Facebook inc. c. Guerbuez |
2010 QCCS 4649 |
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JF0937 |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
BEAUHARNO MONTRÉAL |
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N° : |
500-17-053752-096 |
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DATE : |
Le 28 septembre 2010 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
LUCIE FOURNIER, J.C.S. |
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FACEBOOK INC. |
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Partie demanderesse |
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c. |
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ADAM GUERBUEZ |
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Partie défenderesse |
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JUGEMENT |
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INTRODUCTION |
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[1] Facebook inc. (« Facebook ») demande la reconnaissance et l'exécution d'un jugement rendu le 21 novembre 2008, par un tribunal de la Californie.
[2] Ce jugement condamne Adam Guerbuez à payer à Facebook une somme de 873 277 200 $ USD en dommages suite à 4 366 386 violations à une loi américaine portant sur le commerce électronique[1].
[3] Les 4 366 386 faits reprochés à monsieur Guerbuez sont principalement l'envoi de pourriels, courriels non sollicités, ainsi que l'appropriation non autorisée de données lors d'intrusions aux comptes d'utilisateurs de Facebook.
[4] La condamnation recherchée par Facebook, au Québec, totalise 1 068 928 721,46 $ CAD, compte tenu du taux de change en vigueur au moment où le jugement a eu l'autorité de chose jugée en Californie.
[5] Ce jugement comprend également différentes ordonnances d'injonction permanente contre monsieur Guerbuez lui ordonnant de cesser certains actes en relation avec Facebook.
[6] Monsieur Guerbuez ne conteste pas la reconnaissance des conclusions en injonction permanente, mais uniquement les conclusions lui ordonnant de payer des dommages-intérêts à Facebook.
[7] Il fait valoir que cette condamnation est incompatible avec l'ordre public, tel qu'il est entendu dans les relations internationales, vu le montant exagéré des sommes octroyées par le tribunal californien, dont il ne pouvait soupçonner l'importance au moment de la signification des procédures.
[8] Le Tribunal est d'avis que la reconnaissance de ce jugement rendu en Californie n'est pas incompatible avec l'ordre public, tel qu'envisagé par le Code civil du Québec, et qu'il doit être reconnu et déclaré exécutoire au Québec pour les motifs suivants.
LES FAITS
[9] C'est à partir de la Californie que Facebook opère un site Web extrêmement populaire où les utilisateurs développent un réseau d'amis qui leur permet de communiquer entre eux partout dans le monde.
[10] Différentes mesures existent pour protéger la vie privée des utilisateurs selon le degré d'accès que ces derniers veulent accorder aux informations qu'ils y déposent.
[11] Le site Web de Facebook est opéré à partir de ses bureaux en Californie et de ses serveurs qui y sont principalement situés.
[12] Monsieur Guerbuez est un utilisateur de Facebook depuis le mois de mai 2007.
[13] Le 14 août 2008, Facebook fait signifier à monsieur Guerbuez et Atlantis Blue Capital une action intentée devant la United States District Court, Northern District of California, San Jose Division. On reproche aux deux défendeurs d'avoir, durant les mois de mars et avril 2008, procédé à la transmission de plus de 4 000 000 de pourriels aux utilisateurs de Facebook en Californie à travers le réseau Facebook.
[14] On leur reproche plus précisément :
Ø D'avoir accédé aux comptes des utilisateurs de Facebook sans l'autorisation de ces derniers;
Ø De s'être approprié des informations qui y sont contenues par hameçonnage ou de quelque qu'autre façon que ce soit;
Ø D'avoir réussi à publier sur le babillard électronique (Wall) des utilisateurs Facebook, des messages semblant provenir de leurs amis[2].
[15] On y allègue que ces actes constituent des contraventions aux lois suivantes :
Ø The Can-Spam Act ( 15 U.S.C. § 7701 et seq.);
Ø The Computer Fraud and Abuse Act (18 U.S.C. § 1030);
Ø The California Penal Code § 502;
Ø The Electronic Communication Privacy Act (18 U.S.C. § 2701 et seq.).
En plus de contrevenir aux obligations contractuelles souscrites par monsieur Guerbuez en tant qu'utilisateur de Facebook.
