Spieser c. Canada (Procureur général) |
2010 QCCS 3248 |
JG 1744 |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE QUÉBEC |
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N° : |
200-06-000038-037 |
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DATE : |
12 juillet 2010 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
BERNARD GODBOUT, j.c.s. |
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MARIE-PAULE SPIESER Domiciliée et résidant au 15, King's Drive Shannon (Québec) District de Québec, G0A 4N0 |
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Demanderesse |
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c. |
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LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA Au nom de SA MAJESTÉ DU CHEF DU CANADA Exerçant ses fonctions au Complexe Guy-Favreau, Tour E. 200, boul. René-Lévesque Ouest, 9e étage Montréal (Québec) District de Montréal, H2Z 1X4 |
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GENERAL DYNAMICS PRODUITS DE DÉFENSE ET SYSTÈME-TACTIQUES CANADA INC. (GD-OTS CANADA INC.) Personne morale de droit privé ayant son siège social au 5, Montée des Arsenaux Le Gardeur (Québec) District de Joliette, J5Z 2P4 |
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et |
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SOCIÉTÉ IMMOBILIÈRE VALCARTIER INC. Personne morale de droit privé ayant son siège social au 455, boulevard René-Lévesque Ouest Montréal (Québec) District de Montréal, H2Z 1Z3 |
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Codéfendeurs solidaires
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JUGEMENT SUR UNE REQUÊTE VERBALE POUR REMISE D'UN DOCUMENT TRANSMIS PAR INADVERTANCE |
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[1] Le Procureur général du Canada (le Procureur général) demande que lui soit remis un document qu'il dit avoir transmis par inadvertance aux procureurs de la demanderesse, madame Marie-Paule Spieser, plus précisément «Briefing note on trichloroethylene contamination at Valcartier» intitulé «TCE Groundwater contamination, Valcartier area». Ce document a été inclus dans un cahier préparé à la demande des procureurs de la demanderesse par monsieur Daniel Godbout, représentant du Procureur général, en prévision de son interrogatoire au préalable après défense. Le Procureur général soutient qu'il s'agit d'un document couvert par le secret professionnel de l'avocat auquel l'on n'a pas renoncé du seul fait de sa remise, qui fut d'ailleurs par inadvertance.
[2] Les procureurs de la demanderesse sont plutôt d'avis que:
- «[…] La seule mention «Solicitor-Client Privilege» n'emporte pas automatiquement la confidentialité du document. En effet, le document contient un résumé factuel de la situation de la contamination de la nappe phréatique à Valcartier et ne constitue pas un avis juridique […]. D'ailleurs, une seule des quatre personnes ayant participé à la confection et à la révision du document revêt le statut de conseiller juridique. Son contenu n'est, […], pas de la nature d'un avis juridique et constitue plutôt un sommaire explicatif de la situation.»[1];
- À tout événement, le Procureur général, par le biais de son représentant, a renoncé à la confidentialité du document en admettant l'avoir transmis ou du moins avoir consenti à sa transmission;
- Enfin, le contenu du document amène un éclairage important sur les questions en litige et soulève des doutes sérieux quant aux affirmations contenues dans les procédures du Procureur général.
Principes
[3] Essentiellement, l'interrogatoire préalable vise la divulgation généreuse de la preuve et, en ce sens, revêt un caractère exploratoire[2], favorisant la découverte de la vérité. À ce stade, le concept de pertinence doit donc s'apprécier largement[3]. C'est pourquoi les tribunaux autorisent généralement la question ou la communication d'un écrit.
[4] Cependant, certaines limites doivent être respectées.
[5] Par exemple, alors même que la communication d'un document ou d'une information apparaît pertinente et importante pour le litige, l'immunité du secret professionnel, en l'absence de renonciation expresse ou tacite, protègera les renseignements visés contre une communication forcée[4].
[6] En d'autres termes, le caractère privilégié d'un document peut faire échec à sa communication, et ce, malgré sa pertinence apparente[5].
[7] En effet, le droit québécois reconnaît de longue date l'importance fondamentale du secret professionnel de l'avocat[6].
[8] Ainsi, sont en principe confidentielles les communications intervenues entre un avocat et son client en vue d'obtenir un avis juridique ou aux fins d'un litige actuel ou appréhendé[7].
[9] Cela comprend notamment les conversations entre l'avocat et son client, les conférences, les consultations, les admissions du client, les lettres, les courriels, les instructions et les rapports remis à un avocat par son client, son employé ou mandataire. Il en va de même du dossier de l'avocat concernant un client et des divers documents qu'il contient, tels que les lettres, les opinions, les déclarations de témoins et des experts, les notes et remarques concernant les faits qui lui ont été révélés ou qu'il a lui-même constatés, ainsi que les informations et opinions de l'avocat à son client[8].
[10] Cela dit, toute communication avocat/client ne saurait être privilégiée.
