Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier
Gabarit de jugement pour la cour d'appel

Cegerco inc. c. Équipements JVC inc.

2018 QCCA 28

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

QUÉBEC

N° :

200-09-009143-154     200-09-009144-152

(170-17-000002-100)  

 

DATE :

12 JANVIER 2018

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

JEAN BOUCHARD, J.C.A.

SIMON RUEL, J.C.A.

JOCELYN F. RANCOURT, J.C.A.

 

 

N: 200-09-009143-154

 

CEGERCO INC.

APPELANTE - Demanderesse

c.

 

LES ÉQUIPEMENTS J.V.C. INC.

INTIMÉE - Défenderesse / Demanderesse en garantie

et

AXA ASSURANCES INC.

INTIMÉE - Défenderesse

et

SOCIÉTÉ D’ÉNERGIE DE LA BAIE JAMES

INTIMÉE - Défenderesse en garantie

 

 

 

No: 200-09-009144-152

 

LES ÉQUIPEMENTS J.V.C. INC

APPELANTE - Défenderesse / Demanderesse en garantie

et

AXA ASSURANCES INC.

APPELANTE - Défenderesse

c.

 

SOCIÉTÉ D’ÉNERGIE DE LA BAIE JAMES

INTIMÉE - Défenderesse en garantie

et

CEGERCO INC.

INTIMÉE - Demanderesse

 

 

ARRĂŠT

 

[1]           L’appelante se pourvoit contre un jugement rendu le 13 octobre 2015 par la Cour supĂ©rieure, district d’Abitibi (l’honorable Pierre C. Bellavance), qui rejette sa requĂŞte introductive d’instance ainsi que celle en garantie formulĂ©e par l’intimĂ©e[1]. 

[2]           Pour les motifs du juge Ruel, auxquels souscrivent les juges Bouchard et Rancourt, LA COUR :

[3]           REJETTE l’appel avec frais de justice.

 

 

 

 

JEAN BOUCHARD, J.C.A.

 

 

 

 

 

SIMON RUEL, J.C.A.

 

 

 

 

 

JOCELYN F. RANCOURT, J.C.A.

 

Me Jean-François Poirier

Me Richard Bergeron

Cain Lamarre Casgrain Wells

Pour Cegerco inc.

 

Me Damien Larouche

Larouche & Girard

Pour les Équipements J.V.C. inc. et

Axa assurances inc.

 

Me André O. Ouellet

Cellucci Ganesan

Pour Société d’énergie de la Baie James

 

Date d’audience :

5 décembre 2017


 

 

MOTIFS DU JUGE RUEL

 

 

L’aperçu

[4]           L’appelante Cegerco inc. (« Cegerco Â»), une entreprise Ĺ“uvrant dans le domaine de la construction, se pourvoit contre un jugement de la Cour supĂ©rieure, district de d’Abitibi (l’honorable Pierre C. Bellavance) qui rejette sa rĂ©clamation.

[5]           Ă€ la suite de l’obtention d’un contrat de sous-traitance avec l’intimĂ©e, Les Équipements J.V.C. inc. (« JVC Â»), Cegerco est chargĂ©e du coffrage et du bĂ©tonnage d’un seuil de bĂ©ton armĂ© Ă  l’exutoire du lac Sakami sur le territoire de la Baie-James.

[6]           Elle allègue que des retards attribuables au donneur d’ouvrage, la SociĂ©tĂ© d’énergie de la Baie James (« SEBJ Â»), l’ont empĂŞchĂ©e de dĂ©buter ses travaux dans les temps prĂ©vus. En outre, elle aurait fait face Ă  des conditions de sol non prĂ©vues aux documents d’appel d’offres, lui occasionnant des coĂ»ts additionnels. Elle rĂ©clame de l’entrepreneur gĂ©nĂ©ral JVC la somme de 1 472 120,00 $ pour le paiement d’extras et des coĂ»ts gĂ©nĂ©rĂ©s par les retards. JVC appelle la SEBJ en garantie.

[7]           Le juge de première instance rejette la rĂ©clamation de Cegerco. Il donne plein effet aux quittances signĂ©es par l’entrepreneur gĂ©nĂ©ral JVC qui omet de rĂ©server son droit d’appeler en garantie la SEJB en cas de poursuite par un sous-traitant. Les quittances sont claires et ne nĂ©cessitent aucune interprĂ©tation, selon le juge.

[8]           Ensuite, le juge dĂ©termine que Cegerco est liĂ©e par la procĂ©dure de rĂ©clamation en cas de diffĂ©rend prĂ©vu aux documents d’appel d’offres. En particulier, la rĂ©clamation dĂ©taillĂ©e doit ĂŞtre dĂ©posĂ©e dans les trois mois de la rĂ©ception provisoire des travaux. Le juge dĂ©termine que Cegerco n’a pas rempli cette obligation dans les dĂ©lais requis.

[9]            De toute manière, le juge aurait donnĂ© tort Ă  Cegerco au fond. En particulier, il estime que la SEBJ a fourni aux soumissionnaires toute l’information leur permettant d’évaluer les conditions de roc et de prĂ©parer leurs soumissions en consĂ©quence.

[10]        Le juge ne commet aucune erreur manifeste et dĂ©terminante. L’appel doit donc ĂŞtre rejetĂ©.

[11]        Il est impĂ©ratif que les procĂ©dures contractuelles de rĂ©clamation en cas de diffĂ©rend soient respectĂ©es afin que le donneur d’ouvrage puisse ĂŞtre informĂ© des problèmes d’exĂ©cution du contrat et dĂ©cider des remèdes appropriĂ©s en temps rĂ©el, tout en assurant le contrĂ´le continu du coĂ»t des travaux.

[12]        Ces procĂ©dures s’appliquaient Ă  l’entrepreneur gĂ©nĂ©ral JVC qui devait colliger toutes les rĂ©clamations. Cegerco, qui a participĂ© Ă  la prĂ©paration de la soumission de l’entrepreneur gĂ©nĂ©ral pour une valeur de 25 % du contrat, ne peut plaider l’ignorance ou encore qu’elle pouvait se soustraire Ă  la procĂ©dure de rĂ©clamation.