[16] De nombreuses conclusions sont recherchées contre monsieur Guerbuez et Atlantis Blue Capital :
Ø Une injonction permanente de cesser les différents actes reprochés;
Ø Une ordonnance visant la production d'un rapport écrit contenant le détail des informations obtenues concernant les comptes des utilisateurs de Facebook impliqués;
Ø La production d'un rapport écrit de toutes les ventes, revenus et profits obtenus en raison des gestes reprochés.
En plus de réclamer ce qui suit :
Ø Damages according to proof, including liquidated and statutory damages;
Ø Disgorgement of any money, property, profits or the value of any other economic benefit that Defendants have received as a result of their unlawful conduct;
Ø Aggravated damages;
Ø Punitive damages;
Ø Interest as allowed by law;
Ø For costs of suit, including reasonable attorneys' fees[3].
[17] Ni monsieur Guerbuez ni Atlantis Blue Capital ne donnent suite aux procédures qui leur sont signifiées et ne produisent pas de comparution ou réponse devant le tribunal californien.
[18] Le 7 octobre 2008, Facebook produit au dossier de la cour un document intitulé : « Request to Enter Default »[4].
[19] Le 10 novembre 2008, Facebook produit un acte de procédure intitulé « Application for Default Judgment against Adam Guerbuez & Atlantis Blue Capital[5] ».
[20] Cette dernière demande contient différents documents qui constituent la preuve et l'argumentation de Facebook devant le tribunal californien. Elle n'est pas signifiée à monsieur Guerbuez.
[21] On y indique que les défendeurs ont fait parvenir 4 366 386 pourriels à caractère commercial aux utilisateurs de Facebook via le réseau Facebook en utilisant les serveurs de Facebook.
[22] On y mentionne également que Facebook n'a jamais fait l'objet d'autant de pourriels et que la méthode utilisée s'est avérée particulièrement efficace puisque ces pourriels semblent provenir d'utilisateurs amis.
[23] On y allègue que la réputation de Facebook a été atteinte et entachée par cette campagne qui a ébranlé la confiance du public dans le réseau.
[24] Monsieur Guerbuez y est décrit comme étant une personne qui ne cache pas ses activités commerciales et illégales sur Internet et qui en retire des revenus très importants.
[25] En plus de reprendre en détail les différents gestes reprochés, Facebook fait valoir que jugement doit être rendu, vu le défaut de monsieur Guerbuez et Atlantis Blue Capital de donner suite à la signification de la procédure initiale.
[26] Toutefois, les conclusions recherchées par Facebook sont maintenant limitées à l'ordonnance d'injonction permanente et aux dommages prévus à l'une des lois mentionnées à la procédure initiale, le « CAN-SPAM Act ». Ce sont les dommages suivants :
Ø Des dommages compensatoires et préétablis en vertu de cette loi au montant de 100 $ USD pour chacune des 4 366 386 violations à la loi, soit 436 638 600 $ USD;
Ø Des dommages majorés, soit trois fois le montant des dommages statutaires compensatoires 1 309 915 800 $ USD en raison du caractère volontaire desdites infractions et les nombreuses violations à plusieurs lois différentes.
[27] Le 21 novembre 2008, le jugement dont on demande la reconnaissance est rendu par la cour californienne. Ce tribunal accorde les dommages compensatoires statutaires au montant de 436 638 600 $ USD, ainsi que des dommages majorés du même montant, limités cependant à une fois les dommages compensatoires. Une ordonnance d'injonction permanente contre les deux défendeurs est émise et leur interdit différents gestes en relation avec Facebook.
[28] Le 9 décembre 2008, ce jugement acquiert la force de chose jugée[6].
[29] Facebook demande à cette Cour la reconnaissance du jugement rendu le 21 novembre 2008 afin de le rendre exécutoire au Québec contre monsieur Guerbuez seulement.
[30] Elle produit un tableau du taux de change applicable en avril 2009 établissant une moyenne mensuelle du taux de change de la devise américaine en dollars canadiens à 1.22404286[7].
LE DROIT ET LES QUESTIONS EN LITIGE
[31] Le Tribunal québécois, appelé à vérifier si une décision étrangère doit être reconnue et l'exécution permise au Québec, doit vérifier si les conditions prévues au Code civil du Québec ont été remplies sans procéder à la révision ou à l'examen au fond de la décision étrangère[8].
[32] Si le jugement visé a été rendu par défaut, le demandeur doit prouver que l'acte introductif d'instance a été signifié au défendeur selon la loi du lieu d'origine[9].
