Droit de la famille — 10456 |
2010 QCCS 849 |
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JP1827 |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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N° : |
500-12-131017-844 |
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DATE : |
LE 5 MARS 2010 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
ANDRÉ PRÉVOST |
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M... V... |
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Demanderesse |
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c. |
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A... B... |
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Défendeur |
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et |
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DIRECTEUR DE L'ÉTAT CIVIL |
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et |
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S... N... |
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Mis en cause |
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JUGEMENT |
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[1] Mme V... demande la nullité d'un certificat de divorce émis le 20 janvier 2002.
LES PARTIES
[2] Mme V... a épousé M. B... M... le 16 décembre 1961. Ce dernier est décédé le 1er février 2009.
[3] Ami et collègue de travail de M. M..., M. B... agit comme liquidateur de sa succession.
[4] Mme N... est la seconde épouse de M. M.... Leur mariage a été célébré le 20 juin 2002.
LE CONTEXTE
[5] Le 16 janvier 1984, Mme V... dépose une requête en divorce contre M. M.... Cette instance est soumise aux règles de la Loi sur le divorce de 1968[1] (l’ancienne loi).
[6] Étonnamment, l’audition du recours n’a lieu qu’au mois de décembre 2001. Un jugement oral prononçant le divorce et comportant de nombreuses conclusions accessoires est rendu en présence des parties par la juge Hélène Lebel le 20 décembre, après six jours d’audition. D’entrée de jeu, cette dernière souligne que le jugement est soumis à l’ancienne loi et qu’en conséquence, une requête pour jugement irrévocable de divorce devra être formulée trois mois plus tard.
[7] Ce jugement fait l’objet de deux entrées au plumitif de la Cour supérieure. La première, portant le numéro 150, indique : «PROCÈS-VERBAL AUDIENCE LEBEL HÉLÈNE - JUGEMENT EN DIVORCE RENDU 20122001». La seconde, portant le numéro 151, se lit ainsi : «JUGEMENT ACCORDE 50000000488022 CONDITIONNEL - 20122001».
[8] La transcription des conclusions du jugement est complétée le 12 janvier 2002 et celle des motifs arrive quelques jours plus tard, le 17 janvier.
[9] Le jugement est signifié à M. M... le 12 janvier 2002.
[10] Le 21 janvier 2002, une entrée est inscrite au plumitif, sous le numéro 152, indiquant qu’un certificat de divorce a été émis le 20 janvier, soit le 31e jour suivant le prononcé du jugement. Le 30 janvier suivant, Mme Pauline Perron, greffière-adjointe, délivre un certificat de divorce[2] et, conformément à la procédure habituelle, une copie est postée aux avocats représentant les parties[3].
[11] Le 21 janvier, une deuxième entrée, portant le numéro 153, rapporte le dépôt d’une inscription en appel[4]. L’appel de Mme V... ne porte pas sur le prononcé du divorce mais plutôt sur les ordonnances accessoires de nature pécuniaire.
[12] Le 4 février, Me Heft transmet à M. M... le certificat de divorce reçu du greffe[5], sans autre explication.
[13] Entre le 1er et le 25 février 2002, dans des circonstances qui demeurent encore inexpliquées, l’entrée 152 qui constate l’émission du certificat de divorce est supprimée du plumitif par un fonctionnaire du palais de justice.
[14] Le 20 juin 2002, M. M... et Mme N... qui font vie commune depuis 1995[6] se marient. Selon le témoignage de Mme N..., M. M... en aurait informé Mme V... quelques semaines plus tard. Ceci est nié par cette dernière.
[15] Le 8 juillet, M. M... transfère à Mme N... 50 % indivis de l’immeuble comportant cinq logements dont il est propriétaire depuis quelques années.
[16] Le 12 décembre 2002, la Cour d’appel accueille le pourvoi de Mme V... aux seules fins de supprimer le terme fixé pour la pension alimentaire[7].
[17] Le 6 octobre 2007, M. M... apprend qu’il souffre d’un cancer. Il subit quelques interventions chirurgicales pour être finalement hospitalisé de manière permanente à compter de décembre 2008. Il décède le 1er février 2009.
[18] À compter du printemps 2008, Mme V... entreprend des démarches auprès de conseillers juridiques pour obtenir des avis quant à la protection de ses droits au paiement d’une pension alimentaire après la mort de M. M.... Le 18 septembre 2008, au cours d’une rencontre avec Me Moisan, elle obtient à nouveau une copie du plumitif de son dossier à la Cour supérieure. Elle y inscrit certaines annotations manuscrites dont une faisant état de la suppression de l’entrée 152 se rapportant au certificat de divorce.