[13]        MĂŞme si la preuve permettait une interprĂ©tation diffĂ©rente, le juge pouvait conclure que les quittances donnĂ©es par JVC sont claires et visent les travaux de Cegerco. Ceci fait obstacle au recours de Cegerco puisqu’elle a dĂ©jĂ  rĂ©glĂ© l’ensemble de ses rĂ©clamations visant l’entrepreneur gĂ©nĂ©ral et qu’elle n’allègue aucune faute de sa part en lien avec la signature des quittances.

[14]        De toute manière, comme le souligne le juge, le recours de Cegerco devait Ă©chouer au fond. Les expertises rĂ©alisĂ©es et communiquĂ©es par la SEBJ laissaient prĂ©sager des conditions de roc accidentĂ©. Cegerco ne pouvait s’en dĂ©clarer surprise.

[15]        Les travaux de bĂ©tonnage Ă©taient Ă  forfait sur la base d’un prix unitaire au mètre cube. Toutes les opĂ©rations, incluant la fabrication, la prĂ©paration des surfaces, le coffrage, le bĂ©tonnage et la finition, Ă©taient incluses dans le prix unitaire. Cegerco a Ă©tĂ© rĂ©munĂ©rĂ©e pour le volume additionnel de bĂ©ton de correction requis par les conditions de roc. Elle ne se prĂ©vaut pas du mĂ©canisme d’ajustement du prix unitaire prĂ©vu aux documents d’appel d’offres. Elle ne peut donc faire des rĂ©clamations pour des extras en lien avec des coffrages ou autres travaux additionnels.

[16]        Cegerco complète ses travaux Ă  l’intĂ©rieur des balises temporelles fixĂ©es dès le dĂ©part. Elle ne peut rĂ©clamer de frais de retard.

[17]        Il est possible qu’un soumissionnaire prĂ©sente une offre dont le montant ne reflète pas adĂ©quatement la difficultĂ© des travaux d’un chantier complexe. S’il est possible d’ajuster les prix en cours de route, la procĂ©dure de rĂ©clamation en cas de diffĂ©rend doit ĂŞtre scrupuleusement suivie, ce qui ne fut pas le cas en l’espèce.

Le contexte

Les éléments factuels

[18]        En avril 2008, la SEBJ lance un appel d’offres pour la construction d’un seuil en bĂ©ton armĂ© Ă  l’exutoire du lac Sakami sur le territoire de la Baie-James. Ce seuil a pour but de rĂ©guler la rivière lors des crues au printemps.

[19]        Selon les documents d’appel d’offres, les travaux de bĂ©tonnage du seuil doivent ĂŞtre complĂ©tĂ©s au plus tard le 12 dĂ©cembre 2008.

[20]        Le 2 juin 2008, JVC prĂ©sente la soumission la plus basse conforme et obtient, le 17 juin 2008, le contrat d’entrepreneur gĂ©nĂ©ral pour un montant de 15 163 465,92 $.

[21]        Le 17 juillet 2008, JVC octroie un contrat de sous-traitance Ă  Cegerco pour les opĂ©rations de coffrage, d’armature et de mise en place du bĂ©ton du seuil Sakami, d’une valeur de 3 682 598,28 $ (le « sous-contrat Â»).

[22]        Le 10 octobre 2008, JVC informe la SEBJ que des retards ont ralenti la progression des travaux et que certaines conditions de roc pour le bĂ©tonnage sont diffĂ©rentes de celles anticipĂ©es, notamment la prĂ©sence d’un sillon profond, ayant requis son nettoyage, un coffrage particulier et la mise en place d’armatures d’acier. JVC informe la SEBJ que des frais additionnels seront Ă©ventuellement rĂ©clamĂ©s pour respecter les Ă©chĂ©ances.

[23]        MalgrĂ© tout, les travaux de bĂ©tonnage du seuil Sakami sont livrĂ©s, comme prĂ©vu, le 12 dĂ©cembre 2008.

[24]        Le 24 fĂ©vrier 2009, Ă  la demande de JVC, la SEBJ accepte de reporter la date de rĂ©ception provisoire des travaux de bĂ©tonnage au seuil Sakami du 12 dĂ©cembre 2008 au 22 dĂ©cembre 2008, en raison du processus de sĂ©chage du bĂ©ton. Ceci permet Ă  JVC d’encaisser une prime de 300 000 $ prĂ©vue au contrat.

[25]        En juillet 2009, Cegerco transmet Ă  JVC sa rĂ©clamation de 2 715 745 $ en lien avec les extras pour la construction du seuil Sakami, particulièrement pour des frais encourus relativement aux retards dans la disponibilitĂ© des surfaces Ă  bĂ©tonner et des conditions de roc diffĂ©rentes de celles anticipĂ©es. Cette rĂ©clamation n’est pas communiquĂ©e Ă  la SEBJ.

[26]        En novembre 2009, JVC et Cegerco règlent leurs diffĂ©rends et conviennent que Cegerco modifiera sa rĂ©clamation envers JVC pour ne viser que les griefs contre la SEBJ. Dans ce contexte, JVC et Cegergo se partagent la prime de 300 000 $ pour le respect des Ă©chĂ©ances, mĂŞme si le sous-contrat excluait le versement de pĂ©nalitĂ©s ou le paiement de primes Ă  Cegerco.

[27]        Cegerco transmet alors Ă  JVC une rĂ©clamation rĂ©visĂ©e, datĂ©e du 12 novembre 2009, au montant de 2 179 163 $. Cette rĂ©clamation est transmise par JVC Ă  la SEBJ le ou vers le 30 novembre 2009 (reçue par la SEBJ le 4 dĂ©cembre 2009). Il s’agit de la première rĂ©clamation de Cegerco qui chemine Ă  la SEBJ.

[28]        Le 23 dĂ©cembre 2009, Cegerco dĂ©pose sa requĂŞte introductive d’instance contre JVC, lui rĂ©clamant 2 179 163 $. JVC appelle la SEBJ en garantie le 8 septembre 2010.

[29]        JVC règle de son cĂ´tĂ© ses rĂ©clamations contre la SEBJ par voie d’avenants en juillet 2009 et en aoĂ»t 2010.

