Montréal (Ville de) c. Société d'énergie Foster Wheeler ltée

2011 QCCA 1815

 

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-09-019145-085

(500-05-020674-964)

 

DATE :

Le 3 octobre 2011

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

YVES-MARIE MORISSETTE, J.C.A.

JULIE DUTIL, J.C.A.

LORNE GIROUX, J.C.A.

 

 

VILLE DE MONTRÉAL

APPELANTE - INTIMÉE INCIDENTE - Défenderesse

c.

 

LA SOCIÉTÉ D'ÉNERGIE FOSTER WHEELER LTÉE

INTIMÉE - APPELANTE INCIDENTE - Demanderesse

 

 

ARRÊT

 

 

I.    INTRODUCTION

[1]           L'appelante Ville de Montréal (« Montréal ») se pourvoit contre un jugement de la Cour supérieure rendu le 7 octobre 2008 dans le district de Montréal, (l'honorable Jean Normand)[1]. Ce jugement accueille en partie la requête introductive d'instance de l'intimée Société d'énergie Foster Wheeler ltée (« SEFW »), qui réclamait de l'appelante 62 291 257 $ en réparation du préjudice résultant de la résiliation, selon elle fautive, de deux contrats conclus entre les parties le 22 décembre 1992 : un contrat de conception et de construction d'installations de traitement des déchets municipaux (le « contrat P-8 ») et un contrat de service pour la gestion, l’exploitation et l’entretien de ces mêmes installations (le « contrat P-9 »). Donnant plutôt effet aux indemnités de résiliation prévues aux contrats, le juge de première instance a limité la condamnation de l'appelante à 10 000 000 $ avec les intérêts, l'indemnité additionnelle et les dépens (à l'exclusion des frais d'expertise).

[2]           SEFW a quant à elle formé un appel incident dont la conclusion principale demande à la Cour de hausser le montant de la condamnation à 28 012 634 $.

[3]           Pour les motifs qui suivent, il y a lieu de faire droit au pourvoi principal, de rejeter le pourvoi incident, d’infirmer le jugement entrepris, de réduire le montant de la condamnation à une somme de 970 832 $ et de réformer en conséquence le dispositif sur les frais d’expertise.

[4]           En première instance, l’intimée a poursuivi la Régie intermunicipale de gestion des déchets sur l’Île de Montréal (« la Régie ») et la Société intermunicipale de gestion des déchets de l’île de Montréal (« la SIGED »), deux personnes morales aux droits et obligations desquelles succéda ultérieurement Montréal. Commencé en juin 1996, le litige fut ponctué de plusieurs jugements et appels interlocutoires, dont l’un a fait l’objet d’un pourvoi à la Cour suprême du Canada. L’appel et l’appel incident dont la Cour est maintenant saisie attaquent le jugement au fond rendu à l’issue d’un procès de 358 jours. Ce dossier n’est donc pas exempt de complexité. Comme on le verra plus loin, il comporte pour principale difficulté l’interprétation de certaines clauses contractuelles négociées dans un cadre légal et réglementaire relatif à la gestion des déchets municipaux et à la protection de l’environnement.

II.   FAITS À L’ORIGINE DU LITIGE

[5]           Le juge de première instance consacre les 327 premiers paragraphes de ses motifs à un exposé complet des circonstances qui ont donné naissance au litige. Aussi suffira-t-il à cette étape de donner un compte rendu concis des faits en cause. Comme on le verra plus loin, il y aura lieu de revenir en divers endroits dans le corps des motifs qui suivent sur les circonstances plus directement pertinentes aux questions soulevées par les pourvois.

[6]            En 1984, douze municipalités de la banlieue de l'Île de Montréal concluaient une entente intermunicipale afin de se doter d'une politique commune de gestion des matières résiduelles sur leurs territoires, notamment par la création d'une Régie dont le principal objectif serait la construction et l'exploitation d'un centre intermunicipal d'élimination des déchets. Cette entente fut approuvée par le ministre de l'Environnement le 25 avril 1985 et la Régie fut créée par décret le 25 mai de la même année.

[7]           Les pouvoirs de la Régie sont ceux prévus par la loi[2] et son conseil d'administration est constitué des maires de municipalités de l’Île de Montréal. La Régie se compose également d’un comité exécutif de sept membres nommés par le conseil d'administration aux deux tiers des voix; ce comité exerce certains pouvoirs à l'exclusion du conseil d'administration[3]. Au fil des ans, 14 autres municipalités adhéreront à l'entente intermunicipale. Sur l'Île de Montréal, seules les municipalités de Montréal et de Montréal-Nord n’en feront pas partie.

[8]           Dans sa première version, le projet de construction et d'exploitation du centre intermunicipal de traitement des matières résiduelles (« le Projet ») devait relever entièrement de la responsabilité d’une entreprise privée, qui serait la propriétaire et l'exploitante des installations. Le rôle de la Régie devait se limiter à fournir les matières résiduelles.

[9]           En 1988, après une invitation publique de qualification, la Régie entama l'étude des candidatures. À l’issue de ce processus, elle retint la proposition du groupe Foster Wheeler (« FW »), un conglomérat d'ingénierie de dimension internationale spécialisé dans la conception, la construction et la gestion d'usines de ce type. La Régie entreprit alors des négociations avec FW en vue de parfaire les caractéristiques du Projet qui devait comprendre trois composantes: un centre d'élimination, un centre de tri des matières recyclables et un centre de compostage. La proposition initiale de FW se chiffrait à 195 930 573 $. Cette proposition prévoyait comme procédé d'élimination des déchets la construction d'un incinérateur à grande capacité qui produirait de l'électricité par récupération de la chaleur; elle portait en outre sur la construction des installations ainsi que leur exploitation et leur entretien pendant une période de 20 ans.

[10]        Bien qu'à l'époque les coûts d'incinération projetés aient représenté presque le double des coûts d'enfouissement sanitaire, la Régie estimait que la fermeture anticipée de certains lieux d'enfouissement (dont la carrière Miron) et l'impossibilité « d'exporter » les déchets des municipalités de l'Île de Montréal militaient en faveur d'une solution insulaire. En toute hypothèse, l'augmentation des coûts d'élimination s'avérerait inévitable.

[11]        Le 19 novembre 1990, la Régie avisait le ministère de l'Environnement du Québec (le « MEQ ») qu'elle préférait assumer les responsabilités de promotrice et de propriétaire des installations. FW se bornerait dès lors à construire et à exploiter les installations aux termes des contrats à intervenir, et le Projet deviendrait de ce fait un programme public plutôt que privé (ce que les parties appelleront « la variante »). Ce changement d'approche avait pour conséquence un accroissement des obligations de la Régie, en particulier pour ce qui concernait le financement du Projet, le choix d’un site pour les installations et la responsabilité des démarches nécessaires à l'obtention des certificats et des permis gouvernementaux requis par la loi.

[12]        La variante comportait aussi comme conséquence une majoration du prix de construction puisque FW perdait la valeur résiduelle des installations dont elle ne serait plus propriétaire. Par ailleurs, la Régie demandait divers changements aux composantes des installations envisagées, changements qui eux aussi entraîneraient des hausses de coûts. On mentionnait alors une augmentation de près de 32 000 000 $ du prix initialement proposé FW.

[13]        Le 30 novembre 1990 était constituée l’intimée SEFW, en vertu de la Partie 1A de la Loi sur les compagnies[4], pour réaliser le Projet[5]. À la même époque, la Loi concernant la Régie intermunicipale de gestion des déchets sur l'Île de Montréal était modifiée[6] afin de permettre à la Régie de créer une compagnie, la SIGED, qui deviendrait son bras opérationnel. Cette dernière serait mise sur pied le 9 décembre 1992, toujours en vertu de la Partie 1A de la Loi sur les compagnies.

[14]        Aux termes d’une entente de principe du 26 juillet 1991, le coût de la construction de l'incinérateur et du centre de tri fut fixé à 221 085 860 $. La construction du centre de compostage était reportée, faute d'avoir trouvé un emplacement satisfaisant pour sa construction. Toutefois, ces hausses de coûts ne faisaient pas l'unanimité au sein des membres de la Régie, car le tarif de disposition des déchets augmentait à 72 $ la tonne en 1991. Certains membres, dont le maire de Dollard-des-Ormeaux, M. Edward Janiszewski, et le maire de Saint-Léonard, M. Frank Zampino, étaient donc fermement opposés au Projet, surtout en raison de considérations financières.

[15]        À la suite du dépôt au printemps 1992 d’études préliminaires de faisabilité et d’impacts sur l’environnement, et après obtention de l'autorisation du ministre des Affaires municipales, la SIGED et SEFW signèrent le 22 décembre 1992 les contrats P-8 et P-9. Quelques jours plus tôt, la SIGED avait conclu un contrat d'achat d'électricité avec Hydro-Québec pour écouler l'électricité provenant de l'incinération; ce contrat, comme on le verra, était essentiel à la viabilité financière du Projet. La Régie se portait par ailleurs caution des obligations de la SIGED.

[16]        En vertu du contrat P-8, la construction des installations ne pouvait débuter avant que plusieurs conditions préalables ne soient satisfaites. L’accomplissement de certaines conditions était de la responsabilité de la SIGED, alors que d'autres relevaient de SEFW. Ces conditions, énoncées aux paragraphes 3.1 et 3.2 du contrat P-8, seront décrites plus loin avec les clauses pertinentes du contrat.

[17]        Les contrats signés, les parties s’activèrent en vue d'assurer la réalisation des conditions, dont la plus importante était l'obtention d'un certificat d'autorisation environnementale. La délivrance de ce certificat par le gouvernement était essentielle : sans elle, il n'y aurait pas de Projet.

[18]        À l'occasion du processus d’évaluation environnementale préalable à la délivrance du certificat d'autorisation du gouvernement, le Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (« BAPE ») tint des audiences publiques. Le 28 juillet 1993, il transmettait ses recommandations sur le Projet au ministre de l'Environnement de l'époque, M. Pierre Paradis. Ses conclusions n’étaient guère encourageantes. Selon le BAPE, il fallait réévaluer le Projet qui ne pouvait être réalisé dans la forme prévue aux contrats. Dans une lettre au président du BAPE, le président de la commission chargé d'évaluer le Projet énonçait trois motifs à l'appui de ses conclusions :

     Au plan environnemental, le Projet ne préserverait pas au mieux les ressources et la capacité de l'incinérateur compromettrait l'application du programme dit des « 3R » (réduction, réutilisation et recyclage des matières résiduelles). De plus, la nécessité de rentabiliser l'incinérateur par la vente d'électricité pourrait entraîner une augmentation non souhaitable de la combustion de déchets.

     Au plan social, le Projet ignorait la problématique de la gestion des déchets sur l'Île de Montréal et les risques pour la santé n'avaient pas fait l’objet d’une comparaison rigoureuse avec les risques associés à d'autres options. En outre, le Projet ne favorisait pas la concertation et la responsabilisation des citoyens.

     Au plan économique, le Projet optait pour la solution la plus onéreuse (c’est-à-dire un tarif de disposition très élevé) et il entraînait des contraintes contractuelles coûteuses.

La recommandation la plus fondamentale favorisait la gestion unifiée des déchets solides pour l'ensemble des municipalités de l'Île de Montréal, alors que les villes de Montréal et de Montréal-Nord n’étaient pas membres de la Régie.

[19]        Le consensus au sein de la Régie, qui avait commencé à s'effriter avant même la signature des contrats P-8 et P-9, fut d'autant plus fragilisé par ces conclusions. Au rapport du BAPE s'ajoutait en juin 1993 une analyse coûts-bénéfices, effectuée à la demande des fonctionnaires du MEQ, qui fit ressortir qu'il en coûterait 100 000 000 $ de plus pour traiter les déchets selon la méthode préconisée par le Projet, plutôt que par l'enfouissement sanitaire.

[20]        Le 22 octobre 1993, un groupe de travail sur la gestion des matières résiduelles sur l'Île de Montréal était formé sous l'égide de la Communauté urbaine de Montréal (« CUM ») et sous la présidence de M. Louis Roquet. Le « rapport Roquet » fut rendu public le 20 janvier 1994. Il concluait que, pour décourager l'élimination des déchets et favoriser les 3R, certaines mesures s’imposaient :

     la construction d’un incinérateur sous-dimensionné (300 000 tonnes au lieu des 413 000 tonnes projetées au contrat P-8);

     l’imposition d’un tarif de disposition par incinération élevé, afin de décourager le recours à cette méthode;

     la dissociation de l’incinération et de la production d'électricité, afin de décourager l'incinération intensive;

     le recours à l'incinération uniquement à titre de mesure d'élimination de dernier ressort.

[21]        En d’autres termes, le Projet tel qu’envisagé par les contrats P-8 et P-9 n'était pas favorablement accueilli et, à partir de 1994, plusieurs maires des municipalités membres de la Régie s'y opposèrent en appuyant les recommandations du BAPE. La Régie, sous la présidence de M. Michel Leduc, maire de ville LaSalle, n’en poursuivait pas moins ses démarches auprès des autorités gouvernementales.

[22]        Cependant, en raison des recommandations du BAPE et du rapport Roquet, les discussions s'élargissaient. Ainsi, la Régie et la CUM explorèrent la possibilité d'harmoniser le Projet avec celui de Montréal, afin d'élaborer un scénario commun. Dans ce contexte, l'analyse du Projet au MEQ progressait lentement et les échéances, notamment celles pour réaliser les conditions préalables du contrat P-8, approchaient à grands pas.

[23]        Au cours de l'automne 1994, des élections générales portèrent au pouvoir un parti différent qui forma le gouvernement à Québec. Un nouveau ministre de l’Environnement, M. Jacques Brassard, entra en fonctions. Le président de la Régie, M. Leduc, lui écrivit le 14 octobre 1994 et lui dit souhaiter que le MEQ complète son analyse et se prononce sur le Projet dans les meilleurs délais. De son côté, vers la fin de l'année 1994, SEFW s'inquiétait des difficultés survenues dans la réalisation des conditions préalables à la mise en chantier du Projet.

[24]        Au début de l'année 1995, soit le 19 janvier, Hydro-Québec avisait la SIGED qu'elle était en défaut de respecter les échéances convenues au contrat d'achat d'électricité intervenu en 1992. Après lui avoir accordé un délai additionnel pour remédier aux défauts, Hydro-Québec résiliait ce contrat le 28 mars suivant.

[25]        Le 20 janvier, les avis de réserve inscrits sur les terrains de Montréal-Est qui auraient pu accueillir l'incinérateur et le centre de tri vinrent à échéance. Ils ne purent être renouvelés.

[26]        Le 22 février 1995, les maires des municipalités membres de la Régie se réunirent à Beaconsfield afin de faire le point sur le Projet. Il fut convenu que la Régie poursuivrait ses démarches auprès du ministre de l'Environnement afin d'obtenir une réponse au plus tard le 30 juin suivant. Toutefois, plusieurs maires étaient inquiets devant la perspective que la Régie ait à injecter des fonds additionnels dans le Projet. Le président Leduc, pourtant le principal promoteur du Projet, écrivit à SEFW le 24 mai pour l'aviser que la SIGED songeait à résilier les contrats si les démarches auprès du MEQ ne progressaient pas plus rapidement.

[27]        Au mois de juin, l'analyse environnementale n'était toujours pas complétée. La Régie ne tint aucune assemblée ni aucune réunion d'information pour discuter de la situation. Les maires qui en étaient membres reçurent plutôt un document intitulé « État de la situation ». Accompagné d'une lettre du président Leduc, ce document les informait qu’on pouvait espérer une décision du ministre de l'Environnement avant le 1er septembre suivant. La Régie, guidée par son président, poursuivit ses démarches, de sorte que le dossier du Projet se réactiva au MEQ.

[28]        Cela ne calma pas les inquiétudes des membres de la Régie. Ils savaient que les démarches se poursuivaient au MEQ, mais ils n’étaient pas informés des détails des discussions. Un malaise s'installa. Le président Leduc s’abstint de convoquer la tenue d’une séance spéciale en dépit d’une demande écrite en ce sens transmise le 13 novembre 1995 par le maire de Verdun, M. Georges Bossé, et les maires Janiszewski et Zampino. M. Leduc proposa plutôt la tenue une séance d'informations au début du mois de décembre. Or, une rumeur courait selon laquelle le Projet serait bientôt soumis au Conseil des ministres.

[29]        Le 23 novembre 1995, 16 maires membres de la Régie écrivirent au ministre de l’Environnement pour lui demander de surseoir à toute décision relative au Projet, du moins jusqu'à ce qu'ait eu lieu la séance d'information fixée pour le 2 décembre. Comme la Régie n'avait pas tenu d'assemblée depuis plus d'un an, les maires voulurent prendre la mesure de l'ensemble du dossier avant qu'une décision ne soit rendue. MM. Bossé et Zampino furent désignés comme porte-parole du groupe.

[30]        Il convient à ce stade de citer un assez long extrait du jugement de première instance sur le déroulement des événements dans les jours qui suivirent la demande du 13 novembre[7] :

2.13.6 Les croyances et la réalité

[195]    … ce que tous ignoraient à la Régie, chez les maires et chez FW et qui ne sera révélé que lors du procès, c'est que le Conseil des ministres ne s’est jamais penché sur la recommandation du ministre de l'Environnement.

[196]    Et rien n’était prévu au Conseil des ministres du 29 novembre pour le Projet de la Régie.

[197]    Par contre, le 29 novembre, un décret était adopté permettant l’expansion d’un site d’enfouissement situé à Lachenaie en périphérie de l’Île de Montréal, y autorisant l'admission de déchets en provenance de l’Île de Montréal. Mais cela, les maires allaient l’apprendre plus tard.

2.13.7 Recommandation du ministre de l’Environnement

[198]    De fait, le ministre de l’Environnement avait rédigé une recommandation favorable à la délivrance du certificat par le Conseil des ministres.

[199]    À cette recommandation était joint un projet de décret calqué sur le contenu de la recommandation du ministre exprimant les caractéristiques et les conditions, dont les exigences techniques et environnementales auxquelles les installations seraient assujetties. Le ministre Brassard a envoyé sa recommandation pour inscription à l'agenda du Conseil des ministres à sa séance du 22 novembre. Néanmoins, le Conseil des ministres n'a pas statué sur la recommandation.

[200]    Entendu à l'audience, Jacques Brassard a révélé que le 22 novembre 1995, sur proposition du Premier ministre, le Conseil des ministres a référé le dossier pour examen à un comité ad hoc sous la présidence du ministre de l'Environnement. Autrement dit, la décision prise le 22 novembre, fut de différer. Mais le projet de décret ne fut jamais de nouveau présenté au Conseil des ministres, ni le 29 novembre ni après.

[201]    Car le ministre Brassard n'a jamais convoqué ce comité ad hoc.

[202]    Pourquoi ? Objection fut faite aux motifs qui auraient amené le Premier ministre à la création du comité ad hoc.

[203]    Cette objection est bien fondée, le témoin ne peut spéculer sur les intentions d'un tiers et s'il en rapporte les paroles, elles ne peuvent faire foi du contenu car il s'agit de ouï-dire.

[204]    Néanmoins, pour expliquer l'état d'esprit du témoin, sa motivation, cette preuve est permise.

[205]    Jacques Brassard n'a pas convoqué le comité car pour lui, il voyait la création de ce comité comme une mesure dilatoire du Premier ministre de l'époque, Jacques Parizeau, dont il était déjà su que les jours dans ce poste étaient comptés, pour laisser porter le dossier.

R-    J'ai tout simplement considéré que le dossier était, comme je le disais, sur la glace et qu'il allait possiblement être repris au moment où un nouveau gouvernement serait en exercice. Alors, j'ai considéré cette résolution-là comme étant une mise entre parenthèses pour le reste de la durée de l'intérim du Premier ministre Parizeau. Et donc, je n'ai pas convoqué le comité.

[206]    Si tant est que l'on croyait à une décision imminente de la part du gouvernement, le témoignage de M. Brassard révèle que le gouvernement n'était pas rendu à la prise de décision.

[207]    Pour le ministre Brassard, la lettre que les maires lui avaient écrite le 23 novembre n'a donc joué aucun rôle puisque, pour lui, il n'y avait pas de décision à prendre. M. Brassard explique :

Q-   À votre connaissance, monsieur Brassard, quel a été l'effet de cette lettre, dans les faits, sur le cheminement du dossier ?

 

R-   D'abord, elle est datée du vingt-trois (23) novembre et je peux pas dire si j'en ai pris connaissance le vingt-trois (23) novembre. C'est peut-être ultérieurement, le vingt-quatre (24) ou le vingt-cinq (25), je le sais pas quand on me l'a fait connaître. Ça, je suis pas en mesure de le dire.

 

Mais c'est évident que le Conseil des ministres avait déjà décidé le vingt-deux (22) de créer un comité pour examiner le dossier; donc ça n'avait pas d'effet puisque la décision avait déjà été prise.

 

Et ils demandaient ou ils semblaient indiquer... ils indiquaient qu'ils prévoyaient une décision ou une recommandation pour le vingt-neuf (29) novembre, alors... Ce qui n'était pas exact, la recommandation avait été faite préalablement et le Conseil avait décidé le vingt-deux (22).

[31]        La lettre envoyée par les maires le 23 novembre attira toutefois l’attention du ministre Brassard qui se demanda si la Régie parlait toujours au nom de ses membres. Le 28 novembre, il écrivit au président Leduc dans ce sens, afin de savoir si la Régie désirait toujours poursuivre les démarches qui mèneraient éventuellement à une approbation du Projet.

