Montréal (Ville de) c. Église de Dieu Mont de Sion |
2011 QCCS 4281 |
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JS 1335 |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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N° : |
500-17-045973-081 |
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DATE : |
Le 25 août 2011 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
STÉPHANE SANSFAÇON, J.C.S. |
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VILLE DE MONTRÉAL |
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c. |
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ÉGLISE DE DIEU MONT DE SION |
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JUGEMENT |
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[1] Les chartes des droits et libertés permettent-elles à la défenderesse, une Église, d’exercer ses activités à caractère religieux là où elles sont prohibées par un règlement de zonage? Si oui, à quelles conditions?
Le contexte
[2] Forcée de mettre fin à ses activités par une ville voisine pour cause d’incompatibilité de l’usage avec la règlementation d’urbanisme, l’Église de Dieu Mont de Sion achète un immeuble à caractère commercial situé sur la rue Lajeunesse dans une zone commerciale de l’arrondissement Ahuntsic/Cartierville de la Ville de Montréal, puis y transfère ses activités.
[3] Jamais elle ne s’informe au préalable auprès des autorités municipales afin de savoir si, cette fois, les règlements de la ville y permettent l’exercice de ses activités. Elle se satisfait des informations, erronées il va sans dire, qui lui sont données par l’agent immobilier mandaté par le vendeur afin de vendre l’immeuble.
[4] Avisée par les représentants de la ville de l’illégalité de son occupation, l’Église part à la recherche d’un local où transférer à nouveau ses activités. En plus des démarches effectuées par ses représentants, elle s’adjoint les services d’agents immobiliers. Les représentants de l’Église, non plus que ses agents immobiliers, ne réussissent à trouver un local rencontrant les critères de l’Église, sauf un seul pour lequel une offre d’achat est présentée mais qui ne peut être complétée à cause d’un problème de financement.
Les demandes des parties
[5] La ville demande au tribunal de prononcer des ordonnances de cessation des activités de l’Église dans un délai de trente jours du jugement.
[6] De son côté, l’Église propose que puisqu’il n’y a pas de local disponible sur le marché où elle pourrait exercer ses activités à caractère religieux, elle a le droit de continuer à les exercer en toute impunité dans son immeuble de la rue Lajeunesse malgré la règlementation de zonage, puisqu’elles seraient protégées par les chartes canadienne et québécoise des droits et libertés.
Elle demande donc au tribunal de :
"DÉCLARER que les dispositions de la réglementation municipale qui interdisent les activités religieuses dans l'immeuble sis au 9166, rue Lajeunesse, à Montréal, imposent une restriction déraisonnable et indue à la liberté de conscience et de religion des membres de la défenderesse qui ne peut se justifier dans le cadre d'une société libre et démocratique;
DÉCLARER que les dispositions de la réglementation municipale qui interdisent les activités religieuses dans l'immeuble sis au 9166, rue Lajeunesse, à Montréal, sont invalides, inopérantes ou, subsidiairement, inopposables à la défenderesse ou, alternativement, que la demanderesse a l'obligation d'accommoder la défenderesse en lui permettant de poursuivre ses activités religieuses dans cet immeuble."
[7] Subsidiairement, l'Église demande verbalement que le tribunal exerce en sa faveur la discrétion qui lui est conférée par l'article 227 de la Loi sur l'aménagement en urbanisme[1] en application des principes d'exception formulés par la Cour d'appel du Québec dans l'affaire Ville de Montréal c. Chapdelaine[2]
Les questions en litige
[8] Les questions en litige sont les suivantes :
[9] 1. Quels sont les critères qui doivent être analysés afin de déterminer si la réglementation d’urbanisme porte atteinte à l'exercice du culte de la défenderesse?
2. La défenderesse a-t-elle fait la preuve d'une atteinte à l'exercice du culte?
3. Advenant que la réponse donnée à la question précédente soit négative, le tribunal devrait-il tout de même refuser de prononcer les ordonnances demandées par la Ville?
Les activités de l’Église
[10] La défenderesse, Église de Dieu Mont de Sion, est une Église évangélique chrétienne. Ses activités sont diversifiées et incluent des réunions de prières, chants, et autres activités cérémonielles, l'enseignement de la Parole, la Présentation des enfants au Temple, la célébration du mariage, les funérailles, l'école dominicale, l'enseignement de la Bible, l'aide aux démunis, des rencontres personnelles ou en petits groupes afin que puissent être donnés des conseils de différente nature (conjugaux, économiques, spirituels, de soutien), ainsi que des cours de récupération scolaire, d'anglais, d'espagnol, etc.
[11] Les activités cérémonielles (réunions de prières et de chants) ont lieu le samedi, de 10 heures à environ 13 heures 30, suivies à l'occasion jusqu'à tard dans l'après-midi, de rencontres personnelles décrites ci-haut.
[12] Le dimanche, de 10 heures à 11 heures, se tient l'école dominicale lors de laquelle la Bible est enseignée. De 11 heures à 14 heures ont lieu les prières communes, suivies d'autres rencontres individuelles ou en petits groupes.
[13] Les autres activités se déroulent tout au cours de la semaine.
[14] L’Église est dirigée et représentée par le pasteur Forilien Foris.
La réglementation d’urbanisme de l’arrondissement
[15] Il est admis que l’usage que fait l’Église au 9166, rue Lajeunesse n’est pas autorisé dans le secteur où l’immeuble est situé.
[16] Il est tout de même utile de connaitre quels sont les usages qui y sont autorisés.
[17] Les plans qui accompagnent le règlement d’urbanisme découpent le territoire de l'arrondissement d'Ahuntsic/Cartierville en plusieurs dizaines de zones que le règlement appelle secteurs.
[18] L'immeuble en litige est situé dans le secteur appelé C.2B H.
[19] Les lettres C et H présentent les familles d'usages spécifiquement autorisées dans cette zone, C référant à des activités commerciales et H, d’habitation.
[20] Pour ce qui est de la famille d’usages commerciaux, le chiffre 2 qui suit la lettre C indique la catégorie qui s'y rattache[3] et la lettre B qui suit ce chiffre indique la classe d'occupation autorisée[4].
[21] Ainsi, dans le secteur où se situe l'immeuble en litige, les commerces et services en secteurs de faible intensité commerciale (C.2) sont spécifiquement autorisés.
[22] Les usages de la catégorie C.1 (1) sont aussi autorisés dans cette zone[5], lesquels sont identifiés aux articles 184 à 186. Y sont aussi autorisés certains usages spécifiques additionnels, mentionnés aux articles 194 et 195.
[23] Les usages de la famille Habitation sont aussi autorisés dans ce secteur, sans restriction de catégorie.
[24] Par ailleurs, mentionnons dès à présent que, si l'usage « lieu de culte » est interdit dans la zone où se situe l’immeuble de l’Église, il est autorisé ailleurs sur le territoire de l’arrondissement, soit dans tous les secteurs où les catégories d'usages C.3 (9)[6] , C.4[7], C.5[8] et E.5 (1)[9] sont autorisées.
