Dionne |
2011 QCCLP 3008 |
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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES |
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Sherbrooke |
28 avril 2011 |
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Région : |
Estrie |
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Dossier CSST : |
113017172 |
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Commissaire : |
Micheline Allard, juge administratif |
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Membres : |
Céline Dugré, associations d’employeurs |
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Marie-Josée Caron, associations syndicales |
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François Dionne[1] |
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Partie requérante |
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[1] Le 2 décembre 2010, monsieur François Dionne (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 26 novembre 2010 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 30 juillet 2010 et déclare que le travailleur n’a pas droit à une mesure d’adaptation de son domicile consistant au remplacement du bain.
[3] L’audience s’est tenue le 4 avril 2011 à Sherbrooke en présence du travailleur.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande de reconnaître qu’il a droit à une mesure d’adaptation de son domicile, à savoir le changement du bain.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis que la requête du travailleur doit être rejetée. Il considère que le travailleur n’a pas droit au remplacement de son bain puisque les limitations fonctionnelles résultant de sa lésion professionnelle ne l’empêchent pas d’y avoir accès.
[6] De son côté, le membre issu des associations syndicales est d’avis que la requête du travailleur doit être accueillie. Il estime que le travailleur a droit au remplacement de son bain actuel puisque cette adaptation de son domicile est nécessaire et appropriée pour lui permettre d’avoir accès, de façon autonome, à un bain avec des mesures standards. Ce membre est d’avis que la CSST doit aussi assumer le coût d’un mécanisme de jets d’eau et d’air procurant des massages si le bain actuel du travailleur est pourvu de cette option.
LA PREUVE
[7] Le 4 juillet 1997, le travailleur, alors âgé de 38 ans, est victime d’un accident du travail en exerçant son emploi de chauffeur de camion. Le 18 février 2000, il est victime d’une récidive, rechute ou aggravation. Les diagnostics reconnus à titre de lésions professionnelles sont une hernie discale L4-L5, une sténose spinale L4-L5 et L5-S1, une humeur dépressive et une dépression. Le travailleur est traité par deux chirurgies, en l’occurrence une discoïdectomie L4-L5 et une laminectomie L4-L5-S1.
[8] Il demeure porteur de séquelles permanentes évaluées en mai 2002. Son atteinte permanente à l’intégrité physique est de 29,25 % et ses limitations fonctionnelles sont les suivantes :
[…]
Ne pas manipuler de charge supérieure à 15 kg
Éviter d’exercer des flexions, extensions ou rotations répétées du rachis lombaire
Éviter le travail en position agenouillé, accroupi [sic]
Éviter les échelles ou d’avoir à travailler avec les bras au-dessus du niveau des épaules
Éviter de monter ou descendre de façon répétitive les escaliers ou les échelles
Éviter de circuler en véhicule motorisé et sur des surfaces irrégulières
[9] Après mai 2002, le travailleur continue d’être suivi régulièrement par le Dr Bruno Petit à la Clinique de la douleur de l’hôpital Maisonneuve-Rosemont pour un « failed back syndrome » et une lombosciatalgie chronique. Il reçoit des blocs facettaires et des infiltrations foraminales lombaires et sacro-iliaques aux quatre à six semaines. À partir de 2007, le suivi est également assuré par le Dr Laframboise, omnipraticien et médecin de famille du travailleur.
[10] Le suivi médical et les traitements prescrits par le Dr Petit étaient toujours en cours au moment de l’audience tenue le 4 avril 2011.
[11] Il est à noter qu’en novembre 1997, la CSST a reconnu au travailleur le droit à la réadaptation parce qu’il répondait aux conditions d’ouverture prescrites à l’article 145 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[2] (la loi) se lisant ainsi :
145. Le travailleur qui, en raison de la lésion professionnelle dont il a été victime, subit une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique a droit, dans la mesure prévue par le présent chapitre, à la réadaptation que requiert son état en vue de sa réinsertion sociale et professionnelle.
__________
1985, c. 6, a. 145.
[12] La CSST a octroyé au travailleur diverses mesures de réadaptation physique.
[13] Sur le plan de la réadaptation professionnelle, la CSST a décidé, en juillet 2002, que le travailleur était incapable d’exercer un quelconque emploi sur le marché du travail.
[14] Au niveau de la réadaptation sociale, la CSST assume le coût de travaux d’entretien courant du domicile du travailleur, notamment la tonte du gazon et le déneigement, en vertu de l’article 165 de la loi puisqu’il est porteur d’une atteinte permanente grave à son intégrité physique en raison de sa lésion professionnelle.
