DÉCISION
[1] Le 9 mai 2002, madame Drissia Ben Kaddour (la travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête en révision en vertu de l'article 429.56 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi), à l'encontre d'une décision rendue le 6 mars 2002 par la Commission des lésions professionnelles. La requête en révision est datée du 19 avril 2002.
[2] Par cette décision du 6 mars 2002, la Commission des lésions professionnelles conclut qu'elle n'a pas subi de lésion professionnelle le 23 juillet 1999.
[3] À l'audience du 14 janvier 2003, la travailleuse et l'employeur sont présents et représentés. La Commission des lésions professionnelles a entendu les témoignages de la travailleuse ainsi que celui de monsieur Alain Fafard directeur général de la Résidence l'Eden de Laval (l'employeur).
L'OBJET DE LA REQUÊTE
[4] La travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles de réviser la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 6 mars 2002 pour les motifs suivants. Malgré que son avocate n'ait eu le dossier qu'une semaine avant l'audience et qu'elle n'ait pas eu suffisamment de temps pour l'étudier, la remise de l'audience lui a été refusée. De plus, la décision ne retient pas des éléments de preuve très importants et ne tient pas compte de d'autres éléments de la preuve.
QUESTION PRÉLIMINAIRE
[5] En début d'audience, la Commission des lésions professionnelles a soulevé d'office le fait qu'à première vue, la requête en révision de la travailleuse a été produite en dehors du délai raisonnable établi à 45 jours par la jurisprudence, en application de l'article 429.57 de la loi. L'audience du 14 janvier 2003 n'a porté que sur cette question.
[6] Dans son témoignage, la travailleuse ne peut dire précisément à quel moment elle a reçu la décision du 6 mars 2002. Elle croit l'avoir reçue la semaine suivante.
[7] Monsieur Fafard, pour sa part, témoigne à l'effet qu'il a reçu la décision le 8 mars 2002 par télécopie, en provenance du bureau de Physimed et de sa procureure Me Burdett. Le bordereau de transmission par télécopieur qu'il dépose et qui porte la date du 8 mars 2002 (à 9h07) corrobore son témoignage. Cette preuve amène la Commission des lésions professionnelles à retenir que la décision du 6 mars 2002 a été expédiée par la Commission des lésions professionnelles soit le 6 ou le 7 mars 2002 (un mercredi ou un jeudi).
[8] La preuve révèle par ailleurs que la travailleuse a posté sa requête en révision le 7 mai 2002, tel qu'en fait foi l'étampe de la poste sur l'enveloppe dans laquelle elle est parvenue à la Commission des lésions professionnelles. La requête en révision a été reçue à la Commission des lésions professionnelles le 9 mai 2002.
[9] La travailleuse, qui a longuement témoigné, ne peut dire à quelle date elle a reçu la décision du 6 mars 2002 parce qu'elle n'a pas accordé d'importance à cet élément. En la recevant, elle l'a lue, elle était très déçue et elle a pleuré. Elle s'attendait à une décision qui lui soit favorable.
[10] Me Sophie Lagacé, qui l'avait représentée à l'audience devant la Commission des lésions professionnelles les 27 novembre 2001 et 18 janvier 2002, l'a contactée par téléphone avec la décision en mains. La travailleuse avait aussi sa copie de la décision. L'avocate était très déçue d'avoir perdu. La travailleuse a demandé à Me Lagacé si elle pouvait contester la décision. L'avocate lui a dit qu'elle pouvait en demander la révision. Me Lagacé lui a toutefois dit qu'elle ne travaillait plus comme avocate et qu'elle ne pouvait s'en occuper. La travailleuse ne se souvient pas s'il a été question, lors de cette conversation, du délai pour déposer la requête en révision. Elle ajoute qu'elle n'a pas accordé d'importance à cet élément.
[11] La travailleuse a alors cherché un autre avocat, ce qui ne s'est pas avéré facile. Elle n'avait pas d'argent.
[12] Elle a aussi contacté la Commission des lésions professionnelles plusieurs fois pour demander des renseignements au sujet d'une requête en révision.
