LSJPA — 122 |
2012 QCCS 208 |
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JC2050 (Tribunal pour adolescents) |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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N° : |
525-03-046652-103 |
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DATE : |
20 janvier 2012. |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
CLAUDE CHAMPAGNE, J.C.S. |
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SA MAJESTÉ LA REINE |
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Poursuivante |
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c. |
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X |
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Accusé |
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JUGEMENT |
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SUR LA DÉTERMINATION DE LA PEINE |
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Mise en garde :
La Loi sur le système de justice pénale pour adolescents interdit de
publier le nom d’un adolescent ou d’un enfant ou tout autre renseignement
de nature à révéler soit qu’il a fait l’objet de mesures prises sous le
régime de cette loi, soit qu’il a été victime d’une infraction commise par
un adolescent, ou a témoigné dans le cadre de la poursuite d’une telle
infraction [LSJPA articles 110(1) et 111(1)].
INTRODUCTION
[1] X a subi son procès devant un jury présidé par le soussigné. Au moment des faits reprochés, l’accusé n’avait que 16 ans et est donc sous la juridiction de la Loi sur le système de justice pénale pour adolescents (LSJPA) et ce, même s’il est âgé de 18 ans aujourd’hui.
[2] L’acte d’accusation lui reprochait l’infraction suivante :
« Le ou vers le 7 mars 2010, à Montréal, district de Montréal, a
causé la mort de Dany Ouellette, commettant ainsi un meurtre au premier degré,
l’acte criminel prévu à l’article
[3] Le 29 avril 2011, le jury a déclaré l’accusé coupable de meurtre au deuxième degré.
[4] Suite au verdict du jury, le Directeur des poursuites criminelles et pénales a fait une demande d’assujettissement à une peine d'adulte vu la gravité du crime.
[5] Pour les motifs qui suivent, j'estime que X doit être assujetti à une peine d'adulte.
PEINES APPLICABLES
[6] L'adolescent
trouvé coupable de meurtre au second degré encourt une peine maximale de sept
ans dont quatre ans en placement sous garde et trois ans de surveillance (art.
42 (2) q) ii) LSJPA). S'il est assujetti à une peine d'adulte, le législateur
prévoit une peine minimale d'emprisonnement à perpétuité sans possibilité de
libération conditionnelle avant qu'il ait purgé sept ans de pénitencier (art.
745.
POSITION DES PARTIES
[7] L’avocate aux poursuites criminelles et pénales me suggère d’assujettir X à une peine d’adulte.
[8] De son côté, la défense plaide qu’une peine maximale pour adolescents serait suffisante dans les circonstances.
CONTEXTE FACTUEL
[9] Durant la nuit du 7 mars 2010, X, qui n'a alors que 16 ans, se trouve dans un bar de danseuses nues. Il consomme alors de l'alcool.
[10] Juste avant la fermeture du bar, il a une première altercation avec la victime, Dany Ouellette. On l'expulse des lieux. Il n'a sûrement pas alors le couteau qu'il va utiliser plus tard car les détecteurs de métal du bar n'ont pas déclenché d'alarme à l'arrivée de l'accusé.
[11] Tout de suite après son expulsion, X va rejoindre quatre ou cinq de ses amis à l'appartement de l'un d'entre eux.
[12] Environ dix minutes plus tard, il est de retour devant le bar en compagnie des amis en question. On le voit très bien sur les vidéos et les photographies déposées en preuve.
[13] Dany Ouellette, fortement enivré, sort du bar en titubant.
[14] Il est immédiatement attaqué: X le poignarde à plusieurs reprises pendant que ses amis le frappent à coups de poing et à coups de pied. Les vidéos des caméras de surveillance montrent la gratuité de l'attaque.
[15] Le rapport d'autopsie fait état de 38 plaies causées par un objet tranchant, vraisemblablement un couteau. L'accusé a donc poignardé sa victime à 38 reprises.
DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES
[16] En ce qui à trait à l'assujettissement, il existe dans la LSJPA plusieurs dispositions pertinentes. Je retiens celles qui suivent:
Art. 3 (1) Les principes suivants s’appliquent à la présente loi :
a) le système de justice pénale pour adolescents vise à prévenir le crime par la suppression des causes sous-jacentes à la criminalité chez les adolescents, à les réadapter et à les réinsérer dans la société et à assurer la prise de mesures leur offrant des perspectives positives en vue de favoriser la protection durable du public;
b) le système de justice pénale pour les adolescents doit être distinct de celui pour les adultes et mettre l’accent sur :
(i) leur réadaptation et leur réinsertion sociale,
(ii)une responsabilité juste et proportionnelle, compatible avec leur état de dépendance et leur degré de maturité,
Art. 38 (1) L’assujettissement de l’adolescent aux peines visées à l’article 42 (peines spécifiques) a pour objectif de faire répondre celui-ci de l’infraction qu’il a commise par l’imposition de sanctions justes assorties de perspectives positives favorisant sa réadaptation et sa réinsertion sociale, en vue de favoriser la protection durable du public.
Art. 62 La peine applicable aux adultes est imposée à l’adolescent déclaré coupable d’une infraction pour laquelle un adulte serait passible d’une peine d’emprisonnement de plus de deux ans lorsque :
a) dans le cas d’une infraction désignée, le tribunal rend l’ordonnance visée au paragraphe 70(2) ou à l’alinéa 72(1)b);
Art. 71 Sauf si elle a fait l’objet d’un avis de non-opposition, le tribunal saisi de la demande visée aux paragraphes 63(1) (demande de non-assujettissement à la peine applicable aux adultes) ou 64(1) (demande d’assujettissement à la peine applicable aux adultes) procède à l’audition de celle-ci dès le début de l’audience pour la détermination de la peine; il donne aux deux parties et aux père et mère de l’adolescent l’occasion de se faire entendre.
Art. 72 (1) Pour décider de la demande entendue conformément à l’article 71, le tribunal pour adolescents tient compte de la gravité de l’infraction et des circonstances de sa perpétration et de l’âge, de la maturité, de la personnalité, des antécédents et des condamnations antérieures de l’adolescent et de tout autre élément qu’il estime pertinent et :
a) dans le cas où il estime qu’une peine spécifique conforme aux principes et objectif énoncés au sous-alinéa 3(1)b)(ii) et à l’article 38 est d’une durée suffisante pour tenir l’adolescent responsable de ses actes délictueux, il ordonne le non-assujettissement à la peine applicable aux adultes et l’imposition d’une peine spécifique;
b) dans le cas contraire, il ordonne l’imposition de la peine applicable aux adultes.
Fardeau
(2) Il incombe au demandeur de démontrer que les conditions énoncées au paragraphe (1) sont remplies.
[17] Je rappelle que l'infraction de meurtre au second degré constitue une infraction désignée (art. 2(1)a)i) LSJPA).
FARDEAU DE PRÉSENTATION ET FARDEAU DE PERSUASION
[18] Dans R. c. D.B.[1], la Cour suprême a conclu que le fardeau de présentation appartient à la poursuite qui doit donc établir que l'accusé doit être assujetti à une peine d'adulte:
[82] Un adolescent devrait bénéficier, tout au moins, du même avantage procédural dont l'adulte déclaré coupable bénéficie au moment de la détermination de la peine, à savoir qu'il incombe au Ministère public de démontrer pourquoi une peine plus sévère est nécessaire et appropriée dans un cas donné. Le fardeau qui incombe à l'adolescent a pour effet d'inverser ce fardeau traditionnel du ministère public et viole donc l'art.7.
