DÉCISION
[1] Le 21 décembre 2000, monsieur Claude Lussier (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue le 10 novembre 2000 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d’une révision administrative.
[2] Cette décision confirme une première décision de la CSST datée du 1er juin 2000 et conclut que le travailleur n’a pas droit au remboursement des frais engagés pour les travaux d’entretien suivants : l’entretien d’une clôture et l’émondage d’un pommier décoratif.
[3] Aux date et heure fixées pour audience, le travailleur est présent. Steinberg inc. (l’employeur) est absente.
L'OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles d’infirmer la décision de la révision administrative datée du 10 novembre 2000 et de déclarer qu’il a droit au remboursement des frais engagés pour les travaux d’entretien suivants : repeindre une clôture et émonder un pommier décoratif. Dans les faits, le travailleur demande de bénéficier des dispositions de l’article 165 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).
LES FAITS
[5] Dans une décision[2] de la Commission des lésions professionnelles datée du 5 avril 2001, les faits suivants sont rapportés :
«[5] Le 18 novembre 1988, le travailleur est victime d’une lésion professionnelle pour laquelle des diagnostics de traumatismes au coude gauche, au pied gauche et à la cheville gauche, de syndrome du sinus tarsien gauche, d’entorse du ligament collatéral externe de la cheville gauche, de séquelles d’entorse de la cheville gauche et d’arthrose sous-astrale gauche furent retenus. Un déficit anatomo-physiologique de 2 % pour atteinte des tissus mous fut reconnu.
[6] Le 13 mai 1994, le travailleur est victime d’une seconde lésion professionnelle pour laquelle des diagnostics de contusion du coude gauche, de distrophie réflexe du membre inférieur gauche, d’entorse cervicale et de lombosciatalgie furent déclarés reliés à cette lésion professionnelle avec atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique de l’ordre de 12 % pour syndrome de distrophie réflexe du membre inférieur gauche et 2 % pour entorse cervicale. Le travailleur fut déclaré inapte à faire quelque travail que ce soit.
[7] À compter du 16 septembre 1994, l’utilisation d’un fauteuil roulant est requise et la CSST en assume le coût.
[…]
[12] Le 17 septembre 1998, la CSST rend une décision fixant à 119,74 $ le montant d’aide personnelle à domicile auquel le travailleur a droit aux deux semaines.
[13] La CSST reconnaît également le droit du travailleur au remboursement des coûts nécessaires pour adapter son domicile à sa condition physique.» (sic)
[6] Cette décision de la Commission des lésions professionnelles, datée du 5 avril 2001, dispose que le travailleur a droit au coût d’adaptation de sa piscine selon la solution la plus économique.
[7] Le 11 décembre 1998, la CSST acceptait de défrayer le travailleur des coûts d’adaptation de son véhicule automobile.
[8] Par ailleurs, la CSST, depuis au moins 1996, défraie le travailleur du coût de l’entretien du terrain de son domicile, à savoir, la tonte du gazon. Le travailleur explique qu’à chaque année, il fournit des estimations à la CSST, laquelle choisit l’entrepreneur. Le travailleur n’a pas à débourser pour ces frais pour, ensuite, en demander le remboursement, puisque la CSST paye directement l’entrepreneur.
[9] C’est d’ailleurs ce à quoi s’engage la CSST, par décision datée du 8 mai 1996, concernant l’entretien du gazon.
«La présente fait suite à votre demande à l’effet de vous accorder de l’aide financière pour l’entretien de votre gazon.
[…]
Nous retenons la soumission de Arrosage M. Gazon, au montant de 574,94 $. Le remboursement sera fait en 2 ou 3 versements.
Sur réception de facture ou de reçu nous rembourserons la personne concernée, selon le maximum autorisé.»
[10] Les frais de déneigement du domicile du travailleur sont également assumés par la CSST, selon la même formule, soit : présentation d’estimations par le travailleur, choix de l’entrepreneur par la CSST, paiement des factures directement par la CSST.
[11] Le 28 avril 2000, le travailleur fait parvenir à la CSST des estimations pour faire repeindre les fenêtres, balcons, clôtures à l’extérieur de son domicile; pour l’entretien paysager; pour l’émondage d’un pommier décoratif dont une ou des branches risquent d’endommager son toit.
[12] Par décision datée du 1er juin 2000, la CSST dispose comme suit de la demande présentée par le travailleur le 28 avril précédent :
«En réponse à votre demande, nous vous informons que nous ne pouvons payer les travaux d’entretien suivants : peinture de votre clôture et l’émondage de votre pommier décoratif. En effet, ces travaux ne font pas partie de l’entretien courant du domicile.
