Décision

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Compagnie A

2010 QCCLP 2588

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Saint-Jérôme

31 mars 2010

 

Région :

Laurentides

 

Dossier :

386422-64-0908

 

Dossier CSST :

127312114

 

Commissaire :

Isabelle Piché, juge administrative

 

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[Compagnie A]

 

Partie requérante

 

 

 

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DÉCISION

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[1]                Le 17 août 2009, [la Compagnie A] (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 7 juillet 2009, à la suite d’une révision administrative.

[2]                Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 31 mars 2009 et déclare que l’employeur doit être imputé de la totalité du coût des prestations dues en raison de la lésion professionnelle subie par monsieur M... S... (le travailleur) le 14 février 2005.

[3]                L’employeur a renoncé à la tenue d’une audience et a plutôt soumis ses représentations par écrit. Il a demandé par conséquent que la Commission des lésions professionnelles procède sur analyse de dossier.

 

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]                L’employeur demande au tribunal de déclarer qu’il doit se voir accorder un partage d’imputation relativement au coût des prestations reliées à la lésion professionnelle du travailleur du 14 février 2005, le tout en application de l’article 329 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).

 

LES FAITS

[5]                Le travailleur occupe le poste de chauffeur pour le compte de l’employeur lorsqu’il est victime d’un accident du travail à sa première journée de travail, soit le 14 février 2005. Il est alors âgé de 26 ans.

[6]                La description de l’événement rapportée par le travailleur est la suivante :

Je roulais sur la route 117 Direction Nord. À la suite d’une courbe le véicule a dérappé et j’ai frappé le garde de boue et une calvette et le poids du voyage m’as fait basculé sur le côté dans le faussé. [sic]

 

 

[7]                Il est conduit à l’urgence le jour même et on lui diagnostique des contusions multiples, de même qu’une commotion cérébrale. Un traitement conservateur est par la suite amorcé.

[8]                Le 9 mai 2005, le travailleur se rend au cabinet du neurochirurgien Ladouceur à la demande de son employeur à des fins d’expertise.

[9]                À la section Discussion de son rapport, ce médecin écrit que d’un point de vue musculosquelettique, ce patient présente un examen tout à fait disproportionné par rapport au traumatisme et au bilan paraclinique. Il souligne qu’aucun mouvement n’est possible au niveau du rachis, mais qu’il n’existe aucun spasme musculaire. Il n’y a également aucune évidence à l’examen neurologique d’une radiculopathie ou myélopathie quelconque.

[10]           Il retient en conséquence un diagnostic d’entorse cervicale post-traumatique sans évidence de commotion cérébrale et consolide celle-ci au jour de l’examen. Il suggère cependant une évaluation psychosomatique.

[11]           Au cours du suivi médical qui suit, il est tour à tour question d’entorse cervicale, d’entorse lombaire, de hernie discale cervicale, de trouble d’anxiété post-traumatique avec difficulté d’adaptation, de douleurs psychosomatiques. À cet égard, le médecin ayant charge du travailleur, le docteur Paquette, prescrit non seulement des soins d’ordre physique, mais aussi une psychothérapie et la prise d’antidépresseurs.

[12]           Le 14 juillet 2005, le docteur Pierre Bourgeau, neurologue et membre du Bureau d’évaluation médicale (BEM), signe un avis relativement aux sujets un à cinq énumérés à l’article 212 de la loi.

[13]           À l’issue de l’examen physique, cet évaluateur confirme l’absence de tout déficit objectivable d’ordre neurologique. Quant à l’examen rachidien, il souligne que l’ensemble des discordances et paradoxes noté ne permet aucunement de retenir comme crédible les limitations de mobilité observées chez ce requérant, tant aux niveaux cervical que dorsolombaire.

[14]           En conclusion, le docteur Bourgeau retient donc un traumatisme crânien mineur sans commotion cérébrale, une entorse cervicale et une entorse lombaire. Il consolide l’ensemble de ces lésions en date du 9 mai 2005 puisqu’il est d’avis que la condition présentée n’est aucunement de nature organique, mais est plutôt d’ordre fonctionnel et psychogénique. Il ne recommande aucun autre traitement mis à part une évaluation en psychiatrie. Finalement, il ne détermine pas non plus de séquelles permanentes.