[32]        Lors de la séance d'information du 2 décembre, il apparut clair que le Projet n'avait plus l'adhésion d'une majorité des membres de la Régie, et ce, principalement pour des motifs d’ordre économique. D’ailleurs, quelques jours plus tard, le 7 décembre, les maires membres de la Régie élisaient un nouveau comité exécutif. M. Bossé en devenait le président et M. Zampino le vice-président.

[33]        Les événements s’accélèrent à compter de ce moment.

[34]        Le 14 décembre, M. Bossé écrit au ministre Brassard et au président de SEFW, M. Fernand Lalonde, pour les informer de l'élection du nouveau comité exécutif. À la lettre du ministre du 28 novembre précédent, M. Bossé répond que la Régie amorce une période d'étude et de réflexion sur l'avenir du Projet.

[35]        Le 20 décembre, M. Lalonde écrit à M. Bossé pour lui faire part de son inquiétude devant la suspension des démarches en vue d'obtenir l'autorisation gouvernementale. Il lui rappelle les obligations contractuelles de la SIGED envers SEFW. M. Bossé lui répond le 18 janvier 1996 qu'il n'y a pas de suspension des démarches, mais que la Régie est toujours en période d'étude et de réflexion. Néanmoins, il prend soin de souligner à M. Lalonde que le délai pour l'accomplissement des conditions préalables est expiré et que chacune des parties est désormais libre de résilier les contrats P-8 et P-9.

[36]        Le 29 janvier suivant, un nouveau ministre de l'Environnement, M. David Cliche, entre en fonction. Celui-ci a fait partie du groupe Roquet et il connaît bien le Projet. Cependant, il n’a pas l’occasion de discuter du dossier avec son prédécesseur, le ministre Brassard, de sorte qu'il ignore tout des événements survenus au mois de novembre 1995.

[37]        Le 13 février 1996, le BAPE annonce la composition d’une commission d'enquête sur la gestion des matières résiduelles ainsi que la tenue prochaine d'audiences génériques à travers le Québec. L'objectif de ces mesures est de formuler des recommandations au plus tard le 31 décembre 1996, en vue de l'élaboration d'une nouvelle politique provinciale en la matière.

[38]        Le 23 février, M. Bossé rencontre le ministre Cliche. Aucune demande spécifique au sujet du Projet ne sera abordée entre eux. Il semble toutefois que le ministre Cliche ait informé M. Bossé de son désir d'attendre la tenue des audiences génériques et les recommandations du BAPE avant de se prononcer sur la politique provinciale de gestion des matières résiduelles et, par voie de conséquence, sur l’avenir du Projet. M. Cliche manifeste également sa préférence pour un programme de gestion unifiée pour l'ensemble des municipalités de l'Île de Montréal. Aux yeux de M. Bossé, cela signifie que de nouveaux délais sont à prévoir dans l’évolution du dossier.

[39]        Dans le sillage de cette rencontre, M. Bossé demande à Mme Josée Méthot, directrice générale adjointe de la Régie, de préparer une nouvelle évaluation du tarif de disposition des matières résiduelles. Il appert qu'en raison notamment de la perte des revenus d'électricité et des déchets des secteurs industriels et commerciaux, ce tarif augmentera substantiellement et pourrait atteindre la somme de 206 $ par tonne traitée. Or, les municipalités sont en mesure à cette époque d’éliminer leurs déchets pour moins de 40 $ la tonne, conséquence de l'adoption le 29 novembre précédent par le gouvernement d’un décret autorisant l'agrandissement du site d'enfouissement de Lachenaie. M. Bossé ne tente cependant pas de reprendre contact avec Hydro-Québec, celle-ci ne semblant pas disposée à renouer des liens contractuels avec la Régie.

[40]        Survient alors un événement décisif. Le 14 mars, le comité exécutif de la Régie résout de recommander au conseil d’administration de la SIGED de résilier les contrats P-8 et P-9. Une assemblée du conseil d’administration de la SIGED se tient le 20 mars. Seize maires (sur 26 membres) sont présents lors de cette assemblée. Douze d'entre eux votent en faveur de la résiliation. La résolution porte la signature de M. Bossé et, le même jour, la SIGED envoie à SEFW un avis de résiliation. Les motifs invoqués par la SIGED se résument ainsi :

     plus de trois ans se sont écoulés depuis la signature des contrats;

     il existe un écart considérable entre le coût d'incinération des déchets et celui de leur enfouissement sanitaire;

     l’élargissement du permis d'enfouissement du site de Lachenaie permettra aux municipalités membres de la Régie d'y envoyer leurs matières résiduelles;

     le financement du Projet est compromis;

     l'obtention du certificat d'autorisation du gouvernement est aléatoire, le contrat d'achat d'électricité avec Hydro-Québec est résilié et plusieurs autres conditions préalables ne sont pas satisfaites, en dépit des efforts soutenus déployés par la SIGED depuis plus de deux ans.

Estimant pouvoir s'autoriser du paragraphe 3.3. du contrat P-8[8] pour le résilier, la SIGED met donc fin au marché. Selon elle, il s’ensuit par le fait même que le contrat P-9 est lui aussi résilié.

[41]        Par la suite, SEFW tente de reprendre les discussions avec la SIGED, afin de ranimer le Projet et d'envisager des solutions de rechange, mais en vain. Le 5 juin 1996, elle met en demeure la SIGED et la Régie de respecter leurs obligations dont elle chiffre le quantum à 59 000 000 $. La SIGED et la Régie répondent que les contrats ont été valablement résiliés, sous réserve des indemnités contractuelles applicables. Elles estiment également que la réclamation est « grossièrement exagérée, abusive et sans fondement ».

[42]        SEFW intente son action en dommages et intérêts le 27 juin 1996.

III.  JUGEMENT ENTREPRIS

[43]        Dans un jugement de 1401 paragraphes, le juge de première instance conclut qu’en vertu de la clause 7 du contrat P-8[9], SIGED pouvait résilier le contrat moyennant le paiement d'une indemnité forfaitaire de 10 000 000 $. Il rejette donc la réclamation en dommages et intérêts de SEFW basée sur la faute lourde. Le juge résume ainsi sa décision[10] :

[1388]  Le Tribunal résume et conclut comme suit.

[1389]  C'est la résiliation des contrats par SIGED prise le 20 mars 1996, qui a mis fin à la demande du certificat du gouvernement et non l'envoi de la lettre des quinze maires le 23 novembre 1995, car le gouvernement avait déjà différé sa prise de décision pour des motifs indépendants de cette lettre.

[1390]  Toutefois, la clause 3.3 de P-8 prohibait à SIGED d'abandonner la demande de ce certificat.

[1391]  En résiliant le contrat, non seulement SIGED empêchait que le certificat gouvernemental ne soit délivré, mais empêchait la réalisation de toutes conditions préalables, puisqu'elle ne désirait plus rien poursuivre.

[1392]  Obligation conditionnelle dont le débiteur a empêché l'accomplissement, la réalisation des conditions préalables a eu tout son effet (1503 C.c.Q.).

[1393]  Les conditions préalables étant réalisées, la phase construction de P-8 est entrée en vigueur de par les termes du contrat (P-8 a. 5.1).

[1394]  Le contrat P-8 accordait néanmoins à SIGED le droit de résilier (a. 7).

[1395]  Les motifs de résiliation s'appuient sur un constat factuel qui pouvait légitimement donner lieu de croire que le Projet était devenu un fardeau trop onéreux et que ce contexte obligeait à l'abandonner dans l'intérêt public.

[1396]  L'article 7 du contrat P-8 donnait droit à SIGED de résilier ce contrat moyennant le paiement d'une indemnité forfaitaire de 10 M $ (cl. 7.7.3), ce qu'elle a fait défaut de faire.

[1397]  L'indemnité de 10 M $ représentait une indemnité totale pour tout le préjudice subi.

(« la SIGED ») [1398]  La compensation maximale de 2,5 M$ pour les frais engagés (prévue à la clause 3.3 de P-8) ne s'applique que pour des débours survenant après la date de signature de P-8 et avant la réalisation des conditions suspensives et seulement ceux à l'égard desquels une inscription apparaît dans les registres de SEFW.

[1399]  La clause 7.7.2 de P-8 ne permet à la demanderesse que d'être remboursée des frais engagés pendant la phase construction, et encourus pour se conformer à l'ordonnance de suspension ou de résiliation.

[1400]  Quant aux dommages pour perte de profit que réclamait la demanderesse, outre que, en l'absence de faute lourde, la demanderesse n'y ait pas droit, pour une part, elle plaidait au nom d'autrui et pour ceux qu'elle pouvait réclamer en son nom, elle a fait défaut d'en établir le caractère certain.

[1401]  Quant à la réclamation pour perte d'exploitation (P-9), la demanderesse n'y a aucun droit car la résiliation du contrat P-8 entraînait la résiliation sans autres indemnités du contrat P-9 (P-8 cl. 7.10).

IV. PRÉTENTIONS DES PARTIES

[44]        Énoncés succinctement aux fins de brièveté, les moyens que font valoir les parties se réduisent à ce qui suit.

            A.  L’appel principal

[45]        Montréal plaide que le juge de première instance a erré en la condamnant à verser à SEFW l'indemnité de résiliation prévue à la clause 7 du contrat P-8 puisqu'il n'était pas saisi de cette cause d'action. SEFW n'ayant fondé sa réclamation que sur une faute lourde, elle a renoncé à demander l'indemnité de résiliation prévue au contrat.

[46]        Subsidiairement, Montréal prétend que, si une indemnité de résiliation doit être versée, ce doit être celle prévue à la clause 3 du contrat P-8, laquelle s'établit à 970 832 $.

[47]        Néanmoins, si la Cour en venait à la conclusion que c'est plutôt la clause 7 qui trouve application, l'indemnité devrait être de 9 500 000 $ et non de 10 000 000 $, comme l'a déterminé le juge. En effet, puisque le paragraphe 7.9 du contrat P-8 prévoit une possibilité de résiliation distincte pour chacune des installations à construire (7 500 000 $ pour l'incinérateur, 2 000 000 $ pour le centre de tri et 500 000 $ pour le centre de compostage), le juge ne pouvait accorder l'indemnité totale puisque les parties avaient renoncé à la construction d’un centre de compostage.

[48]        Montréal soutient par ailleurs que le juge a erré en la condamnant à payer des intérêts sur l'indemnité puisque SEFW n'a jamais fait parvenir de mise en demeure de payer l'indemnité prévue aux clauses 3 ou 7 du contrat P-8.

[49]        Enfin, Montréal est d'avis que, vu les conclusions du juge de première instance à l'égard de l'action en dommages et intérêts de SEFW, elle a eu gain de cause et n'aurait pas dû être condamnée aux dépens. À tout le moins, le juge aurait dû lui octroyer les frais d'experts de la firme SNC-Lavalin sur les profits de construction, de même que ceux de l’expert Richard Lapointe sur l'analyse des frais d'exploitation.

B.  L’appel incident

[50]        SEFW soutient en premier lieu que le juge de première instance a erré en concluant que la SIGED n'a pas commis de faute lourde en résiliant les contrats P-8 et P-9 en violation de ses obligations contractuelles.

[51]        Par ailleurs, le juge ne pouvait pas rejeter sa réclamation en vertu du contrat P-9. Si ce dernier n'est jamais entré en vigueur, c'est en raison de la résiliation fautive du contrat P-8.

[52]        SEFW soutient en outre que le juge a erré en limitant l'indemnité à 10 000 000 $, alors qu'elle avait le droit de se voir octroyer également des dommages pour les dépenses encourues à titre de frais de développement.

[53]        Subsidiairement, SEFW allègue que le juge de première instance a commis une erreur en concluant qu'elle plaidait au nom d'autrui en réclamant des montants qu'elle devait rembourser à des compagnies affiliées dans le cadre de la réalisation du projet.

V.  FOND DES POURVOIS

A.  La règle de l’ultra petita

[54]        Montréal soutient que SEFW a fait son lit en plaidant la faute lourde et en réclamant la totalité des dommages qu’elle prétendait avoir subis, soit 62 291 257 $. En procédant ainsi, elle aurait renoncé à obtenir les indemnités contractuelles prévues aux clauses 3, 7 ou 22 du contrat P-8. Le juge, en rejetant les prétentions de SEFW sur la faute lourde, aurait dû rejeter son action et ne pouvait trancher le litige en accordant l'indemnité contractuelle de 10 000 000 $ prévue à la clause 7.

[55]        Exprimant la difficulté de trancher la question de la nature du recours, le juge amorce ainsi la section de son jugement intitulée « Le quiproquo de la réclamation » :

[640]    Jusqu'à la fin, les avocats de la Ville ont amené nuages, ombrage et obscurcissement sur la nature de la réclamation de SEFW.

[641]    Le Tribunal croit donc utile de dégager l'atmosphère.

[56]        Afin de déterminer si le juge a adjugé ultra petita, il nous faut donc d’abord établir la nature du recours entrepris par SEFW. Il s'agit d'une action de nature contractuelle, fondée sur la résiliation du contrat P-8 par la SIGED, ce qui entraîne celle du contrat P-9. Par son action, SEFW demande à être indemnisée des conséquences de la résiliation de ces contrats. En alléguant une faute lourde, elle souhaite recevoir le plein montant de ses dommages (art. 2129 C.c.Q.) et non simplement l'indemnité prévue aux clauses 3, 7 ou 22 du contrat P-8.

[57]        Comme le rappelle le professeur Daniel Jutras, l'interruption anticipée d'un contrat se classe en quatre catégories. Il les décrit ainsi[11] :

i.   La résiliation bilatérale : les parties à un contrat peuvent, d'un commun accord, mettre fin avant l'heure à la relation qu'elles ont créée.

ii.  La résiliation pour faute : le défaut par une partie d'exécuter ses obligations peut amener l'autre à mettre fin au contrat pour sanctionner l'inexécution.

iii. L'inexécution fautive : l'une des parties peut, sans droit, refuser d'exécuter ses obligations et ainsi rompre le contrat.

iv. La résiliation unilatérale : l'une des parties à un contrat peut, de manière unilatérale et dans l'exercice d'un droit, décider de mettre fin avant l'heure à la relation créée par le contrat.

[58]        En l’espèce, le juge devait établir si la résiliation constituait une inexécution fautive, comme le plaide SEFW, ou une résiliation unilatérale, selon ce que soutient Montréal. L’inexécution fautive et abusive donne la possibilité de réclamer les pleins dommages alors que la résiliation unilatérale exercée de bonne foi et conformément aux termes des contrats ne permet de réclamer que les montants spécifiés aux clauses 3 et 7 de P-8.

[59]        Le juge n’a pas adjugé ultra petita. La SIGED a toujours compris qu’elle ne pouvait résilier les contrats sans avoir à payer une indemnité à SEFW en vertu du contrat P-8. D'ailleurs, la Présentation sommaire de la théorie de la cause par Montréal, au début du procès en septembre 2004, démontre très bien sa compréhension du litige :

1.         La défenderesse présente ici sommairement certains des jalons principaux de sa théorie de la cause, sous réserve des arguments détaillés de fait et de droit qu'elle entend faire valoir par ailleurs.

[…]

A.        Le droit de résilier les contrats et l'impossibilité pour SEFW de réclamer une perte de profit

6.         Le Code civil reconnaît depuis toujours que le propriétaire (SIGED), dans le cadre d'un contrat de construction, peut résilier le contrat à sa seule discrétion et à sa guise, sans avoir à justifier d'un motif particulier ni d'une faute de l'entrepreneur (art. 1691 C.c.B.-C., cf. aussi art. 2125 C.c.Q.). SIGED a simplement exercé ce droit en l'espèce.

[…]

B.        L'article 3.3 du contrat de construction

8.         Les contrats P-8 et P-9, loin de nier à SIGED ce droit de résilier unilatéralement, le réitèrent à l'article 3.3 de P-8 et l'octroient même à SEFW: […]

10.       L'article 3.3. du contrat P-8 édicte aussi la seule conséquence pécuniaire qui puisse résulter d'une résiliation après la période de deux ans: […]

D.        Articles 7 et 22 du contrat de construction

15.       Subsidiairement, supposant encore une fois que le plafond contractuel de 2,5 millions $ ne s'applique pas, la réclamation de la demanderesse est manifestement excessive et mal fondée puisque deux autres dispositions du Contrat de construction (les articles 7 et 22) prévoient des limites de coûts et de responsabilité supposant la résiliation après le début des travaux de construction (article 7), et même en cas de faute contractuelle caractérisée de la part de SIGED à ce stade (article 22). L'indemnité dans ces hypothèses se limite alors à la somme forfaitaire maximum de 10 millions $, plus les frais admissibles pour un total de 10 967 603 $.

Le plan d'argumentation de Montréal, déposé en Cour supérieure le 4 novembre 2007, contient également un long développement consacré à la résiliation en vertu du paragraphe 3.3 du contrat P-8 et en application du droit commun.

[60]        La solution de ce litige consistait, pour le juge, à déterminer si la résiliation des contrats P-8 et P-9 était légale ou illégale. Dans l’éventualité où il concluait que le contrat avait été violé et qu’une faute lourde avait été commise, SEFW pouvait avoir droit à ses pleins dommages. Par contre, si la SIGED avait respecté les termes des contrats en ce qui concerne la résiliation, ce sont les clauses relatives à celle-ci qui trouvaient application, ainsi que les indemnités qui y sont prévues.

[61]        Dans une cause impliquant la résiliation unilatérale d'un contrat d"entreprise, il est fréquent que l'entrepreneur, s'estimant lésé, plaide l’abus de droit ou la mauvaise foi. Cela lui permet de réclamer des dommages beaucoup plus substantiels que les indemnités de résiliation généralement prévues au contrat. Toutefois, cette stratégie ne permet pas au défendeur d'échapper à ses obligations, qu'elles soient légales (art. 2129 C.c.Q.) ou contractuelles (indemnité de résiliation). Soit qu’il y a faute, auquel cas le recours en dommages-intérêts est accueilli, soit que la résiliation est légale, auquel cas le juge applique le contrat ou, de manière supplétive, la loi. Par conséquent, il ne s'agit pas d'un cas où le juge accorde plus (ultra petita) ou autre chose (extra petita) que ce qui est demandé.

[62]        Par ailleurs, il est erroné de prétendre que SEFW a renoncé à réclamer les indemnités contractuelles de résiliation. Certes, elle a pu plaider que celles-ci, dans les circonstances, ne trouvaient pas application. Cela dit, le juge, maître de l'interprétation des contrats, n'était nullement tenu de retenir ses prétentions à l'égard de l'inapplicabilité des paragraphes ou clauses 3.3, 7 ou 22 du contrat P-8.

[63]        En terminant sur cette question, retenir la position de Montréal, selon laquelle le juge a adjugé ultra petita en accordant l’indemnité de 10 000 000 $ stipulée au contrat alors que SEFW ne l’a pas réclamée spécifiquement, aurait pour conséquence que la SIGED aurait résilié les contrats sans payer quoi que ce soit à SEFW, contrairement à ce qui avait été convenu entre les parties. Cet argument nous ramène à un temps révolu où l’application stricte de la procédure pouvait faire perdre des droits à des justiciables. En l’espèce, le juge devait résoudre le litige en tenant compte des règles de droit matériel ou substantiel et la solution consistait pour l’essentiel à déterminer le montant payable à SEFW à la suite de la résiliation des contrats, puisque la SIGED s’était engagée contractuellement à ne résilier les contrats que sur versement d’une indemnité.

[64]        Ce moyen est donc mal fondé.

B.  L’effet des contrats entre les parties

[65]        La réalisation du Projet par la Régie et la SIGED, en plus de devoir s’insérer dans le contexte déjà existant de la législation et de la réglementation environnementales applicables à la gestion des déchets, requérait elle-même la mise en place d’un tissu complexe d’obligations contractuelles et de dispositions réglementaires contraignantes. Il est donc essentiel pour trancher les pourvois de situer dans son contexte d’ensemble le premier moyen subsidiaire de Montréal.

1. Le contexte juridique

[66]        La complexité de ce régime juridique est tributaire de la nature des technologies d’élimination retenues : l’incinération, le tri et le compostage ainsi que de l’importance des installations, particulièrement l’incinérateur. Cette complexité apparaît d’abord dans les exigences législatives et réglementaires afférentes aux contrôles environnementaux auxquels est assujettie la mise à exécution du Projet.

a) Les contrôles environnementaux

[67]        Au plan environnemental, la réalisation même du Projet par les parties est assujettie à l’obtention d’autorisations administratives préalables du gouvernement d’abord et du ministre de l’Environnement ensuite. De plus, une fois ces autorisations acquises, l’exploitation des installations doit se faire en conformité de normes réglementaires précises.

[68]        Il y a d’abord lieu de considérer l’autorisation gouvernementale.

[69]        En raison de la capacité de l’incinérateur et de la présence d’une centrale de production d’énergie utilisant la vapeur générée par la combustion des déchets, le Projet doit d’abord être autorisé par le gouvernement et seulement au terme d’un processus d’évaluation et d’examen des impacts du Projet sur l’environnement. Ce processus est établi aux articles 31.1 à 31.9 de la Loi sur la qualité de l’environnement[12] (« L.Q.E. ») et au Règlement sur l’évaluation et l’examen des impacts sur l’environnement[13] (« Règlement sur l’évaluation »).

