Restaurant Normandin |
2012 QCCLP 4146 |
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[1] Le 24 janvier 2012, Restaurant Normandin (l’employeur) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) du 16 janvier 2012, rendue à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a rendue initialement le 21 octobre 2010 et déclare que l’employeur doit assumer la totalité du coût des prestations reliées à la lésion professionnelle du 5 juillet 2010 subie par monsieur Éric Labrie (le travailleur).
[3] À l’audience tenue le 22 juin 2012 à Québec, l’employeur est absent mais représenté.
[4] Le dossier est mis en délibéré à compter du 22 juin 2012.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[5] L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déterminer qu’il a droit à un partage de l’imputation en vertu de l’article 329 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).
LES FAITS
[6] Le travailleur occupe un poste de gérant adjoint pour le compte de l’employeur, un restaurant.
[7] Le 5 juillet 2010, le travailleur subit un accident du travail qu’il décrit comme suit :
Je me suis penché pour prendre une caisse de laitue iceberg. Lors de l’effort mon pied gauche a glissé et j’ai barré dans le dos (un craquement c’est [sic] fait entendre)
[8] Le travailleur est alors âgé de 35 ans.
[9] Le jour même, il consulte le docteur Jean Villeneuve, lequel pose un diagnostic d’entorse lombaire. Il prévoit un arrêt de travail d’une semaine et il suggère au travailleur de consulter son médecin de famille.
[10] Le 12 juillet 2010, le travailleur consulte le docteur Richard Blanchet, lequel maintient le diagnostic d’entorse lombaire. Il prescrit des traitements de physiothérapie. Il doit revoir le travailleur dans deux semaines.
[11] Le 26 juillet 2010, le travailleur revoit le docteur Blanchet. Ce dernier pose alors un diagnostic de lombosciatalgie L3.
[12] Le 18 août 2010, le travailleur consulte le docteur Serge Manseau. Il mentionne qu’il y a amélioration de la lombalgie.
[13] À compter du 30 août 2010, le travailleur est suivi par le docteur Alain Farrier. Ce dernier pose un diagnostic d’entorse lombaire. Lors de la consultation du 13 septembre 2010, le docteur Farrier demande une tomodensitométrie lombaire.
[14] Cet examen a lieu le 17 septembre 2010. Le radiologiste interprète l’examen comme suit :
Constatations :
L5 est une vertèbre transitionnelle présentant une néo-articulation sacro-transversaire gauche. Légère hypoplasie de son espace discal. Pas de spondylodiscarthrose significative. Légère arthrose facettaire L4-L5 gauche, légère à L5-S1 droite et modérée à L5-S1 gauche.
Le rétropéritoine inclus est normal.
L2-L3 :
Examen normal.
L3-L4 :
Large hernie discale mesurant jusqu’à 15 mm T x 10 mm A.P. x 23 mm céphalo-caudal de type extrudé en postéro-central remontant derrière le plateau inférieur et le corps vertébral L3 et occasionnant une sténose modérée du sac dural (diamètre A.P. résiduel à 5 à 6 mm). La hernie discale déborde un peu en paramédian gauche. Elle fait contact avec les émergences radiculaires L4 bilatéralement. Pas d’extension ni sténose foraminale.
L4-L5 :
Léger bombement diffus. Légère sténose foraminale dégénérative bilatérale sans compression radiculaire.
L5-S1 :
Hypoplasie de l’espace discal par ailleurs normal. Pas de sténose centrale ni foraminale.
Conclusion :
L5 est une vertèbre transitionnelle avec néo-articulation sacro-transversaire gauche et hypoplasie légère de son espace discal L5-S1. Léger bombement discal dégénératif L4-L5 avec légère sténose foraminale dégénérative bilatérale à L4-L5.
Large hernie discale postéro-médiane L3-L4 de type extrudé migrant supérieurement derrière L3 et occasionnant une sténose modérée du sac dural avec possibilité de compression radiculaire aux émergences L4 bilatéralement.
[15] Le 27 septembre 2010, le travailleur revoit le docteur Farrier avec les résultats de la tomodensitométrie. Le docteur Farrier pose des diagnostics d’entorse lombaire et de hernie discale L3-L4.
[16] Le 6 octobre 2010, l’employeur formule une demande de partage de l’imputation en vertu de l’article 329 de la loi.
