Modèle de décision CLP - octobre 2008

Biard (Succession de) et Gaspé (Ville de)

2010 QCCLP 228

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Rimouski

13 janvier 2010

 

Région :

Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine, Bas-Saint-Laurent et Côte-Nord

 

Dossiers :

345034-01B-0804   345194-01B-0804

 

Dossier CSST :

131846461               131848392

 

Commissaire :

Normand Michaud, juge administratif

 

Membres :

Ginette Denis, associations d’employeurs

 

Pierre Boucher, associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

345034-01B-0804

345194-01B-0804

 

 

Dennis Abner Biard (succession)

Linda Ferguson

Partie requérante

Partie requérante

 

 

et

et

 

 

Ville de Gaspé

Ville de Gaspé

Association des pompiers volontaires

de Gaspé inc.

Association des pompiers volontaires de Gaspé inc.

Parties intéressées

Parties intéressées

 

 

et

et

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

Partie intervenante

            Partie intervenante

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

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345034-01B-0804

 

[1]                Le 7 avril 2008, la succession de monsieur Denis Abner Biard dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 17 mars 2008 à la suite d’une révision administrative.

[2]                Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 9 janvier 2008 et déclare que la succession de monsieur Denis Abner Biard n’a droit à aucune indemnité de décès prévue par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).

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[3]                Le 7 avril 2008, madame Linda Ferguson (la requérante) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 7 avril 2008 à la suite d’une révision administrative.

[4]                Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 17 mars 2008 et déclare qu’elle était bien fondée de refuser la réclamation de la requérante pour une lésion survenue le 30 juin 2007.

[5]                L’audience s’est tenue le 6 mai 2009 à Gaspé en présence de madame Linda Ferguson qui agissait tant personnellement qu’en sa qualité de liquidatrice à la succession de monsieur Dennis Abner Biard et de son procureur. Madame Annie Arsenault, conseillère en ressources humaines pour la Ville de Gaspé est également présente et accompagnée d’un procureur. La procureure de la CSST a préalablement informé le tribunal de son absence à l’audience.

[6]                Signalons que la partie intéressée, Association des pompiers volontaires de Gaspé inc. (l’Association), a été appelée à intervenir à la demande expresse de la Commission des lésions professionnelles, compte tenu que l’enjeu du présent litige exigeait d’abord de déterminer si monsieur Biard et madame Ferguson étaient des travailleurs au sens de la loi ou pouvaient être considérés comme tels à titre de bénévoles agissant pour l’Association au moment où est survenu l’événement, à la suite duquel ils réclament les bénéfices de la loi. Toutefois, le président par intérim de l’Association a informé le tribunal que celle-ci n’entendait pas intervenir au litige.

[7]                La cause a été prise en délibéré le 24 août 2009, soit à la suite de la réception des répliques et commentaires des procureurs des parties.


L’OBJET DES CONTESTATIONS

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[8]                La succession de monsieur Denis Abner Biard demande à la Commission des lésions professionnelles d’infirmer la décision de la CSST du 17 mars 2008 et de reconnaître que sa réclamation est recevable car celui-ci était un travailleur au sens de la loi et qu’elle a droit aux indemnités de décès prévues par la loi.

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[9]                La requérante demande à la Commission des lésions professionnelles d’infirmer la décision de la CSST du 17 mars 2008 et de reconnaître qu’elle est une travailleuse au sens de la loi qui a subi une lésion professionnelle le 30 juin 2007 et qu’elle a droit aux bénéfices de la loi au regard de cette lésion.

[10]           Toutefois, les parties ont convenu à l’audience que la Commission des lésions professionnelles ne se prononcerait dans un premier temps que sur la question de savoir si monsieur Biard et madame Ferguson pouvaient bénéficier des indemnités prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles au moment de l’événement du 30 juin 2007.

LES FAITS

[11]           Monsieur Dennis Abner Biard, âgé de 43 ans lors de son décès, est pompier volontaire pour la Ville de Gaspé (la Ville) depuis une vingtaine d’années. Il est en même temps infirmier auxiliaire à temps complet pour le CSSS de Gaspé, Pavillon Mgr Ross.

[12]           Madame Linda Ferguson, sa conjointe depuis 26 ans, est aussi pompière volontaire pour la Ville depuis plusieurs années. Elle travaille aussi à temps plein comme infirmière au même endroit que son conjoint.