[15]           La décision faisant suite à cet avis, bien que contestée par le travailleur, est confirmée ultérieurement par la Commission des lésions professionnelles[2].

[16]           À la suite de cette évaluation, le docteur Paquette maintient le travail en incapacité en raison d’un tableau de douleurs chroniques. Il mentionne par ailleurs à maintes reprises, sur les rapports produits à la CSST, l’existence d’une composante psychosomatique.

[17]           Le 21 novembre 2005, deux psychologues cliniciennes produisent un rapport consécutivement à une évaluation conjointe du travailleur. Ces dernières mentionnent qu’une analyse détaillée leur a permis de conclure que les réactions du travailleur suite à l’accident du travail sont à l’évidence exacerbées de manière significative par la personnalité schizotypique et par le rendement intellectuel de ce dernier.

[18]           De façon plus spécifique, les impressions diagnostiques sont les suivantes :

·        Axe I :             trouble douloureux associé à des facteurs psychologiques; trouble                anxieux

·        Axe II :            trouble de la personnalité du groupe A avec importants traits de la                            personnalité schizotypique

·        Axe III :           aucun selon notre lecture du dossier médical

·        Axe IV :          Facteurs déclenchants : accident de travail

·        Facteurs perpétuants : Interprétation dramatique et étrange de l’événement sans compréhension des conséquences émotives que cette situation a eu pour lui (il n’est pas en contact avec son sentiment de culpabilité envers l’employeur et évite non seulement ce dernier, mais plusieurs autres personnes qui pourraient le questionner à propos de son état); pensées étranges en ce qui concerne l’accident et ses effets sur son corps; interprétation bizarre de sentiments de reviviscence (je me sens partir) en évitant le contenu de ses pensées ou l’interprétation de ses sentiments de sorte que l’anxiété n’est jamais dissipée.

·        Facteurs exacerbants : Fonctionnement intellectuel limite; absence de soutien social sauf pour sa copine qui agit probablement comme élément renforcissant pour les éléments non fonctionnels du tableau

·        Axe V :           É.G.F.=65, ce qui correspond à la définition suivante :

·        61-70 « Quelques symptômes légers (p.ex. humeur dépressive et insomnie légère) ou une certaine difficulté dans le fonctionnement social, professionnel ou scolaire (par exemple école buissonnière épisodique ou vol en famille), mais fonctionne assez bien de façon générale et entretient plusieurs relations interpersonnelles positives. »

[19]           Au terme du rapport, une description détaillée de la personnalité schizotypique est rapportée. Il est notamment inscrit que les croyances fondamentales du schizotypique s’orientent autour d’un point majeur : « l’important est-ce que je sens et que je ne vois pas ». Ainsi, monsieur S... croit que son corps a été brisé, qu’il est défait à l’intérieur et garde l’impression vague et mal définie que l’événement va se reproduire.

[20]           On peut lire également à la section portant sur l’analyse du lien de causalité que plusieurs éléments de l’histoire portent à croire que le travailleur éprouvait certaines difficultés d’adaptation avant le fait accidentel. Aussi plusieurs éléments permettent d’affirmer que le fonctionnement caractériel préexistant vient grandement colorer la manière dont la symptomatologie est vécue par monsieur S.... Les évaluatrices sont toutefois incapables d’établir de manière prépondérante un lien de causalité entre l’accident et les séquelles douloureuses et psychologiques dont monsieur se plaint.

[21]           Le 13 mars 2006, la CSST rend une décision en vertu de laquelle elle refuse les diagnostics de stress post-traumatique, de troubles d’anxiété posttrauma avec difficultés d’adaptation et de douleurs psychosomatiques.

[22]           Le 22 mars 2006, la CSST indique dans une autre décision que bien que le travailleur est jugé capable d’exercer son emploi, ce dernier a droit au versement d’une indemnité de remplacement du revenu pour au plus un an en vertu de l’article 48 de la loi puisque son droit de retour au travail est expiré et que l’employeur n’est pas en mesure de le réintégrer.

