Vachon c. R. |
2011 QCCA 2103 |
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COUR D’APPEL |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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GREFFE DE
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N° : |
200-10-002456-098 - (200-01-124760-087) 200-10-002457-096 - (200-01-124937-081) 200-10-002458-094 - (200-01-124576-087) |
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DATE : |
LE 15 NOVEMBRE 2011 |
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JACQUES VACHON |
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APPELANT - REQUÉRANT - Accusé |
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c. |
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SA MAJESTÉ LA REINE |
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INTIMÉE - Poursuivante |
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[1] LA COUR; Statuant sur trois appels de jugements sur la culpabilité prononcés les 31 octobre 2008 et 28 septembre 2009 par la Cour du Québec, chambre criminelle et pénale, district de Québec (l'honorable Hubert Couture) qui a reconnu l'appelant coupable de 29 chefs d'accusation, sur trois requêtes pour permission de présenter une preuve nouvelle de même que sur trois requêtes pour permission d'appeler de jugements sur la peine;
[2] Pour les motifs du juge Doyon, auxquels souscrivent les juges Brossard et Kasirer :
[3] DÉCLARE admissible la nouvelle preuve;
[4] ACCUEILLE les appels portant sur les verdicts de culpabilité;
[5] INFIRME les jugements de première instance;
[6] ORDONNE de nouveaux procès sur les 29 chefs d'accusation dont l'appelant a été reconnu coupable;
[7] DÉCLARE que les requêtes pour permission d'appeler des jugements sur les peines prononcés le 30 octobre 2009 sont en conséquence devenues sans objet.
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MOTIFS DU JUGE DOYON |
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[8] L'appelant était accusé de plusieurs infractions qui auraient été commises sur une période de quelque 30 ans, à l'endroit de sept plaignantes. Il a été reconnu coupable à l'encontre de cinq d'entre elles de 29 chefs d'accusation, dont viol, attentat à la pudeur, grossière indécence, agressions sexuelles, voies de fait causant des lésions corporelles et voies de fait armées.
[9] L'affaire était sérieuse. La peine infligée en fait d'ailleurs la démonstration : l'appelant a été condamné à purger 23 ans d'emprisonnement, malgré l'absence d'antécédents judiciaires.
[10] Il plaide principalement ne pas avoir bénéficié de l'assistance effective de l'avocat qui le représentait, ce qui aurait brimé son droit à un procès équitable.
[11] Pour les motifs qui suivent, j'estime qu'il a raison et qu'un nouveau procès doit être ordonné.
[12] Les événements seraient survenus du milieu des années 1970 au début des années 2000.
[13] Le 30 mars 2008, l'appelant, qui a alors 63 ans, comparaît devant la Cour du Québec et est représenté par Me Germain Côté. La poursuite s'oppose à sa mise en liberté et, le 3 avril, le tribunal ordonne sa détention pendant les procédures. Le 6 mai, l'avocat de l'appelant renonce à la tenue d'une enquête préliminaire et la date du procès, devant juge seul, est arrêtée au 27 octobre 2008.
[14] Le matin du 27 octobre 2008, l’appelant annonce au juge qu’il n’a plus confiance en son avocat et qu'il veut révoquer son mandat. Après avoir posé quelques questions à l’appelant et à Me Côté, le juge de première instance refuse la demande et ordonne que le procès débute.
[15] Il suffit, pour le moment du moins, de résumer à grands traits les témoignages qui sont alors rendus, sans entrer dans les détails. Cela permettra de démontrer, là encore, la gravité des accusations et, en corollaire, l'obligation pour l'avocat de se préparer adéquatement.
[16] A fut la conjointe de l’appelant de 1978 à 1986. Son témoignage fait état d’abus constants tout au long de la relation. À plusieurs reprises, elle aurait été victime de voies de fait lui ayant causé des lésions corporelles ainsi que de viol et de menaces de mort. Par exemple, elle témoigne que, peu de temps après le début de la relation, l’appelant l’aurait rouée de coups avant de la violer. À une autre reprise, il l’aurait frappée au visage et aurait brisé sa prothèse dentaire, ce qui lui aurait causé de sérieuses blessures. Plus tard, l’appelant lui aurait interdit de se rendre à l’hôpital en la menaçant de la tuer si elle y allait.
[17] Lors d'un autre événement, l’appelant aurait tenté de la noyer dans les toilettes pour ensuite uriner sur elle. Il lui est aussi arrivé de pointer une arme de poing en sa direction.
