Décision

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Shields c. Laplante

2011 QCCS 2340

 

JD2646

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

HULL

 

N° :

550-17-004358-097

 

 

DATE :

9 mai 2011

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

PIERRE DALLAIRE, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

JOHN A. SHIELDS

et.

BETTY CATHERINE BLAIR SHIELDS

Demandeurs

c.

RAYMOND LAPLANTE, BARBARA ALLISON FLETCHER,

COLBIE LAPLANTE, DEREK LEGER, DONALD EASTWOOD,

LORENZO P. PANARELLA, RICCARDO G. PANARELLA,

SYLVIA E.EMERY, ROBERT BONNEVILLE, in trust,

GILDA PRIETO, in trust,

FRANÇOIS BEAULIEU ET GENEVIÈVE THERRIEN

Défendeurs

et.

L'OFFICIER DE LA PUBLICITÉ DES DROITS

DE LA CIRCONSCRIPTION FONCIÈRE DE PAPINEAU

            Mis en cause

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]           La requête dont est saisi le Tribunal vise à faire déclarer éteinte par l'effet de la prescription décennale une servitude de droit de passage permettant aux propriétés de différents défendeurs[1] d'avoir accès, en suivant une étroite bande de terrain de 15 pieds de largeur qui longe le nord de la propriété des demandeurs, au Lac St-Pierre de Wakefield.

[2]           Bien que le procès ait été fixé pour deux jours, les parties et les procureurs ont fait diligence et la preuve, de même que les plaidoiries, ont pu être complétées en une journée.

[3]           En ce qui concerne les faits, la prétention des demandeurs est que le droit de passage n'a pas été exercé de janvier 1994 à la fin de décembre 2004[2], soit pendant dix ans et qu'il doit par conséquent être déclaré "éteint" par prescription.

[4]           Quant aux défendeurs, ils prétendent plutôt que le droit de passage a été utilisé au cours de la période en question et qu'il n'est pas, par conséquent, éteint par l'effet de la prescription.

Le droit applicable

[5]           Par ailleurs, les principes juridiques devant guider le Tribunal n'ont fait l'objet d'aucun débat. Ils ont été très bien résumés en plaidoirie par le procureur des défendeurs et le Tribunal endosse sans hésitation cet impeccable exposé du droit applicable à l'extinction d'une servitude. Cela se résume ainsi:

[6]           D'abord, pour qu'il y ait extinction d'une servitude, le non-usage doit avoir duré dix ans. C'est ce que nous indique le Code civil[3]:

« 1191.  La servitude s'éteint:

(…)

5e  Par le non-usage pendant dix ans.»

[7]           Ensuite, le délai en question ne court qu'à partir du moment où "le propriétaire du fonds dominant cesse d'exercer la servitude".[4]

[8]           Pour ce qui est du fardeau de preuve, c'est celui qui prétend qu'un droit est éteint qui a le fardeau de "prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée".[5] Par conséquent, en l'espèce, les demandeurs ont le fardeau d'établir le non-usage pendant dix ans.

 

 

[9]           Plusieurs jugements qui ont appliqué ce principe ont été déposés, et le Tribunal n'a aucune hésitation à dire qu'il est en parfait accord avec tous les juges qui ont affirmé que c'est celui qui prétend qu'il y a eu non-usage d'une servitude d'en faire la preuve.[6]

[10]        Parmi les jugements cités, il y en a un qui mérite une attention particulière. Il s'agit de la décision rendue par mon collègue le juge en chef adjoint André Wéry[7], dans laquelle il rejette la prétention de la partie plaidant l'extinction d'un droit de passage voulant qu'il soit ridicule d'exiger de celui qui prétend qu'il y a eu non-usage de faire la preuve d'une absence d'usage.

[11]        Après avoir résumé, en sept points bien sentis les règles de preuve applicables, le juge Wéry répond de la façon suivante à l'argument voulant que celui qui plaide le non-usage n'ait pas à prouver ce qui n'existe pas :

« 43. In the Court's view, there is nothing ridiculous in such finding. On the contrary. The respondent has a title to his servitude and he has possession. A title for which he has paid. So has Mr. St-Laurent. When the person who sold him that title (or his authors) comes and wants to take it back from him, on the basis that he did not exercise it for a period of thirty years, our rules of procedure provide that the onus of proof rests on that person. It is only normal, under our law, for the person who claims to be released from his debt by the " inaction " of his creditor to prove the facts on which he relies. To conclude otherwise would have the practical effect, in our case, of creating a legal presumption of non-usage. Legal presumptions can only created by law and no such presumption exists in our Code of Civil Procedure. Petitioner's argument is equivalent to saying that when the proof required is difficult or almost impossible to make, the burden of proof should then shift. Nothing of that nature exists in our Code of Civil Procedure, and for good reason. We can all appreciate where such theory could lead us.

44. If obtaining the radiation of a servitude for non-usage is difficult to do, it's because the legislator wanted it that way.»[8]

[12]        En résumé, le fardeau de preuve d'établir le non-usage pendant toute la période de dix ans repose carrément sur les épaules des demandeurs qui allèguent l'extinction du droit de passage et il n'existe aucune "présomption de non-usage" comme l'a souligné le juge Wéry.

[13]        C'est donc en appliquant ces principes indiscutables que le Tribunal disposera du présent litige.

 

Les faits

[14]        En l’espèce, les demandeurs (les Shields) sont propriétaires d’un terrain riverain donnant sur le Lac St-Pierre de Wakefield, qu’ils ont acquis en 1983[9] de Dalton J. McGuinty[10].

[15]        Dans l’acte de vente, un droit de passage est créé pour avoir accès au lac « for the benefit of the remainder of the adjoining property of the Vendor hereof ». La clause établissant le droit de passage dont on demande aujourd’hui au Tribunal de déclarer qu’il est éteint, se lit comme suit, au long :

« The Purchasers hereby create a servitude of right-of-way on a strip of land of fifteen feet (15') in width along the north and north-east boundary of the property presently sold extending between Wakefield Lake on the west and the private road on the east, such easement being created for the benefit of the remainder of the adjoining property of the Vendor hereof his heirs and assigns, for the purposes of providing access to and enjoyment of the lake. However, in the event that such owners, heirs or assigns consist of more than one family, then the enjoyment of the said easement is to be restricted to one family at a time.»