Quant à votre demande de remboursement pour les frais de peinture de votre galerie, de vos chassis et des grilles de votre sous-sol, nous vous informons que ces frais sont remboursables sur présentation de la facture. La soumission que nous avons retenue est celle de: […]»
[13] La révision administrative de la CSST, le 10 novembre 2000, confirme cette décision. Elle écrit :
«[…] l’analyse du dossier démontre que la demande de remboursement produite par monsieur Lussier ne vise pas l’exécution de travaux d’entretien qui sont courants, réguliers ou récurrents et qui concernent spécifiquement son domicile.»
[14] C’est de cette dernière décision dont se plaint le travailleur en l’instance.
[15] Témoignant à l’audience, le travailleur précise qu’il a plusieurs arbres sur son terrain et qu’il ne demande que l’émondage d’un seul d’entre eux puisque ce dernier comporte un risque pour son domicile. Le travailleur a fait refaire son toit en 1998, à la suite de la crise du verglas et ce pommier décoratif, situé assez près de la maison, constitue un danger.
[16] Quant à la clôture, le travailleur s’étonne que la peinture de celle-ci ne soit pas remboursée. Il précise qu’ayant posé la question à un agent de la CSST, cette personne lui aurait dit que la clôture ne faisait pas partie du domicile.
L'AVIS DES MEMBRES
[17] La membre issue des associations syndicales est d’avis que le travailleur a démontré être porteur d’une atteinte permanente grave, donnant ouverture à l’application de l’article 165 de la loi; par ailleurs, elle est d’avis de faire droit à la réclamation, la peinture de la clôture et l’émondage du pommier pouvant être qualifiés de travaux d’entretien courant du domicile. Concernant le fait que le travailleur n’a pas engagé les frais avant de présenter sa réclamation à la CSST, cela ne constitue pas une fin de non-recevoir pour l’application de l’article 165.
[18] Le membre issu des associations d’employeurs est également d’avis que le travailleur a démontré être porteur d’une atteinte permanente grave, donnant ouverture à l’application de l’article 165 de la loi; cependant, il est d’avis que la réclamation du travailleur est prématurée, celui-ci devant engager les frais avant de présenter une demande de remboursement en conformité avec l’article 165 de la loi. N’eut été de cette question de recevabilité, ledit membre est d’avis que seuls les travaux de peinture de la clôture constituent des travaux d’entretien courant du domicile.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[19] La Commission des lésions professionnelles doit décider si le travailleur peut bénéficier des dispositions de l’article 165 de la loi, lequel se lit comme suit :
165. Le travailleur qui a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique en raison d'une lésion professionnelle et qui est incapable d'effectuer les travaux d'entretien courant de son domicile qu'il effectuerait normalement lui - même si ce n'était de sa lésion peut être remboursé des frais qu'il engage pour faire exécuter ces travaux, jusqu'à concurrence de 1 500 $ par année.
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1985, c. 6, a. 165.
[20] D’emblée, la Commission des lésions professionnelles reconnaît que le travailleur est porteur d’une atteinte permanente grave, au sens de l’article 165 de la loi. Il n’y a, pour s’en convaincre, qu’à mentionner que celui-ci se déplace en chaise roulante et que son domicile et son automobile ont du être adaptés à sa condition. D’autre part, celui-ci bénéficie déjà du remboursement des frais engagés pour l’entretien du gazon et le déneigement, travaux d’entretien courant couverts par l’article 165.
[21] D’autre part, la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles (CALP) a déjà décidé que pour se prévaloir de ce qui est prévu à l’article 165 de la loi, le travailleur devait engager les frais réclamés. Selon ces décisions[3], une demande de remboursement est prématurée lorsque les frais n’ont pas d’abord été engagés par le travailleur.
[22] En l’instance, le travailleur témoigne que la CSST n’a jamais fonctionné de la sorte avec lui. En effet, il est en preuve que pour tout travail d’entretien de son domicile, le travailleur propose d’abord des estimations à la CSST pour que celle-ci choisisse un entrepreneur. Dès que ce choix est fait, la CSST paye directement sur présentation de factures. Le travailleur affirme à l’audience ne jamais devoir débourser de tels coûts pour, ensuite, se faire rembourser par la CSST.
[23] Bien que la soussignée puisse respecter et même comprendre les motifs au soutien des décisions précitées, elle ne voit pas comment elle pourrait déclarer la présente réclamation prématurée alors que le travailleur est dans cette situation à l’invitation de la CSST. La contestation du travailleur est donc recevable, malgré que les frais pour les travaux aux présentes n’aient pas été engagés.
[24] Reste donc à décider si les travaux réclamés par le travailleur en l’instance, sont des travaux d’entretien courant du domicile au sens de l’article 165.
[25] L’article 165 prévoit le remboursement des frais engagés pour des travaux exécutés dans le cadre de l’entretien courant du domicile. Bien que la loi ne précise pas le sens qui doit être donné à l’expression «entretien courant», il faut comprendre qu’il s’agit des travaux d’entretien habituels, ordinaires du domicile, par opposition à des travaux d’entretien inhabituels ou extraordinaires [4].