[23]           Le 11 septembre 2008, l’employeur demande à la CSST de lui accorder un partage d’imputation en vertu de l’article 329 de la loi. Il soumet que monsieur S... était déjà handicapé lorsque s’est manifestée sa lésion professionnelle et que ce handicap a joué un rôle déterminant dans l’apparition de la lésion et dans la durée de la période de consolidation. À titre de handicap, il cible essentiellement la fragilité psychiatrique préexistante du travailleur.

[24]           Le 31 mars 2009, la CSST fait suite à cette demande en la refusant. Elle estime que l’employeur n’a pas démontré que le travailleur présentait un handicap lorsque s’est manifestée sa lésion professionnelle. Cette décision est confirmée en révision administrative.

[25]           Le 12 mars 2010, le représentant de l’employeur produit une argumentation écrite. À titre de condition personnelle préexistante déviante de la norme biomédicale, il cible le trouble de la personnalité du groupe A avec importants traits de personnalité shizotypique.

[26]           Quant à l’influence de ce handicap sur l’évolution de la lésion, il souligne que ce dernier n’a pas contribué à l’apparition de la lésion, ni à la prolongation de la période de consolidation. Par ailleurs, l’analyse de la réclamation pour lésion psychique est lourde de conséquences puisqu’elle entraîne l’application de l’article 48 de la loi.

[27]           Conséquemment, il estime raisonnable de ne pas imputer à l’employeur les coûts de la lésion reliés au versement de l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 23 mars 2006.

 

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[28]        La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si l’employeur a droit ou non au partage d’imputation demandé en vertu de l’article 329 de la loi. Cet article énonce ce qui suit :

329.  Dans le cas d'un travailleur déjà handicapé lorsque se manifeste sa lésion professionnelle, la Commission peut, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer tout ou partie du coût des prestations aux employeurs de toutes les unités.

 

L'employeur qui présente une demande en vertu du premier alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien avant l'expiration de la troisième année qui suit l'année de la lésion professionnelle.

__________

1985, c. 6, a. 329; 1996, c. 70, a. 35.

 

 

[29]        Le tribunal constate dans un premier temps que la demande de l’employeur a été déposée avant l’expiration de la troisième année qui suit l’année de la lésion professionnelle, et ce, conformément à la procédure établie à l’article 329 de la loi. Il est donc possible d’analyser la demande à son mérite.

[30]        Pour bénéficier de l’application de cette disposition législative, l’employeur doit par ailleurs démontrer que le travailleur était déjà handicapé lorsque la lésion professionnelle s’est manifestée.

[31]        Or, la loi ne définit pas ce qu’est un travailleur déjà handicapé. La jurisprudence actuelle de la Commission des lésions professionnelles adopte toutefois la définition de cette expression retrouvée dans l’affaire Municipalité Petite-Rivière-St-François et C.S.S.T.[3] :

La Commission des lésions professionnelles considère qu’un travailleur déjà handicapé au sens de l’article 329 de la loi est celui qui présente une déficience physique ou psychique qui a entraîné des effets sur la production de la lésion professionnelle ou sur les conséquences de cette lésion.

 

 

[32]        En vertu de cette définition, l’employeur doit donc établir, par une preuve prépondérante, les deux éléments qui suivent :

           1)        que le travailleur présentait une déficience physique ou psychique avant la              survenance de sa lésion professionnelle; et

           2)        que cette déficience a entraîné des effets sur la production de la lésion                               professionnelle ou sur ses conséquences.

[33]        Quant à la notion de déficience, la jurisprudence[4] enseigne qu’il s’agit d’une perte de substance ou d’une altération d’une structure ou d’une fonction psychologique, physiologique ou anatomique qui correspond à une déviation par rapport à une norme biomédicale. Elle peut être congénitale ou acquise et peut exister à l’état latent, sans s’être manifestée avant la survenance de la lésion professionnelle.

[34]        Pour ce qui est des effets de cette déficience, il y a lieu de se référer aux critères développés dans l’affaire Centre hospitalier de Jonquière et CSST[5] :

·         La nature et la gravité du fait accidentel;

·         le diagnostic de la lésion professionnelle;

·         l’évolution des diagnostics et la condition du travailleur;

·         la durée de la période de consolidation de la lésion professionnelle;

·         la nature des soins ou des traitements prescrits;

·         la compatibilité entre le plan de traitement prescrit et le diagnostic de la lésion professionnelle;

·         l’existence ou non de séquelles découlant de la lésion professionnelle;

·         l’âge du travailleur;

·         les opinions médicales.