[13] Éventuellement, la travailleuse a contacté la FATA, un organisme qui défend gratuitement les travailleurs. Elle ne sait pas à quel moment exactement, mais elle affirme que c'est avant le 19 avril 2002. Elle a été référée à cet organisme par une dame qui s'occupe de sa déclaration de revenus et qui lui a donné leur numéro de téléphone. Elle a parlé à quelqu'un à la FATA à qui elle a expliqué la situation et à qui elle a lu une partie de la décision. L'intervenant de la FATA lui a demandé de lui envoyer le dossier mais de déposer la requête en révision dès lors puisqu'il était déjà trop tard, le délai étant de 45 jours. Si l'organisme décidait de la représenter, la requête serait donc déjà déposée.
[14] La travailleuse affirme avoir, le 19 avril 2002, rédigé elle-même la requête en révision et l'avoir envoyée à la Commission des lésions professionnelles. En réponse à la commissaire soussignée qui lui demande si quelqu'un lui a suggéré les motifs de révision, elle déclare que non et affirme que c'est elle-même qui a trouvé les motifs. Elle a eu une réponse négative de la FATA une semaine ou deux plus tard, ceux-ci estimant qu'ils ne pouvaient l'aider.
[15] La travailleuse ne peut expliquer le délai entre le 19 avril 2002, date où elle a posté la demande de révision, et l'étampe de la poste du 7 mai 2002 sur l'enveloppe.
[16] La travailleuse ne se souvient pas si elle a téléphoné à la Commission des lésions professionnelles avant ou après avoir contacté la FATA.
[17] Lorsque la soussignée lui demande qui lui a parlé d'une demande «en révision» (termes qu'elle utilise dans sa lettre), elle affirme que son avocate lui en a parlé, de même que la Commission des lésions professionnelles. La Commission des lésions professionnelles lui a aussi dit qu'après 40 jours il n'y avait pas de problème et qu'elle pouvait envoyer sa lettre. En effet, lorsqu'elle a vu qu'elle n'avait personne pour la représenter, elle a appelé à la Commission des lésions professionnelles concernant le délai.
[18] Lorsque la FATA lui a dit que le délai était dépassé, elle a appelé à la Commission des lésions professionnelles et a souligné que la décision ne mentionne aucun délai de contestation alors que les décisions de la CSST indiquent, au dernier paragraphe, le délai pour les contester. La travailleuse a répété à plusieurs reprises dans son témoignage qu'il n'y avait aucune indication du délai de contestation sur la décision de la Commission des lésions professionnelles.
[19] La preuve révèle par ailleurs, que dans ce dossier, la travailleuse a eu plusieurs représentants qui se sont succédé, monsieur Allen Robindainy du syndicat de la travailleuse, Me Bruno Bégin, monsieur Jean-Pierre Devost, encore Me Bégin et finalement Me Lagacé.
L'ARGUMENTATION DES PARTIES
[20] Le procureur de la travailleuse soutient qu'il n'est pas clair à quelle date la travailleuse a su qu'il y avait un délai pour déposer une requête en révision. Or, il est clair qu'elle a fait des démarches auprès de Me Lagacé, de la Commission des lésions professionnelles et de la FATA. Elle était informée de ce qu'elle devait faire mais elle était anxieuse, nerveuse, sidérée par la décision. Il est clair qu'elle avait l'intention de demander la révision et qu'elle a fait des démarches utiles et raisonnables en ce sens.
[21] Elle a toujours été représentée pour faire valoir ses droits et est incapable de le faire seule. Elle est très émotive et s'en remet à ses représentants. C'est pour cette raison qu'elle a tardé à déposer sa requête en révision.
[22] La procureure de l'employeur soutient que la travailleuse a fait des démarches dans les délais pour contester les décisions de la CSST même s'il y a eu plusieurs changements de procureurs dans son dossier. De plus, elle a des ressources et elle a contacté différentes personnes dans le but de déposer une requête en révision.
[23] L'employeur dépose de la jurisprudence où la Commission des lésions professionnelles a déclaré irrecevable une requête en révision qui accusait environ 23 jours de retard, en retenant que les démarches infructueuses auprès de représentants successifs ne peuvent être considérées comme un motif raisonnable dans le cadre d'un recours en révision ou révocation de décisions jugées finales et sans appel en vertu de l'article 429.19 de la loi[2].
