Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier
_

Généreux et Hôtel Redo Senneterre (F)

2008 QCCLP 5787

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Rouyn-Noranda

8 octobre 2008

 

Région :

Abitibi-Témiscamingue

 

Dossier :

325779-08-0708

 

Dossier CSST :

093920981

 

Commissaire :

Fernand Daigneault, juge administratif

 

Membres :

Marcel Grenon, associations d’employeurs

 

Jean-Pierre Valiquette, associations syndicales

______________________________________________________________________

 

 

 

Guy Généreux

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Hôtel Redo Senneterre (F)

 

Partie intéressée

 

 

 

et

 

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

 

Partie intervenante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]                Le 10 août 2007, monsieur Guy Généreux (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 31 juillet 2007 à la suite d’une révision administrative.

[2]                Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 23 février 2007 et déclare qu’elle ne peut rembourser de frais liés à la production ou à l’acquisition de marihuana puisqu’il ne s’agit pas d’un médicament.

[3]                Une audience se tient à Rouyn-Noranda le 15 janvier 2008 à laquelle assiste le travailleur. La CSST est représentée par un avocat. Un délai est accordé au travailleur afin qu’il produise les formulaires de ses demandes d’autorisation de possession de marihuana séchée et de production à des fins personnelles à Santé Canada. Le dossier est pris en délibéré le 20 juin 2008, à la suite de la réception de ces documents et des commentaires des parties.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]                Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que la CSST doit lui rembourser les frais liés à la production de marihuana.

LES FAITS

[5]                Le travailleur est gérant à L’Hôtel Redo à Senneterre.

[6]                Le 15 juillet 1986, il subit un accident du travail au moment où il se penche pour ramasser une caisse de bière. Le diagnostic en relation avec cette lésion est celui de hernie discale aux niveaux L4-L5 et L5-S1.

[7]                Le 31 juillet 1986, le travailleur subit une discoïdectomie aux niveaux L4-L5 et L5-S1.

[8]                En octobre 1990, septembre 1991 et février 1992, le travailleur subit des récidives, rechutes ou aggravations de sa lésion initiale. Il conserve de ces lésions une importante atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique et des limitations fonctionnelles.

[9]                Le 25 novembre 1994, la CSST déclare qu’il est impossible de déterminer un emploi convenable pour le travailleur qui permet de trouver une solution adéquate et durable. Le travailleur a donc droit à l’indemnité de remplacement du revenu.

[10]           Le 21 octobre 2003, le docteur Adam, orthopédiste, remplit le formulaire prévu par le règlement sur l’accès à la marijuana à des fins médicales. Il y indique que tous les traitements conventionnels ont été administrés au travailleur ou à tout le moins envisagé, mais se sont avérés inefficaces, ou la drogue administrée comme traitement a provoqué une interaction médicamenteuse néfaste, ou il existe un risque d’une telle interaction.

[11]           Le docteur Adam ajoute que l’usage recommandé de la marihuana atténuerait les symptômes du travailleur.

[12]           Finalement, que les avantages que le travailleur retirerait de l’usage de la marihuana l’emportent sur les risques, y compris ceux associés à l’usage à long terme de celle-ci.

[13]           Le 10 décembre 2003, le travailleur reçoit du gouvernement fédéral son autorisation de possession de marihuana et sa licence de production à des fins personnelles. L’autorisation et la licence sont accordées pour un an.

[14]           Depuis cette date, le travailleur a reçu chaque année une nouvelle autorisation et une nouvelle licence.

[15]           Le 27 octobre 2005, le docteur Lambert examine le travailleur. Il retient le diagnostic de hernie discale aux niveaux L4-L5 et L5-S1. Il indique que le travailleur utilise la marihuana depuis deux ans pour le contrôle de la douleur et qu’il a reçu l’approbation de Santé Canada.

[16]           Le 20 mars 2006, le docteur Adam remplit un rapport médical complémentaire à la demande de la CSST. Il indique que l’usage de la marihuana est justifié pour le travailleur, puisqu’elle lui permet de prendre beaucoup moins de médications analgésiques qu’il a, par ailleurs, beaucoup de difficulté à tolérer. Il ajoute que de toute façon il n’a pas d’autre traitement à offrir au travailleur.

