[1] LA COUR; - Statuant sur l'appel d'un jugement rendu le 13 mai 2008 par la Cour supérieure, district de Montréal (l'honorable Danièle Mayrand), qui a rejeté l'appel de SSQ, Société d'assurance-vie Inc. contre la décision du Syndic RSM Richter Inc.;
[2] Après avoir étudié le dossier, entendu les parties et délibéré;
[3] Pour les motifs du juge Forget, auxquels souscrivent les juges Morissette et Dufresne;
[4] REJETTE le pourvoi avec dépens.
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MOTIFS DU JUGE FORGET |
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[5] SSQ, Société d'assurance-vie Inc. (SSQ) a revendiqué entre les mains du Syndic RSM Richter inc. (le Syndic) à la faillite de Corporation Jetsgo (Jetsgo) la propriété des sommes détenues par la faillie et provenant de la contribution de ses employés, les adhérents au régime d'assurance collective.
[6] Le Syndic a rejeté la demande de SSQ et a conclu qu'elle était tout simplement une créancière de la faillite.
[7] SSQ a porté en appel la décision du Syndic; la Cour supérieure n'a pas fait droit à ses prétentions.
[8] SSQ se pourvoit.
LES FAITS
[9] Le 1er avril 2002, Jetsgo conclut un contrat pour l'établissement d'un régime d'assurance collective au bénéfice de ses employés au nombre d'environ 1100, les adhérents.
[10] Selon les termes du contrat, les primes sont payables en totalité une fois par mois. Ainsi, Jetsgo fait des prélèvements directement sur la paie de ses employés et transmet le paiement total constitué de ces prélèvements et de sa propre participation vers le 21 ou 22 de chaque mois.
[11] Le contrat d'assurance ne prévoit pas la façon dont Jetsgo doit comptabiliser les primes payées par ses employés, de sorte que les prélèvements demeurent dans le compte de revenus de Jetsgo.
[12] La répartition du coût de la prime entre Jetsgo et ses employés n'est pas déterminée par le contrat, mais par les différentes conventions collectives ou ententes entre l'employeur et ses employés. Dans les faits, Jetsgo et les adhérents contribuaient chacun dans une proportion de 50%.
[13] Entre le 1er janvier 2005 et le 10 mars 2005, Jetsgo déduit du salaire de ses employés les primes payables à SSQ mais omet de les lui transmettre. Également, Jetsgo ne verse pas la portion des primes qu'elle assume pour cette assurance collective.
[14] Pendant cette période, SSQ fait droit aux demandes de prestations valides de la part des adhérents. Elle continue même de le faire pour la période du 10 mars au 10 avril 2005.
[15]
Jetsgo fait cession de ses biens entre les mains du Syndic le 13 mai
2005. SSQ dépose deux preuves de réclamation auprès du Syndic, la première à
titre de créancière pour la partie des primes qui incombe à Jetsgo et la
deuxième, en vertu de l'article
LES ADMISSIONS
[16] Pour compléter cet exposé des faits, il faut faire état des admissions qui fondent en grande partie les prétentions de SSQ. :
1) Corporation JetsGo payait ses employés à partir de son compte revenu de la Banque Nationale du Canada;
2) Il y a toujours eu plus de 241 330,45 $ dans le compte revenu de Corporation JetsGo à la Banque Nationale pour la période allant du 1er janvier 2005 jusqu'à la date ou RSM Richter a commencé à agir à titre de séquestre intérimaire de Corporation JetsGo;
3) La portion des primes payables par les employés de Corporation JetsGo pour l'assurance collective était perçue par Corporation JetsGo à même le salaire des employés de Corporation JetsGo;
4) Lesdites primes perçues à même le salaire des employés de Corporation JetsGo sont comptabilisées, identifiables et reconstituables pour la période pertinente à la requête de la Requérante, que ce soit par individu ou collectivement, et ce, par l'entremise des livres et registres comptables de Corporation JetsGo, dont notamment le registre auxiliaire de paie (en tout temps), qui est intégré au Grand Livre de Corporation JetsGo (la conciliation au Grand Livre a lieu à chaque mois);
5) La portion des primes payables par les employés est une dépense pour les employés et non une dépense pour Corporation JetsGo et cette dernière ne considère pas les primes perçues à même le salaire de ses employés comme des revenus.
LES DISPOSITIONS PERTINENTES
[17] Le présent pourvoi fait appel aux dispositions suivantes de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité[2] :
81. (1) Lorsqu’une personne réclame des biens, ou un intérêt dans des biens, en la possession du failli au moment de la faillite, elle doit produire au syndic une preuve de réclamation attestée par affidavit indiquant les motifs à l’appui de la réclamation et des détails suffisants pour permettre l’identification des biens.
