Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier
Résidences-hôtellerie Harmonie inc

Résidences-hôtellerie Harmonie inc. c. Résidences-hôtellerie RGL, s.e.c.

2009 QCCS 5250

 

COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC                                                                         

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

NO°:

500-17-043320-087

 

DATE :

18 NOVEMBRE 2009

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

 MARTIN CASTONGUAY, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

LES RÉSIDENCES-HÔTELLERIE HARMONIE INC.

                                               Demanderesse-intimée

c.

LES RÉSIDENCES-HÔTELLERIE R.G.L., SEC

et

9156-9244 QUÉBEC INC.

et

PIERRE LABELLE

et

SIMON LABELLE

et

ANDRÉ IBGHY

et

BOUTHILLETTE PARIZEAU & ASSOCIÉS INC.

et

MENUISERIE CHATIGNY INC.

et

DESMAR INC.

et

CONSTRUCTION OPÉRA INC.

et

ISOLATION ALGON (2000) INC.

et

QUALUM INC.

                                               Défendeurs  

et

QUADRAX CONSTRUCTION INC.      

                                               Défenderesse-requérante

 

JUGEMENT [*]

[1]                Le 14 mai 2009, les requérants Simon Labelle, Pierre Labelle et Quadrax Construction inc. (« Quadrax ») déposaient une requête en rejet d'action pour chacun d'eux en vertu des articles  75.1 et 75.2 du Code de procédure civile du Québec.

[2]                L'audition de ces requêtes débute le 3 juin 2009 mais est reportée à la demande de Les Résidences-Hôtellerie Harmonie inc. (« Harmonie »).

[3]                Lors de la reprise, soit 27 juillet 2009, celle-ci déposait une requête introductive d'instance amendée lesquels amendements furent autorisés par le tribunal;

[4]                Quadrax, Pierre Labelle et Simon Labelle ont également modifié leurs requêtes en vue de refléter les amendements apportés au Code de procédure civile, ces requêtes se basant dès lors sur les nouveaux articles 54.1 et suivant C. p. c.

[5]                L'article 54.1 C. p. c. est ainsi libellé :

54.1. Les tribunaux peuvent à tout moment, sur demande et même d'office après avoir entendu les parties sur le point, déclarer qu'une demande en justice ou un autre acte de procédure est abusif et prononcer une sanction contre la partie qui agit de manière abusive.

 

L'abus peut résulter d'une demande en justice ou d'un acte de procédure manifestement mal fondé, frivole ou dilatoire, ou d'un comportement vexatoire ou quérulent. Il peut aussi résulter de la mauvaise foi, de l'utilisation de la procédure de manière excessive ou déraisonnable ou de manière à nuire à autrui ou encore du détournement des fins de la justice, notamment si cela a pour effet de limiter la liberté d'expression d'autrui dans le contexte de débats publics.

[6]                Le litige mû entre les parties fait suite à l'acquisition par Harmonie d'un immeuble à vocation résidentielle pour personnes âgées et pour lequel elle se plaint de diverses malfaçons.

[7]                Ainsi non seulement poursuit-elle son vendeur, Les Résidences-Hôtellerie R. G. L., SEC (« RGL »), ainsi que Pierre et Simon Labelle, mais également diverses personnes ayant participé à la construction, tels :

-         André Ibghy : plans d'architecte;

-         Bouthillette Parizeau & associés : ventilation;

-         Menuiserie Chatigny inc. : installation fenêtres;

-         Desmar inc. : revêtement d'imperméabilisation;

-         Construction Opéra inc. : pentes de béton;

-         Isolation Algon  (2000) inc. : système d'étanchéité;

-         Qualum inc. : fournisseur de fenêtres.

Le montant qu'elle réclame s'élève à quelque 5 240 440,60 $.

[8]                Cette responsabilité que Harmonie attribue à tous les défendeurs, dont les requérants, découle des articles 2118 et 2120 du Code civil du Québec :

2118. À moins qu'ils ne puissent se dégager de leur responsabilité, l'entrepreneur, l'architecte et l'ingénieur qui ont, selon le cas, dirigé ou surveillé les travaux, et le sous-entrepreneur pour les travaux qu'il a exécutés, sont solidairement tenus de la perte de l'ouvrage qui survient dans les cinq ans qui suivent la fin des travaux, que la perte résulte d'un vice de conception, de construction ou de réalisation de l'ouvrage, ou, encore, d'un vice du sol.

