Décision

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Banque de Nouvelle-Écosse c. Haque

2011 QCCQ 14809

COUR DU QUÉBEC

Division de pratique

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

LOCALITÉ DE

MONTRÉAL

« Chambre civile »

N° :

500-22-183940-116

 

DATE :

Le 30 novembre 2011

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

ALAIN BREAULT, J.C.Q.

______________________________________________________________________

 

 

BANQUE DE NOUVELLE-ÉCOSSE

Demanderesse

c.

 

SYED FAZLUL HAQUE

SYEDA PARVIN HAQUE

FATEMA FLITANI

Défendeurs

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT SUR LA REQUÊTE DES DÉFENDEURS

POUR CAUTIONNEMENT POUR FRAIS

______________________________________________________________________

 

[1]           Le Tribunal est saisi par les défendeurs d'une requête pour cautionnement pour frais présentée en vertu des articles 65 et 152 du Code de procédure civile (C.p.c.). Alléguant que le siège social de la demanderesse se trouve en Nouvelle-Écosse, les défendeurs demandent que, dans un délai de 30 jours suivant le jugement à intervenir, elle dépose 5 000$[1] à titre de cautionnement pour frais.

[2]           La demanderesse réclame solidairement deux montants aux défendeurs:

·      35 190$, avec les intérêts au taux de 6,00% l'an depuis le 5 juillet 2011, sur la base d'un acte de cautionnement qu'ils ont signé le 29 janvier 2010, suivant lequel ils cautionnaient en faveur de la demanderesse les obligations de la société South Lake Holdings Corporation en vertu d'un prêt commercial de 140 760$ portant intérêts au taux annuel de 3,00%;

·      7 500$ pour les honoraires extrajudiciaires et les débours engagés par la demanderesse aux fins d'obtenir le remboursement des sommes qui lui sont dues;

[3]           En l'espèce, il n'est pas contesté que le siège social de la demanderesse se trouve à l'extérieur du Québec, ni non plus du reste que la demanderesse possède plusieurs établissements commerciaux et actifs au Québec, qu'elle est solvable et qu'elle satisfera à une condamnation aux dépens qui, le cas échéant, pourrait être prononcée contre elle.

[4]           De fait, le siège social de la demanderesse est situé en Nouvelle-Écosse, plus précisément au […], à Halifax.  Elle est donc domiciliée à cet endroit (art. 307 C.c.Q.). Les défendeurs plaident que, la demanderesse ne résidant pas au Québec, ils peuvent, suivant les termes des articles 65 et 152 C.p.c., obtenir qu'elle fournisse caution pour la sûreté de leurs frais judiciaires. Aux paragraphes 2 à 4 de leur requête, ils allèguent: 

(…)

2.   As more fully appears from s. 14(1)(a)(iii) of the Bank Act, the head office of Plaintiff is set forth in Schedule I indicating that said head office is situated in the Province of Nova Scotia;

3.  As more fully appears (sic) the Registrer of the Registraire des Entreprises, Plaintiff has registered its business in Quebec under number 1145427846, indicating the "Adresse du domicile" to be […], Halifax, Nova Scotia, […] the whole as more fully appears from an extract of the said registration communicated herewith to form part hereof as Defendants' Exhibit DM-1;

4.  Plaintiff is accordingly not residing in the province of Quebec, such that the Defendants are entitled to demand security for costs, and the suspension of all proceedings until the said security has been furnished;

(…)

 

[5]           Les articles 65 et 152 C.p.c. énoncent: 

65.  Le demandeur ou le demandeur-appelant qui ne réside pas au Québec est tenu de fournir caution pour la sûreté des frais qui peuvent résulter de sa demande.  Il en est de même de celui qui agit pour autrui en vertu du deuxième alinéa de l'article 59, si lui-même ou l'un quelconque de ses mandants ne réside pas au Québec. 

152.  Le défendeur peut demander, lors de la présentation de la requête introductive, pour couvrir les frais qui peuvent en résulter, que le demandeur visé à l'article 65 soit tenu de fournir le cautionnement requis par cet article dans le délai fixé par le tribunal, sous peine de rejet de la demande.  Le tribunal détermine le montant du cautionnement en tenant compte, notamment, de la nature et de l'importance de la cause, dont les coûts liés aux incidents, aux expertises, aux interrogatoires hors de cour, au type d'enquête et à la durée du procès.  Il tient compte également de la valeur des biens du demandeur au Québec, ou, le cas échéant, de celle du mandant qui ne réside pas au Québec, ainsi que de leur capacité de payer. 

