Chabot et Lafarge Groupe matériaux construction |
2012 QCCLP 7388 |
______________________________________________________________________
______________________________________________________________________
[1] Le 8 juin 2012, monsieur Jeannôt Chabot (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 1er mai 2012 à la suite d'une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme une décision qu'elle a initialement rendue le 22 décembre 2011 et déclare que monsieur Chabot n'a pas droit au remboursement du coût d'achat du bois de chauffage de sa résidence.
[3] La Commission des lésions professionnelles a tenu une audience à Sept-Îles le 20 septembre 2012 en présence de monsieur Chabot et du représentant de la CSST. Lafarge Groupe matériaux construction (l'employeur) n'était pas représenté.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Monsieur Chabot demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu'il a droit au remboursement du coût d'achat du bois de chauffage de sa résidence depuis 1992.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Le membre issu des associations d'employeurs et le membre issu des associations syndicales sont d'avis que la requête doit être accueillie. Ils retiennent de la preuve prépondérante que le chauffage au bois est le principal mode de chauffage de la résidence de monsieur Chabot et que celui-ci a droit d'être remboursé du coût d'achat annuel du bois de chauffage pour les années 1992 à 2011, sous réserve de la production de reçus attestant le paiement.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[6] La Commission des lésions professionnelles doit décider si monsieur Chabot a droit au remboursement du coût d'achat du bois de chauffage de sa résidence depuis 1992.
[7] La Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) prévoit à l'article 165 la possibilité pour un travailleur qui a subi une lésion professionnelle d'être remboursé du coût des travaux d'entretien courant de son domicile. Cet article se lit comme suit :
165. Le travailleur qui a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique en raison d'une lésion professionnelle et qui est incapable d'effectuer les travaux d'entretien courant de son domicile qu'il effectuerait normalement lui-même si ce n'était de sa lésion peut être remboursé des frais qu'il engage pour faire exécuter ces travaux, jusqu'à concurrence de 1 500 $ par année.
__________
1985, c. 6, a. 165.
[8] Bien qu'il ne s'agisse pas de travaux comme tels, mais plutôt de l'acquisition d'un bien, la jurisprudence[2] qui apparaît majoritaire, considère que l'achat de bois de chauffage peut être assimilé à la notion de travaux d'entretien du domicile. Elle accorde le remboursement du coût d'achat lorsqu'il s'agit du chauffage principal de la résidence du travailleur et non d'un chauffage d'appoint.
[9] La CSST a donné suite à cette position de la jurisprudence en prévoyant, dans sa politique interne[3], le remboursement du coût d'achat du bois de chauffage lorsqu'il s'agit du chauffage principal de la résidence du travailleur.
[10] Pour être admissible au remboursement, au départ, le travailleur doit avoir subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique et être incapable de couper son bois de chauffage comme il le faisait avant la survenance de sa lésion professionnelle.
[11] Qu'en est-il dans la présente affaire ?
[12] Le 11 octobre 1990, dans l'exercice de son emploi de chauffeur de camion chez l'employeur, monsieur Chabot subit une lésion professionnelle qui est diagnostiquée comme étant une récidive d'une hernie discale lombaire pour laquelle il avait déjà subi une discectomie en 1986[4].
[13] La lésion est consolidée le 22 avril 1991. À la suite de son retour au travail, monsieur Chabot subit une récidive, rechute ou aggravation le 29 avril 1991 qui est consolidée avec une atteinte permanente à l'intégrité physique de 9 % et les limitations fonctionnelles suivantes établies[5] par le docteur Jean-Paul Porlier, orthopédiste :
En raison d'une récidive de hernie discale en L5-S1 droite principalement, nous recommandons une réadaptation fonctionnelle pour ce requérant.
Il s'agit d'un requérant qui doit être orienté vers des travaux où il n'y aura pas d'efforts physiques d'importance à soutenir.
En plus, il devra éviter les mouvements brusques et répétitifs au niveau de la colonne lombo-sacrée et il devra éviter les positions avec le tronc fléchi. Il devra aussi éviter les stations prolongées dans les mêmes positions.