 

2120. L'entrepreneur, l'architecte et l'ingénieur pour les travaux qu'ils ont dirigés ou surveillés et, le cas échéant, le sous-entrepreneur pour les travaux qu'il a exécutés, sont tenus conjointement pendant un an de garantir l'ouvrage contre les malfaçons existantes au moment de la réception, ou découvertes dans l'année qui suit la réception.

 

[9]                Voici les allégués les plus pertinents et sur lesquels se base Harmonie pour conclure à la responsabilité de Quadrax, Pierre Labelle et Simon Labelle.

[10]           Quant à Quadrax :

« 5.         La défenderesse Quadrax Construction inc. (« Quadrax ») a agi dans les faits comme entrepreneur général et constructeur, a dirigé les travaux et exercés les fonctions d'entrepreneur général, et non comme simple mandataire des vendeurs, de l'immeuble; elle est étroitement liée aux vendeurs et plus particulièrement :

-                elle a son siège à la même adresse que celui du siège ou domicile des vendeurs;

-                elle est l'un des commanditaires de la défenderesse Les Résidences-Hôtellerie R.G.L., S.E.C.;

-                son président, administrateur et actionnaire majoritaire, le défendeur Pierre Labelle, est administrateur de la défenderesse 6156-9244 Québec inc. et le conjoint d'Henriette Roy, aussi administratrice de cette dernière;

-                depuis la vente, pièce P-1, et tel que relaté dans les paragraphes qui suivent, ses deux principaux représentants, Pierre Labelle et son fils Simon, défendeurs en l'instance, ont agi comme représentants des vendeurs dans la très grande majorité des demandes, discussions et communications avec Harmonie;

Le tout tel qu'il appert entre autres des relevés du CIDREQ déjà communiqués en liasse comme pièce P-2 et de celui relatif à Quadrax, communiqué au soutien des présentes comme pièce P-3. »

 

« 5A.       Le rôle d'entrepreneur général de la défenderesse Quadrax dans la construction de l'immeuble est notamment plus amplement décrit par la défenderesse Quadrax elle-même dans son journal, QuadNeuf, disponible sur son site internet, lequel fait état du contrat clé en main (et non en gérance de construction) qu'elle a réalisé pour cet immeuble, tel qu'il appert des extraits du journal QuadNeuf, pièce P-43. »

 

« 94.2     Relativement à Quadrax Construction inc.

               a)     elle a […] , dans les faits, agi comme entrepreneur général et constructeur, dirigé les travaux et exercé les fonctions d'entrepreneur général d'un immeuble affecté de vices graves de conception, de construction et de réalisation, de la nature de ceux visés à l'article 2118 du Code civil du Québec, et de malfaçons de la nature de celles visées à l'article 2120 C.c.Q.; »

               […]

               [Les soulignés représentent les amendements du 29 juin 2009]

 

[11]           Quant à Pierre Labelle :

« 3.         Les principaux représentants des vendeurs, soit André Gagné, Jean-Robert Gagné, Henriette Roy et le défendeur Pierre Labelle sont très familiers avec ce type d'immeuble et d'entreprise, étant ou ayant été impliqués dans la construction ou l'exploitation de plusieurs résidences pour personnes âgées, dont celles connues sous  les noms de Villa Val des Arbres à Laval, Villa Saguenay et Villa Jonquière; en conséquence, les vendeurs doivent, aux fins de cette vente, pièce P-1, être considérés comme des vendeurs professionnels. »

 

« 94.3     Relativement à Pierre Labelle

a)      il a sciemment caché à Harmonie des informations pertinentes et essentielles dans le cadre de la vente, relativement à la nature et l'étendue des infiltrations qui se sont produites avant la vente, engageant ainsi sa responsabilité personnelle;

b)     il a sciemment induit Harmonie en erreur relativement à l'état de l'immeuble lors de la vente et à la qualité de sa construction et a faussement rassuré ses représentants à cet égard, engageant ainsi sa responsabilité personnelle;

c)     il a agi de mauvaise foi envers Harmonie, avec insouciance, négligence et incurie, dans le cadre des relations qui ont suivi la vente, lui promettant de corriger les vices et malfaçons sans tenir promesse, la retardant inutilement dans l'exécution des travaux lui causant des troubles et inconvénients, de même qu'aux résidents de l'immeuble, etc., engageant ainsi sa responsabilité personnelle;

d)     généralement, il a fait preuve d'insouciance, de négligence et d'incurie de façon fautive, engageant ainsi sa responsabilité personnelle;

