Muga Fab inc. |
2009 QCCLP 4004 |
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[1] Le 27 novembre 2006, Muga Fab inc., l’employeur, dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 22 novembre 2006, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme la décision initiale qu’elle a rendue le 22 septembre 2006 et déclare qu’il n’est pas démontré que le travailleur, monsieur Bertrand D. Bolduc, était handicapé au moment de la survenance de la lésion professionnelle le 12 octobre 2004. En conséquence, la CSST impute à l’employeur la totalité des coûts dus en raison de cette lésion professionnelle.
[3] À l’audience tenue le 16 avril 2009, l’employeur est présent et représenté par son procureur.
[4] L’affaire est prise en délibéré le 16 avril 2009.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[5]
L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de
reconnaître que le travailleur était handicapé au moment de la survenance de la
lésion professionnelle au sens de l’article
LES FAITS
[6] Du dossier constitué par la Commission des lésions professionnelles et de la preuve produite à l’audience, le tribunal retient les éléments suivants, lesquels lui apparaissent pertinents à la solution du litige qui lui est soumis.
[7] Au moment de l’événement qui nous occupe, le travailleur est âgé de 61 ans et occupe un emploi de tuyauteur pour l’employeur.
[8] Le 19 octobre 2004, le travailleur produit une réclamation à la CSST pour un événement du 12 octobre 2004 qu’il décrit comme suit :
« En forçant pour lever un coude de 8" de terre.»
[9] Le 18 octobre 2004, le docteur Cadieux retient un diagnostic d’entorse lombaire. Il prescrit des traitements de physiothérapie et indique que le travailleur est trop souffrant pour entreprendre des travaux légers. Le 25 octobre suivant, le docteur Cadieux reprend le diagnostic d’entorse lombaire. Le travailleur est un peu moins souffrant mais les travaux légers ne pourront être entrepris avant le 9 novembre 2004. Le travailleur est traité en physiothérapie.
[10] Le 28 octobre 2004, la CSST rend une décision par laquelle elle reconnaît que le travailleur a subi le 12 octobre 2004, un accident du travail qui lui a causé une entorse lombaire. Cette décision sera confirmée le 18 février 2005, à la suite d’une révision administrative.
[11] Le 29 novembre 2004, le docteur Cadieux maintient le diagnostic d’entorse lombaire tout en écrivant que le travailleur présente une belle évolution. Il autorise le retour au travail à raison de trois demi-journées par semaine durant une semaine et à raison de trois jours par semaine durant deux semaines, après quoi, il reverra son patient.
[12] Le 14 décembre 2004, le médecin du travailleur cesse les travaux légers à la suite d’une exacerbation de la douleur avec réapparition d’une sciatalgie.
[13] Le 17 décembre 2004, le travailleur subit un examen par résonance magnétique de la colonne lombaire. Le radiologiste Kaplan décrit ainsi les résultats de l’examen :
« CONSTATATIONS :
1. Le conus médullaire est au niveau de L2.
2. Moelle épinière lombaire : la configuration et le signal sont normaux.
3. Structures osseuses : petite hernie intra-osseuse impliquant le plateau vertébral supérieur L2. La moelle osseuse est normale. L’alignement est anatomique.
4. Espaces discaux, foramens latéraux, canal spinal et articulations facettaires : les niveaux L1-L2 est normal, sans évidence de dégénérescence discale, hernie discale, sténose du canal spinal, sténose foraminale ou arthrose facettaire.
L2-L3 : légère discopathie dégénérative caractérisée par un hyposignal du disque. Il n’y a pas de pincement ni bombement du disque. Aucune hernie discale, Il n’y a pas de sténose.
L3-L4 : discopathie dégénérative modérée avec hyposignal du disque et un bombement circonférentiel diffus produisant une légère sténose des deux foramens latéraux ainsi que le canal spinal. Aucune hernie discale.
L4-L5 : légère discopathie dégénérative caractérisée par un hyposignal du disque et un léger bombement circonférentiel. De plus, il y a une petite protrusion foraminale droite causant une sténose modérée du foramen latéral droit. Il n’y a pas de sténose du canal spinal ni du foramen latéral gauche. On note une légère ostéo-arthrose facettaire bilatéralement.
