94011796
COUR D'APPEL
PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE MONTRÉAL
No: 500-09-001033-927
(500-05-013046-915)
CORAM: LES HONORABLES MAILHOT
OTIS
CHAMBERLAND, JJ.C.A.
LAFARGE CANADA INC.,
APPELANTE - (Requérante)
c.
PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC,
-et-
MINISTRE DE L'ENVIRONNEMENT,
INTIMÉS - (Intimés)
OPINION DE LA JUGE MAILHOT
Le 4 avril 1991, Lafarge Canada Inc., l'appelante, achète
par le biais d'une vente en bloc une cimenterie en exploitation
depuis 1964. Après une inspection du ministère de l'Environnement
du Québec le 6 juin 1991, l'appelante reçoit un "avis decorrection" lui reprochant de violer les dispositions de l'article
22
de la Loi sur la qualité de l'environnement, L.R.Q. c. Q-2,
entrée en vigueur le 21 décembre 1972, en ce qu'elle exploiterait
une bétonnière sans certificat d'autorisation. La signataire de la
lettre, Mme Brigitte Bérubé, chef du service industriel,
précise(1)(1):
Nous vous rappelons qu'il ne vous est pas permis
d'exploiter une bétonnière sans avoir obtenu le certificat
d'autorisation requis par la loi.
L'article 22 dispose que:
22.
Nul ne peut ériger ou modifier une construction,
entreprendre l'exploitation d'une industrie
quelconque, l'exercice d'une activité ou l'utilisation d'un
procédé industriel ni augmenter la production d'un bien ou
d'un service s'il est susceptible d'en résulter une émission,
un dépôt, un dégagement ou un rejet de contaminants dans
l'environnement ou une modification de la qualité de
l'environnement, à moins d'obtenir préalablement du
ministre un certificat d'autorisation.
[...]
(1) m.a. 92.
Le ministère estime l'exigence d'un certificat
d'autorisation applicable à l'appelante, laquelle ne l'a pas
demandé. Si l'appelante n'a pas tenté d'obtenir ce certificat,
c'est qu'elle considère que l'article 22 ne lui est pas applicableparce que l'usine acquise est en exploitation depuis le début des
années 60, que cette usine n'a subi aucune modification, qu'il n'y
a pas eu d'augmentation de production, et que l'article 22 ne peut
"s'appliquer qu'aux entreprises ayant "débuté" ou ayant augmenté la
production d'une opération" après le 21 décembre 1972(2)(2); en
somme, l'article 22 viserait les nouvelles sources de
contamination. Elle invoque à ce propos un arrêt de notre Cour
rendu dans Les Constructions du St-Laurent Ltée c. P.G. du Québec
[1976] C.A. 635
. Le ministère n'accepte pas cette position et, par
lettre du 18 juillet 1991, précise que l'appelante est passible
d'une amende d'au moins 1 800 $ et d'au plus 12 000 $ pour une
première infraction. L'appelante décide alors de s'en remettre aux
tribunaux, par requête pour jugement déclaratoire, pour baliser la
portée de l'article 22 vu la difficulté survenue entre elle et le
ministère de l'Environnement.
(2) m.a. 93 - lettre du 2 juillet 1991 et m.a. 95, lettre du 24
juillet 1991.
L'appelante prétend n'être pas tenue de requérir un
certificat, sa qualité de nouveau propriétaire étant sans
pertinence à l'égard de l'application de l'article 22. Elle plaide
qu'elle n'a pas "entrepris" l'exploitation de l'entreprise vu que
la cimenterie est en exploitation continue depuis le 4 juin 1964,
soit bien avant l'adoption de la Loi et que le législateur, enutilisant le mot entreprendre, ne visait pas le sujet,
l'exploitant, mais l'objet, c'est-à-dire l'activité. En
conséquence, le certificat d'autorisation prévu à l'article 22
constituerait l'accessoire de l'exploitation et non pas, comme le
prétend le ministère, un droit attaché à la personne de
l'exploitant. Comme l'exploitation fut entreprise avant le 21
décembre 1972, elle n'a jamais eu à obtenir un certificat
d'autorisation et quels que soient les exploitants successifs, le
certificat d'autorisation ne serait requis que si une nouvelle
exploitation était entreprise ou qu'une modification à
l'exploitation était opérée. Comme depuis au moins le 21 décembre
1972, l'entreprise n'a subi aucune augmentation de production,
aucune érection ou modification de construction et n'a entrepris
aucun nouveau procédé industriel susceptible d'émettre, de dégager
ou de rejeter un contaminant dans l'environnement, elle ne serait
pas tenue d'obtenir un certificat d'autorisation.