[19] M. B... procède à la lecture du testament de M. M... quelques semaines après sa mort[8]. Cela se fait en présence d’un notaire, de Mme N..., de Mme V... et des trois enfants de M. M.... L’un de ceux-ci, X, enregistre d’ailleurs la séance sans en aviser les autres, sauf sa sœur.
[20] Les enfants de M. M... sont alors surpris d’apprendre que leur père s’était remarié à Mme N..., ce qu’ils ignoraient jusqu’alors.
[21] Le 25 mars 2009, Mme V... dépose la requête introductive d’instance pour faire déclarer nul le certificat de divorce et pour qu’il soit ordonné au Directeur de l’état civil d’effectuer les corrections nécessaires pour que le certificat de mariage des parties indique qu’il a été dissous par le décès de M. M... et non par le divorce. Les autres conclusions de la requête initiale portant sur des réclamations monétaires ont été abandonnées par la suite.
POSITION DES PARTIES
i. Mme V...
[22] Aucune des parties n’ayant demandé que le jugement conditionnel de divorce soit déclaré irrévocable, Mme V... plaide la nullité absolue du certificat de divorce émis le 20 janvier 2002.
[23] Elle soumet qu’il s’agit essentiellement d’une question de droit et que la preuve apportée à l’audience ne peut atténuer de quelque manière la portée des dispositions d’ordre public de l’ancienne loi sur le divorce.
ii. Mme N...
[24] Admettant que l’émission du certificat de divorce par la greffière-adjointe constituait une erreur, Mme N... conteste néanmoins la sanction proposée par Mme V....
[25] Elle soumet que le comportement de Mme V..., tant au moment de l’audition sur la requête en divorce que dans les mois qui ont suivi, ne laisse place à aucun doute quant à son intention de mettre un terme à son mariage avec M. M....
[26] Mme N... invite le Tribunal à prendre le témoignage de Mme V... avec caution puisqu’il comporterait de nombreuses contradictions. Elle suggère que Mme V... a eu connaissance de l’existence du certificat de divorce dès janvier 2002, d’abord au moment où il a été transmis à son avocate par le département de la rédaction des jugements, et ensuite lorsqu’elle a obtenu une copie du plumitif qu’elle a annexée à son inscription en appel.
[27] Elle soumet, de plus, qu’entre 2002 et 2008, Mme V... a représenté aux autorités fiscales qu’elle était divorcée. Ce n’est qu’après le décès de M. M... qu’elle aurait modifié dorénavant l'indication de son état civil pour se présenter comme étant mariée avec lui.
[28] En somme, Mme N... plaide que tant M. M... que Mme V... ont compris que le jugement de la juge Lebel était définitif à compter de la réception du certificat de divorce et se sont comportés comme tels.
[29] Mme V... aurait sciemment attendu le décès de M. M... pour soulever la nullité du certificat de mariage, l’empêchant ainsi de remédier à la situation en déposant une requête pour faire déclarer le jugement de divorce irrévocable.
[30] Mme N... invite le Tribunal à conclure que la requête de Mme V... est tardive et qu’elle ne peut en conséquence être accueillie.
QUESTIONS EN LITIGE
[31] La question en litige est, somme toute, assez simple : le certificat de divorce émis le 20 janvier 2002 est-il valide?
[32] S’y greffe, accessoirement, le délai dans lequel sa nullité a été soulevée par Mme V....
ANALYSE
i. Le droit applicable
[33] Il apparaît utile, tout d’abord, de clarifier les règles de droit applicables au jugement de divorce prononcé le 20 décembre 2001.
[34] Les paragraphes (1) et (4) de l’article 13 de l’ancienne loi prévoyaient que :
13. (1) Chaque jugement de divorce est en premier lieu un jugement conditionnel et aucun jugement semblable ne doit devenir irrévocable avant l’expiration des trois mois qui suivent la date où le jugement a été prononcé ni avant que le tribunal n’ait la conviction que tous les droits d’appel du jugement conditionnel ont été épuisés.
(4) Lorsqu’un jugement conditionnel de divorce a été prononcé par un tribunal et qu’aucune demande n’a été faite par la partie en faveur de laquelle le jugement a été prononcé en vue qu’il devienne irrévocable, alors, après un mois suivant le premier jour où cette partie aurait pu faire une telle demande, la partie contre laquelle il a été prononcé peut demander au tribunal que le jugement devienne irrévocable et, sous réserve de toute ordonnance rendue en vertu du paragraphe (3), le tribunal peut alors rendre le jugement irrévocable.
