Décision

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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Gaspé

26 mars 2004

 

Région :

Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine

 

Dossier :

188680-01C-0208   209018-01C-0305

 

Dossier CSST :

121138358

 

Commissaire :

Me Louise Desbois

 

Membres :

Aubert Tremblay, associations d’employeurs

 

Pierre Boucher, associations syndicales

______________________________________________________________________

 

 

 

Materiaux Campbell (faisant affaire sous la raison sociale A & R Décorations)

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

M.R.N.F.P.

Ville Ste-Anne-des-Monts

Hector Laforest inc (fermé)

Brousse-Nord 2000 inc.

Sylvio Therrien

 

parties intéressées

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

Dossier 188680-01C-0208

 

 

[1]                Le 5 août 2002, Matériaux Campbell ltée (l’employeur), faisant affaires sous la dénomination sociale A & R Décorations, dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 11 juillet 2002 à la suite d’une révision administrative.

[2]                Par cette décision, la CSST infirme celle qu’elle a initialement rendue le 6 décembre 2001 et déclare que le travailleur a été victime d’une lésion professionnelle de la nature d’un tunnel (sic) carpien bilatéral « en fonction d’un accident du travail dans un contexte de travail inhabituel ».

Dossier 209018-01C-0305

[3]                Le 26 mai 2003, l’employeur dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la CSST rendue le 7 avril 2003 à la suite d’une révision administrative.

[4]                Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 11 février 2003 et déclare que la lésion professionnelle consistant en un syndrome du canal carpien a entraîné 30 % d’atteinte permanente, auquel s’ajoute 7,5 % pour douleur et perte de jouissance de la vie, pour un total de 37,5 %, ce qui donne droit au travailleur à une indemnité de 23 323,50 $ plus les intérêts. Elle déclare également que le travailleur a droit à la réadaptation et a besoin de réadaptation professionnelle.

L’OBJET DES CONTESTATIONS

Dossier 188680-01C-0208

 

[5]                L’employeur demande de déclarer qu’il y a chose jugée sur le litige soumis à la Commission des lésions professionnelles.  Il demande, de façon subsidiaire, de déclarer que le travailleur a produit sa réclamation après l’expiration du délai prévu par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) et qu’il n’a démontré aucun motif raisonnable permettant de prolonger ce délai ou de le relever des conséquences de son défaut de le respecter.

[6]                Dans le cas où la Commission des lésions professionnelles déciderait qu’il n’y a pas chose jugée et, par ailleurs, que la réclamation du travailleur est recevable, l’employeur demande de déclarer que le travailleur n’a pas subi de lésion professionnelle le ou vers le 8 novembre 2000.

Dossier 209018-01C-0305

[7]                L’employeur s’en remet au tribunal pour apprécier le bien-fondé des pourcentages d’atteinte permanente et de l’indemnité pour dommages corporels correspondants et n’a pas d’autre demande ou commentaire à formuler dans ce dossier.

L’AVIS DES MEMBRES

Dossier 188680-01C-0208

 

[8]                Le membre issu des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales sont tous deux d’avis qu’il n’y a pas chose jugée dans le dossier, sauf en ce qui concerne l’absence de survenance d’un accident du travail le 8 novembre 2000. Ils considèrent également que la réclamation du travailleur du 5 octobre 2001 devrait être jugée recevable en raison de l’imbroglio administratif et médical qui a suivi la première demande. Finalement, les membres sont d’avis que la preuve n’est pas prépondérante quant à la relation entre le travail effectué par le travailleur, serait-ce au fil des ans, et la maladie diagnostiquée. Ils accueilleraient donc la requête de l’employeur.

Dossier 209018-01C-0305

[9]                Le membre issu des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales sont tous deux d’avis que la requête de l’employeur est devenue sans objet puisqu’il n’y a pas de lésion professionnelle reconnue.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[10]           Le 2 octobre 2000, le travailleur, alors âgé de 36 ans, débute un travail de journalier chez l’employeur.  Ce dernier opère une entreprise de fabrication de couronnes de Noël.

[11]           Le travail du travailleur consiste à prendre de petites branches, à les casser en trois morceaux, à empiler ces trois morceaux et à les pousser sur une table vers son partenaire, le « tricoteur », celui qui fabrique les couronnes.

[12]           Le 8 novembre 2000, le travailleur quitte le travail pour aller consulter un médecin.

[13]           Un diagnostic de syndrome du canal carpien sera éventuellement posé puis remis en question puis à nouveau retenu.  Il est également question d’un événement survenu le 8 novembre 2000, jour de la cessation du travail et d’un diagnostic d’entorse dorsale accepté puis refusé par la CSST.  Bref, tout un imbroglio médical et administratif suit l’arrêt de travail du travailleur, imbroglio sur lequel le tribunal reviendra plus longuement.

[14]           Quoiqu’il en soit, le travailleur soumet une première réclamation à la CSST le 22 novembre 2000 puis une seconde le 5 octobre 2001, les deux en relation avec son arrêt de travail du 8 novembre 2000.

[15]           Sa seconde réclamation est finalement acceptée en regard de son diagnostic de syndrome du canal carpien.  Un rapport d’évaluation médicale est produit, dans lequel le médecin conclut que la lésion a entraîné un pourcentage d’atteinte permanente de 30 %.

