et diligent », dans de telles circonstances, est d’ailleurs une version à privilégier dans l’interprétation du motif raisonnable. Par contre, le tribunal ne peut donc sanctionner la négligence d’un travailleur, ce qui n’est certes pas le cas dans le présent dossier.
[92] En effet, la pièce T-1, soit les courriels de même que toutes les démarches faites par le travailleur pour occuper cet emploi de camionneur classe 1 sans chargement ni déchargement démontrent une très sa bonne collaboration, mais aussi une grande motivation et beaucoup d’intérêt pour exercer cet emploi qui était son premier choix au moment de décider d’un emploi convenable.
[93] Par contre, au cours de sa recherche d’emploi, notamment durant la période de janvier 2008 jusqu’à octobre 2008, il réalise qu’il n’y aurait pas de possibilité raisonnable d’embauche. C’est ce qui a d’ailleurs initié l’expédition d’un deuxième courriel de la part du travailleur, soit celui du 21 octobre 2008. Ce courriel a été reçu par madame Reny, de la CSST, puisqu’elle a agi dès le 21 octobre 2008.
[94] Par contre, personne ne sait pourquoi la CSST n’a pas agi antérieurement, soit lors du premier courriel du 3 avril 2008 qui n’a pas eu de suite, selon le travailleur et sa conjointe, qui l’a d’ailleurs expédié à madame Reny, de la CSST. Bien que le premier courriel n’était pas aussi clair que le deuxième (21 octobre 2008), il n’en demeure pas moins que s’il y avait eu une suite de la part de madame Reny pour connaître l’intention du travailleur, à cette période, à savoir s’il voulait obtenir une certaine aide ou encore une reconsidération de la décision déterminant l’emploi convenable ou de celle concernant sa capacité de l’exercer, le travailleur aurait dû alors se manifester clairement.
[95] Or, puisqu’il n’y a pas eu de réponse ni de suite à ce courriel du 3 avril 2008, le travailleur, de bonne foi, a poursuivi sa recherche d’emplois auprès d’éventuels employeurs, mais sans succès. Par la suite, il s’adresse de nouveau à la CSST, le 21 octobre 2008, puisqu’il considère que la possibilité raisonnable d’embauche est quasi nulle.
[96] À partir du moment que la CSST a répondu à ce courriel du 21 octobre 2008, en mandatant immédiatement une conseillère en emploi, soit madame Rouillon qui avait un mandat de quelques mois, la CSST s’est alors prononcée sur une mesure de réadaptation professionnelle comme elle l’avait fait précédemment, notamment lors des programmes de formations attribués au travailleur dans le cadre de son programme individualisé de réadaptation. D’ailleurs, l’article 166 de la loi détermine le but visé par la réadaptation professionnelle alors que l’article 167 prévoit des programmes de réadaptation professionnelle qui sont non limitatifs.
[97] Ces articles se lisent comme suit :
166. La réadaptation professionnelle a pour but de faciliter la réintégration du travailleur dans son emploi ou dans un emploi équivalent ou, si ce but ne peut être atteint, l'accès à un emploi convenable.
__________
1985, c. 6, a. 166.
167. Un programme de réadaptation professionnelle peut comprendre notamment :
1° un programme de recyclage;
2° des services d'évaluation des possibilités professionnelles;
3° un programme de formation professionnelle;
4° des services de support en recherche d'emploi;
5° le paiement de subventions à un employeur pour favoriser l'embauche du travailleur qui a subi une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique;
6° l'adaptation d'un poste de travail;
7° le paiement de frais pour explorer un marché d'emplois ou pour déménager près d'un nouveau lieu de travail;
8° le paiement de subventions au travailleur.
__________
1985, c. 6, a. 167.
[Les soulignements sont du soussigné]
[98] Or, un service de soutien ou de support en recherche d’emploi comme cela a été offert au travailleur à compter du 21 octobre 2008, à sa demande, constitue donc une mesure de réadaptation professionnelle qui fait partie de ce programme. Les services de support en recherche d’emploi, tel que prévu au paragraphe 4 de l’article 167 de la loi constituent donc une mesure de réadaptation qui oblige alors la CSST à rendre une décision écrite sur celle-ci. Ce faisant, un travailleur pourra la contester si celui-ci constate qu’elle ne serait pas suffisante pour lui permettre d’exercer un emploi convenable déjà décidé ou, encore, afin de rendre cet emploi convenable, soit le but visé par l’article 166 de la loi.
