Décision

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Canada Bread Company Ltd. c. Tribunal administratif du Québec

2010 QCCS 6104

 

 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

 MONTRÉAL

 

N° :

500-17-058446-108

500-17-058491-104

 

500-17-058505-101

 

DATE :

Le 10 décembre 2010

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

JUGE DANIELLE GRENIER, j.c.s.

______________________________________________________________________

 

No : 500-17-058446-108

CANADA BREAD COMPANY LTD,

            Demanderesse

c.

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU QUÉBEC,

             Défendeur

et

RÉGIE DES RENTES DU QUÉBEC,

SEAN KELLY,

MULTI-MARQUES INC.,

MULTI-MARQUES DISTRIBUTION INC.,

ROBERT THAUVETTE et

BAKERY, CONFECTIONERY TOBACCO WORKERS AND GRAIN MILLERS INTERNATIONAL UNION, LOCAL 468,

Mis en cause

 

No: 500-17-058491-104

MULTI-MARQUES INC. et

MULTI-MARQUES DISTRIBUTION INC.,

Demandeurs

c.

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU QUÉBEC,

Défendeur

et

RÉGIE DES RENTES DU QUÉBEC,

SEAN KELLY,

CANADA BREAD COMPANY LTD,

ROBERT THAUVETTE et

BAKERY, CONFECTIONERY TOBACCO WORKERS AND GRAIN MILLERS INTERNATIONAL UNION, LOCAL 468,

Mis en cause

 

No: 500-17-058505-101

SEAN KELLY, ès qualities of Trustee of the BAKERY AND CONFECTIONERY UNION AND INDUSTRY CANADIAN PENSION FUND,

Demandeur

c.

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU QUÉBEC,

Défendeur

et

RÉGIE DES RENTES DU QUÉBEC,

MULTI-MARQUES INC.,

MULTI-MARQUES DISTRIBUTION INC.,

CANADA BREAD COMPANY LTD et

ROBERT THAUVETTE,

Mis en cause

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Les demandeurs demandent la révision judiciaire d'une décision rendue par le Tribunal administratif du Québec (TAQ), qui confirme deux décisions du comité de révision de la Régie des rentes du Québec (RRQ) du 14 août 2009.

I.  INTRODUCTION

[2]           Les demanderesses, Canada Bread Company Ltd. (Canada Bread), Multi-Marques inc. et Multi-Marques Distribution inc. (Multi-Marques) sont des employeurs qui contribuent au régime de retraite interentreprises pancanadien connu sous le nom de Bakery and Confectionery Union and Industry Canadian Pension Fund (le Régime).

[3]           Le demandeur, Sean Kelly (Kelly) est le représentant des fiduciaires du Régime qui administrent le Régime dont les actifs sont détenus par une fiducie.

II.  LES FAITS

[4]           En 1992 et 1994, les employés des divisions Distribution et Gailuron de Multi-Marques adhèrent au Régime.  Les fiduciaires du Régime leur octroient des crédits de rente pour leurs années de service antérieures.

[5]           Le déficit alors créé par l'octroi de ces crédits de rente doit être financé en prenant l'hypothèse d'une contribution au Régime par Multi-Marques selon les taux prévus aux Règles et règlements du Régime (RRR) et ce, pendant une période de quinze ans.

[6]           Avant l'expiration de cette période de quinze ans, soit en 1996-1997, Multi-Marques décide de fermer ses divisions Distribution et Gailuron.  Cette décision a pour effet de créer un déficit de financement et de solvabilité du Régime de près de 5 000 000 $ et de déclencher un processus de terminaison partielle du Régime auprès de la Régie des rentes du Québec (la Régie).

III.  LE DÉBAT INITIAL

[7]           Le débat initial s'est terminé devant la Cour d'appel du Québec.  Il s'agissait de déterminer si les articles 9.12 et 9.13 des RRR pouvaient recevoir application dans le cadre de ces deux terminaisons partielles ou s'ils étaient, au contraire, incompatibles avec la Loi sur les régimes complémentaires de retraite (LRCR)[1].

[8]           Les articles 9.12 et 9.13 des RRR reflétaient la volonté des employeurs de limiter leur responsabilité aux seules cotisations qu'ils avaient versées.

[9]           Le 16 mai 2002, la Régie rendait ses décisions initiales D-41130-001 et D-41130-002, décisions confirmées par un comité de révision interne le 14 avril 2003 et aux termes desquelles la Régie concluait que les articles 9.12 et 9.13 des RRR étaient incompatibles avec les articles 211 et 228 de la LRCR.  Conséquemment, la Régie décidait que la valeur de la rente normale des membres dont la participation au Régime avait cessé à la suite de la fermeture des divisions Distribution et Gailuron ne pouvait être calculée en tenant compte des articles 9.12 et 9.13 des RRR. 

[10]        Les décisions de la Régie et de son Comité de révision ont été contestées par les Fiduciaires devant le Tribunal administratif du Québec (TAQ).  Ces derniers étaient soutenus dans leur contestation par Multi-Marques, Canada Bread, et le Bakery Confectionery, Tobacco Workers and Grain Millers International Union, Local 468 (le Syndicat).

[11]        Le 15 juin 2004, le TAQ confirmait les décisions initiales de la Régie voulant que, compte tenu de leur incompatibilité avec les articles 211 et 228 LRCR, les articles 9.12 et 9.13 des RRR ne puissent recevoir application dans la préparation des rapports actuariels.

[12]        La décision du TAQ a été contestée devant la Cour supérieure par le biais de trois requêtes en révision judiciaire initiées par les Fiduciaires, Multi-Marques et Canada Bread, ces dernières étant soutenues par le Syndicat.

[13]        Le 20 juillet 2006, la juge Hélène Le Bel rejetait ces trois requêtes en révision judiciaire en concluant que la décision du TAQ n'était pas déraisonnable et, le 12 septembre 2006, la Cour d'appel autorisait l'appel de ce jugement.

[14]        Le 2 avril 2008, la Cour d'appel accueillait l'appel, infirmait les décisions de la Cour supérieure, du TAQ et du Comité de révision de la Régie et décidait que les articles 9.12 et 9.13 du RRR n'étaient pas incompatibles avec la LRCR.

[15]        Le dispositif du jugement de la Cour d'appel se lit comme suit :

« [104]       ACCUEILLE les appels, avec dépens tant en Cour supérieure qu'en Cour d'appel ;

[105]          INFIRME la décision de la Cour supérieure du 20 juillet 2006 ;

[106]          INFIRME la décision du Tribunal administratif du Québec du 15 juin 2004 ;

[107]          INFIRME la décision du comité de révision de la Régie des rentes du Québec datée du 14 avril 2003 ;

[108]          RETOURNE le dossier à la Régie des rentes du Québec pour qu'elle révise ses décisions D-41130-001 et D-41130-02 du 16 mai 2002 en se conformant au présent arrêt ;

[109]          AUTORISE Kelly à déposer des rapports actuariels de terminaison qui appliquent les clauses 9.12 et 9.13 du régime de retraite, eu égard aux terminaisons partielles résultant du retrait du régime de retraite des employés des divisions Gailuron et Durivage de Multi-Marques. »[2]

[16]        Le 27 mai 2008, la Régie déposait une demande d'autorisation d'en appeler du jugement de la Cour d'appel devant la Cour suprême du Canada.

[17]        Le 16 octobre 2008, la demande d'autorisation était rejetée par la Cour suprême.

[18]        Entre-temps, le 2 avril 2008, le jour même où la Cour d'appel rendait son jugement, le ministre de l'Emploi et de la Solidarité sociale du Québec (le ministre) déposait devant l'Assemblée nationale le projet de Loi 68 intitulé : Loi modifiant la Loi sur les régimes complémentaires de retraite, la Loi sur le régime des rentes du Québec et d'autres dispositions législatives (1ère sess., 38e lég.) (le P.L. 68).

[19]        Le P.L. 68 avait essentiellement pour objet d'introduire dans la Loi sur les régimes complémentaires de retraite des mesures visant à favoriser la retraite progressive des travailleurs[3].  À l'époque de son dépôt, ce projet de loi ne traitait aucunement de questions se rapportant au présent dossier.