L5-S1 : légère discopathie dégénérative avec un peu de bombement du disque et hyposignal. Aucune hernie discale démontrée et pas de sténose. Ostéo-arthrose modérée des deux articulations facettaires.
OPINION :
Discopathie dégénérative multi-étagée avec une protrusion discale postéro-foraminale droite L4-L5.» [sic]
[14] Les traitements de physiothérapie se poursuivent et le 10 janvier 2005, le travailleur revoit le docteur Cadieux. Le médecin maintient le diagnostic d’entorse lombaire et ajoute celui de radiculopathie L5 droite minime en voie de résolution. Il note de plus que le patient accuse une boiterie et il refuse les travaux légers.
[15] Le 31 janvier 2005, le travailleur est examiné par le docteur Des Marchais à la demande de l’employeur.
[16] Au moment de cet examen, le travailleur se dit amélioré d’environ 90 %. Il n’a plus de douleur à la toux ou aux éternuements. Les malaises sont très légers.
[17] Après avoir examiné le travailleur, le docteur Des Marchais conclut qu’il s’est nettement amélioré au cours des dernières semaines malgré qu’il présente toujours son problème de discarthrose importante qui a entraîné une radiculite fruste transitoire du côté droit au cours du mois précédent. Comme diagnostic, il retient celui d’entorse lombaire ou d’apparition d’une lombalgie sur discarthrose, dont la phase aiguë est maintenant résolue. Il est d’avis que la lésion n’est pas encore consolidée mais que les traitements ont été suffisants.
[18] Le docteur Des Marchais évalue le déficit anatomophysiologique à 2 % pour une entorse lombaire présentant des séquelles fonctionnelles objectivées.
[19] Il reconnaît enfin des limitations fonctionnelles de classe 1, compte tenu de l’arthrose exubérante. Le docteur Des Marchais précise que les limitations fonctionnelles ne sont pas données par rapport au diagnostic d’entorse mais bien par rapport à la condition personnelle préexistante.
[20] Dans ses notes médico-administratives, le docteur Des Marchais affirme que le travailleur est porteur d’une condition personnelle qui a prolongé la période de consolidation de la lésion. Il conclut que cette arthrose exubérante n’est quand même pas la norme. Il écrit que ce n’est pas 50 % des gens qui ont cette arthrose si exubérante. Conséquemment, il est d’avis que cette condition personnelle est hors norme biomédicale.
[21] Le 7 février 2005, le docteur Cadieux autorise un retour aux travaux légers.
[22] Le travailleur est toujours traité en physiothérapie.
[23]
Le 10 février 2005, l’employeur présente à la CSST une demande de
partage de coûts en vertu de l’article
[24] Le 28 février 2005, le docteur Cadieux autorise l’augmentation des heures de travail léger.
[25] Le 21 mars suivant, il autorise une nouvelle augmentation des heures de travail.
[26] Le 30 mars 2005, le docteur Des Marchais produit un rapport complémentaire après avoir reçu les résultats de la résonance magnétique passée par le travailleur.
[27] Au niveau du diagnostic, il indique qu’il conserve celui d’une lombalgie aiguë qui est résolue sur une maladie discale dégénérative alors que le travailleur a présenté un épisode transitoire, aussi résolu, de radiculite droite. Il estime que la lésion est consolidée à la mi-février 2005 et que les traitements ont été suffisants.
[28] De plus, le docteur Des Marchais maintient son évaluation de l’atteinte permanente et des limitations fonctionnelles.
[29] Dans ses notes médico-administratives, il indique que la résonance magnétique permet de confirmer l’atteinte discale multi-étagée de dégénérescence, ce qui n’est pas surprenant à l’âge du travailleur et considérant le travail qu’il fait.
[30] Le docteur Des Marchais émet l’opinion qu’un partage de coûts pourrait être envisagé étant donné la prédominance de la maladie discale dégénérative.
[31] Le 11 avril 2005, le docteur Cadieux maintient toujours le diagnostic d’entorse lombaire et les travaux légers se poursuivent. Il reprend le même avis le 9 mai 2005.
[32] Le 6 juin 2005, le médecin du travailleur prescrit des traitements d’ergothérapie. Si des changements ne sont pas constatés d’ici quatre à six semaines, il verra à consolider la lésion.