Il est acquis que l'entreprise ne respecte pas la
réglementation municipale en vigueur en matière d'usage et
d'urbanisme, mais la municipalité reconnaît qu'elle bénéficie des
droits acquis mentionnés à sa réglementation d'urbanisme (m.a. 90).
Mais qu'en est-il de la réglementation provinciale en vertu de la
Loi sur la qualité de l'environnement? Selon le ministère de
l'Environnement, "celui qui entreprend, quant à lui, l'exploitation
d'une industrie ou l'exercice d'une activité doit obtenir uncertificat d'autorisation. Ainsi, celui qui acquiert une
entreprise, comme c'est le cas de l'appelante, doit obtenir un
certificat d'autorisation. Il peut rencontrer cette obligation en
obtenant la cession du certificat d'autorisation de son auteur, si
celui-ci en détient un, ou en obtenant un nouveau certificat
d'autorisation". (m.i. 6)
Après une analyse de la Loi et des arrêts de notre Cour dans
Les Constructions du Saint-Laurent Ltée, supra et Saint-Michel-
Archange (Municipalité de) c. 2419-6388 Québec Inc. (C.A.)
[1992]
R.J.Q. 875
, le juge de première instance a retenu la position du
ministère de l'Environnement et rejeté la requête pour jugement
déclaratoire de Lafarge:
Vu le schéma de la législation, particulièrement les
articles 22 et 24, il est difficile de concevoir que le
législateur voulait pour toujours laisser le public sans le
contrôle et la protection qui s'ensuivent de la Loi c. Q-2
dans chaque cas où il y aurait transfert de propriété d'une
entreprise existant avant l'adoption de la Loi en 1972.
L'obligation imposée d'obtenir le certificat permettrait
aussi au gouvernement de réagir sans attendre un
événement de désastre environnemental dans les cas où
l'exploitation devançait l'adoption de la Loi c. Q-2, au
moins lorsqu'il y avait transfert des actifs exploités après
l'adoption de la Loi.
POUR TOUTES CES RAISONS LA COUR:
REJETTE la requête pour jugement déclaratoire.
AVEC DÉPENS.
.-.-.-.-.-.
1. La nature de la Loi sur la qualité de l'environnement
Comme l'a souligné le juge Charles Gonthier alors qu'il
était juge à la Cour supérieure(3)
(3): "Il s'agit d'une loi d'ordre
public destinée à protéger la santé et le bien-être de la
population, non seulement en éliminant ou contrôlant les sources de
contamination ou pollution actuelles mais en contrôlant les
exploitations de façon à protéger le milieu de vie à l'avenir."
(3) Le Procureur général de la province de Québec c. Carrière
Landreville Inc.
[1981] C.S. 1020
.
Dès son adoption en 1972, la Loi a déterminé deux régimes
fondamentaux de contrôle. Le premier, sous la forme d'une
prohibition générale de pollution par l'article 20 qui met en place
un contrôle curatif, d'application immédiate:
20. Nul ne doit émettre, déposer, dégager ou rejeter ni
permettre l'émission, le dépôt, le dégagement ou le rejet
dans l'environnement d'un contaminant au-delà de la
quantité ou de la concentration prévue par règlement du
gouvernement.
La même prohibition s'applique à l'émission, au dépôt au
dégagement ou au rejet de tout contaminant, dont la
présence dans l'environnement est prohibée par règlement
du gouvernement ou est susceptible de porter atteinte à la
vie, à la santé, à la sécurité, au bien-être ou au confort de
l'être humain, de causer du dommage ou de porter
autrement préjudice à la qualité du sol, à la végétation, à
la faune ou aux biens.
Le deuxième, de nature plutôt préventive, introduit
l'obligation d'obtenir un certificat d'autorisation: c'est
l'article 22, objet du présent litige:
22.
