Autorité des marchés financiers c. Quesnel |
2012 QCCA 1448 |
COUR D'APPEL
CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
No: |
500-10-005219-124 |
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(500-36-005641-108) (500-61-255451-099) |
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PROCÈS-VERBAL D'AUDIENCE |
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DATE: |
15 août 2012 |
L’HONORABLE JACQUES DUFRESNE, J.C.A. |
PARTIE REQUÉRANTE |
AVOCATS |
AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS |
Me Jean-Nicholas Wilkins (absent) Me David Bélanger (absent)
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PARTIE INTIMÉE |
AVOCATS |
RICHARD QUESNEL |
Me Harvey W. Yarosky (absent) Me François Daviault (absent) YAROSKY, DAVIAULT ET ISAACS
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REQUÊTE POUR PERMISSION D'APPELER D’UN JUGEMENT DE LA COUR SUPÉRIEURE PRONONCÉ LE 12 JUIN 2012 PAR L’HONORABLE RÉJEAN F. PAUL, DANS LE DISTRICT DE MONTRÉAL. |
Greffière: Marie-Laurence Brunet |
Salle: Rc-18 |
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AUDITION |
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La requête est continuée du 8 août 2012 pour jugement. Les avocats ne sont pas tenus d’être présents. |
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Marie-Laurence Brunet |
Greffière d'audience |
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JUGEMENT |
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[1] La requérante, l’Autorité des marchés financiers (AMF), demande la permission de se pourvoir, en vertu de l’article 291 C.p.p., contre un jugement rendu le 12 juin 2012 par la Cour supérieure, district de Montréal (l'honorable Réjean F. Paul), qui a accueilli l'appel de l'intimé, Richard Quesnel, et prononcé un acquittement en lieu et place de la déclaration de culpabilité prononcée le 17 novembre 2010, par une juge de la Cour du Québec, district de Montréal (l'honorable Juanita Westmoreland-Traoré), qui avait déclaré coupable l'intimé d'avoir illégalement fait usage d'une information privilégiée en vertu de la Loi sur les valeurs mobilières[1] (LVM). Le juge de la Cour supérieure a également décidé qu'il n'y avait pas lieu d'ordonner la tenue d'un nouveau procès.
[2] L'appel en Cour supérieure, comme la présente requête d'ailleurs, a trait aux deux chefs d'accusation suivants :
À Montréal et ses environs, dans le district judiciaire de Montréal, le ou vers le 1 mars 2006, alors qu'il était un initié au sens de la Loi sur les valeurs mobilières, L.R.Q., c. V-1.1 (la «Loi»), a réalisé une opération sur les titres de la société Consolidated Thompson-Lundmark Golf Mines Limited (dont le nom a été changé pour Consolidated Thompson Iron Mines Limited), un émetteur assujetti, à savoir l'acquisition de 12 900 actions, alors qu'il disposait d'une information privilégiée concernant cet émetteur, à savoir les résultats de l'étude de faisabilité effectuée par Breton, Banville et associés pour cet émetteur relativement au projet Bloom Lake Iron Ore Deposit, commettant ainsi l'infraction prévue à l'article 187 de la Loi et se rendant ainsi passible de la peine prévue à l'article 204 de la Loi.
À Montréal et ses environs, dans le district judiciaire de Montréal, le ou vers le 2 mars 2006, alors qu'il était un initié au sens de la Loi sur les valeurs mobilières, L.R.Q., c. V-1.1 (la «Loi»), a réalisé une opération sur les titres de la société Consolidated Thompson-Lundmark Golf Mines Limited (dont le nom a été changé pour Consolidated Thompson Iron Mines Limited), un émetteur assujetti, à savoir l'acquisition de 17 100 actions, alors qu'il disposait d'une information privilégiée concernant cet émetteur, à savoir les résultats de l'étude de faisabilité effectuée par Breton, Banville et associés pour cet émetteur relativement au projet Bloom Lake Iron Ore Deposit, commettant ainsi l'infraction prévue à l'article 187 de la Loi et se rendant ainsi passible de la peine prévue à l'article 204 de la Loi.