[33] Le 17 juin 2005, le docteur Cadieux émet le rapport médical final pour un diagnostic d’entorse lombaire. Il consolide la lésion la même date avec atteinte permanente et limitations fonctionnelles. Le docteur Cadieux examine le travailleur et produit le rapport d’évaluation médicale.
[34] Il évalue le déficit anatomophysiologique à 2 % pour une entorse dorso-lombaire avec séquelles fonctionnelles objectivées (code 204 004 du barème).
[35] Au chapitre des limitations fonctionnelles, le docteur Cadieux reconnaît au travailleur des limitations de classe II selon l’IRSST.
[36] Le dossier du travailleur est transmis au Bureau d’évaluation médicale (BEM). Le 8 juillet 2005, le travailleur est examiné par le docteur Gilles Maurais, orthopédiste et membre du BEM. Il conclut à un diagnostic d’entorse lombaire pour lequel le travailleur présente actuellement une ankylose douloureuse du rachis lombo-sacré. Il est d’avis que la lésion est consolidée le 17 juin 2005 sans nécessité de traitements supplémentaires après cette date.
[37] Le docteur Maurais évalue aussi le déficit anatomophysiologique à 2 % et reconnaît au travailleur les limitations fonctionnelles suivantes :
« Éviter d’accomplir de façon répétitive ou fréquente les activités qui impliquent de :
- Soulever, porter, pousser, tirer des charges de plus de 15 à 25 kilos.
- Travailler en position accroupie.
- Ramper, grimper.
- Effectuer des mouvements avec des amplitudes extrêmes de flexion, d’extension ou de torsion de la colonne lombaire.
- Subir des vibrations de basse fréquence ou des contrecoups à la colonne vertébrale.»
[38] Le 15 juillet 2005, la CSST rend une décision en conséquence de cet avis du membre du BEM. Par cette décision, la CSST déclare également que le travailleur recevra des indemnités de remplacement du revenu jusqu’à ce qu’elle se soit prononcée sur sa capacité de travail.
[39] Dans une autre décision rendue le 15 juillet 2005, la CSST confirme que la lésion professionnelle entraîne une atteinte permanente de 2,20 %.
[40] Le 25 juillet 2005, la CSST rend une autre décision par laquelle elle déclare que le travailleur a le droit de bénéficier de la réadaptation professionnelle.
[41] Le 27 juillet 2005, le docteur Cadieux émet un rapport médical destiné à la CSST sur lequel il retient un diagnostic d’entorse lombaire et réfère le travailleur en réadaptation tout en prescrivant un arrêt de travail.
[42] Le 19 octobre 2005, la CSST rend une décision par laquelle elle reconnaît que le travailleur n’est plus en mesure d’occuper son emploi de tuyauteur. Elle déclare de plus qu’aucun autre emploi chez l’employeur ne peut convenir au travailleur actuellement. En conséquence, la CSST déclare qu’elle continuera de payer une indemnité de remplacement du revenu au travailleur jusqu’à ce qu’il ait atteint l’âge de 68 ans.
[43] La CSST procède à l’analyse de la demande de partage de coûts présentée par l’employeur. Elle est d’avis que, considérant les informations au dossier, il n’est pas démontré que le travailleur était porteur d’un handicap antérieur, puisque les investigations radiologiques ne démontrent pas de déviation par rapport à une norme biomédicale compte tenu de l’âge du travailleur, mais démontrent plutôt un processus de vieillissement normal chez un individu de cet âge ( 61 ans ).
[44] Le 22 septembre 2006, la CSST rend une décision par laquelle elle déclare que l’employeur n’a pas démontré que le travailleur présentait déjà un handicap lorsque s’est manifestée sa lésion professionnelle. Elle déclare donc que l’employeur doit être imputé de la totalité des coûts de cette lésion.
[45] Cette décision est confirmée le 22 novembre 2006, à la suite d’une révision administrative, d’où le présent litige.
[46] Le 7 janvier 2008, le docteur Bernard Lacasse, chirurgien orthopédiste, procède à l’étude du dossier du travailleur.