[16]        Cette servitude de passage suit la limite nord du terrain des Shields, sur une largeur de 15 pieds, d'est en ouest. Elle débute à l'est sur le "chemin du paradis", un chemin privé qui longe, du nord au sud, la propriété des Shields. La servitude de passage se termine, à l'ouest, sur la berge du Lac St-Pierre.

[17]        La servitude, selon le plan utilisé par les deux parties pour situer les lieux[11] a la forme d'un chevron de toiture en ce qu'elle n'est pas droite. Elle semble plutôt se diriger vers le nord avant de tourner brusquement, à mi-chemin, pour obliquer vers le sud.

[18]        Selon ce qu’a affirmé devant le Tribunal Mme Shields, qui a accordé cette servitude de passage dans l’acte par lequel elle acquiert la propriété, le vendeur Dalton McGuinty a demandé cette servitude de passage vers le lac au cas où il vendrait une partie du résidu de son terrain (the remainder of the adjoining property) à un membre de sa famille, dans le but de permettre à cette famille d’avoir accès au lac.

[19]        Quant au résidu du terrain appartenant à M. McGuinty, il s'agit essentiellement de deux terrains distincts, le premier étant une parcelle située au nord-est du terrain des Shields, traversée du nord au sud par le chemin du paradis, et le second étant un grand terrain vague situé à l'est du chemin du paradis vis-à-vis la propriété des Shields.

 

 

[20]        Par ailleurs, devant le texte établissant la servitude, qui semble limiter à une famille à la fois l'usage de la servitude de passage, le Tribunal a soulevé d'office le problème d'interprétation et d'application qui en découle dans un contexte où les défendeurs qui bénéficient de la servitude sont de toute évidence des familles distinctes qui ne semblent pas correspondre à ce que semble prévoir le texte du paragraphe établissant cette servitude.

[21]        À ceci, le procureur des défendeurs a répondu que le litige qui a été amené devant le Tribunal par les demandeurs ne porte aucunement sur l'application et la portée à donner au texte de la servitude mais simplement sur la question de savoir si la servitude de passage est éteinte ou non par non-usage.

[22]        Le Tribunal lui donne raison. En l'espèce, la seule question à laquelle il est appelé à se prononcer est la question de savoir si la servitude est éteinte par non-usage.

[23]        Ainsi, ne fait pas partie du présent débat la question de savoir si l'utilisation que fait de la servitude le défendeur Raymond Laplante est conforme à l'esprit et à la lettre du texte établissant cette servitude de passage, lorsqu'il subdivise son terrain en parcelles qu'il revend à des tiers en incluant dans tous les actes de vente le droit d'utiliser ce droit de passage[12],

[24]        Le cas échéant, il faudrait, comme l'a suggéré avec raison le procureur des défendeurs, que ceci soit spécifiquement demandé au Tribunal. Autrement, il se prononcerait ultra petita.[13]

[25]        La seule question qui se pose, et à laquelle le Tribunal doit répondre, est donc de savoir si la servitude de droit de passage que Dalton McGuinty a réservée au bénéfice du résidu de son terrain est éteinte par non-usage ou non.

[26]        Pour disposer du litige, il faut rappeler que le "résidu" de terrain qui demeurait la propriété de McGuinty en 1983, au moment de la vente aux Shields, est essentiellement composé de deux terrains distincts qui seront vendus au défendeur Raymond Laplante[14] à quelques mois d'intervalle en 1986. Nous les identifierons comme étant "le terrain Eastwood" et "le terrain boisé" pour des motifs qui deviendront plus évidents sous peu.

 

 

Le terrain Eastwood

[27]        Le 16 juin 1986, M. Laplante achète un premier terrain de M. McGuinty[15], Il s’agit d’un terrain qui n’est pas riverain et qui est situé au Nord-Est de la propriété des Shields, qu'il touche, au sud, sur quelques pieds. Pour le situer un peu mieux, disons aussi que ce terrain est traversé, du Nord au Sud, par le chemin du paradis.

[28]        Ce terrain appartient maintenant au défendeur Donald Eastwood, après avoir été vendu par M. Laplante à MM. MacCarthy et Kennel en 1990[16], ceux-ci l'ayant à leur tour cédé à M. Eastwood en 2005[17], qui était locataire de cette propriété depuis 1998.

[29]        L’acte de vente, précisons-le dès maintenant, ne réfère pas au droit de passage vers le lac situé sur la propriété des Shields, contrairement à l’acte de vente du terrain boisé.

[30]        En effet, on y retrouve plutôt la description d’un droit de passage de 25 pieds de large (et non de 15 pieds comme dans la servitude affectant le terrain des Shields) du chemin du paradis vers le lac Wakefield mais situé sur la partie Sud du terrain situé immédiatement au Nord du terrain des Shields.[18]

[31]        Cette information a été portée à l'attention du Tribunal par le procureur des Shields, au cours des plaidoiries. Il semble bien que l'absence de toute mention d'un droit de passage situé sur le terrain des Shields n'a été découverte qu'en cours de procès.

[32]        Le procureur des Shields a donc, sur cette base, indiqué que le terrain Eastwood ne peut bénéficier d'un droit de passage sur le terrain des Shields en l'absence de toute mention d'un tel droit de passage sur leur terrain.

[33]        À ceci, le procureur des défendeurs a rétorqué que, dans la mesure où le terrain Eastwood fait effectivement partie du "résidu" des terrains de McGuinty, il doit bénéficier du droit de passage établi dans l'acte de vente aux Shields en faveur "of the remainder of the adjoining property of the Vendor".

 

 

[34]        Cette situation est pour le moins troublante. Si McGuinty, en vendant ce terrain à M. Laplante, a pris la peine d'établir et de décrire[19] un droit de passage spécifique sur la propriété voisine située au nord du terrain des Shields, il devient difficile de penser qu'il voulait aussi que le terrain en question bénéficie d'une autre servitude de passage de 15 pieds située à la limite nord du terrain des Shields.

[35]        Quoi qu'il en soit, et non sans hésitation, le Tribunal arrive à la conclusion que le terrain en question fait effectivement partie du "résidu" du terrain du vendeur McGuinty en 1983 lors de la vente du terrain aux Shields et, qu'à ce titre, il peut être considéré comme fonds dominant et bénéficier, le cas échéant, de la servitude de passage sur le terrain des Shields.[20]

Le terrain boisé ("bush lot")

[36]        Quelques semaines plus tard, en juillet 1986, M. McGuinty vend au défendeur Raymond Laplante l'autre partie du résidu de son terrain[21].