[17] Le 9 décembre 2010, la CSST rend une décision par laquelle elle reconnaît une relation entre un nouveau diagnostic de hernie discale L3-L4 et l’événement du 5 juillet 2010. Cette décision est confirmée au stade de la révision administrative.
[18] Entre-temps, le travailleur revoit le docteur Farrier à quelques reprises, lequel maintient les diagnostics d’entorse lombaire et de hernie discale L3-L4. Le travailleur est également dirigé en physiatrie vers le docteur René Parent. Ce dernier pose des diagnostics d’entorse lombaire et de hernie discale L3-L4. Il prescrit des blocs facettaires sous scopie à L3-L4, L4-L5 et L5-S1.
[19] Le 15 avril 2011, le docteur Farrier produit un rapport médical final. Il consolide la lésion professionnelle (entorse lombaire et hernie discale L3-L4) avec une atteinte permanente à l'intégrité physique mais aucune limitation fonctionnelle.
[20] Le docteur Farrier reconnaît un déficit anatomo-physiologique de 2 % en raison d’une hernie discale L3-L4 non opérée prouvée cliniquement et par tests spécifiques.
[21] Le 13 juin 2011, la CSST rend une décision par laquelle elle détermine que le travailleur a la capacité d’exercer son emploi depuis le 21 mars 2011.
[22] Le 21 octobre 2011, elle rend une décision par laquelle elle refuse la demande de partage de l’imputation de l’employeur. Ce dernier en demande la révision.
[23] Le 14 novembre 2011, à la demande de l’employeur, le docteur Pierre Desnoyers, orthopédiste, produit une opinion sur dossier. Cette opinion concerne la possibilité d’un partage de l’imputation en vertu de l’article 329 de la loi.
[24] Après une analyse des documents fournis, le docteur Desnoyers indique ce qui suit :
DISCUSSION
Monsieur Éric Labrie, âgé de 35 ans au moment de l’événement, déclare avoir subi un accident du travail le 5 juillet 2010. Le diagnostic retenu par les médecins traitants de façon contemporaine, soit les docteurs Villeneuve, Blanchet et Farrier, est celui d’entorse lombaire.
On s’attend généralement à une période de consolidation de 4 à 5 semaines pour une telle condition.
Les différents examens effectués ont démontré que monsieur Labrie était porteur préalablement à l’événement des conditions médicales préexistantes suivantes :
- En L3-L4 : une large hernie discale mesurant jusqu’à 15 mm de type extrudé migrant supérieurement derrière L3 et occasionnant une sténose modérée du sac dural avec possibilité de compression radiculaire aux émergences L4 bilatéralement;
- En L4-L5 : un léger bombement diffus dégénératif;
- En L4-L5 : une sténose foraminale dégénérative bilatérale;
- En L5-S1 : une hypoplasie de l’espace discal;
- La vertèbre L5 est une vertèbre transitionnelle avec néo-articulation sacro-transversaire gauche.
Monsieur Labrie qui n’est âgé que de 35 ans au moment de l’événement est donc déjà porteur d’une maladie discale dégénérative multi-étagée au niveau lombaire de stade II. Selon la littérature médicale, on s’attend à ce que ce stade d’évolution survienne entre 35 et 70 ans. Comme cette maladie discale dégénérative multi-étagée évolue depuis plusieurs années, et que monsieur Labrie a déjà atteint ce stade d’évolution de la maladie discale dégénérative alors qu’il n’avait que 35 ans au moment de l’événement, il présente donc un niveau d’atteinte plus important que ce qui est décrit dans la littérature médicale pour une cohorte de patients du même âge que lui et ceci constitue donc une déviation par rapport à la norme biomédicale.
Il s’agit d’une condition médicale personnelle préexistante qui a évolué sur un très grand nombre d’années. Cette condition médicale préexistante est une anomalie par rapport à la norme biomédicale et constitue un handicap pour monsieur Labrie qui a eu des impacts à plusieurs égards.
Par ailleurs, on aura remarqué que la vertèbre L5 est une vertèbre transitionnelle qui présente une néo-articulation sacro-transversaire gauche. Également, l’espace discal L5-S1 est hypoplasique. Ces anomalies structurales sont également des anomalies par rapport à la norme biomédicale et constituent un autre handicap pour monsieur Labrie. Toutes les conditions préexistantes mentionnées ci-dessus ont entraîné plusieurs conséquences.