[47] Dans son rapport produit à la suite de cette étude du dossier, le docteur Lacasse résume d’abord le dossier médical du travailleur. Il fait également référence à l’événement survenu au travail le 12 octobre 2004.
[48] Il écrit que dans un premier temps, il faut retenir d’emblée que monsieur Bolduc est porteur de changements dégénératifs lombaires, et ce, à tous les niveaux étudiés entre L2-L3 et L5-S1 inclusivement. Il s’agit de changements dégénératifs qui sont le fruit d’une maladie arthrosique et non pas du vieillissement normal. Le docteur Lacasse écrit que bien que le vieillissement normal et l’arthrose aient plusieurs points en commun, il faut admettre que l’arthrose constitue une maladie et le vieillissement normal, un état.
[49] Le docteur Lacasse écrit de plus qu’à la revue des résultats de la résonance magnétique du 17 décembre 2004, il constate que le travailleur est porteur d’une discopathie dégénérative multi-étagée avec bombement discal et arthrose facettaire principalement au niveau lombaire inférieur. Il s’agit là de changements qui sont typiques d’une arthrose lombaire et qui ne peuvent être reliés au vieillissement normal d’après le docteur Lacasse. Il ajoute que l’ostéoarthrose des articulations facettaires et la dégénérescence qui l’accompagne ne sont pas des changements reliés au vieillissement normal. De plus, selon le docteur Lacasse, si les changements retrouvés à la résonance magnétique du rachis lombaire du travailleur étaient reliés au vieillissement normal, ils seraient d’intensité similaire à tous les niveaux.
[50] Selon le docteur Lacasse, le travailleur est donc porteur d’une arthrose lombaire et non pas d’un simple état de vieillissement normal. Cette arthrose ou discopathie dégénérative lombaire étagée est par ailleurs déviante par rapport à la norme biomédicale même pour un travailleur qui était âgé de 61 ans au moment de l’événement puisqu’elle atteint plusieurs disques du rachis lombaire. Selon le docteur Lacasse, cette condition doit être considérée comme étant relativement sévère et elle s’accompagne par surcroît d’une arthrose facettaire significative.
[51] Le docteur Lacasse est d’avis que cette dégénérescence discale a prédisposé monsieur Bolduc à développer une entorse lombaire lors de l’événement du 12 octobre 2004. Il écrit que selon la littérature biomédicale, un disque porteur de dégénérescence offre une diminution de 25 % de sa résistance au stress en compression ou en torsion.
[52] Toujours selon le docteur Lacasse, cette dégénérescence discale lombaire explique pourquoi le travailleur a présenté une entorse lombaire en exécutant un geste volontaire et prévisible qui n’implique aucun traumatisme imprévu et soudain.
[53] Cette dégénérescence discale explique de plus pourquoi la lésion survenue le 12 octobre 2004, n’a été consolidée que le 17 juin 2005, soit environ huit mois plus tard.
[54] Le docteur Lacasse précise qu’une simple entorse lombaire met habituellement six semaines à se consolider.
[55] La très longue période de consolidation que l’on retrouve au dossier, et qui déborde largement la norme biomédicale pour un diagnostic d’entorse lombaire, est en tout point explicable par la dégénérescence discale lombaire dont est porteur le travailleur. Aussi, la consolidation de la lésion lombaire a été obtenue au prix de l’attribution d’un pourcentage de déficit anatomophysiologique et de limitations fonctionnelles permanentes. Or, selon le docteur Lacasse, une entorse lombaire survenant sans changement dégénératif préalable rentre habituellement dans l’ordre sans séquelles fonctionnelles.
[56] En conclusion, le docteur Lacasse estime qu’un partage de coûts dans une proportion de 5 % au dossier de l’employeur et de 95 % aux employeurs de toutes les unités, est tout à fait justifié dans le présent dossier.
[57] Le docteur Bernard Lacasse témoigne à l’audience. Le tribunal lui reconnaît le statut de témoin expert.
[58] Le docteur Lacasse mentionne qu’il a pris connaissance du dossier constitué par la Commission des lésions professionnelles. Il débute son témoignage en rappelant que le travailleur est âgé de 61 ans au moment de l’événement qui nous occupe, lequel événement est décrit au dossier. Selon cette description, le travailleur a, dans le cadre de sa tâche régulière, soulevé un coude de huit pouces et une douleur au dos est apparue. Le docteur Lacasse souligne qu’il n’y a pas eu de chute ni de déséquilibre. En somme, pour le docteur Lacasse, l’événement tel que décrit ne saurait laisser présager les conséquences que l’on connaît.