[33] Le Tribunal québécois ne peut refuser la reconnaissance ou l'exécution de la décision pour le motif qu'elle est fondée sur une disposition ou une loi autre que celle qui aurait été appliquée au Québec[10].
[34] Monsieur Guerbuez soulève l'exception prévue au paragraphe 5 de l'article 3155 C.c.Q :
« Art. 3155. Toute décision rendue hors du Québec est reconnue et, le cas échéant, déclarée exécutoire par l'autorité du Québec, sauf dans les cas suivants :
[…]
5° Le résultat de la décision étrangère est manifestement incompatible avec l'ordre public tel qu'il est entendu dans les relations internationales. »
(nos soulignements)
[35] L'acte introductif d'instance signifié à monsieur Guerbuez permettait-il de comprendre l'importance des dommages pouvant être octroyés à Facebook ?
[36] En d'autres termes, le Tribunal doit déterminer si le résultat de la condamnation aux dommages-intérêts statutaires préétablis et aux dommages majorés est incompatible avec l'ordre public, tel qu'il est entendu dans les relations internationales.
ANALYSE
I- ORDONNANCE D'INJONCTION PERMANENTE
[37] Dans l'arrêt Pro Swing inc. c. Elta Golf inc., la Cour suprême mentionne que le Code civil du Québec ne distingue pas entre jugement pécuniaire et non pécuniaire[11].
[38] De la même façon, la Cour supérieure a souligné que, même en matière d'injonction, le rôle du tribunal consiste à vérifier si la décision étrangère dont la reconnaissance est demandée remplit les conditions prévues au Code civil du Québec sans procéder à l'examen du fond du litige[12].
[39] Or, la demande de reconnaissance de l'injonction permanente n'est pas contestée par monsieur Guerbuez.
[40] Par ailleurs, il s'agit d'un jugement final qui remplit toutes les conditions prévues au Code civil du Québec.
[41] En pareilles circonstances, le Tribunal doit reconnaître les ordonnances d'injonction permanente rendues contre monsieur Guerbuez.
II- LA DEMANDE, TELLE QUE SIGNIFIÉE À MONSIEUR GUERBUEZ, LUI PERMETTAIT-ELLE DE MESURER L'AMPLEUR DU RISQUE FINANCIER AUQUEL IL ÉTAIT EXPOSÉ ?
[42] La procédure signifiée[13] à monsieur Guerbuez lui reproche notamment la transmission d'au-delà de quatre millions de pourriels.
[43] Elle comprend cinq réclamations différentes basées sur quatre lois et sur le contrat d'utilisateur intervenu entre les parties.
[44] En plus des condamnations en injonction, Facebook y recherche la condamnation à des dommages à être prouvés au procès, des dommages statutaires et préétablis, des dommages majorés, en plus de dommages exemplaires.
[45] La seule référence au montant des dommages subis par Facebook est la suivante[14] :
« Defendants' conduct has caused a loss to Facebook during a one-year period aggregating at least $5,000. ».
[46] Monsieur Guerbuez soumet que la procédure telle que signifiée ne lui permettait pas de connaître le risque financier auquel il s'exposait.
[47] Or, les différents articles de loi invoqués par Facebook conjugués au nombre impressionnant de pourriels ou contraventions apparaissant à la demande devaient inciter monsieur Guerbuez à s'informer afin de circonscrire et connaître le risque auquel il s'exposait.
[48] Comme le mentionne la Cour suprême dans l'arrêt Beals[15]:
« […] Étant donné que les appelants connaissaient la nature des dommages-intérêts réclamés, l'omission de leur en communiquer le montant exact ne saurait constituer un déni de justice naturelle. Les appelants ont commis une erreur en estimant à environ 8 000 $ US le montant des dommages-intérêts qui pourrait être accordé.
[…] Lorsque les appelants ont été avisés de l'introduction d'une action contre eux en Floride, il leur incombait dès lors de se renseigner sur la procédure applicable en Floride afin de connaître les particularités du régime juridique de cet État. »
(nos soulignements)
[49] Monsieur Guerbuez n'explique pas pourquoi il a choisi de ne pas comparaître ni contester l'action de Facebook en Californie. Il ne mentionne pas non plus s'il a fait des démarches lui permettant de connaître l'importance des sommes réclamées ou la procédure et le droit applicables à une telle demande.