[37]        Ce terrain, selon le témoignage de M. Laplante, est un grand terrain boisé (bush lot) d’environ 45 à 48 acres situé immédiatement à l’Est du « chemin du paradis »[22], qui longe du Nord au Sud la propriété des Shields, qui est située immédiatement à l’Ouest de ce chemin privé.

[38]        Soulignons immédiatement que, contrairement au terrain Eastwood, l’acte de vente mentionne spécifiquement que le terrain vendu bénéficie de la servitude de passage située sur le terrain des Shields[23].

[39]        Cet immense terrain restera intact dans le patrimoine du défendeur Raymond Laplante de 1986 à 2007.

 

 

 

[40]        En mars 2007, il en détache une parcelle qu'il vend pour un dollar à son gendre et à sa fille, les défendeurs Derek Léger et Colbie Laplante, où ils construisent leur résidence.[24] Dans l'acte de vente, il est spécifié que la parcelle bénéficie du droit de passage sur le terrain des Shields, en reprenant plus ou moins fidèlement le libellé de la clause établissant le droit de passage dans l'acte d'achat des Shields.[25]

[41]        En décembre 2007, il en détache une autre parcelle qu'il vend pour un montant de 10 000 $ à un ami de son gendre et à sa conjointe. Il s'agit des défendeurs François Beaulieu et Geneviève Therrien, qui y construisent leur résidence.[26] Dans l'acte de vente, comme pour l'acte précédent, il est spécifié que la parcelle bénéficie du droit de passage sur le terrain des Shields, en reprenant plus ou moins fidèlement le libellé de la clause établissant le droit de passage dans l'acte d'achat des Shields.

[42]        Il ne semble pas y avoir eu d'autres ventes de parcelles à même cet immense terrain boisé (bush lot), qui pourrait être morcelé en un nombre beaucoup plus grand de terrains résidentiels.

La résidence des Laplante

[43]        Notons par ailleurs que M. Laplante était déjà propriétaire depuis 1980 d’un terrain riverain, sur lequel il a construit sa résidence, situé immédiatement au sud de la propriété des Shields.[27]

L'identification des différents défendeurs

[44]        Plusieurs défendeurs n'ont pas comparu et semblent n'avoir manifesté aucun intérêt pour le droit de passage faisant l'objet du litige. Ainsi, les propriétaires du terrain situé immédiatement au nord du terrain des Shields, Lorenzo P. Panarella, Riccardo G. Panarella et Sylvia Emery, n'ont pas contesté la requête. On peut comprendre qu'étant propriétaires d'un terrain riverain donnant sur le Lac St-Pierre[28], le droit de passage sur le terrain des Shields est de peu d'intérêt pour eux.

[45]        Le Tribunal présume qu'il en est de même des défendeurs Robert Bonneville et Guilda Prieto in trust, qui n'ont pas été mentionnés au cours du procès, que ce soit comme utilisateurs du droit de passage ou comme propriétaires d'un terrain dans le voisinage.[29]

 

[46]        Par conséquent, il y a contestation liée essentiellement entre les Shields et le défendeur Donald Eastwood pour ce qui est de l'utilisation du droit de passage à partir du "terrain Eastwood", et entre les Shields et les défendeurs Raymond Laplante et son épouse Barbara Allison Fletcher, Derek Leger et son épouse Colbie Laplante, et François Beaulieu et sa conjointe Geneviève Therrien, pour ce qui est de l'utilisation du droit de passage à partir du "terrain boisé" décrit plus haut.

La question en litige

[47]        En l'espèce, les demandeurs ont-ils établi, par preuve prépondérante, que le droit de passage décrit dans leur acte d'achat a été éteint par non-usage d'une durée de dix ans, entre le 1er janvier 1994 et le 31 décembre 2004?

La preuve

[48]        Plusieurs témoins ont été entendus et, à la lumière des témoignages, le Tribunal constate qu'il est nécessaire de distinguer la situation du "terrain Eastwood" de celle du "terrain boisé".

[49]        Il faut rappeler que les deux terrains ne sont pas situés de façon similaire par rapport au droit de passage faisant l'objet du litige.

[50]        Alors que le terrain Eastwood est situé au nord-est du terrain des Shields, avec qui il partage une ligne séparative de plusieurs pieds, près de l'endroit où le droit de passage commence à bifurquer vers le sud (et vers le Lac St-Pierre), le terrain boisé est situé plus à l'est, de l'autre côté du chemin du paradis, et son accès au droit de passage prend naissance sur le chemin du paradis, à l'extrême droite du "chevron" que représente le droit de passage.

[51]        Dit autrement, le terrain Eastwood n'utilise que la partie ouest du droit de passage pour accéder au lac (à partir du sommet du chevron) alors que le terrain boisé doit utiliser toute la longueur du droit de passage, à partir du chemin du paradis, pour accéder au lac.

[52]        Cette importante différence au niveau de la situation géographique des deux terrains bénéficiant du même droit de passage justifie qu'on les traite de façon distincte, d'autant plus que la preuve entendue démontre qu'un seul des deux terrains a utilisé le droit de passage alors que l'autre n'en a fait aucun usage.

a) Le terrain Eastwood

[53]        En ce qui concerne le terrain Eastwood, il ressort clairement de l'ensemble des témoignages que, depuis 1986, il a été fait usage de façon constante et systématique de la partie ouest du droit de passage, c'est-à-dire la section qui descend vers le lac.

 

[54]        Le défendeur Raymond Laplante a témoigné qu'il a loué cette propriété après l'avoir achetée en 1986 et qu'il allait montrer à ses locataires à partir du terrain Eastwood leur droit de passage vers le lac. En d'autres mots, il leur montrait, à partir du chalet situé sur le terrain Eastwood, comment se rendre au lac. Ceci correspond à la partie ouest du droit de passage (celle qui descend vers le lac).

[55]        De plus, selon son témoignage, après avoir acheté la propriété en question, il a "marché le droit de passage" à partir du terrain de Eastwood. En d'autres mots, il est passé le long de la partie ouest du droit de passage.

[56]        En ce qui concerne cette partie ouest du droit de passage, il faut souligner que tous les témoins ont affirmé qu'il y a là une sorte de sentier facile à suivre, et qui est gazonné par endroits, où il est visible qu'il y a un passage. Les photos confirment cette réalité.[30]

[57]        Par ailleurs, la preuve non contredite est que M. Donald Eastwood, qui a occupé la propriété en tant que locataire depuis octobre 1998 avant d'en devenir propriétaire en 2005, a fait usage de la section ouest du droit de passage un nombre incalculable de fois.