[13]           Le samedi 30 juin 2007, a lieu à Price, municipalité située à environ 350 kilomètres de Gaspé, une exposition d’équipements d’incendie et une compétition amicale entre pompiers, le Défi Pompiers 2007, organisées par le Service d’incendies de Price ou l’Association des pompiers de Price. Huit pompiers de Gaspé, dont monsieur Biard et madame Ferguson et leur fils, qui est aussi pompier réserviste, décident d’aller y participer.

[14]           Monsieur Carl Sinnett, chef des pompiers, obtient l’autorisation du directeur des incendies de la Ville pour leur prêter son camion, appartenant à la Ville et identifié au nom du Service des incendies de la Ville, pour qu’ils s’y rendent. La Ville défraye le coût de l’essence, les participants acquittant le coût de leurs repas et autres dépenses. L’Association assume les frais d’inscription aux différentes épreuves. Cependant, les participants lui remettent les bourses qu’ils gagnent pour ses activités.

[15]           Monsieur Biard participe à deux courses. Au terme de la deuxième épreuve, il s’effondre face contre terre en marchant. Monsieur Peter Patterson, un collègue et le fils de monsieur Biard le retournent sur le dos. Madame Ferguson et monsieur Patterson entreprennent des manœuvres de réanimation jusqu'à l’arrivée des ambulanciers. Monsieur Biard est conduit en ambulance au Centre hospitalier régional de Rimouski où son décès est constaté. Le docteur Jacques Gagné indique comme causes de décès « arrêt cardio-respiratoire, infarctus du myocarde probable ».

[16]           Madame Ferguson témoigne que son conjoint était en bonne santé avant cet événement. Il était sportif, faisait de la raquette, de la marche, s’entraînait régulièrement à la caserne en plus de s’entraîner pour la compétition de pompiers.

[17]           Le 26 juillet 2007, madame Ferguson produit une réclamation à la CSST à la suite du décès de son conjoint.

[18]           Le 30 août 2007, madame Ferguson consulte la docteure Patsy Skeene qui écrit sur le rapport médical transmis à la CSST « Pompier volontaire, stress post- traumatique, témoin du décès de son conjoint ». Elle recommande un suivi auprès d’un psychologue. Elle prolonge l’arrêt de travail qui avait débuté le 7 juillet 2008.

[19]           Le même jour, madame Ferguson  produit une réclamation à la CSST dans laquelle elle écrit :

Je participais avec mon conjoint à un entraînement de pompiers à Price. J’ai été témoin du décès de mon conjoint. J’ai fait une tentative de réanimation jusqu’à l’arrivée des ambulanciers. Cauchemars récurents. Revie émotivement l’événement en permanence. Flashback. [sic]

 

 

[20]           Il appert du dossier que la Ville a transmis le 8 mars 2007 à la CSST une Demande de protection des travailleurs bénévoles afin de protéger pour l’année 2007 l’équipe de sauvetage et réservistes du service incendie. On y lit à la description des activités exercées :

Interventions lors de sinistres en forêt;

soutien technique aux pompiers lors d’incendies;

administrer les premiers soins;

cours et pratiques applicables à différents types d’interventions.

 

 

[21]           Le 7 janvier 2008, l’agente d’indemnisation indique aux notes d’évolution que la Ville n’a pas fait de demande de protection pour les pompiers volontaires.

[22]           On retrouve également au dossier des formulaires Demande de protection des travailleurs bénévoles remplis par l’Association.

[23]           Une première demande du 25 juillet 2001 vise les bénévoles préposés aux cantines, les agents de sécurité et les préposés au terrain lors de la compétition « Challenge canadien des pompiers et pompières » pour la période du 25 au 30 juillet 2001.

[24]           L’Association a également fait une demande pour la période du 16 au 24 juillet 2006 pour protéger ses bénévoles. Elle décrit ainsi les activités pour lesquelles elle demande la protection : « pour être arbitre - travail sur le parcour - travail à la cantine et au bar » [sic]. Elle prévoit que ces bénévoles effectueront 325 heures de travail. La CSST a d’ailleurs cotisé l’Association en fonction de ce seul nombre d’heures déclarées.

[25]           De plus, le 1er mars 2007, l’Association remplit une demande de protection pour l’année 2007. Toutefois, elle ne complète pas la section relative aux activités exercées. Elle prévoit que les bénévoles effectueront 600 heures de travail bénévole. Le 29 mars 2007, la CSST informe l’Association qu’elle bénéficie de la protection accordée par la loi pour les travailleurs bénévoles pour la période du 2 mars 2007 au 15 mars 2008.