[50] Monsieur Guerbuez a eu la possibilité de connaître l'ampleur des conclusions recherchées contre lui et il ne peut se plaindre de ne pas l'avoir fait lorsque Facebook en demande la reconnaissance au Québec.
III- LA NATURE ET LE
MONTANT DES DOMMAGES ACCORDÉS SONT-ILS CONTRAIRES À L'ORDRE PUBLIC AU SENS DE
L'ARTICLE
[51]
Selon monsieur Guerbuez, la nature des dommages et l'importance du
montant accordé par le tribunal californien sont contraires à l'ordre public et
constituent l'une des exceptions prévues à l'article
[52] Il ajoute qu'il ne s'agit pas de dommages compensatoires et qu'aucune preuve des dommages réels n'a été faite par Facebook.
[53] En l'instance, Facebook a choisi de réclamer les dommages préétablis plutôt que les dommages réels comme le lui permet la loi californienne.
[54] Le « CAN-SPAM Act » prévoit la possibilité de demander jusqu'à 100 $ par infraction. Facebook a, par conséquent, réclamé et obtenu 436 638 600 USD $. Monsieur Guerbuez soutient que cela est exorbitant et ne devrait pas être reconnu par le Tribunal puisqu'une telle condamnation ne pourrait être rendue au Québec ni au Canada.
[55] Il ajoute que le projet de loi adopté par la Chambre des communes du Canada le 30 novembre 2009 n'est pas aussi sévère[16].
[56] Ce projet de loi prévoit un droit privé d'action en faveur de toute personne touchée par certaines contraventions à la loi. Les pourriels et les messages électroniques non sollicités en font partie. Dans un tel cas, il est écrit que :
« 51. … le tribunal saisi peut ordonner que les sommes ci-après soient versées au demandeur :
a) une somme égale au montant de la perte ou des dommages qu'il a subis ou des dépenses qu'il a engagées;
b) une somme maximale :
(i) dans le cas d'une contravention à l'article 6, de 200 $ à l'égard de chaque contravention, jusqu'à concurrence de 1 000 000 $ par jour pour l'ensemble des contraventions. »
[57] Le projet de loi stipule que cette ordonnance « vise non pas à punir, mais plutôt à favoriser le respect de la présente loi »[17].
[58] Les critères pour la détermination de la condamnation sont : le but de l'ordonnance, la nature et la portée de la contravention, les antécédents de l'auteur de la contravention, tout avantage financier retiré de la commission de la contravention, la capacité de payer la totalité de la somme en cause, tout dédommagement reçu par le demandeur et, enfin, tout autre critère prévu par règlement ou tout autre élément pertinent[18].
[59] Ainsi, on envisage d'adopter au Canada une loi permettant d'octroyer soit des dommages compensatoires basés sur les dommages subis, soit des dommages préétablis à 200 $ par contravention. Un plafond de 1 000 000 $ par jour est fixé pour l'ensemble des contraventions.
[60] Malgré ce maximum, la méthode est similaire à la loi californienne. La loi canadienne prévoyant 200 $ par infraction plutôt que 100 $ pour la loi californienne.
[61] On retrouve également un autre type de dommages à la loi californienne[19] :
« (C) Aggravated damages. The court may increase a damage award to an amount equal to not more than three times the amount otherwise available under this paragraph if :
(i) the court determines that the defendant committed the violation willfully and knowingly; or
(ii) the defendant's unlawful activity included one or more of the aggravated violations set forth in section 5(b) [15 USCS § 7704(b)].»
[62] Facebook a demandé que ces dommages soient majorés jusqu'à trois fois le montant de la condamnation précédente pour les motifs suivants :
Ø Il s'agissait de fautes intentionnelles, répétées, perpétrées, en toute connaissance de cause par monsieur Guerbuez;
Ø Les actes reprochés contrevenaient à plusieurs articles de cette loi;
Ø Monsieur Guerbuez en a tiré profit.
[63] Le tribunal californien n'a pas retenu la suggestion de Facebook de tripler le montant des dommages, mais il a condamné monsieur Guerbuez à une somme additionnelle de 436 638 600 $.
[64] Cette dernière condamnation se qualifie de « dommages punitifs », et ce, de l'aveu même de Facebook[20] et vise à dissuader monsieur Guerbuez de continuer à agir de la sorte, en plus de dissuader d'autres personnes d'adopter une conduite similaire.
