Section des affaires sociales
En matière de services de santé et de services sociaux, d'éducation et de sécurité routière
Référence neutre : 2011 QCTAQ 0779
Dossier : SAS-Q-165723-1007
LOUISE BLAIN
ROBERT LESSARD
P… M…
c.
MINISTRE DE L'ÉDUCATION, DU LOISIR ET DU SPORT
[1] Les requérants contestent la décision de l'intimée, la ministre de l'Éducation, du Loisir et du Sport, rendue le 13 mai 2010, refusant de déclarer leur fille admissible à recevoir son enseignement en anglais dans une école publique ou privée subventionnée au Québec.
[2]
La fille des requérants ayant fréquenté une école anglaise privée non
subventionnée de la maternelle à la 5e année, les requérants
demandent, le 15 avril 2010, à la personne désignée par la ministre de la
déclarer admissible à recevoir son enseignement en anglais au Québec, dans une
école publique ou privée subventionnée, en vertu des exemptions prévues à
l’article
[3] Cet article prévoit qu’un enfant dont le père ou la mère est citoyen canadien peut recevoir son enseignement en anglais s’il reçoit ou a reçu un enseignement primaire ou secondaire en anglais au Canada pourvu que cet enseignement constitue la majeure partie de son enseignement primaire ou secondaire en anglais au Canada.
[4]
Dans sa décision du 13 mai 2010, la personne désignée refuse la demande
des requérants, alléguant que, bien que la fille des requérants ait reçu la
majorité de son enseignement primaire en anglais au Québec, l’application de la
décision de la Cour Suprême du Canada invalidant les deuxième et troisième
alinéas de l’article
«73. Peuvent recevoir l’enseignement en anglais, à la demande de l’un de leurs parents :
[…]
2° les enfants dont le père ou la mère est citoyen canadien et qui ont reçu ou reçoivent un enseignement primaire ou secondaire au Canada, de même que leurs frères et sœurs, pourvu que cet enseignement constitue la majeure partie de l’enseignement primaire ou secondaire reçu au Canada;
[…]
Il n’est toutefois pas tenu compte de l’enseignement en anglais reçu au Québec dans un établissement privé non agréé aux fins de subventions par l’enfant pour qui la demande est faite ou par l’un de ses frères et sœurs. Il en est de même de l’enseignement reçu en anglais reçu au Québec dans un tel établissement, après le 1er octobre 2002, par le père ou la mère de l’enfant.
Il n’est pas tenu compte non plus de l’enseignement en anglais reçu en application d’une autorisation particulière accordée en vertu es articles 81, 85 ou 85.1.»
(notre emphase)
[5] D’ici là, ajoute la personne désignée dans sa décision, les deux derniers alinéas de l’article 73 continuent de s’appliquer lors de l’évaluation des demandes d’admissibilité.
[6] Les requérants ont contesté cette décision devant le Tribunal administratif du Québec, le 5 juillet 2010, d’où le présent recours.
[7]
Témoignant à l’audience, la requérante fait valoir que ses deux enfants
ont fait la majorité de leurs études primaires, dans des classes régulières,
en anglais à l’école A, répondant ainsi aux critères prévus à l’article
[8] Elle ajoute qu’il est important de considérer le cheminement des enfants depuis leur entrée à l’école et que leurs acquis justifient amplement leur admissibilité à l’école anglaise.
[9] Leur quotidien se vit en anglais. Ils écoutent la télévision en anglais et sont inscrits dans des camps d’été anglais pour qu’ils conservent leurs acquis.
[10] Elle ne peut concevoir une décision fondée sur le statut de l’école plutôt que sur le quotidien de l’enfant.
[11] Après une analyse de l’ensemble de la preuve, le Tribunal conclut au bien-fondé de la décision rendue le 13 mai 2010 par la personne désignée.
[12] Rappelons d’abord que la Charte de la langue française prescrit, dans son principe général, que le français est la langue d’enseignement aux niveaux primaires et secondaires au Québec et que ce n’est qu’exceptionnellement qu’un enfant peut se soustraire à cette règle.
[13] Les deux derniers alinéas de l’article 73 ont été ajoutés en octobre 2002 pour contrer le détournement de cette règle par l’inscription au début de sa scolarité, pour une courte période, d’un enfant dans une école anglaise privée non subventionnée, pour faire valoir par la suite que ce dernier avait reçu la majorité de son enseignement en anglais au Québec et pouvait être déclaré admissible à l’enseignement en anglais dans une école publique ou privée subventionnée en vertu de l’article 73 (2).
[14] La Cour Suprême du Canada, dans un jugement rendu le 22 octobre 2009 a invalidé ces deux alinéas, considérant ces moyens choisis par le législateur québécois disproportionnés par rapport à l’importance des problèmes de détournement ayant conduit à ces ajouts à l’article 73, mais, reconnaissant par ailleurs l’existence des problèmes de détournement de la règle générale par le biais des «écoles passerelles», elle a suspendu l’application de son jugement pour une période de un an afin de laisser le temps au législateur de trouver des moyens moins «drastiques» pour contrer ce problème.