[17]           Le 30 octobre 2006, le docteur Desnoyers, chirurgien-orthopédiste, rédige une expertise médicale à la demande de la CSST. Son mandat est d’évaluer la pertinence de l’ajout de la marihuana dans le traitement de la douleur lombaire chronique du travailleur compte tenu de la médication prise dans le passé et celle qu’il prend actuellement.

[18]           Le docteur Desnoyers note que, les médicaments suivants ont déjà été essayés pour le contrôle de la douleur lombaire chronique : Hydromorphone Contin jusqu’à 12 milligrammes, Duragésic en timbre jusqu’à 100 milligrammes, Célébrex avec Nexium, Losec, Empracet, Flexitec, Nitrazodon, Triazolam et d’autres dérivés du même type ainsi que des médicaments dérivés des protecteurs gastriques. Il ajoute que cette liste n’est peut-être pas exhaustive.

[19]           Le docteur Desnoyers indique que le travailleur lui rapporte que fumer la marihuana aide à stabiliser sa condition. Il est moins crispé, a moins de crampes, se sent un peu plus décontracté et l’importance des douleurs est moindre.

[20]           Le docteur Desnoyers indique qu’à la lumière du questionnaire du travailleur, de l’examen physique, de la lecture du dossier et des points sur lesquels il est tenu de se prononcer, il n’a rien contre à ce que le travailleur puisse utiliser la marihuana à des fins thérapeutiques de contrôle de sa douleur.

[21]           Du point de vue orthopédique, il n’a pas d’autre solution thérapeutique à offrir, qu’elle soit chirurgicale, médicamenteuse ou par injection de quelque type que ce soit.

[22]           Le 30 janvier 2007, le travailleur demande à la CSST d’être remboursé de l’ensemble des coûts reliés à la production de marihuana, tel qu’autorisé par Santé Canada. Il demande le remboursement du coût des instruments servant à la production, des produits de nettoyage des instruments, des lumières, des dômes, de la terre, des engrais, des ventilateurs, un système d’air conditionné et les coûts supplémentaires d’électricité liés à la production de la marihuana.

[23]           Le 23 février 2007, la CSST refuse la demande du travailleur. Elle déclare que la marihuana ne peut être reconnue à titre de médicament dans le cadre de l’assistance médicale prévue à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).

[24]           Elle ajoute que les coûts reliés à la production de quelque produit que ce soit ne sont pas couverts par la loi et, d’autre part, la marihuana séchée est maintenant disponible à certaines conditions auprès des autorités fédérales qui accordent les permis de possession. Le travailleur demande la révision de cette décision.

[25]           Le 31 juillet 2007, à la suite d’une révision administrative la CSST confirme sa décision du 23 février 2007. Le travailleur conteste cette décision devant la Commission des lésions professionnelles.

[26]           À l’audience, le travailleur déclare que la consommation de marihuana lui fait du bien et permet une diminution de la quantité de médicaments conventionnels qu’il doit prendre pour soulager ses douleurs. Il consomme sept grammes de marihuana par jour sous forme d’inhalation.

[27]           Il sait qu’il peut obtenir la marihuana auprès de Santé Canada. Il préfère en faire lui-même la culture afin de s’assurer de la qualité du produit. Il considère que de toute façon, l’achat de la marihuana séchée coûterait plus cher à la CSST que de lui payer les coûts de production.

[28]           À l’audience, la CSST produit les documents suivants :

-          Règlement sur l’accès à la marihuana à des fins médicales - feuillet de renseignements sur la quantité quotidienne (dose).

-          Formulaire de demande d’autorisation de possession de marihuana à des fins médicales.

-          Prise de position de l’Ordre des pharmaciens sur le Règlement sur l’accès à la marihuana à des fins médicales, juillet 2002.

-          Énoncé de position du Collège des médecins du Québec sur l’accès à la marihuana à des fins médicales, septembre 2001.