Tout d’abord, la colonne vertébrale de monsieur Labrie se trouve plus fragilisée lors d’efforts en raison de la présence des conditions préexistantes, ce qui la rend dysfonctionnelle et instable. Les structures ligamentaires, musculaires et facettaires entourant et soutenant la colonne fragilisée de monsieur Labrie sont davantage mises sous tension et celles d’une personne qui n’est pas porteuse de ces conditions médicales personnelles préexistantes. Ceci accroît les risques de blessure au niveau de cette région lombaire. C’est ce qui s’est produit lors de cet accident.
Nous constatons un temps de guérison beaucoup plus long que ce qui est normalement prévisible et une durée de traitements également beaucoup plus longue que ce qui est habituel. Ceci est secondaire au fait que la colonne fragilisée par son handicap ne peut compenser durant la période de réparation. Au contraire, le moindre effort, dans ces conditions, constitue une source de nouvelle blessure et de prolongation du temps de guérison de cette colonne vertébrale qui, autrement, ne se rencontre pas chez un patient dont la colonne est normale. C’est ce qui s’est produit dans le présent dossier et qui explique la persistance des douleurs ayant prolongé la période de consolidation.
On remarque également dans ce dossier le rapport d’expertise du docteur Paul O. [sic] Nadeau qui mentionne que le patient « mesure 6 pieds 2 pouces et pèse 230 livres ». Ces mensurations amènent un calcul de l’indice de masse corporelle de 29.95.
L’Organisation mondiale de la santé définit le surpoids (‘’overweight’’) comme étant présent chez un individu de masse corporelle (IMC) (‘’BMI’’) de 25 à 29.9 kg/m2.3 L’OMS considère que les patients présentant un IMC de plus de 30 sont porteurs d’obésité.
Monsieur Labrie est donc en situation de surpoids selon l’Organisation mondiale de la santé. Cet état de surpoids a contribué à augmenter les risques de développer une douleur lombaire et celle-ci persiste sur une longue période comme le mentionne Shiri et collaborateurs :
« This meta analysis shows that overweight and obesity are associated with an increased risk of low back pain»2
Cet état de surpoids de monsieur Labrie constitue donc une autre condition personnelle préexistante et un handicap qui a joué un rôle dans le développement de cette douleur lombaire qui s’est prolongée.
En ce qui concerne la définition de handicap, on peut se référer à celle de l’Organisation mondiale de la santé qui est la suivante :
« Le handicap est un défaut comme étant une altération des structures physiologiques, psychologiques, anatomiques qui peut être symptomatique ou non symptomatique avant l’événement déclaré ».
Les conditions médicales personnelles et les handicaps préexistants de monsieur Labrie ont donc eu un impact dans la survenance de la lésion et ont joué un rôle dans le phénomène qui a provoqué la lésion.
Ces conditions préexistantes ont également contribué à prolonger la période de consolidation et à augmenter les frais de la réclamation.
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2 Shiri, R. et al : The association between obesity and low back pain : a Meta-Analysis, American Journal of epidemiology, Vol 171 no 2, 11 décembre 2009, p135 à 154.
[25] Le 16 janvier 2012, la CSST rend une décision à la suite d’une révision administrative. Elle confirme son refus d’accorder un partage de l’imputation.
[26] L’employeur dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles à l’encontre de cette décision, d’où le présent litige.
[27] Pour compléter la preuve, le représentant de l’employeur produit une copie de la Table 1- Conséquences moyennes des lésions professionnelles les plus fréquentes en termes de durée de consolidation (E-1). Pour l’entorse lombaire, la durée moyenne de consolidation est de cinq semaines alors que pour une hernie discale, il est question de 18 semaines.
[28] Il produit également une copie du rapport d’expertise du docteur Nadeau du 4 octobre 2010, auquel réfère le docteur Desnoyers dans son analyse (E-2).
[29] Le docteur Nadeau y rapporte que le travailleur mesure 6 pieds 2 pouces et qu’il pèse 230 livres. Dans ses conclusions, sous la rubrique « Condition personnelle », le docteur Nadeau mentionne toutefois que le travailleur n’a pas de surcharge de poids.