[70]        À l’époque pertinente, l’article 31.7 L.Q.E. prévoit que la décision du gouvernement rendue au terme du processus d’évaluation lie le ministre lorsque « celui-ci exerce par la suite les pouvoirs prévus aux articles 22, 32 ou 54 » de la L.Q.E. Il s’ensuit que la première autorisation environnementale à demander, et la plus importante, est celle qui doit être obtenue du gouvernement selon les articles 31.1 et 31.5 L.Q.E. au terme du processus d’évaluation environnementale.

[71]        En l’espèce, l’avis d’intention initial décrivant la nature générale du Projet selon l’article 31.2 L.Q.E. est donné le 23 janvier 1990 par les Chaudières Foster Wheeler inc.[14]. Le 19 novembre de la même année, la Régie avise le ministère de l’Environnement qu’à titre de propriétaire des équipements elle est dorénavant le promoteur du Projet et que SEFW (elle-même ou par l’entremise de sous-traitants appartenant au groupe FW) construira les équipements requis et en assurera l’opération.

[72]        Le 21 décembre 1990, le ministre de l’Environnement fait parvenir à la Régie la directive indiquant la nature et l’étendue de l’étude d’impact qu’elle doit réaliser comme promoteur conformément à l’article 31.2 L.Q.E. L’étude d’impact est déposée le 17 mars 1992.

[73]        Le 17 février 1993, le ministre de l’Environnement demande au BAPE de tenir une audience publique sur le Projet et de lui faire rapport de ses constatations et de l’analyse qu’il en a faite, ainsi que le prévoit l’article 31.3 L.Q.E. Le rapport du BAPE est transmis au ministre le 28 juillet 1993 et il est rendu public le 2 août suivant[15].

[74]        Ce n’est toutefois qu’à l’automne 1995 qu’est complétée l’analyse ministérielle du Projet et que le ministre de l’Environnement de l’époque, M. Brassard, recommande au gouvernement, en vertu de l’article 31.5 L.Q.E., qu’un certificat soit délivré « … pour autoriser la Régie à construire et exploiter une installation d’incinération de déchets urbains et une installation de production d’énergie électrique à Montréal-Est … » aux conditions qui sont prévues au projet de décret accompagnant la recommandation.

[75]        La recommandation du ministre est acheminée au Conseil des ministres et mise à l’ordre du jour de sa réunion du 22 novembre 1995. Rappelons qu’à cette date, le Conseil des ministres ne se prononce pas sur le Projet, mais décide plutôt de transmettre le dossier à un comité ministériel ad hoc présidé par le ministre de l’Environnement avec mandat d’examiner le Projet[16]. Ce comité, on l’a vu, ne sera jamais convoqué par le ministre de l’Environnement.

[76]        Le 20 mars 1996, date à laquelle la SIGED prétend exercer le pouvoir de résiliation prévu au paragraphe 3.3 du contrat de conception et de construction P-8, l’autorisation gouvernementale de l’article 31.5 L.Q.E. n’a pas encore été obtenue.

[77]        On doit cependant noter qu’à compter du 1er décembre 1995, le législateur québécois impose un moratoire sur l’établissement ou l’agrandissement des incinérateurs de déchets solides[17]. Toutefois, puisque avant cette date l’avis relatif au Projet avait déjà été donné conformément à l’article 31.2 L.Q.E., mais n’avait pas encore fait l’objet, au 1er décembre 1995, « … d’une décision du gouvernement […] accordant ou refusant le certificat d’autorisation […] demandé … », le Projet échappait à ce moratoire[18].

[78]        Venaient ensuite les autres autorisations ministérielles et administratives.

[79]        Une fois obtenue l’autorisation gouvernementale de l’article 31.5 L.Q.E., mais avant la construction, chacune des installations prévues (soit l’incinérateur, le centre de tri et le centre de compostage) devait faire l’objet d’un certificat du ministre de l’Environnement attestant la conformité du Projet aux normes réglementaires applicables en matière de gestion des déchets. C’est ce qu’exige l’article 54 L.Q.E. tel qu’il est formulé à l’époque. Selon le paragraphe 18.1 et l’annexe 4 du contrat de conception et de construction P-8, c’est le propriétaire, la SIGED, qui est responsable de l’obtention de ce certificat. De plus, selon le deuxième alinéa de l’article 54 L.Q.E., un certificat doit également être obtenu du greffier de la municipalité attestant que le projet visé par la demande ne contrevient à aucun règlement municipal. Toujours selon le contrat P-8, l’obtention de ce certificat municipal est la responsabilité de SEFW. Dans le cas de l’incinérateur, un autre certificat d’autorisation doit être obtenu du ministre de l’Environnement selon le régime général de l’article 22 L.Q.E. Aux termes du contrat P-8, c’est au propriétaire qu’il appartient d’obtenir ce certificat.

[80]        En plus de ces certificats d’autorisation qui devaient être obtenus avant la construction des installations, l’exploitation de l’incinérateur, du centre de tri et du centre de compostage une fois construits requiert, pour chaque installation, l’obtention d’un permis d’exploitation du ministre de l’Environnement selon l’article 55 L.Q.E., tel qu’il existe alors. Ce permis est valable pour cinq ans et est renouvelable. Selon le sous-paragraphe 3.2.2 et l’annexe 2 du contrat de service de traitement des déchets solides P-9, c’est au propriétaire qu’il appartient d’obtenir ces permis.

[81]        Outre ces autorisations, diverses autres exigences normatives et substantielles s’appliquaient au Projet.

[82]        Les installations d’incinération, de tri et de compostage sont assujetties aux normes d’implantation et d’exploitation du Règlement sur les déchets solides[19] adopté sous l’autorité de la L.Q.E. Par ailleurs, au regard des émissions atmosphériques résultant du processus d’incinération, les normes environnementales applicables au projet de la Régie sont celles du Règlement 90 relatif à l’assainissement de l’air[20] de la Communauté urbaine de Montréal adopté sous l’autorité des articles 121 et 133 de la Loi sur la Communauté urbaine de Montréal[21] telle qu’elle existe alors. En effet, conformément à l’article 118.3 L.Q.E., le territoire de la CUM a été soustrait à l’application de plusieurs articles de la L.Q.E. et notamment celle des articles 22 à 24 et 48 pour ce qui concerne la contamination et la pollution de l’atmosphère et leurs sources[22]. Pour ce motif, et du fait de son approbation par le ministre de l’Environnement selon le cinquième alinéa de l’article 124 L.Q.E., le Règlement n° 90 de la CUM portant sur les rejets à l’atmosphère reçoit application exclusive sur le territoire de la communauté. De plus, un permis doit être obtenu du Directeur de Service de l’environnement de la CUM attestant la conformité du projet à ces normes réglementaires. Selon le paragraphe 18.1 et l’annexe 4 du contrat de conception et de construction P-8, la responsabilité de l’obtention de ce permis est confiée au propriétaire des installations.

[83]        De la même façon et pour les mêmes motifs de soustraction[23] et d’approbation par le ministre de l’Environnement, l’exploitation de l’incinérateur et du centre de tri devra requérir l’obtention d’un permis du Directeur du Service de l’environnement de la CUM et obliger au respect des normes de rejet contenues au Règlement relatif aux rejets des eaux usées dans les réseaux d’égout et les cours d’eau[24], si les rejets d’eaux usées industrielles ou d’eaux de refroidissement dans un réseau d’égout raccordé au système d’intercepteurs de la CUM atteignent les seuils fixés à l’article 15 de ce Règlement.

[84]        Malgré l’existence de normes de rejet à l’atmosphère contenues aux règlements adoptés conformément à la L.Q.E. ou à l’article 133 de la Loi sur la Communauté urbaine de Montréal[25], l’article 31.5 L.Q.E. précise que le gouvernement peut, au terme de la procédure d’évaluation et d’examen des impacts sur l’environnement, « … délivrer un certificat d’autorisation pour la réalisation du projet avec ou sans modification et aux conditions qu’il détermine ». En l’espèce, on remarquera que le projet de décret d’autorisation transmis au Conseil exécutif par le ministre de l’Environnement en novembre 1995 pour l’incinérateur prévoit, comme cinquième condition, l’imposition de valeurs limites d’émissions à l’atmosphère visant une quinzaine de contaminants à être respectées par l’installation d’incinération. Si le projet de décret avait été adopté par le gouvernement, ces normes de rejet à l’atmosphère se seraient alors appliquées aux émissions atmosphériques de l’incinérateur et auraient eu la même force contraignante qu’un règlement. Selon la L.Q.E., le non-respect de ces conditions peut entraîner une poursuite pénale[26] ou la délivrance d’une injonction[27] ou même la révocation du certificat d’autorisation[28].

[85]        Enfin, il y a lieu de noter qu’à la date du Rapport du BAPE en août 1993, la Régie n’avait encore signé aucune entente formelle pour la disposition des cendres d’incinération. En effet, le processus d’incinération doit produire chaque année environ 134 000 tonnes de cendres : les cendres d’incinération (cendres de grilles ou mâchefers) qui constituent 90 % du volume total des cendres, ainsi que les cendres volantes constituées des poussières entraînées par les gaz de combustion et qui comprennent aussi de la chaux et du charbon usés[29].

[86]        La Régie prévoyait alors traiter de façon distincte les cendres de grilles et les cendres volantes. Elle envisageait d’enfouir les premières dans une carrière, propriété de la CUM, et d’acheminer les secondes à un centre autorisé de traitement de déchets solides dangereux à Blainville. À cette époque, le Règlement sur les déchets solides[30] permet le mélange des cendres de grilles aux cendres volantes et leur élimination dans les lieux d’enfouissement sanitaire[31].

b) Les ententes contractuelles

[87]        C’est la participation de l’entreprise privée au projet d’élimination des déchets solides envisagé par la Régie et la volonté d’en financer une partie par la vente d’électricité qui va nécessiter la mise en place d’un réseau complexe d’obligations contractuelles entre la SIGED et SEFW pour la conception, la construction et l’exploitation de l’incinérateur et du centre de tri, entre la SIGED et Hydro-Québec pour la vente d’énergie électrique générée par la combustion des déchets et entre la Régie et SIGED pour l’approvisionnement en déchets solides. À ces ententes principales s’ajoutent des contrats accessoires comme les contrats de cautionnement croisés par lesquels la Régie se porte caution des obligations contractuelles de la SIGED envers SEFW alors que Foster Wheeler Corporation, la maison-mère du groupe du même nom, en fait autant en ce qui concerne les obligations contractuelles assumées par SEFW envers la SIGED.

[88]        Les contrats sont également d’importance primordiale à cause du mode de financement « par projet » retenu par la Régie pour la construction et l’exploitation des équipements. Le financement par projet est approprié dans le cas, comme en l’espèce, d’un actif d’importance susceptible de générer des revenus par la vente d’électricité et des produits recyclables qui viennent réduire le prix à la tonne payable par les municipalités pour le traitement de leurs déchets. L’exploitation des équipements doit assurer aux investisseurs le remboursement de leur prêt sans engager le crédit du promoteur[32]. En conséquence, tant les contrats qui visent à assurer l’approvisionnement en déchets que ceux qui garantissent l’apport de revenus constituent une part importante de la garantie des prêteurs.

[89]        Compte tenu des enjeux de l’appel et de l’appel incident, il s’impose de donner un bref aperçu des stipulations essentielles de ces conventions telles qu’envisagées par les parties aux contrats.

(i) Le contrat P-8, un contrat de conception et de construction

[90]        Le contrat de conception et de construction est signé le 22 décembre 1992 entre la SIGED en tant que propriétaire et SEFW comme maître d’œuvre. La veille, sa conclusion a été autorisée par le ministre des Affaires municipales comme l’exige la Loi concernant la Régie intermunicipale de gestion des déchets sur l’Île de Montréal[33].

[91]        Une caractéristique particulière de ce contrat P-8 vient du fait que les droits et obligations de chacune des parties sont assujettis à la réalisation de plusieurs conditions préalables énumérées à la clause 3. Ces conditions sont notamment relatives à la signature des contrats de cautionnement des obligations du propriétaire et du maître d’œuvre, à la signature par le propriétaire et Hydro-Québec d’un contrat d’achat d’électricité et à l’obtention préalable des autorisations et permis requis, notamment ceux applicables en matière environnementale. Les responsabilités de chacune des parties en ce qui concerne l’obtention des autorisations et permis sont précisées à l’annexe 4 du contrat.

[92]        Le paragraphe 3.3 oblige chaque partie à faire preuve de bonne foi et de diligence raisonnable en vue de satisfaire aux conditions préalables prévues à la clause 3. Il prévoit également qu’après 2 ans de la signature du contrat, chaque partie peut, sur avis écrit, résilier le contrat si une des conditions préalables n’est pas encore satisfaite sous la réserve, cependant, qu’« [e]n aucun cas, une partie n’a le droit de résilier le présent contrat en raison du manquement à satisfaire à une condition préalable qui est du ressort de cette dernière ». En cas de résiliation par la SIGED selon ce paragraphe 3.3, elle doit rembourser SEFW pour les frais engagés au titre de la conception, de l’aménagement et des permis ou reliés aux efforts de cette dernière pour satisfaire à une condition préalable, et ce, jusqu’à un maximum de 2 500 000 $.

[93]        L’interprétation et l’application de cette disposition contractuelle constituent le nœud du litige entre les parties et on aura l’occasion d’y revenir en détail ultérieurement.

[94]        Une fois réalisées les conditions prévues à la clause 3, la construction proprement dite commence avec la transmission au maître d’œuvre d’un avis d’exécution[34]. La date de transmission de cet avis marque l’entrée en vigueur du contrat. En principe, le maître d’œuvre doit livrer l’ouvrage dans un délai de 32 mois et demi. La clause 24 prévoit la procédure et les conditions de réception des installations. L’annexe 3 au contrat énonce des critères de réception auxquels doit satisfaire l’ouvrage tant en ce qui concerne le débit de traitement des déchets que les normes environnementales de rejet. Des pénalités sont prévues en cas de retard de livraison ou si les équipements ne satisfont pas aux critères prévus à l’annexe 3, mais un boni est payable au maître d’œuvre si l’ouvrage est complété avant les délais.

[95]        Le contrat P-8 est du type « clé en main »[35] et le prix du marché est de 196 550 630 $ pour l’incinérateur et de 24 535 230 $ pour le centre de tri, soit un prix total de 221 085 860 $[36]. Toutefois, ce prix est celui au 1er mars 1991 et l’annexe 8 du contrat prévoit une formule de révision au cas où l’avis d’exécution serait postérieur à cette date. Il en est de même pour le délai d’exécution. Outre la possibilité d’un boni pour achèvement accéléré, il faut également noter que, pour la période des activités de démarrage et d’essais à la réception, SEFW a le droit de percevoir les revenus provenant de la vente d’électricité générée par la vapeur en provenance de l’incinérateur et de la vente de matières premières récupérées provenant du centre de tri, revenus qui iraient normalement à la SIGED[37].

[96]        Enfin, la clause 22 du contrat de conception et de construction P-8 prévoit une procédure de résiliation au cas d’une violation du contrat par l’une ou l’autre des parties. Toutefois, outre le cas du paragraphe 3.3 déjà mentionné, la clause 7 accorde au propriétaire, la SIGED, le droit unilatéral de suspendre l’exécution de l’ouvrage ou même de résilier le contrat par un avis écrit « […] si des conditions qui surviennent l’y obligent »[38]. Outre les frais déjà engagés par le maître d’œuvre, les paragraphes 7.7 et 7.9 obligent alors le propriétaire à payer à SEFW « […] pour les pénalités ou la perte d’avantages subies par le maître d’œuvre en raison de la résiliation du présent contrat … » la somme de 7 500 000 $ au titre de l’incinérateur et de 2 000 000 $ pour le centre de tri. Lorsque ce pouvoir de résiliation est exercé par le propriétaire, le paragraphe 7.1 stipule que cette résiliation entraîne également celle du contrat de service.

(ii) Le contrat P-9, un contrat de service

[97]        Le contrat de service de traitement des déchets solides P-9 entre en vigueur après la réception de chacune des installations selon les paragraphes 24.2 à 24.4 du contrat de conception et de construction P-8[39]. L’exploitation ne peut toutefois commencer avant la délivrance d’un avis d’exploitation par le propriétaire conformément au paragraphe 3.2. Par ailleurs, cet avis ne peut lui-même être délivré avant que certaines conditions énumérées à la clause 3 n’aient été satisfaites. Le paragraphe 3.4 du contrat P-9 est similaire au paragraphe 3.3 du contrat P-8 déjà vu plus haut au paragraphe [92], à cette différence près que le droit de résiliation accordé aux parties au cas de non-réalisation d’une condition par le paragraphe 3.4 du contrat P-9 ne peut être exercé qu’après un délai de cinq ans.

[98]        Le contrat P-9 est également du type « clé en main » en ce que tant l’exploitation que l’entretien de l’équipement sont assumés par SEFW, l’exploitant. Ce dernier accepte de recevoir et traiter les déchets combustibles acceptables que lui livre le propriétaire à l’incinérateur ainsi que les matières premières recyclables livrées au centre de tri[40]. Il garantit notamment une capacité de débit annuel, tant pour l’incinérateur[41] que pour le centre de tri[42]. Il fournit également une garantie de production annuelle d’électricité[43].

[99]        Pour sa part, la SIGED, en sa qualité de propriétaire, doit payer les frais de service prévus au contrat P-9[44]. Ces frais de service sont calculés sur la base d’une capacité nominale de 350 000 tonnes de déchets combustibles pour l’incinérateur et 100 000 tonnes de matières premières recyclables pour le centre de tri[45] et ils sont payables « … que le propriétaire livre ou non, ou fasse en sorte ou non que sont livré [sic] des déchets acceptables aux installations »[46].

[100]     Les frais de service se composent de huit éléments énoncés à la clause 8 et incluent, notamment, des frais d’exploitation garantis annuels de 18 749 250 $, un facteur de rajustement pour couvrir les coûts d’exploitation des installations au-delà des quantités de déchets prévus à la capacité nominale des installations ainsi que des crédits d’exploitation consentis à SEFW qui s’appliquent à la vente de produits, telles l’électricité et les matières recyclables au prorata du tonnage excédentaire de déchets traités[47].

[101]     La clause 9 prévoit, pour chaque partie, un droit de résiliation pour cause au cas de défaut ou refus d’exécution du cocontractant, mais, en plus, la SIGED bénéficie du droit de résilier le contrat de service à la fin de chaque intervalle de cinq ans suivant sa date d’entrée en vigueur, et ce, « … à son gré, à sa convenance et sans raison… ». Elle doit cependant alors payer à l’exploitant une pénalité de 9 500 000 $ si la résiliation vise l’incinérateur et de 5 000 000 $ si elle concerne le centre de tri[48].

(iii) Les cautionnements

[102]     Les contrats de cautionnement sont en réalité des accessoires au contrat P-8 et au contrat P-9[49]. Par ces contrats croisés, Foster Wheeler Corporation, la maison-mère américaine de SEFW, se porte garante des obligations de SEFW envers la SIGED, et la Régie en fait de même pour les obligations assumées par la SIGED envers SEFW dans les contrats P-8 et P-9. Ce cautionnement donné par la Régie a été autorisé par le ministre des Affaires municipales le 21 décembre 1992[50].

(iv) Le contrat de vente d’électricité D-17

[103]     Ce contrat passé le 18 décembre 1992 entre Hydro-Québec et la SIGED est d’une importance capitale pour cette dernière. En effet, la vente d’électricité produite par la vapeur générée lors de la combustion des déchets représente, avec la vente des matériaux recyclés, une source importante de revenus pour la SIGED qui vient réduire d’autant le coût à la tonne des déchets traités que la Régie doit ensuite imposer aux municipalités qui en sont membres. La signature de ce contrat est d’ailleurs une condition préalable aux droits, obligations et responsabilités de la SIGED selon le sous-paragraphe 3.1.4 du contrat de conception et de construction P-8.

[104]     Selon la clause 7 de ce contrat, prévu pour une durée de 20 ans[51], SIGED, le producteur, vend et Hydro-Québec achète les quantités d’électricité prévues à cette clause et provenant des installations, c’est-à-dire la turbine, l’alternateur et les équipements connexes[52]. Le contrat distingue entre la date de mise sous tension initiale aux fins de la conduite d’essais[53] et la date de mise en service commercial[54] prévue pour le 30 juin 1996. Même si le contrat est en vigueur dès sa signature, c’est la date de mise en service commercial qui marque le point de départ de la période de 20 ans correspondant à la durée du contrat. La puissance contractuelle est de 40 000 kW[55]. Le prix de l’électricité vendue est fixé à la clause 8 et comprend, en période d’hiver[56], un paiement pour la puissance et un autre pour l’énergie vendue. Ce dernier prix est fixé à 3.90 ¢/kWh pour l’année contractuelle 1996. Dans le cas de l’électricité livrée avant la date de mise en service commercial, le prix est d’un maximum de 3.70 ¢/kWh.

[105]     Le paragraphe 4.1 stipule que la première mise sous tension des installations en vue des essais requiert un préavis de cinq jours ouvrables qui ne peut être donné par le producteur avant qu’un certain nombre de conditions ne soient réalisées, notamment la livraison à Hydro-Québec des permis et autorisations requis et nécessaires pour la construction et l’exploitation des installations[57] ce qui inclut, au premier chef, l’autorisation gouvernementale de l’article 31.5 L.Q.E. au terme du processus d’évaluation environnementale.

