DÉCISION
[1] Le 18 janvier 2001, monsieur Patrick Guénette (le travailleur) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 8 décembre 2000, à la suite d'une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu'elle a initialement rendue le 31 août 1999 et déclare qu'à cette date, la lésion professionnelle n'étant pas encore consolidée, elle ne peut autoriser l'inscription à des cours universitaires en génie comme mesure de réadaptation professionnelle.
[3] À l'audience, le travailleur est présent; l'employeur est représenté et la CSST est représentée par procureure.
L'OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande de reconnaître qu'il a droit à la réadaptation professionnelle pour redevenir capable d'exercer un emploi et demande ainsi que la CSST paie pour les frais de scolarité et l'achat des livres nécessaires à l'obtention d'un baccalauréat en génie de la construction.
LES FAITS
[5] Le travailleur occupe les fonctions de menuisier pour l'employeur depuis environ un an lorsqu'il est victime d'une lésion professionnelle le 18 mai 1999. La première attestation médicale qui est transmise à la CSST mentionne comme diagnostic une «entorse lombaire». Cependant, dès le 1er juin 1999, le docteur Leblanc indique que le travailleur présente un tableau clinique de hernie L5-S1 et le réfère en physiothérapie.
[6] Un scan lombaire est pratiqué le 11 juin 1999 et cet examen démontre une hernie discale postéro-latérale et foraminale gauche descendant en bas dans le récessus latéral gauche pouvant irriter la racine gauche de S1.
[7] Les traitements conservateurs sont continués mais le travailleur présente peu de changements.
[8] Le 24 août 1999, le travailleur fait parvenir une lettre à la CSST par laquelle il demande à celle-ci de payer pour les coûts d'une formation professionnelle. Il indique dans sa lettre qu'il possède déjà un D.E.C. en génie civil et qu'il aimerait poursuivre des études universitaires pour être ingénieur en construction. En effet, il considère qu'il ne pourra plus faire son travail de menuisier et désire se réadapter.
[9] Une lettre datée du 30 août 1999 et signée par le docteur Claude Leblanc est aussi au dossier. Le docteur Leblanc indique qu'il est le médecin du travailleur depuis sa tendre enfance et qu'il connaît bien le travailleur. Il est d'avis que le travailleur ne pourra retourner à son travail antérieur sans restrictions fonctionnelles majeures et demande donc à la CSST d'examiner sérieusement cette option de réorientation professionnelle. Il ajoute que le travailleur est un jeune homme intelligent et tenace, qu'il a la plus grande confiance en lui et en ses capacités de réussite dans la poursuite de ses études.
[10] Par décision du 31 août 1999, la CSST refuse l'autorisation au travailleur de s'inscrire à des cours universitaires en génie. Elle indique dans sa décision qu'il semble exister des mesures plus économiques qui lui permettraient de réintégrer le marché du travail dans un emploi moins exigeant physiquement que son travail actuel. Le travailleur conteste cette décision mais elle est confirmée par la CSST le 8 décembre 2000, à la suite d'une révision administrative, d'où la présente contestation.
[11] Le 28 octobre 1999, le travailleur est examiné, à la demande de la CSST, par le docteur Georges L'Espérance, neurochirurgien. Celui-ci confirme que le diagnostic est bien une hernie discale L5-S1 gauche mais que cette lésion n'est pas encore consolidée. Il considère que le travailleur gardera probablement des limitations fonctionnelles de classe I mais il ne peut affirmer que le travailleur ne pourra plus jamais faire aucun travail physique.
[12] Devant la persistance des symptômes, le docteur Leblanc demande une résonance magnétique le 1er juin 2000. Cet examen démontre une hernie discale L5-S1 modérée en postéro-latéral et surtout en foraminal gauche. Cette hernie comprime la racine gauche dans le recessus latéral et la racine L5 gauche à sa sortie dans le foramen.
[13] Le 12 juillet 2000, le travailleur est examiné à la demande de la CSST, par le docteur Gilbert Thiffault, orthopédiste. Ce médecin est d'avis que le diagnostic de la lésion est une hernie discale L5-S1 gauche. Il considère qu'il y a lieu de consolider la lésion à la date de son examen puisque le travailleur a atteint un plateau dans la récupération avec une amélioration partielle. Il établit le déficit anatomo-physiologique à 5 % et émet des limitations fonctionnelles.
[14] Dans un rapport complémentaire daté du 31 août 2000, le docteur Leblanc indique qu'il est en désaccord avec l'opinion du docteur Thiffault, que le travailleur demeure très symptomatique et il le réfère au docteur Denis Ladouceur, neurochirurgien.
[15] Le 5 octobre 2000, le travailleur est examiné par le docteur Pierre Bourgeau, neurologue et membre du Bureau d'évaluation médicale. Le docteur Bourgeau indique dans son rapport que son examen est anormal et considérant le fait que le travailleur est en attente d'une évaluation et d'une décision chirurgicale, que la lésion ne peut être consolidée à l'heure actuelle.