[25] Dans le cas des secteurs où sont autorisés les usages des catégories C.4 et C.5, l’usage « lieu de culte » ne peut toutefois être implanté qu’au rez-de-chaussée, et sa superficie de plancher ne peut excéder 250 mètres carrés[10] et ce, depuis les amendements apportés au règlement le 20 décembre 2008.
[26] Les plans de zonage U-1 à U-4 qui accompagnent la règlementation d’urbanisme illustrent tous les secteurs où les lieux de culte sont autorisés.
[27] Le tribunal en a décompté plus de 50.
[28] Ainsi, l’usage « lieu de culte » est prohibé dans le secteur où se situe l’immeuble en litige, mais est permis dans plus de 50 autres secteurs de l’arrondissement.
La règlementation de zonage de la Ville entrave-t-elle l’exercice du culte qu’y fait l’Église?
[29] Il n’est pas contesté que l’exercice du culte que fait l’Église est bien réel et qu’il ne constitue pas un faux-semblant.
[30] L’article
[31] Ceci ne veut toutefois pas dire que toute atteinte à cette liberté de religion entrainera une déclaration en nullité ou en inopposabilité de la disposition règlementaire qui en sera responsable. La pratique d’une religion ne s’exerce pas en vase clos et il ne suffit pas d'invoquer la liberté de religion pour écarter l'application d'un règlement municipal par ailleurs valide[12].
[32] L'alinéa 2a) de la Charte canadienne n'interdit que les entraves ou obstacles à une pratique religieuse qui ne sont pas négligeables. Dans l’arrêt Edwards Books, précité, p. 759, le juge en chef Dixon résumait le droit sur cette question comme suit :
Toute entrave coercitive à l'exercice de croyances religieuses relève potentiellement de l'al. 2a).
Cela ne veut pas dire
cependant que toute entrave à certaines pratiques religieuses porte atteinte à
la liberté de religion garantie par la Constitution. […] L'alinéa 2a)
n'exige pas que les législatures éliminent tout coût, si infime soit-il, imposé
par l'État relativement à la pratique d'une religion. Autrement, la Charte
offrirait une protection contre une mesure législative laïque aussi inoffensive
qu'une loi fiscale qui imposerait une taxe de vente modeste sur tous les
produits, y compris ceux dont on se sert pour le culte religieux. À mon avis,
il n'est pas nécessaire d'invoquer l'article premier pour justifier une telle
mesure législative. […] La Constitution ne protège les particuliers et les
groupes que dans la mesure où des croyances ou un comportement d'ordre
religieux pourraient être raisonnablement ou véritablement menacés. Pour
qu'un fardeau ou un coût imposé par l'État soit interdit par l'al. 2a),
il doit être susceptible de porter atteinte à une croyance ou pratique religieuse.
Bref, l'action législative ou administrative qui accroît le coût de la pratique
ou de quelque autre manifestation des croyances religieuses n'est pas interdite
si le fardeau ainsi imposé est négligeable ou insignifiant: voir
à ce sujet l'arrêt R. c. Jones
[33] Cette liberté de religion est donc elle-même soumise à des contraintes et les fidèles doivent composer avec certaines restrictions imposées par certaines lois et règlements, comme le soulignait le juge Lebel dans l’arrêt Congrégation des témoins de Jéhovah c. Lafontaine (Village)[13] :
La liberté de religion
est aussi sujette aux limites nécessaires afin de "préserver la sécurité,
l'ordre, la santé ou les mœurs publics…" (Big M, précité, p. 337; Ross
c. Conseil scolaire du district no. 15 du Nouveau-Brunswick,
[34] Qu’en est-il lorsque, comme en l’espèce, le règlement d’urbanisme ne prohibe pas les églises partout sur le territoire, mais qu’il est allégué qu’aucun des immeubles situés dans les zones où l’usage est permis par le règlement n’est disponible?
[35] La Cour suprême de Canada a rendu un arrêt (Congrégation des Témoins de Jéhovah de Saint-Jérôme (Lafontaine)(Village) c. Lafontaine (Village de)) dont les faits ainsi que les arguments de droit soulevés en défense comportaient plusieurs similitudes avec ceux du présent dossier. Les cinq juges majoritaires n’y discutent toutefois pas de l'atteinte à la liberté de religion des appelants mais plutôt de l'existence d'un accroc à l'équité procédurale.
[36] Les quatre juges dissidents auraient quant à eux rejeté l'appel de la congrégation pour le seul motif que la preuve démontrait qu'au moins un terrain était disponible aux fins de l’implantation du lieu de culte de la congrégation. Pour eux, le défaut de prouver qu’aucun terrain n’était disponible dans la zone appropriée suffisait pour que soit rejeté l’argument de charte puisqu’il n’y a alors pas atteinte suffisante à l’exercice du culte.
[37] Trois des juges dissidents, dans le cadre d'un important obiter dictum écrit par le juge LeBel, poussent toutefois plus loin leur réflexion et émettent l’hypothèse qu’aucun terrain où aurait pu être exercé le culte n’était disponible dans les zones appropriées:
73. Les appelants plaident qu'en raison de l'absence de terrain disponible dans la zone P-3, la rédaction du règlement de zonage combinée avec le refus de la municipalité de le modifier constitue une atteinte à leur liberté de religion protégée par l'al. 2a) de la Charte. Dans cette hypothèse, je serais d'accord avec eux. En effet, en vertu du règlement de zonage, les lieux de culte ne peuvent être implantés que dans la zone P-3, mais aucun terrain ne serait disponible dans cette zone. Les appelants se trouveraient dès lors dans l'impossibilité de construire leur lieu de culte sur l'ensemble du territoire de la municipalité. Or, la liberté de religion inclut le droit de bénéficier d'un lieu de culte. En effet, généralement, l'établissement d'un lieu de culte est nécessaire à la mise en œuvre d'une religion. Ces lieux permettent de professer les croyances religieuses, de les manifester, de pratiquer la religion par le culte, tout simplement et, enfin, de l'enseigner ou de la propager. Bref, la construction d'un lieu de culte fait partie intégrante de la liberté de religion protégée par l'al. 2a) de la Charte.
74. En l'espèce, les appelants ont démontré que leur Salle du Royaume, qui est un lieu de prière et de recueillement où l'on célèbre les mariages et les funérailles, est nécessaire à la manifestation de leur foi religieuse. Ils devraient donc être libres d'implanter un tel lieu sur le territoire de la municipalité. L'absence de terrain disponible dans la zone P-3 les en empêchant, ils se retrouveraient alors dans l'impossibilité d'exercer leur religion, et leur liberté garantie par l'al. 2a) de la Charte en serait d'autant atteinte.