[106]     À la clause 5 du contrat D-17, la SIGED s’engage à ce que la date de mise en service commercial soit au plus tard le 1er décembre 1996. Le paragraphe 29.1 donne à Hydro-Québec le droit de résilier le contrat avant la date de mise en service commercial « … de plein droit, sans recours à l’arbitrage ou aux tribunaux… » si les conditions prévues à cette disposition n’ont pas encore été réalisées et, notamment si les permis et autorisations requis de la part des organismes environnementaux n’ont pas été obtenus avant le 1er décembre 1993, si le contrat de financement prévu pour les installations de production d’électricité n’est pas conclu avant la même date ou si, avant cette date, l’avis d’exécution prévu au paragraphe 5.1 du contrat de conception et de construction P-8 n’a pas encore été donné. Un droit de résiliation similaire est conféré à Hydro-Québec au paragraphe 29.2 après la date de mise en service commercial et pour les motifs qui y sont énoncés.

[107]     En janvier et mars 1995, Hydro-Québec invoque le défaut de la SIGED de s’être conformée aux conditions prévues au paragraphe 29.1 du contrat de vente d’électricité D-17 pour justifier sa résiliation du contrat.

(v) Le contrat d’approvisionnement en déchets solides entre la Régie et la SIGED D-18

[108]     Ce contrat est signé le 22 décembre 1992 entre la Régie et la SIGED qui y est désignée comme étant la propriétaire. La nécessité de ce contrat provient du fait que la SIGED, qui a été créée aux fins de contracter avec SEFW, est une société à capital-actions dont les actions sont détenues en totalité par la Régie[58] et dont le conseil d’administration est composé exclusivement de membres du conseil d’administration de cette dernière[59]. Cette société ne jouit pas des pouvoirs que la loi et l’entente intermunicipale qui l’a créée[60] accordent à la Régie dont l’objet est de « pourvoir à la conception, l’implantation, le financement, l’exploitation et le développement de tout ou partie d’un système de gestion de déchets desservant des municipalités qui y sont parties »[61]. Par ailleurs, seules les dépenses de la Régie, et non celles de la SIGED, sont à la charge des municipalités qui sont parties à l’entente intermunicipale et il en est de même de son déficit. En outre, la Régie peut exiger des municipalités qui en font partie le « tarif des contributions, prix ou droits » pour les services qu’elle rend et c’est elle qui fixe la contribution financière de ces municipalités[62]. Le contrat d’approvisionnement D-18 a donc également pour objet de répercuter sur la Régie les obligations financières assumées par la SIGED envers SEFW.

[109]     Tel que déjà signalé, en vertu du contrat P-9 qu’elle a signé avec SEFW, la SIGED doit fournir à son cocontractant des déchets acceptables aux fins d’assurer l’exploitation des installations en quantité suffisante pour générer des revenus provenant de la vente d’électricité et des matières recyclées, car elle est tenue de payer les frais de service prévus au contrat P-9 même si elle ne livre pas de déchets. Or, elle ne détient pas, comme c’est le cas pour la Régie[63], les pouvoirs nécessaires pour forcer les municipalités parties à l’entente à livrer leurs déchets à l’incinérateur et au centre de tri. Elle doit donc contracter avec la Régie pour assurer un approvisionnement adéquat en déchets solides compte tenu de ses engagements envers SEFW.

[110]     On a vu que la Régie cautionne les engagements que la SIGED a assumés aux termes du contrat P-8 et du contrat P-9. Pour ce motif, le contrat d’approvisionnement en déchets solides D-18 contient plusieurs dispositions visant à conférer à la Régie un pouvoir d’approbation ou d’autorisation préalable de l’exécution des droits et obligations de la SIGED en vertu de ces contrats.

[111]     Ainsi, selon le paragraphe 4.5 du contrat d’approvisionnement de déchets solides entre la SIGED et la Régie, D-18, la SIGED ne peut donner à SEFW l’avis d’exécution prévu à la clause 5 du contrat de conception et de construction P-8 avant d’avoir elle-même reçu de la Régie un avis d’exécution. Cet avis d’exécution émanant de la Régie ne peut quant à lui être donné que lorsque sont satisfaites les conditions préalables stipulées aux paragraphes 3.1 et 3.2 du contrat d’approvisionnement D-18. La clause 3 de ce contrat est similaire à la clause 3 du contrat P-8, et accorde un droit de résiliation si, après deux ans, une des conditions ne s’est pas encore réalisée. Si ce droit de résiliation est alors exercé, la Régie doit rembourser à la SIGED toute somme que cette dernière aura dû verser à SEFW en raison de la résiliation du contrat P-8 selon le paragraphe 3.3 de ce dernier contrat.

[112]     De la même façon, la SIGED ne peut se prévaloir du droit de suspendre ou de résilier le contrat P-8 que lui confère le paragraphe 7.9 de ce contrat sans avoir reçu au préalable un avis écrit de la Régie en ce sens. Dans ce cas, la Régie paie à la SIGED les frais de résiliation prévus du paragraphe 7.7 du contrat P-8 ainsi que les montants nécessaires pour effectuer le remboursement du prêt à la construction[64]. Il en est de même du droit conféré à la SIGED par la clause 6 du contrat P-9 de demander à SEFW d’effectuer des améliorations aux installations, notamment pour tenir compte des changements technologiques pouvant survenir en cours d’exploitation. La clause 10 du contrat d’approvisionnement D-18 accorde à la Régie le pouvoir de donner à la SIGED, propriétaire des installations, des directives d’effectuer de telles améliorations.

[113]     Parmi les conditions préalables énoncées à la clause 3 du contrat d’approvisionnement D-18, on retrouve évidemment celle de la délivrance des autorisations environnementales[65]. De plus, comme condition préalable aux droits et obligations de la Régie selon ce contrat D-18, il faut noter celle selon laquelle la Régie doit avoir acquis le titre de propriété du site de l’incinération et du centre de tri et doit l’avoir cédé à la SIGED par bail emphytéotique[66].

[114]     En ce qui concerne l’approvisionnement en déchets solides, la clause 8 du contrat D-18 est calquée sur la clause 4 du contrat P-9. La Régie assume vis-à-vis la SIGED des obligations semblables à celles que cette dernière a contractées à l’égard de SEFW en vertu du contrat P-9. La Régie livre les déchets solides à la SIGED qui doit les recevoir et les traiter dans les installations. Ensuite, selon la clause 12 du contrat d’approvisionnement D-18, la Régie doit payer à la SIGED les frais de service que cette dernière doit payer à SEFW en vertu de la clause 8 du contrat P-9 avec, en plus, les coûts et frais de remboursement des emprunts de la SIGED pour financer la construction des installations, les taxes ainsi que les frais afférents au bail emphytéotique de la SIGED pour le site des installations. Par ailleurs, la Régie bénéficie de crédits équivalant aux revenus provenant des ventes d’électricité de la SIGED à Hydro-Québec et des ventes de matières premières recyclables. De plus, de la même façon que la SIGED doit payer à SEFW les frais de service prévus à la clause 8 du contrat P-9 même si elle ne livre pas les déchets aux installations, ainsi en est-il pour la Régie vis-à-vis la SIGED. Elle doit payer à cette dernière les frais de service prévus au contrat d’approvisionnement D-18 qu’elle ait ou non livré les déchets aux installations en vue de leur traitement[67].

[115]     Le contrat d’approvisionnement D-18 est d’une durée de 20 ans à compter de la date d’entrée en vigueur de l’exploitation de l’incinérateur, avec une possibilité de renouvellement pour cinq ans[68]. Toutefois, « … advenant la réalisation de conditions qui rend (sic) la chose nécessaire… », la Régie a la faculté de résilier ce contrat et d’acheter les installations sur une base « tel quel »[69]. Dans un tel cas, tous les droits et obligations de la SIGED dans les contrats qui la lient à SEFW passent à la Régie. De plus, au titre de la contrepartie payable pour la résiliation du contrat et l’achat des installations, la Régie s’engage à prendre en charge les obligations et engagements de la SIGED « … à l’égard de tout contrat de crédit et document de sûreté » conclu par cette dernière pour financer l’élaboration du projet et la construction des installations et à payer à l’échéance toutes les sommes alors exigibles par le prêteur[70].

c) Les pouvoirs de contrôle de la Régie sur les déchets solides

[116]     Le succès du Projet requiert enfin que la Régie obtienne des pouvoirs exclusifs de contrôle des déchets solides produits dans le territoire des municipalités qui en sont membres afin d’assurer l’approvisionnement des installations.

[117]     La nature des déchets en cause et l’importance pour la Régie d’en obtenir le contrôle sont bien expliquées par le juge de première instance aux paragraphes [26] et [27] de son jugement :

[26]      Sachons que la production de déchets solides provient de trois origines. Un premier groupe provient des résidences privées. Un deuxième est constitué des institutions, des commerces et de l'industrie. Communément on décrit les déchets provenant de ce groupe comme les « déchets ICI ». Enfin, le troisième groupe provient du secteur de la construction. Notons que, sauf rares exceptions, les déchets provenant des résidences, des petits commerces et institutions sont recueillis par collectes publiques sous l'autorité des municipalités alors que les autres se font par des collectes privées organisées par des entrepreneurs.

[27]      La motivation de la Régie d'assujettir son contrôle sur les ICI était dictée par des motifs purement économiques. En effet, les conditions de financement et le coût à payer par les municipalités seront d’autant moins lourds que la quantité de déchets fournie à SIGED sera grande et permettra l'usage intensif des installations.

[118]     Ces pouvoirs sont accordés à la Régie par la loi. En 1990, la Loi concernant la Régie intermunicipale de gestion des déchets sur l’Ile de Montréal[71] (la « Loi de 1990 ») accorde à la Régie la propriété exclusive des déchets enlevés par une municipalité membre ou pour son compte dès que la Régie les reçoit et les accepte[72]. La Loi de 1990 lui donne en même temps le pouvoir, au regard de chaque municipalité membre, de déterminer parmi les déchets enlevés par la municipalité ou pour son compte, « … ceux dont elle entend prendre livraison, prescrire des modalités d’enlèvement, de transport et de livraison à l’égard de ces derniers, définir les conditions et modalités d’acceptation de ceux-ci et désigner pour leur livraison toute installation »[73]. Sur demande de la Régie, la municipalité membre doit alors livrer ces déchets aux installations désignées par la Régie et se conformer aux modalités applicables[74]. La municipalité ne peut accorder ou renouveler un contrat d’enlèvement de ces déchets sans que les modes de leur collecte et de leur élimination soient approuvés par la Régie[75].

[119]     En présentant le Projet de loi privé[76] qui deviendra, lorsque adopté et sanctionné, la Loi de 1990, la Régie a également demandé les pouvoirs de contrôler le transport, l’entreposage, le tri, le traitement, le recyclage, l’élimination ou le dépôt des déchets « para-municipaux », c’est-à-dire ceux générés sur le territoire d’une municipalité membre, mais dont l’enlèvement n’est pas effectué par la municipalité ou pour son compte[77]. Ces pouvoirs de contrôle visant les déchets des commerces, des industries et des institutions ne lui sont pas accordés puisqu’ils ne se retrouvent pas à la Loi de 1990.

[120]     La Régie revient à la charge en 1992. Cette fois, la Loi concernant la Régie intermunicipale de gestion des déchets sur l’Ile de Montréal[78] (la « Loi de 1992 ») lui accorde le pouvoir de réglementer tous les déchets et non seulement ceux enlevés par une municipalité membre de la Régie ou pour son compte. Ainsi, la Régie peut, par règlement, prescrire les règles relatives au transport des déchets et les conditions de leur acceptation à ses installations, établir des catégories de déchets et prescrire les modalités de conditionnement de ceux qui sont réutilisables ou recyclables aux fins de leur enlèvement ou de leur collecte sélective[79]. Elle peut aussi implanter un système de manifeste de chargement pour les transporteurs de déchets[80]. Les règlements ainsi adoptés prévalent sur tout règlement d’une municipalité membre portant sur le même objet[81].

[121]     Même si la Loi de 1992 accorde à la Régie le pouvoir d’imposer par règlement un régime d’inspection des propriétés pour vérifier le respect de ses règlements, elle ne lui permet pas de créer une infraction pour le défaut de se conformer à cette réglementation et d’intenter des poursuites pénales pour réclamer des amendes comme l’a pourtant demandé la Régie[82].

[122]     Enfin, pour compléter cette description du contrôle de l’approvisionnement des installations en déchets solides, il y a lieu de signaler qu’à cette époque, l’exploitant d’un lieu d’élimination des déchets solides peut accepter de recevoir des déchets qui proviennent d’une autre municipalité régionale de comté ou d’une autre communauté urbaine ou régionale que celle où est situé le lieu d’élimination, même s’il n’est pas tenu de le faire[83]. Par ailleurs, le 29 novembre 1995 par le Décret 1549-95 adopté conformément à l’article 31.5 L.Q.E., le gouvernement autorise le projet d’agrandissement du lieu d’enfouissement sanitaire de Lachenaie avec une capacité annuelle d’enfouissement de 970 000 tonnes et prévoit expressément que les déchets générés dans le territoire de l’Ile de Montréal peuvent y être enfouis[84].

2. Le paragraphe 3.3 du contrat P-8

[123]     Le 20 mars 1996, lorsque la SIGED fait tenir à SEFW l’avis de résiliation D-14, elle invoque le paragraphe 3.3 du contrat de conception et de construction P-8 pour justifier son geste. Elle fait alors le constat qu’après trois ans d’efforts suivant la signature du contrat P-8, le 22 décembre 1992, les conditions préalables à la mise en oeuvre de ce contrat ne sont pas encore accomplies. En même temps, elle met fin aux démarches entreprises pour obtenir les autorisations environnementales requises pour la réalisation du projet, au premier chef l’obtention du certificat gouvernemental d’autorisation prévu à l’article 31.5 L.Q.E.

[124]     Le juge de première instance décide quant à lui que le paragraphe 3.3 empêche plutôt la SIGED d’abandonner ainsi les démarches entreprises pour obtenir la délivrance de ce certificat du gouvernement. En résiliant le contrat, c’est la SIGED qui commet une faute contractuelle envers son cocontractant puisque, non seulement empêche-t-elle que ce certificat soit délivré, mais elle fait obstacle en même temps à la réalisation de toutes les conditions préalables à la délivrance de l’avis d’exécution. Selon le juge, le débiteur de l’obligation conditionnelle se trouve ainsi à en empêcher l’accomplissement avec la conséquence qu’elle a tout son effet comme le prévoit l’article 1503 C.c.Q. et que toutes les conditions préalables à la mise en œuvre du contrat P-8 sont dès lors réputées accomplies.

[125]     L’interprétation et l’application du paragraphe 3.3 du contrat de construction P-8 sont au cœur du litige et les deux parties en font des lectures qui conduisent à des résultats opposés. C’est donc à cette question qu’il faut d’abord s’arrêter.

a) Le contexte du paragraphe 3.3

[126]     À la clause 2 du contrat de conception et de construction P-8, chacune des parties énonce des déclarations et des garanties sur lesquelles l’autre partie se fonde « … dans le cadre de l’opération envisagée aux présentes ». Ces déclarations et garanties concernent la légalité de la constitution de chaque partie et l’absence d’empêchements légaux à ce qu’elle s’engage contractuellement. On notera cependant qu’au sous-paragraphe 2.1.7, la SIGED garantit que la Régie est légalement habilitée « … à faire en sorte que tous les déchets acceptables, tant résidentiels que commerciaux ou industriels, qui sont produits sur le territoire, soient livrés aux installations ».

[127]     L’en-tête de la clause 3 indique qu’elle concerne des « conditions préalables ». Du paragraphe 3.1 jusqu’au sous-paragraphe 3.1.18 sont énoncées les conditions préalables aux obligations du propriétaire, la SIGED, et du paragraphe 3.2 jusqu’au sous-paragraphe 3.2.7 celles qui sont préalables aux obligations du maître d’œuvre. Sauf le cas de renonciation, les « droits, obligations et responsabilités » de chaque partie sont « assujettis à ce qu’il soit satisfait à chacune des conditions préalables » qui sont énumérées aux sous-paragraphes 3.1.1 à 3.1.18 pour le propriétaire et aux sous-paragraphes 3.2.1 à 3.2.7 pour le maître d’œuvre.

[128]     Du côté de la SIGED, les sept premières conditions visent la conclusion d’une série d’engagements contractuels parmi lesquels il faut signaler la signature d’un contrat de fourniture d’électricité avec l’acheteur, en l’espèce Hydro-Québec[85]. Une autre condition fondamentale est stipulée au sous-paragraphe 3.1.9 qu’il est opportun de citer in extenso :

3.1.9    Permis, licences et autorisations - Tout permis, toutes licences et toutes autorisations applicables à l’environnement et tous les autres permis, licences et autorisations gouvernementaux qui doivent être délivrés en vertu des lois applicables avant la date d’entrée en vigueur, qui sont précisés en annexe 4 ci-jointe et doivent être obtenus par le maître d’œuvre ou le propriétaire ou les deux avant le début de la construction des installations, auront été dûment obtenus par le maître d’œuvre ou le propriétaire ou les deux, selon le cas, à la satisfaction raisonnable du propriétaire quant à la forme et au fond, et seront définitifs et en vigueur et produiront leur plein effet et ne seront pas susceptibles d’appel ultérieur.

[129]     L’annexe 4 à laquelle réfère ce paragraphe précise, sous forme de tableau, qui du propriétaire ou du maître d’œuvre a la responsabilité d’obtenir chacun des permis et certificats qui y sont énumérés. Il indique que c’est le propriétaire, la SIGED, qui a la responsabilité de la procédure d’évaluation et d’examen des impacts sur l’environnement visée à la L.Q.E. et au Règlement sur l’évaluation[86]. Cela inclut évidemment la délivrance du certificat d’autorisation par le gouvernement, dernière étape de ce processus.

[130]     Le caractère véridique et exact des garanties du maître d’œuvre, SEFW, qui sont stipulées au paragraphe 2.2 constitue également une condition préalable aux engagements de la SIGED[87] de même que l’obtention par la SIGED du financement nécessaire à l’exécution du contrat P-8[88] et l’acquisition par cette dernière du titre de propriété de l’incinérateur et du centre de tri[89].

[131]     Parmi les conditions préalables auxquelles sont assujettis les droits, obligations et responsabilités de SEFW en sa qualité de maître d’œuvre, l’alinéa introductif du paragraphe 3.2 stipule que certaines des conditions préalables aux obligations de la SIGED s’appliquent également à celles de SEFW, notamment celles du sous-paragraphe 3.1.9 précité relatives aux permis et autorisations mentionnés à l’annexe 4 et celles du sous-paragraphe 3.1.18 concernant l’acquisition par la SIGED du titre de propriété du site de l’incinérateur et du centre de tri. Par ailleurs, c’est également une condition préalable aux engagements du maître d’œuvre que les déclarations et garanties de la SIGED stipulées au paragraphe 2.1 du contrat P-8 « seront exactes à tous égards d’importance à la date d’entrée en vigueur comme si elles avaient été faites à cette date, et le propriétaire aura livré au maître d’œuvre un certificat d’un dirigeant autorisé à cet égard »[90].

[132]     L’obtention par la SIGED du financement nécessaire à l’exécution du contrat P-8[91], la signature, entre la Régie et la SIGED, des contrats nécessaires à l’exécution des obligations de cette dernière en vertu du contrat P-8 et du contrat P-9 et l’habilitation de la Régie pour faire en sorte que les déchets soient livrés aux installations[92] sont également des conditions préalables aux obligations de SEFW en vertu du contrat P-8.

[133]     On a déjà signalé que la réalisation des conditions préalables des paragraphes 3.1 et 3.2 du contrat P-8 ne concerne pas seulement les droits et obligations des parties, elle est également nécessaire à l’entrée en vigueur du contrat de construction P-8 puisque sa date d’entrée en vigueur est fixée par la réalisation de toutes les conditions préalables des paragraphes 3.1 et 3.2 et la transmission par le propriétaire au maître d’œuvre de l’avis d’exécution[93].

b) Le contenu du paragraphe 3.3

[134]     Le paragraphe 3.3 est la dernière stipulation de la clause 3 relative aux conditions préalables. Il précise les obligations communes aux deux parties contractantes en vue d’assurer l’accomplissement des conditions préalables et de mettre en œuvre l’objet du contrat P-8 qui est de construire les installations. Il est nécessaire d’en reproduire la facture précise dans sa version française et anglaise :

3.3       Manquement aux conditions - Les parties contractantes devront faire preuve de bonne foi et de diligence raisonnable afin de satisfaire aux conditions préalables stipulées aux paragraphes 3.1 et 3.2 des présentes, et chaque partie devra promptement aviser l’autre partie lorsqu’il aura été satisfait à chaque condition préalable ou qu’il y aura été renoncé par écrit par la partie dont l’obligation est assujettie à celle-ci. Le propriétaire et le maître d’œuvre devront signer une déclaration concernant la date d’entrée en vigueur, dans laquelle il est déclaré qu’il a été satisfait à toutes les conditions préalables stipulées aux paragraphes 3.1 ou 3.2 des présentes, selon le cas, ou qu’il y a été renoncé. Si, au deuxième anniversaire de la date du marché (laquelle date pouvant être reportée de jour en jour par un litige en instance qui a un rapport important avec la capacité des parties à aller de l’avant dans les opérations envisagées aux présentes, mais non plus tard que le quatrième anniversaire de la date du marché) ou toute date ultérieure dont le propriétaire et le maître d’œuvre peuvent convenir, il n’est pas satisfait à toute condition préalable aux paragraphes 3.1 ou 3.2 des présentes, selon le cas, ou qu’il n’y est pas renoncé, chaque partie contractante peut, par avis écrit donné à l’autre partie, résilier le présent contrat. En aucun cas une partie n’a le droit de résilier le présent contrat en raison du manquement à satisfaire à une condition préalable qui est du ressort de cette partie. Aucune des parties n’engagera sa responsabilité vis-à-vis de l’autre en cas de résiliation du présent contrat en vertu du présent paragraphe 3.3, et chacune des parties assumera ses dépenses respectives attribuables aux opérations envisagées aux présentes sauf que le propriétaire devra rembourser le maître d’œuvre pour tous frais engagés au titre de la conception, de l’aménagement et des permis ou autrement reliés aux efforts du maître d’œuvre en vue de satisfaire à toute condition préalable au présent contrat jusqu’à concurrence de 2 500 000 $.

