Gagné et 3131751 Canada inc. (Fermé) |
2007 QCCLP 4530 |
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[1] Le 3 mars 2006, monsieur Jean-Guy Gagné (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 2 février 2006 à la suite d'une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme une décision du 14 octobre 2005 relativement au remboursement de frais d’entretien courant du domicile, déclare que le travailleur n’a pas droit rétroactivement au remboursement des frais d’entretien courant avant le 3 novembre 2004, date du rapport d’évaluation médicale. Elle déclare qu’il a droit au remboursement des frais de déneigement pour l’année 2004-2005, au grand ménage annuel et à la peinture sur présentation de pièces justificatives. Elle déclare de plus qu’il a droit au remboursement du cordage du bois, si ce type de chauffage est son chauffage principal, et qu’il n’a pas droit aux frais de déneigement du toit ni aux frais du terrassement (excavation) de son terrain.
[3] L’audience s’est tenue à Joliette les 8 décembre 2006 et 24 janvier 2007 et la Commission des lésions professionnelles ayant exigé le dépôt de pièces justificatives, la requête a été prise en délibéré le 31 janvier 2007 suite à la réception le 30 janvier de la dernière pièce demandée.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande le remboursement des frais d’entretien de sa pelouse, des frais de peinture, des frais de déneigement, d’excavation (terrassement) du terrain, du déneigement de la toiture, de la coupe, du transport et de l’entrée de bois de foyer, le tout rétroactivement au 11 décembre 2000, date de sa lésion professionnelle, pour une réclamation totale de 13 000 $.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Conformément aux dispositions de l'article 429.50 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi), le commissaire soussigné a demandé aux membres qui ont siégé auprès de lui, leur avis sur la question faisant l'objet de la présente contestation de même que les motifs au soutien de cet avis.
[6] Le membre issu des associations syndicales est d’avis de faire droit à la réclamation pour tous les travaux à l’exception du terrassement (3000 $) et dans la mesure explicitée par la décision pour un montant total de 7440 $ avec les intérêts auxquels il a droit.
[7] Le membre issu des associations d’employeurs ne ferait droit que partiellement à la requête du travailleur lui reconnaissant le droit à un remboursement de 5 200 $ avec intérêts. Il ne lui accorderait pas les montants de 1920 $ pour la coupe, le transport et l’entrée au garage du bois de chauffage, ni le 320 $ pour les quatre déneigements du toit. Il met en doute le témoignage du fils Stéphane Gagné qui ne part certainement pas d’Amqui pour venir déneiger le toit, selon lui. De plus, la preuve relative à la coupe et au transport du bois de chauffage ne le convainc pas.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[8] Le travailleur, un boucher âgé de 53 ans, qui est à l’emploi depuis 17 ans, subit une lésion professionnelle le 11 décembre 2000. En tournant une pièce de bœuf pesant environ 200 livres, il ressent un élancement dans le dos et sa jambe devient engourdie, comme congelée, ne la sentant plus. Après avoir été traité de façon conservatrice et même avec des épidurales qui ne l’ont pas amélioré de façon optimale, le travailleur a subi, le 11 novembre 2003, une décompression de la queue-de-cheval pour sténose L4-L5 et décompression de sténose foraminale bilatérale L4-L5 droite et gauche. Il est cependant demeuré avec une sciatalgie au niveau de la face latérale de la cuisse et de la jambe gauche jusqu’à la cheville.
[9] Le travailleur a été consolidé le 3 novembre 2004. Suite à un rapport d’évaluation du 10 novembre 2004, une atteinte permanente de 14.40 % a été retenue par la CSST ainsi que les limitations fonctionnelles émises par le docteur Marc F. Giroux, neurochirurgien. Ces limitations sont de classe 2 de l’Institut de recherche en santé et sécurité au travail, soit éviter les activités qui impliquent de :
- soulever, porter, pousser, tirer de façon répétitive ou fréquente des charges de plus de 5 à 15 kilos;
- effectuer des mouvements répétitifs ou fréquents de flexion, d’extension ou de torsion de la colonne lombaire même de faible amplitude;
- monter fréquemment plusieurs escaliers;
- marcher en terrain accidenté ou glissant.
[10] Le 29 mars 2005, la CSST détermine que le travailleur a droit à la réadaptation puisqu’il conserve une atteinte permanente attribuable à sa lésion professionnelle du 11 décembre 2000.
[11] En vertu de la loi, la Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le travailleur a droit au remboursement des frais d’entretien courant de son domicile.