[14] Le 11 juillet 1991, la CSST décide que monsieur Chabot a droit à la réadaptation. Le processus est toutefois suspendu du fait qu'un arbitre médical émet l'avis que la lésion professionnelle n'a pas entraîné d'atteinte permanente à l'intégrité physique ni de limitations fonctionnelles.
[15] Il est repris le 1er août 1994 à la suite d'une décision de la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles qui infirme l'avis de l'arbitre et rétablit l'opinion du docteur Porlier.
[16] La Commission d'appel reconnaît aussi une récidive, rechute ou aggravation survenue le 8 janvier 1992 à la suite de laquelle une chirurgie consistant en l'exérèse de pachyméningite et en une discectomie L5-S1 a été effectuée. Cette récidive est consolidée le 17 mai 1993 sans aggravation de l'atteinte permanente à l'intégrité physique, mais avec les limitations fonctionnelles suivantes établies par le docteur Robert Lefrançois, orthopédiste :
- Ne pas soulever, porter, pousser, tirer des poids de plus de 35 livres;
- Eviter les mouvements d'amplitude extrême du rachis lombosacré;
- Eviter les flexions, extensions et torsions répétées du rachis lombosacré;
- Eviter de marcher sur un terrain accidenté ou inégal;
- Eviter de ramper et de grimper;
- Eviter les appareils causant la vibration excessive;
- Eviter de monter et de descendre des escaliers à répétition;
- Eviter de marcher longtemps;
- Eviter de garder la même position, debout ou assis, plus de 30 minutes consécutives. [sic]
[17] Le 3 septembre 1994, en se fondant sur l'évaluation du docteur Porlier, la CSST établit que la lésion professionnelle a entraîné une atteinte permanente à l'intégrité physique de 11,10 %. Au cours des années suivantes, monsieur Chabot continue d'être suivi par des médecins pour une lombosciatalgie et un syndrome post-discectomie. En 1997, la CSST détermine qu'il est capable d'exercer un emploi convenable de vendeur par téléphone.
[18] On peut retenir à l'analyse de la documentation médicale que la lésion professionnelle que monsieur Chabot a subie a entraîné une atteinte permanente grave à son intégrité physique et que la présence de celle-ci était établie en juin 1991, à la suite de l'évaluation des séquelles permanentes par le docteur Porlier.
[19] Il ressort de plus des explications qu'il a données à l'audience qu'avant la survenance de sa lésion professionnelle, il effectuait lui-même la coupe de son bois de chauffage sur des terres publiques (avec permission) et qu'il n'a plus été capable de le faire par la suite. Il dépose un permis qui lui a été délivré par le ministère de l'Énergie et de Ressources en 1988.
[20] Le 12 novembre 1994, lors d’une entrevue avec un conseiller en réadaptation, monsieur Chabot demande à celui-ci s'il peut être remboursé du coût d'achat du bois de chauffage. Le conseiller écrit ce qui suit :
Le R me demande a/n du chauffage au bois. Je lui demande si c'est l'unique chauffage. Me dit qu'il a des "plaintes" électriques mais ne les utilise pas. Donc pas de chauffage unique donc pas payable.
Le R dit je vais les enlever mes "plaintes" là vous aller me les payer mes cordes de bois.
J'explique au R qu'il n'a rien à gagner s'il n'est pas honnête dans ces démarches [sic]
[21] Aucune décision écrite n'a été rendue à ce sujet.
[22] Lors de son témoignage, monsieur Chabot explique dans quel contexte il a formulé une nouvelle demande en septembre 2011. La personne qui lui vend son bois de chauffage lui a demandé s'il voulait un reçu pour être remboursé par la CSST en lui disant que plusieurs travailleurs à qui il livrait du bois de chauffage étaient remboursés.
[23] La CSST a refusé sa demande de remboursement par la décision qu'elle a rendue le 22 décembre 2011 et qu'elle a confirmée le 1er mai 2012 à la suite d'une révision administrative. Le réviseur retient que monsieur Chabot n'a pas établi que le chauffage au bois était le principal mode de chauffage de sa résidence.