[26]           Le 9 janvier 2008, la CSST refuse la réclamation de la succession et la réclamation personnelle de madame Ferguson. La CSST considère que monsieur Biard et madame Ferguson ne bénéficiaient pas de la protection accordée par la loi . La CSST est d’avis qu’ils n’étaient pas « un travailleur au sens de la loi » le 30 juin 2007 et qu’ils ne peuvent non plus bénéficier de la protection accordée aux bénévoles. Ces décisions sont confirmées le 17 mars 2008 à la suite d’une révision administrative, d’où les litiges dans les dossiers 345034-01B-0804 (dossier de la succession) et 345194-01B-0804 (dossier de madame Ferguson).

[27]           Madame Ferguson explique au tribunal qu’il existe un lien entre le travail de pompier volontaire et la compétition qui a eu lieu le 30 juin 2007. Les épreuves sont des exercices qu’accomplissent normalement les pompiers pour combattre un incendie, monter cinq étages en portant un tuyau d’incendie sur leurs épaules, hisser en haut de la tour un tuyau à l’aide d’une corde, frapper avec une masse sur une poutre d’acier, tirer sur un tuyau plein d’eau et traîner un mannequin de 175 livres. Ces compétitions permettent de vérifier si les pompiers sont en forme.

[28]           Elle ajoute que pour la compétition de Price, les pompiers ont porté l’équipement complet (veste, pantalon, bottes, cagoule, casque), à l’exception de l’appareil respiratoire. Cet équipement appartient à la Ville.

[29]           Madame Ferguson déclare que les pompiers volontaires de la Ville de Gaspé sont aussi appelés à accomplir d’autres choses que de combattre les incendies. Ainsi, ils font la recherche de victimes ou de personnes disparues en forêt, sur l’eau ou en randonnée, effectuent des sauvetages en hauteur ou en espaces clos, utilisent les pinces de désincarcération lors d’accidents d’automobiles. Ils sont régulièrement appelés comme premiers répondants lors d’un accident ou un sinistre.

[30]           Elle indique que les pompiers sont payés seulement lorsqu’il y a un incendie et pour les 24 heures de formation obligatoire exigée par les normes gouvernementales. Ils ne reçoivent aucune rémunération pour les autres tâches qu’ils accomplissent. Elle précise qu’ils ne sont pas payés lors des entraînements, sauf ceux exigés par la Ville. Il arrive même que dans ces cas, ils ne soient payés que pour une partie seulement de l’entraînement, le reste étant du bénévolat. Ainsi, « pas de feu pas de paye », dira-t-elle à l’audience.

[31]           Monsieur Carl Sinnett est entendu à la demande des requérants. Il est à l’emploi de la Ville au Service des incendies comme chef du district Sud de la grande Ville de Gaspé. Il corrobore le témoignage de madame Ferguson relativement au Défi des pompiers de Price.

[32]           Il explique que le programme des compétitions de pompiers, appelées Défi de pompiers, Fire Challenge, ont été crées à la demande des chefs de pompiers des Etats-Unis pour évaluer la condition physique des pompiers puisque c’est un métier très exigeant physiquement. Il s’agit d’épreuves où les pompiers exécutent les activités qu’ils font pendant les incendies. Il considère ces compétitions comme un entraînement, mais qui leur donnent une motivation supplémentaire.

[33]           Il indique que les pompiers volontaires de Gaspé participent à ces compétitions sur une base volontaire. Ainsi, au fil des années, une quarantaine seulement de pompiers volontaires sur la centaine que compte la Ville y a déjà participé. De plus, seulement huit pompiers sont allés à Price.

[34]           Il mentionne qu’il est un des fondateurs de l’Association. Elle organise diverses activités de financement et achète des équipements pour combattre les incendies qu’elle remet à la Ville. Elle a aussi installé un gymnase pour les pompiers dans une caserne. Il ajoute que c’est lui qui a rempli pour l’Association les demandes à la CSST pour les années 2001 et 2006. Il s’agissait alors de demandes de protection supplémentaire pour ces activités spécifiques.