[16]           La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le travailleur a subi une lésion professionnelle consistant en un syndrome du canal carpien.  De façon préliminaire, la Commission des lésions professionnelles doit cependant déterminer, en réponse aux représentations de l’employeur, le caractère de chose jugée quant au litige soumis au tribunal et la recevabilité de la réclamation du travailleur eu égard à son délai de production.

Chose jugée et hors délai

[17]           Le dossier du travailleur a donné lieu à un imbroglio médical et administratif peu commun.  En fait, cet imbroglio découle de la pathologie du travailleur et de son médecin qui a eu de la difficulté à cerner le diagnostic, ainsi que de l’approche de la CSST, laquelle a scindé l’étude d’une même lésion en deux, selon que celle-ci découlerait d’un accident du travail survenu le 8 novembre 2000 ou constituerait plutôt une maladie professionnelle.

[18]           Au plan médical, il semble que le médecin du travailleur ait hésité et tergiversé entre les diagnostics d’entorse cervicale ou dorsale et le syndrome du canal carpien.  Il faut dire que les engourdissements aux membres supérieurs n’étaient pas nécessairement typiques de l’une ou l’autre de ces pathologies et que des pathologies différentes auraient pu être présentes simultanément.

[19]           Par ailleurs, l’approche de la CSST est compréhensible dans le contexte où le travailleur produit au départ une réclamation en alléguant un événement précis qui serait survenu le 8 novembre 2000 pour ensuite alléguer également une maladie professionnelle.

[20]           Il n’en demeure pas moins qu’il était toujours question, notamment, de la même lésion, soit un syndrome du canal carpien, et que la loi parle d’une réclamation du travailleur à la suite d’une lésion professionnelle, peu importe la cause. D’ailleurs, tant la CSST que ce tribunal ont régulièrement à décider si un travailleur a subi une lésion professionnelle et si elle découle d’un accident du travail ou constitue plutôt une maladie professionnelle.  Le litige consiste alors toujours, en bout de ligne, à savoir si le travailleur s’est infligé une lésion professionnelle, peu importe sa qualification.

[21]           En l’occurrence, le travailleur a soumis une première réclamation à la CSST le 22 novembre 2000.  Il faisait alors référence à un événement survenu le 8 novembre 2000 à 8 h et le décrivait comme suit :

« En me penchant pour ramasser des branches qui étaient tombées par terre ça m’a fait mal dans le dos ça m’a picoté dans les mains et les pieds m’ont enflé. » (sic)

 

(Soulignement ajouté)

 

 

[22]           Le médecin rencontré le 8 novembre 2000 ne diagnostique qu’une entorse dorsale, en sus de douleurs aux chevilles possiblement reliées au travail.

[23]           Le diagnostic de syndrome du canal carpien bilatéral apparaît au dossier le 19 novembre 2000.

[24]           Le 15 janvier 2001, la CSST rend une décision sur l’admissibilité de la réclamation du travailleur, essentiellement en ces termes :

« Nous avons reçu les documents concernant l’accident que vous avez subi le 08 novembre 2000 et qui vous a causé une entorse dorsale.  L’étude des documents nous permet d’accepter votre réclamation pour un accident du travail.

 

[...] Cependant, la CSST ne peut mettre en relation le diagnostic de syndrome de tunnel (sic) carpien bilatéral avec l’entorse dorsale que vous avez subie le 8 novembre 2000.

 

Tel que discuté au téléphone, vous pourrez compléter une réclamation du travailleur pour le syndrome de tunnel carpien bilatéral afin qu’une étude soit faite.

 

[...]

 

(Soulignements ajoutés)

[25]           Lors de l’entretien téléphonique auquel l’agent réfère, l’agent écrit que le travailleur lui dit :

« [..] il ne croit pas qu’il a problème de tunnel carpien, son md l’a envoyé voir ergothérapeute, elle lui a fait faire des exercices et ne voit pas de tunnel (sic) carpien.  [...] »

[26]           Le 18 janvier 2001, un autre agent de la CSST rapporte également ces propos du travailleur :

« T [travailleur] précise qu’il ne s’agissait pas finalement de tunnel (sic) carpien ® l’engourdissement des mains était causé par la douleur au dos. »

[27]           Le 9 février suivant, le médecin du travailleur déclare la lésion du travailleur consolidée le 12 février 2001, en ne référant pas à un diagnostic précis mais en référant à une « disparition quasi-totale des engourdissements des mains », à une absence de limitations fonctionnelles mais à la présence d’atteinte permanente.

[28]           Le médecin du travailleur est censé évaluer le travailleur et produire le rapport d’évaluation médicale final, incluant le bilan des séquelles.  Le 10 mai 2001 cependant, il communique avec l’agent de la CSST pour lui indiquer que le travailleur présente toujours des engourdissements et qu’il suggère qu’un électromyogramme soit pratiqué avant qu’il ne complète son rapport final, ce à quoi l’agent consent.