[58]        Ceci est reconnu et admis par tous les témoins[31], y compris Mme Shields. M. Eastwood empruntait toujours la partie ouest du droit de passage, à partir du faîte du chevron, après avoir circulé sur le coin de la propriété des Panarella (ce qui lui permet d'éviter le détour que constituerait le fait d'aller utiliser la partie est du chevron, plus au sud par rapport à sa propriété), pour se rendre au lac afin d'aller y nager la plupart des jours d'été. De plus, M. Eastwood faisait du bateau et, en hiver, du patin sur le lac.

[59]        Par ailleurs, Derek Leger, le gendre de Raymond Laplante a témoigné qu'il est allé aider M. Eastwood avec son bateau, vers 2004. Le Tribunal en comprend qu'il a porté assistance à M. Eastwood entre le lac et sa propriété, ce qui signifie un passage sur la partie ouest du droit de passage.

[60]        Il faut souligner, et ceci ressort clairement de la carte déposée comme pièce     P-26, que la partie est du droit de passage n'est d'aucune utilité et constituerait un détour inutile pour toute personne qui se rend à la maison de M. Eastwood.

[61]        En effet, sa résidence se situe dans la partie nord de son terrain, à quelques pieds du chemin du paradis. Il est évident que quelqu'un qui irait rejoindre M. Eastwood n'aurait aucune raison sensée d'emprunter la partie est du droit de passage pour s'y rendre.

[62]        Par ailleurs, pour ce qui est de déplacer un bateau entre la propriété de M. Eastwood et le lac, il ressort clairement de la carte (P-26) que le chemin approprié est le trajet marqué en vert par M. Eastwood, qui implique de couper à travers la propriété des Panarella pour rejoindre la partie ouest du droit de passage.

[63]        En résumé, et il n'y a pas lieu d'en traiter plus longuement, les demandeurs n'ont pas apporté une preuve prépondérante du non-usage de la section ouest du droit de passage, qui relie le terrain Eastwood au Lac St-Pierre. Au contraire, une preuve fortement prépondérante démontre que cette section du droit de passage est utilisée de façon régulière par M. Eastwood, autrefois locataire et maintenant propriétaire du fonds dominant bénéficiant de ce droit de passage.

b) Le terrain boisé

[64]        Il s'agit, rappelons-le, du grand terrain situé à l'est du chemin du paradis, et sur lequel, en 2007, se sont construites les résidences des défendeurs qui ont acheté des parcelles de ce terrain du défendeur Raymond Laplante la même année.

[65]        La preuve de l'utilisation du droit de passage, et plus précisément de la section est du droit de passage, qui part du chemin du paradis pour se terminer au sommet du chevron (où débute la partie ouest du droit de passage régulièrement utilisée par M. Eastwood) est, de l'avis du Tribunal inexistante pour ce qui est de la période 1994-2004.

[66]        En fait, Raymond Laplante a témoigné qu'il a "marché" le droit de passage avec M. McGuinty en 1986 au moment de l'achat du terrain, à partir du chemin du paradis (donc la partie est du droit de passage) et qu'il l'a "marché" à la même époque avec sa conjointe Barbara Fletcher, pour lui montrer qu'il faisait une bonne affaire en achetant cette propriété.

[67]        Il indique dans son témoignage qu'il voulait "développer" ses lots suite à l'achat de McGuinty. Pourtant, la preuve révèle qu'il ne fait strictement rien avec ce grand lot boisé pendant 21 ans jusqu'à la vente en 2007 d'un lot à son gendre et sa fille.[32]

[68]        Le seul commentaire qu'il fera dans le cadre de son témoignage relativement à l'usage qu'il fait du grand lot boisé est qu'il est allé offrir à M. Shields, le demandeur, de lui vendre ce grand lot en lui laissant entendre qu'il aurait intérêt à l'acheter "car il pourrait se construire un 'trailer park' sur le lot boisé, situé à l'est de son terrain riverain sur le Lac St-Pierre[33].

[69]        À part cette tentative de "développement" qui a achoppé quand M. Shields n'a pas donné suite à cet argument de vente pour le moins inusité, la preuve révèle que le grand terrain boisé n'a servi à rien et n'a été utilisé par personne.

[70]        En effet, M. Laplante est déjà propriétaire de ce qui semble être un beau domaine situé directement sur le Lac St-Pierre, immédiatement au sud du terrain des Shields, et le gros bon sens veut qu'il accède au lac à cet endroit.

[71]        On imagine difficilement les Laplante quitter leur résidence par le chemin du paradis et se diriger vers le nord en longeant la propriété des Shields pour ensuite bifurquer à gauche en atteignant le nord de la propriété des Shields pour s'engager dans la forêt épaisse que l'on trouve dans la partie est du droit de passage jusqu'en haut du chevron où débute un sentier (vis-à-vis la résidence de M. Eastwood) jusqu'au Lac St-Pierre.

[72]        En effet, la preuve révèle qu'il n'y a absolument aucun tracé, sentier, signe de passage dans la partie ouest du droit de passage. Au contraire, les témoignages concordent pour dire qu'il s'agit d'une forêt épaisse parsemée de gros rochers.

[73]        Personne n'a mieux décrit la situation physique des lieux dans la partie est du droit de passage que le défendeur François Beaulieu qui a dit en résumé "qu'il y a des grosses roches, mais ça se marche… Il y a des arbres mais on peut se faufiler entre les arbres et les roches."

[74]        Par ailleurs, c'est lui qui a pris les photos déposées par la défense comme pièce D-5. Le Tribunal a noté qu'aucune des photos déposées en preuve ne montre la partie est du droit de passage, qu'il s'agisse des photos déposées  par les demandeurs ou les défendeurs.

[75]        Lorsque le Tribunal a souligné cette situation pour le moins surprenante au niveau de la preuve, la réponse qui a été donnée est que la forêt est tellement dense qu'une photo ne pourrait montrer plus loin que les premiers arbres.

[76]        Curieux droit de passage.

[77]        À la lumière de ces éléments de preuve, le Tribunal ne peut faire autrement que conclure qu'il est hautement improbable que qui que ce soit ait utilisé, à quelque moment que ce soit, la partie est du droit de passage, à partir du chemin du paradis, pour accéder au Lac St-Pierre, après que M. Laplante et son épouse l'ont "marché" suite à l'achat en 1986.