[59] Référant aux résultats de la résonance magnétique, le docteur Lacasse explique que la sténose spinale constitue le point culminant d’une arthrose lombaire. Étant donné qu’une légère sténose est décrite au niveau L3-L4, on ne peut alors parler d’une discopathie dégénérative modérée mais plutôt d’un degré plus sévère.
[60] Le docteur Lacasse explique par la suite qu’il faut distinguer l’arthrose et le vieillissement normal. L’arthrose est une maladie et le vieillissement un état.
[61] Le docteur Lacasse produit de la littérature médicale au soutien de son témoignage ( E-1 à E-4 ). Selon l’opinion du docteur Lacasse et la littérature médicale déposée au dossier E-1 [2], il existe une association entre l’arthrose et l’âge. Ainsi, chez des personnes âgées de plus de 75 ans, 40 % d’entre elles présentent de l’arthrose dans plus d’une articulation. Ce pourcentage n’atteint donc pas 50 % ce qui fait dire au docteur Lacasse que cette prévalence de 40 % est hors norme biomédicale puisqu’à son avis, la norme biomédicale correspond à la majorité.
[62] Le docteur Lacasse explique de plus que deux hypothèses sont émises par les auteurs, à savoir que le cartilage est une structure inerte qui s’use avec le temps ou que le cartilage est plutôt une structure vivante qui a la propriété de guérison et de réparation. Dans le texte de littérature médicale E-1 les auteurs retiennent l’hypothèse voulant que le cartilage soit une structure vivante. L’arthrose est une maladie qui fait que les cellules réagissent en cicatrisant. Dans le cas où le cartilage disparaît, c’est qu’il use trop vite et que sa capacité de réparation est dépassée. Le docteur Lacasse explique que l’on ne retrouve pas un tel phénomène dans le processus du vieillissement, alors que les cellules sont moins actives.
[63] Si la résonance magnétique avait démontré des signes de vieillissement, le docteur Lacasse exprime l’opinion que les changements décrits auraient été uniformes puisque tous les disques de la colonne ont le même âge. Dans le cas de l’arthrose, le processus de réparation varie selon l’importance du phénomène. C’est ce qui fait dire au docteur Lacasse que les phénomènes variables d’un niveau à l’autre, tel que décrit dans la résonance magnétique, font référence non pas à un vieillissement normal mais à de l’arthrose.
[64] Le docteur Lacasse souligne également que les auteurs retiennent que les recherches ont démontré qu’une activité physique modérée ou importante ne causait pas ou n’accélérait pas le processus d’arthrose sur les articulations. Cette conclusion va à l’encontre de celle du docteur Des Marchais qui écrit dans ses notes médico-administratives qu’il n’est pas surprenant de constater une atteinte discale multi-étagée de dégénérescence considérant l’âge du travailleur et le travail exécuté.
[65] Dans le document E-2 [3], les auteurs traitent des résultats anormaux obtenus lors de résonances magnétiques de la colonne lombaire chez des sujets asymptomatiques. Le docteur Lacasse attire l’attention du tribunal sur le fait que chez des gens âgés de 60 à 80 ans, 21 % d’entre eux présentent une sténose spinale à l’examen par résonance magnétique. En l’espèce, le travailleur est âgé de 61 ans et présente une sténose spinale, ce qui fait dire au docteur Lacasse qu’il est hors norme biomédicale.
[66] De plus, selon le document E-3 [4], un disque qui n’est pas en bon état, perd 25% de sa résistance. Le document E-4[5] contient l’illustration d’un disque en mauvais état.
[67] Tous ces éléments font dire au docteur Lacasse que le travailleur présente une condition arthrosique sévère déviante par rapport à une norme biomédicale. Cette condition ne doit pas être considérée, comme le fait la CSST, comme le vieillissement normal mais plutôt comme une maladie d’arthrose.