[30]        JVC donne quittance complète et finale Ă  la SEBJ pour l’ensemble des travaux du seuil Sakami le 25 novembre 2010. Les deux quittances au dossier règlent l’ensemble des rĂ©clamations contractuelles et extracontractuelles que JVC pourrait avoir contre la SEBJ, dĂ©coulant du contrat pour la construction du seuil Sakami. L’une de ces quittances comporte une rĂ©serve de 661 043 $ pour des retenues au contrat. La quittance ne comporte aucune rĂ©serve pour la rĂ©clamation de Cegerco.

[31]        L’affaire devant la Cour supĂ©rieure ne vise donc que la portion de la rĂ©clamation contre JVC concernant les retards et coĂ»ts supplĂ©mentaires que Cegerco impute Ă  la SEBJ seulement. En effet, comme indiquĂ©, Cegerco règle ses griefs contre JVC directement en novembre 2009.

Le jugement entrepris

[32]        Dans un jugement datĂ© du 13 octobre 2015, la Cour supĂ©rieure (le juge Pierre C. Bellavance) rejette le recours de Cegerco.

[33]        Le juge de première instance souligne que le recours de Cegerco comporte deux volets : (1) les coĂ»ts liĂ©s aux dĂ©lais qui auraient Ă©tĂ© causĂ©s par la SEBJ ayant pour consĂ©quence de retarder le dĂ©marrage du chantier; et (2) les coĂ»ts subis en raison des conditions du roc non prĂ©vues dans les documents d’appel d’offres, ayant requis l’utilisation de techniques de coffrage et d’ancrage plus complexes que prĂ©vu.

[34]        Le juge se penche d’abord sur les quittances signĂ©es par JVC en faveur de la SEBJ. Il souligne que JVC n’a pas rĂ©servĂ© son droit d’appeler la SEBJ en garantie en cas de poursuite contre elle, alors qu’une telle rĂ©serve Ă©tait permise dans les documents d’appel d’offres. Le juge donne alors plein effet Ă  la quittance, estimant que son texte est clair. Il rejette donc l’appel en garantie de la SEBJ pour la rĂ©clamation de Cegerco.

[35]        Cegerco ayant rĂ©glĂ© ses griefs contre JVC, ceci fait Ă©chec Ă  son recours.

[36]        Ensuite, le juge dĂ©termine que Cegerco n’a pas respectĂ© la procĂ©dure en cas de diffĂ©rend prĂ©vu aux clauses gĂ©nĂ©rales de l’appel d’offres, en ne transmettant pas sa rĂ©clamation dĂ©taillĂ©e dans les trois mois de la rĂ©ception provisoire des travaux. Le juge rejette Ă©galement la rĂ©clamation de Cegerco pour ce motif.

[37]        Enfin, malgrĂ© les conclusions prĂ©cĂ©dentes, le juge s’attarde Ă  la demande de Cegerco liĂ©e Ă  la configuration du roc. Le juge remarque que, contrairement aux prĂ©tentions de Cegerco, les expertises sismiques rĂ©alisĂ©es par la SEBJ, incluses dans les documents d’appel d’offres, montrent que le socle rocheux est accidentĂ©, avec une configuration en dents de scie.

[38]        Selon le juge, la SEBJ a fourni au prĂ©alable toute l’information pertinente permettant aux soumissionnaires de se positionner. Cegerco, un entrepreneur d’expĂ©rience, savait ou aurait dĂ» connaĂ®tre ces conditions en prĂ©sentant sa soumission.

[39]        Il est vrai qu’en raison de la configuration du roc, un volume de 1000 m3 de bĂ©ton de correction a dĂ» ĂŞtre coulĂ©, au lieu des 400 m3 initialement prĂ©vus. Cependant, le juge dĂ©termine que le volet du contrat qui concerne le bĂ©tonnage Ă©tait Ă  forfait sur la base d’un prix unitaire, le bĂ©ton Ă©tant payĂ© au mètre cube.

[40]        Toutes les opĂ©rations, incluant la fabrication, le transport, la prĂ©paration des surfaces, le coffrage, le bĂ©tonnage proprement dit et la finition, Ă©taient incluses dans le prix du bĂ©ton au mètre cube, remarque le juge.

[41]        Or, Cegerco a Ă©tĂ© rĂ©munĂ©rĂ©e pour chaque mètre cube additionnel de bĂ©ton de correction.

[42]        Par consĂ©quent, le juge aurait de toute manière rejetĂ© ce volet de la rĂ©clamation.

L’analyse

La norme d’intervention

[43]        Le prĂ©sent pourvoi se bute Ă  l’application de la norme d’intervention en appel. Le jugement du juge de première instance se fonde en totalitĂ© sur l’analyse des faits[2], des documents d’appel d’offres, des autres documents contractuels[3] et des documents prĂ©parĂ©s par les parties au dossier.

[44]        La norme d’intervention dans un dossier factuel comme en l’espèce est celle de l’erreur manifeste et dĂ©terminante. Cette norme est Ă©levĂ©e : « l’erreur doit ĂŞtre Ă©vidente et, une fois identifiĂ©e, c’est l’arbre entier qui doit tomber en raison de cette erreur… une erreur manifeste et dominante tient, non pas de l’aiguille dans une botte de foin, mais de la poutre dans l’œil Â»[4].

[45]        Les parties ne peuvent plaider de nouveau le dossier en appel comme si elles Ă©taient en première instance et espĂ©rer un rĂ©sultat diffĂ©rent.

[46]        Elles doivent « montrer du doigt Â» l’erreur Ă©vidente qui aurait Ă©tĂ© commise par le juge de première instance, ce qui « signifie autre chose qu’inviter la Cour Ă  porter un regard panoramique sur l’ensemble de la preuve Â»[5]. Le plaideur doit montrer un Ă©lĂ©ment dans la preuve qui « fait tout simplement obstacle Ă  la conclusion de fait attaquĂ©e Â»[6].

[47]        Si le plaideur parvient Ă  dĂ©montrer qu’une conclusion est « manifestement fausse Â» en raison de l’erreur  factuelle du juge de première instance, encore faut-il que l’erreur soit dĂ©terminante, c’est-Ă -dire qu’elle « compromet[te] suffisamment le dispositif Â» pour justifier la rĂ©formation du jugement par cette Cour[7].