Nul ne peut ériger ou modifier une construction,
entreprendre l'exploitation d'une industrie quelconque,
l'exercice d'une activité ou l'utilisation d'un procédé
industriel ni augmenter la production d'un bien ou d'un
service s'il est susceptible d'en résulter une émission, un
dépôt, un dégagement ou un rejet de contaminants dans
l'environnement ou une modification de la qualité de
l'environnement, à moins d'obtenir du Directeur un
certificat d'autorisation.
La demande d'autorisation doit inclure les plans et devis
de construction ou du projet d'utilisation du procédé
industriel ou d'exploitation de l'industrie ou
d'augmentation de la production et doit contenir une
description de la chose ou de l'activité visée, indiquer sa
localisation précise et comprendre une évaluation détaillée
conformément aux règlements du lieutenant-gouverneur en
conseil, de la quantité ou de la concentration prévue de
contaminants à être émis, déposés, dégagés ou rejetés dans
l'environnement par l'effet de l'activité projetée.
Le Directeur doit, à l'appui d'une demande relative à
certaines catégories d'industries, de projets ou d'activités
déterminées par règlement du lieutenant-gouverneur en
conseil, exiger une étude de l'impact que produira sur
l'environnement la réalisation du projet et peut exiger que
le requérant mène certaines recherches ou expériences qu'il
indique concernant le projet, le tout conformément aux
modalités prévues par règlement du lieutenant-gouverneur
en conseil. Il peut enfin exiger du requérant toute
information supplémentaire qu'il juge pertinente à l'objet
de la demande.
(Soulignements ajoutés)
En octobre 1976, notre Cour est appelée à interpréter cet
article. C'est alors qu'elle rend l'arrêt Les Constructions du St-
Laurent Ltée, déjà mentionné et qu'invoque l'appelante. J'y
reviendrai.
En décembre 1978(4)(4), le législateur ajoute un troisième
contrôle qui, avec ses particularités, procède de la même nature
que le régime de l'article 22. Ce sont les articles 31.1 à 31.9:
Section IV.1 Évaluation et examen des
impacts sur l'environnement de certains
projets.
31.1 Nul ne peut entreprendre une construction, un ouvrage,
une activité ou une exploitation ou exécuter des travaux
suivant un plan ou un programme, dans les cas prévus par
règlement du gouvernement, sans suivre la procédure
d'évaluation et d'examen des impacts sur l'environnement
prévue dans la présente section et obtenir un certificat
d'autorisation du gouvernement.
31.2 Celui qui a l'intention d'entreprendre la réalisation d'un
projet visé à l'article 31.1. doit déposer un avis écrit au
ministre décrivant la nature générale du projet. Le
ministre indique alors à l'initiateur du projet la nature, la
portée et l'étendue de l'étude d'impact sur l'environnement
que celui-ci doit préparer.
etc. (Je souligne)
(4) 1978 L.Q. c. 64 - entrée en vigueur le 22 décembre 1978.
En 1988, on ajoute une autre section, la section IV.2
intitulée Attestation d'assainissement dont l'entrée en vigueur n'a
lieu cependant que le 28 avril 1993(5)(5). L'article 31.11 se lit:
31.11. Nul ne peut émettre, déposer, dégager ou rejeter ni
permettre l'émission, le dépôt, le dégagement ou le rejet
dans l'environnement d'un contaminant résultant de
l'exploitation d'un établissement industriel pour lequel le
ministre a refusé de délivrer une attestation
d'assainissement tant que le ministre n'a pas délivré une
attestation d'assainissement relativement à une autre
demande soumise pour l'exploitation de cet établissement.
(1988, c. 49, a. 8, 1991, c. 30, a.2.)
(5) G.O. 1993, p. 3370.
L'on constate l'intention du législateur d'imposer des
contrôles accrus en mettant l'accent sur des régimes préventifs
pour protéger l'environnement.
.-.-.-.-.-.
2. Analyse de l'article 22
Revenant à l'article 22 de la Loi, objet principal du
présent litige, il faut noter que le législateur, en le rédigeant,
a voulu être précis et viser plusieurs situations.
Or, il faut donner à chaque mot son sens et cela, à mon
avis, ne nécessite pas une interprétation complexe. En effet, le
législateur a utilisé les termes "
entreprendre l'exploitation d'une
industrie", "
entreprendre l'exercice d'une activité" ou
"
entreprendre l'utilisation d'un procédé industriel". Il n'a pas
utilisé, alors qu'il le pouvait manifestement, les expressions "nul
ne peut
exploiter une industrie,
exercer une activité ou
utiliser
un procédé industriel", comme il l'a fait par exemple aux articles
32.1 et 55: "une personne ne peut exploiter...", "nulle personne ne
peut exploiter...".