[29]           Le 12 juin 2001, le docteur Pierre Grammond, neurologue, répond à la demande du médecin du travailleur.  Il précise alors qu’il n’a pu effectuer un électromyogramme parce que le travailleur a peur des piqûres.  Il est tout de même en mesure d’affirmer, à partir des tests cliniques et électrophysiologiques, que le patient présente un syndrome léger à modéré du canal carpien.  Il ajoute également ce qui suit :

« Finalement, je crois que son tunnel (sic) carpien est probablement relié à son travail qu’il faisait à l’automne dernier, étant donné qu’il utilisait de façon prédominante sa main gauche et que les symptômes sont présentement plus de ce côté. »

[30]           Le 5 juillet suivant, le travailleur s’entretient avec le réviseur administratif saisi de la demande de révision de l’employeur de la décision initiale d’admissibilité de la réclamation du travailleur.  Le réviseur note que le travailleur lui dit avoir passé des tests « pour confirmer tunnel (sic) carpien bilatéral » et qu’il fera des démarches pour se faire reconnaître victime d’une maladie professionnelle.

[31]           Le 10 juillet 2001, le réviseur rend sa décision.  Il infirme alors la décision initiale du 15 janvier 2001 (émise le 12 janvier 2001 pour l’employeur) et déclare que le travailleur n’a pas été victime d’un accident du travail le 8 novembre 2000.  Le réviseur écrit alors ce qui suit :

« [...] Monsieur Therrien est d’avis que l’événement du 8 novembre 2000 ne peut avoir provoqué son tunnel carpien bilatéral, il fera parvenir prochainement une réclamation à la CSST pour une étude en maladie professionnelle pour cette lésion.

 

La Révision administrative estime que le diagnostic de tunnel carpien bilatéral émis le 19 novembre 2000 ne peut être mis en relation avec l’événement d’écrit le 8 novembre 2000.  La CSST a d’ailleurs rendue une décision à cet effet et le travailleur n’a pas contesté ce fait.  Le travailleur informe la Révision administrative qu’il produira prochainement une réclamation pour une étude de maladie professionnelle concernant cette lésion.

 

Les diagnostics à retenir dans le présent dossiers sont donc une entorse dorsale et une entorse cervicale. » (sic)

 

(Soulignements ajoutés)

[32]           Le 30 juillet 2001, le travailleur conteste cette décision devant la Commission des lésions professionnelles. Le dossier 166209-01C-0107est alors ouvert.

[33]           Le 3 octobre 2001, le travailleur soumet à la CSST une nouvelle réclamation pour  lésion  professionnelle  en  indiquant  encore  le   8 novembre  2000  comme  date d’événement mais en décrivant ce dernier comme suit :

« Suite à un travail à répétitions j’ai développé le syndrome du tunnel (sic) carpien plus dans le gauche que dans le droit.

 

Les deux mains m’engourdissent. »

[34]           Le 9 septembre 2002, le travailleur, par l’intermédiaire de son procureur, se désiste de sa requête déposée le 30 juillet 2001 à la Commission des lésions professionnelles à l’encontre de la décision rendue par la CSST le 10 juillet 2001 à la suite d’une révision administrative. Le dossier 166209-01C-0107 est alors fermé.

[35]           À la lecture des décisions rendues par la CSST les 12 et 15 janvier 2001 et le 10 juillet 2001, décisions devenues finales à la suite du désistement du travailleur de sa requête devant ce tribunal, la Commission des lésions professionnelles conclut ce qui suit et pour les motifs qui suivent en ce qui concerne la question de la chose jugée :

·           Il y a chose jugée quant au fait que le diagnostic de syndrome du canal carpien bilatéral ne peut être mis en relation avec l’événement allégué du 8 novembre 2000 et avec le diagnostic d’entorse dorsale alors porté. Il y a également chose jugée quant à l’absence de survenance d’un accident du travail le 8 novembre 2000;

·           Il n’y a pas chose jugée sur la question de savoir si le syndrome du canal carpien constitue une lésion professionnelle, outre le fait qu’il n’est pas en relation avec l’événement allégué du 8 novembre 2000 et l’entorse dorsale alors diagnostiquée.  Le syndrome pourrait très bien constituer une maladie professionnelle ou découler d’un accident survenu à une autre date : la CSST ne s’est jamais prononcée sur ces questions, a expressément scindé le litige, à tort ou à raison, et a même reconnu le droit du travailleur de lui soumettre ces questions pour appréciation dans le cadre d’une autre réclamation.

[36]           La CSST aurait peut-être dû traiter tous les aspects de la lésion consistant en un syndrome du canal carpien dans le cadre de la même réclamation et du même litige.  Mais, encore une fois, il est compréhensible qu’elle ait choisi de traiter ce qui découlait de l’événement du 8 novembre 2000 dans le cadre de la réclamation en découlant, pour ensuite traiter du reste dans un autre cadre.  Toujours est-il que, dans les faits, elle ne s’est jamais penchée et prononcée sur le caractère professionnel du syndrome du canal carpien bilatéral autrement qu’en relation avec l’événement du 8 novembre 2000 et qu’il ne peut, par conséquent, y avoir chose jugée sur cette question.