[38] Cette analyse du juge LeBel, bien qu’ayant été faite en obiter dictum dans le cadre d'une opinion dissidente, a par la suite été citée avec approbation par notre Cour d'appel dans l'affaire Apôtres de l'amour infini c. Brébeuf (Municipalité de)[14].
[39] Dans l'affaire Congregation of the Followers of the Rabbis of Belz to Strengthen Torah c. Val-Morin (Municipalité de)[15], l’argument de l’atteinte à la liberté de religion avait été soulevé dans un contexte similaire. La preuve avait toutefois démontré que d’autres zones autorisaient les lieux de culte et qu’un terrain était disponible dans une zone située à proximité, soit à environ sept minutes de marche du lieu où était illégalement implantée la synagogue des appelants. La proximité constituait dans ce dossier un élément pertinent.
[40] Ainsi, dans tous les jugements recensés traitant de cette question, le défaut de démontrer qu’aucun terrain n’était disponible a été jugé suffisant pour que soit rejetée la prétention d’atteinte à la liberté de religion, prétention similaire à celle présentée par l’Église dans le cas présent.
[41] Qu’en est-il en l’espèce? L’Église a-t-elle rencontré son fardeau de démontrer l’absence de tout immeuble, terrain ou bâtiment, où elle pourrait implanter son église?
[42] A) Le fardeau de la preuve
[43] Le fardeau de prouver l’absence de disponibilité de tout terrain reposait sur les épaules de l’Église et non sur celles de la Ville. Il appartient en effet à celui qui invoque une atteinte aux droits protégés par les chartes d’en faire la preuve et d’en démontrer les impacts sur sa pratique religieuse. Ici, cela se traduit par la démonstration de l’absence de tout terrain ou bâtiment disponible afin d’y implanter une église.
[44] B) Sur quelle étendue de territoire l’absence de disponibilité de tout terrain doit-elle être faite?
[45] Se pose ensuite la question de savoir sur quel territoire cette démonstration doit être faite : sur le territoire politique de l’arrondissement? Sur un territoire plus restreint? Ou encore sur tous les territoires de tous les arrondissements de la Ville de Montréal?
[46] Il n’y a pas de réponse unique à cette question. De l’avis de tribunal, l’étendue de la recherche dépendra des particularités de chaque cas.
[47] En effet, le droit protégé par les chartes de construire un lieu de culte, qu’il s’agisse d’une synagogue, d’une église ou d’une mosquée, n’est pas rattaché à un territoire politique mais plutôt à un territoire dont l’étendue dépendra des pratiques ou des croyances liées à la religion qui requièrent une conduite particulière rencontrant les critères élaborés par la Cour suprême dans l’arrêt Syndicat Northcrest c. Amselem[16]. Chaque cas doit être analysé et constitue un cas d’espèce. Comme pour toute analyse en cette matière, l’entrave devra être analysée en fonction des pratiques et croyances qui auront été mises en preuve.
[48] Par exemple, les membres d’une religion dont les préceptes interdisent de se véhiculer autrement qu’à pied à certaines périodes pourraient potentiellement se voir reconnaître des droits plus étendus à cet égard que les membres d’une religion qui ne prévoit pas une telle contrainte. Dans un tel cas, l’application du règlement pourrait vraisemblablement constituer une entrave même si ce règlement prévoit des zones dans lesquelles cet usage est autorisé et même si des terrains y sont disponibles, si l’accès à ces terrains est impossible dû aux pratiques ou aux croyances liées à la religion d'une part, et à l'éloignement de ces terrains d'autre part. La situation géographique de la zone pourrait, dans ce cas, devenir pertinente.
[49] L’adoption de limites géographiques fondées sur des critères strictement politiques, tel le territoire d’une municipalité, ne trouve assise sur aucune logique juridique et peut mener à des résultats inacceptables qui peuvent être aisément illustrés.
[50] Par exemple, imaginons deux zones contiguës dans lesquelles l’usage lieu de culte serait permis. Dans la première de ces zones, plusieurs terrains sont disponibles à cette fin alors qu’aucun ne l’est dans la seconde. Imaginons maintenant deux scénarios : dans le premier, les deux zones sont situées dans la même municipalité alors que dans le second, elles sont situées chacune dans une municipalité distincte.
[51] Dans le premier scénario, le règlement serait valide mais non dans le second. Pourtant, dans un cas comme dans l’autre, aucune pratique ou croyance liée à la religion ne serait affectée, à moins que l’on décrète que les fidèles ont un droit protégé par les chartes d’établir leur église sur le territoire de chacune des municipalités et ce, nonobstant l’absence de toute atteinte réelle démontrable.
[52] À quel aspect de la liberté de religion le règlement de zonage porterait-il atteinte si le lieu de culte peut être construit de l’autre côté de la rue, même si l’Église démontre qu’aucun terrain n’est disponible sur le territoire de sa propre municipalité?
[53] De même, on peut imaginer qu’il serait particulièrement aisé de faire la démonstration de l’absence de disponibilité de locaux sur le territoire d’une ville possédant un tout petit territoire qui ne permettrait l’usage que dans une zone proportionnellement encore plus petite. Inversement, cette démonstration serait pratiquement irréalisable dans le cas d’une ville de la taille de la Ville de Laval, à titre d’exemple.
[54] On peut donc aisément s’interroger sur la pertinence d’utiliser les limites territoriales de la municipalité comme seul critère pertinent pour jauger l’importance de l’atteinte à la pratique religieuse.
[55] Il est vrai que notre Cour d’appel reconnait depuis longtemps qu’un règlement de zonage qui interdit un usage sur l'ensemble de son territoire doit être considéré comme prohibitif au sens de la jurisprudence[17] et peut par conséquent être déclaré inopposable. Le territoire analysé correspond alors parfaitement au territoire sur lequel la municipalité a juridiction, dont la délimitation est essentiellement politique.
[56] Dans
ce cas, toutefois, le raisonnement juridique trouve assise dans le texte
habilitant les municipalités à réglementer les usages, soit l'article
[57] Or, en matière charte, la protection des droits et libertés se situe dans un tout autre contexte. La liberté de religion, tout comme les oiseaux migrateurs, ne se satisfait pas, ni n’est limitée, par des limites géographiques politiques.
[58] Ainsi, l’atteinte à la liberté de religion protégée par les chartes ne devrait pas être analysée nécessairement à la lumière de la disponibilité de terrains ou de locaux sur un territoire dont l’étendue ne dépendrait que des limites politiques de la municipalité où l’Église veut construire ou aménager son lieu de culte.
[59] Dans certains cas, la démonstration de l’indisponibilité de tout immeuble pouvant être utilisé à cette fin, devra couvrir un territoire débordant les frontières politiques municipales, alors que dans d’autres cas, cette démonstration pourra couvrir un territoire plus étendu ou encore plus restreint que les limites territoriales municipales.