[30] Sous cette même rubrique, le docteur Nadeau ajoute qu’à la lecture de la tomodensitométrie, il est d’avis que la condition du travailleur est déviante de la norme biomédicale en raison de l’arthrose facettaire. Celle-ci peut être légère ou modérée, selon le niveau. Il suggère toutefois une résonance magnétique pour « valider le partage de coûts ». Selon le docteur Nadeau, à 35 ans, 0 % de la population ne devrait avoir une dégénérescence discale. Il est à noter qu’à titre de diagnostic, le docteur Nadeau retient celui d’entorse lombaire sur une dégénérescence discale.
[31] En terminant, le représentant de l’employeur produit un extrait du Journal of Bone and Joint Surgery (Soft-tissue aging and musculoskeletal function)[2] sous E-3. Il réfère particulièrement le tribunal au tableau de la page 1535 proposant une représentation schématique des changements qui peuvent intervenir dans la fonction d’une cellule, d’un tissu mou ou du système musculo-squelettique avec l’âge d’un individu.
[32] Selon ce tableau, jusqu’au début de la quarantaine, la majorité des individus se situent dans une zone de fonction dite « normale ».
L’ARGUMENTATION DES PARTIES
[33] Le représentant de l’employeur plaide que ce dernier a droit à un partage de l’imputation. Il soumet qu’il s’agit d’un travailleur déjà handicapé au moment de la lésion professionnelle du 5 juillet 2010.
[34] Le travailleur est porteur d’une déficience, laquelle est relevée par le docteur Desnoyers. Le fait que le diagnostic de hernie discale L3-L4 soit reconnu ne peut faire obstacle à l’octroi d’un partage de l’imputation.
[35] Cette déficience a joué un rôle dans l’apparition et sur les conséquences de la lésion professionnelle du 5 juillet 2010.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[36] Le tribunal doit déterminer s’il y a lieu d’accorder un partage de l’imputation en vertu de l’article 329 de la loi.
[37] Cet article se lit comme suit :
329. Dans le cas d'un travailleur déjà handicapé lorsque se manifeste sa lésion professionnelle, la Commission peut, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer tout ou partie du coût des prestations aux employeurs de toutes les unités.
L'employeur qui présente une demande en vertu du premier alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien avant l'expiration de la troisième année qui suit l'année de la lésion professionnelle.
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1985, c. 6, a. 329; 1996, c. 70, a. 35.
[38] L’employeur peut obtenir un partage de l’imputation dans le cas d’un travailleur déjà handicapé lorsque se manifeste sa lésion professionnelle.
[39] Le travailleur déjà handicapé est celui qui présente une déficience physique ou psychique, laquelle a entraîné des effets sur la production de la lésion professionnelle ou sur les conséquences de cette lésion. La déficience constitue une perte de substance ou une altération d’une structure ou d’une fonction psychologique, physiologique ou anatomique et correspond à une déviation par rapport à une norme biomédicale. Elle peut être congénitale ou acquise. Cette déficience peut ou non se traduire par une limitation des capacités du travailleur de fonctionner normalement. La déficience peut aussi exister à l’état latent, sans qu’elle se soit manifestée avant la survenance de la lésion professionnelle[3].
[40] Il appartient à l’employeur de démontrer l’existence d’une déficience et que cette déficience a entraîné des effets sur la production de la lésion professionnelle ou sur les conséquences de celle-ci.
[41] Dans la cause sous étude, le travailleur subit une lésion professionnelle le 5 juillet 2010. On pose d’abord un diagnostic d’entorse lombaire et par la suite, s’ajoute le nouveau diagnostic de hernie discale L3-L4. Cette lésion professionnelle est consolidée le 15 avril 2011, avec une atteinte permanente à l'intégrité physique de 2,20 % (en raison de la hernie discale L3-L4), mais aucune limitation fonctionnelle. Le travailleur a d’ailleurs la capacité d’exercer son emploi depuis le 21 mars 2011.
[42] Dans le cadre du suivi médical de cette lésion professionnelle, le travailleur passe une tomodensitométrie, laquelle révèle différents éléments.
[43] D’une part, elle révèle l’existence d’une hernie discale L3-L4, diagnostic retenu pour la lésion professionnelle. Cette hernie discale qualifiée de large, est extrudée en postéro-central et remonte derrière le plateau inférieur et le corps vertébral L3 en occasionnant une sténose modérée du sac dural. Cette hernie discale déborde un peu en paramédian gauche. Elle fait donc contact avec les racines L4 bilatéralement.