[12]           Quant à Simon Labelle :

« 94.4     Relativement à Simon Labelle

       a)     tel que plus amplement relaté aux présentes, il a agi, comme chargé de projet, de façon grossièrement négligente et incompétente lors de la construction de l'immeuble et par la suite, plus particulièrement :

            i)          en acceptant d'agir à titre de gérant de projet dans le cadre de la construction de l'immeuble, alors qu'il n'avait manifestement pas les compétences requises à cet égard, soit une bonne connaissance du domaine de la construction en général, une très bonne connaissance des plans et devis, des aptitudes de gestion, de leadership et d'organisation, engageant ainsi sa responsabilité personnelle;

            ii)         en omettant de superviser adéquatement le déroulement des travaux, de s'assurer que ceux-ci soient exécutés selon les règles de l'art et conformément aux documents contractuels et selon les exigences des fournisseurs, manufacturiers, etc., engageant ainsi sa responsabilité personnelle;

b)      il a agi de mauvaise foi envers Harmonie dans le cadre des relations qui ont suivi la vente, lui promettant de corriger les vices et malfaçons sans tenir promesse, la retardant inutilement dans l'exécution des travaux, lui causant des troubles et inconvénients, de même qu'aux résidents de l'immeuble, etc., engageant ainsi sa responsabilité personnelle;

c)      généralement, il a fait preuve d'insouciance, de négligence et d'incurie de façon fautive, engageant ainsi sa responsabilité personnelle; »

 

POSITION DES PARTIES

[13]           Quadrax soutient que la requête introductive d'instance de Harmonie est frivole et abusive puisque celle-ci recherche sa responsabilité à titre d'entrepreneur alors que le seul contrat la liant à RGL en est un de gérance et que, dès lors, sa responsabilité ne saurait être retenue en vertu des articles 2118 et 2120 C. c. Q.

[14]           Harmonie soutient que dans les faits Quadrax a agi à titre de constructeur, ce qu'une preuve complète lui permettrait de démontrer.

[15]           Pierre et Simon Labelle pour leur part, même s'ils admettent leur qualité de représentants, affirment qu'en aucun temps les interrogatoires de Richard Boivin (« Boivin) et Serge Côté (« Côté ») tenus avant défense ne révèlent une faute de nature à engager leur responsabilité personnelle.

[16]           En ce qui concerne Pierre et Simon Labelle, Harmonie soutient principalement qu'ils ont été de mauvaise foi dans la négociation ayant entouré son achat de l'immeuble de RGL, et que de plus Simon Labelle aurait fait preuve d'incompétence au chapitre de la construction de l'immeuble.  Dès lors, elle se déclare justifiée de rechercher leur responsabilité extracontractuelle.

[17]           Harmonie avance que les présentes requêtes doivent être analysées comme si elles étaient proposées suivant l'article 165(4) C. p c., c'est-à-dire que le Tribunal doit tenir pour avérés les faits allégués à la requête introductive d'instance.

 

LE DOSSIER DANS SON ÉTAT ACTUEL

Quadrax

[18]           Pour appuyer sa requête Quadrax produit un contrat de gérance la liant à RGL intervenu le 2 juin 2003[1]où il est prévu ce qui suit :

« ARTICLE A-3          LE GÉRANT DE LA CONSTRUCTION À TITRE D'AGENT

a)         Le Gérant de la construction déclare qu'il possède les connaissances et l'expérience voulues pour la gestion du genre de construction nécessaire pour le projet.  Le Gérant de la construction reconnaît que ses services sont retenus par le Maître de l'ouvrage à cause de ses connaissances spécialisées et de sa compétence en cette matière.

b)         Le Maître de l'ouvrage désigne le Gérant de la construction comme son mandataire autorisé à agir en son nom conformément aux dispositions de la présente convention et aux fins de la gestion de la construction de l'ouvrage décrit à l'ARTICLE A-4 ÉTENDUE DE L'OUVRAGE. »

De même que l'article 2.1 des Conditions générales du marché de gestion de la construction :

« 2.1    Le Gérant de la construction doit rendre les services suivants au cours de chacune des trois étapes décrites ci-dessous, mais ce faisant, il n'assume aucune responsabilité et n'offre aucun conseil spécialisé concernant la conception du projet, y compris tous les aspects architecturaux ou techniques, quels qu'ils soient, qui seront de la responsabilité du Professionnel et du Maître de l'ouvrage. »

 

[19]           Ce contrat, selon Quadrax, constitue la preuve qu'elle ne peut être une des personnes visées aux articles 2118 et 2120 C. c. Q. n'ayant pas agi à titre d'entrepreneur, mais plutôt comme gérant de projet.