[60] Dans tous les cas, le facteur primordial qui devra être tenu en compte afin de déterminer l’étendue de l’étude sera celui des préceptes religieux des fidèles, de leurs pratiques et croyances liées à la religion et qui requerraient une conduite particulière rencontrant les critères élaborés dans l’arrêt Syndicat Northcrest c. Amselem[18].
[61] Ceci ne veut évidemment pas dire que le fidèle dont la religion n’impose pas de telles contraintes pourra être forcé de parcourir des distances déraisonnables pour se rendre au lieu de culte de son Église. Celui qui invoque une atteinte devra toutefois être en mesure de démontrer qu’elle est non négligeable.
Application des principes aux faits mis en preuve
[62] En l’espèce, l’Église n’a présenté aucune preuve qui tenterait à démontrer que les pratiques ou croyances de ses membres seraient brimées s'ils ne peuvent pas aménager leur église à un endroit plutôt qu’à un autre.
[63] La preuve présentée est à l’effet que la plupart des fidèles qui fréquentent l’église de la rue Lajeunesse proviennent essentiellement, sinon uniquement, de l’île de Montréal. Ils s’y rendent majoritairement en utilisant les transports publics, les autres, en voiture. Rien n’a été dit sur l’existence de pratiques ou de croyances liées à la religion à laquelle adhèrent les fidèles de cette Église, qui pourraient être associées de près ou de loin à l’emplacement du lieu de culte.
[64] Il est vraisemblable qu’une distance plus longue à parcourir puisse entrainer chez certains fidèles des difficultés additionnelles mais aucune preuve n’a été présentée à ce sujet. Impossible par conséquent de jauger les conséquences du choix d’un endroit plutôt que d’un autre afin de déterminer si l’atteinte aux droits protégés par les chartes est non négligeable.
[65] Il n’est par conséquent pas possible ici de limiter la démonstration de la non disponibilité de terrain au seul arrondissement Ahuntsic/Cartierville.
[66] Ceci ne veut toutefois pas dire nécessairement que la démonstration de l’absence de terrain disponible devait couvrir tout le territoire de la Ville de Montréal, malgré le fait que, depuis le 1er janvier 2002, nous ne sommes ici en présence que d’une seule municipalité. En effet, s’il est vrai que la charte de la Ville divise son territoire en arrondissements et qu’elle leur confère certains pouvoirs locaux, tel celui de réglementer les usages[19], il n’en demeure pas moins que chaque arrondissement n’a pas de personnalité juridique propre. C’est ce qui explique d’ailleurs que ce soit la Ville qui se porte demanderesse dans ce dossier.
[67] Clairement, la défenderesse ne s’est pas déchargée de son fardeau de la preuve, et ce, à plusieurs titres.
[68] D’abord, l’Église a volontairement exclut de ses critères de recherche les locaux et terrains à louer.
[69] Le pasteur témoigne qu’il a toujours cherché indistinctement un local à louer ou à vendre, et qu’il n’en a trouvé aucun.
[70] Pourtant, dans une lettre qu’il transmettait à la mairesse Marie-Andrée Beaudoin le 13 septembre 2007, il mentionne que les critères de sélection de l’Église excluaient les locaux à louer:
Or que pour les citoyens de cette église cela ne les intéresse pas de louer un local, ils veulent être propriétaires investisseurs et pas locateur, et je vous ferai remarquer, que vous-même dans la lettre du 29 mai 2007, que vous n'avez pas communiqué de quelque façon avec les ou dits propriétaires de ces deux établissements qui ont été retenus. Alors pour ses motifs, nous tenons à vous informer que nous gardons notre église qui est située au 9166, rue Lajeunesse, Montréal Canada (…)
[71] Trois des agents immobiliers qui auraient reçu le mandat de trouver un local témoignent d’ailleurs en ce sens.
[72] L'agent Meranda mentionne que le mandat qui lui avait été confié était de trouver un bâtiment aux fins d’achat et non de trouver un local à louer.
[73] L’agent Perlman mentionne en début de témoignage que son mandat portait à la fois sur la recherche d’un local aux fins d’achat et de location, mais se ravise subséquemment et conclut que le mandat n'était qu’aux fins d’achat, non de location.
[74] L'agent Rémi Jean Rony indique quant à lui ne jamais avoir considéré les propriétés à louer, son mandat n'étant que de rechercher les propriétés à vendre.
[75] Or, le culte peut être exercé aussi bien dans un local loué. Aucune preuve pouvant permettre de conclure que le mode de détention de l’église est un facteur associé aux croyances de cette religion n’a été présentée. D’ailleurs, l’Église occupait auparavant un local loué.
[76] Les membres ne sont pas dispensés de tout effort, voire de tout sacrifice, dans le cadre de l'exercice de la liberté de culte. Ceci couvre le déplaisir de n’être que locataire de l’église.
[77] L’Église ne s’est pas non plus déchargée de son fardeau de prouver qu’aucun immeuble n’était disponible pour fin d’achat.
[78] Afin de tenter de démontrer l’absence de tous locaux disponibles aux fins d’achat, l’Église fait entendre sept témoins, dont quatre agents immobiliers.
[79] Le premier témoin entendu est M. Louis-Philippe Desrosiers, responsable de la vente des bâtiments excédentaires au diocèse de Montréal.
[80] Monsieur Desrosiers indique qu'il a rencontré à plusieurs reprises des représentants de la défenderesse et qu’ensemble ils ont visité l'église Sainte-Marie-de-la-Médaille-Miraculeuse. L’Église n’a toutefois pas acheté puisque le bâtiment était pour elle trop gros et trop cher, le bâtiment pouvant accueillir de 400 à 500 personnes alors que la défenderesse cherchait un local pouvant accueillir de 200 à 300 personnes.
[81] Monsieur Desrosiers indique toutefois qu’au cours des dix dernières années, il a participé à la vente de plus d’une trentaine de bâtiments excédentaires à des organismes à but non lucratif ou à des organismes religieux. Bien que pour l'instant les bâtiments mis en vente soient de trop grande dimension pour les seuls besoins de la défenderesse, il garde contact avec elle dans l'éventualité où un bâtiment plus petit serait mis en vente.
[82] Par ailleurs, aucune démonstration n’a été faite que le Diocèse de Montréal représente l’ensemble des organismes religieux propriétaires d’immeubles de l’île de Montréal.
[83] Ce témoignage ne démontre pas l’absence de locaux disponibles dans l’arrondissement, dans les arrondissements situés à proximité ou ailleurs sur l’île de Montréal.
[84] Témoigne ensuite Mme Dugard Foris, l'épouse du pasteur. Elle indique avoir visité plusieurs locaux mais qu'à chaque fois qu'une vérification était faite auprès des autorités municipales, elle se faisait répondre que l'usage de lieu de culte n'était pas permis dans le local visité.
[85] Mme Dugard Foris précise toutefois qu'une grande partie des efforts déployés afin de trouver un endroit approprié l'a été par des d'agents immobiliers dont les services avaient été retenus par l'Église.