3.3       Failure of Conditions - The parties shall exercise good faith and due diligence in satisfying the conditions precedent set forth in Sections 3.1 and 3.2 hereof, and each party shall give prompt notice to the other party when each condition precedent shall have been satisfied or waived in writing by the party whose obligations are conditioned thereon. The Owner and the Builder shall execute an acknowledgement as of the Commencement Date, stating that all the conditions precedent set forth in Sections 3.1 and 3.2 hereof, as the case may be, have been satisfied or waived. If by the second anniversary of the Contract Date (as such date may be extended day for day by pending litigation which has a material bearing upon liability of the parties to proceed with the transactions contemplated herein, but not later than the fourth anniversary of the Contract Date), or such later date upon which the Owner or the Builder may agree, any condition precedent in Section 3.1 or 3.2 hereof, as the case may be, is satisfied or waived, either party hereto may, by notice in writing to the other party, terminate this Agreement. In no event shall any party have the right to terminate this agreement due to failure to satisfy a condition precedent that is within that party's control. Neither party shall be liable to the other for the termination of this Agreement pursuant to this Section 3.3, and each of the parties shall bear its respective expenses attributable to the transactions herein contemplated except that the Owner shall reimburse the Builder for any costs it incurred in the design, development, permitting or otherwise in connection with the Builder's efforts to satisfy any of the conditions precedent to this Agreement up to a maximum of $ 2,500,000.

[135]     Le paragraphe 3.3 impose d’abord à chacune des parties l’obligation d’agir de bonne foi et de faire preuve d’une diligence raisonnable dans l’accomplissement des conditions préalables. La terminologie employée est créatrice d’une obligation de moyens et non de résultat. Des formalités d’avis et de signature sont prévues aux fins de confirmer l’accomplissement des conditions et la détermination de la date d’entrée en vigueur du contrat.

[136]     La clause ne prévoit pas de délai maximal à l’intérieur duquel toutes les conditions préalables doivent être accomplies. Cela se comprend si l’on tient notamment compte de la quantité et de la complexité des conditions, tant au plan du nombre ainsi que de la diversité des autorisations environnementales énumérées à l’annexe 3 et accordées par des autorités administratives différentes, que sur le plan de la multiplication de conventions complexes à être conclues avec divers interlocuteurs tels Hydro-Québec et la Régie.

[137]     Bien qu’un délai maximum de réalisation des conditions n’y soit pas prévu, le paragraphe 3.3 du contrat P-8 accorde cependant à chaque partie contractante un droit de résiliation du contrat si, dans un délai de deux ans après la signature du contrat, le 22 décembre 1992[94], « … il n’est pas satisfait à toute condition préalable aux paragraphes 3.1 ou 3.2 des présentes, selon le cas, ou qu’il n’y est pas renoncé… ».

[138]     Ce droit de résiliation fait cependant l’objet d’une exception importante : « En aucun cas une partie n’a le droit de résilier le présent contrat en raison du manquement à satisfaire à une condition préalable qui est du ressort de cette partie. » La partie responsable d’un tel manquement est donc privée de son droit de demander la résiliation du contrat pour le motif qu’une condition qui est de « son ressort » n’est pas encore accomplie au 22 décembre 1999, soit au deuxième anniversaire de la date du marché. Tout le litige gravite autour de l’interprétation de cette clause de réserve.

[139]     Enfin, lorsqu’une partie exerce sa faculté de résiliation conformément au paragraphe 3.3, elle n’engage pas sa responsabilité envers son cocontractant et elle doit assumer seule les dépenses afférentes aux opérations envisagées au contrat de construction P-8. Les parties ont toutefois convenu que, dans une telle éventualité, la SIGED doit rembourser à SEFW, jusqu’à concurrence d’un maximum de 2 500 000 $, les frais engagés au titre de la conception, de l’aménagement et des permis « ou autrement reliés aux efforts du maître d’œuvre en vue de satisfaire à une condition préalable au présent contrat ». À la différence de la faculté de résiliation accordée à la SIGED par la clause 7 du contrat P-8[95] ou de celle que lui octroie le paragraphe 9.9 du contrat P-9[96], il ne s’agit pas ici d’une pénalité forfaitaire que doit payer la SIGED, mais bien d’un remboursement de frais payés par SEFW pour les fins précises mentionnées au paragraphe 3.3 in fine et dont la preuve doit être faite. De plus, ce remboursement est limité à une somme maximale de 2 500 000 $.

c) La portée de l’exception au droit de résilier du paragraphe 3.3

[140]     Si, comme on l’a vu plus haut au paragraphe [124], le juge de première instance a jugé que la SIGED a commis une faute contractuelle en donnant l’avis de résiliation P-14 et en mettant fin aux démarches entreprises pour l’obtention de l’autorisation gouvernementale de l’article 31.5 L.Q.E., c’est qu’il a jugé que le maintien de cette demande était « du ressort » de la SIGED selon le paragraphe 3.3 et l’annexe 4.

[141]     Son raisonnement sur cette question est consigné aux paragraphes [433] à [453] et [1390] de son jugement :

[433]    Essentiellement, pour la demanderesse, l'expression de son ressort exprime une responsabilité d'action. Ainsi, la demanderesse prétend que la réalisation d’une condition peut émaner non d'elle-même, mais d'un tiers. Ce qui est manifestement le cas en ce qui regarde l’obtention du certificat puisqu'il doit émaner du gouvernement.

[434]    Pour la défenderesse, l’expression renvoie à une autorité d'attribution, une compétence d'exercice.

[435]    Qu'en est-il ?

[436]    Voici la définition tirée de quelques dictionnaires :

2 (1335) DR. Compétence (d'une juridiction). Le ressort de la juridiction. LOC. COUR. DU RESSORT DE. Cette affaire est du ressort de la cour d'appel. 2 ressortir; relever. « Il y avait encore les conditions à débattre, mais elles étaient du ressort de la Municipalité » Ramuz. - (1694) FIG. De la compétence de; qui concerne. Cela n'est pas de mon ressort. attribution, compétence, domaine.

2. Ressort n.m. (de 2. ressortir). DR. Limite de la de la compétence matérielle et territoriale d'une juridiction. Le ressort d'un tribunal. Juger en premier, en dernier ressort : juger une affaire susceptible, non susceptible d'appel. - Par ext. Être du ressort de qqn, de sa compétence.

A. - 1. DR. Détermination de la portée d'une décision en voie de recours.

2. P. ext. En dernier ressort. En fin de compte, en définitive.

B. - DR. Circonscription territoriale dans laquelle s'exerce la juridiction d'un tribunal ou l'activité d'un fonctionnaire.

C. - 1. DR. Compétence d'une juridiction.

                  2. P. ext., loc. verb. Être du ressort de qqn. Être de la compétence de.

[437]    Ces différentes définitions convergent toutes vers une notion de compétence.

[438]    Il faudrait toutefois se garder de voir dans cette notion celle d'une autorité décisionnelle. Il tombe d'ailleurs sous le sens que, dans aucun cas, les conditions afférentes aux deux parties sont exclusivement leur œuvre. Elles impliquent toujours la participation d'une autre entité, généralement celle d'un tiers, parfois même celle de SEFW.

[439]    Ainsi, des conditions préalables exigibles par le propriétaire SIGED, celle à l'alinéa 3.1.1 contrat de services, implique l'acte de l'exploitant SEFW et de SIGED. D'autres impliquent le propriétaire et l'acheteur d'électricité (3.1.4) ou un exploitant d'un site d'élimination (3.1.5, 3.1.6) ou la ville où les installations doivent être érigées (3.1.7). Il en est de même pour l'obtention du financement (3.1.15) ou l'acquisition du site d'exploitation (3.1.18).

[440]    On comprend sans peine que, avec la variante, SEFW étant simple entrepreneur, ce soit SIGED qui doive s'occuper de rechercher le financement, de se procurer un site pour ses installations, conclure les contrats avec Hydro-Québec ou la ville-hôtesse.

[441]    Pour les permis, licences et autorisations, (3.1.9), il est évident que leur délivrance dépend des décisions des autorités publiques.

[442]    Mais l'événement ne saurait survenir spontanément; une démarche pour y satisfaire doit être entreprise. Or au préambule de la clause 3.3, les parties ont exprimé une même obligation de conduite : faire preuve de bonne foi et de diligence raisonnable.

[443]    Le droit de résilier pour non-satisfaction après un délai de deux ans s'attache nécessairement à cette obligation de conduite.

[444]    Il en est de même pour les conditions préalables aux obligations de SEFW (3.2).

[445]    Le tempérament prohibant la résiliation pour le manquement de satisfaire à une condition préalable qui est du ressort de cette partie, ne signifierait rien s'il ne s'attachait pas à une obligation.

[446]    Les parties ont réparti entre elles les attributions pour entreprendre et poursuivre les démarches associées à la satisfaction de chaque condition préalable.

[447]    Ainsi, pour les multiples permis, licences et approbations, à l'annexe 4 de P-8, elles ont indiqué sous forme de tableau à qui incombait la responsabilité de la démarche pour chaque permis. On y lit que la délivrance du certificat d'autorisation du gouvernement est la responsabilité du propriétaire. Ce dont le propriétaire est responsable ne peut être autre chose que de la démarche pour obtention, mais non pas de la délivrance.

[448]    Il ne saurait en être différent pour les obligations générales exprimées à l'article 3 de P-8.

[449]    L'article 1425 C.c.Q. établit une règle de strict bon sens :

1425. Dans l'interprétation du contrat, on doit rechercher quelle a été la commune intention des parties plutôt que de s'arrêter au sens littéral des termes utilisés.

[450]    Lluelles & Moore enseignent :

Pour conclure au doute, le juge doit se convaincre que la difficulté de compréhension est sérieuse au point d’embarrasser une personne normalement intelligente.

[451]    En l'espèce, une condition préalable du ressort d'une partie doit donc s'entendre comme l'attribution à une partie de la responsabilité de la démarche en vue de la réalisation de cette condition.

[452]    Cette interprétation nous apparaît être la seule qui puisse donner un sens aux obligations que les parties ont décidé d'assumer. Dans le contexte, on voit mal comment le tempérament de la clause 3.3 pourrait viser une situation qui est hors des attributions d'une partie.

[453]    Enfin, le délai de deux ans inscrit à cette clause qui donne ouverture au droit de résilier ne s'applique pas non plus puisque les parties l'ont exclu en spécifiant que, à l'égard d'une condition préalable qui est de son ressort, une partie ne peut résilier en aucun cas.

[…]

[1390]  Toutefois, la clause 3.3 de P-8 prohibait à SIGED d'abandonner la demande de ce certificat.

[142]     Ainsi, le juge conclut qu’en abandonnant sa demande de certificat d’autorisation, la SIGED a commis une faute contractuelle puisqu’elle empêche la réalisation de conditions qui sont « de son ressort ». Il lui fait le même reproche pour avoir abandonné ses démarches pour l’obtention de gré à gré des terrains nécessaires aux installations après l’expiration des réserves pour fins publiques[97], pour avoir cessé celles relatives à la passation d’un contrat d’achat d’électricité avec Hydro-Québec[98] et pour avoir interrompu sa recherche de financement[99].

[143]     Dans son mémoire, SEFW exprime de façon concise cette interprétation de l’exception énoncée au paragraphe 3.3 du contrat de construction P-8. En faisant référence à l’annexe 4 du contrat P-8 qui détermine qui est responsable de l’obtention des permis et autorisations, elle écrit :

78.       Chaque condition préalable prévue au contrat P-8 est nécessairement du ressort de l’Appelante ou de l’Intimée. Aucune des conditions préalables ne peut se réaliser spontanément, sans l’intervention de l’Appelante, de l’Intimée ou, dans certains cas, des deux.

79.       Chaque partie dispose d’un délai de 2 ans à l’intérieur duquel elle doit poursuivre l’accomplissement des conditions préalables qui sont de son ressort. Si elle ne réussit pas à obtenir l’accomplissement de ces conditions à l’intérieur de ce délai, alors l’autre partie peut résilier le contrat. Les parties peuvent également convenir de repousser l’échéance.

[144]     La Cour est d’avis qu’une telle interprétation doit être écartée, et ce, pour plusieurs motifs.

[145]     Premièrement, elle contredit le texte même du paragraphe 3.3 du contrat P-8 qui accorde à chaque partie le droit de résilier le contrat après deux ans sans faire de distinction entre les conditions qui ne sont pas alors réalisées. En effet, le paragraphe 3.3 stipule expressément que, s’il n’est pas satisfait « à toute condition préalable aux paragraphes 3.1 ou 3.2 des présentes, selon le cas, chaque partie contractante peut (…) résilier le présent contrat ». En d’autres termes, chaque partie peut en principe résilier après deux ans, même à l’égard d’une condition qui la concerne ou dont elle est responsable.

[146]     Deuxièmement, elle équivaut à transformer ce qui est expressément énoncé comme une obligation de moyens en une obligation de résultat et elle engendre une incohérence qui ne peut avoir été voulue par les parties. Ainsi, en l’espèce, la SIGED a assumé la responsabilité de faire les démarches afférentes à l’obtention du certificat d’autorisation du gouvernement de l’article 31.5 L.Q.E.[100]. Entre le 19 novembre 1990 et le 20 mars 1996, soit plus d’un an après l’expiration du délai prévu au paragraphe 3.3, elle s’est conformée à toutes les obligations que lui imposaient les articles 31.1 à 31.5 L.Q.E. et le Règlement sur l’évaluation[101]. Selon l’interprétation retenue par le juge de première instance, plus d’un an après l’expiration du délai visé au paragraphe 3.3, elle n’avait toujours pas le droit de résilier le contrat malgré qu’elle ait jusque-là fait preuve « … de bonne foi et de diligence raisonnable afin de satisfaire aux conditions stipulées aux paragraphes 3.1 et 3.2 des présentes… ».

[147]     Le juge lui reproche d’avoir manqué à son obligation en retirant sa demande alors même que ce retrait n’est qu’une conséquence de l’exercice de son droit de résiliation. Ainsi, par cette interprétation, la SIGED est condamnée à attendre indéfiniment une décision gouvernementale qui ne viendra ni à court ni à moyen terme puisqu’elle a été reportée sine die lors de l’adoption par le Conseil des ministres de la décision n° 95-224 du 22 novembre 1995[102] et qu’il est devenu clair qu’elle ne viendra pas avant le résultat des audiences génériques sur les matières résiduelles et l’élaboration d’une politique de gestion des matières résiduelles devant s’appliquer à l’échelle des communautés urbaines et des MRC[103].

[148]     Ce résultat, qui prive la SIGED de son droit de résiliation plus de trois ans après la date du marché et l’oblige à attendre indéfiniment une décision gouvernementale de plus en plus improbable, est d’autant plus incongru que, pendant cette période, les coûts envisagés de l’opération et qui sont imputables aux contribuables des municipalités membres de la Régie ne cessent d’augmenter. Tel que déjà vu, le seul retard à l’entrée en vigueur du contrat P-8 a pour conséquence une hausse automatique annuelle du prix payable[104]. De plus, le juge de première instance lui-même doit reconnaître que cette situation est source de coûts additionnels pour la SIGED, la Régie et ultimement les contribuables des municipalités membres, notamment à cause de la résiliation du contrat d’achat d’électricité par Hydro-Québec et de la perte des revenus devant être générés en vertu de ce contrat[105]. Il se fonde même sur ces conséquences auxquelles étaient confrontés la SIGED et les maires des municipalités de la Régie pour en conclure que l’adoption de la résolution de résiliation le 20 mars 1996 ne pouvait constituer une faute lourde de la SIGED tel que l’a toujours prétendu SEFW.

[149]     Cette incohérence apparaît également si l’on considère que, de l’aveu de SEFW elle-même, la SIGED n’avait pas de contrôle sur la décision que doit rendre le gouvernement au terme de la procédure d’évaluation environnementale. En effet, peu de temps avant la signature des contrats de construction P-8 et de service P-9, M. Lalonde écrit au ministre des Affaires municipales, M. Claude Ryan[106]. À ce moment, il reste à régler la question de savoir si une indemnité sera payable à SEFW « … au cas où le projet de recyclage des déchets pour lequel la Société [SEFW] a été choisie ne serait pas poursuivi parce que la Régie n’aurait pas obtenu les permis nécessaires ».

[150]     M. Lalonde précise alors de quel permis il s’agit :

Nous parlons ici du permis relatif à l’environnement que le gouvernement du Québec est habilité à émettre, avec ou sans l’accord du BAPE, comme dans le projet de Soligaz par exemple.

En ce qui concerne le permis relatif à l’environnement, c’est le gouvernement du Québec et non la Régie qui prendra la décision. C’est donc au gouvernement de déterminer s’il est juste de demander à la Société de travailler sans rémunération à un projet dont le sort sera décidé par ce même gouvernement.

Il demande en conséquence au ministre qui doit approuver le contrat à être conclu de consentir à une clause prévoyant une compensation pour SEFW au cas où la condition relative à l’approbation environnementale du projet par le gouvernement ne pourrait s’accomplir. C’est cette clause que l’on retrouve à la fin du paragraphe 3.3 du contrat.

[151]     Non seulement ce pouvoir décisionnel appartient-il au gouvernement en dernière analyse, mais encore s’agit-il d’un pouvoir largement discrétionnaire, comme le confirme la jurisprudence de la Cour :

[…] Quant au gouvernement, il reste en fin de compte le seul véritable décideur. L’étude d’impact n’est qu’un des éléments de sa prise de décision puisque cette dernière peut aussi être basée sur des considérations d’ordre économique, politique, social ou autre. Le gouvernement jouit donc d’un pouvoir discrétionnaire encore plus grand que celui du ministre et n’est pas lié par l’étude d’impact.

Ce processus administratif de prise de décision, d’apparence très démocratique, est donc au fond un simple processus de consultation, complexe certes, mais sans aucune véritable contrainte juridique pour l’Administration autre que le respect de la procédure prévue par le législateur. Il a pour but de fournir un éclairage à la décision du ministre pour asseoir la recommandation qu’il présentera au gouvernement. Le ministre n’a donc, d’après la loi et les règlements, que fort peu de contrainte juridique directe relativement à l’expertise qui lui est présentée ou à l’information qui lui est fournie, et le gouvernement, lui, second niveau d’appréciation discrétionnaire, n’en a formellement aucune.

[…]

Le processus prévu par le législateur vise donc à éclairer la prise de décision. Il n’en est pas un d’arbitrage entre différentes tendances, points de vu ou prétentions. Le pouvoir discrétionnaire du gouvernement est très vaste puisque sa décision d’autoriser la construction peut se fonder non seulement sur la recommandation du ministre et les documents alors existants, mais aussi sur des informations et considérations de politique gouvernementale générale.[107]

[152]     Alors qu’il est reconnu que la SIGED a fait diligence pour s’acquitter de ses responsabilités sous le régime d’évaluation environnementale de la L.Q.E. et du Règlement sur l’évaluation[108], la thèse défendue par SEFW sur l’interprétation à donner au paragraphe 3.3 du contrat de construction oblige la SIGED à attendre indéfiniment la décision du gouvernement au terme du processus d’évaluation. Elle ne peut invoquer le droit de résiliation conféré par ce paragraphe, et ce, même si elle n’a aucun contrôle sur la décision largement discrétionnaire qui appartient au gouvernement, même s’il s’est écoulé plus de trois ans depuis la signature du contrat de construction P-8 et même si ce délai a pour conséquence l’augmentation constante des coûts de construction et d’opération payables par les fonds publics. Encore une fois, une telle interprétation conduit à une incohérence qui vide de son sens le paragraphe 3.3 du contrat P-8.

[153]     Troisièmement, le sens que le juge de première instance a attribué à l’exception au droit de résilier ne se justifie pas par le contexte. D’une part, la version anglaise du paragraphe 3.3 donne une portée plus restrictive à l’exception puisqu’elle limite celle-ci au droit d’une partie à invoquer le droit de résiliation conféré par le paragraphe 3.3 au cas où il y a, de la part de cette partie « ..,. failure to satisfy a condition precedent that is within that party’s control ». On envisage donc davantage que la seule attribution à une partie de la responsabilité de la demande en vue de la réalisation d’une condition. Pour être privée du bénéfice du droit de résiliation, la partie fautive doit être responsable du manquement ou de la non-réalisation d’une condition sur laquelle elle exerce une mesure de maîtrise, de pouvoir.