[35]           Interrogé sur les avantages que retire la Ville de la participation de ses pompiers à de telles compétitions, monsieur Sinnett déclare que ceux-ci sont plus performants. La Ville en retire aussi une belle visibilité. Ainsi, lors du Championnat canadien des pompiers tenu à Gaspé en 2006, les deux meilleurs pompiers du Canada provenaient de Gaspé. Il a noté que le recrutement est plus facile depuis. Il admet toutefois qu’on peut être en forme sans participer aux compétitions.

[36]           Madame Annie Arsenault, conseillère en ressources humaines chez l’employeur, est également entendue. Elle dépose un organigramme du Service des incendies de la Ville et en explique brièvement le fonctionnement. Elle indique que les sauveteurs, qui sont généralement aussi des pompiers volontaires, ne sont pas payés lorsqu’ils ont à intervenir sur les lieux d’un accident par exemple. Ils agissent alors comme bénévoles.

[37]            Pour leur part, les réservistes sont des gens qui ne sont pas encore en âge de devenir pompiers. Ils peuvent participer aux entraînements des pompiers. Ils ne sont payés que pour les 24 heures de formation obligatoire des pompiers.

[38]           Elle déclare que les pompiers, les réservistes et les sauveteurs sont nommés par résolution du conseil municipal sur la recommandation du chef de caserne. Elle ajoute qu’elle croit qu’il est possible que monsieur Biard et madame Ferguson aient pu être nommés par résolution comme sauveteurs. Toutefois, cette résolution n’a pas été produite, malgré le délai accordé.

[39]           Elle confirme que les pompiers ne sont payés que lorsqu’il y a un incendie. La Ville a inclu le total de leurs rémunérations dans l’ensemble de la masse salariale de ses travailleurs pour les fins de la cotisation à la CSST.

[40]           Madame Arsenault témoigne qu’après le décès de monsieur Biard, la Ville a rencontré la CSST afin que les pompiers et sauveteurs soient dorénavant protégés par la loi lorsqu’ils accomplissent certaines tâches bénévolement. Elle dépose une copie d’une résolution du conseil municipal de la Ville du 4 février 2008 « acceptant la demande faite à la CSST dans le but de couvrir les travailleurs bénévoles et ce, selon le tableau des tâches reconnues en annexe ». Ainsi, les pompiers, les pompiers réservistes et les sauveteurs seront dorénavant protégés lorsqu’ils accompliront les tâches qui sont décrites au tableau produit.

L’ARGUMENTATION DES PARTIES

[41]           Le procureur des requérants soutient qu’ils ont droit de bénéficier de la protection de la loi, soit à titre de travailleurs ou travailleurs bénévoles pour la Ville de Gaspé ou encore en étant considérés comme travailleurs bénévoles pour l’Association.

[42]           Dans un premier temps, face à la Ville, le procureur soumet que l’événement du 30 juin 2007 est survenu à l’occasion du travail de pompier volontaire qu’accomplissaient les requérants pour la Ville. Selon lui, la compétition du 30 juin 2007 fait partie de l’entraînement obligatoire auquel doivent se soumettre les pompiers.

[43]           Il prétend que les requérants peuvent aussi être considérés comme travailleurs bénévoles pour la Ville puisqu’ils font partie de l’équipe de sauveteurs pour laquelle la Ville a demandé la protection de bénévoles à la CSST, puisque les pompiers volontaires agissent aussi comme sauveteurs et que l’événement du 30 juin 2007 s’inscrivait dans le cadre des pratiques applicables auxquelles fait référence la demande de protection pour les bénévoles de la Ville.

[44]           Le procureur des requérants soutient également que ceux-ci sont également « couverts » à titre de bénévoles de l’Association car le fait de participer à de telles compétitions fait partie des objets de l’Association et qu’ils agissaient comme bénévoles de celle-ci le 30 juin 2007 puisque l’inscription aux épreuves était défrayée par celle-ci et que les bourses gagnées lui étaient remises. Il s’agissait donc d’une forme de collecte de fonds pour l’Association.

[45]           Pour sa part, le procureur de la Ville est d’avis que l’événement du 30 juin 2007 n’est pas survenu à l’occasion du travail des requérants comme pompiers volontaires. Il rappelle que ceux-ci sont des travailleurs de la Ville uniquement lorsqu’ils combattent un incendie ou lors d’une pratique ou formation commandée spécifiquement par la Ville. Or, ce n’était pas le cas. De plus, lors de cet événement, la Ville n’avait aucun lien de subordination sur ceux-ci. Ils agissaient alors de façon purement volontaire.