 

 

[35]        Il faut noter cependant qu’aucun de ces critères n’est à lui seul déterminant, mais pris ensemble, ils permettent de se prononcer sur le bien-fondé de la demande de l’employeur[6].

[36]           En l’instance, le tribunal considère que la condition de trouble de la personnalité du groupe A avec importants traits de la personnalité schizotypique constitue à l’évidence une altération de la fonction psychologique.

[37]           De plus, bien qu’il n’existe aucune preuve précise dans le présent dossier sur la question de la norme biomédicale, la Commission des lésions professionnelles estime qu’il va de soi qu’une telle pathologie psychologique est déviante de la norme biomédicale, ne serait-ce que par l’utilisation du vocable de trouble de la personnalité.

[38]           Également, il est manifeste que les nombreux exemples de comportements étranges et inadéquats en lien avec la personnalité schyzotypique rapportés ne reflètent pas la psyché moyenne de l’homme de la rue.

[39]           Quant à l’antériorité de cette condition, le tribunal retient de la preuve administrée la conclusion établie par les psychologues cliniciennes que plusieurs éléments de l’histoire portent à croire que le travailleur éprouvait certaines difficultés d’adaptation avant le fait accidentel. Dans le même ordre d’idées, celles-ci emploient également les termes de fonctionnement caractériel préexistant.

[40]           La soussignée considère ainsi détenir une preuve prépondérante de déficience psychique antérieure à la lésion professionnelle.

[41]           Concernant les effets de cette déficience sur la lésion professionnelle, le tribunal adhère à l’affirmation du procureur de l’employeur voulant que celle-ci ne soit nullement en cause en ce qui a trait à la survenance de l’accident de la route ou à la période de consolidation de la lésion.

[42]           Par ailleurs, il appert qu’à compter de mai 2005, il existe un consensus médical sur l’importance de la composante psychosomatique en cause. En effet, l’ensemble des médecins semble convenir de la résolution des problématiques physiques, mais de la persistance d’une symptomatologie douloureuse ne pouvant que s’expliquer par une condition psychologique.

[43]           Au rapport psychologique du travailleur, il est à cet égard fait mention que plusieurs éléments permettent d’affirmer que le fonctionnement caractériel préexistant vient grandement colorer la manière dont la symptomatologie est vécue par monsieur S....

[44]           Ainsi, il s’avère que toutes les démarches thérapeutiques et administratives entreprises après cette date sont clairement imputables à la stricte condition psychologique du travailleur. Conséquemment, n’eût été de cette condition, une décision de capacité à exercer son emploi prélésionnel aurait pu être rendue en juillet 2005, la période de droit de retour au travail n’aurait pas été expirée et il n’y aurait pas eu versement d’une année supplémentaire d’indemnités.

[45]           Dans ce contexte, la Commission des lésions professionnelles considère équitable, comme le suggère le procureur de l’employeur, d’imputer à l’ensemble des employeurs 100 % du coût des prestations reliées au versement de l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 23 mars 2006.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête de [la Compagnie A], l’employeur;

INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 7 juillet 2009;

DÉCLARE que l’employeur doit assumer 0 % du coût des prestations reliées au versement de l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 23 mars 2006 en raison de la lésion professionnelle subie par monsieur M... S... le 14 février 2005 et que 100 % doit être imputé aux employeurs de toutes les unités.

 

 

 

 

Isabelle Piché

 

 

Me Sylvain Pelletier

Groupe AST inc.

Représentant de la partie requérante

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001.

[2]           C.L.P. 277421-64-0509, 18 septembre 2006, F. Poupart.

[3]           [1999] C.L.P. 779 .

[4]           Précitée, note 2.

[5]           C.L.P. 105971-02-9810, 13 janvier 2000, C. Racine.

[6]           Hôpital général de Montréal, [1999] C.L.P. 891 .

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