[20]        Le 3 juin 2008, lors de la première séance d'étude du P.L. 68 par la Commission des affaires sociales (la CAS), le ministre déposait de nouveaux amendements au P.L. 68 et dévoilait l'objectif visé par ces amendements.

« M. Hamad : Alors, cet amendement vise à contrer les effets du jugement que la Cour d'appel du Québec a rendu le 2 avril 2008, dans l'affaire Multi-Marques Distribution inc. c. Régie des rentes du Québec.  Dans cette affaire, la Cour d'appel a jugé valides les dispositions d'un régime de retraite qui permettent la réduction des prestations payables aux participants si les cotisations versées par l'employeur sont insuffisantes pour acquitter entièrement les prestations prévues par le régime.

[…]

M. Hamad : C'est qu'actuellement, peu importe la… on veut se protéger pour appliquer le principe de notre loi.  Notre loi a été mal interprétée par la… selon nous, là, par la Cour d'appel, donc on la corrige par l'amendement.  Alors, peu importe la décision de la Cour suprême, en adoptant cette loi-là, elle va aller dans le sens ou l'esprit de la loi a été adopté en 1990.  Et en même temps, on veut aussi revenir au cas de Multi-Marques, pour ne pas prendre de chance avec la décision qui s'en vient.  Ou, à la limite, il y a des chances que la Cour suprême n'accepte pas d'entendre la décision de la Cour d'appel. »[4]

[21]        Les amendements proposés par M. Hamad sont adoptés le jour même.  Ils se lisent comme suit :

Article 0.1

Insérer l'article suivant avant l'article 1 :

0. 1 La Loi sur les régimes complémentaires de retraite (L.R.Q., chapitre R-15.1) est modifiée par l'insertion après l'article 14 du suivant :

«14.1  À moins qu'une disposition de la présente loi ne le permette expressément, aucune disposition d'un régime de retraite à prestations déterminées ne peut avoir pour effet de faire dépendre d'un facteur extrinsèque de sorte qu'ils en soient limités ou réduits :

«1° la reconnaissance des services ou l'accumulation de droits au titre du régime ;

«2° le montant ou la valeur de droits accumulés au titre de services antérieurs à la date où est établie la valeur des engagements du régime à l'égard du participant ou du bénéficiaire dont les droits sont en cause.

«Sont notamment considérés comme des facteurs extrinsèques :

«1° la situation financière de la caisse de retraite ;

«2° les cotisations patronales versées relativement aux engagements du régime à l'égard du participant ou du bénéficiaire ;

«3° l'exercice d'une discrétion attribuée exclusivement à une personne autre que le participant du bénéficiaire ;

«4° l'accréditation ou la révocation de l'accréditation d'une association de salariés ;

«5° un changement d'ordre technologique ou économique survenu dans l'entreprise de l'employeur partie au régime ou une division, une fusion, une aliénation ou une fermeture de cette entreprise ;

«6° le retrait d'un employeur partie au régime ou la terminaison de celui. »

Article 19.1

Insérer l'article suivant, après l'article 19 :

19.1  Cette loi est modifiée par l'insertion, après l'article 228, du suivant :

«228.1  Aucune disposition d'un régime de retraite à prestations déterminées ou à cotisation ou prestations déterminées ne peut avoir pour effet de limiter ou réduire les obligations d'un employeur à l'égard du régime en raison de son retrait du régime ou de la terminaison de celui-ci.»

Article 25.1

Insérer l'article suivant après l'article 25 :

25.1  Cette loi est modifiée par l'insertion, après l'article 319, du suivant :

«319.1  Les articles 14.1 et 228.1 sont déclaratoires”. »[5]   (Gras ajoutés)

[22]        Le 20 juin 2008, l'Assemblée nationale du Québec adoptait le P.L. 68.

[23]        Tel que déjà noté, le 16 octobre 2008, la Cour suprême du Canada rejetait la demande d'autorisation d'en appeler du jugement de la Cour d'appel.

[24]        À la suite du rejet de cette demande, le 4 novembre 2008, la Régie informait les parties qu'elle mettait sur pied un comité de révision. 

« Pour faire suite à la décision de la Cour suprême du Canada du 16 octobre 2008, la Régie des rentes du Québec doit appliquer le jugement de la Cour d'appel du 2 avril 2008. »[6]

[25]        Le 18 novembre 2008, le Comité de révision de la Régie invitait les parties à lui transmettre leurs commentaires par écrit.

[26]        Le même jour, les avocats des Fiduciaires demandaient à la Régie de préciser la source de sa compétence législative quant à l'établissement d'un comité de révision - le processus de révision avait été aboli le 13 décembre 2006 et n'était donc plus prévu à la LRCR -, de même que d'identifier la procédure que ce comité entendait suivre pour donner effet au jugement de la Cour d'appel[7].

[27]        Le 18 novembre 2008, le membre juriste qui faisait partie du Comité de révision de la Régie, Me Carole D'Amours, informait les avocats des parties qu'un comité de révision avait été formé pour examiner de nouveau les décisions initiales.  Elle les invitait à faire parvenir leurs commentaires dans un délai de trente jours afin que le Comité de révision puisse délibérer et rendre une décision le plus rapidement possible[8].

[28]        Une lettre identique était également acheminée au mis en cause, Robert Thauvette, avec copie conforme aux avocats des demandeurs[9].

[29]        Le 25 novembre 2008, les avocats des parties demandaient à la Régie de donner suite à leur lettre du 18 novembre dans laquelle ils remettaient en question le processus de révision mis en place par la Régie pour se conformer à la décision de la Cour d'appel.

[30]        Le 26 novembre, la Régie répondait que le comité «tranchera toute question que vous jugerez à propos de lui soumettre»[10].

[31]        Le 1er décembre 2008, le mis en cause, Robert Thauvette, écrivait au comité de révision afin de faire part de ses commentaires.  Il soulevait alors la question de l'application du P.L. 68 :

« […] Ces nouveaux articles s'appliquent rétroactivement à la date d'entrée en vigueur de la Loi RCR, soit le 01 janvier 1990 (sic).  Ils s'appliquent également aux causes pendantes.

À mon avis cette cause était pendante tant et aussi longtemps que la Cour suprême du Canada ce prononce sur l'autorisation d'appel (sic). »[11]

[32]        Les 4, 8 et 15 décembre, les avocats des demandeurs ont demandé encore une fois à la Régie de préciser les fondements de sa compétence.  Cette dernière n'a pas répondu à leur lettre et a omis de leur transmettre les commentaires de M. Thauvette.

[33]        Le 19 août 2009, sans avoir transmis au préalable un préavis de décision, la Régie rendait sa décision.

[34]        Sur la question relative à la constitution d'un comité de révision, elle écrit :

« Étant donné les objections soulevées par les procureurs de Multi-Marques, de Canada Bread Company Ltd (Canada Bread) et Sean Kelly, nous devons d'abord nous demander si la régie peut réviser ses décisions par la voie d'un comité de révision?

L'abolition du processus de révision le 13 décembre 2006 n'empêche par la Régie de constituer un comité de révision pour reconsidérer toute décision rendue avant cette date.  Seules les décisions rendues par la Régie à compter du 13 décembre 2006 ne peuvent être contestées que devant le tribunal administratif du Québec.

La révision de la Régie de ses décisions pour se conformer à l'ordonnance de la Cour d'appel ne constitue pas de nouvelles décisions.  La Cour d'appel a remis le dossier dans l'état où il était en 2002.  En conséquence, la Régie peut, en vertu de l'article 241 de la Loi RCR, reconsidérer ses décisions en constituant un comité de révision composé de nouvelles personnes.

Par ailleurs, à supposer qu'il y a absence de règles précises, La Cour d'appel a conféré à la Régie un pouvoir spécifique de réviser ses décisions pour lequel elle peut décider des moyens nécessaires pour considérer le jugement du plus haut tribunal de la province.