[…]
67. (1) Les biens d’un failli, constituant le patrimoine attribué à ses créanciers, ne comprennent pas les biens suivants :
a) les biens détenus par le failli en fiducie pour toute autre personne;
[…]
mais ils comprennent :
c) tous les biens, où qu’ils soient situés, qui appartiennent au failli à la date de la faillite, ou qu’il peut acquérir ou qui peuvent lui être dévolus avant sa libération, y compris les remboursements qui lui sont dus au titre de la Loi de l’impôt sur le revenu relativement à l’année civile […]
[18]
Le cœur du litige consiste à déterminer si d'une part, la somme réclamée
est un bien détenu en fiducie (article
[19]
Pour l'interprétation de ces articles, les parties s'en remettent
essentiellement aux règles du droit civil conformément aux articles
8.1
et
8.1 Le droit civil et la common law font pareillement autorité et sont tous deux sources de droit en matière de propriété et de droits civils au Canada et, s'il est nécessaire de recourir à des règles, principes ou notions appartenant au domaine de la propriété et des droits civils en vue d'assurer l'application d'un texte dans une province, il faut, sauf règle de droit s'y opposant, avoir recours aux règles, principes et notions en vigueur dans cette province au moment de l'application du texte.
8.2 Sauf règle de droit s'y opposant, est entendu dans un sens compatible avec le système juridique de la province d'application le texte qui emploie à la fois des termes propres au droit civil de la province de Québec et des termes propres à la common law des autres provinces, ou qui emploie des termes qui ont un sens différent dans l'un et l'autre de ces systèmes.
JUGEMENT DE PREMIÈRE INSTANCE
[20] La juge examine le mode de gestion de Jetsgo quant au paiement des primes d'assurance. Tous les employés autorisaient leur employeur à déduire à la source les primes requises par le régime de protection choisi par chaque adhérent. Ces prélèvements sont indiqués sur les relevés de paie au même titre que les impôts, l'assurance-emploi, le régime des rentes du Québec, etc. Les sommes retenues demeuraient dans le compte de revenus de Jetsgo qui effectuait un paiement global à SSQ à même un compte différent, celui d'opérations. Les registres de Jetsgo permettent de retracer le montant déduit, mais aucune somme réelle n'était déposée dans un compte distinct en vue du paiement.
[21] En premier lieu, la juge rejette les prétentions de SSQ fondées sur un droit de propriété des sommes perçues des employés pour le paiement des primes :
[25] Les primes prélevées sur le salaire des employés lui sont destinées, il est vrai, et Jetsgo avait l'obligation de les lui verser.
[26] Cela dit, le patrimoine de Jetsgo est le gage commun de ses créanciers, et à moins d'une disposition expresse de la loi, on ne peut y prétendre plus de droit que l'ensemble de la masse des créanciers. L'assureur n'a pas établi détenir un tel droit, mais il y a plus.
[22] En second lieu, la juge conclut que, de toute façon, même si SSQ en était propriétaire, elle n'est pas en mesure de les identifier puisque l'argent est un bien fongible :
[29] En effet, celui qui revendique, en
vertu de l'article
[…]
[31] L'assureur confond l'identification des primes prélevées à même les registres de Jetsgo, et l'identification et le repérage des dépôts dans les comptes bancaires de la débitrice.
[32] Contrairement à la situation factuelle qui prévalait dans l'affaire Norbourg, citée par l'assureur, aucune analyse ou réconciliation des comptes bancaires de Jetsgo n'a permis d'établir que les sommes qui s'y trouvent peuvent être retracées à des dépôts provenant du prélèvement des primes sur la paie des employés.
[…]
[34] Aucun compte bancaire spécifique ni aucun dépôt n'ont permis de retracer les primes prélevées à même le salaire des employés dans les comptes bancaires de Jetsgo. Dès qu'une somme d'argent était versée dans le compte de revenu, l'argent s'y confondait avec l'ensemble des sommes qui s'y trouvait et était ensuite transféré au compte d'opération pour le paiement des dépenses diverses, dont les primes payables à l'assureur.
[35] Le fait que les parties admettent que le compte revenu de Jetsgo ait toujours compté plus de 241 330 $, entre le 1er janvier 2005 et le 10 mars 2005, ne permet pas de déduire que ces sommes sont nécessairement celles qui devraient être dévolues à l'assureur.
[36] La déduction à la source des primes d'employés est une opération comptable. Aucune somme d'argent n'était versée dans les comptes de la faillie; il n'est pas possible d'en suivre la trace par la suite, autrement que par un versement réel dans les mains de l'assureur.