[11] Pour reprendre les propos du juge Dickson dans l'arrêt Solosky, «il [le privilège] ne s'applique pas aux communications qui n'ont trait ni à la consultation juridique ni à l'avis donné, c'est-à-dire, lorsque l'avocat n'est pas consulté en sa qualité professionnelle. De même, le privilège ne se rattache pas à une communication qui n'est pas censée être confidentielle, […]. […] Le privilège ne peut être invoqué que pour chaque document pris individuellement, et chacun doit répondre aux critères du privilège: (i) une communication entre un avocat et son client; (ii) qui comporte une consultation ou un avis juridique; et (iii) que les parties considèrent de nature confidentielle.»[9].
[12] C'est pourquoi, par exemple, l'on a décidé que le secret professionnel de l'avocat ne protège pas les conseils et communications fournis par un conseiller juridique au service du gouvernement en matière de politique, alors qu'ils n'ont rien à voir avec sa formation et son expertise juridique, mais qu'ils font plutôt appel à sa connaissance du ministère[10].
[13] En somme, chaque cas en est un d'espèce, nécessitant un examen du contenu, de la portée, du but et du contexte de la communication controversée[11].
Analyse
A) Le secret professionnel
[14] Les procureurs de la demanderesse soutiennent essentiellement que le document visé ne constitue qu'un exposé factuel de la situation entourant la contamination de la nappe phréatique à Valcartier et que, de ce fait, il ne saurait bénéficier de la protection du secret professionnel de l'avocat co-signataire.
[15] Or, celui-ci contient également une partie intitulée «Discussion» qui comporte un avis portant notamment sur les conséquences juridiques potentielles pour le Procureur général d'une contamination au TCE en plus d'être fondée sur un sommaire explicatif relatant des faits qui peuvent avoir été révélés à l'avocat ès qualité par le client ou ses représentants autorisés sous pli confidentiel aux fins du litige actuel.
[16] Aussi, selon les auteurs Jamal et Lussier, «[…] il n'est pas nécessaire que la communication constitue une demande ou une offre expresse de conseils, dans la mesure où [comme en l'espèce] elle peut être tenue pour faire partie d'une communication continue au cours de laquelle l'avocat dispense des conseils; la communication protégée ne se limite pas à l'exposé du droit présenté au client, et elle comprend les conseils touchant les actions à prendre dans le contexte juridique pertinent.»[12]
[17] Par ailleurs, le fait que seul un des quatre signataires soit avocat et ait agi à ce titre ne change en rien à la nature, au contenu et au but de la communication controversée, soit «to update [the deputy minister] on the current situation and some developing issues», d'autant plus que les mandataires, associés et employés du professionnel sont tenus au même secret[13].
[18] Enfin, bien qu'elle n'emporte pas per se la confidentialité, la mention «Solicitor-Client Privilege» apposée sur le document témoigne du caractère confidentiel que les parties ont voulu lui donner.
[19] Considérant ce qui précède, il y a lieu, sous réserve d'une renonciation expresse ou tacite de la part du Procureur général, d'attribuer au document en cause toute la protection offerte par le secret professionnel de l'avocat.
[20] Mais il y a plus.
[21] En effet, cette communication s'inscrit dans le cadre d'un mandat complexe à exécution prolongée, lequel nécessite même l'implication d'un comité à vocation juridique, «The Legal Risk Management Committee», ce qui pourrait justifier de croire, à défaut d'autre preuve, que l'ensemble des communications entre le client et l'avocat s'y rapportant sont de nature confidentielle[14].
[22] À tout événement, tout doute doit être interprété en faveur de la protection du secret professionnel de l'avocat[15].
B) La renonciation au secret professionnel
[23] Les procureurs de la demanderesse soumettent encore que le Procureur général, par le biais de son représentant, a renoncé à la confidentialité du document en admettant l'avoir transmis ou du moins avoir consenti à sa transmission.
[24] Or, la Cour d'appel rappelait récemment que la divulgation à la partie adverse de documents couverts par le secret professionnel, lorsque faite par erreur ou par inadvertance, n'emporte pas nécessairement renonciation à ce privilège:
«[39] Dans les affaires A.G. c. D.W. et Chouinard c. Ribbins, la Cour supérieure a décidé que la divulgation d'informations couvertes par le secret professionnel, par erreur ou par inadvertance, n'a pas emporté la perte du privilège.
[40] Dans la foulée de la jurisprudence récente sur l'interprétation de l'article 9 de la Charte, il me semble que la portée de l'arrêt Chevrier c. Guimond précité doit être modulée, selon les circonstances et suivant le sens commun. Par exemple, si une information sujette au secret professionnel a été dévoilée au grand public, je vois mal comment elle pourrait être protégée par le tribunal ou autrement. Par contre, si sa divulgation a été limitée et que les circonstances ne permettent pas de conclure qu'elle résulte d'une renonciation, il me semble que le tribunal doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la protection d'un droit fondamental découlant de l'article 9 de la Charte.»[16]
[25] En l'espèce, considérant d'une part les représentations du Procureur général selon lesquelles le document a été divulgué à la partie demanderesse par inadvertance, et, d'autre part, l'absence de preuve d'une divulgation volontaire et autorisée par le client, ce dévoilement ne saurait lui être imputé et constituer une renonciation de sa part à son droit au secret professionnel.