Ainsi, en vertu de l'article 22,
nul ne peut:
- ériger une construction
- modifier une construction
- entreprendre l'exploitation d'une industrie
- entreprendre l'exercice d'une activité
- entreprendre l'utilisation d'un procédé industriel
- augmenter la production d'un bien ou d'un service
s'il est susceptible d'en résulter une émission etc...
à moins
d'obtenir préalablement un certificat d'autorisation.
Le premier sens à donner à l'expression "entreprendre
l'exploitation d'une industrie" est celui clairement de "commencer"
l'exploitation, débuter l'exploitation. Et lorsque le législateurparle d'augmenter la production, cela suppose alors qu'il y a déjà
une exploitation, une production en marche.
Le mot "
entreprendre" n'est pas utilisé uniquement à
l'article 22. En plus des articles 31.1 et 31.2 déjà cités, on le
retrouve aussi aux articles 95.1 et 95.3 dans la section
X.1 -
Attestation de conformité environnementale, dispositions entrées en
vigueur en juin 1972:
95.1. Nul ne peut entreprendre l'exécution d'un
projet visé dans un règlement du
gouvernement sans produire préalablement
auprès du ministre les plans et devis
d'exécution du projet et une déclaration
attestant leur conformité avec les normes
prévues par règlement du gouvernement.
L'attestation doit être également signée par
tout professionnel au sens du Code des
professions (chapitre C-26) et par tout
consultant qui a contribué à la conception
du projet, dans le cas où sa contribution
porte sur une matière visée dans les normes
réglementaires applicables au projet.
[...]
95.3. L'initiateur d'un projet ne doit pas en
entreprendre l'exécution avant que ne
s'écoule un délai de quinze jours suivant la
date de la production de l'attestation de
conformité environnementale et des
documents visés aux articles 95.1 et 95.2.
Tel que je l'indiquais précédemment, notre Cour s'est
penchée précisément sur l'interprétation et la portée du mot
"entreprendre" contenu à l'article 22 dans l'affaire Les
Constructions du St-Laurent Ltée. M. le juge Dubé y écrit alors:
Le juge de première instance en est venu à la conclusion
que l'appelante devait se soumettre aux prescriptions de
l'article 22 et obtenir un certificat d'autorisation avant de
continuer ses travaux d'exploitation de la carrière;
toutefois, le savant juge a pu en venir à cette conclusion
sans pour autant définir le sens du mot «entreprendre»: en
effet, il a tout simplement conclu des faits de la preuve,
que l'appelante n'exploitait pas régulièrement la carrière
de pierre en question et qu'aux dates mentionnées, dans la
requête en injonction, elle avait tout simplement débuté
ses travaux et qu'en conséquence elle était soumise à
l'obligation d'obtenir un certificat d'autorisation.
Avec déférence, je ne suis pas d'accord sur cette
interprétation de la preuve, et à mon point de vue, depuis
1964 l'appelante exploite une industrie de carrière: en effet,
comme l'a décidé notre Cour d'appel dans la cause Ville St-
Bruno de Montarville c. Potvin et Carrières T.P.R. Ltée
une carrière de par sa nature même peut très bien être
exploitée d'une façon intermittente, mais elle ne demeure
quand même pas une entreprise d'exploitation de carrière;
dans la présente cause, la prépondérance de la preuve est
à l'effet que c'est l'appelante qui a organisé les Entreprises
Loma Ltée et que cette compagnie a été spécialement créée
par l'appelante en vue de garder la carrière de pierre en
question à la disposition de l'appelante quand cette
dernière aura besoin de pierre pour la réalisation des
contrats qu'elle exécute et qu'elle entend exécuter dans la
région; beaucoup d'entreprises cessent leur exploitation
parfois suivant les saisons, parfois à cause d'un surplus de
production, mais on ne peut certainement pas dire que ces
entreprises, lorsqu'elles recommencent la production,
qu'elles «entreprennent» l'exploitation d'une industrie. Je
ne vois donc pas pourquoi il en serait différent d'une
industrie d'exploitation de carrière alors que l'on sait que
ce genre d'industrie est de par sa nature même
d'opérations très intermittentes.