[20]           En revanche Harmonie soutient que la relation de gérance entre Quadrax et RGL n'est que pure fiction juridique puisque toutes deux ont leur siège social à la même adresse, et qu'en outre Quadrax est l'un des commanditaires de RGL.  Qui plus est, Pierre Labelle et Simon Labelle représentants de RGL sont également impliqués dans Quadrax.

[21]           Harmonie produit également dans le cadre de la présente requête un extrait du site internet de Quadrax[2] où celle-ci s'identifie alternativement comme entrepreneur général, consultant ou gérant de projet.

[22]           Ce même extrait du site internet de Quadrax fait état de la réalisation du projet Harmonie, celui-là même faisant l'objet du présent recours, sans toutefois préciser la qualité de Quadrax dans le cadre de ce projet contrairement à ce que plaide Harmonie.

 

Pierre Labelle et Simon Labelle

[23]           Les requérants ont produit les interrogatoires de Boivin tenu le 19 janvier 2009 et le 24 avril 2009 de même que celui de Côté tenu le 24 avril 2002[3].

[24]           Côté est un employé ayant participé à la supervision de certains travaux correctifs une fois la transaction entre Harmonie et RGL finalisée.

[25]           Boivin pour sa part se décrit comme directeur aux investissements chez Harmonie à l'époque de la transaction[4].

[26]           Toujours lors de cet interrogatoire il précise qu'il était responsable de la négociation des offres d'achat, de la vérification et finalement de la fermeture de la transaction[5].

[27]           Plus particulièrement il précise ceci[6] :

« Q.     Qui était en charge de la vérification diligente de l'immeuble?

   R.     La supervision, c'est moi. »

 

Plus loin quant à cette vérification diligente[7] :

« Q.     Dans le cadre de la vérification diligente, avez-vous, à votre satisfaction, obtenu l'ensemble de la documentation et les informations que vous avez requises?

   R.     Je dirais oui. »

 

[28]           En ce qui a trait à ses discussions avec soit Pierre Labelle, soit Simon Labelle il rapporte ceci[8] :

« R.     Monsieur Labelle.  Excusez, je vais… oui, j'ai parlé avant la transaction, j'ai eu à parler avec monsieur Labelle au téléphone, oui.

   Q.     À quel sujet?

   R.     À quel sujet, les coûts d'énergie.

   Q.     À quel monsieur Labelle?

   R.     Monsieur Pierre Labelle.

   Q.     Avez-vous eu à parler avec d'autres représentants des vendeurs avant la transaction du premier (1er) juin deux mille cinq (2005)?

   R.     À ce que je me souvienne, non.

   Q.     Aucune communication de quelque ordre que ce soit, au meilleur de votre souvenance?

   R.     Non.

            Et plus loin[9] :

« Q.     Donc, il n'y avait pas de représentations particulières qui vous avaient été faites par Pierre Labelle eu égard à la consommation?

   R.     Bien, c'est des documents qui nous on été fournis…

   Q.     Documents qui vous ont été fournis.

   R.     fournis par le vendeur.

   […]

   Q.     C'est la seule conversation que vous avez eue avec monsieur Pierre Labelle avant la transaction?

   R.     Avant le closing, oui.

   Q.     Avez-vous eu des discussions avec Simon Labelle?

   R.     Du tout.

   Q.     Avant la transaction?

   R.     Du tout. »

[29]           L'interrogatoire avant défense ne révèle donc qu'une seule conversation téléphonique entre Pierre Labelle et Boivin, celle-ci ayant trait aux coûts énergétiques de l'immeuble, et aucune communication entre Boivin et Simon Labelle.

