Décision

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Ahikoc et Tricots Main inc.

2011 QCCLP 7873

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Montréal

7 décembre 2011

 

Région :

Montréal

 

Dossier :

433524-71-1103

 

Dossier CSST :

130323934

 

Commissaire :

Marie-Anne Roiseux, juge administratif

 

Membres :

Christian Tremblay, associations d’employeurs

 

Michel Gravel, associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Emine Hatin Ahikoc

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Tricots Main inc. (Les)

 

Partie intéressée

 

 

 

et

 

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

 

Partie intervenante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 21 mars 2011, madame Emine Hatin Ahikoc (la travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 17 février 2011, à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme la décision qu’elle a initialement rendue le 22 octobre 2010 et déclare que la travailleuse n'a pas droit au remboursement des frais reliés à des traitements d'acupuncture prescrits par son médecin.

[3]           À l’audience tenue à Montréal le 6 décembre 2011, seule la travailleuse assistée d'un interprète est présente. La cause a été mise en délibéré à cette date.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]           La travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu'elle a droit aux remboursements des traitements d'acupuncture prescrits par son médecin.

L’AVIS DES MEMBRES

[5]           Les membres issus des associations syndicales et des associations d’employeurs sont d’avis d’accueillir la requête de la travailleuse. Même si la lésion professionnelle est consolidée, elle demeure avec des séquelles permanentes et des limitations fonctionnelles. Les traitements d’acupuncture sont prescrits par le médecin qui a charge afin de permettre à la travailleuse de diminuer la médication qu'elle doit prendre pour les douleurs résiduelles.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[6]           La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si la travailleuse a droit au remboursement du coût des traitements d’acupuncture prescrits par son médecin traitant.

[7]           L’article 188 de la loi reconnaît au travailleur victime d’une lésion professionnelle, le droit à l’assistance médicale et l’article 189 décrit en quoi consiste l’assistance médicale :

188.  Le travailleur victime d'une lésion professionnelle a droit à l'assistance médicale que requiert son état en raison de cette lésion.

__________

1985, c. 6, a. 188.

 

 

189.  L'assistance médicale consiste en ce qui suit :

 

1° les services de professionnels de la santé;

 

2° les soins ou les traitements fournis par un établissement visé par la Loi sur les services de santé et les services sociaux (chapitre S-4.2) ou la Loi sur les services de santé et les services sociaux pour les autochtones cris (chapitre S-5);

 

3° les médicaments et autres produits pharmaceutiques;

 

4° les prothèses et orthèses au sens de la Loi sur les laboratoires médicaux, la conservation des organes, des tissus, des gamètes et des embryons et la disposition des cadavres (chapitre L-0.2), prescrites par un professionnel de la santé et disponibles chez un fournisseur agréé par la Régie de l'assurance maladie du Québec ou, s'il s'agit d'un fournisseur qui n'est pas établi au Québec, reconnu par la Commission;

 

5° les soins, les traitements, les aides techniques et les frais non visés aux paragraphes 1° à 4° que la Commission détermine par règlement, lequel peut prévoir les cas, conditions et limites monétaires des paiements qui peuvent être effectués ainsi que les autorisations préalables auxquelles ces paiements peuvent être assujettis.

__________

1985, c. 6, a. 189; 1992, c. 11, a. 8; 1994, c. 23, a. 23; 1999, c. 89, a. 53; 2001, c. 60, a. 166.

 

 

[8]           Les traitements d’acupuncture sont des traitements prévus au Règlement sur l'assistance médicale[1] (le Règlement).

[9]           Du témoignage de la travailleuse et du dossier, la Commission des lésions professionnelles retient comme pertinents à la résolution de la présente affaire les éléments suivants.

[10]        La travailleuse, couturière depuis six ans, a subi une lésion professionnelle, soit une maladie professionnelle, le 3 octobre 2006, dont les diagnostics retenus par la Commission des lésions professionnelles sont ceux de cervicalgie de type mécanique et posturale ainsi qu’un syndrome myofascial de la musculature des trapèzes.

[11]        Le docteur Pierre Dupuis, chirurgien orthopédiste qui évalue la travailleuse à la demande de la CSST, consolide la lésion professionnelle le 18 juin 2010, soit à la date de son évaluation, avec une atteinte permanente évaluée à 2,20 % et des limitations fonctionnelles équivalentes à celles de la classe II pour le rachis cervical de I'IRSST[2].