[46]           Il soutient également que les pompiers volontaires ne bénéficiaient pas à l’époque pertinente de la protection accordée par la loi aux bénévoles de la Ville. Celle-ci a depuis corrigé la situation. De plus, les requérants ne faisaient pas partie de l’équipe de sauveteurs pour qui la Ville avait demandé la protection de la loi; leurs noms n’apparaissent pas à la liste fournie.

[47]           Les représentations écrites de la procureure de la CSST ne visent que l’Association. Elle allègue que les requérants ne peuvent être considérés comme des travailleurs bénévoles de l’Association, au sens de l’article 13 de la loi.

[48]           Dans un premier temps, elle soutient que le formulaire de demande de protection rempli par celle-ci  pour l’année 2007 n’est pas conforme à la loi puisque l’Association n’y a pas inscrit les activités pour lesquelles elle demandait la protection de la loi. De plus, la procureure considère que les activités exercées par les requérants lors de l’événement du 30 juin 2007 ne s’inscrivent pas dans le cadre d’un travail bénévole pour l’Association. Elle ajoute que s’il y avait une protection, ce serait pour le travail bénévole d’administration de cette dernière et l’organisation d’activités pour celle-ci et non pour la participation à des compétitions. C’était d’ailleurs l’objet de ses demandes de protections précédentes.

[49]           De façon subsidiaire, elle soumet que les requérants ne peuvent bénéficier de la protection de la loi vu que l’Association a fait défaut de remplir la section du formulaire où l’on demande de décrire la nature du travail que doivent exécuter les travailleurs bénévoles. Elle conclut donc au rejet des requêtes.

L’AVIS DES MEMBRES

[50]           La membre issue des associations d’employeurs et celui issu des associations syndicales sont tous deux d’avis que les requêtes des parties requérantes devraient être rejetées. Ils estiment que monsieur Biard et madame Ferguson n’étaient pas des travailleurs de la Ville lors de l’événement du 30 juin 2007, puisqu’ils ne recevaient alors pas de rémunération. Il n’y avait pas de subordination et l’événement n’est pas survenu à l’occasion de leur travail de pompiers bénévoles.

[51]           De plus, ils ne pouvaient être considérés comme des travailleurs bénévoles de la Ville, car ils n’exerçaient pas de travail bénévole pour cette dernière au moment de l’événement. Ils participaient à une compétition.

[52]           Finalement, ils sont d’avis qu’ils ne peuvent non plus bénéficier de la protection de travailleurs bénévoles à l’égard de l’Association parce qu’ils n’accomplissaient pas de travail pour celle-ci lors de l’événement. Ils ajoutent que l’Association n’a pas rempli la déclaration de la façon prévue à l’article 13 de la loi.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[53]           La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le 30 juin 2007 monsieur Biard et madame Ferguson étaient des travailleurs au sens de la loi et si l’événement du 30 juin 2007 est survenu à l’occasion de leur travail de pompier volontaire, ou encore s’ils peuvent être considérés comme des travailleurs bénévoles pour la Ville ou l’Association.

[54]           La notion de travailleur est définie à l’article 2 de la loi de la façon suivante :

 « travailleur » : une personne physique qui exécute un travail pour un employeur, moyennant rémunération, en vertu d'un contrat de travail ou d'apprentissage, à l'exclusion:

 

1° du domestique;

 

2° de la personne physique engagée par un particulier pour garder un enfant, un malade, une personne handicapée ou une personne âgée, et qui ne réside pas dans le logement de ce particulier;

 

3° de la personne qui pratique le sport qui constitue sa principale source de revenus;

 

4° du dirigeant d’une personne morale quel que soit le travail qu’il exécute pour cette personne morale;

__________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1.

            (Le tribunal souligne)

 

 

[55]           Selon la jurisprudence du tribunal, le statut du travailleur s’apprécie au moment de la survenance de l’événement[2].

[56]           La preuve au dossier démontre que monsieur Biard et madame Ferguson n’ont reçu aucune rémunération lors de l’événement du 30 juin 2007. En effet, les pompiers volontaires ne sont payés que lorsqu’ils combattent un incendie ou participent à une pratique ou une formation commandée par la direction du Service des incendies de la Ville. On ne peut conclure que c’était le cas bien qu’ils aient été autorisés par le directeur du service et par le chef de district et que la Ville ait fourni un camion pour leur permettre de se rendre à la compétition de Price.