[30]           Ce même interrogatoire révèle l'implication de plusieurs personnes chez Harmonie dans le cadre de cette transaction, que ce soit au niveau de l'analyse financière ou encore de la fixation du prix.  Au même titre, plusieurs intervenants externes ont été consultés par Harmonie quant à l'état du bâtiment.

 

ANALYSE

[31]           L'article 54.1 C. p. c. est de droit nouveau et permet aux tribunaux d'intervenir « à tout moment » pour déclarer qu'une demande en justice est abusive.

[32]           L'article 54.1 C. p. c. a été adopté dans la mouvance des anciens articles 75.1 et 75.2 C. p. c. et il s'ensuit que le tribunal doit tenir compte également des interrogatoires.  L'interpréter autrement serait contraire à la logique du législateur qui, lorsqu'il précise « a tout moment », sous-entend que le tribunal doit faire reposer son analyse sur l'ensemble du dossier alors constitué.

[33]           Cette constatation est incompatible avec la proposition de Harmonie visant à mettre de côté la preuve révélée par les interrogatoires pour se reposer uniquement sur les allégués de la requête introductive d'instance.

[34]           Le juge Banford dans une affaire toute récente[10] également saisi d'une requête suivant l'article 54.1 C. p. c. avait tenu compte d'un interrogatoire avant défense pour rejeter semblable requête.

[35]           Le nouvel article 54.1 C. p. c. en vigueur depuis l'été 2009 a déjà fait l'objet d'interprétation par nos tribunaux.  Ces interprétations ne diffèrent pas fondamentalement de ce qui avait cours auparavant, soit la prudence du Tribunal dans l'exercice de sa discrétion judiciaire.

[36]           Cette invitation à la prudence se révèle même de l'article 54.3 C. p. c. qui autorise le Tribunal à imposer certaines conditions quant à la poursuite du recours.

[37]           Par ailleurs, l'article 54.2 C. p. c. opère un renversement du fardeau de preuve lorsqu'une « partie établit sommairement que la demande en justice ou l'acte de procédure peut constituer un abus ».  Dès lors, il revient à l'auteur de cet acte de procédure d'établir que son geste n'est pas excessif.

[38]           Qu'en est-il de ces principes quant à chacun des requérants?

 

Quadrax

[39]           Harmonie allègue que Quadrax était dans les faits l'entrepreneur général, la preuve cependant fait plutôt état d'un contrat de gérance.

[40]           Il n'en demeure pas moins que le dossier dans son état actuel révèle des liens étroits entre Quadrax et RGL.

[41]           Le Tribunal retient l'argument de Harmonie qu'elle peut, en tant que tiers, contester la portée limitative du contrat.

[42]           L'état actuel du dossier révèle suffisamment de liens entre Quadrax et RGL pour que le Tribunal fasse preuve de circonspection.  Le juge du fond qui entendra une preuve complète sera, certes, mieux placé pour qualifier l'étendue des relations ayant cours entre Quadrax et RGL, et par le fait même pour qualifier le contrat entre ceux-ci.

[43]           Le Tribunal conclut que Harmonie a démontré que sa procédure n'est pas excessive ou déraisonnable, et en conséquence la requête de Quadrax sera rejetée.

 

Pierre Labelle et Simon Labelle

[44]           La situation quant à ces deux « représentants » est tout autre.

[45]           Le recours de Harmonie est principalement fondé sur des vices cachés et de la malfaçon.  Les articles 2118 et 2120 C. c. Q. sont clairs quant à l'identité des responsables des dommages subis par un propriétaire en raison de ces malfaçons.  Pierre et Simon Labelle en leur qualité de représentants de la venderesse ne sont pas visés par ces articles.

[46]           Reste leur responsabilité extracontractuelle.

 

 

[47]           Dans ses procédures Harmonie avance ce qui suit quant à Pierre Labelle :

-        il est un vendeur professionnel;

-        il a caché certains faits relatifs à des infiltrations d'eau;

-        il a induit en erreur Harmonie sur l'état de l'immeuble;

-        Il a été de mauvaise foi et a agi avec incurie et insouciance.

[48]           Pour Simon Labelle, les reproches sont les suivants :

-        incompétence à titre de chargé de projet;

-        mauvaise foi dans ses relations avec Harmonie quant à des travaux correctifs.