[86] Cinq agents immobiliers témoignent et expliquent ces efforts. En l’espèce, l’utilisation du mot effort est loin d’être appropriée.
[87] Le premier en liste est l’agent Nat Meranda, spécialisé dans l'achat et la vente de bâtiments résidentiels. Ce dernier indique que la durée de son mandat n’a été que de 4 à 6 semaines, au cours de l'année 2008. Le mandat de trouver l’immeuble n’était que secondaire. Le mandat principal que lui avait confié le pasteur était de lui trouver une propriété résidentielle pour lui-même, et il ne se souvient pas du temps qu’il y a consacré. C’était la première fois qu’on lui confiait un mandat de trouver un bâtiment destiné à des fins religieuses.
[88] L’agent Meranda mentionne que sa recherche d’un local pour l’Église s'est limitée au territoire de Ville Saint-Laurent. Il mentionne aussi que trouver un tel endroit "is difficult but not impossible".
[89] Enfin, il indique ne jamais avoir communiqué avec les autorités municipales afin de vérifier dans quel secteur l’implantation d'un lieu de culte était permise.
[90] Le témoin n’a adopté aucune stratégie de recherche et n’a pas jugé utile de s’informer où se situaient les secteurs où des terrains ou bâtiments pouvaient recevoir légalement un tel usage, ce qui aurait grandement facilité son travail de recherche et rendu crédibles les efforts consacrés à la tâche.
[91] À peine a-t-il reçu son mandat qu’il transmet une lettre au pasteur l’avisant que "la recherche va être très difficile surtout au niveau du "zoning". En (sic) peut dire que c'est presque impossible comme mandate (sic)". Pourtant, il ne fait la démonstration d’aucun effort particulier de recherches, d’approches auprès de propriétaires potentiellement intéressés à vendre pouvant lui permettre de justifier une telle affirmation, alors qu’il reconnait n’être lui-même spécialisé que dans la vente d’immeubles résidentiels.
[92] Le deuxième agent immobilier est M. Edward Perlman. Ce dernier est agent depuis 22 ans et se spécialise dans ce qu'il qualifie de "broken down buildings and land".
[93] En janvier 2006, M. Perlman reçoit un appel du pasteur Foris qui désire lui octroyer le mandat de vendre l'édifice de la rue Lajeunesse et d'en trouver un nouveau afin d'y transférer les activités de l’Église. Il témoigne qu'il s'est occupé de la première partie du mandat, qui était de tenter de vendre l'immeuble de la rue Lajeunesse, mais que la recherche d’un nouvel emplacement a été confié à son associé, M. Michel Lavallée.
[94] Monsieur Perlman indique que le territoire délimité par le pasteur afin de chercher le bâtiment était celui situé à l’intérieur d’un rayon de ½ mille de celui de la rue Lajeunesse, ainsi que les boulevards Henri-Bourassa, Crémazie et quelques autres rues principales. Le bâtiment recherché devait être suffisamment grand pour accueillir environ 100 personnes et avoir une superficie de 4 000 à 5 000 pieds carrés.
[95] Lorsqu'on lui montre le plan de zonage de la municipalité, qui illustre les zones où les activités religieuses sont autorisées, il indique ne pas avoir vérifié spécifiquement si des immeubles pouvaient être disponibles dans ces zones, ni avoir communiqué auprès des autorités municipales.
[96] De son témoignage, qui comporte des contradictions et beaucoup d'hésitations qui sont dues à l'oubli, le tribunal retient que le témoin Perlman n'a jamais fait de recherches lui-même afin de trouver un endroit où l'Église pouvait être implantée, ce que le témoin confirme d’ailleurs alors qu’il précise que cette partie du mandat a été exécutée par son associé Michel Lavallée. Son mandat ne couvrait par ailleurs qu’une partie seulement du territoire de l’arrondissement.
[97] Monsieur Michel Lavallée est à cette époque agent immobilier agréé.
[98] Il confirme avoir obtenu le mandat de rechercher un nouveau bâtiment d’une superficie de 5 000 pieds carrés pouvant recevoir environ 100 personnes, à des fins de culte. Il indique que le secteur visé était celui d'Henri-Bourassa et Crémazie.
[99] Il mentionne avoir vérifié les fiches qui ont pu passer entre ses mains relatives à des lieux de culte et à des immeubles situés le long de rues commerciales, de juin 2005 à juin 2008, sans résultat positif. Il mentionne avoir aussi contacté l'évêché de Montréal à une occasion pour s'informer d'une église située dans l'est de la ville, aussi sans résultats.
[100] Il dit avoir trouvé deux bâtiments dont un sur la rue Jean-Talon, dont un temple bouddhiste, mais que le bâtiment "n'était pas ce qu'ils cherchaient", sans qu’il ne se souvienne pourquoi. Il dit aussi avoir vu un "listing" sur Jean-Talon et un autre sur l'avenue du Parc, coin Bernard, mais sans résultats, et sans qu'il puisse se souvenir des raisons.
[101] Contre-interrogé, M. Lavallée indique au tribunal avoir investi à cette fin environ 200 heures réparties sur une période de 3 ans, sans donner de précisions quant à la nature du travail ou quant aux jours de travail ainsi effectués et sans produire de document à l’appui d’une telle affirmation.
[102] Le tribunal a beaucoup de difficulté à concevoir qu’autant d’heures aient pu être consacrées à ce mandat, ce qui représenterait l’équivalent de plus de six semaines de travail à temps plein pour un mandat verbal et non-exclusif, semaines pendant lesquelles seulement deux ou trois emplacements auraient été visités en présence du pasteur Foris, bien que certains autres puissent l’avoir été sans ce dernier.
[103] Interrogé quant à sa méthode de recherche, M. Lavallée indique qu'il regardait les locaux offerts en vente sans vérifier les usages permis par les règlements de zonage. En aucun moment n'a-t-il fait de vérifications auprès des autorités municipales afin de s’enquérir de l’emplacement des zones qui autorisaient l’usage projeté, même sur le territoire de l'arrondissement, son travail se limitant à surveiller les inscriptions.
[104] Lorsque le procureur de la Ville lui demande s'il est possible que de tels emplacements soient en vente ailleurs sur l'île de Montréal, il répond qu'il n'a pas vérifié.
[105] Monsieur Lavallée n'est plus agent immobilier depuis maintenant 3 ans.
[106] L’agent immobilier Rémi Jean Rony est certainement celui qui a utilisé la technique de recherche la plus originale.
[107] Le 26 octobre 2010, M. Rony obtient de l’Église un contrat de courtage exclusif pour l'achat d'un immeuble devant servir au futur lieu de culte. Il indique que sa spécialité est le secteur résidentiel et que c’était la première fois qu’on lui confiait le mandat de recherche d’un local qui servirait à des fins religieuses.
[108] Il témoigne d’abord avoir fait ses recherches en suivant les critères établis par le pasteur, dans la fourchette de prix spécifiés. Il indique avoir limité ses recherches à certains secteurs de la ville, concentrés dans le centre de l'île de Montréal.