[57]           Le tribunal ne retient pas non plus l’argument du procureur des requérants voulant que l’événement du 30 juin 2007 soit survenu à l’occasion de leur travail.

[58]           La notion de « à l’occasion du travail » a fait l’objet d’une abondante jurisprudence de la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles et maintenant de la Commission des lésions professionnelles.  La jurisprudence reconnaît certains critères ou paramètres servant à analyser cette notion.  Dans l’affaire Plomberie & Chauffage Plombec inc. et Deslongchamps[3], le juge administratif Lemay a rappelé  que les principaux éléments permettant de qualifier un événement « d’accident survenu à l’occasion du travail » sont les suivants :

- le lieu de l’événement;

- le moment de l’événement;

- la rémunération;

- l’existence et le degré d’autorité ou de subordination de l’employeur lorsque

  l’événement ne survient ni sur les lieux du travail ni durant les heures de travail;

- la finalité de l’activité exercée au moment de l’événement;

- le caractère de connexité ou d’utilité relative de l’activité du travailleur en regard de

  l’accomplissement du travail.

 

 

[59]           Dans un premier temps, l’événement est survenu à Price à environ 350 kilomètres de la Ville alors que les requérants étaient en congé comme pompiers volontaires et la preuve a démontré qu’ils n’étaient pas rémunérés pour cette activité et qu’ils ont accepté d’y participer sur une base volontaire. 

[60]           Quant au lien de subordination, il est difficile d’en établir un, compte tenu que le Service des incendies de la Ville n’a pas participé à cette activité, laquelle était à l’initiative des gens de Price.  La Ville a tout au plus accepté de prêter un véhicule et a autorisé le port de l’uniforme, justement parce que ce n’était pas dans le cadre du travail.  Ayant prêté le véhicule, il est normal qu’elle ait été prête à en assumer la responsabilité mais de là à en conclure que ce geste faisait basculer l’activité dans une sphère professionnelle, il y a quelques nuances à faire. 

[61]           Il est vrai que cette activité louable et charitable peut alimenter une image publique positive des pompiers et par le fait même de tout le Service des incendies de la Ville. Toutefois, cela étant dit, on ne peut en conclure de ce fait que cette activité, parce qu’elle pouvait rapporter indirectement à la Ville, fait en sorte qu’elle devienne une activité à l’occasion du travail.  Cela viderait de son sens la portée du geste libre et volontaire qu’ont posé les requérants de s’engager dans une activité non rémunérée.  La preuve est claire quant au fait que le Service des incendies n’avait émis aucune directive concernant la participation à cette activité et n’en assumait ni l’organisation ni la responsabilité, si ce n’est le prêt d’un véhicule et l’autorisation de porter l’uniforme.

[62]           Ces deux gestes de l’employeur, le prêt du véhicule et l’autorisation de porter l’uniforme, ont été posés dans un contexte de participation volontaire à une activité sportive.  Conclure à partir de cette participation de la Ville, tout de même bien circonscrite, à l’existence d’un lien de subordination, serait extrapoler le sens de la notion de subordination. 

[63]           Le soussigné souligne qu’à plusieurs reprises la Commission des lésions professionnelles a refusé de reconnaître le caractère professionnel d’une lésion même si l’employeur fournissait à ses pompiers ou policiers certains équipements, un véhicule ou leur permettait de porter l’uniforme[4].

[64]           De même, le tribunal n’a pas accordé le statut de professionnel à des lésions survenues même lorsque l’employeur encourageait les travailleurs à y participer[5]. Bien que la loi doive être interprétée de façon large et libérale, le tribunal estime que l’on ne peut accepter de façon quasi automatique sous l’angle « à l’occasion du travail », un événement qui survient lorsqu’un travailleur participe à une compétition sportive, un événement culturel ou caritatif encouragé par l’employeur. Ce serait, à mon avis, dénaturer l’objet de la loi. Le législateur n’a sûrement pas voulu accorder la protection de la loi à des travailleurs qui participent à un tournoi de hockey ou à un tournoi de golf regroupant les employés de l’entreprise, même si l’employeur tolère ou encourage cette participation, à moins de circonstances particulières.

[65]           Pour ces raisons, la situation décrite par les requérants ne permet donc pas de conclure qu’ils étaient des travailleurs au sens de la loi le 30 juin 2007.