[16] Le 26 octobre 2000, le travailleur voit le docteur Ladouceur et il est éventuellement opéré par ce médecin en décembre 2000.
[17] À l'audience, le travailleur déclare que sa lésion professionnelle n'est pas encore consolidée et qu'il reçoit toujours les indemnités de remplacement du revenu de la CSST.
[18] Il dépose à l'audience une note du docteur Leblanc datée du 19 avril 2001. Ce médecin indique dans ce document que depuis la chirurgie de décembre 2000, l'évolution du travailleur est lente, laisse beaucoup à désirer et que son pronostic est actuellement réservé. Il réitère son appui à la décision du travailleur de retourner aux études et ajoute que cette démarche est non seulement souhaitable pour le travailleur mais salutaire tant au plan physique que moral.
[19] Malgré la décision de la CSST de ne pas payer pour sa formation professionnelle, le travailleur a débuté ses cours en automne 1999 pour l'obtention d'un baccalauréat en génie de la construction. Il a obtenu 55 crédits jusqu'à ce jour avec une excellente moyenne. Le relevé de ses notes a été produit à l'audience. Il souligne à l'audience que la réadaptation qu'il a entreprise ne nuit pas du tout à son rétablissement. Cette mesure de réadaptation lui donne confiance et aura l'avantage de coûter moins cher à long terme. Il soumet qu'avec un tel diplôme en mains, son salaire sera plus élevé que son salaire pré-accidentel. L'employeur appuie également le travailleur dans ses démarches et considère que cette solution pourrait aussi résulter en des économies pour lui.
L'AVIS DES MEMBRES
[20] Le membre issu des associations syndicales et le membre issu des associations d'employeurs sont d'avis de rejeter la contestation du travailleur. En effet, bien que les démarches du travailleur soient louables et qu'il devrait être encouragé à poursuivre dans cette veine, la CSST n'a pas l'obligation, en vertu de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., ch.A-3.001) (la loi), de lui payer une formation professionnelle. Le travailleur a déjà un diplôme de niveau collégial en génie civil et il est plausible qu'une fois ses limitations fonctionnelles établies, il pourra accéder à un emploi convenable sans qu'il soit nécessaire de suivre un programme de formation professionnelle. L'obligation de la CSST se limite à assumer le coût de la solution appropriée la plus économique parmi celles qui permettent d'atteindre l'objectif recherché.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[21] La Commission des lésions professionnelles doit décider si le travailleur peut bénéficier d'un programme de formation professionnelle en vue de l'obtention d'un baccalauréat en génie de construction.
[22] La réadaptation professionnelle est une mesure de réadaptation prévue au chapitre IV de la loi intitulée «la réadaptation». Les dispositions pertinentes au présent litige se lisent ainsi :
145. Le travailleur qui, en raison de la lésion professionnelle dont il a été victime, subit une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique a droit, dans la mesure prévue par le présent chapitre, à la réadaptation que requiert son état en vue de sa réinsertion sociale et professionnelle.
________
1985, c. 6, a. 145.
146. Pour assurer au travailleur l'exercice de son droit à la réadaptation, la Commission prépare et met en oeuvre, avec la collaboration du travailleur, un plan individualisé de réadaptation qui peut comprendre, selon les besoins du travailleur, un programme de réadaptation physique, sociale et professionnelle.
.{Modifications.}.
Ce plan peut être modifié, avec la collaboration du travailleur, pour tenir compte de circonstances nouvelles.
________
1985, c. 6, a. 146.
166. La réadaptation professionnelle a pour but de faciliter la réintégration du travailleur dans son emploi ou dans un emploi équivalent ou, si ce but ne peut être atteint, l'accès à un emploi convenable.
________
1985, c. 6, a. 166.
167. Un programme de réadaptation professionnelle peut comprendre notamment :
1° un programme de recyclage;
2° des services d'évaluation des possibilités professionnelles;
3° un programme de formation professionnelle;
4° des services de support en recherche d'emploi;
5° le paiement de subventions à un employeur pour favoriser l'embauche du travailleur qui a subi une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique;
6° l'adaptation d'un poste de travail;
7° le paiement de frais pour explorer un marché d'emplois ou pour déménager près d'un nouveau lieu de travail;
8° le paiement de subventions au travailleur.
________
1985, c. 6, a. 167.
172. Le travailleur qui ne peut redevenir capable d'exercer son emploi en raison de sa lésion professionnelle peut bénéficier d'un programme de formation professionnelle s'il lui est impossible d'accéder autrement à un emploi convenable.
Ce programme a pour but de permettre au travailleur d'acquérir les connaissances et l'habileté requises pour exercer un emploi convenable et il peut être réalisé, autant que possible au Québec, en établissement d'enseignement ou en industrie.
________
1985, c. 6, a. 172; 1992, c. 68, a. 157.
181. Le coût de la réadaptation est assumé par la Commission.
Dans la mise en oeuvre d'un plan individualisé de réadaptation, la Commission assume le coût de la solution appropriée la plus économique parmi celles qui permettent d'atteindre l'objectif recherché.