[154]     La version anglaise des contrats P-8 et P-9 peut être utilisée aux fins d’interprétation puisque, selon les informations fournies par les parties à l’audience, les contrats n’ont pas été traduits du français à l’anglais. Ils ont été négociés en anglais[109] et ont ensuite été traduits en français aux fins des audiences publiques devant le BAPE. De plus, il appert que lors de certains témoignages, notamment celui de monsieur Brown de SEFW, les deux versions ont été utilisées.

[155]     D’autre part, la version anglaise du paragraphe 3.3 est plus en accord avec l’intention des parties, exprimée tant en anglais[110] qu’en français dès le début du paragraphe 3.3, selon laquelle leurs obligations respectives au regard des conditions préalables de la clause 3 sont des obligations de moyens et non de résultat.

[156]     Par conséquent, l’exception au droit de résilier du paragraphe 3.3 doit s’interpréter et s’appliquer dans le contexte de l’obligation de moyens imposée aux parties par la clause. Une partie ne peut donc pas prétendre résilier le contrat au motif que, deux ans après la signature du contrat P-8, une condition préalable dont la réalisation est sous son contrôle ne s’est pas réalisée, si ce défaut de réalisation sous son contrôle résulte d’un manquement à son obligation de moyens, soit parce qu’elle a fait preuve de mauvaise foi ou qu’elle a failli à son obligation de diligence raisonnable.

[157]     La faute contractuelle qui fait perdre le bénéfice de l’exception ne peut donc pas consister dans le seul fait de retirer une demande d’autorisation environnementale plus d’un an après l’expiration du délai prévu au paragraphe 3.3 au simple motif que l’annexe 4 du contrat P-8 confie la responsabilité de cette demande à la partie. Encore faut-il que cette partie ait alors une mesure de contrôle sur la réalisation de la condition et que le défaut de son accomplissement soit imputable à un manquement de diligence raisonnable de sa part ou à un manque de bonne foi.

[158]     En dernière analyse, sur cette question de la portée de l’exception au droit de résilier, la Cour estime fondées les propositions suivantes que formule Montréal dans son mémoire :

[60]      La Ville soumet que le but manifeste de cette exception au droit de résiliation était d’empêcher une partie d’utiliser l’inaccomplissement d’une Condition préalable de son ressort comme prétexte pour résilier les contrats. On peut imaginer une situation où, à l’aube du 22 décembre 1994, une Condition préalable demeure inaccomplie, justement parce qu’une partie qui en contrôle la réalisation refuse d’y donner suite. Une telle situation serait évidemment inique et c’est pourquoi les parties ont aménagé cette exception au paragraphe 3.3 du Contrat P-8 - c’est pure logique. En l’espèce, ce n’est manifestement pas dans cette situation que ce sont retrouvées les parties, l’inaccomplissement des Conditions préalables dans le délai imparti étant manifestement dû à des circonstances totalement hors de leur contrôle (rapport du BAPE, etc.).

[61]      Le fait est que l’appelante, qui gère des fonds publics, ne pouvait être indéfiniment soumise à une obligation de chercher à satisfaire les Conditions préalables. Si l’on acceptait les prétentions de SEFW, retenues par le premier juge, il faudrait conclure que la Ville était soumise à une obligation perpétuelle à cet égard, que son droit de résiliation était en fait factice, et que seul un refus catégorique et sans appel du Conseil des ministres d’émettre le certificat d’autorisation environnemental requis aurait pu donner ouverture au droit de résilier les contrats. Mais cette prétention vide de son contenu le droit de résiliation prévue au paragraphe 3.3 puisque, si le Conseil des ministres refuse d’émettre le certificat d’autorisation environnemental, le contrat n’a de toute façon plus d’objet, est impossible d’exécution et vient automatiquement à terme. Et, bien sûr, une telle prétention évacue dans les faits toutes les autres conditions préalables, comme si elles n’avaient jamais été stipulées. Or, une clause doit s’entendre dans le sens qui lui confère quelque effet plutôt que dans celui qui n’en produit aucun.

[62]      Cela est si vrai que, selon les prétentions de SEFW, retenues par le premier juge, même si, malgré les protestations de la Ville, Hydro-Québec a résilié le Contrat de vente d’électricité, cette condition n’aurait pas défailli. Selon SEFW en effet, la Ville avait toujours l’obligation, carrément perpétuelle, de tenter de convaincre Hydro-Québec de revenir à la table et de conclure une nouvelle convention avec elle et ce, exactement aux mêmes conditions que dans l’entente résiliée.

[63]      Cette thèse équivaut à réécrire le contrat pour lui donner un effet absurde et jamais voulu par les parties. L’interprétation acceptée par le premier juge viole la lettre et l’esprit du paragraphe 3.3 et ne saurait être retenue. Cette conclusion s’impose d’autant plus dans un contexte où ce sont des fonds publics qui sont mis sous la responsabilité de la Ville et qu’un des buts du paragraphe 3.3 était clairement d’éviter que ceux-ci ne soient engagés à fonds perdus, en perpétuité, pour tenter de réaliser un projet dans des conditions économiques, financières ou autres qui ne le justifiaient plus, selon le jugement des officiers publics chargés de les administrer.

Il ressort de ce qui précède que, sur un point précis mais décisif, le jugement entrepris a pour assise une interprétation erronée du contrat P-8.

[159]     En effet, on ne peut dire, comme l’a fait le juge au paragraphe [453] de ses motifs, « [qu’] à l’égard d’une condition préalable qui est de son ressort, une partie ne peut résilier en aucun cas[111] » le contrat P-8. Il s’ensuit que l’exercice le 20 mars 1996 par la SIGED du droit de résiliation prévu au paragraphe 3.3 du contrat P-8, alors que la faculté d’exercer ce droit existait depuis le 22 décembre 1994, ne pouvait constituer en soi une violation de ce contrat. À moins que la non-réalisation d’une ou plusieurs conditions invoquées par la SIGED pour résilier le contrat ne soit survenue, toujours selon les termes du même paragraphe 3.3, « en raison du manquement [de la SIGED] à satisfaire à une condition préalable qui est du ressort [de la SIGED] », sa décision du 20 mars 1996 constituait un exercice licite d’un droit contractuel.

C. La responsabilité de la SIGED

[160]     En ce qui concerne cet aspect du litige, il est utile de revenir sur le raisonnement qui fonde la conclusion du juge de première instance, raisonnement selon lequel la responsabilité de la SIGED découle de la clause 7 du contrat P-8. Ce raisonnement comporte certaines failles, dont celle déjà explicitée ci-dessus aux paragraphes [140] à [159]. Il s’appuie néanmoins sur des déterminations de fait et de droit dont quelques-unes ne peuvent être remises en question à ce stade. On peut résumer ce raisonnement comme suit :

     La demande de délivrance d’un certificat du gouvernement par la SIGED est demeurée sans suite parce que cette dernière a prétendu résilier le contrat P-8 le 20 mars 1996 et qu’elle a retiré à cette date la demande de certificat d’autorisation encore pendante auprès du gouvernement.

     C’est cette décision, et non la lettre transmise au ministre de l’Environnement le 23 novembre 1995 par les seize signataires membres du conseil d’administration de la SIGED, qui a eu cet effet car le gouvernement, pour des raisons autres que celle invoquées dans cette lettre, avait déjà reporté sa décision sur la demande de certificat[112].

     L’obtention du certificat du gouvernement étant, selon les termes du paragraphe 3.3 du contrat P-8, « du ressort » de la SIGED, cette dernière ne pouvait licitement résilier le contrat P-8 en vertu du paragraphe 3.3 alors même qu’elle empêchait l’accomplissement de cette condition en retirant sa demande.

     Par cette résiliation illicite, la SIGED empêchait non seulement la délivrance du certificat gouvernemental, mais en mettant fin au Projet elle faisait aussi obstacle à l’accomplissement de toutes les autres conditions préalables.

     Il faut donc tenir toutes ces conditions pour satisfaites en raison de la règle posée par l’article 1503 C.c.Q.

     Partant, le contrat P-8 entrait dès ce moment dans sa phase construction et c’est alors sa clause 7, aux termes de laquelle la SIGED pouvait de nouveau exercer un droit de résiliation, qui régissait les rapports entre les parties à compter de ce moment.

     Bien que la résiliation fondée sur le paragraphe 3.3 ait été illicite, il en va différemment de celle fondée sur la clause 7, car les conditions d’application de cette seconde stipulation contractuelle étaient désormais réunies.

     En prenant sa décision du 20 mars 1996, la SIGED n’a pas commis la faute lourde alléguée par SEFW; cette dernière n’a donc droit qu’à l’indemnité stipulée par la clause 7.

[161]     En dépit des prétentions de SEFW, la conclusion selon laquelle c’est la décision du 20 mars 1996 plutôt que la lettre du 23 novembre 1995 qui a entraîné la non-réalisation d’une condition essentielle à l’entrée en vigueur du contrat P-8 doit demeurer intacte en appel. Cette lettre a certes suscité une réaction du ministre Brassard puisque le 28 novembre suivant il écrivait à ce sujet au président de la Régie[113]. Mais il n’existe pas de lien causal entre la lettre et le report par le gouvernement de l’étude du projet de décret que M. Brassard avait fait mettre à l’ordre du jour du conseil des ministres le 22 novembre précédent. On ne peut raisonnablement soutenir dans ces conditions que le défaut par le gouvernement d’adopter ce projet de décret à cette date s’explique « en raison du manquement [de la SIGED] à satisfaire à une condition préalable qui est [de son] ressort », ni d’ailleurs que le report de la décision résulte d’une initiative de la SIGED.

[162]     Il en va de même de la rencontre du 23 février 1996 entre le maire Bossé, récemment élu président du comité exécutif de la Régie, et le ministre de l’Environnement nouvellement nommé, M. David Cliche[114]. La preuve démontre abondamment qu’à cette étape du cheminement du dossier, M. Cliche était peu réceptif à l’accélération du processus d’approbation du Projet : bien au fait des travaux du comité Roquet, il recherchait une solution globale (« à l’échelle de l’île »), dont l’élaboration devrait être précédée par les audiences génériques et les recommandations du BAPE.

[163]     Ayant interprété comme il le fit le paragraphe 3.3 du contrat P-8, le juge de première instance examina ensuite aux paragraphes [541] à [631] de ses motifs la prétention selon laquelle les agissements de la SIGED et de la Régie équivalaient à une faute lourde. Il complète son analyse en ces termes : « Il n’est pas besoin de continuer plus avant l’analyse du caractère de la faute, le Tribunal conclut que la faute lourde n’a pas été prouvée. » En réalité, il ressort clairement de ces motifs que la faute imputée à la partie défenderesse, si faute il y a, en est une de nature contractuelle. Le juge écrit notamment ceci :

[1340]  La demanderesse a intenté son recours sur la base que la résiliation était intervenue en violation de ses droits. Le Tribunal a statué que tel était le cas.

[1341] La défenderesse a résisté et combattu farouchement les poursuites judiciaires.

[1342]  En réaction aux mises en demeure, les auteurs de la défenderesse répondaient que les résiliations étaient bien fondées sous réserve, le cas échéant, des indemnités contractuelles applicables. En dépit de cette formulation, les défenses produites n'ont invoqué que la seule indemnité maximale de 2,5 M $ pour les frais engagés stipulés à la clause 3.3 de P-8.

[1343]  Le Tribunal a rejeté cette défense et statué que, sans pour autant avoir commis une faute lourde, SIGED a manqué à ses obligations contractuelles en cessant de rechercher l'accomplissement des conditions préalables.

De toute évidence, c’est l’interprétation du paragraphe 3.3 qui fournit la prémisse de ce raisonnement. La faute contractuelle aurait consisté en ce que, n’ayant pas la faculté de résilier le contrat en vertu du paragraphe 3.3 parce que l’obtention du certificat gouvernemental était une condition préalable « de son ressort », la SIGED se serait erronément campée sur sa position initiale et aurait refusé à tort de se conformer à la clause 7. Ce faisant, selon le juge, la SIGED aurait manqué à ses obligations, sans pour autant commettre une faute lourde.

[164]     Or, privé de sa prémisse, ce raisonnement s’écroule : la SIGED avait le droit de résilier le contrat aux termes du paragraphe 3.3, dans la mesure où, comme on l’a vu, la non-délivrance du certificat gouvernemental avait pour cause autre chose qu’un « manquement [de sa part] à satisfaire à une condition préalable [… de son] ressort ». En lui-même, le fait qu’elle ait résilié le contrat P-8 le 20 mars 1996 n’est pas un manquement mais l’exercice d’un droit. Tenue à une obligation de moyens, qu’elle devait exécuter avec diligence et bonne foi, elle avait la responsabilité des démarches préalables à l’obtention du certificat gouvernemental, mais à compter du 22 décembre 1994, le droit de résilier le contrat lui était ouvert. En l’absence d’un tel droit, on pourrait penser, et soutenir, que le retrait de la demande pendante auprès du gouvernement justifie l’imposition à la SIGED de la sanction prévue par l’article 1503 C.c.Q. Mais c’est précisément l’existence de son droit de résilier qui change tout. La position prise par SEFW en première instance aurait pu avoir une raison d’être si, par exemple, la SIGED avait retiré sa demande auprès du gouvernement puis, arguant plus tard que la délivrance du certificat devenait impossible, elle avait transmis un avis de résiliation à SEFW. Cependant, ce n’est pas ainsi que se sont déroulées les choses. La simultanéité entre la résiliation et le retrait de la demande signifie au contraire que c’est l’exercice du droit de résiliation, et non un manquement quelconque de la SIGED à ses obligations, qui a rendu l’accomplissement de la condition impossible.

[165]     Revenons néanmoins aux conclusions du juge de première instance. C’est sous l’angle de la clause 7 du contrat P-8, et plus spécifiquement du paragraphe 7.1, qu’il a évalué le comportement de la SIGED afin de déterminer s’il y avait eu faute lourde de sa part. Cette stipulation contractuelle énonce ce qui suit :

7.1       Avis - Le propriétaire peut, si des conditions qui surviennent l’y oblige (sic), suspendre l’exécution de l’ouvrage et (ou) résilier le présent contrat en donnant un avis écrit à cet effet au maître d’œuvre (l’« avis de suspension » ou l’« avis de résiliation »). Une telle suspension ou résiliation prend effet de la manière précitée dans ledit avis et est faite sans préjudice à toute réclamation que l’une des parties peut avoir vis-à-vis de l’autre, ainsi qu’il est spécifié dans le présent contrat.

7.1       Notices - The Owner may, should conditions which arise make it necessary, suspend performance of the Construction Work and/or terminate this Agreement by giving written notice to that effect to the Builder (the “Notice of Suspension” of “Notice of Termination”). Such suspension or termination shall be effective in the manner specified in said notice and shall be without prejudice to any claims which either party may have against the other as specified in this Agreement.

L’attention du juge s’est naturellement portée sur les mots « si des conditions qui surviennent l’y oblige[nt] ». Il a précisé dans les termes qui suivent la question qui lui était présentée :

[676]    Les mots si des conditions qui surviennent l'y oblige(nt) de la clause 7.1 sont assez souples pour fonder une résiliation qui procèderait de la conclusion par SIGED que le Projet était devenu sérieusement handicapé par des coûts qu'elle estimait exorbitants et que le contexte desservait maintenant l'intérêt public.

Cette formulation est appropriée. Il est maintenant acquis en jurisprudence que l’exercice du droit de résilier un contrat d’entreprise ou de service est assujetti aux exigences de la bonne foi[115]. Les conditions d’exercice de ce droit peuvent être modulées contractuellement (comme elles le sont en l’espèce, par les termes « si des conditions …l’y oblige[nt] »), car la règle de l’article 2125 C.c.Q. n’est pas d’ordre public[116]. Néanmoins, les principes de droit commun demeurent applicables et prohibent toute résiliation qui, au sens strict du terme, serait abusive.

[166]     Il faut donc se demander si, dans les circonstances qui se concrétisent à partir de l’automne 1995, la SIGED était justifiée de cesser ses démarches et d’abandonner le Projet? La réponse à cette question doit être affirmative, et ce, en raison même des conclusions de fait du juge de première instance. La base juridique sur laquelle il fonde le dispositif de son jugement peut avoir été erronée sur un point important, mais toutes ses déterminations de fait ne sont pas pour autant compromises.

[167]     Le juge a conclu que la SIGED avait des raisons sérieuses de résilier le contrat P-8 en vertu du paragraphe 7.1 - bref, que « les conditions l'y obligeaient », pour reprendre les termes de cette stipulation contractuelle. Cette décision, selon lui, était raisonnable dans les circonstances. Ce n’est qu’au moyen d’une fiction juridique que le juge a pu considérer que la clause 7 était applicable : invoquant l’article 1503 C.c.Q., il estime que toutes les conditions préalables énumérées à la clause 3 du contrat P-8 doivent être tenues pour satisfaites. Mais le droit de résilier devenait alors assujetti à deux contraintes absentes du paragraphes 3.3 : premièrement, selon l’expression du juge au paragraphe 630 de ses motifs, il y aurait « un prix à payer » pour résilier le contrat, plus onéreux que l’indemnité prévue au paragraphe 3.3, et deuxièmement, la résiliation à l’initiative du propriétaire (la SIGED) ne serait permise que si les conditions l’y obligeaient. En d’autres termes, le contrat énonce un critère objectif (les « conditions qui surviennent l’y oblige[nt] » ou, si l’on préfère, le poids de nouvelles circonstances impose une décision) qu’il faut apprécier du point de vue d’une personne raisonnable. Ce critère est plus contraignant pour le détenteur de la faculté de résilier que la règle codifiée par l’article 2125 C.c.Q. et illustrée par l’arrêt Pelouse Agrostis Turf inc. c. Club de golf Balmoral[117].

[168]     Or, le juge de première instance n’hésite pas à conclure que l’exigence du paragraphe 7.1 est satisfaite par la SIGED lorsqu’elle prend sa décision du 20 mars 1996.

[169]     Il convient de citer ici certains passages de ses motifs, d’abord sur les revenus anticipés de la vente d’électricité :

[511]    La preuve a révélé que les besoins d’Hydro-Québec pour l'électricité privée étaient devenus moindres et qu'elle n'avait pas d'autre contrat à offrir à SIGED après qu'elle eut résilié le contrat D-17.

[…]

[620]    La perte des revenus de ventes d’électricité représente une incidence aux conséquences économiques majeures que ce soit sur les conditions d'un financement éventuel ou sur le tarif de disposition à payer par les municipalités.

[621]    Malgré les insistances de Mme Méthot pour tenter de nouvelles approches auprès d'Hydro-Québec après qu'elle eut mis fin au contrat D-17, la société d'État lui donnait une perspective bien sombre en lui écrivant, le 29 juin, ne pas avoir de conditions d’achat à lui offrir et que si cela se produisait, ce serait discuté sur de nouvelles bases.

[622]    Élément sous-jacent à la lettre de M. Gagnon, le gouvernement avait demandé de surseoir à la signature de tout nouveau contrat d’achat d’électricité de production privée et toute la politique d'achat d'électricité de production privée était sous étude.

[623]    On ne pourrait trouver de situation plus aléatoire. Et cela survient après la réunion de Beaconsfield.

[624]    Était-il déraisonnable pour SIGED de croire qu’elle était justifiée de résilier dans ce contexte de non-accomplissement de la condition préalable exigeant le contrat de vente d’électricité?

[625]    SIGED ne pouvait s’appuyer sur les dispositions de la clause 3.3 pour résilier et elle pouvait être tenue de rechercher l'accomplissement des conditions préalables, dont la recherche d’un contrat de vente d’électricité.

[626]    Néanmoins, le défaut de le faire n'implique pas pour autant une conduite déraisonnable. À la lumière de la situation telle qu'elle était devenue avec la lettre de M. Gagnon du 29 juin et dans le contexte de l'époque toujours prévalent en mars 1996, une personne raisonnable n'aurait-elle pas pu croire que le Projet était devenu indésirable, trop lourd et économiquement non viable?

[627]    De toute évidence, non

Dès le mois de juin 1995, l’accomplissement de la condition préalable portant sur un contrat d'achat d'électricité en vigueur était devenue plus qu'aléatoire. En outre, en novembre 1995, le projet de décret que le ministre Brassard recommandait au conseil des ministres pour la délivrance du certificat gouvernemental contenait l'exigence suivante :

Condition 2 : Production d'énergie électrique

            De l'électricité devra être produite à partir de la vapeur générée par la combustion des déchets. Les installations destinées à produire de l'énergie électrique devront être opérationnelles dès la mise en exploitation de l'installation d'incinération visée par le présent décret.

Donc, même si ce décret avait été adopté et que le certificat d'autorisation avait été délivré en novembre 1995 (soit près de trois ans après la signature des contrats P-8 et P-9), la SIGED aurait fait face à de nouveaux délais puisqu’elle se retrouvait sans contrat avec Hydro-Québec, et même sans perspective de contrat à court terme. Le délai initialement convenu pour réaliser les conditions préalables s’allongeait de beaucoup.

[170]     La situation n’était guère plus encourageante du côté du MEQ. Le juge écrit à ce sujet :

[593]    L’information que le président Bossé a pu tirer de sa rencontre avec le ministre Cliche n’est pas non plus de nature à attiser la flamme pour quiconque n’était pas un ardent défenseur du Projet.

[…]

[606]    Ce qui reste, c’est que le dossier risque d’être encore différé.