[15] Les requérants invoquent, dans leur demande d’admissibilité à l’école anglaise pour leur fille, la majeure partie de son enseignement reçu dans une école anglaise privée non subventionnée.
[16] Or, cette demande a été déposée pendant l’année où l’application du jugement de la Cour Suprême a été suspendue.
[17] La personne désignée par la ministre se devait donc de continuer à appliquer les deux derniers alinéas de l’article 73 pendant cette année de suspension et ne pouvait, par conséquent, tenir compte de l’enseignement en anglais reçu dans une école privée non subventionnée par la fille des requérants dans l’analyse de leur demande.
[18] Cependant, comme le présent recours est entendu par le Tribunal le 8 juin 2011, soit après l’entrée en vigueur des modifications apportées à la Charte à la suite du jugement de la Cour Suprême, par l’adoption par le gouvernement du Québec, de la Loi faisant suite aux décisions judiciaires en matière de langue d’enseignement (2010,c.23), sanctionnée le 19 octobre 2010, et par l’adoption du Règlement sur les critères et la pondération applicables pour la prise en compte de l’enseignement en anglais reçu dans un établissement d’enseignement privé non agrée aux fins de subvention, entré en vigueur le 22 octobre 2010, le Tribunal considère de sa compétence, en vertu des pouvoirs qui lui sont conférés par la Loi sur la justice administrative, de rendre une décision concernant la demande d’admissibilité de la fille des requérants à l’école anglaise déposée le 15 avril 2010, en fonction de ces nouvelles dispositions.
[19] À cet égard, le Tribunal a entendu madame Lise Briand, responsable de la délivrance des permis d’enseignement privé, venue présenter, à la demande de l’intimée, les dispositions de la nouvelle Loi et de son Règlement relatives au présent dossier.
[20] De cette présentation et des divers documents déposés en preuve, le Tribunal retient ce qui suit concernant les dispositions de la Loi et du Règlement s’appliquant en l’espèce.
[21] La Loi faisant suite aux décisions judiciaires en matière de langue d’enseignement, ci-après nommée Loi, prévoit l’ajout, à la Charte, de l’article 73.1 qui se lit comme suit :
«73.1. Le gouvernement peut déterminer par règlement le cadre d’analyse suivant lequel une personne désignée en vertu de l’article 75 doit effectuer l’appréciation de la majeure partie de l’enseignement reçu qui est invoqué à l’appui d’une demande d’admissibilité fondée sur l’article 73. Ce cadre d’analyse peut notamment établir des règles, des critères d’appréciation, une pondération, un seuil éliminatoire ou un seuil de passage et des principes interprétatifs.
Le règlement peut préciser dans quels cas ou à quelles conditions un enfant est présumé ou est réputé satisfaire à l’exigence d’avoir reçu la majeure partie de son enseignement en anglais au sens de l’article 73.
[…].»
(notre emphase)
[22] Par ailleurs, l’article 2 du Règlement sur les critères et la pondération applicables pour la prise en compte de l’enseignement en anglais reçu dans un établissement d’enseignement privé non agrée aux fins de subvention, ci-après nommé Règlement, stipule :
« 2. Le présent règlement s’applique à toute demande
d’admissibilité à recevoir l’enseignement en anglais présentée en vertu des
paragraphes 1 et 2 de l’article
[…]»
[23]
Ce Règlement s’applique donc à la demande d’admissibilité de la fille
des requérants à l’école anglaise en vertu de l’article
[24] Conséquemment c’est en fonction du cadre d’analyse défini par le Règlement que le Tribunal déterminera si la fille des requérants satisfait aux exigences de l’article 73 (2), soit avoir reçu la majeure partie de son enseignement primaire en anglais au Canada.