[26] D’autre part, l’article 158 prévoit qu’un travailleur peut bénéficier d’une aide personnelle à domicile s’il est jugé incapable de prendre soin de lui-même et d’effectuer sans aide les tâches domestiques. L’expression entretien courant du domicile doit donc couvrir des situations différentes de celles comprises par les tâches domestiques, sinon, le législateur aurait parlé pour ne rien dire en utilisant deux articles différents pour couvrir les mêmes situations.
[27] C’est ainsi que les frais engagés pour les travaux nécessaires à la tonte et l’entretien du gazon, ainsi que le déneigement, sont remboursés par application de l’article 165 de la loi, par opposition à des tâches domestiques telles que la préparation des repas ou le balayage, tâches couvertes par l’article 158 de la loi.
[28] En l’instance, le travailleur a demandé à la CSST de bénéficier de l’article 165 de la loi pour faire effectuer des travaux de peinture à l’extérieur à son domicile. Dans sa demande originale, les travaux de peinture extérieure concernent une galerie, des chassis, des grilles de sous-sol et une clôture. La CSST acceptera de le défrayer des travaux concernant la galerie, les chassis, les grilles du sous-sol, mais pas la clôture.
[29] Deux motifs sont offerts au travailleur pour justifier ce refus. D’abord, dans la décision datée du 1er juin 2000, la CSST écrit que ces travaux ne font pas partie de l’entretien courant du domicile. Ensuite, lors d’une conversation avec un agent de la CSST, le travailleur affirme s’être vu répondre que la clôture ne faisait pas partie du domicile.
[30] La Commission des lésions professionnelles n’est pas de cet avis. D’abord, si vraiment l’article 165 ne couvre que les travaux d’entretien courant du domicile, pris dans le sens du mot bâtiment principal, comment justifier que l’on puisse défrayer le travailleur des coûts de l’entretien du gazon et le déneigement. Pour la soussignée, l’expression «domicile» apparaissant à l’article 165 inclut le bâtiment principal et le terrain sur lequel celui-ci est construit, dans la mesure évidemment où le travailleur est responsable de l’entretien courant de ce terrain. Les travaux de peinture de la clôture ne peuvent donc être exclus spécifiquement sur ce motif, la clôture faisant partie intégrante du domicile du travailleur.
[31] Qu’en est-il maintenant de l’entretien demandé ? La peinture de cette clôture peut-elle être qualifiée d’entretien courant ? La Commission des lésions professionnelles n’a pas d’hésitation à répondre par l’affirmative à cette question.
[32] Dans le cas sous étude, la CSST a accepté de défrayer le travailleur des coûts afférents à l’exécution des travaux de peinture de fenêtres extérieures, balcons et grillages de fenêtres de sous-sol. Pour ces travaux, la CSST est satisfaite qu’il s’agit là de travaux d’entretien courant du domicile et la Commission des lésions professionnelles considère cette opinion conforme à sa jurisprudence concernant cette question.
[33] Or, puisque la clôture fait partie du domicile, la travaux engagés pour la peinture de la clôture sont tout autant des travaux d’entretien courant du domicile. Le travailleur a donc droit au remboursement des frais engagés pour ces travaux en particulier.
[34] Qu’en est-il maintenant de l’émondage du pommier décoratif ? En l’instance, la Commission des lésions professionnelles estime qu’il s’agit là de travaux inhabituels ou extraordinaires, lesquels travaux ne sont pas couverts par l’expression «travaux d’entretien courant» du domicile.
[35] Témoignant à l’audience, le travailleur explique qu’il a plusieurs arbres sur son terrain et qu’il ne demande l’émondage que d’un seul, parce que celui-ci risque de causer un dommage à son toit. De l’avis de la Commission des lésions professionnelles, il s’agit là de la démonstration d’une situation inhabituelle et extraordinaire. Il est courant de devoir tondre le gazon, il n’est pas courant de devoir émonder un arbre parce qu’il entre en conflit avec le toit de la maison.
[36] La Commission des lésions professionnelles ne fait donc pas droit à la réclamation du travailleur concernant l’émondage d’un pommier décoratif.
POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE en partie la contestation de monsieur Claude Lussier;
INFIRME en partie la décision de la révision administrative de la Commission de la santé et de la sécurité du travail datée du 10 novembre 2000;
DÉCLARE que le travailleur a droit à l’application de l’article 165 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles pour les travaux de peinture d’une clôture extérieure;
DÉCLARE que le travailleur n’a pas droit à l’application de l’article 165 pour les travaux d’émondage d’un pommier décoratif.
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Me
Louise Boucher |
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Commissaire |
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