[24] Lors de l'audience, monsieur Chabot réitère que le chauffage au bois constitue le chauffage principal de sa résidence.
[25] Il explique que la fournaise à bois qu'il utilise n'est pas un simple poêle à bois d'appoint, mais une fournaise qui est munie de conduites d'air qui se rendent dans des pièces pour y amener l'air chaud.
[26] Sa maison comporte un salon, une cuisine, deux chambres, un sous-sol et un garage. Il y a des plinthes électriques uniquement à quelques endroits, soit près de la porte du garage, pour la cuisine, dans la salle de bain, dans une chambre et une autre dans l'entrée qui est fonctionnelle seulement depuis 2011. Il utilise le chauffage électrique principalement quand il n'est pas chez lui l'hiver parce que dans une telle situation, le chauffage au bois peut être dangereux. Il a toujours fonctionné comme cela et il n'est survenu aucun changement au cours des années.
[27] Monsieur Chabot dépose des documents pour corroborer ses affirmations. Dans un certificat émis par sa compagnie d'assurance en 1990, il est indiqué « chauff perm approuvé/poêle à bois ». Dans sa police d'assurance habitation pour 2011-2013, il est indiqué :
Construit en 1980; chauffage électrique
Chauffage auxiliaire à combustible solide
[28] Il explique à ce sujet qu'aucun assureur ne voudrait l'assurer s'il déclarait qu'il utilise principalement le chauffage au bois pour sa résidence et que sa compagnie d'assurance a été mise au courant de la quantité importante de bois de chauffage qu'il utilise pendant l'hiver. Il dépose à ce sujet une lettre que lui a transmise le 2 septembre 2012 son courtier d'assurance qui se lit comme suit :
J'ai avisé la compagnie d'assurance Axa que vous chauffiez 12 à 13 cordons par année et que le chauffage principal est électrique.
[29] Monsieur Chabot explique qu'un cordon de bois est constitué d'une rangée de bûches de 16 pouces de large par 8 pieds de long et 4 pieds de haut. 13 cordons représentent donc une rangée de bûches de 16 pouces de 4 pieds de haut par 104 pieds de long.
[30] Il dépose enfin des relevés de factures d'Hydro-Québec pour les années 2007 et suivantes qui indiquent que sa consommation d'électricité au cours des mois de l'hiver est à peine plus élevée que celle des autres mois.
[31] Le tribunal retient du témoignage très crédible de monsieur Chabot et des documents qu'il a déposés que le chauffage au bois constitue le principal mode de chauffage de sa résidence, ce qui le rend admissible au remboursement du coût d'achat du bois de chauffage.
[32] Pour y avoir droit, des factures doivent toutefois être produites. Or, à l'exception de quelques années (1992, 1994, 2012[6]), monsieur Chabot ne semble pas être en mesure de produire des reçus à la CSST.
[33] Lors de l'audience, le représentant de la CSST a soumis que monsieur Chabot n'avait pas droit au remboursement du coût d'achat du bois de chauffage pour les années antérieures à septembre 2009 parce qu'en l'absence de délai prévu à la loi pour présenter une telle réclamation, il y a lieu d'appliquer, à titre supplétif, la prescription de trois ans prévue à l'article 2925 du Code civil du Québec (le code civil), lequel se lit comme suit :
2925. L'action qui tend à faire valoir un droit personnel ou un droit réel mobilier et dont la prescription n'est pas autrement fixée se prescrit par trois ans.
[34] Il dépose à ce sujet une décision de la Cour supérieure, Sinclair c. Commission des lésions professionnelles[7], dans laquelle celle-ci refuse de réviser une décision de la Commission des lésions professionnelles[8] qui a appliqué la prescription de trois ans à une demande de prestations d'aide personnelle à domicile.
[35] La même approche a été adoptée dans la décision Charron et Marché André Martel inc.[9] où la juge administrative procède à une analyse de la question. À l'inverse, un autre courant retient plutôt qu'il n'y a pas de délai[10].