________
1985, c. 6, a. 181.
[23] En l'instance, la lésion professionnelle du travailleur n'est pas encore consolidée et par conséquent ses séquelles permanentes n'ont pas encore été évaluées. Or, selon l'article 145 de la loi, pour avoir droit à la réadaptation, le travailleur doit avoir subi une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique.
[24] Le travailleur a subi, en l'instance, une discoïdectomie L5-S1. De toute évidence, il gardera une atteinte permanente à son intégrité physique de cette lésion. Mais à quel moment peut-on établir l'existence d'une atteinte permanente qui va permettre l'ouverture au droit à la réadaptation ?
[25] La Commission des lésions professionnelles est entièrement d'accord avec l'avis exprimé dans l'affaire Gagné et Provigo Distribution inc. et C.S.S.T.[1], où, le tribunal, après avoir fait une revue de la jurisprudence sur cette question, conclut que dès qu'il est médicalement possible de déterminer des séquelles permanentes de la lésion, la condition d'ouverture au droit à la réadaptation est rencontrée.
[26] D'ailleurs, dans ce dossier, la CSST, en date du 21 décembre 1999, a accepté de rembourser le travailleur pour les frais de déneigement encourus pour l'hiver 1999-2000, bien que la lésion professionnelle n'était pas encore consolidée. Dans les notes évolutives, l'agente d'indemnisation indique qu'il est probable que le travailleur gardera une atteinte permanente et que son médecin, le docteur Leblanc, indique qu'il ne doit pas pelleter pour ne pas compromettre sa récupération. Elle accepte donc de rembourser le travailleur pour les frais de déneigement encourus pour l'année en question.
[27] Donc, le droit à la réadaptation s'ouvre dès qu'il est médicalement possible de déterminer que la lésion a entraîné des séquelles permanentes. Ce droit s'est ouvert pour le travailleur le 30 août 1999 lorsque le docteur Leblanc a affirmé que le travailleur ne pourra retourner à son travail sans restrictions fonctionnelles. Le docteur L'Espérance et le docteur Thiffault ont aussi indiqué que le travailleur garderait probablement des limitations fonctionnelles, et le travailleur a déjà bénéficié de mesures de réadaptation sociale lorsque la CSST a accepté de lui rembourser les frais engagés pour faire exécuter le déneigement. Qu'en est-il de la réadaptation professionnelle ?
[28] L'ouverture au droit à la réadaptation n'est pas suffisante pour permettre au travailleur de bénéficier d'un programme de réadaptation professionnelle. Il doit, de plus, rencontrer les conditions prévues aux articles 166, 167 et 172 de la loi.
[29] En effet, la réadaptation professionnelle a pour but de permettre au travailleur d'occuper son emploi ou un emploi convenable. Lorsque ce but ne peut être atteint, elle vise à lui faire occuper un emploi convenable. Le programme de réadaptation «peut» comprendre un programme de formation professionnelle, mais tel que décidé par la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles dans l'affaire Geoffrey et Guy Millaire & fils inc.[2], il ne s'agit pas d'un droit absolu octroyé au travailleur. De plus, l'article 172 de la loi prévoit des conditions d'exercice de cette discrétion par la CSST, ce qui signifie que les autres alternatives doivent aussi être examinées.
[30] En l'instance, le travailleur est déjà détenteur d'un diplôme de niveau collégial en génie civil. Les probabilités que le travailleur puisse se trouver un emploi équivalent ou un emploi convenable sans qu'il ait à suivre des cours universitaires sont donc élevées. Le but recherché par la réadaptation peut être atteint sans la nécessité pour le travailleur d'obtenir un baccalauréat en génie de construction, comme il le souhaite. La CSST assume le coût de la réadaptation mais son obligation se limite à assumer le coût de la solution appropriée la plus économique parmi celles qui permettent d'atteindre l'objectif recherché.
[31] La Commission des lésions professionnelles ne peut, à tout le moins pour le moment, accorder la demande du travailleur puisque la preuve ne permet pas de conclure que le travailleur devra probablement bénéficier d'un programme de formation professionnelle pour accéder à un emploi convenable. Une fois que la lésion professionnelle aura été consolidée et les séquelles permanentes évaluées, le travailleur pourra réitérer sa demande et une évaluation plus approfondie sera effectuée à ce moment pour déterminer ses besoins en réadaptation pour lui permettre de retourner sur le marché du travail.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête du travailleur, monsieur Patrick Guénette;
CONFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 8 décembre 2000, à la suite d'une révision administrative;
DÉCLARE que le travailleur n'a pas droit de bénéficier, pour le moment, d'un programme de formation professionnelle.
|
|
|
Santina Di Pasquale |
|
Commissaire |
|
|
|
|
|
|
|
|
Panneton, Lessard (Me Dominique Wilhelmy) |
|
|
|
Représentante de la partie intervenante |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.