La Régie considère donc avoir le mandat et la compétence pour réviser ses décisions D-41130-001 et D-41130-002 du 16 mai 2002.

En vertu de l'article 25 de la Loi RCR, il relève des fonctions de la Régie de s'assurer que l'administration et le fonctionnement des régimes de retraite sont conformes à la Loi RCR.  Pour exercer son mandat, la Régie doit se prononcer sur l'application des dispositions de la Loi RCR et ne peut pas ignorer pour les motifs invoqués ci-après l'effet déclaratoire des articles 14.1 et 288.1 qui sont entrés en vigueur le 20 juin 2008. »

[35]        S'appuyant sur les articles 14.1 et 228.1 LRCR entrés en vigueur le 20 juin 2008, la Régie a conclu que dans un régime de retraite à prestations déterminées ou à cotisations déterminées, il est interdit d'insérer toute clause dont le but est d'assujettir les droits des participants à un facteur extrinsèque, tels la situation financière du régime ou le montant des cotisations patronales versées en reconnaissance des services passés.

[36]        Selon la Régie, l'article 319.1 LRCR établit clairement que les amendements de juin 2008 ont une portée déclaratoire et un effet rétroactif et qu'ils s'appliquent «aux causes pendantes, même en appel».  Ce qui amène la Régie à conclure :

« La demande d'autorisation d'appel de la Régie à la Cour suprême ayant été déposée le 27 mai 2008, le jugement rendu par la Cour d'appel le 2 avril 2008 n'avait pas force de chose jugée lors de l'entrée en vigueur le 20 juin 2008, de l'article 319.1 de la Loi RCR qui prévoit que les articles 14.1 et 228.1 de la Loi RCR sont déclaratoires.  En, conséquence, ces articles s'appliquent aux décisions sous étude. »

IV.  LE DÉBAT ACTUEL

[37]        En septembre 2009, les requérantes ont contesté la décision du comité de révision de la Régie devant le TAQ.

[38]        Le 20 avril 2010, le TAQ a confirmé la décision rendue par le comité de révision de la Régie.

[39]        Les motifs invoqués par le TAQ peuvent se résumer ainsi :

a)  la formation d'un comité de révision par la Régie était appropriée pour se conformer au jugement de la Cour d'appel ;

b)  le comité de révision n'avait pas à communiquer aux autres parties les observations qu'il avait reçues de M. Thauvette ;

c)  le comité de révision n'avait pas à transmettre aux parties un préavis de sa décision ;

d)  une loi déclaratoire est rétroactive ;

e)  les modifications déclaratoires de la Loi LRCR adoptées en juin 2008 permettaient au comité de révision de la Régie d'ignorer le jugement de la Cour d'appel du 2 avril 2008, celui-ci n'étant pas un jugement final ayant force, effet et autorité de la chose jugée puisque la requête en autorisation d'en appeler déposée par la Régie le 29 mai 2008, constituait une cause pendante devant la Cour suprême du Canada.

V.  POSITION DES PARTIES

·        Les demandeurs

1.  Le TAQ a erré en droit en statuant que la création d'un comité de révision était appropriée et conforme à l'esprit de la Loi.

2.  Le TAQ a erré en droit en décidant que l'omission du comité de révision de transmettre aux demandeurs copie des commentaires du mis en cause, Robert Thauvette, et de donner un préavis de sa décision ne constitue pas une violation des dispositions de la Loi sur la justice administrative et des règles de justice naturelle.

3.  Le TAQ a erré en droit en statuant que la Régie était bien fondée d'appliquer les dispositions déclaratoires du 20 juin 2008 aux terminaisons partielles du Régime de retraite en cause, en décrétant que la cause était pendante lorsque les modifications à la LRCR ont été apportées ;

4.  La norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte.

·        Le défendeur, le TAQ

1.  Selon le TAQ, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable.

·        La mise en cause, la Régie des rentes du Québec

1.  Même si la Régie avait violé les règles de justice naturelle et les articles 6 et 7 de la L.J.A., ce qui est nié, le TAQ a remédié à la situation en entendant les parties sur toutes les questions en litige.

2.  L'arrêt de la Cour d'appel constituait une cause pendante qui était ainsi visée par la Loi déclaratoire.

3.  La question à résoudre devant la Régie constituait également une cause pendante visée par les nouvelles dispositions de la loi déclaratoire.

4.  La norme de contrôle est celle de la décision raisonnable.

VI.  LES QUESTIONS EN LITIGE

[40]        Le Tribunal doit d'abord déterminer la norme de contrôle applicable.

[41]        En second lieu, le Tribunal doit se demander si le TAQ a erré en décidant que la Régie pouvait mettre sur pied un comité de révision, qu'elle n'avait pas enfreint les règles de justice naturelle et que les dispositions de la loi déclaratoire avaient préséance sur le jugement rendu par la Cour d'appel dans le contexte d'un renvoi de dossier devant la Régie.

A.    LA NORME DE CONTRÔLE

[42]        De l'arrêt Dunsmuir[12], on peut dégager les principes suivants :

1)    « […] le processus de contrôle judiciaire se déroule en deux étapes.  Premièrement, la cour de révision vérifie si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier. En second lieu, lorsque cette démarche se révèle infructueuse, elle entreprend l’analyse des éléments qui permettent d’arrêter la bonne norme de contrôle.»[13]

2)  L'analyse doit être contextuelle et son issue dépend d'un certain nombre de facteurs dont :

1.    L'existence ou non-existence d'une clause privative ;

2.    La raison d'être du tribunal administratif selon sa loi habilitante ;

3.    L'expertise du tribunal administratif ;

4.    La nature de la question en litige.

1)         L'existence ou non-existence d'une clause privative

[43]        La décision du TAQ a été rendue à la suite d'un appel interjeté en vertu de l'article 243 de la LRCR[14] qui permet de contester une décision rendue par la Régie devant le TAQ.

[44]        L'article 20.1 de l'Annexe IV de la Loi sur la justice administrative[15] énonce que la section des affaires économiques connaît de tout recours formé en vertu de l'article 243 LRCR.

[45]        Les décisions du TAQ sont protégées par une clause privative[16].

2)         L'objet de la loi

[46]        Dans la décision qu'elle a rendue à l'étape première des présentes procédures[17], la Cour d'appel a défini l'objet de la LRCR comme suit :

« [49]  La Loi est une loi d'application générale qui établit des normes minimales et impératives applicables à l'élaboration des régimes complémentaires de retraite, à leur gestion et à leur financement.

[50]  En particulier, la Loi fixe les règles de financement et de solvabilité des régimes de retraite (articles 116 à 146), celles relatives à leur administration (articles 147 à 193) ainsi que celles applicables en cas de liquidation d'un régime de retraite (articles 198 à 240).

[51]  Ces dispositions comportent des mécanismes de calcul sophistiqués reposant notamment sur des rapports actuariels. Elles confient également à la RRQ de vastes pouvoirs d'intervention. En particulier, celle-ci joue un rôle important en cas de terminaison d'un régime de retraite.

[52]  Dans le cas d'une terminaison partielle d'un régime de retraite, comme c'est le cas en l'espèce, la RRQ doit se prononcer sur l'avis de terminaison qu'elle peut modifier « si les circonstances le justifient » (article 199, Loi), puis elle examine le projet de rapport final, qui donne lieu à la délivrance par la RRQ d'un avis de conformité à la Loi (article 202, Loi).

[53]  Un processus de consultation des participants et bénéficiaires s'ensuit (article 203, Loi) et après que ceux-ci ont pu faire valoir leur point de vue, une demande d'approbation du projet terminal ayant fait l'objet d'un avis de conformité est présentée à la RRQ (article 205, Loi) qui doit statuer sur la demande (article 207, Loi).

[54]  Après l'expiration d'un délai de 60 jours du rapport terminal, l'étape de l'établissement et de la collocation des droits des participants visés prend place et, plus particulièrement, 1º l'évaluation de la « valeur de la rente normale », suivant l'article 211 de la Loi et 2º la détermination du « manque d'actif nécessaire à l'acquittement des droits des participants ou bénéficiaires visés par […] une terminaison partielle d'un régime […] » suivant l'article 228 de la Loi.