[44] D’autre part, la tomodensitométrie révèle une vertèbre transitionnelle (L5) avec néo-articulation sacro-transversaire gauche et hypoplasie légère à son espace discal L5-S1. On note également un léger bombement discal dégénératif L4-L5 avec une légère sténose foraminale dégénérative bilatérale à L4-L5.
[45] Le docteur Desnoyers est d’avis que le travailleur présente une déficience. De façon plus particulière, il parle d’une maladie discale dégénérative multiétagée de stade II.
[46] Pour en arriver à une telle conclusion, il reprend les trouvailles radiologiques décrites à la tomodensitométrie.
[47] Ce faisant, le docteur Desnoyers semble tenir pour acquis que le diagnostic de la lésion professionnelle est celui d’entorse lombaire. Or, le diagnostic est non seulement celui d’entorse lombaire mais également celui de hernie discale L3-L4. Il s’agit de la hernie discale décrite à la tomodensitométrie et repris par le docteur Desnoyers pour établir l’existence d’une condition personnelle préexistante à la lésion professionnelle du 5 juillet 2010.
[48] Dans son analyse pour conclure à la présence d’une maladie discale dégénérative multiétagée de stade II, le docteur Desnoyers inclut donc cette hernie discale L3-L4. Jusqu’à preuve du contraire, cette hernie discale L3-L4 est en relation avec l’événement du 5 juillet 2010. Tel est le sens de la décision de la CSST du 9 décembre 2010, confirmée au stade de la révision administrative.
[49] De l’avis du tribunal, ceci atténue grandement l’affirmation qu’il s’agirait d’un travailleur présentant préalablement à la lésion professionnelle du 5 juillet 2010, une maladie discale dégénérative de stade II.
[50] Le docteur Desnoyers mentionne également la présence d’une vertèbre de transition (L5) et d’un espace discal hypoplasique (L5-S1). Il indique qu’il s’agit d’anomalies déviantes de la norme sans toutefois fournir d’explication particulière à ce sujet ou de la littérature médicale, le cas échéant. Ceci pourrait permettre de comprendre éventuellement en quoi ces anomalies de L5 ou de l’espace L5-S1 peuvent notamment influencer une lésion professionnelle affectant le niveau L3-L4.
[51] Pour sa part, le docteur Nadeau conclut à l’existence d’une déficience. Il réfère notamment à l’arthrose facettaire qualifiée de légère ou modérée, qu’il considère déviante de la norme pour un travailleur de 35 ans.
[52] Or, tout comme le docteur Desnoyers, le docteur Nadeau tient pour acquis le diagnostic d’entorse lombaire sur dégénérescence discale.
[53] Aussi, pour soutenir sa position, le docteur Nadeau affirme qu’à 35 ans, 0 % de la population ne devrait avoir une dégénérescence.
[54] Le docteur Nadeau ne soumet aucune littérature pour justifier une telle affirmation.
[55] C’est plutôt le représentant de l’employeur, dans le cadre de son argumentation, qui produit au tribunal l’extrait du Journal of Bone and Joint Surgery (Soft-tissue aging and musculoskeletal function)[4].
[56] Et quant à cet extrait de littérature, le représentant de l’employeur ne fait que référer le tribunal au tableau illustrant une présentation schématique de résultats. Selon son interprétation, ce tableau indique que les individus présentent une fonction musculo-squelettique normale jusqu’au début de la quarantaine. Il est donc, selon lui, hors norme qu’un individu présente une condition dégénérative à 35 ans.
[57] À ce sujet, il convient de référer aux propos de la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Serv. Entr. Édifices Allied inc.[5] On rappelle que ce tableau doit être interprété et utilisé avec prudence et de bien distinguer les changements fonctionnels d’un individu selon l’âge des changements histologiques ou morphologiques qui peuvent survenir:
[28] Buckwalter et als9 ont procédé à une revue de littérature ayant pour but de résumer les concepts admis sur :
- les changements de la fonction musculo-squelettique survenant avec l’âge;
- les changements histologiques reliés de façon spécifique à l’âge au niveau des muscles, cartilages, disques, tendons, ligaments et capsules articulaires ainsi que,
- les interventions pouvant retarder ou faire régresser ces changements.
[29] Les tableaux tirés de cette publication représentent la variabilité de la fonction musculo-squelettique selon l’âge et de l’influence de certains événements sur le niveau de fonction. Ils se veulent, comme l’écrivent les auteurs, des représentations schématiques. Il ne s’agit pas de courbes statistiques obtenues à partir de résultats d’études épidémiologiques.