[18] À une occasion, Mme A se réfugie chez sa mère, mais elle retourne chez l’appelant après qu'il lui eut promis de suivre une thérapie. Dès son retour, il menace de la tuer parce qu’elle l'a quitté, la traîne par les cheveux, la menotte et l’attache au lit avant de l'agresser sexuellement.
[19] En 1985, après une hospitalisation, Mme A apprend que sa jeune sœur B, qui est handicapée, aurait aussi été agressée sexuellement par l'appelant. Elle l'a confronté, et elle témoigne qu'il a admis le crime. Il faut toutefois préciser que l'appelant a été accusé de ce crime, mais en a été acquitté en 1986, de sorte que cette accusation a été retirée pendant le procès. J'y reviendrai.
[20] C, sœur de A et de B, témoigne que cette dernière lui a dit avoir été agressée par l'appelant. Ce témoignage a été autorisé au motif que Mme B était malheureusement décédée au moment du procès.
[21] D est la fille de la voisine de la mère de Mme A. Elle témoigne que, le 22 juin 1985, cette dernière l’a invitée à venir chez elle en lui disant que l'appelant était absent. À son arrivée, l’appelant y est encore et il lui offre du cannabis, de la bière et de la cocaïne, qu'elle se sent obligée de consommer. L’appelant leur ordonne ensuite de l'accompagner dans la chambre à coucher, où il les agresse toutes les deux sexuellement.
[22] E rencontre l’appelant en 1987 et elle cohabite avec lui et ses deux enfants pendant deux ans. Elle déclare avoir été victime d'agression sexuelle et de violence physique à de multiples occasions. Elle relate un événement où il lui aurait cassé six dents. Il a même une fois amené chez lui un ami et l'a forcée à avoir une relation sexuelle avec ce dernier. Il aurait aussi menacé de la tuer à la pointe d’un fusil.
[23] F est la fille de Mme E. Elle était âgée d'environ 12 ans lors des évènements. Elle aurait été régulièrement victime de violence physique de la part de l'appelant. À une occasion, il aurait profité de son sommeil pour l'agresser sexuellement. Elle dit s'être défendue et il a riposté en la fouettant.
[24] G rencontre l'appelant le 9 août 2000. Le 7 septembre 2000, il l'invite à l'accompagner en Beauce. Au cours du trajet, il place sa main entre ses jambes. Après un repas au restaurant, il loue une chambre à son insu. Il l'y amène et l'agresse sexuellement.
[25] H a dit avoir été victime de voies de fait et de menaces de mort. L'appelant a cependant été acquitté de ces accusations.
[26] Au terme de cette preuve, Me Côté déclare ne pas vouloir faire entendre de témoins.
[27] Le verdict de culpabilité tombe le 31 octobre 2008. L'appelant est reconnu coupable de tous les chefs d'accusation, sauf celui relatif à Mme B, retiré par la poursuite, et ceux en rapport avec Mme H.
[28] La poursuite demande que l'appelant soit déclaré délinquant dangereux ou à contrôler. Il est ramené devant le juge le 20 novembre et une évaluation psychiatrique est ordonnée. Le 16 décembre 2008, le délai pour la production de l'évaluation est prorogé au 13 février 2009. Le rapport est déposé à cette date et les observations sur la peine sont ajournées au 24 avril.
[29] Entre-temps, en mars 2009, Me Côté, qui fait l'objet de nombreuses plaintes disciplinaires, démissionne du Barreau. Il sera radié de façon permanente du tableau de l'Ordre le 7 janvier 2010.
[30] L'appelant n'ayant plus d'avocat, il s’ensuit une série d'ajournements pour tenter de trouver un avocat qui accepterait de le représenter. Malgré tous les efforts du juge, la recherche se solde par un échec et le juge nomme finalement un amicus curiae pour assister l'appelant.
[31] Le 28 septembre 2009, l'amicus curiae dépose une requête pour rouvrir l'enquête en alléguant que M. Côté (qui n'est plus avocat) aurait enfreint le droit de l'appelant de témoigner. Le juge accueille la requête et l'appelant témoigne le même jour. Il nie les accusations, sauf pour des voies de fait relativement mineures à l'endroit de Mmes A et E. Le juge ne lui accorde aucune crédibilité, rejette son témoignage et confirme aussitôt le verdict de culpabilité.
[32]
Le 29 septembre 2009, le juge accueille la requête de la poursuite,
déclare l'appelant délinquant à contrôler et le condamne à des peines
totalisant 23 ans d'emprisonnement, tout en ordonnant qu'il en purge au moins
10 avant d'être éligible à la libération conditionnelle, selon les termes de
l'article
[33] L'appelant, qui se pourvoit contre le verdict et contre les peines, invoque les moyens d'appel qui suivent :
1. L'honorable juge de première instance était-il justifié de refuser le droit à l'appelant de congédier son avocat alors que les motifs au soutien de cette demande étaient valables?