[65] Monsieur Guerbuez soumet qu'une telle condamnation ne serait pas possible au Québec et il réfère le Tribunal au jugement rendu par cette cour dans Cortas Canning and Refrigerating Co. c. Suidan Bros inc./Suidan Frères inc[21], où la Cour supérieure a refusé la reconnaissance d'un jugement rendu au Texas.
[66] Dans cette affaire, madame la juge Marcelin conclut que le tribunal ayant rendu la décision aurait dû décliner compétence et rejette la requête pour ce motif.
[67] Elle ajoute le commentaire suivant : la condamnation est si disproportionnée par rapport aux sommes allouées, en pareilles circonstances, par les tribunaux canadiens qu'elle serait contraire à l'ordre public qui prévaut dans les relations internationales.
[68] Il y a lieu de remettre en contexte cet obiter dictum.
[69] La requérante, une entreprise libanaise, avait obtenu une condamnation de 9 000 000 $ au Texas, en raison du fait que les produits vendus aux États-Unis par la défenderesse, la compagnie canadienne, étaient emballés de manière confusément similaire à ses produits. Or, la preuve était limitée à un seul achat d'un produit d'une valeur de 96 $, au Texas, alors que ni l'une ni l'autre des entreprises impliquées n'y faisaient d'affaires importantes.
[70] La Cour supérieure concluait qu'il n'y avait aucun lien entre la faute, le préjudice, les dommages et le Texas.
[71] Plus récemment, dans l'affaire DirecTV inc c. Scullion[22], bien qu'il ne s'agisse pas de dommages punitifs ou exemplaires, la Cour supérieure reconnaît une condamnation basée sur les revenus estimés provenant des activités pirates des défendeurs. Le juge Guthrie mentionne que même si le montant accordé de 29 157 400 $ peut paraître excessif, il n'est pas contraire à l'ordre public, tel qu'entendu dans les relations internationales.
[72] Dans l'arrêt Beals[23], la Cour suprême rappelle que le moyen de défense fondé sur l'ordre public doit être appliqué de façon restrictive et le fait que la somme parait démesurée n'est pas un motif en soi pour refuser la reconnaissance d'un jugement étranger.
[73] Le Juge LeBel[24] explique ce qui suit en ce qui concerne l'attribution de dommages-intérêts punitifs[25] :
« Cela ne résout pas toutes les difficultés posées par l’attribution de dommages-intérêts punitifs élevés qui, en pratique, découle rarement de l’application de lois injustes. C’est aux États-Unis que les dommages-intérêts punitifs sont le plus souvent extraordinairement élevés par rapport à ceux accordés dans d’autres pays. Dans ce pays, on recourt plus souvent qu’au Canada aux dommages-intérêts punitifs pour tenter de transformer la société, et le droit américain tend à percevoir l’attribution de montants plus élevés comme un moyen de changer le comportement des défendeurs bien nantis. Cette approche n’a en soi rien de contraire aux notions d’équité fondamentale canadiennes; elle représente simplement un choix stratégique différent qui assure aux demandeurs américains une protection dont ils ne devraient pas nécessairement être privés du seul fait que les biens du défendeur sont situés au Canada. À ma connaissance, les lois américaines, tant fédérales que celles des États, ne permettent généralement l’attribution de dommages-intérêts punitifs que si le comportement du défendeur est, dans un certain sens, moralement répréhensible. À cet égard, leur politique sous-jacente est, en principe, semblable à la nôtre même si les montants accordés peuvent parfois paraître excessifs aux yeux des Canadiens et des Canadiennes. »
[74] Cette analyse trouve son application aux faits de l'instance.
[75] En effet, la loi californienne en vertu de laquelle les dommages préétablis et majorés ont été accordés vise à dénoncer un comportement qui suscite la réprobation non seulement aux États-Unis et au Canada, mais également partout dans le monde.
[76] C'est après avoir constaté le comportement intentionnel et répété de monsieur Guerbuez qu'une telle ordonnance a été rendue. Il ne s'agit pas d'une condamnation arbitraire.
[77] Le Tribunal est d'avis qu'il n'y a pas lieu de permettre à monsieur Guerbuez de se soustraire aux conséquences de ses gestes et contraventions à différentes lois. Il serait plutôt contraire à l'ordre public que le Québec lui permette d'échapper à la reconnaissance des droits valablement acquis par Facebook en Californie.