Donc en partant de cette conclusion que l'appelante
exploite une entreprise de carrière depuis au moins 1970,
la question à se poser est de savoir si elle est quand même
tenue, en vertu de l'article 22, d'obtenir un certificat
d'autorisation: avec respect pour toute opinion contraire, je
crois que le Législateur a voulu imposer cette obligation
d'obtenir un certificat d'autorisation seulement aux
entreprises qui débutent une opération ou bien qui
augmentent la production d'une opération déjà en cours.
En effet, aucun dictionnaire ne donne au mot «entreprise»
le sens de «continuer»: dans le Petit Larousse, on trouve la
définition suivante: «prendre la résolution de faire une
chose et la commencer»; dans Quillet «entreprendre» est
traduit par «se décider à faire une chose et s'engager dans
son exécution».
Le 2e et le 3e paragraphes de l'article 22 semblent indiquer
assez clairement que le Législateur s'adresse aux
entreprises qui opéreront dans le futur plutôt qu'à celles
qui opéraient dans le passé: par exemple, au paragraphe 2,
pour obtenir la demande d'autorisation, on exige une
évaluation détaillée de la concentration
prévue de contaminants à être émis,
déposés, dégagés ou rejetés dans
l'environnement par l'effet de l'activité
projetée.
(Le soulignement en gras est du soussigné.)
Par exemple, encore, au 3e paragraphe de l'article 22, on
retrouve que le Directeur doit, à l'appui d'une demande
relative à certaines catégories d'industries,...
exiger une étude de l'impact que
produira sur l'environnement la
réalisation du projet ... (Le
soulignement en gras est du soussigné.)
D'ailleurs le fait que l'article 22 n'exige un certificat
d'autorisation qu'aux nouvelles usines, ne signifie pas
nécessairement que les usines déjà en opération, lorsque la
Loi de la qualité de l'environnement est devenue en force
le 21 décembre 1972, peuvent impunément continuer à
polluer l'atmosphère ou l'environnement: en effet, l'article
20 défend le rejet dans l'environnement d'un contaminant,
et l'article 106 prévoit des pénalités pour ceux qui ne
respectent pas ces prescriptions de la Loi. Il est donc
incontestable que l'appelante, si elle avait été poursuivie en
vertu de l'article 20, et que la preuve avait révélé qu'elle
opérait son exploitation contrairement aux prescriptions de
cet article, qu'elle aurait été passible de sanction: mais de
là ne découlent pas nécessairement que les prescriptions de
l'article 22 s'appliquent à une industrie déjà en opération
avant la venue en force de la Loi de la qualité de
l'environnement.
À l'article
8
de la Loi sur la qualité de l'environnement,
on voit que le Législateur au deuxième paragraphe, se sert
de nouveau du mot «entreprendre» dans la phrase
suivante:
Le Conseil... peut aussi entreprendre
l'étude de toute question relative à la
qualité de l'environnement.
Il est évident qu'ici encore le mot «entreprendre» ne signifie
certainement pas «continuer» une étude déjà entreprise.
[...]
De tous ces faits, il ressort donc que le mot
«entreprendre» de l'article 22 signifie ce qu'il a
toujours signifié en langage courant: «commencer»
ou «débuter»; donc, comme l'appelante n'a pas
commencé ni débuté depuis le 21 décembre 1972
l'exploitation d'une carrière, elle n'était pas obligée
en vertu de la Loi d'obtenir préalablement un
certificat d'autorisation avant de continuer ses
travaux.
(Soulignements ajoutés)
L'on remarquera qu'en faisant son analyse, la Cour réfère
aussi au mot "entreprendre" utilisé à l'article 8 de la même loi.
Le juge de première instance a d'ailleurs reproduit dans son
jugement cet extrait de l'arrêt. Il en a toutefois écarté
l'application à l'espèce parce que, disait-il, dans LesConstructions du St-Laurent, l'exploitant avait toujours été le
même et qu'il s'agissait plutôt d'une exploitation de manière
intermittente. Bien qu'il soit exact que dans Les Constructions du
St-Laurent il s'agissait du même exploitant, je considère que
l'interprétation donnée par notre Cour au mot "entreprendre" vaut
tout aussi bien pour le cas qui nous est soumis alors que
l'industrie n'a pas cessé d'être exploitée en dépit du fait qu'il
y ait un changement d'exploitant.