2. Est-ce que l'appelant a eu droit à une défense pleine et entière considérant que son procureur a commis une grave erreur en ne présentant aucun témoin pour réfuter les témoignages de la poursuite et en ignorant la volonté de l'appelant de témoigner pour sa défense?
3. L'appelant avait-il droit à un avocat nommé par le juge pour la continuation du procès?
4. Le juge du procès aurait-il dû avorter le procès plutôt que d'accepter la réouverture de la preuve?
5. L'honorable juge de première instance a-t-il erré en permettant à la poursuite de présenter une preuve hautement préjudiciable à l'appelant alors que ce dernier a été acquitté de la même accusation en 1986?
6. Est-ce que le juge de première instance a erré en imposant une peine globale de vingt-trois (23) ans à l'appelant?
[34] Les deux premiers moyens portent sur l'incompétence de l'avocat en première instance et ont donné lieu à une requête pour permission de présenter une nouvelle preuve en appel. Cette preuve est constituée du témoignage de M. Germain Côté, recueilli aux fins de cet appel. Comme l'issue de cette requête a été déférée à la formation qui entendrait le pourvoi au fond, je suis d'avis que la preuve que l'appelant veut produire satisfait tous les critères requis, de sorte que la requête devrait être accueillie et le témoignage admis en preuve. J'estime également que ces seuls moyens suffisent à accueillir l'appel.
[35] Les moyens nos 3, 4 et 5 soulèvent des questions mixtes de droit et de fait. À mon avis, ils n'auraient pas suffi, à eux seuls, pour justifier l'appel. Je les aborderai donc rapidement.
[36] Quant au sixième, il devient sans objet, vu ma conclusion d'accueillir l'appel du verdict.
[37] Dès l'ouverture du procès, l'appelant, qui est détenu depuis son arrestation et qui, selon ses propres dires, est illettré, exprime son désarroi au juge de première instance. Il ne veut plus être représenté par Me Côté. Voici l'échange qui a alors lieu :
Me GERMAIN CÔTÉ, avocat de la défense :
Me permettez-vous, Monsieur le juge, deux secondes. Monsieur le juge…il dit qu'il ne veut plus être représenté par moi.
M. JACQUES VACHON :
Moi, j'ai plusieurs raisons, Monsieur le juge. Je n'ai plus…on n'a plus de confiance entre les deux, c'est parce que…si vous voulez le savoir, je peux vous le dire.
[…]
LA COUR :
Je comprends, de la demande que vous me formulez ce matin, alors que l'ensemble des témoins sont présents - combien?
Me NADINE DUBOIS, procureur de la poursuite :
On a des témoins étalés pour toute la semaine jusqu'à au moins jeudi après-midi.
LA COUR :
Très bien. Alors vous demandez à ce que vous ne soyez plus représenté par avocat?
M. JACQUES VACHON :
Je pourrais-tu l'expliquer, s'il vous plaît ?
LA COUR :
Oui oui, mais je vous demande, là, si c'est ce que j'ai bien compris?
M. JACQUES VACHON :
Bien c'est ça que j'ai demandé parce que je n'ai aucune confiance pour plusieurs raisons qui sont valables.
La première des affaires, je l'avais appelé vers le mois de mai, puis ma fille est ici, pour qu'il me rappelle puis il ne m'a jamais rappelé. Vendredi matin, il m'appelle, il dit: « Ça prend sept mille dollars (7000 $) puis il dit, je suis capable de te défendre. Si tu n'as pas sept mille dollars (7000 $), il dit ça va aller mal. »
Ça fait que moi, à partir de vendredi matin, aller à lundi, je n'ai pas eu le temps de trouver la somme, mettons. Ça fait qu'à matin…puis en plus, je n'ai jamais eu de livre moi, les dossiers je ne connais pas ça, là, je ne sais lire ni écrire, mais je suis capable de les faire lire par d'autres.
Puis là, il me dit que je n'ai pas besoin de ça, il dit qu'il faut que je paie pour avoir des papiers. Moi je ne connais pas ça la loi, je suis un niaiseux parce que je n'ai pas d'instruction, mettons, là.
Il me semble que mes livres…je ne sais même pas de quoi je suis accusé. Puis il me demande sept mille piastres (7000 $) le matin.
Puis là, lui, il a eu tout le temps depuis que je suis en prison, il a eu quatre (4) mois pour me téléphoner, de me dire que ça prend sept mille dollars (7000 $). Il arrive à la dernière minute, moi, je ne trouve pas ça correct, il me semble. Il dit que ça va aller mal. Si ce n'est pas des menaces ça, je ne sais pas c'est quoi.