L'AVIS DES MEMBRES
[24] Les membres issus des associations d'employeurs et syndicales sont d'avis que la requête en révision de la travailleuse est irrecevable. Elle ne respecte pas le délai de 45 jours de la notification de la décision et la travailleuse n'a pas de motif raisonnable pour être relevée du défaut d'avoir respecté le délai.
[25] Le membre issu des associations d'employeurs ajoute que la travailleuse a appelé la FATA avant le 19 avril 2002 de même que la Commission des lésions professionnelles et qu'ils lui ont parlé du délai.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[26] La Commission des lésions professionnelles doit décider si la travailleuse a un motif raisonnable pour être relevée du défaut d'avoir produit sa requête en révision dans le délai légal.
[27] Le pouvoir de révision ou de révocation d'une décision est prévu à l'article 429.56 de la loiqui énonce les motifs spécifiques donnant ouverture à une requête en révision. Cet article se lit ainsi:
429.56 La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu:
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut
être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
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1997, c. 27, a. 24.
[28] La jurisprudence des tribunaux supérieurs et de la Commission des lésions professionnelles a déterminé que les termes «vice de fond ou de procédure de nature à invalider la décision» doivent s'interpréter dans le sens d'une erreur manifeste de droit ou de fait ayant un effet déterminant sur l'issue de la contestation[3].
[29] L'article 429.57 prévoit dans quel délai la requête en révision doit être produite:
429.57. Le recours en révision ou en révocation est formé par requête déposée à la Commission des lésions professionnelles, dans un délai raisonnable à partir de la décision visée ou de la connaissance du fait nouveau susceptible de justifier une décision différente. La requête indique la décision visée et les motifs invoqués à son soutien. Elle contient tout autre renseignement exigé par les règles de preuve, de procédure et de pratique.
La Commission des lésions professionnelles transmet copie de la requête aux autres parties qui peuvent y répondre, par écrit, dans un délai de 30 jours de sa réception.
La Commission des lésions professionnelles procède sur dossier, sauf si l'une des parties demande d'être entendue ou si, de sa propre initiative, elle le juge approprié.
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1997, c. 27, a. 24.
[30] La jurisprudence a établi que le «délai raisonnable» pour déposer une requête en révision ou révocation est assimilable au délai pour déposer une contestation d'une décision de la CSST à la Commission des lésions professionnelles, soit 45 de la notification de la décision (article 359 de la loi)[4].
[31] Enfin, l'article 429.19 prévoit qu'une partie peut être relevée du défaut d'avoir respecté le délai:
429.19 La Commission des lésions professionnelles peut prolonger un délai ou relever une personne des conséquences de son défaut de le respecter, s'il est démontré que celle-ci n'a pu respecter le délai prescrit pour un motif raisonnable et si, à son avis, aucune autre partie n'en subit de préjudice grave.
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1997, c. 27, a.24
[32] Dans le présent cas, la Commission des lésions professionnelles siégeant en révision conclut que la travailleuse n'a pas fait la preuve qu'elle n'a pas pu respecter le délai prescrit pour un motif raisonnable, et ce pour les raisons suivantes.
[33] La Commission des lésions professionnelles retient que la décision du 6 mars 2002 a été notifiée à la travailleuse le 7 ou le 8 mars 2002 ou, au plus tard, le 11 ou 12 mars 2002. Si l'on retient que la travailleuse a reçu la décision le 7 mars 2002, sa requête reçue le 9 mai à la Commission des lésions professionnelles est en retard de 18 jours. Si l'on retient la date du 11 mars 2002, la requête accuse toujours un retard, de 14 jours cette fois.
[34] Bien que la requête de la travailleuse soit datée du 19 avril 2002, elle n'a pas été expédiée à la Commission des lésions professionnelles à cette date puisque l'enveloppe est étampée du 7 mai 2002 par Postes Canada. De plus, la travailleuse a déposé sa requête après avoir parlé à un intervenant de la FATA qui lui a dit qu'elle avait dépassé le délai. Or, le 19 avril 2002 elle aurait été dans le délai, celui-ci expirant vers le 22 avril 2002.