[30] Ainsi, même s’ils pourraient laisser sous-entendre que jusqu’à l’âge de 43 ans, la majorité des individus se situent dans la zone de fonction dite « normale », cela ne permet pas de conclure, comme le voudrait le docteur Nadeau, que « c’est donc dire qu’avant l’âge de 40 ans, 100% de la population a des structures musculo-squelettiques qui sont saines ». Il n’y a pas lieu d’assimiler l’absence de déficit fonctionnel à l’absence de changements histologiques ou morphologiques. D’autres publications qu’il soumet sont à l’effet contraire. Nous y reviendrons.
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9 BUCKWALTER Joseph A., WOO S.L., GOLDBERG V.M., HADLEY E.C., BOOTH F., OEGEMA T.R. et EYRE D.R., Soft-Tissue Aging and Musculoskeletal Function, J Bone Joint Surg am., 1993:75:1533-1548
[nos soulignements]
[58] Une référence à ce tableau, sans plus d’analyse, ne peut certes constituer une preuve prépondérante que la condition du travailleur, âgé de 35 ans au moment de sa lésion professionnelle, s’avère déviante de ce que l’on devrait considérer normal pour cet âge.
[59] Et ceci, dans un contexte où le diagnostic de la lésion professionnelle du 5 juillet 2010 est non seulement une entorse lombaire mais également une hernie discale L3-L4. Ce qui diminue grandement le contenu du descriptif de la condition personnelle préexistante du travailleur faite par les médecins et particulièrement le docteur Desnoyers.
[60] Ce dernier réfère également à la condition pondérale du travailleur. En fait, il infère une déficience de l’indice de masse corporelle que présente le travailleur (29,95).
[61] Le tribunal note toutefois que pour ce faire, le docteur Desnoyers, n’ayant pas examiné le travailleur, se sert des données recueillies par le docteur Nadeau.
[62] Il est vrai que le 4 octobre 2010, lorsque le docteur Nadeau examine le travailleur, il constate que ce dernier mesure 6 pieds 2 pouces et pèse 230 livres. Ceci étant, le docteur Nadeau prend la peine de spécifier que le travailleur n’a pas de surcharge de poids. D’ailleurs, il ne fait aucune mention de la condition pondérale du travailleur dans son analyse de la déficience.
[63] Dans un tel contexte, le tribunal n’accorde aucune valeur probante à l’affirmation du docteur Desnoyers quant à l’indice de masse corporelle du travailleur et que ce dernier serait en situation de surpoids.
[64] Le tribunal s’en remet plutôt aux observations du docteur Nadeau et surtout, à son appréciation de la condition pondérale du travailleur.
[65] Par conséquent, le tribunal estime que la preuve soumise ne permet pas de conclure qu’au moment de la lésion professionnelle du 5 juillet 2010, le travailleur présente une déficience au sens majoritairement reconnu par la Commission des lésions professionnelles.
[66] Tenant compte de la preuve soumise, le tribunal ne peut conclure qu’il s’agit d’un travailleur déjà handicapé au moment de la lésion professionnelle du 5 juillet 2010, donnant ouverture à un partage de l’imputation.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête déposée le 24 janvier 2012 par Restaurant Normandin, l’employeur;
CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail du 16 janvier 2012, rendue à la suite d’une révision administrative;
ET
DÉCLARE que Restaurant Normandin n’a pas droit à un partage de l’imputation concernant la lésion professionnelle du 5 juillet 2010 subie par monsieur Éric Labrie, le travailleur.
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SOPHIE SÉNÉCHAL |
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Monsieur Gérald Corneau |
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GCO SANTÉ ET SÉCURITÉ INC. |
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Représentant de la partie requérante |
[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] BUCKWALTER Joseph A., WOO S.L., GOLDBERG V.M., HADLEY E.C., BOOTH F., OEGEMA T.R. et EYRE D.R., Soft-Tissue Aging and Musculoskeletal Function, J Bone Joint Surg am., 1993:75:1533-1548.
[3] Municipalité de la Petite-Rivière Saint-François et CSST, [1999] C.L.P. 779.
[4] Précitée, note 2.
[5] C.L.P. 375112-31-0904, 14 octobre 2009, G. Tardif.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.