PRÉTENTIONS DE L'APPELANTE
[23]
La juge de première instance note (paragr. 23) que SSQ n'a pas fondé ses
prétentions sur la fiducie prévue à l'article
[24]
Lors de l'audition, l'avocat de SSQ a simplement mentionné, de façon
accessoire, que si la fiducie était invoquée, il faudrait déterminer si le
paragraphe 1a) de l'article
[25]
Quoi qu'il en soit, et tel que déjà mentionné, la thèse de SSQ se fonde
sur les principes de droit civil en application des règles du mandat (art.
[16] Qu'il s'agisse d'un trust ou d'un mandat, ce qui est important pour faire échec à la saisine du syndic, c'est que le bien soit tenu par le failli pour un tiers, qu'il soit identifiable comme tel entre ses mains et ne soit pas à sa disposition pour d'autres fins que l'exécution du mandat.
[26] Au départ, SSQ plaide que le contrat d'assurance collective est un contrat tripartite entre l'assureur, le preneur et les adhérents.
[27] À titre d'illustration, l'avocat de SSQ renvoie à l'article 61 du Règlement d'application de la Loi sur les assurances[5], entré en vigueur après les faits survenus dans le présent dossier, qui exige la présence d'un administrateur du régime :
61. Le preneur d'un contrat d'assurance collective doit être en mesure de pourvoir à l'administration du contrat-cadre, notamment en percevant les primes pour l'assureur. Toutefois, lorsque le preneur est une association de salariés ou un syndicat professionnel, il peut conclure une entente avec l'employeur ou avec un tiers afin que celui-ci administre pour lui le contrat-cadre.
[28] En bref, Jetsgo était l'administrateur du régime et le mandataire des adhérents[6] pour percevoir leurs primes et les remettre à SSQ. Or, le mandataire ne peut s'approprier les biens des mandants ni les confondre avec les siens.
[29] Toujours selon SSQ, on doit présumer que Jetsgo utilisait ses ressources propres avant de s'approprier les biens de ses mandants, les adhérents.
[30] Vu que le compte de banque a toujours affiché un solde supérieur à 241 330,45 $, il faudrait conclure que cette somme était celle déposée par les adhérents et qu'elle appartenait à SSQ.
[31] SSQ prend appui sur les admissions de Jetsgo selon lesquelles les primes des employés n'étaient pour elle ni un revenu lorsqu'elle les percevait ni une dépense lorsqu'elle les versait à SSQ.
[32] En conséquence, ces sommes n'auraient jamais appartenu à Jetsgo, SSQ en aurait été la véritable propriétaire.
[33] Selon SSQ, les sommes étaient parfaitement identifiables; elle prend appui sur l'arrêt récent de notre Cour dans l'affaire Norbourg[7].
PRÉTENTIONS DE L'INTIMÉE
[34] Les prétentions de l'intimée peuvent être résumées comme suit :
34.1. la prime était payable en totalité par Jetsgo;
34.2. Jetsgo pouvait décider avec ses employés du partage de la prime dans la proportion qui leur convenait sans l'intervention de SSQ;
34.3. il n'y avait pas de dépôt dans le compte de revenus par les employés, mais des déductions à la source;
34.4. Jetsgo ne remettait pas à SSQ les sommes perçues de ses employés puisque la prime était payable d'avance;
34.5. les sommes détenues dans le compte de revenus à partir des déductions à la source étaient confondues avec les autres revenus de Jetsgo notamment ceux provenant de la vente de titres de transport.
ANALYSE
[35] Le pourvoi pose deux questions :
35.1. les sommes perçues des adhérents appartenaient-elles à la faillie Jetsgo?
35.2. sinon, ont-elles été confondues, malgré tout, avec les autres actifs de Jetsgo?
[36] Je suis d'avis que la prétention de SSQ doit être accueillie sur la première question, mais rejetée sur la deuxième.
[37] SSQ a raison de plaider que le contrat d'assurance collective est un contrat tripartite. Certaines décisions de la Cour supérieure ont explicité cette notion[8].
[38] L'avocat de l'intimée plaide à juste titre qu'on doit s'en remettre aux clauses particulières de chaque contrat; or, bien que le contrat ait été conclu entre SSQ et Jetsgo, il comporte de nombreuses références aux adhérents :
Définitions
[…]
B) «adhérent» : tout employé admissible à l'assurance dont la demande d'adhésion a été acceptée par l'Assureur;
[…]
Contrat
A) La police exprime toutes les conventions intervenues tant entre l'adhérent et l'Assureur, qu'entre le Preneur de la police et l'Assureur;
B) les parties au contrat sont, d'une part, le Preneur de la police et l'adhérent et, d'autre part, l'Assureur;
[…]
Obligations du Preneur de la police
A) Le Preneur de la police doit transmettre à l'Assureur les demandes d'adhésion à l'assurance des employés admissibles ainsi que les renseignements nécessaires pour déterminer la classe d'assurance;
B) le Preneur de la police doit communiquer périodiquement à l'Assureur, à la demande de ce dernier, la liste des personnes admissibles à l'assurance, qu'elles soient assurées ou non, ainsi que les renseignements nécessaires pour déterminer la classe d'assurance;
C) en cas de cessation collective et temporaire de travail, le Preneur de la police doit produire à l'Assureur, sans délai, la liste des adhérents affectés et, selon le cas, la date du début ou de la fin de la cessation collective et temporaire de travail.