À mon avis, le raisonnement ou l'analyse de notre Cour dans
Les Constructions du St-Laurent s'applique aussi lorsqu'il y a un
changement d'exploitant. En effet, tout le litige portait alors
sur l'interprétation à donner au mot "entreprendre" et, à mon avis,
l'interprétation retenue soit celle faisant appel au sens premier
habituel du mot, soit "commencer", "débuter" une exploitation par
opposition à "continuer une exploitation" m'apparaît devoir être
retenue également dans le présent cas.
Je note au passage que le 3e alinéa de l'article 22 utilise
le temps futur dans la phrase "exiger une étude de l'impact que
produira sur l'environnement la réalisation du projet", élément
supplémentaire qui supporte l'interprétation que je retiens. Plus
largement, les termes utilisés dans l'ensemble de l'article 22 et
dans le Règlement relatif à l'administration de la Loi sur la
qualité de l'environnement (1981) font voir que "le législateurs'adresse aux entreprises qui opéreront dans le futur plutôt que
dans le passé."(6)(6)
(6) Les Constructions du St-Laurent, p. 637.
À titre d'illustration, voici l'article 6 du Règlement de
1981:
6. Contenu: Sous réserve de toute disposition expresse de tout
autre règlement établi en vertu de la Loi, la demande de
certificat d'autorisation doit comporter:
a) le nom complet, l'adresse et le numéro de téléphone du
requérant;
b) le numéro cadastral du lot ou des lots où le projet
ou l'activité doit se dérouler, se situer ou être exécuté;
c) les caractéristiques techniques du projet ou de
l'activité qui fait l'objet de la demande, y compris la liste
des équipements fixes et mobiles utilisés à l'extérieur de
tout bâtiment ainsi que des renseignements relatifs à la
nature et à la quantité des combustibles qui seront
utilisés;
d) un plan des lieux où l'ouvrage ou l'activité doit être
exécuté, y compris ses environs, avec des renseignements
précis relativement à l'emplacement des habitations les
plus rapprochées, des voies d'accès, des cours d'eau ou
nappes d'eau de surface avoisinants ainsi que le zonage des
lieux;
e) un certificat de la municipalité signé par le greffier ou
le secrétaire-trésorier attestant que le projet ne contrevient
à aucun règlement municipal et, le cas échéant, copie de
toute approbation ou permis prévu par règlement de la
municipalité;
f) une description de la nature et des quantités de déchets
qui seront produits par l'activité projetée ainsi que du
mode d'élimination de ces déchets;
g) une énumération indiquant:
i. tous les points d'émission de contaminants dans
l'environnement;
ii. la nature des contaminants qui seront émis dans
l'environnement par l'effet du projet;
etc...
(je souligne)
Même le Règlement relatif à l'application de la Loi sur la
qualité de l'environnement, qui a remplacé fin 1993 celui de 1981,
utilise des expressions telles "la désignation cadastrale des lots
sur lesquels sera réalisé le projet" (art. 7,5o), "un plan des
lieux où le projet doit être réalisé (art. 7,7o).
Je note aussi que depuis notre arrêt en 1976 dans Les
Constructions du St-Laurent, le législateur a procédé à quelques
reprises à des modifications de la Loi sur la qualité de
l'environnement, par exemple en 1978 et en 1988, sans modifier les
dispositions en litige pour donner une autre portée à
l'interprétation de notre Cour quant à l'article 22 et pour
l'écarter de quelque manière, ce que le législateur pouvait
évidemment faire. Au contraire, en 1978, il a à nouveau utilisé
les termes "entreprendre une exploitation" (art. 31.1).
Plus récemment, en 1992, notre Cour, dans l'affaire La
Municipalité de St-Michel Archange et als c. 2419-6388 Québec Inc.
et al(7)(7), fit référence à l'arrêt dans Les Constructions du St-
Laurent comme suit:
Les intimées ont acquis des sites qui étaient déjà exploités
comme sablières lors de l'entrée en vigueur de la Loi sur la
qualité de l'environnement, en 1972. Cette exploitation
s'est poursuivie par la suite. Elles bénéficient donc de
droits acquis à en continuer l'usage, sans qu'il leur soit
nécessaire d'obtenir un certificat d'autorisation du sous-
ministre de l'environnement (art. 22 de la Loi et art. 2 du
Règlement sur les carrières et sablières) (Voir
Constructions du St-Laurent c. Procureur général (Qué.),
[1976] C.A. 635
).