[68] Cette condition arthrosique explique pourquoi le travailleur a subi une entorse lombaire lors d’un traumatisme plutôt banal. Au surplus, on constate que la lésion a mis beaucoup plus de temps à se consolider que la normale.
[69] La sténose spinale décrite à la résonance magnétique constitue une déficience qui était certainement préexistante à l’événement puisque le délai entre l’événement et la date de l’examen par résonance magnétique, ne permet pas de conclure que la sténose spinale ait pu se développer entre les deux.
[70] De plus, une protrusion décrite au niveau L4-L5, fait partie aussi de l’arthrose selon le docteur Lacasse.
[71] Au surplus, non seulement la déficience a eu un impact sur la survenance même de la lésion, mais elle a également eu un impact sur ses conséquences puisque habituellement une entorse lombaire guérit sans séquelle permanente.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[72]
La Commission des lésions professionnelles doit décider si l’employeur a
droit à un partage de coûts en vertu de l’article
329. Dans le cas d'un travailleur déjà handicapé lorsque se manifeste sa lésion professionnelle, la Commission peut, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer tout ou partie du coût des prestations aux employeurs de toutes les unités.
L'employeur qui présente une demande en vertu du premier alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien avant l'expiration de la troisième année qui suit l'année de la lésion professionnelle.
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1985, c. 6, a. 329; 1996, c. 70, a. 35.
[73] Le tribunal constate en premier lieu que la demande de partage de coûts présentée par l’employeur le 10 février 2005 respecte le délai prescrit.
[74] La loi ne définit pas la notion de handicap. Il convient donc de s’en remettre à la définition qu’en donne la jurisprudence et qui est retenue de façon pratiquement unanime. Le tribunal réfère à la définition citée dans l’affaire Municipalité Petite-Rivière St-François[6] :
« La Commission des lésions professionnelles considère
qu’un travailleur déjà handicapé au sens de l’article
[75] La jurisprudence nous enseigne également qu’une déficience est une perte de substance ou une altération d’une structure ou d’une fonction psychologique, physiologique ou anatomique qui correspond à une déviation par rapport à une norme biomédicale. Elle peut être congénitale ou acquise et elle peut se traduire ou non par une limitation des capacités du travailleur à fonctionner normalement. Elle peut aussi être asymptomatique jusqu’à la survenance de la lésion professionnelle[7].
[76] Pour réussir dans son recours, l’employeur doit donc démontrer, par une preuve probante et prépondérante, que le travailleur présentait, avant l’accident du travail du 12 octobre 2004, une déficience physique qui correspond à une déviation par rapport à une norme biomédicale. Le cas échéant, il devra démontrer de plus que cette déficience a eu un effet sur la lésion ou sur ses conséquences.
[77] Dans le présent dossier, le tribunal estime que l’employeur s’est acquitté de son fardeau de démontrer que le travailleur était déjà handicapé au moment de la survenance de la lésion professionnelle.
[78] Le tribunal retient l’opinion non contredite du docteur Lacasse. Selon cette opinion, il faut distinguer le vieillissement normal de la maladie qu’est l’arthrose. En l’espèce, la description que l’on retrouve à la résonance magnétique indique au témoin expert que le travailleur est porteur d’une maladie, l’arthrose, puisque les changements décrits ne sont pas les mêmes à tous les niveaux. Au surplus, le travailleur est porteur d’une sténose spinale laquelle n’est présente que chez 21 % des personnes faisant partie du même groupe d’âge que le travailleur. Le tribunal retient de plus que chez les gens âgés de plus de 75 ans, 40 % présentent de l’arthrose dans plus d’une articulation. Le travailleur est âgé de 61 ans au moment de l’événement et présente déjà des signes d’arthrose tel que décrit à la résonance magnétique.
[79] Ainsi, le tribunal conclut que le travailleur est porteur d’une déficience qui correspond à une déviation par rapport à une norme biomédicale.
[80] Il s’agit maintenant de déterminer si cette déficience a eu un impact sur la survenance de la lésion ou sur ses conséquences.
[81] D’abord, il faut dire que l’événement, tel que décrit, n’apparaît pas important ou grave. Il ne s’agit pas d’un geste impliquant une amplitude extrême ou même importante de la colonne lombaire. Le travailleur décrit qu’il a voulu lever de terre un coude de huit pouces. Il ne décrit pas de geste violent ou brusque ni de chute.