[12] On sait que l’article relatif à ce sujet est l’article 165 de la loi qui se lit ainsi :
165. Le travailleur qui a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique en raison d'une lésion professionnelle et qui est incapable d'effectuer les travaux d'entretien courant de son domicile qu'il effectuerait normalement lui-même si ce n'était de sa lésion peut être remboursé des frais qu'il engage pour faire exécuter ces travaux, jusqu'à concurrence de 1 500 $ par année.
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1985, c. 6, a. 165.
[13] Compte tenu de l’atteinte permanente et des limitations fonctionnelles et de la preuve présentée à l’audience, il est évident que le travailleur ne pouvait exécuter les travaux d’entretien courant de son domicile, soit la coupe, le transport et le cordage du bois, le déneigement, la tonte du gazon et la peinture, travaux qu’il effectuait normalement antérieurement.
[14] La jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles et de la Commission d’appel en matière de lésion professionnelle a établi de façon claire que l’analyse du concept d’atteinte permanente à l’intégrité physique doit s’effectuer en tenant compte de la capacité résiduelle du travailleur à exercer les activités mentionnées à l’article 165 de la loi. Dès ce moment, le pourcentage d’atteinte permanente n’est pas l’unique critère dont il faut tenir compte pour décider de la requête. Nous devons nous interroger sur la capacité du travailleur à effectuer lui-même les travaux en question compte tenu de ses limitations fonctionnelles. Dans le présent cas, vérification faite, le travailleur n’avait pas la capacité résiduelle lui permettant de faire les travaux d’entretien courant du domicile pour lesquels il réclame à la CSST.
[15] Même si la demande de remboursement des travaux d’entretien courant de son domicile n’a été formulée que le 27 août 2005, rien n’empêche qu’une décision faisant droit au remboursement de certains ou de tous les travaux puisse rétroagir à la date de la lésion professionnelle, soit au 11 décembre 2000. En effet, le travailleur n’était évidemment pas capable d’effectuer les travaux qu’il faisait antérieurement à compter de cette date. La loi n’interdit aucunement la rétroactivité dans un tel cas et l’article 1 de la loi, dont l’objet est la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu’elle entraîne pour les bénéficiaires, permet, certes, d’appliquer cette réparation à compter de la lésion, car les conséquences ont commencé le 11 décembre 2000 et non au 3 novembre 2004, date de la consolidation.
[16] Afin de déterminer le droit au remboursement des frais des divers travaux pour lesquels réclame le travailleur, il y a lieu de procéder à l’analyse de chacune de ses réclamations, donc des travaux qu’il aurait exécutés n’eût été de sa lésion professionnelle.
[17] Le travailleur réclame d’abord 1 200 $ pour le déneigement des deux entrées de sa résidence conduisant à deux garages distincts. Compte tenu de la facture de la compagnie Excavation Chèvrefils au montant de 1 200 $ et signée par Jacques Chèvrefils expliquant qu’il ne peut présenter, après trois mois, des copies des factures faites sur ordinateur, la Commission des lésions professionnelles reconnaît le droit du travailleur au remboursement de cette facture de 1 200 $, le déneigement étant reconnu au Québec par la jurisprudence[2] comme un travail d’entretien courant du domicile.
[18] Quant à la réclamation de 3000 $ pour transport de terre et terrassement pour les années 2000 à 2005, la Commission des lésions professionnelles n’y fait pas droit, cette réclamation n’étant pas considérée comme un travail d’entretien courant du domicile.
[19] Relativement à la réclamation pour la coupe, le transport et le cordage du bois au garage à chaque automne, le travailleur a droit au remboursement des coûts réels occasionnés par les conséquences de sa lésion professionnelle. En effet, la preuve est bien établie par le travailleur, par son fils Stéphane et par le locataire monsieur Bernard d’Astous que le bois était la principale source de chauffage de sa résidence. Dès lors, la jurisprudence[3] reconnaît qu’il faut interpréter la loi de façon à lui rembourser les frais d’approvisionnement en bois de chauffage, approvisionnement qu’il ne peut assumer lui-même à cause de sa lésion professionnelle.
[20] Ainsi, pour la coupe du bois, son fils Stéphane qui demeure à Amqui et qui venait régulièrement chez son père et y demeurait quelque temps, aidait son père avant sa lésion professionnelle. Pour la coupe des arbres sur la forêt de deux hectares que le travailleur possède à l’arrière de sa maison, au lieu de couper pendant 20 heures comme avant la lésion de son père, son fils Stéphane devait faire 40 heures, donc un excédant de 80 heures pour les années 2001 à 2004 inclusivement. Quant à la coupe en bois de chauffage, au transport et au cordage dans le garage, au lieu d’aider son père pendant une semaine, Stéphane devait travailler deux semaines pour y arriver, soit 40 heures additionnelles pendant quatre années, soit 160 heures pour un grand total de 240 heures à 8,00 $ l’heure, taux que payait le travailleur, pour un montant global de 1 920 $.