[48]        Comme nous le verrons, Cegerco propose Ă  cette Cour de rĂ©interprĂ©ter les faits et les documents contractuels versĂ©s au dossier en Cour supĂ©rieure dans le cadre d’un procès de longue durĂ©e. MĂŞme si une interprĂ©tation diffĂ©rente de certains faits Ă©tait possible, ceci n’est pas suffisant pour justifier l’intervention de cette Cour.

[49]        Avant de traiter des reproches particuliers de Cegerco Ă  l’encontre du jugement de première instance, il convient Ă©galement de mentionner ce qui suit.

[50]        En très grande partie, la rĂ©clamation de Cegerco se fonde sur l’iniquitĂ© de traitement Ă  son endroit par la SEBJ en comparaison avec JVC. Cet Ă©lĂ©ment colore l’ensemble de son argumentaire.

[51]        Cegerco indique que « le Tribunal a commis une erreur manifeste et dĂ©terminante en ne considĂ©rant pas Ă  sa valeur probante l’iniquitĂ© manifeste du traitement rĂ©servĂ© Ă  l’appelante au regard de celui rĂ©servĂ© Ă  l’intimĂ©e JVC Â».

[52]        Or, les considĂ©rations qui ont amenĂ© la SEBJ Ă  rĂ©gler avec son entrepreneur gĂ©nĂ©ral, JVC, ne sont pas pertinentes pour trancher les questions soulevĂ©es en ce qui concerne Cegerco. Nous n’avons de toute manière pas accès aux Ă©changes qui ont justifiĂ© le règlement entre JVC et la SEBJ.

Le non-respect de la procédure de réclamation en cas de différend

[53]        Le juge ne commet pas d’erreur manifeste et dĂ©terminante en rejetant le recours de Cegerco sur la base du non-respect de la procĂ©dure de rĂ©clamation en cas de diffĂ©rend.

[54]        Le juge dĂ©termine que Cegerco n’a pas respectĂ© la procĂ©dure prĂ©vue Ă  l’article 19.2(ii) des clauses gĂ©nĂ©rales de l’appel d’offres prĂ©voyant que les rĂ©clamations dĂ©taillĂ©es doivent ĂŞtre remises au maĂ®tre d’ouvrage au maximum trois mois après la rĂ©ception provisoire des travaux.

[55]        Dans un contrat Ă  forfait, comme en l’espèce pour les travaux de bĂ©tonnage, le prix est fixe ou unitaire, mais les parties peuvent prĂ©voir la possibilitĂ© de modifier en cours de chantier les conditions d’exĂ©cution initialement prĂ©vues[8]. Ainsi, le droit d’effectuer des rĂ©clamations pour des travaux imprĂ©vus en cours d’exĂ©cution Ă©mane du contrat, si les parties en conviennent dans une clause explicite[9].

[56]        Les clauses particulières de l’appel d’offres pour le seuil Sakami prĂ©voient que les travaux de bĂ©tonnage sont payables Ă  prix unitaire au mètre cube. Les clauses particulières comportent un mĂ©canisme d’ajustement du prix unitaire si des travaux imprĂ©vus dans les documents d’appel d’offres sont requis.

[57]        L’article 19.2 des clauses gĂ©nĂ©rales de l’appel d’offres comporte un mĂ©canisme de règlement en deux Ă©tapes.

[58]        Premièrement, l’entrepreneur doit formuler une demande Ă©crite de ses griefs en cours de chantier en y exposant ses motifs, au plus tard dans les cinq jours de l’évĂ©nement y donnant lieu. Ce mĂ©canisme permet aux parties de rĂ©gler en temps rĂ©el les enjeux imprĂ©vus en cours de chantier et de renĂ©gocier certains paramètres du contrat, en vue d’assurer son exĂ©cution harmonieuse[10].

[59]        Dans une deuxième Ă©tape, si les parties ne peuvent rĂ©gler leurs diffĂ©rends en cours de chantier, l’entrepreneur doit, dans les trois mois de la rĂ©ception provisoire des travaux,[11] remettre au maĂ®tre d’ouvrage une rĂ©clamation dĂ©taillĂ©e « en y exposant la nature, les effets sur le calendrier d’exĂ©cution, le montant de sa demande et le cas Ă©chĂ©ant, les prĂ©cisions sur ses mĂ©thodes de calcul, en donnant suffisamment de dĂ©tails pour permettre Ă  la SEJB d’en faire une analyse approfondie Â»[12].

[60]        Ce mĂ©canisme comporte des avantages pour l’entrepreneur justifiant l’imposition d’obligations corrĂ©latives : « [p]our profiter des avantages que lui confère la clause de rĂ©vision de prix, l'Entrepreneur s'engage Ă  avertir correctement le PropriĂ©taire du diffĂ©rend qui donnerait lieu Ă  une indemnisation afin de laisser au donneur d'ouvrage l'occasion de revoir la situation imprĂ©vue et, au besoin, de nĂ©gocier les modalitĂ©s de la suite des choses Â»[13].

[61]        Dans ce contexte, la procĂ©dure de rĂ©clamation en cas de diffĂ©rend offre « une protection [au donneur d’ouvrage] Ă  titre de quid pro quo [donnant-donnant] pour avoir offert Ă  son cocontractant la chance de revoir le prix forfaitaire Â»[14].

[62]        Une fois satisfaites ces deux Ă©tapes de la procĂ©dure contractuelle de rĂ©clamation en cas de diffĂ©rend, s’il n’y a pas de règlement, l’entrepreneur verra son droit d’action cristallisĂ© en vue d’un Ă©ventuel recours judiciaire[15].

[63]        Il est impĂ©ratif que les procĂ©dures contractuelles de rĂ©clamation soient respectĂ©es par l’entrepreneur[16] afin que le donneur d’ouvrage puisse ĂŞtre informĂ© des problèmes d’exĂ©cution du contrat et dĂ©cider des remèdes appropriĂ©s en temps rĂ©el, tout en assurant le contrĂ´le continu du coĂ»t des travaux[17].

[64]        Par ailleurs, le donneur d’ouvrage doit pouvoir recevoir l’ensemble des rĂ©clamations de l’entrepreneur gĂ©nĂ©ral et de ses sous-traitants dans les dĂ©lais prescrits, en vue de pouvoir les Ă©valuer globalement, efficacement et de manière ordonnĂ©e[18].