[49]           Ces reproches relèvent plus d'un contexte général et ne sont supportés d'aucun fait précis suffisamment grave susceptible d'engager leur responsabilité personnelle tel que le démontre l'interrogatoire de Boivin.  En fait, cet interrogatoire ne révèle qu'une conversation téléphonique entre Boivin et Pierre Labelle sur un sujet autre que les infiltrations d'eau et aucune communication entre Boivin et Simon Labelle.

[50]           Rappelons que l'article 54.2 C. p. c. opère un renversement de preuve et il revenait à Harmonie d'établir que « son geste n'est pas exercé de manière excessive ou déraisonnable et se justifie en droit ».

[51]           En recherchant cette responsabilité extracontractuelle Harmonie doit établir la faute, le lien de causalité et le dommage.

[52]           La sémantique utilisée par Harmonie dans ses reproches à Pierre et à Simon Labelle ne change rien au fait qu'il s'agisse d'allégués généraux puisque le seul point précis allégué (infiltration d'eau) n'est supporté par aucune preuve.

[53]           À cet égard, il faut souligner que les deux déposants à ces interrogatoires avant défense ont été sinon proposés par Harmonie, à tout le moins avancés par celle-ci.

[54]           Harmonie plaide que de nouveaux interrogatoires à être tenus ultérieurement pourraient révéler des éléments précis de nature à supporter ses prétentions à l'égard de Pierre et Simon Labelle.

[55]           Le principe même du législateur dans l'introduction des nouveaux articles 54.1 C. p. c. et suivant est justement d'empêcher des poursuites abusives basées sur des allégués généraux à l'égard desquels le justiciable doit se défendre jusqu'au procès, le tout lui occasionnant des frais considérables.

[56]           Il revenait à Harmonie de démontrer dans le cadre des présentes requêtes que son recours contre Pierre et Simon Labelle n'est pas abusif.  Non seulement celle-ci ne s'est pas acquittée de cette tâche, mais en plaidant que d'autres interrogatoires à venir pourraient supporter ses prétentions, elle admet que le dossier tel que constitué ne justifie pas le recours contre Pierre et Simon Labelle.

[57]           Le Tribunal ne peut spéculer sur le résultat d'interrogatoires futurs, mais doit traiter les requêtes en fonction du dossier tel qu'il est constitué.

 

[58]           Le Tribunal conclut que Harmonie ne s'est pas déchargée du fardeau d'établir qu'elle n'a pas agi de manière excessive en recherchant la responsabilité extracontractuelle de Pierre Labelle et Simon Labelle, et en conséquence, accueillera les requêtes de ceux-ci.

 

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[59]           REJETTE la requête de Quadrax Construction inc. visant le rejet de la requête introductive d'instance par les Résidences-Hôtellerie Harmonie inc.;

[60]           Avec dépens;

[61]           ACCUEILLE la requête en rejet d'action de Pierre Labelle et rejette la requête introductive d'instance de Les Résidences-Hôtellerie Harmonie inc. quant à Pierre Labelle;

[62]           Avec dépens;

[63]           ACCUEILLE la requête en rejet d'action de Simon Labelle et rejette la requête introductive d'instance de Les Résidences-Hôtellerie Harmonie inc. quant à Simon Labelle;

[64]           Avec dépens.

 

 

__________________________________

MARTIN CASTONGUAY, J.C.S.

 

Me Louise Comtois

Gascon & associés

Avocat de Les Résidences-Hôtellererie Harmonie inc.

 

Me Robert Caron

spiegel sohmer

Avocat de Pierre Labelle, Simon Labelle et Quadrax Construction inc.

 

Dates d’audience :

Le 3 juin 2009 et le 27 juillet 2009

Pris en délibéré le 27 juillet 09

 



[*] Pour alléger le texte et non par discoutoisie, les protagonistes autres que Pierre Labelle et Simon Labelle seront désignés uniquement par leur patronyme.



[1] Pièce R-3.

[2] Pièce P-43.

[3] Pièce R-2.

[4] Pièce R-2, interrogatoire de Richard Boivin du 19 janvier 2009, p. 13.

[5] Supra note 4, p.15.

[6] Supra note 4, p. 26.

[7] Supra note 4, p. 54.

[8] Supra note 4, p. 71.

[9] Supra note 4, p.83-84-85.

[10] Centre hospitalier Robert-Giffard c. Gestion Francis Carrier inc., 2009 QCCS 3131.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.