     Le tribunal peut, en cours d'instance, à la demande d'une partie, augmenter ou réduire le montant du cautionnement si l'évolution du dossier ou la situation de la partie demanderesse le requiert. 

[6]           Les défendeurs soutiennent que, depuis l'arrêt de la Cour d'appel dans Groupe Pages jaunes Cie c. Pitney Bowes du Canada ltée[2], il est maintenant clairement établi que toute personne morale ayant son siège social à l'extérieur du Québec doit fournir un cautionnement pour frais.  En particulier, au sujet des banques, ils s'appuient sur une décision rendue par notre collègue la juge Marie Michelle Lavigne dans Banque Toronto Dominion c. 9200-8978 Québec inc.[3] où elle écrit:

Une personne morale a son domicile à son siège social. Ainsi, la Banque TD ayant son siège social hors du Québec est présumée ne pas y résider. En conséquence, elle est tenue de fournir un cautionnement pour les frais même si elle a des places d'affaires et des actifs au Québec. Le fait de posséder des établissements dans la province n'est pas en soit pertinent puisque c'est la localisation du siège social de la personne morale qui détermine l'obligation. C'est ce que la Cour d'appel nous enseigne dans Montréal c. Dinasaurium Production Inc.[(C.A., 1999-09-30), SOQUIJ AZ-50067583 , J.E. 99-1985 ]  et Belmoral Mines Ltée c. Royal Trust Co [(C.A., 1985-10-29), SOQUIJ AZ-85122034 , [1985] R.D.J. 597 ].

[7]           La demanderesse, de son côté, plaide que, dans certains cas, les tribunaux québécois ont considéré qu'il était possible pour une personne morale d'avoir une résidence ailleurs qu'à son siège social ou domicile[4]. L'établissement commercial était traité en conséquence comme une résidence et, dans la mesure où les actifs de la personne morale étaient suffisants au Québec, il n'y avait pas lieu de l'obliger à fournir une caution pour la sûreté des frais de la partie adverse.

[8]           De l'avis du Tribunal, dans Groupe Pages jaunes Cie c. Pitney Bowes du Canada ltée, la Cour d'appel a résolu cette question d'une manière définitive. Présentant la thèse de ceux qui partagent le point de vue de la demanderesse, le juge Kasirer écrit:

[4] À l'appui de sa demande, la requérante soutient que l'arrêt de principe en la matière, Ville de Montréal c. Dinasaurium Production Inc., doit être lu comme s'appliquant à la situation inverse de celle dans laquelle elle se trouve.  En effet, l'arrêt Dinasaurium concerne la situation d'une personne morale qui a son siège social au Québec, mais dont les principales activités sont concentrées à l'extérieur du Québec.  La requérante raisonne que ce n'est qu'à titre d'obiter dictum que la Cour opine dans cette affaire que la personne morale ayant son siège ailleurs qu'au Québec, mais le lieu de ses activités principales au Québec, est néanmoins tenue de fournir un cautionnement à titre de non-résident en vertu de l'article 65 C.p.c.

[5] Faisant écho à un courant doctrinal qui est très critique à l'endroit de cette interprétation traditionnelle, la requérante soutient que, dans le cas des personnes morales dites étrangères, il paraît « injuste » de ne pas considérer les établissements d'affaires au Québec comme des résidences aux fins de l'article 65 C.p.c.  Elle dit que le principal motif qui soutient la position prise par la Cour dans Dinasaurium - éviter les enquêtes visant à vérifier si une société étrangère possède des actifs suffisants au Québec - ne tient pas.  L'article 152 , al. 1 C.p.c. impose déjà au juge de faire enquête sur la valeur des biens au Québec pour fixer le quantum du cautionnement.  Plus largement, la requérante plaide que l'interprétation traditionnelle de l'article 65 C.p.c. n'assure pas une protection utile pour les défendeurs et invite la Cour à revoir l'équation que la jurisprudence fait entre la résidence de la personne morale et son siège social.