[55]  Conformément aux enseignements de la Cour suprême, il importe de vérifier si la RRQ et, en appel, le TAQ exercent, quant aux dispositions qu'elles devaient appliquer en l'espèce, notamment l'article 211 de la Loi, des pouvoirs polycentriques c'est-à-dire des pouvoirs discrétionnaires ou qui exigent que le tribunal « choisisse parmi diverses réparations mettant en jeu des questions de politique ou nécessitant la pondération d'intérêts multiples de groupes opposés ».

[56]  En l'espèce, la question posée est essentiellement juridique. Elle ne comporte pas, dans son essence, « un caractère spécialisé ou de nature économique ou scientifique qui la distingue d'une question qui est habituellement tranchée par un tribunal judiciaire ».

[57]  Ce facteur incite donc à une moins grande retenue que celle qui s'impose à l'égard d'une question qui se situe au cœur de l'expertise du tribunal administratif. »

3)         L'expertise du TAQ

[47]        Comme l'indique la Cour d'appel dans l'arrêt précité, le facteur de l'expertise ne peut être analysé dans l'abstrait.  Cette question doit être examinée à la lumière de la nature de la question visée et de l'expertise du tribunal. 

[48]        En l'espèce, la nature de la question en cause est déterminante et le TAQ ne jouit d'aucune expertise particulière dans ce domaine.


4)         La nature de la question en litige

[49]        Selon les demandeurs, la question est de savoir si le TAQ a erré en droit en statuant que la Régie pouvait ignorer les directives précises de la Cour d'appel, et choisir d'appliquer les dispositions déclaratoires adoptées le 20 juin 2008 aux terminaisons partielles du régime de retraite en cause.  Cette question, selon eux, obligeait le TAQ à définir le concept de «cause pendante» et à s'interroger sur la nature d'un jugement final et exécutoire de la Cour d'appel et sur l'application de la doctrine de l'autorité de la chose jugée.  Ces questions seraient d'une importance telle qu'elles échapperaient au domaine d'expertise du TAQ.

[50]        Selon le TAQ et la Régie, la question soumise consiste à déterminer si les dispositions de la loi déclaratoire s'appliquent ou non au régime en cause, détermination qui serait au cœur même de la compétence du TAQ.

[51]        Les demandeurs ainsi que le TAQ et la Régie ont en partie raison.  La question devant le TAQ était la suivante : la Régie pouvait-elle appliquer la loi déclaratoire au cas sous étude dans le contexte où elle était saisie du dossier une deuxième fois, mais à des fins spécifiques dictées par la Cour d'appel.  En effet, le renvoi était un renvoi avec directives (remitting with directions).  Cette question de droit général a, à tort selon le Tribunal, amené le TAQ à analyser des questions connexes plus ou moins pertinentes et à se pencher sur des notions complexes, telles la nature et la portée d'une loi, la notion de cause pendante, de cause décidée, de jugement final, définitif, irrévocable et exécutoire et de jugement passé en force de chose jugée.

[52]        Selon le Tribunal, la question en litige obligeait le TAQ à s'interroger sur la nature et la portée d'une loi déclaratoire dans le contexte où un jugement de la Cour d'appel renvoyait le dossier à la Régie pour que cette dernière apporte certains correctifs à sa décision initiale et ce, à la lumière de la décision rendue par la Cour d'appel.  Ce renvoi à des fins spécifiques faisait-il en sorte que la Régie, organisme administratif de création législative, pouvait réviser sa décision initiale en tenant compte d'une loi déclaratoire entrée en vigueur après le jugement de la Cour d'appel?  Autrement dit, la Régie pouvait-elle reconsidérer sa décision sans égard au jugement de la Cour d'appel ou ne devait-elle pas plutôt limiter son intervention à la réalisation d'un exercice ponctuel et obligatoire dicté par la Cour d'appel.

[53]        Dans l'arrêt Multi-Marques Distribution inc. c. Régie des rentes du Québec[18] (étape no 1), la Cour d'appel a appliqué la norme de la décision raisonnable tout en concluant que la décision du TAQ (TAQ no 1) était déraisonnable.  Toutefois, la question en litige, à cette première étape, était au cœur de la compétence du TAQ.  Ce dernier devait interpréter la LRCR à la lumière des Règles et Règlements du Régime.

[54]        À la deuxième étape des procédures, celle qui nous concerne, la question soumise au TAQ était tout autre.  Il s'agissait pour ce dernier de déterminer l'effet que pouvait avoir une loi déclaratoire dans le contexte d'un litige prolongé devant la Régie à cause d'un jugement de la Cour d'appel rendu le 21 avril 2008, passé en force de chose jugée le 16 octobre 2008 et qui renvoyait le dossier à la Régie afin qu'elle se conforme à son jugement.

[55]        Malgré la présence d'une clause privative et reconnaissant au TAQ une très vaste expertise en matière d'interprétation des lois à caractère social, le Tribunal est d'avis que la véritable question en litige est une question de droit général complexe, d'une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et étrangère au domaine d'expertise du TAQ[19].  En l'espèce, les questions qui se posent sont étrangères à la juridiction exclusive du TAQ en matière d'interprétation de la LRCR.  Elles doivent recevoir une solution cohérente et uniforme, car elles risquent d'avoir un impact important sur l'administration de la justice dans son ensemble[20].  Elles touchent à la compétence même de la Régie et, par ricochet, du TAQ, et commandent l'application de la norme de la décision correcte.

B.    LA QUESTION DE COMPÉTENCE

[56]        La question de compétence revêt ici un caractère complexe.  Elle semble avoir été mal comprise ou mal posée par le TAQ.  Il ne s'agit pas uniquement de décider si la Régie pouvait, en l'absence de disposition législative expresse, confier le dossier à un comité de révision.  Même si la réponse à cette question était positive, il fallait, dans un deuxième temps, déterminer l'étendue et la portée de la compétence de la Régie, compte tenu du mandat particulier que lui confiait la Cour d'appel en lui retournant le dossier.  S'agissait-il d'une «compétence liée» et limitée par le jugement de la Cour d'appel ou d'une «compétence de reconsidération» à la lumière du dossier et de la loi déclaratoire.

[57]        Dans sa décision du 14 août 2009, la Régie réfère au jugement de la Cour d'appel dans lequel cette dernière a conclu qu'il était permis d'assujettir les droits des participants à des conditions suspensives.

« C'est dans le contexte particulier d'une décision de la Cour d'appel du Québec fondée sur des dispositions de la Loi RCR qui ont été précisées depuis que le présent dossier doit être traité. »

[58]        La Régie ajoute qu'à la suite du jugement de la Cour d'appel lui ordonnant «de réviser ses décisions D-41130-001 et D-41130-002 du 16 mai 2002», elle a constitué un comité de révision.

[59]        Devant le TAQ, les demandeurs ont fait valoir que le droit de la Régie de réviser ses décisions avait été abrogé le 13 décembre 2006 par l'article 52 du chapitre 421 des lois de 2006 et que partant, elle avait excédé sa compétence en formant un comité de révision sans autorisation législative.

[60]        La Régie avait décidé que la Cour d'appel lui avait retourné le dossier afin qu'elle «révise» ses décisions initiales de 2002.  Or, comme en 2002 la loi de 2006 n'avait pas encore été adoptée et, qu'à cette époque, la LRCR prévoyait que la Régie pouvait réviser ses décisions, la Régie se croyait justifier d'agir selon les dispositions législatives en vigueur en 2002.

[61]        Le TAQ a conclu, sans plus d'explication, que le choix de la Régie de déléguer à un comité de trois personnes le pouvoir de réviser les décisions du 16 mai 2002, soit la procédure utilisée avant décembre 2006, était tout à fait approprié et conforme à l'esprit de la LRCR.