LA COUR :
O.K. Est-ce que vous…
M.JACQUES VACHON :
Moi, c'est les raisons que j'ai.
LA COUR :
Très bien. Est-ce que vous avez autre chose à redire?
M. JACQUES VACHON :
Non, c'est les seules raisons que j'ai.
LA COUR :
Maître Côté, est-ce que vous voulez répliquer?
Me GERMAIN CÔTÉ :
Pardon? Bien, mettons, Monsieur le juge, que je ne suis pas d'accord avec les propos de monsieur, là. Sauf que je ne veux pas répliquer à ça. Écoutez, si monsieur il n'a plus confiance en moi, que c'est que vous voulez que je vous dise?
LA COUR :
Mais vous êtes prêt pour le procès?
Me GERMAIN CÔTÉ :
Moi, je suis prêt.
LA COUR :
Très bien. Demande refusée.
[Je souligne.]
[38] Le juge de première instance ajoute dans les instants qui suivent quelques commentaires sur la tardiveté de la demande :
Et afin qu'il n'y ait pas d'ambiguïté, monsieur, effectivement vous demandez le matin du début du procès, alors qu'il y a plusieurs témoins, vous faites l'objet de trente quelque chefs d'accusation et à la dernière minute, alors que nous procédons à l'assermentation du premier témoin, vous requérez du Tribunal le droit de retirer le mandat à votre avocat.
Il y a des façons de faire et le Tribunal considère également que les raisons pour lesquelles vous demandez cette… le retrait de votre avocat au dossier, ne sont pas valables, d'autant plus que Me Côté est prêt à vous représenter.
Nous sommes le matin du procès, cette cause est fixée depuis plusieurs mois. Ceci étant dit, votre requête est rejetée.
[39]
Avec beaucoup d'égards pour le juge de première instance, je suis
d'opinion que les motifs de l'appelant étaient valables, comme nous le verrons
plus loin, et que, s'il s'était informé de la situation, il aurait accueilli la
demande. Par ailleurs, il n'y avait pas de délais abusifs, l'appelant ayant
comparu moins de six mois avant le procès. De plus, au moment où elle est
présentée, la demande ne consiste pas à ajourner le procès, mais bien à récuser
l'avocat. Or, ce droit est celui du client et un tribunal ne peut forcer un
accusé à être représenté par un avocat en qui il n'a plus confiance. Comme
l'écrit le juge Rothstein, dans R. c. Cunningham,
L’accusé a le droit absolu de révoquer à son gré le mandat accordé à son avocat. Le tribunal ne peut intervenir dans ce choix et lui imposer un avocat dont il ne veut pas (voir Vescio c. The King, [1949] R.C.S. 139, p. 144; toutefois, à titre exceptionnel, un amicus curiae peut être nommé pour assister le tribunal). […]
[40] Il est vrai que, dans cette affaire, la question portait sur le droit de l'avocat de cesser d'occuper, mais cet extrait des motifs du juge Rothstein décrit bien l'état du droit en la matière. D'ailleurs, dès 1949, le juge Taschereau émettait cette opinion dans Vescio v. The King, [1949] R.C.S. 139, à la page 142 :
It is a fundamental principle of our criminal law that the choice of counsel is the choice of the accused himself, that no person charged with a criminal offence can have counsel forced upon him against his will, and that it is the paramount right of the accused to make his own case to the jury if he so wishes, instead of having it made for him by counsel (Rex v. Woodward). […]
[41]
Je souligne qu'il n'est pas en l'espèce question d'un caprice ou d'un
moyen dilatoire en vue de retarder le procès ou de contourner la décision d'un
juge, comme dans R. c. Spataro,
[42] Pour comprendre maintenant la demande de l'appelant, il faut examiner la nouvelle preuve. Je n'ai pas de doute qu'elle démontre le sérieux des craintes de l'appelant et la nécessité, une fois la révocation confirmée, d'ajourner le procès.
[43] On le sait, à compter de mars 2009, l'avocat Côté est l'objet de nombreuses plaintes disciplinaires qui font état d'événements survenus entre 2003 et 2009. Elles mettent en cause sa compétence et son intégrité professionnelle et décrivent une façon de faire qui s'apparente aux reproches formulés par l'appelant, notamment la négligence dans l'exécution du mandat confié par le client[1]. La démission et la radiation à vie qui suivront ne pouvaient évidemment être connues à l'ouverture du procès. Par contre, leur similitude avec les arguments invoqués par l'appelant ne peut être ignorée par la Cour. En effet, la Cour doit vérifier si l'appelant a eu droit à un procès équitable, dans le contexte d'une preuve complexe, fondée sur le témoignage de nombreuses plaignantes, au regard d'événements qui ont couvert trois décennies. Autrement dit, la Cour ne peut faire abstraction des décisions du Conseil de discipline qui ont toutes conclu à la négligence de l'avocat dans l'exécution de son mandat, alors que l'appelant soulève justement sa négligence. La complexité de la preuve dans le présent dossier me convainc également de la nécessité de tenir compte de ces décisions.