-          Communiquer de presse de la U.S. Food and Drug Administration (FDA), avril 2006.

-          Texte internet sur le médicament Marinol.

-          Étude de la WBC Evidence Dased Practice Group - Efficacy of marihuana in treating chronic non cancer pain, juin 2006.

-          Extrait du Compendium des produits et spécialités pharmaceutiques concernant les médicaments Marinol, Cesamet, et Sativex, 2006.

-          Loi sur les aliments et drogues.[2]

-          Loi réglementant certaines drogues et autres substances.[3]

-          Règlement sur les stupéfiants.[4]

-          Règlement sur l’accès à la marihuana à des fins médicales.[5]

-          Loi sur la pharmacie.[6]

-          Extrait de Interprétation des lois de Pierre-André Coté, 1999.

 

 

L’AVIS DES MEMBRES

[29]           Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis que la requête du travailleur doit être rejetée.

[30]           Il considère que la marihuana n’est pas un médicament. Elle est tout au plus un produit naturel au même titre que tout autre produit naturel non remboursable en fonction de la loi.

[31]           Le droit de possession obtenu par le travailleur de Santé Canada n’est qu’une exception à l’interdiction générale de possession.

[32]           Le membre issu des associations syndicales est plutôt d’avis que la requête du travailleur doit être accueillie.

[33]           Il considère que la combinaison des articles 1 et 351 doit primer sur une interprétation stricte de l’article 189 de la loi.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[34]           La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si la CSST doit rembourser au travailleur les frais liés à la production ou à l’acquisition de marihuana.

[35]           Afin de disposer de l’objet de la contestation, la Commission des lésions professionnelles réfère en premier aux dispositions des articles 188, 189 et 194 de la loi dont le texte suit :

188.  Le travailleur victime d'une lésion professionnelle a droit à l'assistance médicale que requiert son état en raison de cette lésion.

__________

1985, c. 6, a. 188.

 

 

189.  L'assistance médicale consiste en ce qui suit :

 

1° les services de professionnels de la santé;

 

2° les soins ou les traitements fournis par un établissement visé par la Loi sur les services de santé et les services sociaux (chapitre S-4.2) ou la Loi sur les services de santé et les services sociaux pour les autochtones cris (chapitre S-5);

 

3° les médicaments et autres produits pharmaceutiques;

 

4° les prothèses et orthèses au sens de la Loi sur les laboratoires médicaux, la conservation des organes, des tissus, des gamètes et des embryons et la disposition des cadavres (chapitre L-0.2), prescrites par un professionnel de la santé et disponibles chez un fournisseur agréé par la Régie de l'assurance maladie du Québec ou, s'il s'agit d'un fournisseur qui n'est pas établi au Québec, reconnu par la Commission;

 

5° les soins, les traitements, les aides techniques et les frais non visés aux paragraphes 1° à 4° que la Commission détermine par règlement, lequel peut prévoir les cas, conditions et limites monétaires des paiements qui peuvent être effectués ainsi que les autorisations préalables auxquelles ces paiements peuvent être assujettis.

__________

1985, c. 6, a. 189; 1992, c. 11, a. 8; 1994, c. 23, a. 23; 1999, c. 89, a. 53; 2001, c. 60, a. 166.

 

 

194.  Le coût de l'assistance médicale est à la charge de la Commission.

 

Aucun montant ne peut être réclamé au travailleur pour une prestation d'assistance médicale à laquelle il a droit en vertu de la présente loi et aucune action à ce sujet n'est reçue par une cour de justice.

__________

1985, c. 6, a. 194.

 

 

[36]           On retrouve donc que le travailleur a droit à l’assistance médicale que requiert son état en raison d’une lésion professionnelle, que cette assistance comprend les médicaments et autres produits pharmaceutiques et que ceux-ci sont à la charge de la CSST.

[37]           L’argument principal de la CSST pour justifier son refus de rembourser au travailleur les frais liés à l’acquisition de la marihuana est qu’il ne s’agit pas d’un médicament.