[99] En outre, la CSST ne peut faire indirectement ce qu’elle doit faire directement, c’est-à-dire rendre des décisions écrites, motivées et notifiées aux parties afin que celles-ci exercent leur droit de les contester ou non, tel que le précise l’article 354 de la loi, mais aussi les articles 146 et 147 de la loi qui se lisent comme suit :
146. Pour assurer au travailleur l'exercice de son droit à la réadaptation, la Commission prépare et met en oeuvre, avec la collaboration du travailleur, un plan individualisé de réadaptation qui peut comprendre, selon les besoins du travailleur, un programme de réadaptation physique, sociale et professionnelle.
Ce plan peut être modifié, avec la collaboration du travailleur, pour tenir compte de circonstances nouvelles.
__________
1985, c. 6, a. 146.
147. En matière de réadaptation, le plan individualisé constitue la décision de la Commission sur les prestations de réadaptation auxquelles a droit le travailleur et chaque modification apportée à ce plan en vertu du deuxième alinéa de l'article 146 constitue une nouvelle décision de la Commission.
__________
1985, c. 6, a. 147.
[Les soulignements sont du soussigné]
[100] Enfin, l’article 351 de la loi prévoit comment la CSST doit rendre ses décisions.
351. La Commission rend ses décisions suivant l'équité, d'après le mérite réel et la justice du cas.
Elle peut, par tous les moyens légaux qu'elle juge les meilleurs, s'enquérir des matières qui lui sont attribuées.
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1985, c. 6, a. 351; 1997, c. 27, a. 13.
[101] Dans le cas présent, la CSST a préparé et mis en œuvre, depuis avril 2007, avec la collaboration du travailleur qui a toujours été excellente, un plan individualisé de réadaptation qui comprenait surtout des mesures de réadaptation professionnelles en fonction des besoins du travailleur. Par contre, l’article 146 de la loi prévoit que ce plan individualisé de réadaptation peut être modifié, avec la collaboration du travailleur, et ce, pour tenir compte de circonstances nouvelles, ce qui aurait dû être le cas, dès le mois d’avril 2008 si la CSST avait répondu au premier courriel ou au plus tard, en octobre 2008, lorsque la CSST a offert de l’aide au travailleur, soit un soutien en recherche d’emploi.
[102] En octobre 2008, la CSST aurait dû rendre une décision sur cette nouvelle mesure de réadaptation professionnelle, comme elle l’a fait lors de sa décision rendue le 10 septembre 2007 en mentionnant une mesure de réadaptation professionnelle (formation chez ENCEL), afin qu’il soit capable d’exercer cet emploi convenable si celui-ci l’était toujours à ce moment.
[103] Or, la CSST n’a pas rendu de décision écrite sur cette nouvelle mesure de réadaptation professionnelle accordée au travailleur, le 21 octobre 2008, alors qu’elle a reconsidéré, à la demande même du travailleur, son plan individualisé de réadaptation. Ce faisant, la CSST empêchait le travailleur de contester, à l’intérieur du délai légal de 30 jours, cette nouvelle mesure de réadaptation professionnelle, qui a débuté le 21 octobre 2008 alors que la contestation du travailleur est datée du 17 décembre 2008, mais porte sur la détermination de cet emploi convenable et sur sa capacité à l’exercer, selon le libellé même des propos mentionnés par madame Pelletier de l’ATA, au réviseur administratif de la CSST. D’ailleurs, en décembre 2008, le travailleur ainsi que madame Rouillon ont constaté que les possibilités raisonnables d’embauche semblaient presque nulles pour le travailleur, puisque toutes les démarches qu’ils avaient faites ensemble n’ont donné aucun résultat probant, le tout tel qu’il appert de la preuve narrée dans la présente décision.
[104] En conséquence, le tribunal croit juste et équitable de prolonger le délai de révision concernant les deux décisions rendues par la CSST, soit celles des 10 septembre 2007 et 24 janvier 2008, et ce, afin que la Commission des lésions professionnelles se prononce rapidement sur la détermination de l’emploi convenable retenu par la CSST, soit chauffeur de camion classe 1 sans chargement ni déchargement, de même que sur sa capacité à l’exercer à compter du 28 janvier 2008.