[…]
Les primes
A) Toutes les primes sont payables selon la périodicité convenue avec le Preneur de la police et d'avance en monnaie légale du Canada, au siège social de l'Assureur. Le délai de grâce pour le paiement des primes est indiqué au "Tableau général d'assurance" ou à défaut, ce délai est de 31 jours. La police demeure en vigueur durant cette période si le paiement est effectué avant la fin du délai de grâce; autrement, elle se termine rétroactivement à l'échéance des primes;
B) le montant des primes payables en vertu de la présente police est le total des montants payables pour chaque adhérent;
C) la prime exigible pour chaque adhérent ne varie pas au cours d'une période contractuelle, sauf dans le cas d'un changement dans le genre de protection ou de classe d'assurance. Toutefois, l'Assureur se réserve le droit de modifier les taux de prime, pendant la période contractuelle, lorsque le montant ou le niveau des prestations payables ou des frais engagés par l'Assureur en vertu de la présente police est affecté par suite d'une modification ou d'une addition aux régimes fiscaux, aux régimes de sécurité sociale, à une loi ou à tout règlement adopté en regard de ces lois ou régimes. Une telle modification des taux de prime doit être signifiée au Preneur, par écrit, au moins 31 jours avant son entrée en vigueur;
D) la prime de la période de prime payable pour chaque adhérent est déterminée conformément à la proposition d'assurance;
E) le montant de prime effectivement reçu par l'Assureur pour un adhérent détermine la classe d'assurance de celui-ci et établit si les personnes à charge sont assurées ou non.
[39] Aussi, même si les adhérents ne sont pas signataires du contrat, ils sont parties prenantes puisqu'ils sont les bénéficiaires du contrat d'assurance.
[40] Dans l'arrêt récent de la Cour, Hydro-Québec c. Syndicat professionnel des ingénieurs d'Hydro-Québec[9] le juge Dalphond écrit :
[78] D'abord, le mandat de l'appelante à l'égard des adhérents ne découle pas de la convention collective ou d'engagement pris envers un syndicat, mais de la nature intrinsèque d'une police collective d'assurance qui implique trois parties : les assureurs, le preneur (appelée dans la police « l’assuré ») et les adhérents (les salariés et retraités qui acceptent de participer). Son fonctionnement quotidien implique un quatrième joueur, l'administrateur de la police.[10]
[79] Ce mandat ne se concrétise que lorsqu'un salarié choisit de participer à l'AVCS. Ce mandat est alors individualisé.
[41] En premier lieu, je ne retiens pas l'argument du Syndic que les adhérents n'ont pas « déposé » le montant des primes dans le compte de revenus de Jetsgo, mais que cette dernière a tout simplement fait des déductions à la source.
[42]
En l'espèce, la situation diffère de celle qui prévaut pour les
déductions à la source en vertu des lois publiques relatives à l'impôt,
l'assurance-chômage, la Régie des rentes du Québec, etc. La déduction pour les
primes d'assurance à la source résulte d'une entente particulière entre
l'employé et l'employeur laquelle est permise par l'article
254.1 (1) L'employeur ne peut retenir sur le salaire et les autres sommes dues à un employé que les sommes autorisées sous le régime du présent article
(2) Les retenues autorisées sont les suivantes :
[…]
c) celles que l'employé autorise par écrit;
[43] À mon avis, il n'y a pas lieu de faire de distinction entre la situation qui prévaudrait si l'employeur versait le salaire brut à l'employé et que ce dernier lui remettait le paiement des primes[12].
[44] En second lieu, j'estime que le Syndic a raison de plaider que, de façon générale, la somme versée à SSQ ne provient pas des déductions à la source puisque la prime est payable d'avance. Toutefois, la période visée couvre plus de deux mois et les primes avaient déjà été payées par les adhérents, du moins pour la plus grande partie.
[45] Enfin, je ne peux voir comment on peut prétendre que Jetsgo était propriétaire des sommes retenues sur le salaire des adhérents dans le but de les remettre à SSQ.
[46] Dans ses admissions, Jetsgo admet que ces sommes ne constituent pas un revenu pour elle. Il faut donc conclure qu'elle les détient dans l'unique but de les remettre à SSQ.