[171]     Brossant un tableau des circonstances auxquelles était confrontée la SIGED au début de 1996, le juge ajoute :

[677]    L'avis de résiliation P-14 s'appuie sur un portrait dont la pleine mesure s'est révélée suffisante pour que le Tribunal écarte la prétention à faute lourde. Ce même portrait constitue la toile de fond qui permettait à SIGED de se prévaloir des dispositions de l'article 7.

[678]    Après des dépenses de 12 M$, l'incertitude, à tort ou à raison, quant à la décision qui serait rendue par le gouvernement et à quelle époque elle le serait, l'élargissement du permis du site d'enfouissement de Lachenaie qui estompait la crainte de ne pouvoir exporter les déchets hors de l'Île de Montréal, l'absence de contrat de vente d'électricité, les questionnements sur le site vu l'épuisement des réserves foncières, voilà sont autant de facteurs susceptibles d'affecter l'utilisation judicieuse des deniers publics.

[679]    De 30 $ la tonne qu'il en coûtait aux villes pour éliminer leurs déchets, on voyait poindre un tarif de disposition quatre fois plus élevé, et ce n'était peut-être pas la fin. Combien d'argent public serait encore investi dans un Projet comportant encore tant d'incertitude?

[680]    Le préambule de l'article 7 appelle à un exercice rationnel. Les mots si les conditions qui surviennent l'y oblige(nt), s'attachent au sens de l’exercice responsable et raisonnable des responsabilités.

[681]    Aux yeux de SIGED, l'entreprise était devenue un éléphant blanc qui allait desservir l'intérêt public. Pour les maires derrière la Régie et SIGED, leurs commettants seraient mieux servis par l'abandon du Projet. D'où la décision d'y mettre fin.

Face à toutes ces circonstances, une personne raisonnable pouvait conclure que l’accumulation de conditions survenues depuis le 22 décembre 1994 obligeait la SIGED à résilier le contrat P-8. Si tel est le cas, a fortiori pouvait-elle le faire en vertu du paragraphe 3.3.

[172]     En dernière analyse, on a affaire ici à des parties contractantes d’expérience, conseillées par des professionnels très qualifiés, qui ont chacune des préoccupations tout à fait légitimes, relatives par exemple à la rentabilité du Projet ou à sa viabilité dans le temps (un projet de cette ampleur, une fois réalisé, doit avoir une durée de vie suffisante), mais aussi, dans le cas de la SIGED, à l’intérêt public. Ni la Régie ni la SIGED ne sont des lobbyistes mandatés par SEFW pour faire valoir coûte que coûte le Projet auprès du gouvernement; et l’inverse est tout aussi vrai. De plus, la décision de résilier un contrat ou un faisceau de contrats d’envergure importante comme le contrat P-8 et les contrats accessoires ne peut se prendre à la légère. Il faut évaluer soigneusement, et réévaluer en cours de route, les obstacles à contourner pour mener à bien la réalisation du Projet. Cet exercice de pondération des divers facteurs en cause demande un temps de réflexion. Aussi était-il normal que la décision de résilier soit précédée d’une période de quelques mois pendant laquelle l’avenir du Projet pouvait paraître incertain? Rien de tout cela ne permet de conclure que la SIGED, avant même d’exercer son droit de résilier le contrat P-8, a de quelque façon « empêché » la réalisation d’une condition qui était de son ressort.

D. L’indemnité payable

[173]     En vertu du paragraphe 3.3 du contrat P-8, SEFW a droit à une indemnité « pour tous les frais engagés au titre de la conception, de l’aménagement et des permis ou autrement reliés aux efforts du maître d’œuvre en vue de satisfaire à toute condition préalable au présent contrat jusqu’à concurrence de 2 500 000 $ ».

[174]     Estimant la résiliation du contrat abusive, SEFW réclamait 62 291 257 $ en dommages en première instance, dont 8 218 779 $ pour les dépenses reliées au développement, à l’obtention des permis, etc., tel qu’il appert de la déclaration réamendée du 8 mars 2006 :

36.          […]

i)     dépenses reliées au développement,

à l'obtention de permis, etc. :                           8 218 779 $

                                                                                          (…)

 

36 i).    En réponse aux sous-paragraphes 36 a) et c) de la requête pour précisions amendée, la demanderesse invoque au soutien des présentes, sous la cote P-21, le rapport des experts-comptables Samson Bélair Deloitte & Touche daté du 15 novembre 1996, en référant tout particulièrement aux pages 1 à 3 (…) et à la section A dudit rapport d'expertise ainsi que le complément de rapport intitulé « Addendum to Section A of the November 15, 1996 Report » daté du 19 mai 2000 (Pièce P-21A) qui traitent des dépenses dont le remboursement est réclamé dans la présente action ainsi que du calcul des intérêts sur lesdites dépenses totalisant (…) 8 218 779 $;

 

[175]     Lors de l’audience devant la Cour d’appel, SEFW et Montréal ont accepté cependant que le tableau préparé par l’expert Blanchette puisse servir de document de base pour établir la réclamation en application du paragraphe 3.3. Dans ce tableau, le montant total des dépenses engagées par SEFW est de 4 350 964 $. Si l'on ajoute celles effectuées par Foster Wheeler Power System (FWPS), une autre compagnie du groupe, propriété exclusive de Foster Wheeler Corporation, la réclamation s’élève à 6 304 729 $.

[176]     Montréal admet que les débours susceptibles d’être réclamés en vertu du paragraphe 3.3 totalisent 970 832 $. Pour en arriver à ce chiffre, elle ne considère toutefois que les montants dépensés entre la signature du contrat, le 22 décembre 1992, et la date de la résiliation, le 20 mars 1996. En outre, elle déduit du montant de départ, soit 4 350 694 $, la somme de 914 729,13 $ pour la majoration de 149 % du coût des salaires incluse dans la réclamation de SEFW.

[177]     En ce qui concerne SEFW, elle estime avoir droit au montant maximum de 2 500 000 $, considérant que ses débours excèdent cette somme. À l’audience devant la Cour d’appel, elle dépose un autre tableau, élaboré à partir de celui de l’expert Blanchette, les établissant à 4 557 700 $. Toutefois, pour en arriver à ce résultat, elle utilise comme point de départ 6 304 729 $, soit 4 350 964 $, auquel elle ajoute 1 953 765 $ représentant les dépenses faites par FWPS.

[178]     Le juge de première instance a refusé de considérer les dépenses de 1 953 765 $ engagées par FWPS parce qu’elles n’apparaissent pas aux livres de SEFW. Il a conclu que seuls les montants imputés à SEFW peuvent être considérés aux fins de la réclamation puisque celle-ci n’a pas l’intérêt suffisant pour former une demande en justice au nom d’autrui, soit FWPS, tel qu’édicté à l’article 55 C.p.c. Pour conclure de cette façon, il a longuement analysé la preuve et a bénéficié de l’éclairage d’experts-comptables. SEFW n’a pas démontré en quoi le juge aurait erré en décidant ainsi.

[179]     En conséquence, la Cour considérera la somme de 4 350 964 $ comme étant la réclamation totale de SEFW au chapitre des débours reliés au développement, à l’obtention des permis, etc.

[180]     De ce montant, SEFW accepte qu’il faille déduire 1 747 029 $, comme l’a établi le juge de première instance. En effet, plusieurs débours ont été exclus en première instance et ne font plus l’objet du débat devant notre Cour. À partir de ces données, les débours admissibles effectués par SEFW totaliseraient 2 603 935 $. Puisque cette somme est supérieure au maximum de 2 500 000 $ prévu au paragraphe 3.3, SEFW pourrait donc tout de même avoir droit de recevoir cette somme.

[181]     Montréal plaide qu’on doit également déduire de la réclamation totale un montant de 914 729,13 $, représentant la majoration pour les salaires payés ajoutée par SEFW. Le juge reconnaît que les salaires versés peuvent être inclus dans le calcul de l’indemnité, en vertu du paragraphe 3.3, mais que la majoration doit être déduite du montant réclamé. SEFW accepte cette conclusion du juge, mais ne propose aucun chiffre relativement à cette déduction.

[182]     Le montant de 914 729,13 $ a été calculé par l’expert Lapointe. En l’absence d’autre preuve sur cette question, la Cour retient ce chiffre.

[183]     Montréal soutient en outre que tous les débours faits avant la signature des contrats, le 22 décembre 1992, ne sont pas visés par le paragraphe 3.3. Selon elle, il ressort des deux lettres expédiées par M. Fernand Lalonde, président du conseil de SEFW, au ministre Claude Ryan, que tous les frais engagés avant la signature des contrats étaient aux risques de SEFW si aucune entente n’était conclue. Il y a donc eu novation au moment de la signature des contrats et seules les sommes engagées après cette date peuvent être réclamées.

[184]     Selon le tableau préparé par l’expert Blanchette, les frais reliés à la proposition, c’est-à-dire antérieurs au contrat, s’élèvent à 1 041 006 $.

[185]     Il appert de la preuve que SEFW a travaillé dès 1989 afin que le projet avec la SIGED se concrétise. De nombreuses étapes devaient être franchies et elles nécessitaient l’investissement de sommes d’argent importantes, tant par la SIGED que par SEFW. En 1992, cette dernière craignait que le projet tarde encore à voir le jour et elle voulait signer une entente par laquelle elle serait indemnisée pour les frais de développement encourus advenant un abandon du projet. Dans ce but, M. Lalonde expédie une première lettre au ministre Ryan le 1er mai 1992. Il explique que SEFW a investi des sommes importantes à ses propres risques et qu’il n’est pas équitable de lui demander de s’engager dans des audiences publiques sans qu’un contrat soit signé. Il s’exprime ainsi :

[…]

            Or, après presque trois ans d'attente, le contrat qui doit nous lier à la Régie n'est toujours pas conclu et les sommes importantes que nous avons investies dans ce projet, l'ont été à nos seuls risques. La Régie nous informe que seule l'adoption du projet de loi privé 286 lui conférera les pouvoirs nécessaires pour qu'elle puisse, après son approbation par votre ministère, signer avec notre société le contrat qui a été discuté et négocié de longue date. Nous souhaitons vivement que la Régie soit en mesure de procéder à une telle signature dans les meilleurs délais.

[…]

            Enfin, Monsieur le ministre, nous croyons qu'il y va aussi d'une question d'équité. Est-il raisonnable de demander à Foster Wheeler, après toutes les dépenses qui ont été encourues jusqu'à maintenant, de s'engager dans la longue et coûteuse démarche des audiences publiques sans avoir une base contractuelle en bonne et due forme.

[…]

[reproduction textuelle] [soulignements ajoutés]

[186]     Le 27 novembre 1992, M. Lalonde écrit de nouveau au ministre Ryan. La preuve démontre qu’il désirait d'abord obtenir qu’une indemnité de 5 000 000 $ soit prévue en cas d’abandon du projet, considérant les sommes importantes investies jusqu’à ce moment. Le ministre Ryan était toutefois opposé à toute indemnité. Dans sa lettre, M. Lalonde explique la position de SEFW sur cette question :

 

Monsieur Claude Ryan

Ministre des Affaires municipales

20, rue Chauveau

Édifice Cook-Chauveau

Québec (Québec)

G1R 4J3

 

Objet :      La Régie intermunicipale de la gestion des déchets sur l'île de    Montréal et La Société d'énergie Foster Wheeler Ltée

________________________________________________________________

 

Cher monsieur Ryan,

 

                 Quelques mots pour remplacer la rencontre projetée de ce matin.

 

                 La question qui reste à régler dans le projet de contrat entre la Régie intermunicipale de la gestion des déchets sur l'île de Montréal (la “Régie”) et La Société d'énergie Foster Wheeler Ltée (la “Société”) est a savoir si la Régie est justifiée de payer à la Société une indemnité au cas où le projet de recyclage des déchets pour lequel la Société a été choisie ne serait pas poursuivi parce que la Régie n'aurait pas obtenu les permis nécessaires.

 

                 Nous parlons ici du permis relatif à l'environnement que le gouvernement du Québec est habilité à émettre, avec ou sans l'accord du BAPE, comme dans le projet de Soligaz par exemple.

 

                 En ce qui concerne le permis relatif à l'environnement, c'est le gouvernement du Québec et non la Régie qui prendra la décision. C'est donc au gouvernement de déterminer s'il est juste de demander à la Société de travailler sans rémunération à un projet dont le sort sera décidé par ce même gouvernement.

 

                 Nous suggérons que le principe de la rémunération des services rendus soit reconnu pour la Société comme pour tous les autres professionnels, experts qui ont été engagés par la Régie. Ce principe a été appliqué à la Société par la Régie dans une lettre du 11 juin 1990 dont j'attache une copie à la présente.

 

                 Dans cette lettre, la Régie prévoit que, s'il n'y a pas de contrat avant le 11 juin 1991, la Société recevra un honoraire pour les services rendus. On sait maintenant qu'il n'y a pas eu de contrat avant la dite date, mais la Société n'a jamais fait de réclamation d'honoraires, espérant toujours qu'un contrat intervienne. Voilà pour les faits, mais le principe de rémunérer la Société pour les services rendus est toujours valable. Je crois qu'il s'agit là d'une question d'équité. Si le projet n'a pas lieu, la Société serait la seule entreprise qui n'aurait pas droit à une compensation pour services rendus. Tous les autres, avocats, conseillers, ingénieurs, etc. auront reçu la juste contrepartie de leurs travaux.

 

                 Je veux bien que la Société supporte une partie du risque d'un projet dont le sort ne sera connu que près de quatre ans après le choix de la Société par la Régie. Mais lorsqu'il s'agit de services rendus à la demande de la Régie dans le but spécifique de l'aider à faire progresser son projet, je crois que la Régie est parfaitement justifiée d'indemniser la Société.

 

                 Si ce principe est accepté, comme je crois qu'il devrait l'être, il restera à déterminer le montant de la rémunération des services rendus par la Société à la Régie au cas d'annulation du projet par la Régie par suite d'un refus éventuel d'émettre le permis relatif à l'environnement.

 

                 Jusqu'à maintenant, le montant de l'indemnité demandé par la Société est de 2,5 M$, une somme inférieure aux frais encourus par la Société à ce jour dans ce projet.

 

                 Voilà, monsieur Ryan, quelques considérations que je voulais vous soumettre. Vous remerciant d'avance de votre attention, je demeure,

 

                                                                        Votre bien dévoué,

 

                                                                        Le président du conseil

 

                                                                        /s/Fernand Lalonde

                                                                        Fernand Lalonde

 

[reproduction textuelle]

[187]     Lorsque M. Lalonde témoigne en première instance sur cette question, il mentionne qu’il a finalement « gagné » 2 500 000 $ comme montant maximum de l’indemnité.

[188]     Le juge de première instance est d’avis qu’aucune clause du contrat P-8 ne permet de réclamer une indemnité pour des dépenses encourues antérieurement à la signature du contrat. Il s’exprime ainsi :

[764]    C'est donc que, premièrement, SEFW avait déjà effectué des débours et, en second lieu, qu'elle s'attendait à effectuer d'autres débours avant l'obtention des permis.

[765]    Or, comme le contrat n'a pas expressément prévu que les débours remboursables pouvaient être antérieurs à la date de sa signature, il faut donc en conclure que ce que les parties ont convenu, c'était le remboursement des débours postérieurs à cette date, ceux-là mêmes que recherchait M. Lalonde.

[189]     Sur cette question, la Cour est loin d’être convaincue que les frais antérieurs ne sont pas visés par le paragraphe 3.3. En effet, les lettres écrites par M. Lalonde avant la signature du contrat P-8 et, plus spécifiquement de la clause d’indemnité du paragraphe 3.3 in fine, ne peuvent être considérées comme une admission que la teneur de cette clause excluait les frais encourus par  SEFW avant le 22 décembre 1992. M. Lalonde plaidait plutôt pour obtenir une indemnité pour les frais encourus avant la signature du contrat.

[190]     En outre, rien dans le paragraphe 3.3 n’exclut de remboursement de tels frais puisque, à la date de la signature, les parties s’activaient déjà à tenter de satisfaire aux conditions préalables stipulées aux paragraphes 3.1 et 3.2 du contrat P-8.

[191]     Toutefois, contrairement au paragraphe 7.7, qui prévoit une indemnité forfaitaire de 10 000 000 $, le paragraphe 3.3 stipule que SEFW a droit au remboursement de ses frais engagés « jusqu'à concurrence de 2 500 000 $ ». Il s'agit donc d'un plafond, l'indemnité à verser pouvant être moindre. SEFW devait par conséquent faire la preuve des débours qu'elle réclame à ce titre.

[192]     Le juge, sur cette question, exprime ainsi :

[829]    Mais les parties ont spécifiquement prévu le cadre dans lequel les frais engagés au titre du développement pouvaient être remboursés : un maximum de 2,5 M $ selon la clause 3.3 de P-8. Même si une réclamation était présentée dans ce cadre, il n'est pas suffisant de dire que la dépense a été engagée. Encore faut-il qu'elle soit justifiée.

[193]     Or, SEFW n’a pas fait de preuve spécifique sur ces débours en première instance. Elle s’est contentée de les réclamer tous, sans distinguer ceux qui auraient pu être engagés en dehors du cadre prévu au paragraphe 3.3.

[194]     Par ailleurs, dans son mémoire, SEFW ne traite pas du montant qu’elle souhaite se voir octroyer si la Cour en venait à la conclusion que le paragraphe 3.3 trouve application. Elle affirme que l'indemnité applicable en vertu de celle-ci est de 2 500 000 $.

[195]     Invitée à plusieurs reprises par la Cour, lors de l’audience, à démontrer que les frais de 1 041 006 $ ont bien servi à acquitter des dépenses visées au paragraphe 3.3 in fine, SEFW dépose simplement un tableau indiquant qu’elle accepte la déduction de certains montants, tels qu’ils ont été déterminés par le juge de première instance, mais n’apporte aucune précision concernant le montant de 1 041 006 $ qui aurait servi à acquitter des dépenses avant la signature des contrats, le 22 décembre 1992.

[196]     SEFW avait le fardeau de démontrer que non seulement les dépenses ont été encourues dans le cadre du projet, mais qu’elles étaient également reliées aux « efforts du maître d’œuvre en vue de satisfaire à toute condition préalable au présent contrat… », selon les termes du paragraphe 3.3. Cette démonstration n’a pas été faite.

[197]     La Cour retient donc le montant admis par Montréal, soit 970 832 $, comme étant celui qu’elle devra verser à SEFW à titre d’indemnité en vertu du paragraphe 3.3.

E. Les intérêts

[198]     Le juge a condamné Montréal à payer à SEFW des intérêts et l’indemnité additionnelle sur la somme octroyée à compter de la date de la demeure. Montréal soutenait qu’elle ne devait payer aucun intérêt ou, tout au moins, aucun intérêt rétroactif. Le juge résume ainsi ses prétentions :

[1335]  En substance, ses moyens sont les suivants :

·         elle avait droit de résilier et n'était redevable que des frais engagés;

·         les dommages réclamés étaient pour l'essentiel des dommages futurs, non des frais engagés;

·         or, le recours de la demanderesse ayant toujours été de la nature d'un recours en dommages, prétendument pour conduite de mauvaise foi, elle n'a jamais été mise en demeure de payer ces frais engagés.

[199]     Le juge rejette ces arguments. Il considère que l’article 1618 C.c.Q. accorde aux tribunaux une certaine discrétion pour établir la date à partir de laquelle on doit calculer les intérêts. Par exemple, l’existence de longs délais procéduraux ou le laxisme d'une partie peuvent constituer des motifs de retarder le départ du calcul des intérêts. Il explique longuement que les délais, dans la présente affaire, ont été causés par les deux parties. Il ne voit donc pas de raison de déroger à la règle générale en ce qui concerne le point de départ du calcul des intérêts. Quant à l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 C.c.Q., elle ne peut être refusée que pour des motifs sérieux.

[200]     L’obligation pour Montréal de payer une indemnité à SEFW est née de l’exercice d’un droit de résilier le contrat prévu au paragraphe 3.3. Comme le souligne le professeur Karim[118] :

Il est parfois difficile de déterminer en vertu de quelle disposition les intérêts doivent être accordés au justiciable, à savoir celle de l'article 1617 C.c.Q. ou celle de l'article 1618 C.c.Q. […]

[…]

Il arrive que l'obligation de rembourser une somme d'argent puise sa source d'une faute commise par la partie défenderesse dans le cadre d'une obligation en nature ayant pour objet une prestation de faire ou de ne pas faire. L'existence d'une obligation de réparer un préjudice par le paiement d'une somme d'argent ne donne pas nécessairement lieu à l'application de la règle prévue à l'article 1617 C.c.Q. L'attribution des intérêts sur le montant de l'indemnité ne peut être fondée sur cette dernière disposition qui s'applique seulement à une obligation pécuniaire qui, dès sa naissance, crée une créance en faveur de son bénéficiaire, alors que l'obligation de réparer un préjudice par le paiement d'une somme d'argent crée une créance en faveur de la victime ou du bénéficiaire qu'à la suite de la faute commise par le défendeur.

[…]

En général, le tribunal applique la règle prévue à l'article 1618 C.c.Q. pour attribuer des intérêts lorsqu'il est saisi d'une action en dommages-intérêts fondée sur une faute commise par le défendeur. La responsabilité de ce dernier peut être contractuelle ou extracontractuelle. Dans les deux cas, l'action intentée par le demandeur porte sur le paiement d'une somme d'argent, mais la réclamation puise son fondement d'une faute commise par le défendeur, ce qui n'est pas le cas lorsqu'il s'agit de l'application de l'article 1617 C.c.Q. où la réclamation des intérêts puise son fondement dans l'existence d'une créance impayée par le débiteur ou payée en retard.