[62]        Le Tribunal est d'avis que la Régie n'avait pas le pouvoir de former un comité de révision.  Le dispositif du jugement de la Cour d'appel annulait la décision du comité de révision de la Régie du 14 avril 2003 sans annuler les décisions initiales de la Régie.  Le dossier était retourné à la Régie «pour qu'elle révise ses décisions D-41130-001 et D-41130-002 du 16 mai 2002 en se conformant au présent arrêt».

[63]        L'intention de la Cour d'appel apparaît assez évidente.  N'étant pas d'accord avec l'interprétation que la Régie avait donnée à la LRCR, elle lui retourne le dossier afin qu'elle corrige ses décisions initiales en tenant compte des principes qui se dégagent de son jugement.  C'est pour cette raison que la Cour d'appel autorise le Fiduciaire à déposer des rapports actuariels de terminaison qui appliquent les clauses 9.12 et 9.13 du Régime de retraite.

[64]        La Cour d'appel ne semble pas avoir voulu donner un sens juridique au mot «révision».  Elle ne pouvait de toute manière octroyer à la Régie une compétence que le législateur lui avait retirée.  Selon le Tribunal, dans le contexte du jugement de la Cour d'appel, le mot «révision» avait le sens ordinaire de «corriger», «modifier».  Autrement dit, la Régie devait refaire ses calculs à la lumière des enseignements dégagés par la Cour d'appel.

[65]        En avalisant la décision de la Régie, le TAQ a commis une erreur de compétence.  La Régie ne pouvait mettre sur pied un comité de révision pour remédier à la situation.  Elle devait confier le dossier aux décideurs de 2002 ou à de nouveaux décideurs uniques.  Toutefois, compte tenu de l'ensemble du dossier, on peut supposer que la décision rendue par ces décideurs uniques aurait été la même que celle rendue par le comité de trois personnes.

[66]        Cette erreur sur la compétence de la Régie n'aurait pas nécessairement entraîné l'intervention de cette Cour n'était-ce le fait, comme on le verra, que le TAQ a également erré en décidant que la Régie pouvait appliquer la loi déclaratoire dans le contexte particulier de la présente affaire.

C.    LA VIOLATION DES RÈGLES DE JUSTICE NATURELLE

[67]        Comme on le sait, le recours en révision judiciaire est un remède discrétionnaire.  Même si les demandeurs avaient raison de prétendre, devant le TAQ, que la Régie avait violé la règle audi alteram partem en omettant de leur transmettre les commentaires de M. Thauvette et même si la Régie a transgressé les règles de l'article 5 de la Loi sur la justice administrative, l'appel au TAQ a remédié à ces défauts[21] en permettant aux demandeurs de présenter leur point de vue sur toutes les questions en litige, et ce, tant oralement que par écrit.

D.    ERREUR SUR LE FOND DU LITIGE

[68]        Dans un premier temps, le TAQ s'est interrogé sur la nature et portée d'une loi déclaratoire.  Il en a identifié les principales caractéristiques comme suit :

1)    Une loi déclaratoire est par essence déclarative et interprétative de l'état du droit.  Elle a un effet rétroactif.

2)    Une loi déclaratoire ne modifie pas la loi.  Elle établit le sens actuel et passé de la loi, c'est-à-dire le sens que cette loi a toujours eu.

3)    Une loi déclaratoire s'assimile à une décision de justice.

4)    La raison qui justifie habituellement l'adoption d'une loi déclaratoire est la correction d'une erreur judiciaire.[22]

5)    Les tribunaux ont reconnu que la loi déclaratoire s'applique aux causes pendantes et que les causes portées en appel constituent des causes pendantes.

6)    Les causes pendantes sont celles dont on attend le jugement ainsi que celles où un jugement est porté en appel de sorte que le litige demeure toujours pendant devant les tribunaux dans l'attente d'un jugement final, définitif et irrévocable.

7)    Un jugement final est un jugement qui statue sur l'objet même de la demande en justice et qui, disposant des droits des parties, dessaisit le juge de la contestation.

8)    Un jugement définitif est un jugement qui met fin à un litige ou à une contestation pour des motifs de fond ou de procédure et qui a l'autorité de la chose jugée.

9)    Une loi déclaratoire n'emporte pas ouverture des affaires décidées.[23]

10)  Une cause décidée est une cause qui n'est plus pendante.

11)  Une cause décidée est celle qui est tranchée par un jugement définitif et irrévocable qui ne peut plus être contesté en appel et qui met définitivement fin au litige.

12)  Un jugement passé en force de chose jugée échappe à l'application d'une la loi déclaratoire.[24]

13)  Pour qu'une loi déclaratoire s'applique à un jugement (an entered judgment) avant sa mise en vigueur ou à un jugement ayant acquis la force de la chose jugée, le législateur doit manifester son intention de renverser ces jugements (unless the legislature has clearly directed its intention to reversing the decided cases).[25]

[69]        À la lumière de ces principes, le TAQ a conclu que tant et aussi longtemps que la Cour suprême ne s'était pas prononcée sur la demande d'autorisation d'en appeler du jugement de la Cour d'appel, la cause demeurait pendante devant la Cour d'appel et elle n'était pas décidée.  Le jugement de la Cour d'appel n'était donc pas définitif et irrévocable.

[70]        Le TAQ a confondu des notions qu'il avait pourtant bien définies.  La cause ne pouvait être pendante devant la Cour d'appel alors que cette dernière en avait décidé.  Elle ne pouvait être pendante que devant la Cour suprême du Canada.  Or, l'autorisation d'en appeler du jugement de la Cour d'appel ayant été refusée le 16 octobre 2008, le jugement de la Cour d'appel passait alors en force de chose jugée.

[71]        Dans Chambre des notaires du Québec c. Haltrecht[26], la Cour d'appel devait décider de la portée d'une loi déclaratoire adoptée après que la Cour suprême du Canada eût rendu son jugement dans l'arrêt Crevier[27] et déclaré inconstitutionnelles certaines dispositions du Code des professions qui contrevenaient à l'article 96 de l'Acte de l'Amérique du Nord Britannique.  En 1982, à la suite du jugement de la Cour suprême, le législateur québécois avait modifié le Code des professions afin de la rendre conforme au jugement de la Cour suprême.

[72]        Dans l'affaire Haltrecht sus-mentionnée, avant que la Cour suprême ne rende son jugement dans l'arrêt Crevier, le juge de première instance avait déclaré les mêmes dispositions du Code des professions inconstitutionnelles.  L'une des questions en litige devant la Cour d'appel consistait à décider si la Loi déclaratoire de 1982 avait eu pour effet de bonifier rétroactivement les dispositions attaquées du Code des professions de telle sorte que le jugement de première instance devait être infirmé.

[73]        Citant un extrait de l'ouvrage du professeur P.A. Côté, la juge Mailhot écrit :

« L'article 9 de la Loi de 1982 précise que la loi est déclaratoire.  Le professeur Pierre-André Côté, dans son ouvrage Interprétation des Lois (Montréal, Éd. Yvon Blais, 1982, pp. 467 et sqq.) écrit sur l'effet d'une loi déclarative ou interprétative :

PARAGRAPHE 2 : L'EFFET DE LA LOI INTERPRÉTATIVE

L'intérêt de distinguer la loi déclarative ou interprétative des autres réside dans l'effet rétroactif qu'on leur reconnaît généralement.  En principe, la loi interprétative a effet à compter de l'entrée en vigueur de la loi dont le sens est explicité :

“ Lorsqu'une loi est de par sa nature déclarative, la présomption contre l'interprétation rétroactive n'est pas applicable ”.