[66]           Toutefois, l’article 13 de la loi prévoit qu’une personne qui effectue bénévolement un travail peut être considérée un travailleur dans la mesure où certaines conditions sont rencontrées.

[67]           L’article 13 de la loi se lit comme suit :

13.  Est considérée un travailleur, la personne qui effectue bénévolement un travail aux fins d'un établissement si son travail est fait avec l'accord de la personne qui utilise ses services et si cette dernière transmet à la Commission une déclaration sur :

 

1° la nature des activités exercées dans l'établissement;

 

2° la nature du travail effectué bénévolement;

 

3° le nombre de personnes qui effectuent bénévolement un travail aux fins de l'établissement ou qui sont susceptibles de le faire dans l'année civile en cours;

 

4° la durée moyenne du travail effectué bénévolement; et

 

5° la période, pendant l'année civile en cours, pour laquelle la protection accordée par la présente loi est demandée.

La présente loi, à l'exception du droit au retour au travail, s'applique aux personnes qui effectuent bénévolement un travail aux fins de cet établissement pour la période indiquée dans cette déclaration.

__________

1985, c. 6, a. 13.

 

 

[68]           En l’espèce, le tribunal considère que monsieur Biard et madame Ferguson n’étaient pas des bénévoles au moment de l’événement du 30 juin 2007.

[69]           Tout d’abord, quant à la Ville, le tribunal estime qu’ils ne pouvaient être considérés comme sauveteurs, bien qu’à l’occasion ils aient pu agir comme tels. La demande de protection de la Ville visait les sauveteurs et réservistes. La preuve ne révèle pas qu’ils aient été nommés sauveteurs par résolution du conseil municipal. De plus, au moment de l’événement, ils n’agissaient pas comme sauveteurs mais bien comme compétiteurs à une course.

[70]           De même, le tribunal est d’avis qu’ils n’agissaient pas non plus comme bénévoles pour l’Association lors de l’événement. Le simple fait de remettre la bourse gagnée lors d’une épreuve ne fait pas des membres de l’Association des bénévoles de celle-ci. D’ailleurs, l’Association elle-même avait manifesté une distinction lors des demandes de protection pour ses bénévoles pour les années antérieures lesquelles demandes visaient les personnes qui accomplissaient un travail pour elle sans être rémunérées et non les compétiteurs ou participants aux épreuves.

[71]           Au surplus, même si le tribunal avait considéré les requérants comme des travailleurs bénévoles, ils n’auraient pu bénéficier de la protection de la loi. En effet, la preuve révèle que l’Association n’a pas transmis à la CSST une déclaration conforme au libellé de l’article 13 de la loi.

[72]           Dans l’affaire Boulay et Maison de la famille de Lotbinière[6]le même contexte a fait l’objet d’une analyse et la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles a alors conclu comme suit :

Pour l'appelant, la situation est toute autre.  La nature même du travail exécuté lors du fait accidentel le soustraie du qualificatif général de travailleur.  L'article 13 de la loi permet cependant une modalité par laquelle il aurait pu être considéré comme un travailleur au sens de la loi.  Cette modalité repose essentiellement sur le fait par la personne qui utilisait ses services de produire une déclaration à la Commission.  Le dépôt de cette déclaration ne peut en aucun temps constitué une obligation faite à cette personne bénéficiaire du travail offert.

 

Il s'agit d'un choix offert à cette personne. Ainsi, une personne qui travaille bénévolement  s'attend à ne pas être couvert par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles à moins que la personne qui utilise ses services ne choisisse de l'assujettir à cette loi.

 

Aucune analogie n'est donc possible entre les articles 13 et 26 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.

 

Que le législateur ait prévu de nombreux cas d'exception par lesquels une personne puisse être considérée comme travailleur, n'influe en rien sur la présente cause. Le libellé même de l'article 13 est sans ambiguïté à l'effet que le cas d'exception prévue à cet article est dépendant du dépôt à la Commission d'une déclaration conforme à cet article.

 

Comme il est en preuve que la partie intéressée, Maison de la Famille de Lotbinière n'a pas produit à la Commission une déclaration conforme à l'article 13, il s'ensuit que l'appelant ne peut  être considéré comme travailleur au sens de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.