[15] Le 26 mars 2010, le Dr Petit demande une évaluation en ergothérapie pour l’adaptation de la salle de bain du domicile du travailleur en fonction de ses douleurs.
[16] Le 20 mai 2010, madame Nancy Walsh, ergothérapeute, procède à l’évaluation demandée à la maison unifamiliale dont le travailleur et sa conjointe sont propriétaires.
[17] Dans son rapport, elle indique que la salle de bain comporte une baignoire encastrée de type podium. La forme de la baignoire et la hauteur du rebord sont non standards. Il y a aussi une douche en coin dont les portes ouvrent vers l’intérieur avec un banc et une douche téléphone installée sur une tige coulissante.
[18] Madame Walsh note que le travailleur peut entrer et sortir seul de la douche. Par contre, il ne peut entrer ni sortir seul de son bain ni s’asseoir/se relever seul du bain.
[19] Sous la rubrique Aspect physique du travailleur, madame Walsh écrit :
[…] Monsieur rapporte ressentir des douleurs au dos en tout temps. L’intensité des douleurs varie en fonction des activités faites, des positions adoptées mais plus particulièrement selon le temps passé depuis la dernière séance d’infiltrations. Monsieur rapporte que le fait de prendre des bains en eau chaude aide à diminuer les douleurs et ainsi être plus fonctionnel par la suite. Monsieur rapporte aussi avoir des spasmes au dos qu’il décrit comme des coups de poignard. Ces spasmes se manifestent à divers moments tant au repos qu’en activité.
[20] Madame Walsh fait la recommandation suivante pour la gestion de la douleur chronique :
Monsieur pourra prendre un bain en eau chaude afin de diminuer des douleurs. Recommandation donnée que monsieur puisse prendre des bains en trempant dans l’eau. Pour ce faire, il est nécessaire de changer la baignoire pour un modèle pouvant être mis le long du mur, permettant ensuite la mise en place et l’utilisation d’un siège de bain hydraulique pivotant. L’utilisation d’un tel siège n’est pas possible actuellement, vu la forme de la baignoire actuelle et le manque d’espace de dégagement pour installer un tel siège. Monsieur dit être en accord. […]
[21] Dans la recommandation qu’elle adresse à la CSST, madame Walsh précise que la prise de bain quotidien aide le travailleur à mieux gérer les douleurs et lui permet ensuite de mieux fonctionner dans les activités de la vie quotidienne et d’avoir ainsi un degré d’autonomie plus élevé.
[22] Au réviseur administratif de la CSST, le travailleur mentionne qu’il n’a pas besoin d’une chaise hydraulique pivotante donnant accès au bain. Il demande que son bain actuel non standard soit remplacé par un bain auquel il peut avoir accès de manière autonome.
[23] La CSST reconnaît, à juste titre, que la demande du travailleur est visée par les articles 152 et 153 de la loi qui traitent de l’adaptation du domicile, à titre de mesure de réadaptation sociale. Ces articles énoncent :
152. Un programme de réadaptation sociale peut comprendre notamment :
1° des services professionnels d'intervention psychosociale;
2° la mise en oeuvre de moyens pour procurer au travailleur un domicile et un véhicule adaptés à sa capacité résiduelle;
3° le paiement de frais d'aide personnelle à domicile;
4° le remboursement de frais de garde d'enfants;
5° le remboursement du coût des travaux d'entretien courant du domicile.
__________
1985, c. 6, a. 152.
153. L'adaptation du domicile d'un travailleur peut être faite si :
1° le travailleur a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique;
2° cette adaptation est nécessaire et constitue la solution appropriée pour permettre au travailleur d'entrer et de sortir de façon autonome de son domicile et d'avoir accès, de façon autonome, aux biens et commodités de son domicile; et
3° le travailleur s'engage à y demeurer au moins trois ans.
Lorsque le travailleur est locataire, il doit fournir à la Commission copie d'un bail d'une durée minimale de trois ans.
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1985, c. 6, a. 153.
[24] La CSST refuse la demande du travailleur au motif qu’il est autonome pour prendre soin de lui-même sur le plan de son hygiène personnelle puisqu’il est capable de prendre sa douche seul.
[25] La Commission des lésions professionnelles considère pour sa part que le travailleur a droit au remplacement du bain de son domicile.