[3] L’intimé était donc accusé de délits d'initié au sens de la LVM pour avoir acquis les actions de la société qu'il dirigeait, alors qu'il disposait d'une information privilégiée concernant cette émettrice, « à savoir les résultats de l'étude de faisabilité effectuée Breton, Banville et Associés […] ».
[4] L’expression « information privilégiée » est ainsi définie à l’article 5 de la LVM : « toute information encore inconnue du public et susceptible d’affecter la décision d’un investisseur raisonnable; […] ».
[5] La juge de la Cour du Québec a d'abord conclu que l'intimé n'était pas en possession, à la date de l'achat des actions, des résultats de l'étude de faisabilité mentionnée aux chefs d'accusation :
[76] The Court finds that defendant Richard Quesnel was not in possession of the results of the Bankable Feasibility Study when he purchased shares of CLM on March 1 and 2, 2006. "
[6] Malgré ce constat, la juge poursuit son analyse et, considérant que l'intimé possédait des informations préliminaires transmises en cours d'étude par la firme Breton, Banville et Associés (BBA), elle conclut à sa culpabilité. Voici comment la juge justifie sa conclusion à cet égard :
[80] The findings of BBA concerning the,
- the density of the mineral deposit
- the extraction process
- the preliminary financial forecast based on the scooping study
- the environmental study and absence of legal impediments
- the environmental examination and the scenario for port design
and loading
- comparative capital costs and operation costs and the port
schema at the Baie of Sept Îles
- as well as availability of transportation routes
were material information based on scientific studies.
[81] Even in the absence of expert witness, the Court holds that these were material findings which could potentially affect the decisions of reasonable investors. They are part of a sum of factors which would influence investors. [Reference omitted]
[82] The elements of the infractions are proved; to limit the prosecution to proof of the receipt of the results of the Bankable Feasibility Study before March 1, would in this case be an overly technical and restrictive interpretation of the "constat d'infraction".
[83] On March 1, Richard Quesnel was in possession of the majority of the findings of the Bankable Feasibility Study. Many of the deliverables did not change in the draft report; some modifications were made to further optimize the profitability of the project. While a 10% increase in the IRR is a significant increase, the IRR is nonetheless one among many important factors.
[84] It therefore, follows that even in the absence of the draft results of the Bankable Feasibility Study, Mr. Quesnel breached the Quebec Securities Act when he purchased 30,000 shares of CLM.
[…]
[86] Once the results of Bankable Feasibility Study were communicated through the press release of April 4, the price of the CLM share increased significantly. While, this increase occurred after release of the results of the draft study; however, even in the absence of these results, the findings communicated to Richard Quesnel with each deliverable before March 1, 2006 would potentially influence decision making of reasonable investors given the favorable climate for mining exploration and development in the region and the already favorable conclusions of the preliminary scoping study.
[…]
[88] Richard Quesnel was not misled in his defence by the wording of the "constat d'infraction". He was not taken by surprise. The copious documentation arising from of the investigation of the Autorité des marchés financiers was communicated to him. He submitted an extensive list of admissions.
[…]
[90] I find that on March 1 and March 2, 2006, the defendant was in possession of privileged information, being the technical data produced of refined by BBA including representations on the absence of environmental obstacles, metallurgical findings confirming the quantity and quality of the iron ore, comparative capital costs, operating costs, port handling design as well as some financial information.
[91] The rights of the accused to a full and fair defence were not compromised by the wording of the information referring to the results of the Feasibility Study performed by BBA for the CLM Bloom Lake Project.
[Transcription du « unedited judgment ».]
[7] L'intimé ayant porté en appel ce jugement, le juge de la Cour supérieure a accueilli l'appel et l’a acquitté des deux chefs d'accusation portés contre lui. L'essentiel de ses motifs tient dans les paragraphes suivants :
[26] Avec égard, là où le bât blesse dans le jugement de première instance (par ailleurs, inattaquable jusqu'au paragraphe 76 précité), c'est lorsque la juge soumet que l'appelant doit être trouvé coupable parce qu'il était en possession d'informations (les livrables) autres que l'information privilégiée spécifiée aux chefs d'accusation (c'est-à-dire les résultats de l'étude de faisabilité).
[…]
[28] Pour ma part, je considère que l'appelant n'avait qu'à répondre aux chefs d'accusation tels que rédigés.