[78]        Ce n'est tout simplement pas un sentier ou un passage susceptible d'être utilisé autrement que par une personne comme François Beaulieu qui, de toute évidence, est allé en exploration pour conclure que "ça se marche" en escaladant les grosses roches et en se faufilant entre les arbres.

 

 

[79]        Par ailleurs, la situation serait bien différente si, après 1986 et avant 2004, M. Laplante avait développé le grand terrain boisé, au moins en partie, et que des personnes résidant sur ce terrain avaient fait usage du droit de passage constitué à leur avantage. Ce n'est pas le cas.

[80]        Contrairement au cas du terrain Eastwood, qui est occupé par une personne qui fait usage de la partie ouest du droit de passage, le terrain boisé est resté complètement inoccupé et personne, au cours de toutes ces années, n'a fait usage de la partie est du droit de passage à partir du fonds dominant à qui est consenti ce droit de passage.

[81]        Ceci, en soi, est suffisant aux yeux du Tribunal pour constituer une preuve prépondérante du non-usage de ce droit de passage à partir du fonds dominant, pour toute la période s'étendant de 1986 à 2007.

[82]        Toutefois, il ne faut pas s'arrêter là et y a lieu de considérer tous les éléments additionnels de preuve apportés par les défendeurs.

[83]        En effet, même si M. Laplante, son épouse et leurs enfants, gendre et amis ne demeuraient pas sur le fonds dominant que constitue le grand terrain boisé, ont-ils pu tout de même utiliser la partie est du droit de passage pour accéder au lac?

[84]        C'est en tout cas ce qu'ils ont tenté de démontrer au Tribunal pour faire échec à l'allégation de non-usage du droit de passage.

[85]        Toutefois, la preuve qu'ils ont apportée à ce sujet n'est tout simplement pas crédible et sent la tentative désespérée de montrer qu'ils ont utilisé un droit de passage en pleine forêt alors qu'ils pouvaient, et qu'ils ont effectivement passé plutôt sur la partie gazonnée du terrain des Shields située plus bas que la partie est du droit de passage.

[86]        C'est en tout cas ce qu'a admis en contre-interrogatoire l'épouse de M. Laplante, Barbara Fletcher, après avoir prétendu s'être rendue au bord du lac par le droit de passage pour faire du "windsurfing" (1986-1988), du "paddleboard" (dans les années 1990) et pour se rendre visiter les Warren avec les enfants (qui occupaient alors ce qui est maintenant la propriété des Panarella), elle a effectivement confirmé qu'ils ne restaient pas dans la partie est du droit de passage mais "coupaient" plutôt à travers la propriété des Shields jusqu'au "bunkhouse" situé près du milieu du trajet du droit de passage.

[87]        De la même manière, quand M. Laplante souligne qu'il est allé travailler avec un tracteur à la mise en état d'une clôture située dans la partie ouest du droit de passage à la limite du terrain des Panarella, avec le propriétaire d'alors, M. Warren, avec un tracteur, il est absolument invraisemblable qu'il ait pu amener son tracteur à cet endroit en passant par la partie est du droit de passage où on ne peut circuler qu'en se faufilant entre les arbres.

 

[88]        De plus, il faut le noter, c'est dans la partie ouest du droit de passage que ces travaux ont lieu et où M. Laplante est présent. Il y est donc parvenu par le biais du terrain Eastwood.

[89]        S'il est une chose qui a frappé le Tribunal, c'est le fait que M. Laplante, à chaque question portant sur l'utilisation de la partie est du droit de passage, est revenu à chaque fois sur le fait "qu'il a marché" le droit de passage avec M. McGuinty et, par la suite, avec son épouse, en 1986, lors de l'achat du terrain. La nette impression qui en découle est qu'il n'est pas passé de nouveau par la suite sur la partie est du droit de passage, qui est d'ailleurs presque impraticable.

[90]        En ce qui concerne le témoignage de Mme Fletcher, outre le fait qu'elle a admis en contre-interrogatoire qu'elle n'utilisait pas la partie est du droit de passage les fois où elle s'est rendu au bord du lac à l'extrémité nord du terrain des Shields (elle passait plutôt sur le terrain des Shields, sur le gazon au sud de la section est du droit de passage), le Tribunal a noté qu'elle semblait très mal à l'aise de témoigner, avec une réticence évidente, des hésitations et des soupirs. De plus, elle a quitté la barre après son témoignage avec une telle vitesse qu'elle était déjà assise quand le Tribunal a voulu la remercier d'avoir témoigné.

[91]        En deux mots, le Tribunal ne croit tout simplement pas que les Lavigne ont utilisé la partie est du droit de passage une seule fois entre le moment où ils ont "marché" le droit de passage en 1986 et bien après 2004, quand ils ont commencé à s'occuper du terrain boisé en vendant deux parcelles en 2007 ou quand le litige quant à l'extinction du droit de passage a débuté.

[92]        Par contre, il n'y a aucun doute que le défendeur Raymond Laplante a, à maintes reprises alors qu'il louait à des tiers le terrain Eastwood, utilisé la section ouest du droit de passage pour montrer aux locataires le tracé de la section ouest du droit de passage, qui semble d'ailleurs avoir été utilisé par tous les occupants de ce terrain pour accéder au lac, y compris M. Eastwood.

[93]        Quant aux témoignages du gendre Derek Leger, et de son ami François Beaulieu, ils ne peuvent éclairer le Tribunal sur la période 1994-2004. Il semble bien que, vers 2007, ils aient utilisé le droit de passage pour aller s'enquérir du sort du chat des Lavigne qui serait décédé dans une trappe à castors. Ceci aurait donné lieu à une altercation mais ceci, qui survient près de trois ans après l'expiration du délai de prescription, n'est d'aucune utilité pour disposer du litige.

[94]        Tout au plus, le témoignage de François Beaulieu a bien fait ressortir qu'il n'existe aucun sentier, aucune trace visible de passage dans la partie est du droit de passage. En fait, il faut grimper sur les grosses roches et se faufiler entre les arbres pour arriver à la section ouest, qui est un véritable sentier. Il a même souligné que ceci n'est pas un problème pour un jeune homme comme lui.

 

[95]        Derek Leger et François Beaulieu ont tous deux indiqué à quel point l'accès au lac par le droit de passage a été un élément important dans leur décision d'acheter leur terrain respectif.