[65]        Ces considĂ©rations sont Ă©videmment fondamentales pour tous les donneurs d’ouvrage, mais particulièrement pour un donneur d’ouvrage public comme la SEJB, filiale d’Hydro-QuĂ©bec, qui a pour mandat de dĂ©velopper les  ressources hydro-Ă©lectriques sur le territoire de la Baie-James[19] dans l’intĂ©rĂŞt public gĂ©nĂ©ral.

[66]        Le non-respect de ces procĂ©dures contractuelles de règlement des diffĂ©rends par l’entrepreneur est donc fatal Ă  toute rĂ©clamation Ă©ventuelle d’un entrepreneur[20].

[67]        Cegerco plaide qu’elle n’est pas spĂ©cifiquement liĂ©e par les clauses gĂ©nĂ©rales de l’appel d’offres, puisque le sous-contrat avec JVC n’y fait pas rĂ©fĂ©rence. Elle plaide par ailleurs que la « rĂ©ception provisoire des travaux Â» signifie la date ultime Ă  laquelle l’ensemble des travaux sont complĂ©tĂ©s.

[68]        Ces prĂ©tentions doivent ĂŞtre rejetĂ©es.

[69]        La rĂ©ception provisoire des travaux de bĂ©tonnage Ă©tait contractuellement fixĂ©e au 12 dĂ©cembre 2008. Ă€ la demande de JVC, la SEBJ accepte de prolonger cette date au 22 dĂ©cembre 2008, ce qui permet Ă  JVC d’encaisser la prime de 300 000 $ prĂ©vue au contrat. Cette prime, faut-il le rappeler, a Ă©tĂ© partagĂ©e avec Cegerco.

[70]        Il ne fait donc aucun doute que la date de rĂ©ception provisoire des travaux de bĂ©tonnage Ă©tait le 22 dĂ©cembre 2008, mĂŞme si certains travaux de finition ont pu ĂŞtre complĂ©tĂ©s par la suite. Le juge ne commet donc aucune erreur sur ce point.

[71]        Quant Ă  la procĂ©dure de rĂ©clamation en cas de diffĂ©rend, elle s’appliquait contractuellement Ă  l’entrepreneur gĂ©nĂ©ral, JVC. JVC devait colliger toutes les rĂ©clamations, c’est-Ă -dire les siennes et celles des sous-traitants, puis les soumettre Ă  la SEBJ dans les trois mois de la rĂ©ception provisoire des travaux.

[72]        La SEBJ reçoit de JVC la rĂ©clamation de Cegerco le 4 dĂ©cembre 2009, presque un an après la rĂ©ception provisoire des travaux. Cegerco et JVC ne portent Ă  l’attention de la Cour aucune information selon laquelle la SEJB aurait consenti Ă  prolonger le dĂ©lai pour la rĂ©ception de la rĂ©clamation dĂ©taillĂ©e.

[73]        La rĂ©clamation dĂ©taillĂ©e de Cegerco a donc Ă©tĂ© transmise hors dĂ©lai, ce qui fait Ă©chec Ă  son recours.

[74]        Cegerco, un entrepreneur d’expĂ©rience, ne peut ignorer les dĂ©lais de rĂ©clamation qui s’appliquent Ă  l’entrepreneur gĂ©nĂ©ral.

[75]        Le sous-traitant est en principe liĂ© par les dĂ©lais stipulĂ©s dans les documents d’appel d’offres s’il a pris connaissance des documents et qu’il est au fait de ses exigences[21].

[76]        En l’espèce, les clauses gĂ©nĂ©rales de l’appel d’offres spĂ©cifient que « [l]’entrepreneur s’engage Ă  assujettir tout contrat de sous-traitance aux dispositions du prĂ©sent contrat Â».

[77]        Le sous-contrat entre JVC et Cegerco prĂ©voit que « [l]e prĂ©sent contrat a pour objet coffrage, armature et mise en place du bĂ©ton … conformĂ©ment Ă  la soumission de l’entrepreneur [JVC] Ă  laquelle a participĂ© le sous-traitant [Cegerco] concernant le projet numĂ©ro 1LR-270-3-02 [Construction d’un seuil Ă  l’exutoire Sakami] et au devis prĂ©parĂ© par la maĂ®tre d’ouvrage [la SEBJ] Â».

[78]        Cegerco participe donc directement Ă  la prĂ©paration de la soumission de JVC pour le seuil Sakami et obtient presque 25 % de la valeur totale du contrat.

[79]        Le sous-contrat fait rĂ©fĂ©rence Ă  la date de rĂ©ception provisoire des travaux de bĂ©tonnage. Cette date est fixĂ©e au 12 dĂ©cembre 2008, selon les clauses particulières de l’appel d’offres.

[80]        Le sous-contrat prĂ©voit que Cegerco doit se conformer aux termes et conditions du devis, inclus dans les documents d’appel d’offres. Le sous-contrat prĂ©voit que les articles 6.1 et 6.2 des clauses particulières de l’appel d’offres, portant sur les primes et les pĂ©nalitĂ©s, ne s’appliquent pas Ă  Cegerco. Donc, les autres clauses s’appliquent.

[81]        Dans ce contexte, Cegerco a nĂ©cessairement pris connaissance des documents de l’appel d’offres, le sous-contrat y fait d’ailleurs rĂ©fĂ©rence.

[82]        Cegerco ne peut donc plaider l’ignorance ou encore qu’elle pouvait se soustraire Ă  la procĂ©dure de rĂ©clamation en cas de diffĂ©rend.

[83]        Finalement sur ce point, Cegerco plaide que la consĂ©quence du non-respect de la procĂ©dure de règlement en cas de diffĂ©rend est le non-versement d’intĂ©rĂŞts.

[84]        Cette interprĂ©tation de l’article 19.2(ii) des clauses gĂ©nĂ©rales de l’appel d’offres ne peut ĂŞtre retenue, puisqu'elle dĂ©naturerait complètement la procĂ©dure de rĂ©clamation, qui vise Ă  assurer un règlement rapide et efficace des rĂ©clamations de construction.

[85]        Aucun intĂ©rĂŞt n’est payable par la SEBJ « si l’entrepreneur n’est pas diligent dans la transmission de sa rĂ©clamation ou dans le suivi du traitement de celle-ci Â».