[38]           Elle dépose à l’audience plusieurs documents et porte à l’attention du tribunal les éléments suivants :

-          Santé Canada ne reconnaît pas la marihuana comme un médicament puisque ce produit n’a pas reçu d’avis de conformité. Même si elle en autorise la possession et la production à des fins médicales elle n’en fait pas un médicament.

-          Le Règlement sur les stupéfiants considère la marihuana comme étant un stupéfiant.

-          En juin 2002, l’Ordre des pharmaciens a pris position pour que le gouvernement fédéral poursuivre ses démarches pour que la marihuana, sous toutes formes, fasse l’objet de recherches scientifiques concluantes et que, le cas échéant, une ou des formes pharmaceutiques autres que la forme fumée soient développées (inhalateurs, sublingual, suppositoires, etc.).

-          En septembre 2001, le Collège des médecins a fait connaître sa position sur le projet de règlement fédéral sur l’accès à la marihuana à des fins médicales. Il indique qu’en l’absence de connaissances sur l’innocuité et les vertus thérapeutiques de la marihuana, les médecins ne peuvent juger de la pertinence de recommander la marihuana dans le traitement des patients.

-          La U.S. Food and Drug Administration considère que les études ne démontrent pas l’efficacité de l’utilisation de la marihuana comme traitement médical. Il en est de même pour la WBC Evidence Dased Practice Group.

-          Il y a un certain nombre de médicaments sous ordonnance qui peuvent être prescrit légalement par les médecins pour le contrôle de la douleur.

-          Le professeur Coté nous enseigne qu’une loi provinciale ne peut contredire une loi fédérale et que la présomption de cohérence entre des lois connexes s’applique surtout lorsqu’émanant d’un même législateur. Ainsi, le législateur québécois ne peut assimiler la marihuana à un médicament puisque ce serait contraire aux lois fédérales. De même, les définitions de médicaments de certaines lois provinciales devraient être retenues pour pallier à l’absence de définition à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.

[39]           L’interprétation des mots médicaments et autres produits pharmaceutiques prévue à l’article 189 de la loi a déjà fait l’objet de décisions à la Commission des lésions professionnelles.

[40]           Ainsi dans la décision Barnabé et TM Composites inc.[7], la Commission des lésions professionnelles détermine que, à la lumière des différentes définitions des dictionnaires s’appliquant aux termes «médicaments» et «autres produits pharmaceutiques» et en s’inspirant de la jurisprudence des tribunaux judiciaires, la Commission des lésions professionnelles estime que le produit MSM, qui est un supplément nutritionnel vendu dans la section des aliments naturels, pourrait être considéré comme un médicament ou autre produit pharmaceutique au sens de l'article 189.

[41]           Dans l’affaire Breton et Serrurier Indépendant enr. [8], la Commission des lésions professionnelles conclut que les produits naturels réclamés par le travailleur constituent des «médicaments ou autres produits pharmaceutiques» au sens de l’article 189 (3). Le Replenex (glucosamine) a apporté un soulagement de ses douleurs articulaires reliées à une synovite chronique traumatique de la cheville gauche et à un traumatisme sévère évoluant à de l’arthrite de l’articulation de la cheville, consécutives à sa rechute. Quant au Florify, la prise de ce médicament a amélioré les problèmes intestinaux du travailleur reliés aux effets secondaires de l'utilisation de la glucosamine. Le travailleur a droit au remboursement de ces deux médicaments ou produits pharmaceutiques.

[42]           Dans la décision Renaud et Marché R. Théberge inc.[9], la Commission des lésions professionnelles déclare que les comprimés d'«Oméga 3» prescrits par le médecin qui a charge s'assimilent à un médicament puisqu'ils constituent bien plus qu'un simple supplément alimentaire. En effet, le médecin a indiqué que la prise d'«Oméga 3» a été tentée pour améliorer les membranes neuronales ainsi que la réponse aux médicaments. Il s'agit donc d'une substance prescrite pour améliorer la condition du travailleur.