[44] Mais revenons aux craintes de l'appelant.
[45] Dès le début du procès, l'avocat affaiblit la crédibilité de l'appelant. Comment comprendre autrement ses propos : « Bien, mettons, Monsieur le juge, que je ne suis pas d'accord avec les propos de monsieur, là. Sauf que je ne veux pas répliquer à ça ». Autrement dit, mon client ne vous dit pas la vérité, mais je ne peux le contredire, vraisemblablement, j'imagine, pour cause de confidentialité. Voilà un procès qui s'engage bien mal. Cela est toutefois révélateur de la rupture du lien de confiance, qui est pourtant un élément essentiel de la relation client-avocat.
[46]
Un accusé a droit à l'assistance effective d'un avocat. Le juge Major le
rappelle dans R. c. G.D.B.,
24 Aujourd'hui, tout inculpé a droit à l'assistance
effective d'un avocat. Au Canada, ce droit est considéré comme un principe de
justice fondamentale. Il découle de l'évolution de la common law, du par.
[47]
Le juge Proulx dit de même, dans R. c. Delisle,
21 Comme je l'ai souligné plus haut, le droit à un avocat compétent est lié aux droits de l'accusé à une défense pleine et entière et à un procès juste et équitable. Il ne suffit donc pas d'établir simplement l'incompétence de l'avocat. Il faut en plus démontrer que celle-ci a dans la réalité brimé l'accusé dans ses droits. L'aspect causal de l'incompétence constitue donc l'élément fondamental de l'analyse.
22 En appel, puisque le rôle de la Cour consiste à s'assurer que l'appelant a subi un procès juste et équitable, toute allégation d'incompétence de l'avocat, même amplement démontrée, ne justifie une intervention que dans la mesure où l'appelant établit un lien entre cette incompétence et un déni de justice (art. 686(1)b)iii) C.cr.). En d'autres termes, en raison de la conduite blâmable de l'avocat, l'accusé doit avoir été privé de son droit à une défense pleine et entière ou à un procès juste et équitable. Cette proposition a été constamment évoquée par cette Cour et ne fait pas l'objet de controverse en jurisprudence canadienne.
[48]
Je suis par ailleurs conscient que ces arrêts exigent qu'un préjudice
soit démontré avant d'examiner la compétence de l'avocat. Le préjudice requis
peut cependant prendre plusieurs formes, comme l'écrit le juge Watt, dans R.
v. D.M.G.,
103 The prejudice component acknowledges that, in the context of ineffective assistance of counsel, miscarriages of justice may take several forms. Counsel's inadequacies may cause procedural unfairness in the proceedings or compromise the reliability of the result reached at first instance: B.(G.D.) at para. 28.
108 It is critical to keep in mind that, during the course of criminal proceedings, defence counsel make many decisions in good faith and in the best interests of his or her client. We ought not look behind every decision counsel makes, except where it is essential to prevent a miscarriage of justice. Defence counsel need not always obtain approval for each and every decision they make in the conduct of an accused's defence: B.(G.D.) at para. 34.
109 On the other hand, some decisions, like whether to enter a plea of guilty or whether to testify, require instructions from the client. It is for the client, not for counsel to make these decisions. The failure to discuss these issues with the client and to obtain the necessary instructions may raise questions of procedural fairness and the reliability of the trial result and lead to a miscarriage of justice: B.(G.D.) at para. 34.
[Je souligne.]
[49] Voyons ce qu'il en est.
[50] Non seulement la préparation de l'avocat était tellement inadéquate qu'il n'était aucunement prêt à procéder, mais en plus il a jugé son client et ne l'a pas représenté avec un minimum de compétence, ce qui, en terme de préjudice, a nié à l'appelant le droit à un procès équitable. En d'autres mots, outre le comportement inexplicable de l'avocat au cours des procédures, son incompétence était telle qu'elle a entraîné un procès inéquitable ou « a miscarriage of justice » (très mal traduit au paragr. 686(1)a)(iii) C.cr. par les mots « erreur judiciaire »). En soi, cela constitue, ici, un préjudice qui requiert l'intervention de la Cour. Je rappelle cet extrait de R. c. G.D.B., précité :
28 […] Les erreurs judiciaires peuvent prendre plusieurs formes dans ce contexte. Dans certains cas, le travail de l'avocat peut avoir compromis l'équité procédurale, alors que dans d'autres, c'est la fiabilité de l'issue du procès qui peut avoir été compromise.