[86]        Cette consĂ©quence vise la phrase prĂ©cĂ©dente de l’article 19.2(ii) qui s'attarde Ă  l'obligation de soumettre les pièces justificatives ou autres documents requis par la SEBJ, ou encore plus gĂ©nĂ©ralement le manque de diligence dans le suivi du traitement de la rĂ©clamation par l’entrepreneur.

[87]        La rĂ©clamation elle-mĂŞme doit cependant ĂŞtre soumise dans le dĂ©lai de trois mois de la rĂ©ception provisoire des travaux, comme discutĂ© prĂ©cĂ©demment.

La quittance

[88]        En novembre 2009, JVC et Cegerco règlent leurs rĂ©clamations l’une contre l’autre. Les parties conviennent d’unir leurs forces pour faire valoir les griefs de Cegerco envers la SEBJ. Le 23 dĂ©cembre 2009, Cegerco dĂ©pose sa requĂŞte introductive d’instance contre JVC, lui rĂ©clamant 2 179 163 $.

[89]        JVC règle ses propres rĂ©clamations contre la SEBJ en juillet 2009 et aoĂ»t 2010. JVC donne quittance complète et finale pour l’ensemble des travaux du seuil Sakami le 25 novembre 2010, sans rĂ©serve aucune pour la rĂ©clamation de Cegerco.

[90]        Cegerco plaide que les quittances, pourtant limpides, ne devraient pas ĂŞtre interprĂ©tĂ©es comme visant ses rĂ©clamations pour les enjeux de bĂ©tonnage. Cegerco reprend ses arguments, dĂ©jĂ  Ă©numĂ©rĂ©s par le juge de première instance aux paragraphes 13 et 14 du jugement.

[91]        Le juge considère les arguments de Cegerco et les rejette. Il estime que les quittances de JVC sont claires et leur donne plein effet. Cegerco ayant rĂ©glĂ© ses griefs contre JVC, ceci fait Ă©chec Ă  son recours dans son entier.

[92]        NĂ©anmoins, Cegerco soulève des arguments crĂ©dibles selon lesquels JVC n’a jamais voulu donner quittance pour la rĂ©clamation de Cegerco concernant les travaux de bĂ©tonnage. La quittance a Ă©tĂ© donnĂ©e alors que le recours judiciaire de Cegerco, connu de tous, Ă©tait actif. Par ailleurs, une correspondance du 14 dĂ©cembre 2010 d’un employĂ© de la SEBJ Ă  l’attention de JVC suggère que la rĂ©clamation pour le bĂ©tonnage n’était pas encore rĂ©glĂ©e.

[93]        Dans ce contexte, la Cour n’aurait pas nĂ©cessairement pris la mĂŞme dĂ©cision que le juge de première instance face Ă  la preuve.

[94]        NĂ©anmoins, comme indiquĂ©, l’erreur manifeste et dĂ©terminante tient de la « poutre dans l’œil Â». Pour justifier la rĂ©formation, l’erreur du juge doit produire une conclusion manifestement fausse compromettant suffisamment le dispositif du jugement.

[95]        En l’espèce, les quittances sont claires. L’entrepreneur gĂ©nĂ©ral JVC y indique qu’il n’existe aucune rĂ©clamation en lien avec le contrat pour le seuil Sakami, ce qui inclut le bĂ©tonnage, et exonère la SEBJ « pour toute rĂ©clamation, demande ou poursuite, prĂ©sente, passĂ©e ou future Â».

[96]        La SEBJ comme donneur d’ouvrage public cherche Ă©videmment Ă  complĂ©ter ses travaux, Ă  payer ses dus et Ă  rĂ©gler ses litiges. Les quittances offrent cette finalitĂ©[22]. Le juge pouvait donc conclure que, du point de vue de la SEBJ, le dossier du seuil Sakami Ă©tait finalisĂ© sur toutes ses facettes.

[97]        JVC pouvait se mĂ©nager une rĂ©serve dans les quittances, ce qu’elle fait d’ailleurs pour des retenues au contrat de 661 043 $. En effet, l’article 14.10 des clauses gĂ©nĂ©rales de l’appel d’offres permet Ă  l’entrepreneur gĂ©nĂ©ral de rĂ©server ses droits pour les rĂ©clamations pour lesquelles les parties sont toujours en dĂ©saccord.

[98]        JVC n’est pas une nĂ©ophyte en matière de contrats de construction. Comme le souligne le juge, « JVC avait parfaitement le droit et la capacitĂ© juridique de renoncer Ă  un appel en garantie contre la SEBJ Â»[23].

[99]        Si JVC a commis une faute Ă  l’endroit de Cegerco en signant les quittances sans rĂ©serve, cette dernière pouvait chercher Ă  tenir JVC responsable des dommages subis. Or, aucune allĂ©gation de cette nature n’est formulĂ©e par Cegerco Ă  l’endroit de JVC.

[100]     Le juge ne commet donc aucune erreur manifeste en ce qui concerne l’effet des quittances signĂ©es par Cegerco.

[101]     De toute manière, s’il y avait erreur, celle-ci ne serait pas dĂ©terminante, compte tenu du non-respect de la procĂ©dure de rĂ©clamation en cas de diffĂ©rend. Par ailleurs, comme nous le verrons, le recours de Cegerco devait ĂŞtre rejetĂ© sur le fond.

Les chefs de réclamation

[102]     Une partie importante de la rĂ©clamation de Cegerco dĂ©coule de l’affirmation que le profil du roc n’était pas celui qui Ă©tait annoncĂ©, ce qui aurait requis plusieurs travaux additionnels de correction, notamment des coffrages plus compliquĂ©s que prĂ©vu, occasionnant ainsi des retards de chantier.

[103]     Cegerco plaide que les documents d’appel d’offres ne permettaient pas de dĂ©celer « l’ampleur de la situation du profil du roc et les consĂ©quences de cette ampleur Â».

[104]     Dans sa demande de compensation rĂ©visĂ©e, Cegerco indique que « toutes les sources d’information disponibles au moment de la soumission concordent entre elles et indiquent que l’on devait s’attendre Ă  trouver … un socle rocheux gĂ©nĂ©ralement sain, formĂ© de faibles ondulations, aux pentes relativement douces, presque dĂ©pourvu de relief, composĂ© de surfaces allongĂ©es et arrondies Â».