[29] Ce que l'on reprochait à l'appelant était spécifiquement indiqué; il n'avait pas à faire face à quoi que ce soit d'autre parce que la poursuite avait très bien rédigé et ce délibérément, ce que l'on reprochait à l'appelant pour les actes posés les 1er et 2 mars 2006.
[30] En procédure pénale, surtout avec les conséquences qui s'ensuivent suite à un verdict de culpabilité, l'on ne peut se baser sur une interprétation dite libérale de la Loi.
[31] Il eut été facile d'indiquer par amendement en vertu de l'article 285 du Code de procédure pénale, ce que l'on reprochait exactement à l'appelant en matière d'information privilégiée, à part "les résultats de l'étude de faisabilité effectuée par Breton, Banville et associés". Ceci aurait permis à l'appelant de présenter une défense appropriée avec l'aide d'experts, entre autres.
[32] L'intimée a décidé de continuer les procédures tant en première instance qu'en appel basées sur son interprétation de la particularité essentielle mentionnée à l'acte d'accusation.
[33] J'en viens à la conclusion, avec égard, que la juge de première instance a commis une erreur de droit en trouvant l'appelant coupable, nonobstant son constat exact à l'effet que l'appelant n'était pas en possession des résultats de l'étude de faisabilité quant il a acheté les 30 000 actions les 1er et 2 mars 2006.
[34] Accueillir l'appel comme l'intimée en fait subsidiairement la demande, mais ordonner la tenue d'un nouveau procès en vertu de l'article 287 du Code de procédure pénale serait contre-indiqué.
[35] Agir ainsi ferait subir à l'appelant un préjudice dont il n'est aucunement responsable, compte tenu de la position ferme et non équivoque de l'intimée dans ce dossier, quant aux chefs d'accusation, tant en première instance qu'en appel.
[8] L’AMF soumet que le juge de la Cour supérieure a omis d'analyser la suffisance des chefs d'accusation dans leur globalité. Elle soutient qu'aux 1er et 2 mars 2006, dates d'acquisition des actions par l'intimé, l'étude de faisabilité était en cours et les résultats fragmentaires transmis jusqu'à ces dates par BBA à l'intimé, aussi appelés des « deliverables » (livrables en français), comportaient ou constituaient de l'information privilégiée.
[9] Elle plaide que le juge de la Cour supérieure a erré en droit en ne reconnaissant pas que les chefs d'accusation étaient suffisamment détaillés pour renseigner adéquatement l'intimé sur les infractions reprochées et lui permettre d'organiser sa défense. Elle soutient également que l'utilisation du vocable « résultats » est un détail superfétatoire, ajoutant que le juge devait adopter une interprétation large et libérale des chefs d'accusation. Enfin, elle soumet que si l'intimé a été induit en erreur quant aux infractions reprochées, ce qu'elle n'admet pas par ailleurs, le remède approprié était d’ordonner un nouveau procès.
[10] L'intimé rétorque que ce n'est que le 24 mars 2006, donc après les acquisitions d’actions de l’émettrice, que les résultats de l'étude de faisabilité lui ont été communiqués. Ce n'est qu'à ce moment qu'il a été capable de connaître le rendement envisagé. Il plaide avoir été privé d'une défense pleine et entière, puisque la juge de la Cour du Québec l'a condamné pour des infractions différentes de celles pour lesquelles il a été accusé. Pour lui, la requérante n'a pas prouvé ce qu'elle alléguait dans les chefs d’accusation.
ANALYSE
[11] Pour obtenir la permission de se pourvoir d'un jugement rendu par la Cour supérieure siégeant en appel, la requérante doit démontrer l'existence d'une question de droit justifiant l'octroi de l'autorisation. J'estime qu'elle a failli à cet égard.
[12] L’AMF a choisi de particulariser les deux chefs d'accusation portés contre l'intimé, en référant spécifiquement à la connaissance qu'avait l'intimé des résultats d'une étude de faisabilité effectuée par BBA. Dans ces circonstances, il y a lieu pour le ou la juge saisi(e) de tels chefs d'infractions ainsi libellés de vérifier si la poursuite a démontré les infractions particularisées; si elle ne les a pas prouvées, il faut alors s’interroger pour savoir si les particularités mentionnées aux chefs d'accusation sont superfétatoires, en d'autres mots, sans trop d'importance, ou se demander si les précisions apportées sont utiles à la compréhension exacte de l'infraction reprochée.