[35] La Commission des lésions professionnelles retient que la travailleuse a été informée, dans les jours suivant la réception de la décision, qu'elle pouvait déposer à la Commission des lésions professionnelles une requête en révision. Elle en a été informée par sa procureure Me Lagacé. Bien qu'elle ne se souvienne pas si à ce moment Me Lagacé l'a informée du délai pour produire une telle requête, la travailleuse a été informée du délai par la Commission des lésions professionnelles qu'elle a contacté à plusieurs reprises. La Commission des lésions professionnelles lui a d'ailleurs dit lors d'une de ces conversations qu'après 40 jours il n'y avait pas de problème et qu'elle pouvait envoyer sa requête. Il aurait été surprenant en effet que la Commission des lésions professionnelles ne lui indique pas dans quel délai une telle requête peut être déposée. Bien que la travailleuse ne sache pas avec précision à quel moment elle a eu l'information sur le délai, elle affirme que lorsqu'elle a vu qu'elle n'avait personne pour la représenter elle a contacté la Commission des lésions professionnelles qui lui a dit qu'elle pouvait envoyer sa lettre.
[36] D'autre part, la travailleuse était au courant qu'il y avait habituellement un délai pour contester une décision. Elle avait d'ailleurs contesté les décisions de la CSST dans les délais.
[37] La Commission des lésions professionnelles retient que la travailleuse n'a pas accordé beaucoup d'importance au délai. Elle a d'ailleurs répété à plusieurs reprises à l'audience que la décision du 6 mars 2002 ne comportait pas de mention du «délai de contestation», ce dont elle avait d'ailleurs fait part à la personne avec qui elle avait discuté au téléphone à la Commission des lésions professionnelles.
[38] La Commission des lésions professionnelles conclut que dans les circonstances, la travailleuse n'a pas fait preuve de diligence.
[39] La Commission des lésions professionnelles ne retient pas, malgré les prétentions de son procureur, qu'elle était trop anxieuse ou émotive pour s'occuper de ses affaires. Elle a, par ses actions, démontré le contraire, en rédigeant elle-même sa requête en révision, en trouvant elle-même les motifs au soutien de celle-ci, en faisant de nombreuses démarches tant auprès d'avocats que de la Commission des lésions professionnelles. Elle connaissait d'ailleurs plusieurs représentants puisque ceux-ci l'avaient représenté tour à tour dans son dossier.
[40] La Commission des lésions professionnelles conclut que la travailleuse n'a pas de motif raisonnable pour être relevée du défaut d'avoir respecté le délai pour déposer sa requête en révision. Sa requête est donc irrecevable.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
DÉCLARE IRRECEVABLE la requête de la travailleuse madame Drissia Ben Kaddour.
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Me Lucie Landriault |
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Commissaire |
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MERCURE AVOCATS (Me Sylvain Gingras)
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Représentant de la travailleuse |
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GROUPE SANTÉ PHYSIMED |
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(Me Claire Burdett)
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Représentante de l'employeur |
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[1] L.R.Q., c. A-3.001
[2] Éthier et Pascobel inc., C.L.P. 100693-62-9804, 99-07-19, S. Mathieu; aussi Lemire et Sigama Usinage & Fabrication ltée, C.L.P. 116951-04-9905, 01-09-24, C. Lessard; Guimond et Les entreprises Daniel Robert inc., C.L.P. 126224-62A-9911, 01-02-02, G. Godin
[3] Produits forestiers Donohue inc. et Villeneuve [1998] C.L.P. 733 ; Franchellini et Fernando Sousa [1998] C.L.P. 783
[4] Bouchard et Coopérative de la scierie Jos St-Amant, C.L.P. 158397-01B-0103, 02-07-03, H. Thériault; D'Amours et C. Jardin Lafontaine, C.L.P. 139233-01A-0005, 01-04-24, H. Thériault; Chic Négligé inc., [2001] C.L.P. 189 ; Émond et Environnement routier NRJ inc., C.L.P. 104687-62-9807, 00-03-20, D. Lévesque; Adam et Réal Locas & Fils inc., C.L.P. 92669-63-9711, 99-04-14, J.-L. Rivard
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.