[26] En effet, le document a été inclus dans un cahier préparé par un employé qui, du reste, ne l'a pas utilisé ou consulté lors de son interrogatoire.
[27] De plus, la mention «Solicitor-Client Privilege» apposée sur le document permet de conclure à l'absence d'une autorisation formelle du client à la divulgation, laquelle a somme toute été fort limitée. Seuls les procureurs de la demanderesse en auraient pris connaissance, et cela, dans un contexte où ils étaient tenus à une obligation de confidentialité.
[28] Dans ces circonstances, le document visé est couvert par le secret professionnel.
[29] POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:
[30] ACCUEILLE la requête verbale du Procureur général du Canada pour remise d'un document transmis par inadvertance;
[31] ORDONNE à la demanderesse, madame Marie-Paule Spieser, ainsi qu'à ses procureurs de remettre aux procureurs du Procureur général du Canada le document «Briefing note on trichloroethylene contamination at Valcartier» intitulé «TCE Groundwater contamination, Valcartier area» qui leur a été remis en préparation de l'interrogatoire préalable de monsieur Daniel Godbout, et ce, dans les cinq jours de la réception du présent jugement;
[32] DÉCLARE, vu son caractère privilégié, que la demanderesse, madame Marie-Paule Spieser, et ses procureurs ne peuvent faire connaître de quelque façon que ce soit et à qui que ce soit ou utiliser l'information contenue dans ce document;
[33] LE TOUT, frais à suivre.
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BERNARD GODBOUT, j.c.s. |
Me Charles-A. Veilleux Me Karim Diallo Me Valérie Roy |
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Charles Veilleux & associés (casier 136) |
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Procureurs de la demanderesse |
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Me David Lucas Me Michelle Kellam Me Sébastien Gagné |
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Côté Marcoux Joyal Complexe Guy-Favreau, Tour Est, 9è étage 200, boul. René-Lévesque Ouest Montréal (Québec) H2X 1X4 |
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Pour le Procureur général du Canada |
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Me Bernard Larocque |
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Lavery De Billy 1, place Ville-Marie, bur. 4000 Montréal (Québec) H3B 4M4 |
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Procureurs des défenderesses GD-OTS Canada inc. et Société immobilière Valcartier inc. |
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Domaine du droit: Recours collectif - Secret professionnel |
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Audition: 6 juillet 2010 |
[1] Lettre adressée à Me David Lucas, procureur du Procureur général du Canada, par Me Karim Diallo, procureur de la demanderesse, en date du 5 juillet 2010.
[2] Denis
FERLAND et Benoît ÉMERY, Précis de procédure civile du Québec, 4e
éd., vol. 1, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2003, pp. 569-570; Jean-Claude
ROYER et Sophie LAVALLÉE,
[3] Glegg
c. Smith & Nephew inc.,
[4] J.-C.
ROYER et S. LAVALLÉE, supra, note 2, p. 490. Voir également: Glegg
c. Smith & Nephew inc., supra, note 3, par. 14, 24, 27; Lac
d'Amiante du Québec ltée c. 2858-0702 Québec inc.,
[5] Blaikie
c. Commission des valeurs mobilières du Québec,
[6] Voir
les articles 9 de la Charte des droits et liberté de la personne,
L.R.Q., c. C-12, 60.4 du Code des professions, L.R.Q., c. C-26, 131 de
la Loi sur le Barreau, L.R.Q., c. B-1 et 2858 C.c.Q. Voir également: Société
d'énergie Foster Wheeler ltée c. Société intermunicipale de gestion et
d'élimination des déchets (SIGED) inc.,
[7] Ville de Repentigny c. Carignan, [2002] J.Q. (Quicklaw) n° 5289 (C.A.).
[8] J.-C. ROYER et S. LAVALLÉE, supra, note 2, pp. 1090-1093.
[9] Soloski
c. La Reine,
[10] R.
c. Campbell,
[11] Robinson c. Weinberg, supra, note 9, par. 27.
[12] Mahmud JAMAL et Sylvain LUSSIER, «Le secret professionnel de l'avocat: ce que tout avocat doit savoir selon la Cour suprême du Canada», dans Service de la formation continue, Barreau du Québec, Développements récents en déontologie, droit professionnel et disciplinaire, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2008, p. 199, à la page 204.
[13] J.-C.
ROYER et S. LAVALLÉ, supra, note 2, p. 1060; Daniel WEINSTOCK, «Introduction
aux fondements de l'éthique et de la déontologie», dans Collection de droit
2009-2010, École du Barreau du Québec, vol. 1, Éthique, déontologie et
pratique professionnelle, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2009, p. 57.
Voir également: article
[14] Société d'énergie Foster Wheeler ltée c. Société intermunicipale de gestion et d'élimination des déchets (SIGED) inc., supra, note 6, par. 41-42.
[15] Société
d'énergie Foster Wheeler ltée c. Société intermunicipale de gestion et
d'élimination des déchets inc.,
[16] GeneOhm
Sciences Canada inc. c. Biomérieux inc.,
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.