[13] Dans l’arrêt Saunders[2], la juge McLachlin, alors juge puinée de la Cour suprême, rappelait « [qu’]il existe un principe fondamental en droit criminel que l’infraction, précisée dans l’acte d’accusation, doit être prouvée ». Elle ajoute :
Ayant fait cela [le fait que le ministère public ait choisi de particulariser l’infraction], il était obligé de faire la preuve de l'infraction ainsi précisée. Permettre au ministère public de faire la preuve d'une autre infraction ayant des caractéristiques différentes reviendrait à miner la raison pour laquelle des détails sont apportés, c'est-à-dire permettre à "l'accusé [. . .] [d']être raisonnablement informé de l'infraction qu'on lui impute, pour lui donner ainsi la possibilité d'une défense complète et d'un procès équitable" : [Référence omise.]
[14] En l’espèce, l'information particularisée n'est pas sans signification. Loin de là, puisque l’accusation est précise, soit la connaissance des résultats de l’étude de faisabilité réalisée par BBA.
[15] L’AMF aurait pu demander l’autorisation de modifier les chefs d'accusation (art. 179 et 184 in fine C.p.p.), ne serait-ce qu'en référant aux résultats fragmentaires déjà communiqués à l’intimé par BBA à la date des infractions reprochées, si c’est de cela qu’elle voulait l’accuser, mais elle s’en est gardée. Elle en a eu l'occasion devant la Cour du Québec, comme elle aurait pu tout autant le faire devant le juge de la Cour supérieure, comme celui-ci le mentionne d'ailleurs à son jugement. Elle n’a pas jugé à propos de le faire. D'ailleurs, elle soutient toujours que les particularités mentionnées aux chefs d'accusation sont des renseignements superfétatoires. J'estime, à l'instar du juge de la Cour supérieure, que ce n'est pas le cas.
[16] C'est à ce point vrai que, s'il fallait minimiser l'importance des renseignements précis contenus aux chefs d'accusation, l'intimé serait privé de tout un pan de défense, n'ayant pas été accusé d'autre chose que d'avoir profité de sa connaissance des résultats de l'étude de faisabilité préparée par BBA pour procéder à l'achat d'actions de l’émettrice. Or, la preuve est à ce point limpide que la juge de la Cour du Québec fait le constat au paragraphe [76] de son jugement, déjà cité, qu’à la date des faits reprochés, les résultats de l'étude de faisabilité de BBA n'étaient pas en possession de l’intimé. De fait, la preuve révèle que ce dernier n’a eu connaissance des résultats de l’étude que le 24 mars 2006. Le 4 avril suivant, il y a eu publication d’un communiqué de presse faisant état de l’étude de faisabilité. Puis, le rapport écrit comportant les résultats de l’étude a été remis ou publié en mai 2006.
[17] En l'espèce, l'information particularisée énoncée aux chefs d'accusation, soit la connaissance des résultats de l’étude de faisabilité effectuée par BBA, constitue l'essentiel de ce qui est reproché à l'intimé. La défense de ce dernier devant la Cour du Québec porte justement sur l'impossibilité d’avoir eu connaissance des résultats de l’étude de faisabilité en cause, alors qu’elle n’était pas encore disponible. L'intimé en a fait la preuve. Le jugement de la Cour supérieure réfère d’ailleurs au témoignage non équivoque de ce dernier à ce sujet. Bref, toute la défense de l'intimé est fonction du libellé des chefs d'accusation.
[18] Je ne décèle donc aucune erreur de droit de la part du juge de la Cour supérieure. En outre, les questions soulevées par la requête se rattachent à des principes connus et, en cela, ne présentent pas d’intérêt pour la Cour. Enfin, la décision du juge de la Cour supérieure de ne pas ordonner un nouveau procès trouve justification dans les circonstances.
POUR CES MOTIFS, LE SOUSSIGNÉ :
[19] REJETTE la requête pour permission d'appeler.
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JACQUES DUFRESNE, J.C.A. |
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.