[19] Par ailleurs, la Cour d'appel dans X. c. Sa Majesté la Reine[2] a décidé que le fardeau de persuasion est celui de la prépondérance de preuve:
[16]…. La norme de preuve demeure celle
édictée par la loi, et l'emploi du mot "démontrer" à la disposition
réfère à une preuve par prépondérance. En matière d'interprétation législative,
les mots "établir" et "démontrer" réfèrent à la norme de
preuve par prépondérance des probabilités: Tupper v. The Queen,
PREUVE SUR LA DÉTERMINATION DE LA PEINE
[20] Lors des audiences sur la détermination de la peine, chacune des parties a présenté une preuve. Pour l'essentiel, la preuve en question est constituée du témoignage de diverses personnes. On a également produit certains documents.
[21] Ainsi, la poursuite a fait entendre des policiers, une agente de libérations conditionnelles, la mère et le père de la victime ainsi que les deux experts à qui j'avais demandé des rapports psychologique et criminologique concernant l'accusé.
[22] De son côté, X a fait entendre ses parents. Il a également témoigné.
[23] Je retiens de cette preuve les faits suivants. Je les estime pertinents à la détermination de la peine que je dois imposer à l'accusé.
[24] Cependant, je traiterai ailleurs dans ce jugement des témoignages ainsi que des rapports de la psychologue et de la criminologue.
X
[25] X ne veut pas que je l'assujettisse à une peine pour adulte. Il voudrait rester le plus longtemps possible en Centre Jeunesse.
[26] Il termine ses études secondaires et il a de très bons résultats à l'école. Les mesures disciplinaires dont il a été l'objet au Centre n'ont rien à voir avec l'école.
[27] Il dit avoir maintenant une bonne relation avec les intervenants.
[28] Il a des émotions et il est capable d'en avoir, surtout depuis qu'il a entendu le témoignage de la mère de la victime.
[29] Il a suivi à deux reprises un programme sur la toxicomanie. Il en a aussi suivi un autre sur les habilités sociales. Il n'a jamais échoué le contrat comportemental qu'il a signé avec le Centre.
[30] X ajoute qu'il est conscient de ce qu'il a fait et des conséquences de son geste. Il parle d'abord des conséquences sur lui-même, sur sa famille. Il est pour le moins étonnant qu'il fasse passer en second lieu la famille de la victime!
[31] Il a beaucoup de difficultés à admettre sa responsabilité dans le meurtre de Dany Ouellette et à reconnaître qu'il avait à sa disposition plusieurs autres alternatives cette nuit-là. Il dit être coupable de meurtre, mais ajoute qu'il n'avait pas l'intention de tuer la victime!
[32] Il reconnaît que les rapports de la psychologue et de la criminologue ne contiennent pas de fausseté.
[33] Pour lui, la loi du silence est importante. Il ne veut pas causer des problèmes aux membres de sa famille.
A
[34] Le père de l'accusé est menuisier et il résidait [dans la région A] lors des événements du 7 mars 2010.
[35] Il est immédiatement rentré à Montréal pour aider son fils.
[36] Il est convaincu que X ne se retrouvera plus jamais dans une telle situation. Cependant, il doit payer pour ce qu'il a fait.
[37] A connaît les accusations pendantes contre son fils. Il le croit quand X lui dit que la cocaïne qu'il avait en sa possession appartenait à un ami et qu'il était saoul lors de l'incident du dépanneur.
[38] Il sait que X a des remords. Il le connaît, c'est son garçon!
B
[39] La mère de l'accusé reconnaît ne pas être très autoritaire et avoir été parfois dépassée par les évènements.
[40] Elle aussi croit toujours son fils. C'est un bon garçon, c'est un gentil garçon et qui regrette ce qu'il a fait. Elle le sait.
[41] Tout comme son fils, madame B parle d'abord des conséquences du meurtre sur X: " il aurait pu lui arriver quelque chose, il prend des pilules pour dormir, c'est grave ça!".
[42] Pour elle, tout n'est pas clair dans les événements du 7 mars 2010 car un témoin se serait contredit. Elle ne semble pas vouloir reconnaître que X a commis un meurtre. Son fils n'est un pas criminel parce qu'un criminel, c'est quelqu'un qui répète ses crimes.