[12]        Le 12 juillet 2010, le docteur Bernard Chartrand, médecin qui a charge de la travailleuse, confirme qu’il est d’accord avec les conclusions retenues par le docteur Dupuis.

[13]        Le 18 août 2010, le docteur Chartrand prescrit sur un rapport médical, à l'intention de la CSST, des traitements d'acupuncture « en maintien » pour éviter la prise de médicaments. La CSST refuse la demande de la travailleuse puisque « la lésion est consolidée depuis le 18 juin 2010 avec suffisance des soins et des traitements.

[14]        Dans sa décision rendue à la suite de la révision administrative, la CSST motive ainsi son refus de rembourser le coût de ces traitements :

Dans le cas présent, la Révision administrative est d'avis que la Commission est justifiée de refuser d'accorder à la travailleuse le remboursement pour les traitements d'acupuncture supplémentaires qui lui sont prescrits. Pour conclure de la sorte, la Révision administrative se réfère au rapport d'évaluation médicale rédigé par le docteur Dupuis dont les conclusions ont également été retenues par le médecin qui a charge de la travailleuse. Dans ce rapport, le médecin précise que malgré la symptomatologie de la travailleuse qui continue à augmenter malgré son arrêt de travail il y a, en date du 18 juin 2010, suffisance de soins et de traitements et aucune indication de retourner vers des traitements de physiothérapie, d'ergothérapie ou autres traitements auxiliaires comme les massages, l'acupuncture, etc.

 

Notons que la date de consolidation médicale a été fixée plus de 3 années après la lésion professionnelle et que la travailleuse a reçu une panoplie de traitements conservateurs depuis cette date, avec augmentation de la douleur. Cette douleur est considérée comme étant chronique et c'est la raison pour laquelle des séquelles permanentes ont été reconnues cependant, puisque la symptomatologie a continué à augmenter malgré l'ensemble des traitements, le médecin a conclu qu'il était inutile de les poursuivre sous quelque forme que ce soit.

 

 

[15]        Ainsi, le motif retenu par la CSST pour refuser le remboursement des traitements d’acupuncture est le fait que la lésion professionnelle a été consolidée au 18 juin 2010 sans nécessité de traitements supplémentaires. Il faut souligner que lorsque le docteur Dupuis discute de la nécessité des traitements, il évalue l'aspect curatif des traitements.

[16]        Cette conclusion d'un médecin de mettre fin aux traitements, ou celle retenue par un membre du Bureau d’évaluation médicale qui n’aurait pas été contestée, intervient à un moment donné dans le temps. À ce moment-là, il y a suffisance de traitements. Cette conclusion empêche-t-elle tout traitement dans l’avenir? Le tribunal ne le croit pas.

[17]        La Commission des lésions professionnelles retient que même si un médecin dans le cadre d'un rapport d'évaluation médicale ou d'un avis d’un membre du Bureau d'évaluation médicale retient que la lésion est consolidée sans nécessité de soin supplémentaire, cela ne signifie pas pour autant la fin de tout traitement.

[18]        La recommandation du docteur Chartrand est de prescrire des traitements en maintien afin de diminuer la prise de médication. Il ne s'agit donc pas de traitements curatifs mais bien suivant une expression souvent utilisée, de traitements de support

[19]        Dans une cause récente où la Commission des lésions professionnelles avait à décider de la même question, la juge administratif Lucie Nadeau répond ainsi;[3]

[31] Rappelons que la consolidation est définie à l’article 2 comme la guérison ou la stabilisation d'une lésion professionnelle à la suite de laquelle aucune amélioration de l'état de santé du travailleur n'est prévisible. Une conclusion sur la fin des traitements à la date de consolidation signifie généralement qu’il n’y a plus de traitements recommandés en vue de guérir ou stabiliser une pathologie.

 

[32] La jurisprudence reconnaît toutefois qu’un travailleur a droit d’être remboursé des frais des médicaments ou de certains autres traitements qui lui sont prescrits par son médecin après la consolidation de sa lésion professionnelle lorsque ces médicaments ou ces traitements sont reliés à sa lésion et qu’ils visent à lui procurer un soulagement de la douleur résiduelle6.

 

[33] La consolidation d’une lésion ne correspond pas nécessairement à sa guérison, mais peut signifier sa stabilisation. Il est alors fort possible qu’une lésion stabilisée puisse requérir de l’assistance médicale notamment pour soulager une condition douloureuse, surtout dans le cas où des séquelles résultent de la lésion professionnelle. La jurisprudence reconnaît alors le droit à des traitements qu’elle qualifie de traitements de support ou de maintien.