[51] La preuve nouvelle établit que l'appelant a été laissé à lui-même par un avocat qui ne lui a pas prodigué les conseils requis, ne l'a pas représenté adéquatement et n'a pas respecté ses vœux, notamment en ce qui a trait à la décision de témoigner. Revoyons cette preuve.
[52] L'avocat prend la décision de renoncer à la tenue d'une enquête préliminaire, ce qui est fait le 6 mai 2008. Cela a de quoi surprendre dans un dossier où sept plaignantes témoigneront d'événements qui seraient survenus jusqu'à trente ans auparavant. Lorsque l'on apprend ensuite que l'avocat n'a même pas consulté son client avant de prendre cette décision lourde de conséquences, ce n'est plus la surprise qui prévaut, mais l'incompréhension. Ajoutons à cela l'explication qu'il a donnée lors de son interrogatoire aux fins de la constitution de la nouvelle preuve :
Q. Vous avez pas pensé à avoir une enquête préliminaire?
R. Non.
Q. Pourquoi?
R. J'en voulais pas.
Q. Vous en vouliez pas?
R. Non.
Q. Est-ce qu'il y a une raison?
R. Non.
[53] Que puis-je ajouter à une telle explication?
[54] L'appelant n'a pas été amené à la cour une seule fois entre le 6 mai et le début du procès, le 27 octobre. Or, M. Côté témoigne n'avoir rencontré son client qu'à la cour. Il dit par contre lui avoir parlé au téléphone à quelques reprises. En somme, il ne l'a rencontré qu'à l'occasion de l'enquête sur mise en liberté et ne l'a pas revu par la suite pour préparer le procès. Il lui a bien lu les déclarations des plaignantes au téléphone, mais sans plus. Pour un procès d'une telle complexité, cela relève de l'insouciance. On peut aussi comprendre et croire l'appelant lorsqu'il dit au juge de première instance « je ne sais même pas de quoi je suis accusé ». Cela peut aussi expliquer la portée fort limitée des contre-interrogatoires faits par M. Côté.
[55] L'appelant était accusé d'une infraction dont il avait déjà été acquitté. Lors de l'interrogatoire, l'avocat a d'abord prétendu l'avoir su avant le procès[2], pour ensuite corriger le tir et admettre qu'il ne le savait pas[3] et ne l'a appris que durant le procès. Pourtant, son client le savait, lui. Je ne peux croire qu'une préparation minimale n'aurait pas permis à l'avocat de l'apprendre, ne serait-ce que de la bouche de son client.
[56] Bien plus, au cours du voir-dire pour établir l'admissibilité de la déclaration de la plaignante, décédée, l'appelant l'a dit, mais on le croyait pas. L'avocate de la poursuite l'a longuement contre-interrogé à ce sujet, ce qui l'a ébranlé, alors qu'il avait pourtant raison. On peut comprendre qu'il en ait été troublé : on ne le croit pas à propos d'un fait qu'il était pourtant aisé de vérifier (c'est d'ailleurs ce que fera deux jours plus tard l'avocate de la poursuite, pour découvrir qu'il avait été acquitté et en aviser l'avocat de la défense et le juge). Mais, il y a plus. La piètre performance de l'appelant lors de ce témoignage, qui peut donc s'expliquer par son échec à convaincre la cour qu'il avait été acquitté, est l'une des raisons invoquées par l'avocat pour ne pas le laisser témoigner en défense, alors qu'il avait pourtant appris l'existence de l'acquittement au moment de prendre cette décision!
[57] L'avocat invoque une autre raison pour ne pas le laisser témoigner : il ne laissera pas son client se parjurer. En réalité, malgré qu'il ait fait cette affirmation, je suis loin d'être convaincu que ce soit la véritable raison. M. Côté semble plutôt dire que, son client ayant offert de plaider coupable en échange d'une peine de sept ans, il se parjurerait nécessairement s'il témoignait[4]. Il faut aussi savoir que l'appelant aurait admis à son avocat avoir posé certains gestes, mais qu'il en conteste la majorité. Cela contredit le point de vue de l'avocat : même dans cette hypothèse, il aurait pu témoigner pour contester plusieurs accusations, sans se parjurer.
[58] En fait, l'avocat a jugé son client, ce qui n'est évidemment pas son rôle : R. c. Delisle, précité.