[43]           De façon plus précise, concernant la marihuana, la Commission des lésions professionnelles a déjà rendu deux décisions. Dans la première, Corbeil et Wilfrid Nadeau inc.,[10] elle conclut que, dans la mesure où la marihuana est prescrite par un médecin et qu'elle fait l'objet d'une exemption à des fins médicales par Santé Canada, celle-ci doit être considérée comme un médicament en vertu de l'article 189. Le travailleur est en droit de bénéficier du remboursement des coûts pour l'achat de marihuana.

[44]           Dans la deuxième[11], le commissaire Michaud partage le point de vue émis par la commissaire Cusson et estime que la marihuana doit être considérée comme un médicament pour l’application de la Loi sur les accidents du travail et maladies professionnelles.

[45]           La Commission des lésions professionnelles considère sérieusement les arguments de la CSST, mais conclut qu’ils ne peuvent prédominer les articles 1 et 351 de la loi qui se lisent comme suit :

1.  La présente loi a pour objet la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu'elles entraînent pour les bénéficiaires.

 

Le processus de réparation des lésions professionnelles comprend la fourniture des soins nécessaires à la consolidation d'une lésion, la réadaptation physique, sociale et professionnelle du travailleur victime d'une lésion, le paiement d'indemnités de remplacement du revenu, d'indemnités pour préjudice corporel et, le cas échéant, d'indemnités de décès.

 

La présente loi confère en outre, dans les limites prévues au chapitre VII, le droit au retour au travail du travailleur victime d'une lésion professionnelle.

__________

1985, c. 6, a. 1; 1999, c. 40, a. 4.

 

 

351.  La Commission rend ses décisions suivant l'équité, d'après le mérite réel et la justice du cas.

 

Elle peut, par tous les moyens légaux qu'elle juge les meilleurs, s'enquérir des matières qui lui sont attribuées.

__________

1985, c. 6, a. 351; 1997, c. 27, a. 13.

 

 

[46]           Donner une interprétation restrictive au mot médicament amènerait le tribunal à ne pas respecter l’objet même de la loi qui est la réparation des lésions professionnelles et de ses conséquences.

[47]           La Commission des lésions professionnelles est d’avis que la loi doit recevoir une interprétation large et libérale afin d’atteindre son objectif.

[48]           Elle partage donc l’opinion des commissaires Cusson et Michaud voulant que la marihuana constitue un médicament au sens de la loi dans la mesure où elle a été prescrite au travailleur par son médecin traitant pour atténuer les douleurs reliées à sa lésion professionnelle et que ce dernier détient une autorisation auprès de Santé Canada.

[49]           Dans le présent dossier, le travailleur a subi une lésion professionnelle le 15 juillet 1986 qui lui a laissé une atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique et des limitations fonctionnelles suffisamment importantes pour que la CSST ne puisse déterminer un emploi convenable.

[50]           Le travailleur a consommé durant plusieurs années différents médicaments sans résultats satisfaisants.

[51]           En octobre 2003, le docteur Adam remplit le formulaire prévu par le règlement sur l’accès à la marijuana à des fins médicales. Il y indique que tous les traitements conventionnels ont été administrés au travailleur ou à tout le moins envisagé, mais se sont avérés inefficaces, ou la drogue administrée comme traitement a provoqué une interaction médicamenteuse néfaste, ou il existe un risque d’une telle interaction.

[52]           Le 30 octobre 2006, le docteur Desnoyers rédige une expertise médicale à la demande de la CSST. Il indique qu’à la lumière du questionnaire du travailleur, de l’examen physique, de la lecture du dossier et des points sur lesquels il est tenu de se prononcer, il n’a rien contre à ce que le travailleur puisse utiliser la marihuana à des fins thérapeutiques de contrôle de sa douleur. Du point de vue orthopédique il n’a pas d’autre solution thérapeutique à offrir, qu’elle soit chirurgicale, médicamenteuse ou par injection de quelque type que ce soit.

[53]           La Commission des lésions professionnelles retient aussi du témoignage crédible et non contredit du travailleur, que la consommation de marihuana lui fait du bien et permet une diminution de la quantité de médicaments conventionnels qu’il doit prendre pour soulager ses douleurs.