[25] Selon l’article 8 du Règlement, tout établissement d’enseignement privé, au sens du premier alinéa de l’article 2, fait l’objet d’un ou plusieurs classements, selon ses caractéristiques, soit un établissement de type A, B ou C, définis ainsi à l’article 9 :
«9. Dans le présent règlement, on entend par :
«établissement anglophone de type A» : l’établissement d’enseignement privé dont les caractéristiques correspondent à l’une ou l’autre des situations suivantes :
1° les élèves des trois premières classes d’enseignement du primaire ou du secondaire, selon le cas, sont titulaires, dans une proportion de 60% ou plus, d’un certificat d’admissibilité ou d’une autorisation particulière à recevoir l’enseignement en anglais en vertu de la Charte de la langue française (L.R.Q., c. C-11);
2° l’établissement dispense de l’enseignement primaire et secondaire et il satisfait aux deux critères suivants :
a) 70% et plus des élèves qui le fréquentent au niveau primaire continuent de la fréquenter pour tout leur secondaire;
b) 70% et plus des heures d’enseignement sont dispensées en anglais, tant au primaire qu’au secondaire, cette évaluation de la proportion de l’enseignement dispensé en anglais devant être établie, par l’établissement concerné, sous la signature d’un membre d’un ordre professionnel de comptables autorisés en vertu de la loi à effectuer la vérification des livres et comptes;
«établissement anglophone de type B» : l’établissement d’enseignement privé qui n’est pas de type A ou C;
«établissement anglophone de type C» : l’établissement d’enseignement privé dont la vocation distincte est de fournir un apprentissage bilingue ou plurilingue aux élèves, que ce soit par une formule d’immersion ou autrement et dont moins de 60% des élèves sont titulaires d’un certificat d’admissibilité ou d’une autorisation particulière à recevoir l’enseignement en anglais en vertu de la Charte de la langue française;
[…]»
(notre emphase)
[26] Le pourcentage mentionné à l’article 9 est établi annuellement en faisant la moyenne des pourcentages des trois années scolaires précédentes - article 11 (1°) - ou des 2 années précédentes pendant les trois premières années d’application du présent règlement (dispositions transitoires prévues à l’article 13).
[27] À la suite de l’application de cette grille, l’école A été classée par le ministère dans la catégorie des établissements de type C[2]. Ce classement résulte de l’analyse des données fournies au service de recherche du ministère par l’établissement.
[28] Ainsi, en 2008/2009, sur 67 élèves inscrits à cette école pour les trois premières années du primaire, aucun n’était en possession d’un certificat d’admissibilité ou d’une autorisation particulière à recevoir l’enseignement en anglais en vertu de la Charte de la langue française et il en allait de même pour les 70 élèves inscrits en 2009/2010, ce qui donnait comme pourcentage moyen pour ces deux années 0%, pourcentage nettement inférieur à 60%, classant ainsi cette école dans la catégorie de type C en vertu des articles 9 et 11(1°)[3].
[29] De plus, cette école ne rencontrait pas les critères prévus à la disposition transitoire prévue à l’article 14(2°) pour les années scolaires 2010/2011et 2011/2012, permettant un calcul du pourcentage prévu à l’article 9 fondé sur la moyenne des pourcentages des élèves du primaire, ayant fréquenté au secondaire, lors des deux années précédentes, une école anglaise.
[30] En effet, selon les données recueillies pour l’école A, aucun élève, ayant fait sa 6e année en 2007/2008 ou 2008/2009, n’a fréquenté, par la suite, une école anglaise au secondaire[4].
[31] Enfin, le réseau des écoles B, dont fait partie A, définit ses écoles, dans son dépliant de présentation[5], comme «des écoles francophones qui proposent un enseignement basé sur l’apprentissage des langues» et précise qu’elles «ne devraient pas être considérées comme des écoles anglophones», ce qui vient renforcer son classement dans la catégorie de type C.
[32] Par la suite, une pondération est établie pour chacun des types d’établissement en fonction de la durée de la fréquentation scolaire.
[33] En vertu de l’article 5 du Règlement, un total de 15 points (seuil de passage) doit être atteint pour qu’une demande d’admissibilité puisse être accueillie.
[34] Dans le présent dossier, la fille des requérants a fréquenté un établissement de type C pendant 6 ans, ce qui lui donne 5 points[6].
[35] Des points peuvent ensuite être ajoutés ou enlevés en fonction notamment de la constance et du caractère réel de l’engagement. La fille des requérants ne rencontrent cependant aucun des critères prévus à la section 2 de l’annexe du Règlement, qui auraient permis de lui accorder des points supplémentaires.
[36] Par ailleurs, même si le Tribunal avait disposé, dans le présent dossier, d’éléments contextuels connexes ou distincts lui ayant permis d’approfondir l’évaluation de la demande des requérants, eu égard à leur situation individuelle et familiale, et de conclure à l’authenticité de l’engagement , ce qui aurait pu valoir l’ajout d’un maximum de huit points, tel que prévu, pour des situations particulières, à la section 3 de l’annexe du Règlement, le seuil de passage de 15 points n’aurait pas, de toute façon, été atteint.
[37] La fille des requérants n’ayant accumulé qu’un total de 5 points, le Tribunal ne peut donc la déclarer admissible à recevoir son enseignement dans une école publique ou privée subventionnée au Québec, puisqu’elle ne satisfait pas aux exigences de l’article 73(2°) selon le cadre d’analyse défini par le Règlement.
[38] POUR CES MOTIFS, le Tribunal :
- REJETTE le recours.
Bernard, Roy (Justice-Québec)
Me Samuel Chayer
Procureur de la partie intimée