[105]     Or, la simple lecture des documents d’appel d’offres contredit cette affirmation.

[106]     Dans la synthèse des donnĂ©es gĂ©ologiques et gĂ©otechniques, incluse dans les documents d’appel d’offres, on peut lire Ă  la section 5 que : « [d’]après les rĂ©sultats des investigations gĂ©ologiques et gĂ©otechniques … le profil du socle rocheux est accidentĂ© Â».

[107]     Le juge de première instance analyse minutieusement la preuve sur cette question et conclut que la SEBJ a divulguĂ© aux soumissionnaires toute l’information technique leur permettant de constater « que le profil du roc, lĂ  oĂą le seuil de bĂ©ton devait ĂŞtre construit, n’était pas sans aspĂ©ritĂ© contrairement aux prĂ©tentions de Cegerco Â»[24].

[108]     Le diagramme reprĂ©sentant les rĂ©sultats de l’expertise sismique et de forage dans l’axe du futur seuil de bĂ©ton (coupe C-C), obtenus par la SEBJ et communiquĂ©s aux soumissionnaires, est Ă©loquent Ă  cet Ă©gard[25].

[109]     Au sujet des coffrages particuliers requis compte tenu des conditions du roc, Cegerco indique que sa « rĂ©clamation ne porte pas sur la valeur du bĂ©ton ajoutĂ©, mais sur le temps supplĂ©mentaire payĂ© pour rĂ©aliser les coffrages et le bĂ©tonnage ainsi que pour la perte de productivitĂ© provoquĂ©e par les travaux rĂ©alisĂ©s en conditions hivernales tout en respectant la cible de NoĂ«l pour terminer le bĂ©tonnage Â».

[110]     Or, pour les travaux de bĂ©tonnage, Cegerco Ă©tait rĂ©munĂ©rĂ©e Ă  forfait sur la base d’un prix unitaire de bĂ©ton au mètre cube. Cegerco admet ceci dans son mĂ©moire en indiquant que « l’intimĂ©e JVC, suivant son contrat d’entreprise et pour la portion des travaux exĂ©cutĂ©e par elle, Ă©tait Ă©galement rĂ©munĂ©rĂ©e sur la base de prix unitaires, selon les quantitĂ©s de matĂ©riel excavĂ©es; Ă©tant entendu que … l’excavation comprenait le nettoyage au mĂŞme titre que le bĂ©tonnage comprenait le coffrage Â» (nos soulignements).

[111]     Les documents de l’appel d’offres spĂ©cifient clairement que le volet du contrat concernant le bĂ©tonnage Ă©tait payĂ© Ă  forfait sur la base d’un prix unitaire.

[112]     L’article 27 du document intitulĂ© « Renseignements et instructions aux intĂ©ressĂ©s Ă  soumissionner Â» prĂ©voit que les prix soumis « sont fermes et incluent tous les Ă©lĂ©ments de coĂ»t et de bĂ©nĂ©fices Â».

[113]     L’article 18.16 des clauses particulières spĂ©cifie que la mesure pour le paiement du bĂ©ton est le mètre cube. Par ailleurs, les travaux de bĂ©tonnage incluent toutes les opĂ©rations, allant de la prĂ©paration Ă  la finition, ce qui comprend le coffrage.

[114]     Le bordereau de prix soumis par JVC dans le cadre de sa soumission prĂ©voit des prix pour le bĂ©ton de correction de fondation (620,25 $ le m3) et un prix pour le bĂ©ton du seuil (950,24 $ le m3). Aucun prix n’est prĂ©vu pour le coffrage ou autres travaux connexes, ce qui confirme qu’il s’agissait d’un contrat Ă  forfait sur la base d’un prix unitaire.

[115]     La proposition de Cegerco Ă  JVC prĂ©voit d’ailleurs que les travaux compris dans le prix proposĂ© comprennent le coffrage, la mise en place de l’armature, ainsi que le bĂ©tonnage.

[116]     Cegerco a Ă©tĂ© rĂ©munĂ©rĂ©e pour le volume de bĂ©ton de correction additionnel requis en raison de la configuration du roc. Cegerco a par ailleurs Ă©tĂ© payĂ©e pour ce bĂ©ton de correction au prix plus Ă©levĂ© du bĂ©ton de seuil.

[117]     Cegerco ne fait aucune demande d’ajustement du prix unitaire du bĂ©ton pour reflĂ©ter l’impact des difficultĂ©s qui seraient survenues lors du chantier.

[118]     Le juge ne commet donc aucune erreur manifeste et dĂ©terminante sur cette question.

[119]     En ce qui concerne les dĂ©lais qui auraient Ă©tĂ© causĂ©s par la SEBJ et qui auraient eu pour consĂ©quence de retarder le dĂ©marrage du chantier, Cegerco affirme que ses travaux devaient commencer le 6 septembre 2008, tel que prĂ©vu Ă  un Ă©chĂ©ancier transmis par JVC Ă  la SEBJ, mais que le coffrage n’a pu dĂ©buter que le 18 septembre 2008, par la faute de la SEBJ.

[120]     Cet aspect n’est pas analysĂ© par le juge de première instance, qui rejette le recours sur la base des Ă©lĂ©ments explicitĂ©s prĂ©cĂ©demment.

[121]     Dans leurs procĂ©dures et la documentation soumise, ainsi que devant la Cour, les parties s’échangent des blâmes concernant une sĂ©rie d’évĂ©nements qui auraient eu pour impact de retarder les travaux.

[122]     Or, la Cour constate que les travaux de bĂ©tonnage du seuil Sakami ont Ă©tĂ© livrĂ©s dans les dĂ©lais prĂ©vus, ce qui a permis le versement d’une prime que JVC et Cegerco se sont partagĂ©e.