[37]           La Commission des lésions conclut également que la réclamation du travailleur du  3 octobre 2001 concernant  son  syndrome du canal  carpien bilatéral est recevable, essentiellement pour les considérations suivantes :

·           Le travailleur avait déjà soumis une réclamation le 22 novembre 2000 dans laquelle il mentionnait des symptômes aux mains pouvant être reliés au syndrome du canal carpien ;

·           La CSST aurait pu choisir de traiter l’origine professionnelle globale du syndrome du canal carpien dans le cadre de la première réclamation du travailleur, notamment puisqu’il s’agissait du même diagnostic, du même travail, du même arrêt de travail, des mêmes rapports médicaux, etc. Aucun délai n’aurait alors été opposé au travailleur;

·           Le diagnostic de syndrome du canal carpien a été écarté pendant un temps par le médecin du travailleur, lequel semblait plus croire à une irradiation découlant d’une entorse cervicale ou dorsale.  Finalement, ce n’est qu’en juin 2001 que le travailleur a eu la confirmation de ce diagnostic de syndrome du canal carpien, en même temps que de la croyance du médecin quant au caractère professionnel de cette pathologie ;

·           L’article 272 de la loi prévoit ce qui suit :

272. Le travailleur atteint d'une maladie professionnelle ou, s'il en décède, le bénéficiaire, produit sa réclamation à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, dans les six mois de la date où il est porté à la connaissance du travailleur ou du bénéficiaire que le travailleur est atteint d'une maladie professionnelle ou qu'il en est décédé, selon le cas.

 

Ce formulaire porte notamment sur les nom et adresse de chaque employeur pour qui le travailleur a exercé un travail de nature à engendrer sa maladie professionnelle.

 

La Commission transmet copie de ce formulaire à chacun des employeurs dont le nom y apparaît.

__________

1985, c. 6, a. 272.

 

 

·           Le délai de six mois prévu par l’article 272 commençait donc à courir en juin 2001 pour le travailleur, puisque ce n’est qu’à ce moment qu’il sait vraiment de quoi il est atteint et que cela peut constituer une maladie professionnelle.  Sa réclamation du 3 octobre 2001 se situait amplement à l’intérieur de ce délai ;

·           Il est vrai que dès le 15 janvier 2001, la CSST écrivait au travailleur qu’il pouvait soumettre sa réclamation pour maladie professionnelle eu égard au syndrome du canal carpien.  Cependant, à cette époque, le travailleur allait beaucoup mieux et le diagnostic de syndrome du canal carpien semblait même écarté.  Ce n’est qu’en mai 2001, devant la persistance ou le retour des symptômes, que le médecin, qui avait pourtant déclaré la lésion consolidée en février, a décidé d’en avoir le coeur net et de référer le travailleur à un spécialiste.  Le temps écoulé entre le 15 janvier 2001 et juin 2001 ne saurait, en toute équité, être opposé au travailleur.

Caractère professionnel de la lésion

[38]           La notion de lésion professionnelle est ainsi définie dans la loi :

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:

 

« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;

__________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27.

 

 

[39]           D’emblée, la Commission des lésions professionnelles déclare ne pas souscrire à la théorie selon laquelle des micro-traumatismes étalés dans le temps pourraient constituer un accident du travail.  Un accident est un accident et la soussignée conçoit mal, avec respect pour l’opinion contraire, qu’un accident puisse être étalé sur des jours, voire des semaines.  De tels micro-traumatismes doivent plutôt être abordés sous l’angle de risques particuliers, dans le cadre de l’appréciation de la survenance d’une maladie professionnelle.

[40]           Une décision finale a par ailleurs déjà été rendue par la CSST quant à l’absence de relation entre le diagnostic de syndrome du canal carpien et l’accident allégué du 8 novembre 2000.

[41]           Le travailleur n’ayant pas fait la preuve prépondérante de la survenance d’un accident du travail à une autre date que le 8 novembre 2000, la Commission des lésions professionnelles conclut que le syndrome du canal carpien l’affligeant n’est pas survenu par le fait ou à l’occasion d’un accident du travail.

[42]           Il n’a par ailleurs pas été mis en preuve que le travailleur aurait déjà, antérieurement, subi une lésion professionnelle dont le syndrome du canal carpien pourrait constituer une récidive, rechute ou aggravation.

[43]           Ne demeure par conséquent que la possibilité que ce syndrome du canal carpien bilatéral constitue une maladie professionnelle.  Après étude du dossier, après une longue audience et après analyse de l’ensemble de la preuve, la Commission des lésions professionnelles ne conclut cependant pas en ce sens.

[44]           Il y a peut-être une certaine sollicitation des structures visées au travail mais dont l’importance est très faible. Et cette sollicitation de faible importance s’inscrit dans un contexte particulier, notamment de flous et de contradictions, qui fait nettement pencher la balance en faveur du caractère non professionnel de la lésion.

[45]           Ainsi, la preuve révèle que la semaine précédant son arrêt de travail, le travailleur a perdu son compagnon de travail.  Il formait la meilleure équipe avec lui et cela leur permettait d’accéder aux primes de rendement journalières.  N’ayant plus de partenaire, le travailleur devait se contenter d’aider les autres équipes, sans possibilité de prime.

[46]           Le travailleur a alors, le 6 novembre 2000, communiqué avec le propriétaire de l’entreprise, monsieur Russell Campbell, pour tenter d’être transféré dans son autre usine, avec un partenaire performant.  Cela s’est cependant avéré impossible.  Or, à compter de la semaine suivante, le mode de rémunération changeait : il n’était plus question du salaire minimum en sus de la prime au rendement lorsqu’applicable, versé pendant les quatre semaines suivant la formation, mais uniquement d’un revenu basé sur la production de l’équipe.  Et le travailleur n’avait plus d’équipe...