[35] Pour sa part, l’article 33 de la nouvelle loi édicte que :
33. Les actions engagées sous le régime de la Loi sur le divorce, chapitre D-8 des Statuts révisés du Canada de 1970, avant la date d’entrée en vigueur de la présente loi et sur lesquelles il n’a pas été définitivement statué avant cette date sont instruites, et il en est décidé, conformément à la loi précitée, en son état avant la même date, comme si elle n’avait pas été abrogée.
[36] La requête en divorce de Mme V... ayant été déposée au greffe le 16 janvier 1984 et n’ayant pas encore été instruite à la date d’entrée en vigueur de la nouvelle loi, ce sont les dispositions de l’ancienne loi qui s’y appliquaient. C’est d’ailleurs ce qu’affirme la juge Lebel dans le jugement conditionnel de divorce. Mme N... ne le conteste pas.
[37] De plus, soulignons que l’appel par Mme V... d’ordonnances de nature accessoire contenues au jugement de la juge Lebel ne privait pas l’une ou l’autre des parties de demander à ce que le jugement conditionnel de divorce devienne irrévocable[9].
ii. La validité du certificat de divorce
[38] L’erreur de la greffière-adjointe qui a délivré, le 30 janvier 2002, un certificat de divorce selon les dispositions de la nouvelle loi est évidente. La nullité du certificat l'est tout autant.
[39] Bien qu’il ait été mis en preuve que le signataire d’un tel certificat procède normalement à une vérification du caractère exécutoire du jugement, on ne peut qu’être surpris que Mme Perron n’ait pas remarqué le texte de la première conclusion du jugement de la juge Lebel qui se lit comme suit :
GRANTS a Decree Nisi of divorce to M. V. of Town A and to B. M. M. of Town A, whose marriage was celebrated on December 16, 1961, in Montreal; the Decree Nisi shall become irrevocable and absolute upon application by either party after three months from the date of the instant judgment.
[le Tribunal souligne]
[40] Cette erreur est-elle fatale considérant, en particulier, qu’aucune des deux parties ne se soit prévalue de son droit de demander à ce que le jugement conditionnel de divorce soit déclaré irrévocable?
[41] La jurisprudence ayant interprété l’ancienne loi laisse peu de place au doute : la dissolution du lien matrimonial ne devient exécutoire qu’au prononcé du jugement irrévocable[10], bien que le jugement conditionnel soit final à cet égard, sous réserve du droit d’appel[11].
[42] En d’autres mots, le jugement conditionnel de divorce prononce la dissolution du lien matrimonial sous condition suspensive, soit l’obtention du jugement irrévocable.
[43] Le Tribunal en conclut que puisque le divorce des parties était soumis aux règles édictées par l’ancienne loi, la dissolution du mariage prononcée par la juge Lebel le 20 janvier 2001 ne pouvait devenir exécutoire que par un jugement irrévocable de divorce. Comme aucune demande à cet effet n’a été présentée par l’une ou l’autre des parties, ces dernières sont donc demeurées mariées jusqu’au décès de M. M..., le 1er février 2009.
[44] Le certificat de divorce émis par erreur le 20 janvier 2002 étant invalide, il ne peut pallier au défaut d’obtenir un jugement irrévocable de divorce.
[45] De toute évidence, le certificat de divorce a induit M. M... en erreur puisqu’il s’est senti libre de contracter un nouveau mariage quelques mois plus tard. Il est surprenant que son avocat à l’époque n’ait pas apprécié les conséquences prévisibles de l’erreur, au moment de la réception du certificat de divorce. Il a simplement choisi de ne pas en discuter avec son client, considérant que «cela ne causait pas de problème»[12].
[46] Mais les règles s’appliquant au divorce, tout comme certaines relatives au mariage, visent la protection de l’ordre public : on ne peut y déroger sous peine de nullité absolue[13]. Le comportement des parties n’a pu, non plus, avaliser la dissolution du lien matrimonial qui n’est jamais devenue exécutoire.
[47] Dans ce contexte, Mme N... ne peut non plus opposer l’irrecevabilité de la demande au motif du délai écoulé. De toute manière, comme nous le verrons plus loin, ce délai est d’un peu moins de cinq mois entre le moment où Mme V... a eu connaissance de l’erreur et le dépôt de son recours.
[48] Le recours de Mme V... sera donc être accueilli.