[9]           Puis, au paragraphe 8 de son jugement, il tranche comme suit la controverse ou ce qu'il en restait:

Je suis d'avis que la requête pour permission d'appeler doit échouer.  L'interprétation que les tribunaux font de la notion de résidence à l'article 65 C.p.c. mène, parfois, à des incongruités, mais dans l'ensemble l'équation entre la résidence et le siège social est une technique acceptable pour identifier les personnes morales dites « étrangères » qui doivent fournir une caution.  L'article 152 , al. 1 C.p.c. offre, aux sociétés étrangères auxquelles le montant du cautionnement est injustement élevé, la possibilité de demander sa réduction.  L'objectif de l'article 65 C.p.c. - protéger les défendeurs contre un demandeur non-résident - est assuré, dans l'ensemble, par le courant jurisprudentiel dominant.  Malgré sa plaidoirie percutante, la requérante ne réussit pas à démontrer que les fins de la justice requièrent que la permission d'appeler soit accordée dans le cas qui nous occupe.  Le procureur de la requérante laisse entendre, à l'instar du professeur Deslauriers, que la loi est inefficace et anachronique.  Bien entendu, l'opportunité d'amender le Code de procédure civile n'est pas un sujet qu'aborde le juge unique dans l'exercice habituel de ses fonctions.

[10]        Les défendeurs peuvent donc exiger que la demanderesse fournisse une caution pour leurs frais. En ce qui concerne le montant devant être versé, au paragraphe 7 de leur requête, ils justifient leur demande comme suit:

7.  (…)  then the Defendants are entitled to demand that security be fixed at $5 000.00 for the following reasons:

a)  Defendants anticipate the need for the examination on discovery of at least two (2) representatives of Plaintiff, as well as two (2) third-parties, including a representative of Union Canadienne Compagnie d'Assurances and a representative of Fiducie Turgeon. 

b)  Defendants further anticipate the need for an expert and a report from the said expert on the subject of banking procedure in the exercice of the bank's rights as the named insured hypothecary creditor of a movable hypothec;

[11]        Le Tribunal estime que la somme demandée pour le cautionnement est déraisonnable au regard de la nature du litige et du montant réclamé par la demanderesse. Le dossier, ultérieurement, pourra peut être mieux faire voir que le montant doit être révisé à la hausse, notamment s'il est démontré qu'une expertise est nécessaire dans cette affaire.

[12]        Dans l'état actuel des choses, la réclamation de la demanderesse tombant dans la classe III-B[5], le Tribunal considère raisonnable de fixer le cautionnement pour frais à la somme arrondie de 950$.

 

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:

ACCUEILLE en partie la requête des défendeurs;

ORDONNE que la demanderesse fournisse une caution de 950$ pour la sûreté des frais judiciaires des défendeurs, et ce, dans un délai de 30 jours suivant la date du présent jugement;

ORDONNE la suspension de l'instance jusqu'à ce qu'un avis soit signifié aux défendeurs les informant que le montant du cautionnement est déposé au Greffe de la Cour du Québec;

LE TOUT, avec dépens.

 

 

__________________________________

ALAIN BREAULT, J.C.Q.

 

Me Meghan Jones

TRUDEAU DUFRESNE

Procureur de la demanderesse

 

Me Leonard E. Seidman

SEL SEIDMAN

Procureur des défendeurs

 

 

 

 

Date d’audience :

22 novembre 2011

 



[1]     En fait, cette demande était une conclusion subsidiaire dans la requête des défendeurs. Ceux-ci ont aussi présenté une requête en suspension de l'instance et demandaient que, si cette requête était accordée, le cautionnement soit fixé à 1 000$. La requête en suspension de l'instance ayant été rejetée ce jour même, le Tribunal est donc saisi de cette conclusion subsidiaire par laquelle les défendeurs requièrent que le cautionnement soit fixé à 5 000$.

[2]     (C.A., 2010-02-24), 2010 QCCA 368 , SOQUIJ AZ-50611508 , 2010EXP-897 , J.E. 2010-493 .

[3]     (C.Q.,2010-10-26), SOQUIJ AZ-50750043 .

[4]     Voir Citibank Canada c. Wiseman (C.S., 1996-09-23), SOQUIJ AZ-96021853 , J.E. 96-2074 ; voir aussi: Dunn c. Wightman (C.S., 1995-06-19), SOQUIJ AZ-95021630 , J.E. 95-1559 , [1995] R.J.Q. 2210 .

[5] Tarif des honoraires judiciaires des avocats, R.R.Q., 1981, c.B-1. r.13.

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