[123]     De toute manière, la soumission prĂ©sentĂ©e par JVC et retenue par la SEBJ en juin 2008 fait Ă©tat que le coffrage et le bĂ©tonnage s’amorceraient le 25 septembre 2008. Dans une correspondance prĂ©cĂ©dant la conclusion du sous-contrat, le 17 juin 2008, Cegerco prĂ©cise Ă  JVC qu’au moins 50 % de la surface de roc devrait ĂŞtre nettoyĂ©e, acceptĂ©e et prĂŞte Ă  bĂ©tonner pour le 20 septembre 2008. Cette Ă©chĂ©ance est reprise dans le contrat de sous-traitance, qui prĂ©cise que les travaux dĂ©butent le 20 septembre 2008 ou avant.

[124]     Il appert donc que, depuis le dĂ©but, Cegerco et JVC avaient Ă©tabli leurs propres Ă©chĂ©anciers en fonction d’une date de dĂ©but des travaux de bĂ©tonnage au 20 septembre 2008 ou au 25 septembre 2008.

[125]     Sauf pour deux avenants octroyĂ©s subsĂ©quemment Ă  JVC, les documents contractuels n’ont pas Ă©tĂ© amendĂ©s.

[126]     Cegerco ne peut donc se plaindre des dĂ©lais.

[127]     Quant Ă  la rĂ©clamation de Cegerco pour les frais d’accĂ©lĂ©ration, dont le juge de première instance ne traite pas, il n’y a pas lieu d’y faire droit.

[128]     En effet, Cegerco ne dĂ©montre pas que cette accĂ©lĂ©ration rĂ©sulte d’une demande de la SEBJ. Sans un tel ordre, la rĂ©clamation ne peut ĂŞtre retenue[26]. Il semble plutĂ´t que c’est Cegerco qui, de son propre chef, choisit de prĂ©cipiter le rythme des travaux, pour des raisons qui lui sont propres.

[129]     La Cour conclut en soulignant que pour des travaux de gĂ©nie civil de cette ampleur, les soumissionnaires assument un certain risque financier[27]. Le donneur d’ouvrage doit offrir toutes les informations, incluant celles de nature technique ou gĂ©ologique, pour permettre aux soumissionnaires de bien ajuster leurs prix.

[130]     Il est possible qu’un soumissionnaire prĂ©sente une offre dont le montant ne reflète pas la difficultĂ© des travaux d’un chantier complexe.

[131]     S’il est contractuellement possible d’ajuster les prix en cours de route, la procĂ©dure de rĂ©clamation en cas de diffĂ©rend doit ĂŞtre scrupuleusement suivie, ce qui ne fut pas le cas en l’espèce.

[132]     Je proposerais donc de rejeter l’appel avec frais de justice.

 

 

 

SIMON RUEL, J.C.A.

 



[1]     Cegerco inc. c. Équipements JVC inc., 2015 QCCS 5055, [jugement entrepris].

[2] Les questions d’ordre factuel requièrent la prĂ©sence d’une erreur manifeste et dĂ©terminante afin de justifier l’intervention d’une cour d’appel : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, paragr. 51.

[3] Le juge de première instance a l’entière discrĂ©tion pour dĂ©terminer si une clause contractuelle est claire ou ambiguĂ« et l’interprĂ©tation contractuelle dĂ©coulant de l’existence d’une telle ambigĂĽitĂ© est habituellement une question de fait ou une question mixte Ă  l’égard de laquelle les tribunaux d’appel ne peuvent intervenir qu’en prĂ©sence d’une erreur manifeste et dĂ©terminante : Uniprix inc. c. Gestion Gosselin et BĂ©rubĂ© inc., 2017 CSC 43, paragr. 41.

[4] J.G. c. Nadeau, 2016 QCCA 167, paragr. 77.

[5] P.L. c. Benchetrit, 2010 QCCA 1505, paragr. 24.

[6] Ibid.

[7] Ibid.

[8] Code civil du Québec, article 2109.

[9] StĂ©phane Pitre, « L'importance de la transmission des avis en droit de la construction Â», (2012) 354 DĂ©veloppements rĂ©cents en droit de la construction 105, p. 107.

[10] Construction Infrabec inc. c. Paul Savard, Entrepreneur électricien inc., 2012 QCCA 2304, paragr. 52-53.

[11] Pour les contrats d’une durée d’un an et moins, c’est le cas en l’espèce.

[12] Clauses générales de l’appel d’offres, article 19.2(ii).

[13] Construction Infrabec inc. c. Paul Savard, Entrepreneur Ă©lectricien inc., supra, note 9, paragr. 62.

[14] Ibid.

[15] Id., paragr. 54.

[16] Développement Tanaka inc. c. Corporation d'hébergement du Québec, 2011 QCCA 1278, paragr. 30; Société de Cogénération de St-Félicien, Société en commandite c. Industries Falmec inc., 2005 QCCA 441, paragr. 82; Corpex (1977) inc. c. La Reine du chef du Canada, [1982] 2 R.C.S. 643.

[17] Morin inc. c. QuĂ©bec (Procureur gĂ©nĂ©ral), [1986] R.J.Q. 104 (C.A.), paragr. 30-31; StĂ©phane Pitre, « L'importance de la transmission des avis en droit de la construction Â», supra, note 8, p. 110.

[18] Construction Infrabec inc. c. Paul Savard, Entrepreneur Ă©lectricien inc., supra, note 9, paragr. 65.

[19] Loi sur Hydro-Québec, RLRQ, c. H-5, article 39.1.

[20] Construction Infrabec inc. c. Paul Savard, Entrepreneur Ă©lectricien inc., supra, note 9 paragr. 64.

[21] Guy Sarault, Les réclamations de l’entrepreneur en construction en droit québécois, Cowansville, Yvon Blais, 2011, p. 175, n° 395.

[22] B. FrĂ©geau & Fils inc. c. SociĂ©tĂ© quĂ©bĂ©coise d'assainissement des eaux, J.E. 2000-809 (C.A.), paragr. 16.

[23] Jugement entrepris, paragr. 19.

[24] Id., paragr. 81.

[25] Id., paragr. 61.

[26] Guy Sarault, Les rĂ©clamations de l’entrepreneur en construction en droit quĂ©bĂ©cois, supra, note 20, p. 225-230, n° 514-524.

[27] Banque de Montréal c. Bail Ltée, [1992] 2 R.C.S. 554, p.590-594; Guy Sarault, Les réclamations de l’entrepreneur en construction en droit québécois, Id., p. 81, n° 178.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.