(7)
[1992] R.J.Q. 875
.
Dans cette affaire St-Michel Archange, le débat portait sur
la nécessité d'un certificat de conformité (art. 54) pour faire de
l'enfouissement de rebuts de construction.
Le juge de première instance ne s'est pas senti lié par le
passage ci-haut, le qualifiant, avec raison, d'obiter dictum de la
Cour. Mais pour écarter l'arrêt, le juge a insisté aussi et
surtout sur le fait qu'il portait sur une situation de fait
antérieure à l'amendement à l'article 24 de la Loi:
Il en est autrement pour ce qui est de l'amendement
apporté au texte de l'article 24 et mis en vigueur le 22
février 1989, où le Législateur a exprimé sa volonté que
tout permis soit censé incessible, et donc sans valeur
marchande, et, où tout transfert de certificat rendu
dorénavant sujet à l'approbation du Ministre. De ce fait
découle la conclusion que le certificat est 1) personnel à
l'exploitant et 2) à obtenir en toutes circonstances de
transfert de l'exploitation d'une personne à une autre.
(m.a. 63)
3. Analyse de l'article 24
Ce qui m'amène à traiter de l'amendement survenu en 1988 à
l'article 24 de la Loi.
En 1972, l'article 24 se lisait:
24. Le Directeur doit, avant de donner son
approbation à une demande faite en vertu
de l'article 22, s'assurer que l'émission, le
dépôt, le dégagement ou le rejet de
contaminants dans l'environnement sera
conforme à la loi et aux règlements. Il peut,
à cette fin exiger toute modification du plan
ou du projet soumis.
En 1979, un amendement change le mot "directeur" par celui
de "sous-ministre" et en décembre 1988(8)(8), le deuxième alinéa est
ajouté:
Le certificat d'autorisation délivré en vertu de l'article 22
est incessible, à moins que le ministre en ait autorisé la
cession aux conditions qu'il fixe.
(8) 1988 L.Q. c. 47, art. 24.
Les intimés soutiennent que le deuxième alinéa de l'article
24 de la Loi, en prévoyant la possibilité de la cession du
certificat d'autorisation, confirme la nécessité pour celui qui
acquiert une entreprise et veut en entreprendre l'exploitation
d'obtenir un certificat d'autorisation.
À mon avis, ce qu'il faut comprendre par cet amendement,
c'est que le législateur a voulu s'assurer que les industries ou
autres entreprises qui, après l'entrée en vigueur de la Loi en
1972, ont obtenu un certificat d'autorisation ne puissent pas le
vendre ou autrement le céder à une autre entreprise qui
continuerait l'exploitation à son compte. On a voulu ainsi en 1988
resserrer les liens entre les exploitations, les titulaires des
certificats d'autorisation et le ministre. Cette volonté transpireaussi des textes de l'article 6 du Règlement relatif à
l'administration de la Loi sur la qualité de l'environnement (1981)
en regard des articles 7 et 10 du Règlement relatif à l'application
de la Loi sur la qualité de l'environnement qui l'a remplacé en
1993.
Mais, selon moi, cela ne change rien à la situation des
exploitations ou entreprises qui étaient en opération avant 1972
et qui n'ont pas cessé d'exploiter. Le législateur, eut-il voulu
viser ces exploitations ou entreprises, aurait très bien pu le
faire en le précisant expressément. Mais le législateur a préféré,
pour des raisons sûrement justifiées à l'époque, de ne pas exiger
des entreprises déjà en exploitation au Québec qu'elles obtiennent
un certificat d'autorisation. Le législateur aurait pu, par
exemple, prévoir que l'article 22 vise toute exploitation existante
ou encore que tout nouvel exploitant d'une exploitation en
opération doive obtenir un certificat d'autorisation. À titre
d'exemple, c'est ce que le législateur a fait en adoptant en 1988
l'article 31.24:
31.24. Tout nouvel exploitant d'un
établissement industriel pour lequel
l'exploitant précédent était titulaire
d'une attestation d'assainissement
devient titulaire de l'attestation à
compter de la date du début de son
exploitation.