[109] Il témoigne de certains bâtiments sélectionnés et visités avec ou sans le pasteur, mais sans suite. Il présente en preuve quelques feuilles d'inscription, lesquelles, selon lui, représentent toutes celles qu'il a retenues depuis le début de son mandat et qui possédaient la capacité d’accueil de l’église projetée.
[110] Il mentionne n’avoir jamais vérifié la réglementation de zonage. Dans certains cas, il dit ne pas avoir eu le temps de faire la visite ou même d'en discuter avec le pasteur.
[111] La technique de recherche utilisée par l’agent immobilier Rony est certainement une des plus originales jamais rencontrées: Il concentre ses recherches à l'intérieur d'un rayon de 500 mètres des églises existantes puisque, croit-il, la ville y permet l’usage de lieu de culte. Interrogé sur l'origine de cette croyance, il dit l'avoir appris d'une de ses clientes!
[112] Nul besoin d'insister longuement sur le fait que son travail n’a abouti à rien de valable, ses recherches, concentrées dans des endroits curieusement choisis, étant dès le départ pratiquement vouées à l’échec.
[113] Le dernier agent immobilier entendu est M. Emmanuel Clervoix. Ce dernier se voit octroyer un contrat de courtage exclusif le 3 décembre 2008 pour la vente de l'immeuble de la rue Lajeunesse, en utilisant une formule de contrat qui porte la mention "Contrat de courtage exclusif - Vente d'un immeuble principalement résidentiel". La date indiquée sur le contrat est aussi erronée. Lorsqu’il lui est demandé pourquoi il n'a jamais mis d'affiche "à vendre" sur l'immeuble de la rue Lajeunesse pendant la durée de son mandat il répond que le mandat avait été accordé conjointement à deux agents et, n’ayant pas d'affiche portant la photographie des deux agents, il avait tout simplement décidé de ne pas en poser!
[114] Contrairement au mandat de vendre qui portait sur l’immeuble de la rue Lajeunesse et qui était écrit, celui de trouver un local pour y aménager l’église est verbal.
[115] Le témoin précise que son mandat était limité à l'est de la ville, favorisant ainsi des quartiers où le prix d'acquisition serait plus bas, bien qu'il ait étendu sa recherche à 2 ou 3 rues plus à l'ouest de Lajeunesse.
[116] Il indique qu’il n’a effectué aucune vérification auprès de la ville afin de s’enquérir de l’emplacement des zones où l’activité projetée est autorisée, ce qui lui aurait pourtant permis d’orienter ses recherches. Il explique cette omission par le fait qu’habituellement, lorsqu'il trouve un immeuble intéressant, il communique avec l'agent souscripteur afin de s'enquérir auprès de lui des usages qui peuvent y être exercés. Il ajoute toutefois qu'en l'espèce, il ne s'est jamais rendu jusqu'à cette étape, puisqu'il n'a trouvé aucun bâtiment plaide que la recherche infructueuse d’un local par un représentant de l’arrondissement en 2007 prouve l’indisponibilité de locaux à des fins de culte.
[117] Le 29 mai 2007, M. Blais écrit au pasteur Foris afin de lui communiquer le résultat de ses recherches afin de trouver un local. Il écrit que deux locaux seulement étaient alors disponibles, ce qui s’est par la suite avéré inexact, permettant ainsi au pasteur de conclure qu’aucun local ne l’était.
[118] Cette conclusion est erronée. Cet exercice fait par cet employé de la ville n’était rien de plus qu’une prise d’une photographie très incomplète de la situation à une date donnée, sur un territoire géographique limité puisque restreint à celui de l’arrondissement, et encore, à partir de données sommaires et apparemment incorrectes. Aucune vérification n’a été faite sur le terrain, non plus qu’aucune approche auprès des propriétaires des immeubles situés dans les zones concernées, ce que M. Blais précise d’ailleurs dans sa lettre.
[119] D’ailleurs, le pasteur a lui-même fait ce reproche à l’égard de M. Blais dans sa lettre de réponse du 13 septembre 2007 : le travail effectué par cet employé était incomplet, les vérifications qu’il a lui-même faites suite à la réception de cette lettre lui ayant permis de constater que les deux locaux mentionnés n’étaient pas disponibles.
[120] Par ailleurs, alors que le règlement d’urbanisme actuel ne couvre que le seul territoire de l’arrondissement Ahuntsic/Cartierville, le règlement en vigueur avant le premier janvier 2002 couvrait tout le territoire de l’île de Montréal. Par conséquent, pendant la période s’étendant du début de l’occupation de l’immeuble en litige par l’Église jusqu’au premier janvier 2002, les usages de culte étaient vraisemblablement autorisés dans une multitude rencontrant les critères du pasteur.
[121] Le tribunal retient de ce témoignage qu'une fois de plus, les efforts déployés par un agent immobilier, en l’occurrence l’agent Clervoix, ne permettent pas de conclure qu’il n’existe pas d’immeubles qui puissent être utilisés comme lieu de culte.
[122] Encore une fois, les recherches se sont limitées à la vérification de fiches d'inscription dans des secteurs circonscrits de la ville de Montréal. Aucune approche n’a été effectuée auprès des propriétaires des immeubles situés dans les secteurs où l’usage projeté était permis. Impossible, alors, de conclure qu’il n’y avait pas de local disponible.
[123] Le tribunal conclut sur cette question que durant plusieurs années, l’Église, essentiellement par l’intermédiaire d’agents immobiliers, a fait des efforts au mieux médiocres afin de trouver un local approprié et ce, même en limitant la portée de cette recherche au seul arrondissement d’Ahuntsic/Cartierville.
[124] De plus, les mandats confiés à ces agents n’étaient généralement que verbaux, de courte durée et traités de façon accessoire ou secondaire et rien ne démontre que pendant cette période aucun local n’a été mis en vente. D’ailleurs, le témoin Desrosiers n’a-t-il pas affirmé qu’il a lui-même participé à la vente de plus de trente immeubles excédentaires à vocation religieuse au cours des dix dernières années?
[125] L’Église d’autres zones ailleurs sur le territoire de la Ville de Montréal. Or aucune preuve n’a été présentée qui aurait pu démontrer qu’à cette époque, aucun terrain ni local n’y étaient disponibles.
[126] Le tribunal conclut donc que l’Église n’a pas prouvé l’indisponibilité de tous locaux pour les fins de l’exercice du culte.
[127] Cette conclusion s’impose, même en limitant l’analyse aux seules limites géographiques du territoire de l’arrondissement.
[128] Enfin, un autre motif milite en faveur du rejet des demandes de l’Église fondées sur les chartes.
[129] La preuve a démontré qu’à au moins une occasion, une opportunité d’achat s’est présentée mais qu’elle ne s’est pas réalisée à cause de difficultés de financement rencontrées par l’Église.