[105] Par ailleurs, le tribunal ne retient pas la prétention de la procureure de la CSST, à savoir que la présente cause s’attaquerait au principe de la stabilité des décisions rendues par la CSST qui sont contestées hors délai ou non contestées par les parties. En effet, les faits, ici, sont différents de ceux que l’on a l’habitude de retrouver dans une cause de « hors délai » et de « motif raisonnable ».
[106] De plus, la CSST ne peut reprocher au travailleur ce que le tribunal lui reproche aussi, soit qu’elle aurait dû rendre une nouvelle décision écrite, dès le 21 octobre 2008, ce qui aurait permis au travailleur de la contester ou non dans les délais.
[107] Le tribunal ne tient pas rigueur au travailleur dans ce cas-ci, lequel a démontré son bon vouloir à exercer cet emploi qu’il considérait alors comme étant convenable jusqu’au moment où, au fur et à mesure de sa recherche d’emploi infructueuse pendant de nombreux mois, il a constaté qu’il n’avait peut-être pas la capacité de l’exercer ou encore qu’il ne s’agissait pas d’un emploi convenable compte tenu de la possibilité raisonnable d’embauche qui semble inexistante dans son cas.
[108] Le tribunal ajoute qu’il ne faut pas pénaliser un travailleur qui fait réellement de la recherche d’emploi, preuve à l’appui, par rapport à un autre travailleur qui n’en fait aucune et qui conteste hors délai à la fin de son année d’indemnité de remplacement du revenu pleine qu’il reçoit de la CSST, alors qu’il était payé pour se rechercher un emploi.
[109] Le tribunal constate que le travailleur n’a pas été négligent, même s’il a contesté officiellement le 17 décembre 2008, car dès le 3 avril 2008, lui et sa conjointe questionnaient fortement la CSST, lors du courriel expédié à madame Reny, sur les possibilités raisonnables d’embauche compte tenu des démarches infructueuses faites par le travailleur auprès d’éventuels employeurs à ce moment.
[110] C’est donc l’ensemble des motifs invoqués par le travailleur, lesquels sont crédibles, vraisemblables et probants, qui constituent, dans le cas en l’espèce, un motif raisonnable pouvant expliquer son hors délai portant sur ces deux décisions.
[111] D’ailleurs, la CSST aurait dû modifier le plan individualisé de réadaptation du travailleur dès le 21 octobre 2008, et ce, afin de lui permettre de le contester étant donné qu’elle venait d’ajouter une nouvelle mesure de réadaptation professionnelle afin que le travailleur ait la capacité d’exercer cet emploi, qu’elle juge alors convenable. Cependant, elle n’a pas rendu une décision, à ce sujet, selon les termes de l’article 354 de la loi ni selon l’article 147 de la loi.
[112] Bien que la demande de révision produite par le travailleur le 17 décembre 2008 est hors délai, non seulement à l’encontre de la décision rendue le 24 janvier 2008 par la CSST, mais aussi de celle du 10 septembre 2007, celle-ci est tout de même recevable puisque le travailleur a soulevé un motif raisonnable permettant au tribunal de se prononcer éventuellement sur le fond de ces décisions, et ce, à la demande de la procureure du travailleur qui n’était pas prête à procéder sur le fond.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête produite par monsieur Joël Chabot, le travailleur;
INFIRME la décision rendue le 18 mars 2009 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE recevable la demande de révision produite le 17 décembre 2008 par monsieur Joël Chabot à l’encontre non seulement de la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 24 janvier 2008 mais aussi de celle rendue le 10 septembre 2007 par cet organisme;
RETOURNE le dossier au greffe du tribunal afin que la cause soit entendue sur le fond de ces deux décisions contestées par monsieur Joël Chabot, et ce, le plus rapidement possible.
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Robin Savard |
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Me Annie Noël |
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MÉNARD, MILLIARD, CAUX |
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Représentante de la partie requérante |
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Me Lucie Rondeau |
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VIGNEAULT, THIBODEAU, BERGERON |
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Représentante de la partie intervenante |
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.