 

 

[73]           Cette même analyse a été maintenue dans d’autres décisions rendues par la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles[7] ainsi que dans plusieurs décisions de la Commission des lésions professionnelles[8].

[74]           Le tribunal partage cette interprétation car elle est conforme au texte de loi. L’article 13 de la loi constitue une exception à la règle générale, de telle sorte qu’elle doit recevoir une interprétation restrictive. Ainsi, il appartenait à monsieur Biard et madame Ferguson de rencontrer toutes les conditions énoncées dans cette disposition afin de se voir reconnaître le statut de travailleur.

[75]           Or, l’Association a produit une déclaration incomplète à la CSST. Elle n’a pas indiqué les activités qui seraient effectuées par ses travailleurs bénévoles. Conclure qu’elle a voulu protéger tous ses membres, peu importe les activités exercées, déborde du sens de cet article et du but premier de la loi.

[76]           Monsieur Biard et madame Ferguson ne peuvent donc être considérés comme étant des travailleurs bénévoles au sens de la loi.

[77]           Dans les circonstances, malgré toute la sympathie que le tribunal éprouve à l’égard des représentants de la succession, la Commission des lésions professionnelles ne peut conclure que, le 30 juin 2007, monsieur Dennis Abner Biard et madame Linda Ferguson étaient des travailleurs au sens de la loi, de sorte qu’aucune indemnité de décès ne peut être versée aux ayants droits de la succession de monsieur Biard. De même, aucune indemnité pour lésion professionnelle ne peut être versée à madame Ferguson.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

345034-01B-0804

REJETTE la requête déposée par la succession de monsieur Dennis Abner Biard;

CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 17 mars 2008, à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que monsieur Dennis Abner Biard n’était pas un travailleur ni ne pouvait être considéré comme un travailleur bénévole au sens de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles le 30 juin 2007, et que sa succession ne peut donc bénéficier des indemnités de décès prévues par la loi relativement à la lésion subie à cette date. 

345194-01B-0804

REJETTE la requête de madame Linda Ferguson, la requérante;

CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 17 mars 2008, à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que la requérante n’était pas une travailleuse ni ne pouvait être considérée comme une travailleuse bénévole au sens de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles le 30 juin 2007, et elle ne peut donc bénéficier des prestations prévues par elle relativement à la lésion subie à cette date.

 

__________________________________

 

Normand Michaud

 

 

Me Denis Paradis

Représentant des parties requérantes

 

Me François Bouchard

LANGLOIS KRONSTRÔM DESJARDINS

Représentant de la Ville de Gaspé

 

Me Anne Vézina

PANNETON LESSARD

Représentante de la partie intervenante

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001

[2]           Bombardier inc. et Côté, C.A.L.P. 35904-60-9201, 17 novembre 1993, M. Lamarre, (J5-24-01); Succession Richard Watkins et Ascenseur Provincial 2000, C.L.P. 82849-62-9609, 22 mars 1999, T. Giroux.

[3]          51232-64-9305, 95-01-17, B. Lemay.

 

[4]           Lussier et Cité de Dorval, C.L.P. 116159-71-9904, 5 octobre 1999, A. Vaillancourt; Barr et Pompiers-Autorité centrale, C.L.P. 214516-62-0308, 6 décembre 2006, S. Mathieu; Paradis et Ville de Saint-Jérôme, C.L.P. 293140-64-0606, 21 mai 2008. R. Daniel.

[5]           Bell Canada et Paquette,  C.A.L.P. 54858-62-9212, 4 janvier 1996, M. Billard; Alexis et Commission scolaire de Montréal, C.L.P. 315426-62-0704, 27 décembre 2007, L. Vallières; Verreault et Home Dépôt, C.L.P. 321551-31-0706, 8 février 2008, S. Sénéchal;

[6]           Boulay et Maison de la famille de Lotbinière, C.A.L.P. 35174-03-9201, 27 mars 1992, G. Godin.

[7]          CSST et Girard, [1994] C.A.L.P. 1083 ; Renaud et Centre agricole du nord, [1994] C.A.L.P. 1206

[8]           Tardif-Bernier et Ville de Montréal, C.L.P. 270838-71-0509, 30 janvier 2008, S. Séguin; Mega et Commission de la construction du Québec, C.L.P. 330110-71-0710, 27 mai 2008, F. Juteau; Coutu et Soutien à l’imputation (CSST), C.L.P. 332933-61-0711, 3 septembre 2008, D. Martin.

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