 

[34] Dans Fillion et Société Via inc.7, la Commission des lésions professionnelles reconnaît le droit à des traitements de physiothérapie en notant ceci :

 

[29] Des traitements de physiothérapie ont été prescrits au travailleur en février 2008 afin de soulager ses douleurs secondaires à la douleur résiduelle chronique à l’épaule droite qui demeure porteuse de séquelles permanentes et de limitations fonctionnelles. De tels traitements sont prescrits dans un but palliatif plutôt que curatif. Ils sont de nature à atténuer les conséquences de la lésion professionnelle, tant au plan personnel que professionnel, chez le travailleur qui a repris et maintenu depuis l’exercice d’un emploi saisonnier.

 

[30] Le travailleur a donc droit au paiement des traitements de physiothérapie qui lui ont été prescrits par ses médecins, et ce, même en l’absence de preuve d’une récidive, rechute ou aggravation à compter du 22 février 2008.

_____________

6       Paul et Howard Bienvenue inc., C.L.P. 91644-08-9709, 29 janvier 1999, R. Savard; Faucher et Canadian Tire, C.L.P. 130087-05-0001, 13 juillet 2000, M. Allard; Van Dick et Souvenirs Avanti inc., C.L.P. 128886-72-9912, 30 avril 2001, L. Landriault; St-Pierre et Centres Jeunesse de Montréal, C.L.P. 183891-61-0205, 19 juillet 2002, L. Nadeau; Chabot et Farines SPB ltée, C.L.P. 350108-01A-0806, 7 octobre 2009, C.-A. Ducharme.

7    C.L.P. 357126-03B-0809, 5 août 2009, G. Marquis.

 

 

[20]        La Commission des lésions professionnelles est d'accord que la travailleuse ne peut espérer améliorer sa condition par les traitements d'acupuncture. Mais tel n'est pas le but de la prescription du 18 août 2010.

[21]        Pour soulager les douleurs, le docteur Chartrand a prescrit de « l'oxycontin[4]» ou des médicaments du même type. La CSST rembourse à la travailleuse le coût de ces médicaments.

[22]        La travailleuse a tenté de s'offrir des traitements d'acupuncture mais a dû cesser faute de ressources financières. Elle a témoigné du bénéfice qu'elle retire de ces traitements. Lorsqu'elle reçoit des traitements d'acupuncture, elle peut diminuer la médication qu'elle prend pour soulager la douleur. La travailleuse mentionne aussi qu'elle dort mieux et qu'elle ressent moins d'inconfort et peut plus facilement bouger la tête.

[23]        Il faut souligner que la lésion de la travailleuse a été consolidée avec une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles somme toute importantes et justifiées, entre autres, par la persistance des douleurs.

[24]        Il est en effet étonnant que la CSST accepte de rembourser le coût des médicaments prescrits pour traiter la douleur et non des traitements qui permettraient à la travailleuse de diminuer la prise de la médication.

[25]        La Commission des lésions professionnelles est d'avis qu'il vaut mieux pour la travailleuse recevoir des traitements d'acupuncture qui n'ont pas les effets secondaires de la médication même si les bénéfices de ces traitements ne sont que partiels.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête de madame Emine Hatin Ahikoc, la travailleuse;

INFIRME la décision rendue le 17 février 2011 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, à la suite d’une révision administrative;


DÉCLARE que la travailleuse a droit au remboursement des traitements d’acupuncture prescrits par son médecin.

 

 

__________________________________

 

Marie-Anne Roiseux

 

 

 

 

Me Simon Massicotte

VIGNEAULT, THIBODEAU, BERGERON

Représentant de la partie intervenante

 



[1]           (1993) 125 G.O. II, 1331

[2]           INSTITUT DE RECHERCHE EN SANTÉ ET EN SÉCURITÉ DU TRAVAIL DU QUÉBEC, PROGRAMME SÉCURITÉ-ERGONOMIE, Échelle de restrictions pour la colonne lombo-sacrée, Montréal, Institut de recherche en santé et en sécurité du travail du Québec, mars 1988.

[3]           Trottier et Corporation de l'école Polytechnique, 2011 QCCLP 1201 .

[4]           L'oxycontin appartient à une classe de médicaments appelés opioïdes. Il est utilisé pour le soulagement de la douleur modérée à intense.

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