Une telle loi s'applique non seulement à des faits survenus avant son adoption, mais aussi aux causes pendantes, même en appel :

À mon avis, le passage suivant de “Craies on Statue Law” exprime correctement l'état du droit à condition que l'expression “causes pendantes” soit comprise comme incluant les actions où, bien que le jugement ait été rendu, un appel est pendant au jour de l'entrée en vigueur de la loi déclarative :

Les lois de ce genre (i.e. les lois déclaratives) comme un jugement, tranchent les litiges similaires pendants au moment du jugement, mais n'emportent pas réouverture des affaires décidées. »[28]

                                                        (Soulignements ajoutés)

[74]        Et la juge Mailhot d'ajouter :

« Ainsi seul un jugement passé en force de chose jugée échapperait à l'application de la loi déclaratoire.  Donc, à l'égard de la première question, le jugement de première instance devrait être infirmé parce que la substance de celui-ci est que la loi était inconstitutionnelle vu la clause privative alors existante, ce qui n'est plus le cas vu la loi remédiatrice de 1982. »[29]

[75]        Il n'est pas nécessaire de décider, pour les fins du présent litige, si une demande d'autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada fait en sorte qu'une cause devient pendante devant cette Cour.  Force est de conclure, par ailleurs, que la demande d'autorisation d'en appeler d'un jugement de la Cour d'appel n'a aucunement pour effet de faire revivre un litige que cette Cour a décidé.  La Cour d'appel est alors functus officio.  Une fois l'autorisation de pourvoi accordée, la cause devient pendante devant la Cour suprême et cette dernière doit alors trancher le litige à la lumière de la loi déclaratoire.

[76]        En l'espèce, pour écarter le jugement de la Cour d'appel qui constituait, à l'époque où la loi déclaratoire a été adoptée, une affaire décidée, le législateur devait s'exprimer en mots clairs et précis dans la loi déclaratoire même.  Or, il ne l'a pas fait.  Il s'ensuit qu'à compter du 16 octobre 2008, le jugement de la Cour d'appel passait en force de chose jugée et liait irrévocablement les parties.

[77]        Les propos échangés entre le ministre de l'Emploi et de la solidarité sociale, M. Sam Hamad, et la député Louise Harel, au cours de la séance d'étude détaillée du P.L. 68 devant la Commission permanente des affaires sociales, le 3 juin 2008, ne sont pas sans intérêt.  Le Journal des débats révèle que la député Harel était loin d'être convaincue que la loi déclaratoire aurait la portée souhaitée par M. Hamad et ses conseillers juridiques.

« Mme Harel : C'est bien ça.  Et puis on y indique également que cet amendement s'appliquerait aux causes pendantes, y compris la décision de la Cour d'appel dans l'affaire Multi-marques.  Vous savez bien que la rétroactivité d'une loi est un sujet très litigieux, hein?  Bon.  Alors, j'aimerais entendre le ministre sur cette question-là particulièrement sensible, hein?  Quand on adopte une loi qui rétroagit, une fois qu'il y a déjà eu un jugement, alors que… il y a toujours l'opportunité d'aller devant la Cour suprême.  Je voudrais que le ministre clarifie si le gouvernement a pris la décision d'aller devant la Cour suprême, ce qui m'apparaîtrait la seule manière de protéger les travailleurs de ce jugement, puisqu'en l'occurrence ils sont les grands perdants.  Dans les documents que le ministre nous a remis, je pense qu'il y a une catégorie de travailleurs qui perdent 60 % de… qui voient une réduction de 60 % de leurs droits, dans un premier groupe, et ce 80 % de réduction de leurs droits, dans un deuxième groupe.  Alors, est-ce que ce que le ministre propose comme amendement du fait que ça s'appliquerait aux causes pendantes, mais c'est déjà chose jugée à la Cour d'appel… Alors, je voudrais qu'il clarifie tout ça. »[30]

(Soulignements ajoutés)

[78]        En réponse aux propos de Mme Harel, le ministre Hamad mentionne l'existence d'une cause qui était alors pendante devant le Tribunal administratif.  Il insiste sur la nécessité d'éviter l'effet d'entraînement que pourrait avoir la décision de la Cour d'appel sur les tribunaux appelés à décider de questions similaires.

[79]        Toujours peu convaincue de la portée de la loi déclaratoire quant aux travailleurs de Multi-Marques, la députée Harel interroge encore le ministre Hamad sur cette question.

« Mme Harel : M. le Président, là, j'imagine qu'il y a vraiment des retraités qui veulent avoir des réponses très, très claires sur… en particulier de Multi-marques.  Donc prenons le scénario où l'amendement est adopté, le projet de loi est adopté.  Est-ce que cela vient de manière définitive protéger les retraités de Multi-marques, oui ou non, même si la Cour suprême refuse la requête pour la permission d'en appeler?

M. De Montigny (Jean) : Oui.

M. Hamad : La réponse, c'est oui, M. le président.

Mme Harel : Et comment est-ce que cela est possible? C'est qu'on vient… Quelle est la façon qui nous permet de dire oui, qui vous permet de dire oui?

M. Hamad : C'est d'adopter l'amendement 25.1…

Mme Harel : Il y a un jugement de la Cour d'appel.

M. Hamad : L'amendement qu'on propose ici corrige le jugement de la Cour d'appel et nous rassure que les retraités de Multi-marques seront protégés.

Mme Harel : Avec ou sans la Cour suprême. »[31]

[80]        Le Journal des débats indique clairement que la députée de l'opposition s'interrogeait très sérieusement sur la portée qu'aurait la loi déclaratoire sur un jugement déjà rendu alors que le ministre était sous l'impression que l'effet de la loi déclaratoire était de faire disparaître le jugement de la Cour d'appel.

[81]        La loi déclaratoire aurait pu avoir cet effet si le législateur s'était exprimé en mots clairs et précis.  S'il l'avait fait, la requête pour permission d'en appeler à la Cour suprême aurait été superfétatoire.

[82]        Telle qu'adoptée, la loi déclaratoire ne pouvait avoir pour effet d'anéantir le jugement de la Cour d'appel.  Cette constatation, cependant, ne met pas fin au débat.

[83]        Une autre question doit être posée alors.  La Régie pouvait-elle appliquer les dispositions déclaratoires dans le contexte de la présente affaire?  Autrement dit, y avait-il cause pendante devant la Régie du fait que la Cour d'appel lui avait retourné le dossier à des fins spécifiques?  N'avait-elle alors qu'une compétence liée ou pouvait-elle réexaminer l'affaire à la lumière des dispositions déclaratoires sans se préoccuper du jugement de la Cour d'appel?

[84]        Le TAQ ne s'est pas posé ces questions.  Ayant jugé, à tort, qu'il y avait cause pendante devant la Cour d'appel au moment de l'adoption des dispositions déclaratoires, il a décidé, sans plus, que la Régie pouvait appliquer les dispositions déclaratoires.  Avec égard, le raisonnement ne tient pas la route.

[85]        La véritable question était de savoir si la Régie pouvait ignorer un jugement de la Cour d'appel passé en force de chose jugée et qui lui enjoignait de faire quelque chose de spécifique avant l'adoption des dispositions déclaratoires.  Bien sûr, la requête en autorisation de pourvoi à la Cour suprême retardait le moment où «l'ordonnance» de la Cour d'appel serait exécutée.  Toutefois, une fois la demande d'autorisation rejetée, la Régie devait-elle s'astreindre à compléter ce qu'elle avait commencé - la terminaison partielle du Régime - en suivant les prescriptions de la Cour d'appel, ou devait-elle se considérer liée par l'adoption d'une loi postérieure au jugement de la Cour d'appel qui établissait le sens actuel et passé de la loi, c'est-à-dire le sens que la LRPR avait toujours eu?

[86]        En examinant le dispositif du jugement de la Cour d'appel, on se rend compte que cette dernière infirme la décision du TAQ du 15 juin 2004 et celle du comité de révision de la Régie du 14 avril 2003.  Toutefois, elle n'infirme pas les décisions de la Régie du 16 mai 2002 mais lui demande, au contraire, de les «réviser» «en se conformant au présent arrêt».  Par ailleurs, ayant conclu que c'est à tort que la Régie avait refusé d'appliquer les clauses 9.12 et 9.13 du Régime, elle autorise le Fiduciaire à déposer des rapports actuariels de terminaison qui tiennent compte des clauses 9.12 et 9.13 du Régime.

[87]        La Régie a considéré qu'elle pouvait reconsidérer (réviser) sa décision parce que la Cour d'appel l'y autorisait et parce qu'elle devait tenir compte de la loi déclaratoire.