[36] Le tribunal estime qu'il n'y a pas lieu d'examiner davantage cette question puisque peu importe le courant jurisprudentiel retenu, il en vient à la même conclusion.
[37] En effet, dans l'hypothèse où l'on devrait appliquer à une demande faite en vertu de l'article 165 de la loi, la prescription de trois ans prévue au code civil, il demeurerait possible de remédier au défaut d'avoir respecté ce délai par application de l'article 352 de la loi, lequel se lit comme suit :
352. La Commission prolonge un délai que la présente loi accorde pour l'exercice d'un droit ou relève une personne des conséquences de son défaut de le respecter, lorsque la personne démontre un motif raisonnable pour expliquer son retard.
__________
1985, c. 6, a. 352.
[38] C'est la conclusion à laquelle en viendrait le tribunal après avoir considéré que le retard de monsieur Chabot a présenté une réclamation pour être remboursé du coût d'achat annuel de son bois de chauffage est imputable à la décision erronée que lui a communiquée le conseiller en réadaptation en novembre 1994, conclusion qui n'a pas fait l'objet d'une décision écrite que monsieur Chabot aurait pu contester par le dépôt d'une demande de révision.
[39] L'argument du représentant de la CSST voulant qu'il ne s'agissait pas d'une décision en 1994 puisque n'ayant pas produit une facture, monsieur Chabot, n'avait pas valablement présenté une réclamation, n'est pas retenu. La même situation n'a pas empêché la CSST de rendre la décision 22 décembre 2011 qui est à l'origine du présent litige.
[40] Après considération de la preuve au dossier, des arguments présentés et de la jurisprudence sur la question, la Commission des lésions professionnelles en vient donc à la conclusion que monsieur Chabot a droit au remboursement du coût d'achat annuel du bois de chauffage pour les années 1992 à 2011, sous réserve de la production à la CSST des reçus attestant le paiement pour chacune de ces années.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de monsieur Jeannôt Chabot;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 1er mai 2012 à la suite d'une révision administrative;
DÉCLARE que monsieur Chabot a droit au remboursement du coût d'achat du bois de chauffage pour les années 1992 à 2011, sous réserve de la production à la CSST des reçus attestant le paiement pour chacune de ces années.
|
|
|
Claude-André Ducharme |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Carl Gilbert |
|
Dion, Durrel Associés inc. |
|
Représentant de la partie intéressée |
|
|
|
|
|
Me René Fréchette |
|
Vigneault Thibodeau Bergeron |
|
Représentant de la partie intervenante |
[1] L.R.Q. c. A-3.001
[2] Benoît et Constructions AJP Rivard inc. (Fermé), C.L.P. 181584-04-0203, 21 février 2003, J.-F. Clément; Lacasse et Les Industries de la rive Sud ltée, [2005] C.L.P. 1282 ; contra : Bélanger et Hydro-Québec (Gestion acc. Trav.), 2008 QCCLP 5987 ; Duchesne et Pizzeria du Boulevard, 2011 QCCLP 8327
[3] Cadre de référence pour l'entretien courant du domicile, 1er décembre 2011
[4] Il semble qu'il s'agissait d'une lésion survenue au travail qui n'a pas fait l'objet d'une réclamation à la CSST.
[5] Rapport d'évaluation médicale du 11 juin 1991
[6] Il convient de noter que le litige ne concerne pas l'achat effectué en 2012 pour la saison hivernale 2012-2013.
[7] 2011 QCCS 3637 .
[8] Sinclair et Prévost Car inc. (Division Novabus), 2010 QCCLP 4729 .
[9] 2010 QCCLP 5362 , révision sur une autre question rejetée, 2011 QCCLP 5854 ; au même effet : St-Cyr et Cascades Récupération (Sherbrooke), 2010 QCCLP 8190 ; Grondin et Entreprises Dominique Grondin inc., 2012 QCCLP 305 .
[10] Trad et Tabac Dynasty inc., 2010 QCCLP 5299 .
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.