[54]           Dans de telles circonstances, la Commission des lésions professionnelles conclut que la marihuana constitue un médicament au sens de la loi pour le travailleur et qu’il a droit au remboursement des coûts d’acquisition.

[55]           Le travailleur déclare à l’audience qu’il peut obtenir la marihuana auprès de Santé Canada. Il préfère cependant en faire lui-même la culture afin de s’assurer de la qualité du produit.

[56]           De son coté, la CSST argumente qu’elle n’a pas à rembourser le coût des installations pour la production de la marihuana dont le travailleur a besoin. La loi prévoit le remboursement des médicaments, mais certainement pas sa production.

[57]           Dans la décision Corbeil et Wilfrid Nadeau inc.[12], la commissaire Cusson s’exprime ainsi sur ce sujet;

Pour décider si le travailleur a droit au remboursement des coûts relatifs à l'acquisition du matériel pour la production de plants de marihuana, la CLP doit nécessairement tenir compte du fait qu’il est impossible dans le contexte légal actuel, autrement que par la culture, de se procurer cette substance. Du moins, il n'existe pas de centre de distribution accessible pour un individu demeurant en région. Il faut donc ne pas s’en tenir à une interprétation restrictive de l’article 189 et permettre d’inclure, aux fins de la reconnaissance de l’assistance médicale et de son accès, le remboursement des coûts relatifs à la culture de marihuana comme s’il s’agissait du coût d’achat du produit fini directement à un centre reconnu. Agir autrement rendrait inapplicable la décision de la CLP à l'effet de reconnaître que le travailleur a droit au remboursement des coûts pour l'achat de marihuana à titre de médicament compris dans l’assistance médicale, et ce, afin de soulager les douleurs chroniques reliées à sa lésion professionnelle. Cela rendrait aussi légalement inapplicable le droit consenti par Santé Canada à la consommation de la marihuana à des fins médicales pour un travailleur accidenté du travail, alors que l'assistance médicale est à la charge de la CSST.

 

 

[58]           Dans la présente affaire, la Commission des lésions professionnelles considère que la situation est différente de celle entendue par la commissaire Cusson. La preuve présentée devant le présent tribunal ne permet pas de conclure que le travailleur ne réussirait pas à s’approvisionner de façon légale s’il ne faisait pas lui-même la culture.

[59]           En conséquence, la Commission des lésions professionnelles conclut que le travailleur a droit au remboursement des coûts d’acquisition de la marihuana nécessaire aux traitements des douleurs découlant de sa lésion professionnelle, mais qu’il n’a pas droit au remboursement des coûts de production de ce médicament.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE EN PARTIE la requête de monsieur Guy Généreux, le travailleur;

MODIFIE la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 31 juillet 2007 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que le travailleur a droit au remboursement des coûts d’acquisition de la marihuana nécessaire aux traitements des douleurs découlant de sa lésion professionnelle, mais qu’il n’a pas droit au remboursement des coûts de production de ce médicament.

 

 

__________________________________

 

Fernand Daigneault

 

 

 

 

Me Louis Cossette

PANNETON LESSARD

Représentant de la partie intervenante

 



[1]           L.R.Q., chapitre A-3.001

[2]           S.R., ch.F-27

[3]           1996, ch. 19 C-38.8

[4]           C.R.C., ch. 1041

[5]           DORS/2001-227

[6]           L.R.Q., chapitre P-10

[7]           169317-07-0110, 02-08-09, M. Langlois, (02LP-88).

[8]           267008-63-0507, 06-08-21, F. Mercure, (06LP-89).

[9]           245162-63-0409, 07-07-23, M. Juteau.

[10]         [2002] C.L.P.789, révision rejetée, 183805-03B-0205, 04-02-20, C. Bérubé, (03LP-301), requête en révision judiciaire rejetée, [2004] C.L.P. 1251 (C.S.), requête pour permission d'appeler rejetée, C.A. Québec, 200-09-005022-048, 04-12-21.

[11]         Bélanger et Gestion Technomarine International inc., [2007] C.L.P. 1258 .

[12]         [2002] C.L.P. 789

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.