[88]        Selon le Tribunal, en partageant le point de vue de la Régie, le TAQ s'est mépris sur la compétence de cette dernière.  En effet, la Régie n'a pas une compétence générale qui serait fondée sur le droit administratif.  Elle ne dispose que d'une compétence d'attribution.  Elle n'a aucun pouvoir implicite et elle n'est pas habilitée à reconsidérer ses décisions en l'absence d'un texte législatif l'y autorisant[32].

[89]        En 2002, lorsqu'elle a refusé de tenir compte des clauses 9.12 et 9.13 du Régime, la Régie a rendu une décision et s'est ainsi acquittée de ses fonctions.  À compter de ce moment, elle était functus officio et n'avait plus aucune compétence pour poursuivre l'exercice décisionnel de quelque façon que ce soit [33].

[90]        L'expression functus officio signifie «qui s'est acquitté de ses fonctions».  Cette expression s'applique à un tribunal aussi bien qu'à un organisme administratif qui rend des décisions qui affectent les droits des parties.

[91]        S'étant acquitté de ses fonctions en 2002 et n'ayant plus aucun pouvoir ni compétence pour réviser ou réexaminer sa décision, la Régie pouvait-elle complètement rouvrir le débat après que l'affaire lui eût été renvoyée à des fins spécifiques, c'est-à-dire afin de tenir compte, dans ses calculs ou dans ceux des actuaires, des articles 9.12 et 9.13. des RRR.

[92]        Il faut donc s'interroger sur la portée d'un renvoi à des fins spécifiques.  À plusieurs reprises, les tribunaux se sont penchés sur la question du renvoi de dossier par une cour supérieure à un tribunal ou organisme administratif sans que la question particulière qui se présente en l'espèce n'ait fait l'objet de discussion.  Les principes qui se dégagent de la jurisprudence sont les suivants :

·        La règle générale veut que l'on ne saurait revenir sur une décision judiciaire.  Cette règle souffre de deux exceptions : 1) lorsqu'il y a eu lapsus en la rédigeant ; 2) lorsqu'il y avait une erreur dans l'expression de l'intention manifeste de la Cour. [34]

·        En règle générale, lorsqu'un tribunal administratif a statué définitivement sur une question dont il était saisi conformément à sa loi habilitante, il ne peut revenir sur sa décision simplement parce qu'il a changé d'avis, parce qu'il a commis une erreur dans le cadre de sa compétence ou parce que les circonstances ont changé, sauf si la loi le lui permet ou dans les cas sus-mentionnés.[35]

·        Lorsque la Cour supérieure annule une décision après avoir corrigé une illégalité procédurale et qu'elle renvoie le dossier pour que le tribunal administratif exerce sa juridiction dans le respect de la loi et des principes de justice naturelle, ce tribunal n'est plus functus officio.  Par l'annulation de sa décision, il retrouve sa juridiction originale et doit l'exercer pleinement.[36]

·        La conséquence logique de l'annulation d'une décision [arbitrale] est le retour du dossier à [l'arbitre] à moins qu'il ne soit plus en état d'agir ou qu'il ne puisse être saisi de nouveau du dossier parce que sa compétence a été attaquée en ce qui concerne le processus [arbitral] même, au motif d'impartialité par exemple.[37]

[93]        Dans leur ouvrage Judicial Review of Administratrive Action in Canada[38], les auteurs Brown et Evans font une revue des différentes formes de renvoi.  Sous la rubrique «Remitting with Directions», ils écrivent :

« As a further alternative, a court may order that a matter be remitted to a tribunal for redetermination, subject to such directions as it deems warranted.

[…]

Sometimes, such directions involve clarification of a procedural or substantive legal question, or they merely seek to isolate a single issue that should be determined. »[39]

[94]        Dans Association des travailleurs et travailleuses du Café Campus inc. c. Québec (Procureur général)[40], une décision de la Régie des permis d'alcool avait été annulée par la Cour supérieure au motif que la Régie avait autorisé la délivrance d'un permis autre que l'un de ceux prévus par la loi.  À la suite du jugement de la Cour supérieure, la Régie avait convoqué les parties afin de reprendre l'audience pour décider s'il y avait lieu de suspendre ou de révoquer le permis de l'Association.  Cette dernière a demandé à la Cour supérieure de déclarer, entre autres, que la Régie était functus officio.

[95]        Le juge Trudel a rejeté les prétentions de l'Association et a jugé que la Régie possédait toujours la compétence de disposer de la plainte logée par cette association.  Il s'est par ailleurs interrogé sur l'étendue de cette compétence.  Il écrit :

« La Régie était placée devant deux alternatives : tenir une toute nouvelle audition ou continuer celle entreprise et laissée sans solution vu l'annulation de la conclusion.

Dans les circonstances de l'espèce, force est de constater que l'annulation de la décision ne signifiait pas du même coup que l'audition déjà tenue ne comptait plus et qu'il fallait tout reprendre.  Seule la conclusion de la décision de la Régie a été déclarée nulle de nullité absolue pour cause d'ultra vires et l'audition initiale n'a pas été attaquée.  En pareil cas, il ne s'impose pas de rebrousser chemin et de replacer les parties au point de départ.  Tout au contraire, à partir du moment où les droits de Café Campus sont sauvegardés, l'intérêt de la justice commande de continuer l'audition pour éviter de recommencer une longue enquête (sept jours) qui n'a d'ailleurs fait l'objet d'aucun reproche.  Ici, Café Campus sera en mesure, lors de la continuation de l'audition, de faire entendre des témoins, d'exposer son point de vue et discuter les éléments de fait et de droit que la Régie peut et doit utiliser pour aboutir à la solution du litige.  Il ne faut pas perdre de vue que la justice est avant tout l'art de terminer les litiges en donnant dans un délai raisonnable, une solution définitive à une situation contentieuse.  La continuation de l'audition s'inscrit on ne peut mieux dans cette perspective. »

[96]        Comme on peut le constater à la lumière des principes dégagés par la doctrine et la jurisprudence, un tribunal administratif à qui un dossier est renvoyé peut reprendre ou compléter son travail.  Tout dépend des circonstances.  En tout état de cause, encore faut-il que subsiste une matière qui relève de sa compétence[41].

[97]        À l'époque où la Régie se dit prête à rouvrir le dossier, soit en 2008, elle n'a plus aucun pouvoir de réviser ses décisions.  Elle ne peut, par ailleurs, s'autoriser de sa décision initiale rendue en 2002 - décision que la Cour d'appel a implicitement mise de côté en enjoignant à la Régie d'appliquer les clauses 9.12 et 9.13 des RRR - pour reprendre les procédures initiales comme si elle était saisie d'une question nouvelle qui n'avait pas été résolue.  Or, le problème était résolu et par son jugement initial et par celui de la Cour d'appel qui constituait, dès le 2 avril 2008, une «affaire décidée» qu'une loi déclaratoire ne pouvait affecter sans le dire expressément, peu importe que le jugement ait acquis à cette époque force de chose jugée ou non.  De plus, si la Régie considérait qu'il fallait absolument que ce jugement soit passé en force de chose jugée pour se considérer liée, force lui était de constater que le jugement de la Cour d'appel l’était depuis que la requête en autorisation de pourvoi à la Cour suprême avait été rejetée en octobre 2008.

[98]        Dans l'arrêt Chandler[42], la juge l'Heureux-Dubé souligne avec beaucoup d'à propos, que l'idée même «que les procédures initiales puissent être continuées est particulièrement inquiétante».  On retrouve la même préoccupation dans l'ouvrage des auteurs Pépin et Ouellette qui écrivent :

« Dans les cas des actes quasi judiciaires, la jurisprudence considère que les décisions régulièrement rendues sont irrévocables.  On veut en quelque sorte que les droits accordés ou reconnus aux administrés par l'Administration ne puissent être remis en cause par le biais d'un pouvoir de reconsidération.  Ces administrés ont droit à la sécurité juridique des décisions.  Une fois la décision rendue, le dossier est fermé et l'Administration est “functus officio”. »[43]

[99]        La Régie a cru, erronément, que le jugement de la Cour d'appel l'autorisait à «réviser» sa décision dans le sens le plus large possible, soit celui d'une reconsidération totale de sa décision initiale.  Or, outre le fait que le jugement ne l'autorisait qu'à «réviser» «en se conformant au présent arrêt», il est évident que la Cour d'appel ne pouvait conférer à la Régie un pouvoir que le législateur lui avait retiré.  La Cour d'appel, à l'instar des tribunaux judiciaires, ne fait pas la loi.  Elle l'applique.