[82] Malgré cela, une entorse lombaire a été diagnostiquée, laquelle a mis environ trente-cinq semaines à se consolider alors qu’habituellement une entorse lombaire se consolide en six semaines, selon le témoignage du docteur Lacasse.
[83] Le tribunal conclut donc que la déficience préexistante a eu un impact sur la survenance même de la lésion et également sur la prolongation de la période de consolidation de la lésion.
[84] Le tribunal est également d’avis que cette condition préexistante a eu un effet sur l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles.
[85] Le docteur Des Marchais émet clairement l’opinion que les limitations fonctionnelles qu’il reconnaît au travailleur sont en lien uniquement avec la condition personnelle préexistante du travailleur. C’est aussi l’opinion émise par le docteur Lacasse.
[86] Quant au déficit anatomophysiologique accordé vu la présence de séquelles fonctionnelles, le docteur Lacasse estime qu’il est relié à la condition personnelle puisque habituellement une entorse lombaire, consolide sans atteinte ni limitations.
[87] Le tribunal tient également compte du fait qu’à la suite de l’événement et compte tenu des limitations fonctionnelles reconnues au travailleur, la CSST a reconnu que monsieur Bolduc n’était plus en mesure de reprendre son travail et qu’il a droit à l’indemnité de remplacement du revenu jusqu’à l’âge de 68 ans.
[88] Considérant l’ensemble de ces éléments, le tribunal conclut que le travailleur était handicapé au moment de la lésion professionnelle et qu’en conséquence, l’employeur a droit à un partage de coûts.
[89] En tenant compte uniquement de la prolongation de la période de consolidation, le tribunal en arrive à un partage de coûts de l’ordre d’environ 15 % au dossier de l’employeur et de 85 % aux employeurs de toutes les unités.
[90] Toutefois, comme nous l’enseigne la jurisprudence de ce tribunal, il faut tenir compte non pas seulement de la prolongation de la période de consolidation, mais aussi de l’impact qu’a eu le handicap sur la survenance même de la lésion de même que sur toutes les conséquences de cette lésion.
[91] En l’espèce, étant donné l’événement peu important, et considérant que la lésion a entraîné une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles qui empêchent le travailleur de reprendre son emploi, le tribunal en vient à la conclusion qu’un partage de coûts de l’ordre de 5 % au dossier de l’employeur et de 95 % aux employeurs de toutes les unités est justifié.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de l’employeur, Muga Fab inc.;
INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 22 novembre 2006, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que l’employeur a droit à un partage des coûts dus en raison de la lésion professionnelle subie par le travailleur, Bertrand D. Bolduc, le 12 octobre 2004 de l’ordre de 5 % à son dossier et de 95 % aux employeurs de toutes les unités.
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Diane Lajoie |
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Me Éric Thibaudeau |
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GOWLING LAFLEUR HENDERSON s.r.l. |
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Représentant de la partie requérante |
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[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] Joseph A. BUCKWALTER et H. J. MANKIN, chap. 54 : « Articular Cartilage : Degeneration and Osteoarthritis, Repair, Regeneration, and Transplantation », dans W. D. Jr CANNON (ed.) Instructional Course Lectures 47, Rosemont (Illinois), American Academy of Orthopaedic Surgeons, 1998, p. 487-504.
[3] S.D. BODEN, D.O. DAVIS, T.S. DINA, N.J. PATRONAS et S.W. WIESEL, « Abnormal Magnetic-Resonance Scans of the Lumbar Spine in Asymptomatic Subjects. A Prospective Investigation » (1990) 72 Journal of Bone and Joint Surgery, American Volume 403 p.
[4] R.H. ROTHMAN et F.A. SIMEONE, « The Spine », 3e éd., Philadelphie, Montréal, W.B. Saunders, 1992, 2 vol.
[5] FRANK H. NETTER, The CIBA collection of medical illustrations, vol. 1, « Nervous System Part 11 : Neurologic and Neuromuscular », New Jersey, CIBA, 1986, pp. 199
[6] [1999] C.L.P. 779 .
[7] Municipalité Petite-Rivière St-François et CSST,
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.