[47] Dans l'affaire Thompson c. Masson[13], les circonstances étaient différentes, mais le principe était le même. Masson exerçait un recours collectif contre les administrateurs de son ex-employeur, Comterm Inc., alors en faillite. L'employeur avait perçu les primes de régime d'assurance collective sur le salaire de ses employés, mais ne les avait pas remises à l'assureur qui avait annulé la police d'assurance. La Cour conclut que les primes ainsi perçues n'appartenaient pas à l'employeur; le juge Gendreau écrit :
[20] Les employés pouvaient souscrire à une police d’assurance collective. Ce régime auquel l’employeur ne participait pas était cependant payé par Comterm qui, pour cela, prélevait sur le salaire des employés participants une retenue suffisante.
[21] Or, bien qu’elle ait fait les retenues sur les salaires de ses employés, Comterm n’a pas payé l’assureur. Thompson plaide que les salariés ne peuvent aujourd’hui réclamer le remboursement de ce prélèvement au motif que le contrat d’assurance est resté en vigueur jusqu’en octobre 1990. Ce grief d’appel est à mon sens sans aucun fondement. La couverture d’assurance fut annulée et Comterm a réduit le salaire brut de ses employés d’un montant qu’elle avait l’obligation de remettre à l’assureur. Ces sommes ne lui appartenaient donc pas et elle les a conservées. Les employés ont donc le droit d’en réclamer le remboursement.
[48] Le rôle de mandataire des adhérents qu'attribue SSQ à Jetsgo me semble conforme aux règles de droit.
[49] Sur la première question, je conclus que Jetsgo n'était pas propriétaire des sommes perçues des adhérents.
[50] Par ailleurs, quant à la deuxième question, je suis d'accord avec la juge de première instance lorsqu'elle conclut que SSQ confond l'identification des primes et le repérage (« tracing ») des dépôts dans le compte bancaire de Jetsgo.
[51] La proposition de l'avocat de SSQ sur l'obligation par le mandataire d'utiliser en premier lieu ses fonds propres est séduisante, mais elle ne prend pas appui dans les faits.
[52] Les adhérents n'ont pas versé en une seule occasion 241 330,45 $ dans le compte de banque de Jetsgo laquelle aurait fait une ségrégation de cette somme par rapport à ses opérations courantes. Tout au contraire, Jetsgo poursuivait l'exploitation de son entreprise et percevait les revenus provenant de ses ventes de titres de transport qui étaient versés dans son compte de revenus.
[53] L'argent est un bien fongible et il n'est pas possible d'isoler les sommes retenues sur le salaire des adhérents pour le paiement des primes de celles provenant des autres revenus de Jetsgo.
[54] La juge de première instance cite avec approbation la décision du juge Clément Gascon dans l'affaire Les Boutiques San Francisco Inc. c. Claudel Lingerie Inc.[14] :
[…] Comme chacun sait, l'argent est un bien fongible. Pour en revendiquer la propriété, il faut qu'il soit clairement identifiable. Il ne suffit pas qu'il soit simplement quantifiable. Notre Cour l'a déjà dit à plus d'une reprise.
[55] La Cour suprême a énoncé ce principe dès 1989 dans l'arrêt British Columbia c. Henfrey Samson Bélair Ltd.[15] Dans cette affaire, le vendeur avait perçu la taxe provinciale de vente et avait confondu ces sommes avec ses autres revenus. Bien qu'il paraisse incontestable que ces sommes n'appartenaient pas à la faillie, la Cour suprême conclut que, les sommes ayant été confondues avec les autres avoirs de la faillie, le fisc ne pouvait en réclamer la propriété en vertu d'une fiducie de common law. La juge McLachlin, alors juge puînée, écrit :
[…] Par contre, si la somme a servi à acquérir d'autres biens et ne peut être retracée, il n'y a pas de «biens détenus […] en fiducie» au sens de l'al. 47a). La province a une créance garantie seulement par un privilège et l'al. 107(1)j) s'applique.
[…]
[…] La province a un droit de fiducie et donc de propriété sur les montants de taxe perçus dans la mesure où ils peuvent être identifiés ou retracés. Dès que ces sommes perdent ce caractère, tout droit de propriété découlant de la common law ou de l'equity disparaît. […]
[56] Récemment, cette Cour, dans l'affaire 9083-4185 Québec inc. (Syndic de)[16], a réitéré ce principe. La juge Duval Hesler, reprenant les propos de la professeure Louise Lalonde[17], écrit :
[59] Il faut conclure dès lors qu'« à compter du moment où les fonds sont entremêlés avec tous les autres fonds dans un compte, ils ne sont plus identifiables et le mandant ne peut plus faire valoir son droit de propriété ».