[47]           Le contremaître de l’établissement, monsieur Jean-Marie Gagnon, déclare lors de l’audience que le travailleur lui a exprimé sa préoccupation, légitime, à ce sujet.  Après avoir été informé de l’impossibilité d’un transfert, le travailleur a évoqué la possibilité de quitter le travail parce qu’il n’y avait pas de partenaire pour lui.  Monsieur Gagnon, souhaitant le garder dans l’entreprise, a alors proposé au travailleur de devenir contremaître, ce que ce dernier a refusé. Le travailleur aurait alors évoqué avoir trop mal aux pieds, plus particulièrement aux chevilles.  Monsieur Gagnon précise que le travailleur se plaignait à l’occasion de douleurs aux chevilles depuis le début du travail ou presque, en imputant la cause au fait de rester toujours debout sur un plancher de ciment.  Lors de son témoignage, le travailleur n’a rien contredit de ces propos de son contremaître, n’y faisant aucunement allusion.

[48]           C’est dans ce contexte pour le moins particulier que le travailleur quitte le travail le 8 novembre 2000, alléguant avoir les pieds enflés et devoir aller consulter immédiatement.

 

 

[49]           L’infirmière qui reçoit le travailleur à l’urgence de l’hôpital ledit 8 novembre 2000 rapporte ce qui suit quant aux plaintes du travailleur, ne rapportant absolument rien en ce qui a trait aux bras ou aux mains :

« Depuis hier œdème aux

chevilles.

Hier pendant son travail a

Ressentie (sic) dlr [douleur] dans la nuque

Travail toujours debout x 6 sem. »

[50]           Le médecin qui le rencontre ensuite ne mentionne pas non plus quoi que ce soit en ce qui a trait aux membres supérieurs.  Il écrit plutôt :

«  RC [Raison de consultation]

douleur, enflure 2 chevilles

+ douleur dorsale haute

 

[...]

 

D [Diagnostic] Entorse dorsale haute / œdème et douleur chevilles »

[51]           Ce n’est que le 15 mars suivant, lors de la prise en charge en physiothérapie, que la physiothérapeute, dressant la liste des problèmes décelés et à traiter, mentionne « engourdissement main (suite illisible) ».

[52]           Quant au médecin du travailleur, il en fait mention pour la première fois le 19 novembre 2000, mais en ces termes, surprenants eu égard à ce qui précède :

« [homme] 36               RC [Raison de consultation] : Dlr [douleur] dorsale

 

- engourdissements des 2 mains la nuit,

x [depuis] 4 jrs [jours] ; suite à 1er tx [traitement] de physio.

[...] »

[53]           Le 24 novembre suivant, soit cinq jours plus tard, le médecin ne rapporte plus la même version quant au moment et à la cause présumée de l’apparition des engourdissements aux mains :

« [homme] 36 ans                     RC : Dlr a/n cervical

 

en se penchant pour ramasser

des branches de sapin

sous la table de travail

® devait se pencher pour les ramasser

Dlr aigue (sic) en se relevant

® dlr + engourdissements des mains

+ œdème des chevilles

[...]

Imp [Impression] : Entorse cervicale

[...] »

[54]           Dans les notes évolutives de l’agent de la CSST du 15 décembre 2000, il est également rapporté que le travailleur dit avoir avisé son supérieur, monsieur Jean-Marie Gagnon, qu’il quittait le 8 novembre 2000, pour son « problème de main engourdi (sic) et pied enflé. »

[55]           Par contre, le 27 novembre 2001, un autre agent de la CSST rapporte ainsi les propos du travailleur :

« T [Travailleur] m’explique que le diagnostic de tunnel carpien est apparue (sic) lors de son événement du 8 nov.  Ses mains avaient engourdis (sic) et ses pieds enflés (sic).

[...]

T explique que dès la 1ere semaine, ses mains engourdissaient.

[...] »

 

(Soulignements ajoutés)

[56]           Ainsi, selon le document et le moment choisi, les engourdissements aux mains seraient apparus :

-            dès la première semaine de travail ;

-            lors de l’événement allégué du 8 novembre 2000 ;

-            après le 8 novembre 2000 mais avant le premier traitement de physiothérapie du 15 novembre 2000 ;

-            ou finalement, le 15 novembre 2000, après le premier traitement de physiothérapie.

[57]           Lors de son témoignage, le contremaître, monsieur Jean-Marie Gagnon, déclare quant à lui que le travailleur ne lui a jamais fait part de quelque symptôme aux mains lorsqu’il travaillait ou avant son départ du travail le 8 novembre 2000.  Le travailleur n’aurait par ailleurs pas fait mention de quelqu’événement particulier qui serait survenu le 8 novembre 2000 et qui serait responsable de son départ.

[58]            Quant au travailleur, il déclare lors de l’audience que les engourdissements aux mains auraient débuté, légères, vers la deuxième semaine de travail pour ensuite aller en augmentant.  Il en aurait même parlé avec ses compagnons de travail, lesquels éprouvaient des symptômes similaires, et il les aurait attribués au fait d’effectuer un nouveau travail.  Les engourdissements auraient par ailleurs été pires à compter de l’événement qu’il allègue être survenu le 8 novembre 2000 et se seraient toujours aggravé par la suite.  Il nie toute amélioration de ses symptômes à quelque moment que ce soit après le 8 novembre 2000 et un quelconque impact, positif ou négatif, de la physiothérapie.