Sergent-détective Abraham
[43] Ce policier mentionne que les quatre coaccusés de X, tous majeurs au moment des événements, seront bientôt jugés au Palais de justice de Montréal. Deux d'entre eux ont des antécédents judiciaires importants.
[44] Par ailleurs, l'accusé est connu du SPVM depuis 2006. Le fichier DNM mentionne le nom de X pour dix incidents dans lesquels il a pu être impliqué entre le 10 mai 2006 et le 22 février 2010.
[45] Les incidents en question ont trait à la consommation et à la possession de stupéfiants, à des voies de fait graves, de l'ivresse sur la voie publique, du flânage, un vol, un méfait. On n'a pas porté alors d'accusations contre X mais les policiers l'ont ramené à la maison et ont avisé sa mère.
[46] Monsieur Abraham connaît bien le dossier dans lequel X fait présentement face à plusieurs accusations dont celle de possession d'arme et d'agression armée (incident du dépanneur du 23 janvier 2010). La preuve contre l'accusé semble importante.
Constable Lussier
[47] Ce policier a participé à l'arrestation de X le 3 février 2010. On a alors trouvé cinq sachets de cocaïne sur X et on a porté des accusations de possession de stupéfiants contre lui.
Sergent-détective Mailhot
[48] Monsieur Mailhot fait état d'un incident qui venait tout juste de se produire lors de son témoignage. Il implique C, un cousin de X et qui visite l'accusé au Centre Jeunesse.
[49] Dans la soirée du 1er octobre 2011, C aurait poignardé quelqu'un au cou.
Isabelle Bouchard
[50] Agente de libérations conditionnelles à Service correctionnel du Canada, madame Bouchard vient témoigner dans l'hypothèse où j'assujettirai X à une peine pour adulte.
[51] Elle explique comment se déroulera cette peine au pénitencier d'abord puis à l'extérieur par la suite.
[52] Elle fait état des nombreux programmes de tous types dont l'accusé pourra se prévaloir. Bien sûr, il pourra continuer ses études au pénitencier.
Carole Hémond
[53] Il s'agit de la mère de la victime, son fils unique. La vie de madame Hémond a littéralement basculé après la mort violente et gratuite de son seul enfant.
Mario Ouellette
[54] Le père de Dany a dû quitter son emploi à la suite de la mort de son fils. Il a consulté un psychologue. Le meurtre a eu un impact dévastateur sur lui et sur sa fille Y, demi-sœur de la victime. Y a essayé de se suicider. Elle n'a même pas pu assister au procès.
RAPPORTS ET TÉMOIGNAGES DE LA CRIMINOLOGUE ET DE LA PSYCHOLOGUE
[55] J’ai demandé à la criminologue Meggy Rivard ainsi qu'à la psychologie Johanne Bergeron de confectionner des rapports prédécisionnels afin d’en savoir plus sur la situation de l’accusé.
[56] Dans les paragraphes qui suivent, j’exposerai, tout d’abord, les points essentiels de l’évaluation ainsi que les conclusions de chacun des rapports. Je comparerai, par la suite, les portraits de l’accusé qui ressortent de chaque expertise et les recommandations proposées par chaque témoin expert. Enfin, je prendrai position et déterminerai quel rapport et conclusions me paraissent plus appropriés.
Rapport prédécisionnel de Meggy Rivard
[57] Madame Meggy Rivard est criminologue et déléguée à la jeunesse. Il s’agit de sa première évaluation concernant une demande d'assujettissement à une peine d'adulte.
[58] Je note que pour rédiger son rapport et étayer son évaluation de X, elle a rencontré l’accusé à quatre reprises et elle a assisté à toutes les auditions concernant l'imposition de la peine. De plus, elle a pris le temps d’écouter l’enregistrement audio du procès.
[59] Par ailleurs, je tiens à mentionner que la criminologue Rivard a fait un travail remarquable. En effet, elle a réalisé une expertise minutieuse, détaillée et complète.