[57] Toujours dans cet arrêt, la juge Duval Hesler cite l'affaire British Columbia c. National Bank[18], communément appelée Red Carpet. Dans cet arrêt, le juge Hollingrake de la Cour d'appel de Colombie-Britannique écrit :
[52] […] There is a difference between calculating what one is owed over a set period of time as opposed to tracing the funds that initially represented that debt in the form of money in the hands of the debtor.
[…]
[56] With SDM and Red Carpet having intermingled the "tax money" with all their other funds, and the time frame being as it is, I cannot see how this "tax money" could possibly be identified to permit successful tracing.
[58] De nouveau, il s'agissait de la perception de taxes et on ne pouvait prétendre que la faillie était propriétaire des sommes ainsi perçues au nom du gouvernement[19].
[59] Dans le même sens, on peut citer la décision de la Cour d'appel d'Ontario dans l'affaire Graphicshoppe Ltd.[20] dans laquelle les employés tentaient de recouvrer leurs contributions à leur pension que Graphicshoppe avait confondue avec ses fonds dans un seul compte de banque avant sa faillite. Comme en l'espèce, ces contributions au régime de pension étaient déduites du salaire des employés. Pour la majorité, le juge Moldaver écrit :
[120] Shortly thereafter however, the trust ceased to be identifiable. The employee contributions were co-mingled with Graphicshoppe's funds and prior to the date of bankruptcy, they were converted into other property and were no longer traceable. On this point, it is clear from the record that as of the date of bankruptcy, none of the employee contributions that had been deposited into Graphicshoppe's bank account remained intact. We know that with certainty because prior to the date of bankruptcy, the account went into a negative balance. We likewise know that the funds in the account on the date of bankruptcy came from Textron, the company that was factoring Graphicshoppe's receivables. Replenishment is a non-issue on the facts before us.
[121] Against that backdrop, the central issue on appeal is whether the trustee in bankruptcy was correct in concluding that the employee contributions, did not constitute trust funds at the date of bankruptcy within the meaning of s. 67(1)(a) of the BIA. With respect, I believe that he has.
[122] On the facts of this case, I
am of the view that McLachlin J.'s majority decision in British Colombia v.
Henfrey Samson Belair Ltd.,
[…]
[123] For present purposes, I am prepared to accept that Henfrey Samson falls short of holding that co-mingling of trust and other funds is, by itself, fatal to the application of s. 67(1)(a) of the BIA. Once however, the trust funds have been converted into property that cannot be traced, that is fatal. And that is what occurred here.
[60] L'avocat de SSQ plaide que contrairement à l'affaire Graphicshoppe Ltd, le compte de banque n'a jamais affiché un solde négatif durant la période pertinente. Cela est exact, mais ne règle pas la question de confusion des sommes déposées dans le compte de revenus.
[61] Les avocats de SSQ prennent appui avec insistance sur l'arrêt récent de notre Cour dans l'affaire Norbourg[21].
[62] Cette affaire ne portait pas sur un litige entre un créancier et le Syndic représentant l'ensemble des créanciers, mais elle opposait plutôt les détenteurs de certains fonds qui avaient été pillés par rapport à ceux qui avaient été épargnés dans une certaine mesure.
[63] Il n'est pas contesté que les fonds étaient détenus en fiducie. À ce sujet, le premier juge écrit :
[15] La requête du Liquidateur fait état des éléments suivants qui, dans l'ensemble, ne sont pas contestés par les tenants de l'un ou l'autre des méthodes de liquidation des Fonds :
a) Les Fonds dont la liquidation des biens a été ordonnée par le Ministre en vertu de l'ordonnance P-5 sont tous des fiducies constituées soit en vertu de conventions de fiducie établies conformément au Code civil du Québec ou par des "Déclarations of trust" en vertu des lois de la province de l'Ontario le tout tel que l'on peut constater des documents constitutifs de fiducie pour chacun des Fonds en question et qui sont produits sous les cotes P-7 et P-7A.
b) À chacun de ces fonds était désigné un gardien de valeurs, en l'occurrence, Northern Trust.
c) À chacun de ces Fonds était désigné un gérant et un fiduciaire qui, en l'occurrence, étaient une société ou un individu faisant partie du Groupe Norbourg (voir pièce P-8).
d) Chacun de ces Fonds possède une philosophie d'investissement propre qui le distingue des autres. Ainsi, un client-investisseur choisissait un Fonds à cause de ses caractéristiques propres, telles qu'énoncées aux divers prospectus déposés auprès des organismes et autorités réglementaires compétents (voir pièce P-9).
e) Un client-investisseur désirant investir dans un Fonds donné passait donc une commande d'achat auprès d'un courtier, qui la relayait alors au gérant de l'un ou l'autre des Fonds. Le choix du Fonds dans lequel le client-investisseur désirait placer son avoir était le sien ou celui de son courtier mais non celui du gérant, du fiduciaire ou du gardien de valeurs.