[78] S'il en était ainsi, cela permettrait que toute une série d'infractions via l'Internet se fasse en toute impunité et que les revenus provenant de telles activités soient insaisissables au Québec.
[79] Monsieur Guerbuez n'a pas démontré que la condamnation du tribunal californien suite aux 4 366 386 contraventions est contraire à l'ordre public, tel qu'entendu dans les relations internationales.
FOR ALL OF THESE REASONS, THE COURT:
[80] GRANTS the present Motion;
[81] RECOGNIZES AND DECLARES enforceable the judgment rendered in case number C0803889 JF HRL on November 21, 2008, by the United States District Court, Northern District of California, San Jose Division;
[82] CONDEMNS Defendant Adam Guerbuez to pay to Plaintiff, Facebook inc., the sum of $1,068,928,721.46 CAD;
[83] ORDERS Adam Guerbuez and his agents, servants, employees, attorneys, affiliates, distributors, successors and assigns, and any other persons acting in concert or participation with him from:
a. Using or accessing, whether directly or indirectly, Facebook's data, information, computers, computers systems, computer networks, or Facebook users' accounts, information or profiles for any reason whatsoever;
b. Assisting or inducing others to use or access, whether directly or indirectly, Facebook's data, information, computers, computer systems, computer networks, or Facebook users' accounts, information or profiles for commercial purposes or to send commercial messages;
c. Accessing the physical property, structures or buildings of Facebook or Facebook's employees;
d. Retaining, using, accessing, collecting, compiling, retrieving or disclosing, whether directly or indirectly, Facebook's Data or information, or Facebook users' accounts, information or profiles;
e. Assisting or inducing others to retain, use, access, collect, compile, retrieve or disclose, whether directly or indirectly, Facebook's Data or information, or Facebook users' accounts, information or profiles;
f. Using Facebook's computers, computer systems, computer networks or Facebook users' accounts, information or profiles to send, directly or indirectly, commercial emails, wall post bulletins or messages of any kind;
g. Creating, maintaining or using a Facebook account or profile;
h. Using any Facebook trademark or logo, or any design or feature that is intended to resemble a Facebook trademark or logo; and
i. Violating or assisting or inducing others to violate Facebook's Terms of Use.
[84] THE WHOLE, with costs.
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__________________________________ LUCIE FOURNIER, J.C.S. |
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Me Karen M. Rogers |
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Me Réna Kermasha |
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HEENAN BLAIKIE Procureurs de la Partie demanderesse |
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Me Éric Potvin |
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LAPOINTE ROSENSTEIN MARCHAND MELANÇON |
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Procureurs de la Partie défenderesse |
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Date d’audience : |
Le 29 mars 2010 |
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[1] The CAN-SPAM Act, 15 U.S.C. § 7701 et seq.
[2] Ces messages faisaient la publicité de différents produits, notamment de marijuana, de pilules (augmentation masculine) et de matériel pornographique.
[3] P-9.
[4] P-5.
[5] P-10.
[6] P-7.
[7] P-8.
[8] Code civil du Québec, L.Q. 1991, c.64, art. 3158.
[9]
art.
[10]
art.
[11]
Pro Swing inc. c. Elta Golf inc.,
[12]
2736349 Canada inc. c. Rogers Cantel inc.,
[13] La signification a été faite personnellement à Adam Guerbuez, P-2. La signification a même été filmée et photographiée, P-3.
[14] P-9, paragraphe 65.
[15]
Saldanha c. Beals,
[16] Ce projet de loi C-27 : « Loi sur la protection du commerce électronique » a été abandonné. Il a été remplacé par un projet très similaire, le projet de loi C-28 dont la première lecture a été faite le 25 mai 2010.
[17] Loi sur la protection du commerce électronique, projet de loi n° C-27, 2e sess., 40e légis.(Can), art. 51(1.1).
[18] Id., article 51, (2).
[19] The CAN-SPAM Act, note 1, section 7706 (G)(3)(C).
[20] Pièce P-10, page 12.
[21] Cortas
Canning and Refrigerating Co. c. Suidan Bros inc./Suidan Frères inc.,
[22]
DirecTV inc. c. Scullion,
[23] Voir note 15.
[24] Le juge LeBel est dissident sur d'autres points, mais en accord avec la majorité sur ce sujet.
[25] Voir note 15, par. 225.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.