[60] Dans son analyse criminologique, madame Rivard fait état de nombreux facteurs aggravants reliés au crime commis par X tels que la présence de complices adultes, dont certains criminalisés, le degré d’intoxication de l’accusé, les actions posées par ce dernier entre la bagarre initiale et le meurtre, ainsi que les explications nébuleuses fournies par X entourant le passage à l’acte.
[61] La déléguée à la jeunesse affirme aussi que les propos de l’accusé à l’effet qu’il craignait la victime sont peu convaincants si on prend en considération que X était plutôt animé d’un sentiment de vengeance qui paraît être inhérent à sa personnalité. Elle ajoute qu’il adhère à la loi du silence en raison de ses trous de mémoire qui semblent plutôt sélectifs et tournent exclusivement autour d’éléments qui lui sont préjudiciables à lui, ses cousins et ses amis. Effectivement, la criminologue mentionne que :
« La narration des faits effectuée par X lors de nos entretiens avec lui, est teintée de trous de mémoire qui nous apparaissent sélectifs. En effet, le jeune homme semble avoir oublié les éléments les plus incriminants, tant pour lui que pour les complices adultes, qui ont depuis été arrêtés et qui sont actuellement détenus dans ce dossier. Nous sommes à même de croire que X souhaite éviter de faire du tort à ses amis ainsi qu’à son cousin, supportant ainsi la loi du silence qu’il prône depuis le début[3]. »
[62] Quant à la trajectoire délictuelle officielle de X, madame Rivard indique dans son rapport qu’elle est peu chargée mais si on inclut la délinquance auto-révélée, « celle-ci traduit des éléments d’activation, d’aggravation et de polymorphisme, et n’élimine pas totalement la présence de précocité[4]. »
[63] Parallèlement, la criminologue affirme que X était impliqué dans un mode de vie inadéquat et marginal pour un jeune de son âge et était engagé dans un parcours de délinquant. En ce qui concerne son mode relationnel, madame Rivard note que l’accusé a de réelles difficultés dans ses interactions avec autrui. En effet, il est toujours sur la défensive et très méfiant envers les personnes en autorité. Il interprète mal les intentions des autres et se sent donc facilement insulté ou dénigré.
[64] En ce qui a trait à l’expression de regrets, la déléguée à la jeunesse remarque que « ceux-ci apparaissent peu spontanés et peu sentis, et particulièrement centrés sur les désagréments et répercussions personnelles ou en lien avec les membres de la famille[5] » puisque l’accusé n’en exprime que lorsqu’il est questionné à ce sujet.
[65] Bien que X a participé aux ateliers suggérés au Centre Jeunesse où il est détenu et qu’il s’est investi avec succès dans la poursuite de sa scolarité, il continue de prôner la loi du silence, de montrer de la méfiance à l’égard des intervenants ainsi que de dénigrer certaines interventions faites à son égard. De plus, la criminologue affirme que :
« Ses capacités d’introspection sont faibles, et il ne remet que très peu en question son mode de vie et ses attitudes. Il semble que par son conformisme apparent, X s’organise pour que les interventions effectuées à son endroit soient minimales, évitant ainsi toute remise en question. S’il se sent confronté ou recadré, il peut avoir tendance à réagir vivement, ou encore à se refermer sur lui-même, mais non sans avoir auparavant manifesté son mécontentement[6]. »
[66] Selon madame Rivard, l'accusé ne reconnaît pas sa responsabilité pour le meurtre de Dany Ouellette, il présente peu d’ouverture à l’aide et au changement et il a des distorsions cognitives importantes ainsi qu'une difficulté à cerner les intentions réelles d’autrui. Il a aussi des complications au niveau des relations interpersonnelles, le risque de récidive est très élevé et il ne fait pas de lien entre ces problématiques et le meurtre de Dany Ouellette.