[130] Madame Dugard Foris explique le problème de financement par le fait que l'Église devait au préalable vendre l’immeuble qu’elle occupait sur la rue Lajeunesse afin d’obtenir suffisamment de liquidités, ce qu’elle n’avait pu faire faute d’acheteur. Une preuve a d’ailleurs été présentée démontrant certains des efforts accomplis par l’Église afin de trouver un acheteur de l’immeuble qu’elle occupait.
[131] Or, les problèmes de financement d’une Église ne peuvent être opposés à la Ville afin de justifier ses difficultés à implanter un lieu de culte. Aucune preuve n’a été présentée qui permettrait de conclure que les agissements de la Ville ont jeté sur les épaules de l’Église un fardeau hors de l’ordinaire. Les difficultés rencontrées par l’Église dans le cadre de la vente de son immeuble de la rue Lajeunesse ou dans le cadre de la recherche de financement afin d’acquérir le nouvel immeuble ne découlent pas de la règlementation municipale et lui sont propres.
[132] La demande de l’Église fondée sur les chartes est donc irrecevable.
La demande subsidiaire
[133] L’Église demande subsidiairement au tribunal de ne pas émettre les ordonnances requises par la Ville. Elle appuie sa demande sur plusieurs motifs.
L’acceptation de l’occupation
[134] Premièrement, elle allègue que la Ville aurait accepté la situation en lui reconnaissant une exemption du paiement des taxes foncières municipales.
[135] Ce motif n’est pas valable.
[136] Le 22 novembre 1999, le Service d'évaluation de la Communauté urbaine de Montréal émet un certificat foncier. Ce service est celui qui, à cette époque, est mandaté afin de préparer les rôles d'évaluation ainsi que les rôles des valeurs locatives pour les villes de l'île de Montréal.
[137] Le premier janvier 2000 entre en vigueur une reconnaissance d'exemption du paiement de toutes taxes foncières municipales et scolaires pour le rez-de-chaussée, suivie d'une exemption du paiement de la taxe sur la valeur locative.
[138] L'année suivante, l’Église étend ses activités religieuses au deuxième étage de l’immeuble et les exemptions de taxes sont en conséquence accordées pour tout le bâtiment.
[139] Madame Martine Giguère, responsable des exemptions à la Ville entendue lors de l’audience, explique les étapes qui, à cette époque, menaient à l'octroi d'une exemption du paiement des taxes foncières et locatives, dans le cas d’une église.
[140] Aussitôt qu’était
constaté, sur simple lecture des actes de mutations reçus par le service de
l’évaluation, qu'un local était susceptible d’être exempté par l’un ou l’autre
des alinéas de l’article
[141] Difficile, dans les circonstances, de conclure en une acceptation, même tacite, de la situation par la Ville.
Le retard à entreprendre le recours
[142] Par ailleurs, l’Église reproche à la Ville d’avoir tardé à entreprendre le présent recours, ce qui, selon elle, serait assimilable à une acceptation de la situation.
[143] Cet argument n’est pas soutenu par la preuve.
[144] Le 25 juillet 2001, une lettre de mise en demeure est transmise à l’Église par le Service du développement économique urbain de la Ville. M. Guy Gervais, inspecteur de bâtiments, y indique que lors d'une inspection effectuée le 15 juin précédent, il a été constaté que l'occupation du bâtiment se faisait sans permis et sans certificat d'occupation. Il met par conséquent en demeure l'Église de présenter une demande d'émission d'un tel certificat dans les 10 jours et mentionne que si à l'échéance les correctifs n'ont pas été apportés, le dossier d'infraction sera déposé à la Cour municipale de Montréal.
[145] Des démarches sont alors entreprises par l'Église et une demande de permission spéciale est déposée le 21 août suivant auprès du Service de l'urbanisme.
[146] Le 2 avril 2002, le Conseil d'arrondissement Ahuntsic/Cartierville adopte la résolution suivante:
"De refuser la demande de modification de zonage permettant l'occupation par la corporation Église de Dieu Mont de Sion, à des fins de lieu de culte, du bâtiment situé au 9166, rue Lajeunesse. ADOPTÉ À L'UNANIMITÉ."
[147] Le 19 juillet, la ville communique par lettre les motifs de cette décision:
1. l'intensité de l'usage, comte tenu, notamment de la superficie du local visé, est incompatible avec des activités de faible intensité commerciale et de l'habitation;
2. le bruit et l'achalandage associés à des activités de groupe de cette ampleur risquent de perturber la quiétude des résidants du secteur;
3. aucun espace de stationnement ne peut être fourni sur l'emplacement, induisant un débordement dans les rues du secteur;
4. il est préférable de favoriser l'utilisation de ce local à des fins commerciales dans le but de dynamiser économiquement ce secteur de la ville.
[148] Le 28 septembre 2004 l'inspecteur de bâtiments Stuart Bucovetsky fait parvenir à l’Église une mise en demeure lui enjoignant de cesser ses activités dans les 30 jours suivant sa réception, à défaut de quoi des procédures judiciaires seraient intentées.
[149] Le 22 avril 2005, l'inspecteur Bucovetsky complète un rapport d'infraction général en relation avec l'immeuble en litige.
[150] Le 19 mai 2006, une lettre est transmise par la conseillère de ville Jocelyn Ann Campbell au pasteur Foris. Contre-interrogé par le procureur de la Ville quant au contenu de cette lettre, le pasteur confirme la véracité de l'affirmation de la conseillère qui y est contenue, à l'effet qu' "un plan illustrant ces zones [où les activités de culte sont autorisées] a été transmise au cours de l'année dernière à M. Centaines, qui agissait en votre nom". Le pasteur admet de plus avoir reçu dès la fin de l'année 2001 ou au début de l'année 2002, une copie d'une carte délimitant les zones de l’arrondissement ainsi que les usages autorisés pour chacune d’elles.
[151] Tout au long des années 2007 et 2008, plusieurs constats d'effraction sont délivrés, et leur audition à la Cour municipale a été suspendue en attendant le résultat de la procédure devant cette Cour.
[152] Enfin, le 5 mai 2008,
le Conseil d'arrondissement adopte la résolution CA08 090126, autorisant la
Direction du contentieux à prendre les recours appropriés en vue d'obtenir des
jugements exécutoires dans certains dossiers, dont le dossier sous étude. Le 16
octobre suivant, la requête introductive d'instance en vertu de l'article
[153] Pendant cette période, plusieurs rencontres ont lieu entre les représentants de la Ville et ceux de l'Église. Les représentants de la Ville, sensibles aux difficultés rencontrées par l'Église, vont jusqu'à eux-mêmes effectuer des recherches de locaux vacants. C'est ainsi que le 29 mai 2007, une lettre de M. Richard Blais, chef de division / permis et inspections, est transmise au pasteur. Cette lettre fait état du résultat des recherches effectuées afin de trouver des terrains ou des édifices vacants, à vendre ou à louer. La lettre précise qu'elle n'est pas exhaustive, mentionne certaines des limites de l'exercice fait par les préposés de la Ville, et mentionne que huit emplacements potentiels ont été trouvés, que six d'entre eux n'ont pu être retenus pour des motifs non identifiés à la lettre et que deux sont soumis à l'attention du pasteur, à des fins de location.