[201]     En l’espèce, puisqu’aucune faute n’a été commise, c’est l’article 1617 C.c.Q. qui trouve application. Dès la résiliation, la SIGED est devenue débitrice de l’indemnité prévue au paragraphe 3.3 et SEFW, la créancière. Les parties ne s’étant pas entendues sur les sommes dues par la SIGED, SEFW a intenté un recours pour obtenir 62 291 257 $ en dommages. Dès le dépôt de l’action, 26 juin 1996, la SIGED était en demeure de payer l’indemnité. Même si les parties ne s’entendaient pas sur le montant de cette indemnité, rien n’empêchait la SIGED de consigner le montant qu’elle jugeait devoir en vertu du paragraphe 3.3.

[202]     Par ailleurs, même en appliquant l’article 1617 C.c.Q., plutôt que l’article 1618 C.c.Q., cela ne change pas non plus la conclusion du juge en ce qui concerne l’indemnité additionnelle édictée par l’article 1619 C.c.Q.

[203]     En conséquence, ce moyen d’appel est rejeté.

F. Les dépens

[204]     Montréal plaide que le juge a erré en la condamnant aux dépens. Tout au moins, il aurait dû lui accorder ses frais d’experts. En effet, elle soutient qu’elle a gagné son procès puisque le juge a rejeté l’action en dommages et intérêts de 62 291 257 $ pour n’accorder que l’indemnité de 10 000 000 $ prévue à la clause 7 du contrat P-8. En outre, elle allègue que ses frais d’experts, sur la question de la perte des profits de construction, au minimum ceux de la firme SNC-Lavalin, auraient dû lui être octroyés en entier, soit 1 549 000 $.

[205]     SEFW rétorque que le juge a accueilli en partie son recours et prononcé une condamnation importante contre Montréal. Cette dernière a donc « succombé » au sens de l’article 477 C.p.c. qui consacre le pouvoir discrétionnaire accordé au tribunal en cette matière. Le juge était par ailleurs justifié de ne pas accorder les frais d’experts, car il ne les a pas jugés utiles.

[206]     Par l’arrêt qu’elle rend aujourd’hui, la Cour infirme le jugement de première instance. Montréal sera condamnée à verser une indemnité à SEFW en vertu du paragraphe 3.3 du contrat P-8, plutôt qu’en application de la clause 7. Or, c‘est ce qu’alléguait la SIGED dans sa défense du 14 août 1998 :

67.       Tel qu'il appert de cette même disposition, la seule conséquence pécuniaire qui puisse résulter de la résiliation, par l'une ou l'autre des parties, du contrat de conception et construction (pièce P-8) et du contrat de services (pièce P-9), après l'écoulement de cette période de deux ans suivant la signature des contrats, est le remboursement à SEFW par la SIGED de tous les frais engagés par elle au titre de la conception, de l'aménagement et des permis ou autrement reliés aux efforts de SEFW en vue de satisfaire à toute condition préalable aux contrats, et ce, jusqu'à concurrence d'une somme maximale de 2 500 000 $;

[207]     La SIGED soutient donc depuis le début des procédures qu’elle pouvait résilier le contrat P-8, et ce, en payant une indemnité maximale de 2 500 000 $. Toutefois, elle a choisi de ne pas consigner la somme qu'elle pouvait devoir, ce qui lui aurait évité de payer des intérêts et les dépens. Elle a même soutenu en appel qu'elle n'avait rien à payer à SEFW parce que cette dernière n'a jamais spécifiquement réclamé l'indemnité prévue au paragraphe 3.3. Le juge n'a donc pas erré en condamnant la SIGED à payer les dépens.

[208]     En regard des frais d’experts, le juge les exclut des dépens. Dans une longue analyse sur cette question, il explique que les moyens déployés étaient disproportionnés puisque le litige a finalement été tranché sur la base de l’interprétation de la clause 7, laquelle stipule une indemnité fixe de 10 000 000 $. En conséquence, il considère que les expertises se sont avérées inutiles. Il a donc choisi de faire supporter à chaque partie ses frais d’experts. Sa conclusion est bien fondée en ce qui concerne la majeure partie des frais d'experts.

[209]     Toutefois, le paragraphe 3.3 diffère de la clause 7 en ce qu’il prévoit une indemnité maximale de 2 500 000 $, laquelle ne peut être versée que pour des dépenses encourues pour « satisfaire à toute condition préalable au présent contrat ». Une preuve devait donc être administrée pour déterminer le montant de l’indemnité.

[210]     Dans ce cadre, et à la suite d’une ordonnance du tribunal, les experts des parties ont produit un rapport conjoint le 15 juillet 2004 pour établir les débours. Sur le montant total de ces derniers, l’écart entre les chiffres des experts Blanchette (SEFW) et Lapointe (SIGED) était mince. Toutefois, la SIGED ne reconnaissait qu’un montant de 970 832 $ comme pouvant être réclamé à titre de débours. C’est cette somme, établie par l’expert Lapointe, que la Cour retient comme étant l’indemnité payable en vertu du paragraphe 3.3.

[211]     En conséquence, l’expertise de M. Lapointe a été utile sur cette question et il y a lieu d’accorder à Montréal les frais qui y sont reliés directement.

[212]     POUR CES MOTIFS, LA COUR :

[213]     ACCUEILLE l’appel avec dépens;

[214]     INFIRME le jugement de première instance pour que le dispositif soit ainsi rédigé :

ACCUEILLE partiellement l’action;

CONDAMNE la défenderesse à payer à la demanderesse la somme de 970 832$ avec intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 C.c.Q. à compter de la demeure;

CONDAMNE la demanderesse à payer à la défenderesse les frais de l’expert Lapointe;

AVEC DÉPENS contre la défenderesse, excluant les frais d’expert de la demanderesse.

[215]     REJETTE l’appel incident, avec dépens.

 

 

 

 

 

YVES-MARIE MORISSETTE, J.C.A.

 

 

 

 

 

JULIE DUTIL, J.C.A.

 

 

 

 

 

LORNE GIROUX, J.C.A.

 

 

Me Réal Forest

Me Claude Marseille

Blake, Cassels & Graydon

Pour l'appelante - intimée incidente

 

Me Olivier F. Kott

Me Bernard P. Quinn

Me Mercedes Glockseisen

Ogilvy Renault

Pour l'intimée - appelante incidente

 

Dates d’audience :

4, 5 et 6 octobre 2010

 



[1]     B.E. 2009BE-246 , 2008 QCCS 4670 .

[2]     Loi concernant la Régie intermunicipale de gestion des déchets sur l'Île de Montréal, L.Q. 1988, c. 93; L.Q. 1989, c. 101; L.Q. 1990, c. 95 et L.Q. 1992, c. 73.

[3]     Loi concernant la Régie intermunicipale de gestion des déchets sur l'Île de Montréal, L.Q. 1989, c. 101.

[4]     L.R.Q., c. C-38.

[5]     Le groupe Foster Wheeler crée habituellement une filiale distincte pour chacun de ses projets.

[6]     Loi concernant la Régie intermunicipale de gestion des déchets sur l'Île de Montréal, L.Q. 1990, c. 95.

[7]     L’extrait qui suit ne reproduit pas les notes de bas de page du jugement.

[8]     Cette disposition sera reproduite plus loin.

[9]     Cette disposition sera reproduite plus loin.

[10]    L’extrait qui suit ne reproduit pas les notes de bas de page du jugement.

[11]    Daniel Jutras, « La résiliation unilatérale ou les joies de l'exégèse » (2001), 81 R. du B. can. 153, 155.

[12]    Loi sur la qualité de l’environnement, L.R.Q., c. Q-2.

[13]    Règlement sur l’évaluation et l’examen des impacts sur l’environnement, R.R.Q., c. Q-2, r. 9.

[14]    Même si le Règlement sur l’évaluation n’assujettit au processus d’évaluation et d’examen des impacts que l’incinérateur avec la centrale d’énergie, le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement note dans son Rapport (pièce D-20) que la Régie a consenti à soumettre l’ensemble des composantes de son projet, soit l’élimination par incinération, la production d’électricité, le tri et le compostage (à la p. 4).

[15]    Bureau d’audiences publiques sur l’environnement. Rapport d’enquête et d’audience publique. Le projet de la Régie intermunicipale de gestion des déchets sur l’Île de Montréal, Québec, 1993.

[16]    Décision du Conseil des ministres, n° 95-224 du 22 novembre 1995.

[17]    Loi portant interdiction d’établir ou d’agrandir certains lieux d’élimination de déchets, L.Q. 1995, c. 60, art. 1.

[18]    Id., art. 3(2).

[19]    Règlement sur les déchets solides, R.R.Q., c. Q-2, r. 14. Ce règlement a été remplacé par le Règlement sur l’enfouissement et l’incinération de matières résiduelles, R.R.Q., c. Q-2, r. 19 à compter du 19 janvier 2006 (arts. 156 et 187 et D. 1252-2005, (2006) 138 G.O.Q., ptie 2, p. 145, art. 2).

[20]    Règlement 90 relatif à l’assainissement de l’air et remplaçant les règlements 44 et 44-1 de la Communauté urbaine de Montréal, tel que modifié. Ce règlement est devenu un règlement de la Communauté métropolitaine de Montréal : Règlement 2001-10 sur les rejets à l’atmosphère et sur la délégation de son application.

[21]    Loi sur la Communauté urbaine de Montréal, L.R.Q., c. C-37.2. Cette loi a été abrogée le 1er janvier 2002 par les articles 228 et 260(2) de la Loi portant réforme de l’organisation territoriale municipale des régions métropolitaines de Montréal, de Québec et de l’Outaouais, L.Q. 2000, c. 56.

[22]    D. 1466-81, 27 mai 1981, (1981) 113 G.O.Q., ptie 2, p. 2575. Voir : Y. Duplessis et J. Hétu, Les pouvoirs des municipalités en matière de protection de l’environnement, 2e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1994, p. 128-129.

[23]    D. 108-87, 28 janvier 1987, (1987) 119 G.O.Q., ptie 2, p. 1374.

[24]    Règlement 87 relatif au rejet des eaux usées dans les réseaux d’égout et les cours d’eau, tel que modifié. Ce règlement est devenu un règlement de la Communauté métropolitaine de Montréal : Règlement sur le rejet des eaux usées dans les ouvrages d’assainissement et dans les cours d’eau et sur la délégation de son application.

[25]    Supra, note 21.

[26]    L.Q.E., art. 106, al. 2 d).

[27]    L.Q.E., art. 19.2 à 19.7.

[28]    L.Q.E., art. 122.1 à 122.4.

[29]    Rapport précité, note 15, aux p. 45 et 133.

[30]    Règlement sur les déchets solides, R.R.Q., c. Q-2, r. 14, maintenant remplacé depuis le 19 janvier 2006 par le Règlement sur l’enfouissement et l’incinération des matières résiduelles, R.R.Q., c. Q-2, r. 19.

[31]    Aujourd’hui, les cendres de grilles et les cendres volantes ne peuvent être enfouies que dans des lieux d’enfouissement techniques, mais les cendres volantes et les résidus d’incinération doivent être enfouis dans des zones de dépôt distinctes qui leur sont réservées, à moins qu’elles n’aient fait l’objet d’une décontamination : Règlement sur l’enfouissement et l’incinération des matières résiduelles, précité, note 30, art. 8(2), 9 et 20 à 24.

[32]    Jugement de première instance au paragr. [77].

[33]    Loi concernant la Régie intermunicipale de gestion des déchets sur l’Ile de Montréal, L.Q. 1988, c. 93, telle que modifiée par L.Q. 1989, c. 101, L.Q. 1990, c. 95, L.Q. 1992, c. 73 et L.Q. 1997, c. 118, art. 3 et 11 [ci-après citée : Loi concernant la RIGDIM].

[34]    Paragr. 1.1 et 5.1.

[35]    Paragr. 4.1.

[36]    Paragr. 16.1. Ces montants sont payables mensuellement selon un échéancier prévu à l’annexe 9 du contrat P-8.

[37]    Sous-paragr. 24.2.13 et 24.3.13.

[38]    Paragr. 7.1.

[39]    Contrat de service P-9, paragr. 3.1.

[40]    Art. 4.

[41]    Sous-paragr. 4.2.2.

[42]    Sous-paragr. 4.3.2.

[43]    Paragr. 1.1 et annexe 7.

[44]    Sous-paragr. 8.1.1.

[45]    Sous-paragr. 4.1.1.

[46]    Paragr. 8.1 et sous-paragr. 8.13.1.

[47]    Sous-paragr. 8.1.7.

[48]    Paragr. 9.9.

[49]    Ces contrats constituent les annexes 12 et 13 au contrat de conception et de construction P-8.

[50]    L’autorisation ministérielle est donnée conformément à l’article 6, al. 3 de la Loi concernant la Régie intermunicipale de gestion des déchets sur l’Ile de Montréal, L.Q. 1992, c. 73.

[51]    Contrat d’achat d’électricité D-17, art. 3.

[52]    Paragr. 1.11.

[53]    Paragr. 4.1.

[54]    Paragr. 4.2.

[55]    Sous-paragr. 7.1.1.

[56]    Période allant du 1er décembre d’une année civile au 31 mars de l’année civile suivante, paragr. 1.15.

[57]    Art. 16.

[58]    Le pouvoir de la Régie d’acquérir les actions d’une compagnie constituée selon les lois du Québec lui est conféré par l’article 6(2) de la Loi concernant la Régie intermunicipale de gestion des déchets sur l’Ile de Montréal, L.Q. 1990, c. 95 et par l’article 6 de la Loi concernant la Régie intermunicipale de gestion des déchets sur l’Ile de Montréal, L.Q. 1992, c. 73.

[59]    Conformément à l’article 6(2) de la Loi concernant la Régie intermunicipale de l’Ile de Montréal, L.Q. 1990, c. 95.

[60]    Entente intermunicipale relative à la création, sous forme d’une régie intermunicipale conformément à la Loi numéro 74 (sanctionnée le 21 décembre 1979) de la « Régie intermunicipale de gestion des déchets sur l’Ile de Montréal » entre les parties désignées à l’annexe « A » ci-jointe, 3 décembre 1994. Pièce D-1. L’entente a été approuvée par le ministre de l’Environnement le 25 avril 1985, la constitution de la Régie a été décrétée par le ministre des Affaires municipales le 9 mai 1985 et ce décret est entré en vigueur le 25 mai 1985 : (1985) 117 G.O.Q., ptie 1, p. 2658.

[61]    Id., article 1.1, tel que remplacé par l’article 7 de la Loi concernant la Régie intermunicipale de gestion des déchets de l’Ile de Montréal, L.Q. 1990, c. 95.

[62]    Id., article 7, tel que remplacé par l’article 8 de la Loi concernant la Régie intermunicipale de gestion des déchets sur l’Ile de Montréal, L.Q. 1990, c. 95.

[63]    Voir, infra, aux paragr. [116] à [122].

[64]    Contrat d’approvisionnement en déchets solides entre la Régie et la SIGED, D-18, paragr. 4.9 et 4.11.

[65]    Id., sous-paragr. 3.1.7 et paragr. 3.2.

[66]    Sous-paragr. 3.1.14. Le Rapport du BAPE, précité, note 15, indique que cette solution a été retenue afin d’exercer un meilleur contrôle en cas de non-respect des normes de rejet à l’atmosphère, de faire des modifications aux installations en fonction de nouvelles technologies et d’obtenir un meilleur financement; à la p. 51 du Rapport.

[67]    Contrat d’approvisionnement D-18, paragr. 12.1 et sous-paragr. 12.13.1.

[68]    Clause 15.

[69]    Paragr. 13.7.

[70]    Paragr. 13.8.

[71]    Loi concernant la Régie intermunicipale de gestion des déchets de l’Ile de Montréal, L.Q. 1990, c. 95.

[72]    Id., art. 2.

[73]    Id., art. 3.

[74]    Art. 4.

[75]    Art. 5.

[76]    Projet de loi privé n° 257 (1990) : Loi concernant la Régie intermunicipale de gestion des déchets sur l’Ile de Montréal.

[77]    Id., art. 1(4), 2 et 6 à 9.

[78]    Loi concernant la Régie intermunicipale de gestion des déchets de l’Ile de Montréal, L.Q. 1992, c. 78.

[79]    Id., art. 2(1) et (2).

[80]    Id., art. 2(3) et (4).

[81]    Id., art. 3, al. 2.

[82]    Projet de loi privé n° 221 : Loi concernant la Régie intermunicipale de gestion des déchets sur l’Ile de Montréal, art. 4 à 6.

[83]    Règlement sur les déchets solides, supra, note 19, art. 115.

[84]    Décret concernant la délivrance d’un certificat d’autorisation en faveur de Usine de Triage Lachenaie inc. pour la réalisation du projet d’agrandissement du lieu d’enfouissement sanitaire de Lachenaie sur le territoire de la Ville de Lachenaie, D. 1549-95, 29 novembre 1995, (1995) 127 G.O.Q., partie 2, p. 5366 à 5368.

[85]    Sous-paragr. 3.1.4.

[86]    Supra, à la note 13.

[87]    Sous-paragr. 3.1.10.

[88]    Sous-paragr. 3.1.15.

[89]    Sous-paragr. 3.1.18.

[90]    Sous-paragr. 3.2.2.

[91]    Sous-paragr. 3.2.5.

[92]    Sous-paragr. 3.2.7.

[93]    Voir la définition de la « date d’entrée en vigueur » au paragr. 1.1 et l’article 5.

[94]    Ce délai peut être porté à un maximum de quatre ans en cas de litige.

[95]    Voir, supra, au paragr. [96].

[96]    Supra, au paragr. [101].

[97]    Jugement de première instance aux paragr. [496] à [507].

[98]    Id., paragr. [508] à [517].

[99]    Id., paragr. [518] à [531].

[100]   Sous-paragr. 3.1.9, alinéa introductif du paragr. 3.2 et annexe 4 du contrat P-8.

[101]   Supra, note 13. Voir, supra, les paragr. [69] à [76].

[102]   Supra, note 16 et paragraphe [75].

[103]   Voir les extraits du témoignage de M. David Cliche cités par le juge de première instance aux paragraphes 237 et 596 de son jugement.

[104]   Paragraphe 16.1 et annexe 8 du contrat de construction P-8. Voir, supra, paragr. [95].

[105]   Jugement de première instance aux paragr. [589]-[592], [599]-[600], [620]-[631] et [1395].

[106]   Lettre du 27 novembre 1992, pièce D-179.

[107]   Bellefleur c. Québec (Procureur général), [1993] R.J.Q. 2320 (C.A.), aux p. 2332-2333 et 2343 (les références sont omises). Voir aussi : Germain Blanchard ltée c. Québec (Procureur général), [2005] R.J.Q. 1881 , 2005 QCCA 605 , paragr. 87, à la p. 1895.

[108]   Dans sa déclaration amendée du 8 mars 2006, SEFW reconnaît que « … les parties se sont employées à rencontrer leurs différentes obligations découlant desdits contrats, notamment l’accomplissement des conditions préalables prévues à l’article 3 du contrat de conception et de construction » (paragr. 24) et que « [l]a SIGED s’est notamment employée, avec l’appui constant de la demanderesse et de la Régie, à obtenir les autorisations applicables en matière d’environnement du ministère de l’Environnement et de la Faune du Québec (…) reliées aux composantes des installations intégrées d’élimination et de recyclage des déchets solides » (paragr. 25). De plus, le juge de première instance note qu’au 8 mars 1996, les dépenses jusqu’alors engagées par la Régie s’élèvent à près de 12 millions $ (Jugement de première instance, paragr. 247. Les chiffres proviennent de la pièce D-206).

[109]   L’appelante réfère notamment à l’entente de principe du 26 juillet 1991 rédigée uniquement en anglais : pièce D-14.

[110]   Selon la version anglaise du paragraphe 3.3 « The parties shall exercise good faith and due diligence in satisfying the conditions precedent set forth in Section 3.1 and 3.2 hereof … » (soulignements ajoutés).

[111]   Les caractères en italique sont tirés de l’original.

[112]   Le juge répondait ici à une question qu’il avait formulée comme suit dans son énoncé des questions à trancher : « Quelle est la cause de la non-délivrance du certificat du gouvernement? Y a-t-il un lien entre la lettre des maires, SIGED et le non-accomplissement de cette condition préalable? »

[113]   Supra, paragr. [31].

[114]   Supra, paragr. [38].

[115]   Ainsi, voir Centre de réadaptation en déficience intellectuelle de Québec c. Proulx, J.E. 2007-1225 , 2007 QCCA 807 et Société canadienne des postes c. Morel, [2004] R.J.Q. 2405 (C.A.).

[116]   Nicholson Manufacturing Company c. Maritonex inc. J.E. 2008-1647 , 2008 QCCA 1536 et Valeurs mobilières inc. c. Valeurs mobilières Marleau, Lemire inc., J.E. 2007-403 , 2007 QCCA 92 .

[117]   [2003] R.J.Q. 3043 (C.A.).

[118]   Vincent Karim, Les obligations, 3e éd., vol. 2, Montréal, Wilson & Lafleur, 2009, p. 758 et 759.

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