[96]        Toutefois, le Tribunal ne peut que constater qu'ils ont acheté en 2007, soit plusieurs années après la période 1994-2004 et qu'ils n'ont de toute évidence pas pu utiliser ce droit de passage pendant la période pertinente à partir de la parcelle du lot boisé qu'ils n'ont acquis qu'en 2007.

[97]        Un dernier commentaire. Mme Shields a témoigné qu'elle n'a jamais vu M. Laplante, ou quelqu'un d'autre de sa famille, utiliser la section est du droit de passage à quelque moment que ce soit depuis 1986. Il est évident qu'elle n'était pas sur place en permanence et que son seul témoignage sur cette question serait absolument insuffisant pour établir le non-usage.

[98]        Toutefois, il confirme le constat que fait le Tribunal à ce sujet: Suite à l'achat du terrain boisé en 1986, Raymond Laplante n'a posé aucun geste pour utiliser, développer, valoriser le terrain en question[34] et, dans ce contexte, il est non seulement invraisemblable mais impossible de croire qu'il se serait préoccupé du droit de passage qui est un accessoire de ce terrain.

[99]        Il n'a d'ailleurs posé aucun geste pour aménager le droit de passage à partir de 1986.[35] Comme le terrain boisé, il n'a simplement pas été utilisé à partir de l'achat du terrain en 1986.

Analyse et décision

[100]     En résumé, la preuve révèle que la section ouest du droit de passage a été utilisée tout au long de la période 1994-2004 et que, dans ce contexte, les demandeurs n'ont pas réussi à se décharger du fardeau d'apporter une preuve prépondérante du non-usage pendant dix ans.

[101]     En ce qui concerne la partie est du droit de passage, la situation est toute autre. D'abord, le fonds dominant qu'est le terrain boisé est à toutes fins pratiques un terrain abandonné de 1986 à 2007, si l'on se fie sur la preuve qui a été faite au cours du procès. Il s'agit là d'un fait important qui fait ressortir le caractère unique de ce dossier.

[102]     Au départ, il est difficile de penser que le droit de passage qui est rattaché à ce terrain aurait été, lui, utilisé au cours de cette période quand le terrain lui-même ne fait l'objet d'aucun usage tout au long de cette période.

[103]     L'idée que le droit de passage ait été utilisé est encore plus invraisemblable quand on sait que M. Laplante, le propriétaire du terrain boisé, possède un terrain riverain immédiatement au sud du terrain des Shields, à partir duquel il a l'entière jouissance du lac.

[104]     Les témoignages peu convaincants des défendeurs ne font que confirmer l'invraisemblance de l'idée que la section est du droit de passage, à travers roches et arbres, aurait été utilisée une seule fois quand il était si facile, comme l'a d'ailleurs admis Mme Fletcher (l'épouse de M. Laplante), de passer sur la partie gazonnée du terrain des Shields jusqu'au "bunkhouse" où l'on s'engage sur la partie ouest du droit de passage qui est, elle, un véritable sentier.

[105]     En deux mots, il en découle une preuve fortement prépondérante que la section est du droit de passage n'a jamais été utilisée une seule fois entre 1994 et 2004.[36] En ce sens, les demandeurs se sont déchargés du fardeau de prouver le non-usage de la servitude de passage pendant dix ans.

[106]     Le procureur des défendeurs a affirmé, sans toutefois déposer d'autorités à l'appui de cette affirmation, que le droit de passage est "indivisible". En d'autres mots, qu'on ne peut séparer la section est de la section ouest.

[107]     Toutefois, l'un des importants arrêts qu'il a déposés dans le cadre de sa plaidoirie rappelle qu'il est possible de prescrire la partie d'une servitude de passage qui n'est pas utilisée, de façon à restreindre, en fonction du non-usage établi devant le Tribunal, la servitude à la partie qui a effectivement fait l'objet d'une utilisation.[37] Dit autrement, le non-usage peut mener à "une réduction de l'assiette de la servitude".[38]

[108]     Sur cette base, le Tribunal pourrait constater que l'assiette de la servitude doit être réduite en supprimant sa section est, vu que le non-usage pendant plus de dix ans de cette section justifie cette conclusion.

[109]     Toutefois, en l'espèce, la solution appropriée est plutôt de constater que la servitude consentie au bénéfice du résidu du terrain appartenant au vendeur (M. McGuinty) porte sur deux parcelles distinctes (le terrain Eastwood et le terrain boisé) et que, si l'un des terrains (le terrain Eastwood) a fait usage de la section ouest de la servitude (qui est d'ailleurs la seule qui lui est utile pour accéder au lac) l'autre terrain (le terrain boisé), qui n'a d'ailleurs été occupé par personne de 1986 à 2007, n'a fait aucun usage de la section est du droit de passage.

 

[110]     Dans ce contexte, le Tribunal disposera du litige en rejetant la requête introductive d'instance à l'égard du terrain Eastwood (et du défendeur Donald Eastwood), vu que la preuve de non-usage de la section ouest du droit de passage n'a pas été faite.

[111]     Par ailleurs, il y a lieu d'accueillir la requête introductive d'instance en ce qui concerne le terrain boisé (et les défendeurs Raymond Laplante, Barbara Fletcher, Derek Leger, Colbie Laplante, François Beaulieu et Geneviève Therrien) vu que la preuve prépondérante permet de conclure à un non-usage complet pendant plus de dix ans de la section est du droit de passage qui dessert ce terrain boisé. Il est évident que le terrain boisé (ou ses usagers), en n'utilisant pas la section est du droit de passage, n'a pas utilisé non plus la section ouest qui la continue jusqu'au lac. Il ressort de la preuve que le seul usage qui a été fait de la section ouest du droit de passage l'a été par et à partir du terrain Eastwood.

Les dépens

[112]     Du témoignage de Mme Shields, le Tribunal a compris qu'elle a discuté de la situation avec le principal défendeur, M. Laplante, et qu'ils ont en quelque sorte convenu de soumettre la question de la servitude de passage au Tribunal, pour trancher un désaccord qu'ils ne pouvaient résoudre entre eux malgré des relations assez cordiales entre voisins.