[67] Malgré tout ce qui précède, le Directeur provincial en vient à la conclusion que X pourrait bénéficier des programmes de réadaptation et de réinsertion sociale offerts par la LSJPA dans le cadre d'une peine d'une durée maximale. Il n’est donc pas en faveur de l’assujettissement à une peine d'adulte principalement pour les raisons suivantes :
1. il réussit très bien son parcours scolaire et il veut poursuivre ses études;
2. malgré les nombreuses interventions, les demandes de retraits en chambre ou d’isolements faites à son égard, il n’est pas considéré comme quelqu’un de violent;
3. il a une certaine prise de conscience;
4. la délinquance de l’accusé n’est pas trop structurée quoiqu’elle ait été importante lors du crime;
5. il avait des petits emplois avant sa détention et il participait à des activités sportives familiales;
6. les éléments de dynamique personnelle de l’accusé, qui sont à travailler sont bien définis et bien ciblés au Centre Jeunesse;
7. X n’est pas connu du système et n’a jamais fait l’objet d’interventions en vertu de la LSJPA auparavant.
Rapport d’évaluation psychologique de Johanne Bergeron
[68] Madame Johanne Bergeron est psychologue et criminologue de formation. Elle a une vaste expérience dans ce domaine et elle a déjà rédigé des évaluations concernant l’assujettissement à plusieurs reprises auparavant.
[69] Pour rédiger son rapport et étayer son évaluation de X, la psychologue a consulté le rapport sommaire des faits du 7 mars 2009 et le rapport prédécisionnel disponible au moment de la rédaction de son rapport d’évaluation psychologique. Elle a également rencontré l’accusé à trois reprises pour des entrevues cliniques et elle a eu différentes discussions téléphoniques avec les délégués à la jeunesse ainsi qu'avec l’intervenant clinique de l’unité hébergeant X.
[70] Je note que madame Bergeron n’a pas assisté à toutes les représentations sur la peine et n’a pas pris connaissance de l’enregistrement audio du procès.
[71] Dans son évaluation clinique de l’accusé, la psychologue mentionne qu’au plan dynamique, on retrouve une importante distance au niveau relationnel, une grande méfiance vis-à-vis tout élément qui pourrait mettre en péril l’image et l’estime de soi et la présence de distorsions cognitives significatives qui vont bien au-delà du crime commis. De plus, elle ajoute que :
« L’insensibilité à autrui, l’adhésion à la loi du silence ainsi que la loyauté au groupe de pairs marginal (voire criminalisé), le peu d’accès au monde des affects menant à l’absence de remords et de culpabilité, le peu de contrôle de la colère, l’impulsivité et le manque de responsabilité, la difficulté à assumer la responsabilité totale des gestes, la diversité des délits commis (officiels et officieux) mènent à un diagnostic de trouble des conduites qui semble se cristalliser dangereusement vers une structuration de personnalité antisociale ne serait-ce que par l’absence d’ouverture et d’évolution positive malgré plus d’un an en centre de réadaptation, le jeune homme étant peu tolérant aux frustrations et ayant réglé un conflit par la violence encore récemment en s’attaquant à un autre jeune[7]. »
[72] Par ailleurs, madame Bergeron ajoute que X n’a pas profité de l’aide ainsi que du support des intervenants depuis le début de sa détention au Centre Jeunesse. En effet, selon son intervenant clinique, même si l’accusé fait preuve de conformisme de façon générale, les capacités d’analyse et d’introspection de ce dernier demeurent toujours très limitées et on ne voit pas de résultats suite aux interventions cliniques et thérapeutiques qui ont été mises en place spécifiquement pour assister X.