[21] Quant au déneigement des toitures de garage de 24 pieds par 18 pieds et de 30 pieds par 14 pieds ainsi qu’une section du toit de maison, la Commission des lésions professionnelles accorde quatre déneigements en moyenne par hiver, soit 20 déneigements pour 5 ans à deux heures chacun, soit 320 $.
[22] Le travailleur témoigne avoir fait peinturer tout l’intérieur de sa maison par monsieur Bernard d’Astous et ce dernier le confirme utilisant pour 449,45 $ de peinture selon la facture présentée. De plus, monsieur D’Astous a dû rentrer le bois du garage à la maison tous les hivers pendant cinq ans. La Commission des lésions professionnelles comprend que ce travail pouvait requérir au minimum une heure par semaine pendant 30 semaines, soit 150 heures à 8,00 $ pour un total de 1 200,00 $.
[23] De plus, monsieur D’Astous a dû tondre le gazon pendant cinq ans sur une surface de 35 000 pieds carrés, ce qui requérait, selon le travailleur, quatre heures et demie 10 fois par année, soit 45 heures à 8,00 $, soit 360 $ par année pour un total de 1 800,00 $. Monsieur D’Astous s’occupait aussi de planter des fleurs. Il témoigne que le travailleur lui a payé certainement plus que le 4 000 $ réclamé.
[24] Comme monsieur D’Astous a peinturé toute la maison y appliquant 15 contenants de 3.78 litres de peinture, il a certainement pris 40 heures pour effectuer un tel travail, soit 320 $. Les travaux exécutés par monsieur D’Astous représentent au minimum 3 320 $. La Commission des lésions professionnelles accueille la demande de réclamation de 4 000 $ au chapitre des travaux effectués par monsieur D’Astous et pour l’achat de la peinture qui représentait 449,45 $.
[25] Une preuve a été présentée à l’effet que le travailleur a baissé le loyer de monsieur D’Astous de 100 $ par mois à compter de 2001 pour tenir compte des services que ce dernier lui rendait. Il n’y a pas eu de réclamation formelle à cet effet et la Commission des lésions professionnelles n’accorde aucun montant relativement à ces services qui comprenaient notamment des services personnels, selon le témoignage du travailleur.
[26] La Commission des lésions professionnelles fait donc droit à la réclamation pour la période de décembre 2000 à décembre 2005, mais pour un montant de 7 440 $ et non de 13 000 $. La Commission des lésions professionnelles note que le travailleur a vendu sa maison et est déménagé à la fin de novembre 2005 dans un endroit où le déneigement est compris dans le prix du loyer.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de monsieur Jean-Guy Gagné, le travailleur;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 2 février 2006 à la suite d'une révision administrative;
DÉCLARE que le travailleur a droit au remboursement de 7 440 $ avec intérêt pour les travaux d’entretien courant du domicile pour la période de décembre 2000 à décembre 2006.
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Maurice Sauvé |
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Commissaire |
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Schwartz, Levitsky, Feldman, Syndic |
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Représentant de la partie intéressée |
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[1] L.R.Q., c. A-3.001
[2] Fraser et Vêtements S. & F. Canada ltée, C.L.P. 257923-63-0503, 5-12-06, J.-P. Arsenault; Brousseau et Protection d’incendie Viking ltée, 18374-61-9004, 92-09-15, L. Boucher, (J4-18-25); Chevrier et Westburne ltée, 16175-08-8912, 90-09-25, M. Cuddihy, (J2-15-19); Lévesque et Mines Northgate inc., [1990] C.A.L.P. 683 ; Lagassé et Construction Atlas inc., 58540-64-9404, 95-10-31, F. Poupart; Pinard et Russel Drummond, 145317-02-0008, 00-11-29, R. Deraiche; Paquet et Pavillon de l’Hospitalité inc., 142213-03B-0007, 00-12-12, R. Savard; Lalonde et Mavic Construction, 146710-07-0009, 01-11-28, M. Langlois.
[3] C.L.P., Lemieux et Ministère des transports, 118805-02-9906, 6 mars 2000, P. Simard; Nevins et Abattoirs Jacques Élément (Les), C.L.P. 156525-08-0103, 18 février 2002, C. Bérubé; Pelletier et CSST Abitibi/Témiscamingue, C.L.P. 145673-08-0008, 25 septembre 2001, S. Lemire
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