Le nouveau titulaire doit, dans les 30
jours suivant la date du début de son
exploitation, aviser le ministre du
changement de titulaire.
Ces termes de "nouvel exploitant", "exploitant",
"titulaire" sont absents dans la rédaction de l'article 22.
Ainsi je conclus que les dispositions de l'article 24,
ajoutées en 1988, visent seulement les entreprises qui ont obtenu
un certification d'autorisation ou qui étaient tenues d'en obtenir
parce que leur exploitation a débuté après le 21 décembre 1972.
À mon avis, ici il n'y avait pas obligation en 1972 d'obtenir un
certificat d'autorisation, car l'auteur de Lafarge Canada avait
entrepris l'exploitation antérieurement.
Comme l'écrivait le juge Dubé dans Les Constructions du St-
Laurent, le fait que l'article 22 n'exige un certificat
d'autorisation qu'aux nouvelles usines ou entreprises ne signifie
pas nécessairement que celles déjà en opération le 21 décembre
1972 peuvent impunément polluer l'atmosphère ou l'environnement.
L'article 20 de la Loi demeure le premier contrôle et il est
d'application générale; l'article 106.1 prévoit des pénalités pour
ceux qui ne le respecteraient pas. D'autres dispositions sont
peut-être aussi applicables.
Conclusion
Je propose donc en définitive d'accueillir le pourvoi avec
dépens, d'infirmer le jugement de première instance, d'accueillir
avec dépens la requête pour jugement déclaratoire et de déclarer
que la requérante n'a pas à obtenir de certificat d'autorisation
pour poursuivre l'exploitation de son entreprise de béton sise au
418 boulevard Curé-Labelle, en la ville de Blainville, district de
Terrebonne, province de Québec.
LOUISE MAILHOT, J.C.A.
COUR D'APPEL
PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE MONTRÉAL
No: 500-09-001033-927
(500-05-013046-915)
Le 11 août 1994
CORAM: LES HONORABLES MAILHOT
OTIS
CHAMBERLAND, JJ.C.A.
LAFARGE CANADA INC.,
APPELANTE - (Requérante)
c.
PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC,
-et-
MINISTRE DE L'ENVIRONNEMENT,
INTIMÉS - (Intimés)
__________LA COUR
, statuant sur le pourvoi contre un jugement rendu
le 15 mai 1992, par la Cour supérieure, district de Montréal
(honorable John R. Hannan) qui a rejeté avec dépens la requête pour
jugement déclaratoire quant à la portée des dispositions de
l'article
22
de la Loi sur la qualité de l'environnement, L.R.Q.
c. Q-2, telle qu'amendée;
APRÈS étude du dossier, audition et délibéré;
Pour les motifs exprimés à l'opinion de madame la juge
Louise Mailhot, déposée avec le présent arrêt, et auxquels
souscrivent madame la juge Louise Otis et monsieur le juge Jacques
Chamberland:
ACCUEILLE le pourvoi avec dépens;
INFIRME le jugement de première instance et procédant à
statuer sur la requête pour jugement déclaratoire:
ACCUEILLE la requête avec dépens et
DÉCLARE que la requérante n'a pas à
obtenir de certificat d'autorisation pour
poursuivre l'exploitation de son
entreprise de béton sise au 418 boulevard
Curé-Labelle, en la ville de Blainville,
district de Terrebonne, province de
Québec.
LOUISE MAILHOT, J.C.A.
LOUISE OTIS, J.C.A.
JACQUES CHAMBERLAND, J.C.A.
Me Gilles Lareau (Pâquet, Galardo & Nantais), avocat de l'appelante
Me Pierre Salois (Dupré, Langis), avocat des intimés
Audition: le 19 janvier 1994.
1.
m.a. 92.
2.
m.a. 93 - lettre du 2 juillet 1991 et m.a. 95, lettre du
24 juillet 1991.
3.
Le Procureur général de la province de Québec c. Carrière
Landreville Inc.
[1981] C.S. 1020
.
4.
1978 L.Q. c. 64 - entrée en vigueur le 22 décembre 1978.
5.
G.O. 1993, p. 3370.
6.
Les Constructions du St-Laurent, p. 637.
7.
[1992] R.J.Q. 875
.
8.
1988 L.Q. c. 47, art. 24.