[100]     À supposer, pour les fins de discussion, que la Cour d'appel, plutôt que de renvoyer l'affaire devant la Régie, s'était employée à rendre le jugement que la Régie aurait dû rendre, pourrait-on dire que la loi déclaratoire aurait affecté les conclusions d'un tel jugement.  La réponse est évidemment négative.  L'affaire était décidée et seule la Cour suprême, si elle avait accueilli la requête en autorisation de pourvoi, aurait pu appliquer les dispositions déclaratoires.

[101]     L'utilité du renvoi devant la Régie était d'ordre strictement pragmatique et fonctionnel.  Le rôle d'une Cour d'appel n'est pas de calculer le montant des rentes qu'un participant sera appelé à recevoir.  Les calculs sont complexes et la Régie est l'organisme qui chapeaute ce type d'opérations.  D'où l'importance de lui renvoyer le dossier afin qu'elle s'acquitte de ses tâches et de ses devoirs.

[102]     Avec respect, les longues remarques du TAQ sur la question de la chose jugée étaient superfétatoires.  À compter du moment où la cause était décidée, pour enlever tout effet au jugement de la Cour d'appel, le législateur devait l'écarter expressément.  Or, il a choisi de ne pas le faire.  Choix politique sans doute, mais choix assumé en toute connaissance de cause[44].

[103]     Le Tribunal est d'avis que le TAQ a commis une erreur sur une question de compétence et que cette erreur est fatale.  De plus, même s'il fallait conclure que la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable, le Tribunal est d'avis que la décision rendue est déraisonnable.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[104]     ACCUEILLE les requêtes en révision judiciaire des demandeurs ;

[105]     CASSE la décision du TAQ du 20 avril 2010 ;

[106]     RENVOIE le dossier à la Régie des rentes du Québec afin qu'elle rende un jugement conforme à la décision de la Cour d'appel du 2 avril 2008, c'est-à-dire qu'elle exerce une compétence limitée par le jugement de la Cour d'appel et qu'elle corrige sa décision initiale en appliquant les clauses 9.12 et 9.13 des Règles et Règlement du Régime sans tenir compte des dispositions déclaratoires du P.L. 68 ;

[107]     Compte tenu des délais écoulés depuis le début du présent litige, DÉCLARE le présent jugement exécutoire nonobstant appel ;


[108]     AVEC dépens.

 

 

__________________________________

DANIELLE GRENIER, j.c.s.

 

 

 

Stikeman Elliot

(Me Éric Mongeau et Me Michel Legendre)

Procureurs de Canada Bread Company Ltd, Multi-Marques inc. et

Multi-Marques Distribution inc.

 

Baril & avocats

(Me Nancy Béliveau)

Procureurs du Tribunal administratif du Québec

 

Arav, Robillard & Laniel

(Me Louis Robillard)

Procureurs de la Régie des rentes du Québec

 

Blake, Cassels & Graydon s.r.l.

(Me Natalie Bussière)

Procureurs de Sean Kelly et Bakery, Confectionery Tobacco Workers and

Grain Millers International Union, Local 468

 

 

Dates d’audience :

Les 18 et 19 octobre 2010

 



[1]     L.R.Q., c. R-151.

[2]     Multi-Marques Distribution inc. c. Régie des rentes du Québec, [2008] R.J.Q. 853 .

[3]     Propos du ministre lors du dépôt du P.L. 68, Cahier des débats, Pièce PC-24.

[4]     Québec, ASSEMBLÉE NATIONALE, Journal des débats de la Commission des affaires sociales, 1ère sess., 38e légis., 3 juin 2008, «Étude détaillée du projet de loi no 68 - Loi modifiant la Loi sur les régimes complémentaires de retraite, la Loi sur le régime des rentes du Québec et d'autres dispositions législatives», 15 h 30 à 16 h.

[5]     Procès-verbaux des séances des 3, 4 et 6 juin 2008 de la Commission des affaires sociales, Annexe I - Amendements adoptés.

[6]     Lettre de la Régie du 4 novembre 2008, Pièce PC-10.

[7]     Pièce PC-11.

[8]     Pièce PC-12.

[9]     Pièce PC-13.

[10]    Pièce PC-16.

[11]    Pièce PC-17.

[12]    Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190 .

[13]    Id., par. 62.

[14]    L.R.Q., c. R-15.1, art. 243 : Une personne intéressée peut contester une décision ou une ordonnance de la Régie devant le Tribunal administratif du Québec dans les 30 jours de sa notification.

[15]    L.R.Q., c. J-3.

[16]    Id., art. 158.

[17]    Multi-Marques Distribution inc. c. Régie des rentes du Québec, précité, note 2.

[18]    Multi-Marques Distribution inc. c. Régie des rentes du Québec, précité, note 2.

[19]    Toronto (Ville) c. S.C.F.P., [2003] 3 R.C.S. 77 , par. 62.

[20]    Id.

[21]    Harelkin c. Université de Régina, [1979] 2 R.C.S. 561 .

[22]    Walter S. SCOTT, Craies on Statute Law, 4th ed., London, Sweet & Maxwell, 1936, p. 60-61.

[23]    Pierre-André CÔTÉ, Interprétation des lois, Montréal, Éditions Yvon Blais, 1982, par. 1879 ; Craies on Statute Law, préc., note 22.

[24]    Chambre des notaires du Québec c. Haltrecht, [1992] R.J.Q. 947 ,p. 960.

[25]    Horby Island Trust Committee c. Stormwell, 53 D.L.R. (4th) 435 (B.C.C.A.).

[26]    Chambre des notaires du Québec. Haltrecht, préc., note 24.

[27]    Crevier c. P.G. du Québec et Aubry, [1981] 2 R.C.S. 220 .

[28]    Chambre des notaires du Québec. Haltrecht, préc., note 24, p. 951.

[29]    Id., p. 952.

[30]    Québec, ASSEMBLÉE NATIONALE, Journal des débats, préc., note 4, p. 17.

[31]    Québec, ASSEMBLÉE NATIONALE, Journal des débats, préc., note 4, p. 24.

 

[32]    Yves OUELLETTE, Les tribunaux administratifs au Canada, Procédure et preuve, Montréal, Éditions Thémis, 1997.

[33]    Chandler c. Alberta Association of Architects, [1989] 2 R.C.S. 848 , p. 865.

[34]    Id., p. 860.

[35]    Id.

[36]    Guilde des employés de Super Carnaval (Lévis) c. Tribunal du travail, [1986] R.J.Q. 1556 .  Dans cette affaire, la décision du Tribunal du travail avait été annulée parce qu'il y avait eu manquement à la règle audi alteram partem.

[37]    Cie des transformateurs Philips Ltée c. Métallurgistes Unis d'Amérique, Local 7812, [1985] C.A. 684 .

[38]    Donald J.M. BROWN and The Honourable John M. EVANS, Judicial Review of Administrative Action in Canada, Toronto (Ont.), Canvasback Publishing, vol. 2, à jour en juillet 2010.

[39]    Id., p. 5 - 38.

[40]    J.E. 91-1444 (C.S.)

[41]    Giguère c. Chambre des notaires du Québec, [2004] 1 R.C.S. 3 , par. 65 de la dissidence de la juge Deschamps.

[42]    Chandler c. Alberta Association of Architects, préc., note 33, p. 874.

[43]    Gilles PÉPIN et Yves OUELLETTE, Principes de contentieux administratif, 2e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1982, p. 221.

[44]    Voir débats et remarques de la députée Louise Harel.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.