LES DÉPENS
[49]
Exerçant la discrétion que lui confère l’article
[50] Le témoignage de Mme V... a laissé le Tribunal perplexe à plusieurs égards.
[51] D’entrée de jeu, elle déclare n’avoir jamais reçu le certificat de divorce délivré le 30 janvier 2002. Elle ajoute ne s’être jamais considérée divorcée de M. M..., aucune des parties n’ayant demandé à ce que le jugement conditionnel de divorce soit déclaré irrévocable.
[52] Cela apparaît quelque peu surprenant considérant, notamment, ses efforts et le nombre de jours consacrés à l’audition de sa demande de divorce au mois décembre 2001. Pourquoi alors interrompre les démarches pour finaliser son divorce alors que le processus en est à sa dernière étape? De plus, si elle ne voulait plus en finir avec son mariage, pourquoi son inscription en appel comporte-t-elle une conclusion demandant le divorce?
[53] Mais il y a plus.
[54] Au cours des années suivantes, elle indique sur ses formulaires d’impôts qu’elle est divorcée[14].
[55] De plus, lorsqu’elle apprend le remariage de M. M... au cours d’une hospitalisation en 2008, loin de s’étonner de sa bigamie, elle consulte plutôt deux avocates pour s’enquérir de la manière dont elle pourrait protéger les droits que lui confère le jugement de divorce après sa mort. Pas un mot, non plus, de la bigamie à ses trois enfants qui ignorent d’ailleurs le remariage de leur père.
[56] Incidemment, il est intéressant de constater que le 17 avril 2009, moins de deux mois après le décès de M. M..., Mme V... indique dorénavant à sa déclaration fiscale soumise aux autorités fédérales qu’elle est mariée.
[57] À la lumière de la preuve, le Tribunal conclut que Mme V... a été informée pour la première fois des problèmes affectant la validité du certificat de divorce, soit le 18 septembre 2008 lorsqu’elle a noté en présence de Me Moisan la suppression de l’entrée 152 au plumitif, soit au moment du décès de M. M.... Auparavant, tout porte à croire qu’elle se considérait divorcée.
[58] Mme V... se contredit aussi sur l’époque où elle a appris le remariage de M. M....
[59] Dans sa requête introductive d’instance, elle allègue n’en avoir eu connaissance qu’au moment de la réception de son certificat de décès[15]. À l’audience, elle affirme pourtant que M. M... le lui a appris alors qu’il était hospitalisé en 2008.
[60] Compte tenu de ces faits ainsi que de la bonne foi apparente de Mme N..., il n’y a pas lieu de prononcer les dépens en faveur de Mme V....
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
ACCUEILLE la demande;
DÉCLARE la nullité du certificat de divorce émis le 20 janvier 2002;
ORDONNE au Directeur de l’état civil de biffer la mention au certificat de mariage des parties précisant que le mariage a été dissous par le divorce pour y substituer une mention voulant qu’il a été dissous par le décès de M. M...;
SANS FRAIS.
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__________________________________ ANDRÉ PRÉVOST, J.C.S. |
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Me Élaine Bissonnette |
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Bissonnette Chiquette et Associés |
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Pour la demanderesse |
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M. A... B... |
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Pour lui-même |
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Me Éric Dufour |
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Direction générale des Affaires juridiques et législatives |
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Pour le mis en cause |
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Me Jean El Masri |
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El Masri Dugal |
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Pour la mise en cause |
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Me Mario Laprise |
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Régie des rentes du Québec |
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Dates d’audience : |
Les 23 et 24 novembre 2009 |
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[1] Loi sur le divorce, S.R. 1970, ch. D-8.
[2] M-3A.
[3] À l’audience, Me Andrew Heft, alors avocat de M. M..., confirme la réception du certificat. Me Linda Hammerschmidt , alors avocate de Mme V..., n’a pas été appelée comme témoin.
[4] Cette procédure est préparée par Mme V... personnellement.
[5] M-3.
[6] 1997, selon Mme V....
[7] P-2.
[8] Vraisemblablement à la fin de février ou a début de mars.
[9] Droit
de la famille 152,
[10] Droit
de la famille 441,
[11] Mainville
c. Monfette,
[12] Témoignage de Me Andrew Heft.
[13] M.
TÉTRAULT,
[14] Si les indications contenues aux rapports destinés au Québec peuvent porter à confusion (M-5 à
M-10), celles que l’on retrouve aux déclarations fédérales sont précises (M-11 et M-12).
[15] Par. 24.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.