[73] Suite à cette analyse clinique, la psychologue en vient à la conclusion que le risque de récidive général et le potentiel de passage à l’acte violent est élevé et qu’aucun élément actuel ne nous amène à penser que l'accusé ne diminuera ce risque en se débarrassant de ses défenses et en augmentant son niveau d’adaptation. Effectivement, madame Bergeron affirme à cet effet :
« Toutes les dimensions générales retrouvées chez ce jeune homme présentent des lacunes et nécessiteraient des niveaux importants d’interventions que ce soit en regard de valeurs paraissant antisociales, de la scolarisation et du niveau d’employabilité, du réseau d’amis marginaux et criminalisés, de la consommation et l’abus d’intoxicants, de l’amélioration d’activités positives et constructives, de l’amélioration des traits de personnalité dont les plus importants demeurent les réactions hostiles et agressives et de la violence comme mode de résolution de conflits, de l’augmentation de la tolérance aux frustrations, des attitudes négatives dont la défiance à l’autorité au profit de la satisfaction des besoins personnels[8]. »
[74] En raison de tout ce qui précède, madame Bergeron me suggère fortement l’assujettissement à une peine pour adultes.
Différences entre les rapports d’expertise et prise de position
[75] Les deux rapports sont, pour l’essentiel, très semblables à propos du profil clinique de X mais ils sont fondamentalement différents au niveau des recommandations et conclusions. En effet, madame Rivard me propose le non-assujettissement alors que madame Bergeron me suggère le contraire.
[76] Malgré la très grande qualité du travail effectué par madame Rivard, et je tiens à le répéter, j'estime ne pas pouvoir faire droit à sa recommandation.
[77] En effet, la conclusion à laquelle elle en arrive ne me paraît pas supportée par ses constations de l'analyse criminologique de X.
[78] Les raisons à la base de sa recommandation sont surprenantes dans les circonstances. D'autant plus qu'on ne m'a pas présenté de preuve détaillée sur les programmes dont pourrait bénéficier l'accusé au cas de non-assujettissement.
[79] Je préfère donc l'opinion de madame Bergeron parce qu'elle est totalement étayée par ses constatations (identiques à celles de madame Rivard).
[80] Madame Bergeron n'est pas seulement psychologue. Elle est aussi criminologue. Elle bénéficie d'une grande expérience. Cela est important.
ASSUJETTISSEMENT À UNE PEINE D’ADULTE
[81] X
avait 16 ans lors du meurtre de Dany Ouellette. Ce crime rend passible un
adulte d'une peine d'emprisonnement de plus de deux ans. En conséquence, les
conditions d'ouverture à un assujettissement à une peine d'adulte existent ici
(art.
[82] Tel que mentionné précédemment, je dois décider de cette question en tenant compte de ce qui suit:
-la gravité de l'infraction;
-les circonstances de sa perpétration;
-l'âge, la maturité et la personnalité de X;
-ses antécédents et condamnations antérieurs;
-tout autre élément que j'estime pertinent.
(art.
[83] Pour analyser ce qui précède, j'ai déjà fait état de la preuve qu'on a mis à ma disposition. Je ne la répéterai pas.
La gravité de l'infraction
[84] Comme l'écrivait ma collègue Sophie Bourque, " objectivement, le meurtre est l'infraction la plus grave. La LSJPA et le Code criminel prévoient pour ce crime les peines les plus lourdes que le délinquant puisse se voir infliger[9]."
Les circonstances de l’infraction
[85] J'ai décrit précédemment le contexte factuel du meurtre de Dany Ouellette. À l'évidence, les circonstances de ce crime sont parmi les pires que l'on puisse imaginer.
[86] Il s'agit en réalité d'un crime sordide. Pour s'en convaincre, on n'a qu'à visionner une seule fois les bandes vidéo montrant X donner 38 coups de couteau à Dany Ouellette pendant que ses amis, ils étaient cinq, le ruent de coups de pied et de coups de poing. Un véritable film d'horreur!
L’âge de l’accusé
[87] Né le [...] 1993, X avait donc 16 ans et neuf mois lorsqu'il a tué Dany Ouellette. Il aura 19 ans le [...] prochain.
La maturité, la personnalité et les antécédents de l'accusé
[88] Le rapport de la psychologue et celui de la criminologue font très largement état du contexte familial et scolaire de X, de son degré de responsabilisation à l'égard du crime qu'il a commis et de son profil psychologique. Je n'ai donc pas l'intention de répéter ce que mesdames Bergeron et Rivard ont écrit.