[113]     Dans ce contexte, le Tribunal considère qu'il y a lieu de disposer du litige chaque partie payant ses frais. Advenant que le présent jugement ne met pas fin au litige, le Tribunal ne serait pas froissé si une instance plus élevée concluait qu'il aurait dû imposer les dépens à la partie qui succombe.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:

[114]     ACCUEILLE en partie la requête introductive d'instance;

[115]     DÉCLARE éteinte par l'effet de la prescription extinctive la servitude de passage située sur les lots 30B-1 et 31-3 du Rang 3 ouest, canton de Portland, Papineau, rédigée comme suit:

«« The Purchasers hereby create a servitude of right-of-way on a strip of land of fifteen feet (15') in width along the north and north-east boundary of the property presently sold extending between Wakefield Lake on the west and the private road on the east, such easement being created for the benefit of the remainder of the adjoining property of the Vendor hereof his heirs and assigns, for the purposes of providing access to and enjoyment of the lake. However, in the event that such owners, heirs or assigns consist of more than one family, then the enjoyment of the said easement is to be restricted to one family at a time.»

 

à l'égard de toutes les propriétés en faveur desquelles elle a été établie et plus spécifiquement à l'égard des lots 30B PT., 30B-2 et 29B-6 du Rang 3 ouest, canton de Portland, à l'exception du terrain identifié au présent jugement comme étant le "terrain Eastwood", décrit plus précisément comme suit:

Description

             « An immoveable known and described as being part of lot numbers ONE of the Official subdivision of lot number THIRTY-ONE (Lot 31-1) part of lot number THIRTY-ONE (Pt 31), part of lot number THIRTY "B", all in the range THREE WEST (R. 3 WEST) in the cadastre of the Township of PORTLAND, Land Registry Office of Papineau, in the Province of Quebec.

All those part of lots may be more particularly described as follows:

The parcels hereinafter described are referring to a plan and certificate of localization prepared by Richard Fortin, Quebec Land Surveyor, on August 3rd 1991, under number F-91-2900 of his minute.

PARCEL "C" (Part of lot 31, range 31 West)

This parcel of land of irregular figure is bounded towards the North by lot 31-1, towards the East by a part of lot 30-B, towards the South by a part of lot 30B-1, towards the South-West by another part of lot 31 and can be more precisely described as follows:

STARTING at a point "N" which point is situated at the intersection of South boundary of lot 31-1 and the division line of lots 31 and 30B.

THENCE following a direction of 183o on a distance of twenty-four meters, nineteen centimetres (24,19 m) to point "J"; THENCE following a direction of    287o on a distance of six meters, fifty-one centimetres (6,51 m) to a point "K"; THENCE following a direction of 339o on a distance of twenty meters, twenty-three centimetres (20,23 m) to a point "M"; THENCE following a direction of 77o on a distance of fifteen meters, twenty-eight centimetres (15,28 m) to point "N";

CONTAINING an area of two hundred an twenty-nine square meters         (229 m2).

PARCEL "D" (Part of lot 30B), range 3 West):

This parcel of land of irregular figure, is bounded towards the East and the South-East by another part of lot 30B, towards the South by lot 30B-1, towards the West by parts of lot 31 and a part of lot 31-1, towards the North by part of lot 30B and a part of lot 31-1 and can be more precisely described as follows:

STARTING at a point "O" which point is situated at the South-Eastern extremity of lot 31-1;

THENCE following a direction of 1o on a distance of thirty-nine meters, sixty-nine centimetres (39,69 m) to a point "P"; THENCE following an arc of radius 28,65 m on a distance of twenty-one meters, in a northerly direction (21,00 m) to point "Q"; THENCE following a direction of 3o on a distance of then meters, ninety-four centimeters (10,94 m) to point "E"; THENCE following a direction of 88o on a distance of thirty-eight meters, ninety-two centimetres (38,92 m) to a point "F"; THENCE following a direction of 178o on a distance of seventy-two meters, eighty centimeters (72,80 m) to a point "G"; THENCE following a direction of 249o on a distance of thirty-seven meters, seventy-three centimeters ( 37,73 m) to a point "H"; THENCE following a direction of 178o on a distance of fifteen meters, four centimeters (15,04 m) to point "I"; THENCE following a direction of 287o on a distance of twelve meters, sixty-six centimeters (12,66 m) to point "J"; THENCE following a direction of 3o on a distance of twenty-four meters, nineteen centimeters (24,19 m) to a point "N"; THENCE following a direction of 77o on a distance of nine meters, eighty-seven centimeters (9,87 m) to point "O";

CONTAINING an area of three thousand one hundred and one square meters   (3 101 m2).

PARCEL "E" (House, Part of lot 31-1, range 3 West):

This parcel of land of irregular figure is bounded towards the North and the North-East by parts of lot 31, towards the North-East and East by a part of lot 30B, towards the South by parts of lots 30B and 31, towards the West by a part of lot 31-1 and can be more precisely described as follows:

STARTING at a point "O" which point is situated at the South-Eastern extremity of lot 31-1;

THENCE following a direction of 257o on a distance of twenty-five meters, fifteen centimeters (25,15 m) to a point "M"; THENCE following a direction of 339o on a distance of seventy-five meters, seventy-eight centimeters (75,78 m) to a point "B"; THENCE following a direction of 78o on a distance of sixteen meters, seventy-eight centimeters (16,78 m) to a point "C"; THENCE following a direction of 88o on a distance of six meters, fourty-three centimeters (6,43 m) to a point "D"; THENCE following an arc of radius of 28,65 m on a distance of fourty-six meters, eighty-five centimeters (46,85 m) in an Easterly then Southerly direction to point ''P''; THENCE following a direction of 181 on a distance of thirty-nine meters, sixty-nine centimeters (39,69 m) to point ''O'';

CONTAINING an area of two thousand thirty-two square meters (2 032 m2)

PARCEL ''E'' (D-E-Q-D) (Part of lot 31, range 3 West):

This parcel of land of irregular figure (almost triangular) is bounded towards the North by a part of lot 31, towards the East by lot 30B, towards the South-West by lot 31-1 and can be more precisely described as follows:

STARTING at a point ''Q'' which point is situated at the intersection of the dividing line of lots 31 and 30B with the North-Eastern boundary of lot 31-1;

THENCE following an arc of radius 28,65 m on a distance of twenty-five meters, eighty-five centimeters (25.85 m) in a North-Westerly direction to point ''D''; THENCE following a direction of 88o on a distance of twenty-three meters, fifty-eight centimeters (23,58 m) to A point ''E''; THENCE following a direction of 183 on a distance of ten meters, ninety-four centimeters (10,94 m) to point ''Q'';

CONTAINING an area of eighty square meters (80 m2).