[59] De plus, M. Côté dit, en témoignant, qu'il avait déjà décidé du peu de crédibilité de l'appelant :
Bon. Monsieur Vachon a témoigné durant le voir-dire. Alors, ça allait pas tellement bien.
Maintenant, ce que monsieur voulait, à un moment donné, au début, il disait qu'il voulait témoigner, mais… il avait rien à dire. Puis ce qu'il voulait dire, dans le fond, c'est que tous les autres disent blanc, moi, je vais dire noir, puis je le jure sur la tête de mes enfants.
C'était ça sa preuve. Puis : T'as-tu des témoins? T'as-tu aucun témoin?
[…]
[…] il faut que tu aies des témoins, il faut que tu dises quelque chose qui est probant.
[60] Bref, son témoignage seul ne suffira pas et il ne doit donc pas témoigner. Je ne dis pas que l'avocat ne pouvait raisonnablement conseiller à son client de ne pas témoigner. Ce que je dis, c'est qu'il ne pouvait le forcer à ne pas le faire, comme cela s'est produit :
J'ai dit: Tu témoigneras pas, parce qu'avec ce que tu m'as dit, je te ferais pas témoigner.
[61] Il est vrai que l'appelant a finalement témoigné, après la réouverture d'enquête. À mon avis, cela ne remédie pas au préjudice. L'appelant n'avait plus confiance en son avocat au début du procès et cela s'est perpétué pendant le procès alors que l'avocat n'est même pas intervenu pour rétablir la vérité en ce qui a trait à son acquittement[5] et a refusé de le faire témoigner, contre sa volonté. De plus, l'amicus curiae ne l'a pas vraiment préparé à témoigner[6]. Je ne veux pas lui en faire reproche, puisque le rôle d'un amicus curiae est loin d'être clair, mais il n'en reste pas moins que l'appelant a dû se débrouiller seul lors de son témoignage, sans préparation véritable. Pourtant, une telle préparation était nécessaire, tant à cause de la nature de la preuve que des difficultés de l'appelant à en saisir la portée. Je rappelle que l'appelant pouvait difficilement se préparer sans l'aide d'un avocat, puisqu'il ne sait ni lire, ni écrire.
[62] En somme, la preuve à charge n'a pas été véritablement contestée par M. Côté, qui n'était pas prêt à procéder et qui n'a pas fait preuve de compétence, même minimale. L'équité du procès en a été irrémédiablement minée.
[63] Dans R. v. Joanisse, (1995)102 C.C.C. (3d) 35 (C.A. Ont.), le juge Doherty rappelle l'importance du rôle de l'avocat de la défense dans le contexte d'un régime contradictoire pour tester la valeur de la preuve à charge et assurer l'équité du procès :
64 The importance of effective assistance of counsel at trial is obvious. We place our trust in the adversarial process to determine the truth of criminal allegations. The adversarial process operates on the premise that the truth of a criminal allegation is best determined by "partisan advocacy on both sides of the case": U.S. v. Cronic, 104 S. Ct. 2039 (1984), per Stevens J. at p. 2045. Effective representation by counsel makes the product of the adversarial process more reliable by providing an accused with the assistance of a professional trained in the skills needed during the combat of trial. The skilled advocate can test the case advanced by the prosecution, as well as marshal and advance the case on behalf of the defence. We further rely on a variety of procedural safeguards to maintain the requisite level of adjudicative fairness in that adversarial process. Effective assistance by counsel also enhances the adjudicative fairness of the process in that it provides to an accused a champion who has the same skills as the prosecutor and who can use those skills to ensure that the accused receives the full benefit of the panoply of procedural protections available to an accused.
[64] L'appelant n'a pas eu cette chance.
[65] À cela s'ajoute la question des honoraires invoquée par l'appelant à l'ouverture du procès. Il est clair qu'un différend subsistait entre l'appelant et son avocat. Par contre, ce litige devait être réglé bien avant le vendredi précédent le début du procès. À ce sujet, l'appelant doit être cru et rien ne permet de rejeter son affirmation selon laquelle l'avocat l'a menacé en lui disant que « ça irait mal » s'il ne trouvait pas les 7 000 $. Dans ces circonstances, on ne peut reprocher à l'appelant, comme l'a fait le juge de première instance, d'avoir réagi tardivement.
[66] Toujours dans Joanisse, précité, le juge Doherty ajoute :
65 Where counsel fails to provide effective representation, the fairness of the trial, measured both by reference to the reliability of the verdict and the adjudicative fairness of the process used to arrive at the verdict, suffers. In some cases the result will be a miscarriage of justice. This court is under a statutory obligation to quash convictions which are the product of a miscarriage of justice: Criminal Code s. 686(1)(a)(iii). The accused who is the victim of a miscarriage of justice is entitled to at least a new trial.