f) Chacun des Fonds constitue une fiducie distincte, il s'ensuit que chacun des Fonds bénéficie d'un patrimoine d'affectation qui lui est propre et qui est indépendant des actifs du gérant, du fiduciaire, du gardien des valeurs et, bien entendu, des autres Fonds.
g) Toute sortie de liquidités d'un Fond entraîne la nécessité par le client-investisseur de vendre un nombre d'unités correspondant et le retour de ces sommes par l'entremise du fiduciaire et/ou du gérant du Fonds, au courtier ou à l'investisseur.[22]
[64] Le juge Brossard de cette Cour conclut dans le même sens :
[48] Quant aux fiducies de droit
québécois, le juge de première instance souligne, d'entrée de jeu, que les
trois conditions de constitution d'une fiducie énoncées à l'article
Art. 1260. La fiducie résulte d'un acte par lequel une personne, le constituant, transfère de son patrimoine à un autre patrimoine qu'il constitue, des biens qu'il affecte à une fin particulière et qu'un fiduciaire s'oblige, par le fait de son acceptation, à détenir et à administrer.
[…]
[122] En effet, lorsqu'un client-investisseur décide d'investir dans un Fonds donné, il transfère à titre de constituant un bien de son patrimoine qu'il affecte à une fin particulière, c'est-à-dire le but recherché par le Fonds en question, but énoncé dans sa politique d'investissement, politique appliquée par un fiduciaire ou un gérant
[49] Il ajoute que, en vertu de l'article
[65] En première instance, le juge Mongeon conclut qu'il y avait une ségrégation des sommes versées dans chacun des fonds :
[203] En effet, dans notre affaire, nous connaissons l'identité des détenteurs de parts dans le Fonds donné, ainsi que le nombre d'unités détenues par chacun d'eux. Il s'agit donc de s'assurer que les liquidités restantes dans ce même Fonds ne proviennent pas d'autres sources pour pouvoir conclure que les liquidités en question ne peuvent appartenir à d'autres personnes qu'aux détenteurs de parts. C'est donc à eux, que reviennent les liquidités en question au pro-rata du nombre de parts qu'ils détiennent.
[…]
[207] Il faut en effet distinguer de l'hypothèse où tout l'argent des investisseurs aurait été confondu dans un seul Fonds et d'où il aurait été littéralement impossible de retracer les investissements de chacun, de la réalité où les registres du Groupe Norbourg permettent d'attribuer à chaque Fonds sa liste bien précise d'investisseurs et le nombre d'unités qui revient à chacun. Le seul élément problématique qui demeure c'et la fiabilité des soldes restants de chacun des Fonds. Encore une fois, si ces soldes restant sont fiables quant à la source ou la provenance des liquidités qui s'y trouvent, alors il ne peut être question de les distribuer autrement qu'au pro-rata du nombre d'unités détenues par les détenteurs de parts du chacun des Fonds en question.
[…]
[224] Selon la Cour Suprême, la ségrégation la somme dans un compte séparé est sans doute fort utile mais n'est pas essentielle. Il faut cependant pouvoir analyser le contenu du compte bancaire ou du compte de valeurs et constater si les sommes qui s'y trouvent peuvent être identifiées ou retracées à des dépôts provenant de sommes perçues pour fins de taxe, le tout conformément aux normes comptables générales applicable en pareilles circonstances. Si le compte peut-être reconstitué sans équivoque, l'opération d'identification et de retraçage peut alors être accomplie.
[66] Le juge Brossard, qui écrit pour la Cour, confirme cette conclusion :
[12] Le client désirant investir dans l'un ou l'autre des Fonds Norbourg devait nécessairement passer par l'intermédiaire d'un courtier en valeurs mobilières qui, au nom de son client, communiquait alors avec le gérant du groupe, auquel il spécifiait le type de Fonds dans lequel son client désirait investir et le montant qu'il voulait placer. Le courtier donnait une commande spécifique d'achat d'unités de placement pour le montant correspondant dans le Fonds particulier.
[13] Le gérant du groupe détenait deux comptes en fidéicommis (un par famille de Fonds), dans lequel il versait le montant reçu du courtier, par virement électronique ou par chèque.
[14] À la fin de la journée, l'agent de transfert déterminait la valeur liquidative des unités des différents Fonds, en fonction des placements détenus par chaque Fonds, et établissait ainsi le nombre d'unités achetées par le client-investisseur.