[89] Je retiens que le père de l'accusé vient [de la région A] et sa mère du Chili. X a une sœur plus âgée et un frère plus jeune.
[90] Ses parents se sont séparés alors qu'il avait huit ans. En raison de son travail, son père n'a pas toujours été très présent auprès de son enfant et sa mère a eu beaucoup de difficultés à le discipliner. Elle admet avoir été souvent dépassée par les événements.
[91] Le père et la mère ont toujours eu tendance à croire les explications de X lorsque celui-ci se trouvait dans le pétrin.
[92] L'accusé a commencé à éprouver de sérieuses difficultés au niveau scolaire dès le secondaire. Il complète actuellement et avec beaucoup de succès son secondaire V.
Les condamnations antérieures
[93] X n’a pas d'antécédents judiciaires.
[94] Lorsque j'ai résumé la preuve qu'on m'a soumise pour la détermination de la peine, j'ai mentionné que l'accusé était connu des policiers depuis 2006 pour divers incidents, dix au total. On ne l'a jamais accusé.
[95] J'ai aussi écrit qu'il faisait face actuellement à plusieurs accusations découlant de l'incident du dépanneur (23 janvier 2010) et de l'incident de la possession de cocaïne (3 février 2010). Il jouit de la présomption d'innocence et je ne tiens donc pas compte de ce qui précède.
[96] En définitif, X a un dossier judiciaire vierge au moment où je rends ce jugement.
Les autres éléments pertinents
[97] Je ne peux passer sous silence que le meurtre de Dany Ouellette a littéralement fait basculer l'existence de sa mère, de son père et de sa sœur. Il s'agit là d'un élément important que je prends en considération dans mon jugement.
[98] Je retiens aussi comme important le témoignage de l'agente de libérations conditionnelles et aussi bien sûr les rapports de la psychologue et de la criminologue.
CONCLUSION
[99] La poursuivante a démontré que X doit être assujetti à une peine d'adulte.
[100] Le comportement de l'accusé depuis sa détention au Centre Jeunesse, sa déresponsabilisation face au crime qu'il a commis et son profil psychologique déterminé par la psychologue et la criminologue me convainquent qu'une peine d'adolescent ne comporte pas une durée suffisante pour tenir X responsable du meurtre de Dany Ouellette.
[101] POUR TOUS CES MOTIFS,
[102] j'ORDONNE que X soit assujetti à une peine d'adulte pour le meurtre au second degré de Dany Ouellette;
[103] je CONDAMNE X à l'emprisonnement à perpétuité, sans admissibilité à la libération conditionnelle avant l'accomplissement d'au moins 7 ans d'emprisonnement;
[104] j'INTERDIS à X en vertu de l'art
[105] j'AUTORISE le prélèvement d'échantillons
corporels sur X aux fins d'analyse génétique conformément à l'article
[106] je DISPENSE
X en vertu de l'art.
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__________________________ CLAUDE CHAMPAGNE, J.C.S. |
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Me Marie-Claude Bourassa |
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Procureure aux poursuites criminelles et pénales |
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Procureure de la poursuivante |
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Me Me Annie Laflamme Me Mathieu Longpré Procureurs de l'accusé |
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Dates d’audience : |
4 juillet, 11 juillet, 29 septembre, 3 octobre, 5 octobre, 12 octobre, 21 novembre, 22 novembre, 23 novembre, 25 novembre et 14 décembre 2011. |
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[1]
R. c. D.B.
[2]
X. c. Sa Majesté la Reine
[3] Rapport prédécisionnel de madame Meggy Rivard du 29 juin 2011, page 33, par. 1.
[4] Id., page 33, par. 3.
[5] Id., page 34, par. 3.
[6] Id., page 35, par. 1.
[7] Rapport d’évaluation psychologique de madame Johanne Bergeron du 29 juin 2011, page 13, par. 4.
[8] Id., page 14, par. 3.
[9]
LSJPA -0832
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