[59]           Confronté aux différents documents précités et aux notes contradictoires quant au moment et à la cause présumée de l’apparition de ses symptômes, il ne peut véritablement les expliquer.  Il en va de même lorsque lui est lu le rapport médical du 9 février 2001 de son médecin traitant qui rapporte une « disparition quasi-totale des engourdissements des mains » alors que lui affirme maintenant que ses engourdissements se sont toujours aggravés et nie toute amélioration à ce niveau à quelque moment après le 8 novembre 2000.  Les notes de physiothérapie viennent pourtant également appuyer la thèse de l’amélioration significative des symptômes au fil des traitements.

[60]           Le tribunal rappelle que c’est au travailleur qui réclame des prestations d’établir qu’il y a droit, au travailleur qui se considère victime d’une lésion professionnelle d’établir que c’est bien le cas, sur la base d’une preuve prépondérante.  Le travailleur doit ainsi démontrer qu’il est probable que sa maladie soit de nature professionnelle.

[61]           Le contexte et les contradictions et flous précités quant au moment d’apparition des symptômes du travailleur affectent sérieusement la crédibilité du travailleur et ne militent de surcroît aucunement en faveur de la thèse du caractère professionnel du syndrome du canal carpien bilatéral affectant le travailleur.

[62]           Le tribunal souligne par ailleurs que le réviseur administratif de la CSST n’avait pas non plus prêté foi à la version du travailleur lorsqu’il a rendu sa décision, devenue finale, du 10 juillet 2001.

[63]           Le contexte étant situé et la crédibilité du travailleur appréciée, la Commission des lésions professionnelles se penchera maintenant de façon plus particulière sur la question précise de la maladie professionnelle.

[64]           La notion de maladie professionnelle est ainsi définie dans la loi :

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:

 

« maladie professionnelle » : une maladie contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui est caractéristique de ce travail ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail;

__________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27.

 

 

[65]           Il s’avère également nécessaire de référer à l’article 30 de la loi qui énonce ce qui suit :

30. Le travailleur atteint d'une maladie non prévue par l'annexe I, contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui ne résulte pas d'un accident du travail ni d'une blessure ou d'une maladie causée par un tel accident est considéré atteint d'une maladie professionnelle s'il démontre à la Commission que sa maladie est caractéristique d'un travail qu'il a exercé ou qu'elle est reliée directement aux risques particuliers de ce travail.

__________

1985, c. 6, a. 30.

 

 

[66]           Le syndrome du canal carpien bilatéral étant effectivement une maladie non prévue à l’annexe I à laquelle réfère l’article 30, pour voir sa maladie reconnue comme étant professionnelle, le travailleur devait établir :

·        que le syndrome du canal carpien est caractéristique d’un travail qu’il a exercé ;

ou

·        que ce syndrome est relié directement aux risques particuliers de ce travail.

[67]           En ce qui concerne la première possibilité, le tribunal souligne qu’aucune preuve n’a été soumise à l’effet que le syndrome du canal carpien serait caractéristique d’un travail exercé par le travailleur, que ce soit chez l’employeur ou l’une des parties intéressées : aucune étude épidémiologique, aucune preuve que d’autres travailleurs ayant occupé les mêmes emplois auraient souffert de la même maladie que le travailleur.

[68]           Bien au contraire, le président de la compagnie employeur déclare lors de l’audience qu’aucun casseur de branches n’a jamais souffert d’un tel syndrome depuis qu’il opère son entreprise.  L’entreprise est pourtant en opération depuis environ quinze ans.

[69]           Le travailleur a t-il alors démontré que le syndrome du canal carpien bilatéral dont il est atteint est relié directement aux risques particuliers de son travail?  Pour ce faire, il devait établir de façon prépondérante :

1°    La présence de tels risques particuliers ;

2°  La relation directe entre ces risques et son syndrome du canal carpien  bilatéral.

[70]           Les facteurs de risque généralement associés au syndrome du canal carpien n’ont pas fait l’objet d’une preuve particulière par les parties.  Celles-ci ont expressément déclaré s’en remettre à l’expertise du tribunal et à sa jurisprudence en la matière.

[71]           L’extrait suivant de la décision Déziel et La Mine Doyon[2] résume bien la position de la Commission des lésions professionnelles sur cette question :

« Il faut reconnaître que la jurisprudence de la Commission d’appel en matières de lésions professionnelles (la Commission d'appel) et de la Commission des lésions professionnelles est difficile à cerner concernant la présente pathologie.  [...] De plus, rares sont les cas soumis qui présentent exactement les mêmes faits juridiques à analyser, particulièrement quant aux gestes posés au travail par les réclamants.  Enfin, même dans une telle hypothèse, il faut aussi reconnaître que deux personnes différentes, effectuant les même gestes, ne subiraient pas nécessairement les mêmes effets.

 

Pour ajouter à ce tableau, il faut dire aussi que la doctrine médicale connue n’est pas unanime sur la question.  Plusieurs auteurs sont d’opinion que le tunnel carpien constitue une affection personnelle sans aucun lien avec le travail.  D’un autre côté, plusieurs croient que, dans certaines circonstances, les probabilités sont à l’effet que certains gestes posés au travail sont responsables de l’apparition de la pathologie.