The said property corresponds to the civic number […], Val-des-Monts, Province of Quebec, […].

mais seulement pour la partie ouest du droit de passage, qui débute à la ligne séparant le lot 30 et le lot 31, et qui se termine au Lac St-Pierre de Wakefield. Dit autrement, le droit de passage longe la partie nord du lot 31-3 d'est en ouest, à partir du terrain Eastwood jusqu'au Lac St-Pierre de Wakefield.

[116]     ORDONNE à l'officier du Bureau de la publicité des droits de procéder aux inscriptions appropriées en vue de donner effet au présent jugement;

[117]     Chaque partie payant ses frais.

 

 

 

__________________________________

      PIERRE DALLAIRE, J.C.S.

 

 

Me Gérard Desjardins

DESJARDINS, GAUTHIER, avocats

      Procureur des Demandeurs

 

Me Guy Gosselin

RPGL, s.e.n.c.r.l.

      Procureur des Défendeurs

 

Date d’audience :

10 février 2011

 



[1] Il faut noter que tous les défendeurs n'ont pas comparu ou contesté la requête.

[2] Il faut rappeler que c'est le 1er janvier 1994 que le Code civil du Québec est entré en vigueur. À partir de cette date, c'est la prescription décennale (10 ans) qui remplace l'ancienne prescription de 30 ans du Code civil du Bas-Canada (art. 562 C.C.b.c.).

[3] Art. 1191 C.c.Q.

[4] Art. 1192 C.c.Q.

[5] Art. 2083 C.c.Q.

[6] Louis Valcke c. Helen Tétreault Johnston, EYB 2005-97852, (C.A.), parag. 10; Grandmaison c. Association des propriétaires de Southière sur le lac inc., 2010 QCCS 2927, parag. 13; Morand c. Ferland, 2008 QCCS 4566 , parag. 11; Vosniades c. Baillargeon, 2007 QCCS 1296 , parag. 63. Voir aussi:Pierre-Claude LAFOND, Précis de droit des biens, 2e éd., Les Éditions Thémis, page 937. 

[7] Susan Mayers & Al. c. Jacques Matte & Al., REJB 2001-23608 (C.S.).

[8] Ibid., parag. 43, 44.

[9] Pièce P-1.

[10] Oui, c’est le père de l’actuel Premier ministre de l’Ontario.

[11] Pièce P-26.

[12] C'est ce qu'il a fait en vendant des parcelles à d'autres défendeurs par les actes P-5 et P-9 (vente à son fils Derek et vente à un ami de son fils).

[13] Au-delà de ce qui lui est demandé (traduction libre).

[14] À noter que M. Laplante semble avoir transféré une demi-indivise de ses terrains à sa conjointe, la défenderesse Barbara Allison Fletcher, en 1997 (pièce P-4), mais pour des fins de simplicité, le Tribunal référera seulement à M. Laplante.

[15] Pièce D-2. Le terrain est identifié en couleur orange sur le plan, pièce P-26.

[16] Pièce D-3.

[17] Pièce P-6.

[18] Pièce D-2, page 1. Le seul droit de passage mentionné à l'acte de vente de McGuinty à Laplante est celui situé sur la propriété située au nord de la propriété des Shields. Ce terrain, pour fins de précision, est actuellement la propriété des défendeurs Panarella.

[19] Soulignons qu'en plus de préciser la largeur de 25 pieds du droit de passage,  un plan annexé à l'acte de vente montre bien un droit de passage situé sur la propriété immédiatement au nord de celle des Shields.

[20] Ce n'est pas là une conclusion évidente, avec laquelle le Tribunal est particulièrement confortable, surtout dans un contexte où les titres du fonds dominant ne font aucunement mention du fait qu'ils bénéficient d'une telle servitude sur le terrain des Shields. La seule servitude mentionnée est sur le terrain situé au nord du terrain des Shields.

[21] Pièce P-3. Le terrain est identifié en rose sur le plan, pièce P-26.

[22] Pour être plus précis, il faudra dire que ce lot boisé est aussi situé des deux côtés du « chemin du paradis » lorsque ce chemin, qui est dans l’orientation Nord-Sud le long de la propriété des Shields, tourne à 90 degrés vers l’Est vis-à-vis la limite Sud du terrain des Shields pour aller rejoindre le chemin public.

[23] Pièce P-3, page 2.

[24] Pièce P-5. Le terrain en question est identifié en brun sur le plan P-26.

[25] Ibid., page 3.

[26] Pièce P-9. Le terrain en question est identifié en bleu sur le plan P-26.

[27] Pièce D-1.La résidence est indiquée par un X rose sur le plan, pièce P-26. M. Laplante n’a pas acquis cette propriété de M. McGuinty, et cette propriété n’est aucunement touchée par le présent litige. Elle n’a pas besoin d’un droit de passage vers le lac, elle est riveraine.

[28] Pièce P-7.

[29] Pièce P-8.

[30] Voir, entre autres, les pièces D-5 (qui ne montrent d'ailleurs que la section ouest, près du lac, du droit de passage) et P-27.

[31] C'est le cas en particulier de M. Rolko, un locataire d'un chalet sur le terrain des Shields, qui a vu souvent M. Eastwood aller nager au lac. C'est pour ainsi dire la seule partie du témoignage de M. Rolko, qui a déclaré en début de témoignage être affecté mentalement, qui révélait des souvenirs clairs et fiables.

[32] Vente survenue en mars 2007. Pièce P-5.

[33] La date précise de cette offre de vente n'a pas été donnée mais elle se situe nécessairement après 1986, lorsque M. Laplante est devenu propriétaire du lot boisé.

[34] Si on exclut sa tentative, pas trop habile, de le vendre à M. Shields.

[35] Le témoignage de M. Laplante, qui justifie son inaction à ce niveau en disant que les Shields ne veulent pas qu'on touche à la végétation, apparaît effectivement aux yeux du Tribunal comme une tentative de justifier son inaction à l'égard du droit de passage qui, dans les faits, n'a tout simplement pas été utilisé pour sa partie est.

[36] Il est en fait possible, pour ne pas dire probable, que la section est n'a pas été utilisée entre 1986 et 2007.

[37] Louis Valcke c. Helen Tétreault Johnston, EYB 2005-97852 (C.A.).

[38] Ibid., parag. 11.

 

AVIS :
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