[15] Une fois cette valeur liquidative déterminée, il délivrait pour le compte du client-investisseur le nombre d'unités achetées et correspondant au montant investi. Une fois cette opération faite, le numéraire était transféré au compte en fidéicommis de la compagnie Northern Trust, désignée comme gardien des valeurs. Ce paiement était accompagné des renseignements appropriés quant au Fonds auquel il devait être crédité, c'est-à-dire le Fonds dans lequel le client voulait investir.
[16] Le compte en fidéicommis détenu par Northern Trust était commun à l'ensemble des Fonds, mais Northern Trust tenait une comptabilité spécifique et distincte pour chacun d'entre eux. En d'autres mots, le numéraire demeurait dans un compte fiduciaire commun, mais, sur le plan comptable, il était crédité aux états du Fonds spécifique dans lequel il avait été investi.
[…]
[68] Certes, les sommes d'argent versées par les clients-investisseurs se retrouvaient provisoirement déposées dans un compte global en fidéicommis. Toutefois, dès la fin de la journée du dépôt de ces sommes, elles étaient immédiatement converties en unités ou parts d'un Fonds spécifique, d'une valeur déterminée, tout en étant créditées au nom des clients-investisseurs.
[69] Aussi, comme le soulève justement l'intimé et comme le retient le juge de première instance, le fait que le numéraire de tous les clients a été versé dans un même compte en fidéicommis n'est pas déterminant puisque l'identité des clients-investisseurs, le montant versé et le nombre d'unités achetées par chacun sont connus et bien enregistrés.
[70] Cette réalité est donc très différente de certaines des causes invoquées par l'appelant et qui traitent de simples dépôts d'argent soit auprès d'institutions financières soit dans des comptes en fidéicommis tenus par des professionnels et qui, du simple fait de leur dépôt, perdent toute identité propre. C'est cette distinction que fait le juge de première instance, à titre d'exemple, quand il réfère à l'affaire In re : Major Trust Co, où il était impossible d'identifier d'une quelconque manière les sommes déposées par les clients dans un seul compte en vue d'acheter des certificats de placement garantis qui, dans les faits, n'étaient jamais émis avant que les Fonds soient subtilisés
[…]
[74] L'appelant plaide qu'il faudrait, en l'espèce, une même disposition légale applicable aux Fonds de placement pour justifier la conclusion du juge de première instance.
[…]
[76] En d'autres mots, les livres et registres comptables et de transferts qui, en l'espèce, empêchent toute confusion du numéraire et permettent l'identification et le retraçage des sommes et des transactions, valent autant que la simple fiction légale résultant de l'article 18(1)b) de la loi en cause dans l'affaire Henfrey Samson Bélair Ltd.
[77] Ici, la preuve non contredite démontre l'absence de toute confusion du numéraire entre les différentes fiducies ou Fonds de placement ou entre les fiducies spécifiques et les actifs globaux et généraux des différentes sociétés du Groupe Norbourg.
[67] Il faut donc conclure que notre Cour, tout comme le juge de première instance, ont constaté que les sommes n'avaient pas été confondues et qu'on pouvait retracer celles appartenant à chacun des fonds.
[68] L'affaire Norbourg se distingue donc nettement du présent dossier.
[69] Pour ces motifs, je propose de rejeter le pourvoi avec dépens.
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ANDRÉ FORGET, J.C.A. |
[1] L.R.C. (1985), c. B-3.
[2] Ibid.
[3] L.R.C. (1985), c. I-21.
[4] J.E. 95-832 (C.S.).
[5] (2009) G.O. II 4471.
[6] SSQ prétend que Jetsgo était également son mandataire pour la perception des primes perçues auprès des adhérents.
[7] Fonds
Norbourg Placements équilibrés (Liquidation de),
[8] Tanguay
c. Ordre des ingénieurs du Québec,
[9]
[10] En l'espèce, il n'y a pas d'administrateur externe; ce rôle est dévolu à l'employeur.
[11] L.R.C. (1985), c. L-2.
[12] On pourrait aussi envisager la théorie de la délégation de paiement par les salariés qui autorisent leur employeur à verser à la SSQ une partie de leur salaire, ce que Jetsgo a omis de faire.
[13]
[14]
[15]
[16]
[2008]
R.J.Q. 39
(C.A.),
[17] Louise Lalonde, « La TPS et la TVQ : Le loup de retour dans la bergerie » dans Annual review of Insolvency Law, Toronto, Thomson Carswell, 2005, p. 387.
[18] 30 C.B.R. (2d) 358.
[19] Ces décisions renvoient aux lois qui étaient en vigueur à l'époque et, évidemment, ne tiennent pas compte des modifications subséquentes par les législateurs pour mettre en place d'autres mécanismes de protection des revenus de nature fiscale.
[20] 78 O.R. (3d) 401.
[21] Supra, note 8.
[22] Fonds
Norbourg Placements équilibrés (Liquidation de),
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Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
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