[26] Devant la Commission des lésions professionnelles, le travailleur précise que le bain était déjà en place lorsqu’il a acheté sa maison. Le rebord du bain a une largeur de 12 pouces et une hauteur de 23 pouces à partir du sol, sans marches pour y accéder vu le manque d’espace pour en installer. Aussi, aucune barre d’appui ni poignée de métal ne peut être installée au niveau du bain. Le travailleur témoigne ne pouvoir entrer ni sortir du bain de son domicile, sans l’aide de sa conjointe, compte tenu de ses lombosciatalgies chroniques conjugées aux particularités du bain.
[27] Le témoignage du travailleur sur son incapacité à accéder seul au bain actuel est corroboré par le rapport de l’ergothérapeute qui a évalué ses besoins à domicile.
[28] Avec égard pour l’opinion contraire, la Commission des lésions professionnelles estime qu’un travailleur victime d’une lésion professionnelle a droit à l’utilisation d’un bain si cela s’avère possible avec une adaptation de son domicile. Le tribunal considère non justifié de limiter une victime de lésion professionnelle à la seule utilisation d’une douche sans qu’il ne lui soit possible de prendre un bain à son domicile.
[29] Dans le présent dossier, l’accès à un bain s’avère en outre bénéfique pour le travailleur puisque des bains chauds l’aident à gérer ses douleurs et à mieux fonctionner au quotidien.
[30] L’installation d’un nouveau bain avec des mesures standards auquel le travailleur pourra accéder sans l’aide de sa conjointe aura pour effet de le rendre autonome dans l’accomplissement de cette activité, mais aussi dans l’ensemble des activités de la vie quotidienne et domestique en raison des bénéfices que lui apportent des bains chauds.
[31] Le travailleur a mentionné à la Commission des lésions professionnelles qu’il désirait obtenir de la CSST le paiement d’un bain standard, c’est-à-dire avec un rebord d’une hauteur de 19 pouces et d’une largeur de 2.5 pouces muni de deux barres de force pour en sortir. Il désire aussi que le bain comporte un mécanisme de jets d’eau et d’air pour effectuer des massages.
[32] Le travailleur a déposé une lettre du 7 octobre 2010 de son médecin, le Dr Laframboise, qui s’exprime ainsi :
Monsieur souffre d’une lombalgie de type « failed back » et est suivi depuis plusieurs années à la Clinique des douleurs au centre hospitalier Maisonneuve-Rosemont de Montréal. Comme vous le savez, il est déclaré invalide avec limitations fonctionnelles.
Actuellement, le bain aménagé à son domicile s’avère inapproprié pour ses limitations fonctionnelles. Le patient m’explique qu’il est impossible de faire des adaptations nécessaires pour son usage. Après discussion avec ce dernier, je recommande qu’il puisse bénéficier d’un bain adapté à sa condition.
[33] En somme, le Dr Laframboise, à l’instar de l’ergothérapeute, recommande que le bain actuel qui est inapproprié à la condition du travailleur soit remplacé par un bain auquel ce dernier puisse avoir accès seul.
[34] Le Dr Laframboise et l’ergothérapeute ne recommandent pas l’installation d’un mécanisme de jets d’eau ou d’air pouvant procurer des massages. Dans les circonstances, la Commission des lésions professionnelles considère que le travailleur a droit au remplacement de son bain actuel par un bain standard auquel il pourra accéder seul. Ce bain devra être muni de barres fixes afin que le travailleur puisse en sortir seul. Il n’a toutefois pas droit au coût associé à une option de jets d’eau et d’air pour des massages.
[35] La CSST devra assumer les coûts reliés à l’adaptation du domicile du travailleur consistant en l’installation du nouveau bain.
[36] Cette adaptation est nécessaire et appropriée pour permettre au travailleur d’avoir accès, de façon autonome, à un bain à son domicile.
[37] Finalement, pour que la CSST assume le coût des travaux d’adaptation du domicile reliés à l’installation d’un nouveau bain, le travailleur devra lui fournir deux estimations conformes à l’article 156 de la loi se lisant ainsi :
156. La Commission ne peut assumer le coût des travaux d'adaptation du domicile ou du véhicule principal du travailleur visé dans l'article 153 ou 155 que si celui-ci lui fournit au moins deux estimations détaillées des travaux à exécuter, faites par des entrepreneurs spécialisés et dont la teneur est conforme à ce qu'elle exige, et lui remet copies des autorisations et permis requis pour l'exécution de ces travaux.
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1985, c. 6, a. 156.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête du travailleur, monsieur François Dionne;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 26 novembre 2010 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le travailleur a droit à une mesure d’adaptation de son domicile consistant au remplacement de son bain actuel par un bain standard auquel il puisse avoir accès de façon autonome.
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Micheline Allard |
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Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.