[67] Bref, je suis d'avis que l'appelant n'a pas été représenté par un avocat compétent, selon le seuil établi par les tribunaux, qu'il en a subi un préjudice grave et que le procès a été inéquitable. Seul un nouveau procès pourra rétablir la situation.
[68] Je doute que, devant juge seul, l'on puisse affirmer qu'un préjudice irréparable a été commis parce qu'une preuve inadmissible (ici, les faits pour lesquels l'appelant a été acquitté) a été administrée. C'est le propre du juge de pouvoir mettre de côté une telle preuve et de ne pas en tenir compte. Je ne vois rien qui puisse démontrer que tel n'a pas été le cas en l'espèce.
[69] Quant au droit à la nomination d'un avocat, plutôt que d'un amicus curiae, les efforts déployés par le juge de première instance pour aider l'appelant à trouver un avocat me convainquent que ce dossier n'est pas approprié pour trancher cette question.
[70] Enfin, la décision de rouvrir la preuve a été prise à la suite de la demande précise de l'amicus curiae. Il est possible que, sans les autres circonstances décrites plus haut, une réouverture d'enquête ait suffi. A posteriori, connaissant maintenant le comportement de l'avocat, c'était plutôt un cas où l'avortement de procès s'imposait. Par contre, vu mes conclusions au regard des deux premiers moyens d'appel, il n'est pas nécessaire de pousser plus loin la réflexion.
[71] Parmi ses arguments, l'intimée plaide subsidiairement que, même s'il y avait absence de représentation effective et preuve de préjudice, la Cour devrait appliquer les dispositions du paragr. 686(1)b)iii) C.cr au motif que, de toute façon, l'appelant sera nécessairement de nouveau reconnu coupable. Cet argument ne peut être retenu.
[72] D'abord, ce paragraphe s'applique lorsqu'il y a erreur de droit commise par le tribunal de première instance. En l'espèce, il y a surtout démonstration d'incompétence de la part de l'avocat, incompétence telle que le droit à un procès équitable a été nié. Autrement dit, ce n'est pas un cas où aucun tort important ou aucune erreur judiciaire grave ne s'est produit, comme l'exige le paragr. 686(1)b)iii) C.cr.
[73] Ensuite, ce paragraphe s'inscrit dans le cadre d'une preuve dont la fiabilité a été testée à l'occasion d'un procès équitable. Or, le comportement de l'avocat met justement en cause la fiabilité de la preuve et l'issue même du procès, comme évoqué dans R. c. G.D.B., R. v. D.M.G. et R. v. Joanisse, précités. Il n'est donc pas impossible de croire que l'appelant pourrait être acquitté, sinon de tous les chefs, au moins de certains d'entre eux.
[74] Enfin, l'argument se rapproche dangereusement de celui-ci : si la preuve est solide, pourquoi s'embarrasser de respecter les droits de l'accusé? L'argument de l'intimée ne va pas jusque-là, bien sûr, mais, poussé à sa limite, il s'y apparente.
[75] On ne peut tout se permettre sous prétexte que la preuve est accablante. Si c'était la règle, les droits constitutionnels des accusés ne deviendraient qu'accessoires.
[76] Pour tous ces motifs, je suis d'avis que l'ordonnance de nouveau procès est la seule solution afin que la culpabilité de l'appelant, si elle est établie de nouveau, soit le résultat d'un exercice respectueux de ses droits. Je propose donc d'accueillir les requêtes pour nouvelle preuve, d'accueillir le pourvoi et d'ordonner un nouveau procès.
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FRANÇOIS DOYON, J.C.A. |
[1]
Voir les décisions du Conseil de discipline du Barreau du Québec : Barreau
du Québec c. Côté, 2009 QCCBQ 118; Barreau du Québec c. Côté,
[2] Voir pages 1681-1682.
[3] Voir pages 1696-1697.
[4] Voir la page 1647 des annexes.
[5] On dira qu'il ne pouvait le faire, étant donné qu'il ne le savait pas. Cela en dit long sur son degré de préparation. Comme l'appelant le savait, comment l'avocat pouvait-il ne pas le savoir, si ce n'est parce qu'il n'a eu aucune rencontre significative avec son client.
[6] L'amicus curiae, qui je le souligne, n'est pas à blâmer, admet ne pas avoir pris connaissance de la preuve et s'en être remis à la connaissance du dossier qu'en avait probablement l'appelant.
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