[154] La ville n’a pas fait preuve de laxisme à l’égard de l’Église. Au contraire, elle a démontré une grande patience et a même collaboré hors de l’ordinaire en recherchant un local où l’Église pourrait exercer ses activités religieuses.
[155] L’Église ne peut tirer de ce délai aucune conclusion qui pourrait lui venir en aide[20].
La négligence de la défenderesse
[156] Dans les faits, si négligence il y a eu, elle se trouve du côté de l’Église.
[157] Avant l’achat de l’immeuble en litige, les activités de l'Église étaient exercées dans un centre commercial situé dans la ville de Roxboro. Le pasteur témoigne qu’il savait que la réglementation de zonage interdisait cet usage à cet endroit et que ses activités n’y étaient que tolérées par les autorités municipales.
[158] Au cours de l'année 1999, le pasteur voit sur l'édifice en litige une affiche indiquant qu’il est à vendre. Il communique avec l'agent immobilier dont le nom et les coordonnées sont inscrits sur ladite affiche, afin de s'enquérir des possibilités d’en faire l'acquisition afin d'y transférer les activités de l'Église.
[159] Le pasteur témoigne qu'il avait bien informé l'agent Edward Perlman de l'usage qu'il entendait faire de ce bâtiment de deux étages. Il dit qu'il avait alors de la difficulté à s'exprimer en langue anglaise, mais se souvient de lui avoir parlé du "zoning".
[160] Quant à l’agent Perlman, il indique au tribunal qu'il se souvient bien du projet de transfert des activités religieuses de l’Église dans le bâtiment. Il dit toutefois ne pas se souvenir de discussions portant spécifiquement sur les vérifications qui auraient pu être faites quant à la légalité de l'usage. Il dit douter fortement que le pasteur et lui aient discuté du zonage municipal.
[161] Il admet n'avoir fait aucune vérification auprès des autorités municipales. Il explique qu’il ne jugeait pas ces vérifications utiles puisqu’il croyait alors que les activités religieuses étaient permises partout sur le territoire de la Ville de Montréal, appuyant cette croyance, clairement erronée, sur le fait qu'il pouvait apercevoir, en circulant dans les rues de la ville, des églises ou autres immeubles à caractère religieux à différents endroits, même dans des zones résidentielles.
[162] L’agent Perlman, dont il s'agissait de la première vente d'un immeuble à un organisme religieux, conclut sur ce point qu'il n’apprit la non-conformité de l'usage qu’après la conclusion de la vente, lorsque que le pasteur l'en eût informé.
[163] L'Église devient propriétaire de l'immeuble le 30 juillet 1999. L'acte d'acquisition, lu par le notaire et signé par le représentant de l’Église, comporte une déclaration de cette dernière à l'effet qu’elle a vérifié elle-même auprès des autorités compétentes que la vocation qu'elle entendait donner à l'immeuble était conforme aux lois et règlements en vigueur.
[164] La preuve démontre qu'il n'en est rien. Le pasteur s’est contenté des seules représentations erronées de Perlman. Il n’a pas communiqué auprès de la ville afin de s’enquérir des usages permis ou si un permis ou un certificat d’autorisation était requis avant de commencer ses activités.
[165] De plus, le pasteur reconnait s’être fait remettre peu après avoir reçu la mise en demeure du 25 juillet 2001, une copie du plan de zonage illustrant les secteurs de l’arrondissement et les usages autorisés. Or, jamais il n’en a remis copie aux agents immobiliers mandatés afin de les orienter dans leur travail.
[166] L’Église et ses mandataires sont donc les seuls responsables de son malheur.
La discrétion du Tribunal
[167] Enfin, la défenderesse
allègue que le tribunal ne devrait pas exercer aveuglément le pouvoir qui lui
est conféré par l’article
[168] D’abord, la presque totalité des critères élaborés par la Cour d’appel dans cette dernière décision sont ici tout simplement absents.
[169] Deuxièmement, faire droit à cet argument équivaudrait mettre de côté la volonté des élus municipaux qui ont adopté les normes contenues au règlement d’urbanisme. Est-il utile d’insister sur le fait que la réglementation d’urbanisme est justement un code de conduite applicable aux notions d’usages et de construction? Son objectif principal est d’assurer, sinon à court terme, du moins dans l’avenir, l’uniformité des usages, au fur et à mesure que les usages protégés par droits acquis s’éteindront.
[170] La preuve a révélé que des usages commerciaux (commerces de vente d’autos usagés, épicerie, etc.) sont exploités à proximité de l’immeuble en litige. La preuve a toutefois aussi démontré qu’il se trouve aussi à proximité des usages résidentiels. Il n’appartient pas au tribunal de se substituer à ceux qui sont élus pour étudier ces questions et de déterminer à leur place quels usages peuvent être implantés dans un secteur donné.
[171] Enfin, la procureure de la Ville a indiqué lors des plaidoiries qu’elle n’avait pas objection à ce qu’un délai plus grand que trente jours soit accordé à la défenderesse afin de lui permettre de se relocaliser. Le tribunal lui octroiera un délai en conséquence.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[172] ACCUEILLE la requête;
[173] ORDONNE à la défenderesse l'Église de Dieu Mont de Sion de cesser d'utiliser l’immeuble situé au 9166, rue Lajeunesse à Montréal comme lieu de culte, au plus tard 180 jours suivant la signification du jugement;
[174] LE TOUT avec dépens.
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__________________________________ STÉPHANE SANSFACON, J.C.S. |
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Me Veronica Mollica |
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Procureur du Demandeur |
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Me Vincent Piazza |
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Procureur du Défendeur |
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Dates d’audience : |
24, 25, 26 et 27 mai 2011 |
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[1] L.R.Q., A-19.1
[2] [2003] CanLII 28303 (C.A.).
[3] Article 141 du règlement
[4] Articles 172 et suivants
[5] Articles 193 à 195
[6] Article 204
[7] Article 207
[8] Article 211
[9] Article 314
[10] Article 208.1
[11]
R. c. Big M Drug Mart Ltd.
[12]
Congregation of the Followers of the Rabbis of Belz to
Strengthen Torah c. Val-Morin (Municipalité de)
et al,
[13]
[14]
[15]
[16]
[17]
St-Michel-Archange (Municipalité de) c. 2419-6388 Québec Inc.
[18] Déjà cité.
[19]
Dupuis c. Montréal (Ville de)
[20]
Congregation of the Followers of the Rabbis of Belz to Strengthen
Torah c. Municipalité de Val-Morin et Congrès
juif canadien
[21] Déjà citée
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.