 

Il ressort de cette analyse que la Commission des lésions professionnelles ne peut s’en remettre à la jurisprudence citée, mais doit plutôt analyser chaque cas d’espèce qui lui est soumis en tenant compte de la preuve factuelle et médicale prépondérante.

 

Les décisions qui ont reconnu le tunnel carpien à titre de maladie professionnelle ont considéré que les gestes suivants constituaient des risques favorisant le développement du syndrome :

 

- les mouvements répétitifs du poignet ou de la main (poignet en extension ou en flexion, déviation radiale ou cubitale répétée, mouvements répétés avec un ou plusieurs doigts);

 

- les mouvements de préhension (préhension répétée avec pinces digitales, préhension avec actions répétées  ou rotation du poignet, préhension pleine main, pression avec la main, préhension avec force).

 

Comme facteur additionnel de risques, ces décisions ont retenu la flexion ou l’abduction du membre supérieur, l’utilisation d’outils vibrants, le port de gants et l’exposition au froid. »  (sic)

 

(Soulignements ajoutés)

[72]           Il est en outre établi dans la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles que l’appréciation de la relation entre le travail et une lésion musculo-squelettique, ce qu’est le syndrome du canal carpien, implique nécessairement l’examen des facteurs de risque et la qualification de leur importance.  Il est ainsi notamment question de la durée de la sollicitation chaque jour, de la fréquence des mouvements, de la force nécessaire ainsi que de la présence ou non de cofacteurs de risque.  Les facteurs organisationnels du travail sont également examinés, dont le rythme de travail.

[73]           En l’occurrence, il y a, encore une fois, contradiction dans la preuve quant à la manière dont le travailleur s’y prenait généralement pour accomplir son travail chez l’employeur.  Mais, quoiqu’il en soit, le tribunal a observé avec attention les mouvements du poignet et des doigts impliqués dans chaque méthode mimée à plusieurs reprises devant elle et ils sont essentiellement identiques, sauf qu’il impliquent principalement une main différente.

[74]           Ainsi, le travailleur, pour casser les branches dont le « tronc » principal a, tout au plus, un centimètre de diamètre, effectue à peu près uniquement un mouvement de supination du bras droit ou du bras gauche, selon la méthode utilisée, c’est-à-dire un mouvement de l’avant-bras qui a pour résultat de faire exécuter à la main une rotation de dedans en dehors, amenant la paume vers le haut.  Le poignet est alors à peu près immobile, l’articulation du poignet n’étant pas sollicitée ou impliquée dans ce mouvement.

[75]           Le premier facteur de risque, consistant en des mouvements répétitifs du poignet ou de la main n’est ainsi pas présent dans le travail du travailleur chez l’employeur.

[76]           Le second facteur de risque identifié, soit celui relatif aux mouvements de préhension, est légèrement présent : le travailleur saisit les petites branches avec ses deux mains et les manipule en les tenant par le « tronc », lequel, tel que mentionné précédemment, a, tout au plus, un centimètre de diamètre.  Il tient alors le « tronc » entre son pouce et ses autres doigts.  Il ne s’agit alors pas tout à fait d’une préhension avec pinces digitales, comme lorsque l’on manipule de tout petits objets entre le pouce et l’index, ni de préhension pleine main.  Mais il y a tout de même préhension répétée de petites branches avec les doigts.  Cela ne correspond pas tout à fait aux facteurs de risque reconnus mais, comme cela s’y apparente un peu, le tribunal examinera l’importance de cette sollicitation.

[77]           Le tribunal note par ailleurs l’absence de cofacteurs de risque tels que la flexion ou l’abduction des bras, l’utilisation d’outils vibrants et le port de gants.  Seule l’exposition au froid pourrait être impliquée : la température de l’établissement est tempérée mais les branches manipulées sont très froides, voire régulièrement gelées.

[78]           Il y aurait donc peut-être présence d’un certain facteur de risque dont l’importance relative reste à apprécier.  En ce qui a trait à la force utilisée, elle apparaît minime : tant le travailleur que le contremaître témoignent du fait que les branches se cassent facilement et rapidement, d’autant qu’elles sont froides, voire gelées.  La posture n’apparaît pas non plus être contraignante.  Reste la répétition.

[79]           Le travailleur a travaillé pendant cinq semaines et demie chez l’employeur.  Pendant les deux premières semaines, il était en formation : l’apprentissage et la qualité étaient alors plutôt recherchées, le travailleur était rémunéré entièrement par Emploi-Québec et les couronnes fabriquées étaient même jetées.  En outre, le travailleur apprenait alors également, pendant la première semaine, à opérer la « tricoteuse », laquelle relèvera ensuite du poste de travail de son compagnon.  Le travail s’étalait sur huit heures par jour, cinq jours par semaine.  Dans l’une de ses versions au dossier ainsi que lors de l’audience, le travailleur déclare que ce serait pendant cette période de formation que ses engourdissements aux mains auraient commencé à se manifester.

[80]           Au cours des trois semaines et demie suivantes, le travailleur était rémunéré au salaire minimum mais recevait une prime à l’unité lorsque son équipe fabriquait plus de 70 couronnes par jour.  Selon la preuve, avant le départ de son co-équipier, l’équipe du travailleur fabriquait, vers la fin, environ 120 à 140 couronnes par jour.

[81]           Le contremaître du travailleur, monsieur Gagnon, a cependant témoigné à l’effet que le travailleur était tellement efficace qu’à toutes les cinq à dix minutes il devait arrêter et faire une pause de quelques minutes pour permettre à son compagnon de travail « de fournir », c’est-à-dire d’utiliser les branches cassées et de libérer le plan de travail afin de permettre au travailleur d’en déposer d’autres.  Le contremaître dit même que le travailleur pouvait casser des branches pendant cinq minutes puis attendre pendant cinq minutes et ainsi de suite, lorsqu’il ne décidait pas carrément d’aller aider un peu une autre équipe.

[82]           Monsieur Campbell déclare quant à lui que ses équipes de travail expérimentées fabriquent environ 200 couronnes par jour, soit presque le double de ce qu’a fabriqué en moyenne l’équipe du travailleur pendant ses premières semaines.

[83]           La preuve factuelle révèle donc l’absence d’un réel facteur de risque tel que reconnu dans la jurisprudence mais la présence d’un mouvement y étant un peu apparenté : aucune preuve médicale n’est cependant venue établir que les mouvements effectués par le travailleur, correspondant essentiellement en des mouvements de supination des avant-bras, sollicitaient bien la même structure que les mouvements reconnus dans la jurisprudence et étaient ainsi également susceptibles d’entraîner un syndrome du canal carpien.

[84]           En outre, même si l’on prenait pour acquis que ce mouvement est bel et bien sollicitant pour la structure atteinte, il s’avère qu’il y avait interruptions des mouvements toutes les cinq à dix minutes pendant quelques minutes, que le travailleur travaillait à son rythme même s’il y avait un incitatif financier à la productivité à compter de la troisième semaine, qu’il n’y avait pas utilisation de force et que la posture n’était pas contraignante.  Il n’y avait pas non plus présence de cofacteurs de risque si ce n’est la froideur des branches.

[85]           Dans les circonstances, le tribunal ne peut conclure qu’il y a une preuve prépondérante de la présence de risques particuliers dans le travail exercé chez l’employeur de présenter un syndrome du canal carpien.

[86]           Le tribunal a procédé à une analyse similaire des emplois occupés antérieurement par le travailleur.  Il a été impossible d’y retrouver la moindre présence significative de facteurs de risque de développer un syndrome du canal carpien.

[87]           Le travailleur a ainsi été successivement garde-forestier, contremaître forestier, vendeur d’assurances, préposé à l’entretien divers et étudiant en informatique.  Il est fait grand état lors de l’audience de la conduite par le travailleur de différents véhicules sur des chemins forestiers et de l’exposition aux vibrations en découlant.  L’exposition aux vibrations n’est cependant qu’un cofacteur de risque et il est même alors question de vibrations émanant d’outils (tels, par exemple, une perceuse ou un marteau-piqueur), lesquelles sont de haute fréquence, par opposition aux vibrations globales émanant par exemple d’un véhicule, lesquelles sont plutôt de basse fréquence, ces dernières ne présentant pas le même danger.

[88]           Finalement, le fait qu’il soit difficile de déterminer à quel moment les symptômes du travailleur ont vraiment commencé à se manifester et de quelle façon ils ont véritablement évolué et l’absence de preuve prépondérante d’une sollicitation significative des structures atteintes dans le cadre d’un syndrome du canal carpien amènent le tribunal à conclure que le travailleur ne s’est pas déchargé de son fardeau de démontrer que son ou ses emplois ont joué un rôle déterminant dans l’apparition de sa maladie et que cette dernière peut être qualifiée de professionnelle.  Le travailleur ne devait pas seulement démontrer la présence de risques particuliers, ce qu’il a d’ailleurs échoué à faire, mais aussi une relation directe entre ceux-ci et sa pathologie.  Or, le contexte nébuleux d’apparition des symptômes ne permettrait pas de conclure de façon prépondérante à cette relation, même si des risques particuliers étaient reconnus.

[89]           La Commission des lésions professionnelles tient par ailleurs à préciser que la manifestation d’une symptomatologie au travail, si tant est que c’est bien le cas ici, ne permet pas de présumer que le travail présente des risques particuliers ayant entraîné la maladie.

[90]           En fait, une symptomatologie peut se manifester au travail parce que celui-ci implique une certaine utilisation des structures atteintes mais cela n’en fait pas une maladie professionnelle si le travail ne présente pas des risques particuliers de causer ou aggraver cette atteinte.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

Dossier 188680-01C-0208

ACCUEILLE la requête de l’employeur, Matériaux Campbell ltée (A & R Décorations) ;

INFIRME la décision rendue le 11 juillet 2002 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative ;

DÉCLARE que le syndrome du canal carpien dont est atteint le travailleur ne constitue pas une lésion professionnelle.

Dossier 209018-01C-0305

DÉCLARE sans objet la requête de l’employeur;

DÉCLARE que la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 7 avril 2003 à  la suite d’une révision administrative est devenue sans effet.

 

 

 

 

 

Louise Desbois

 

Commissaire

 

 

 

 

Me Andrée Rioux

Représentante de la partie requérante

 

 

Me Hugo Caissy

ETUDE JEAN-FRANCOIS ROY, AVOCAT

Représentant de la partie intéressée

 

 



[1]          L.R.Q., c. A-3.001

[2]          C.L.P. 105587-08-9808, 9 novembre 1999, R. Ouellet.

 

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