Bellemare c. Streakz Coiffure et spa inc. |
2011 QCCQ 14997 |
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COUR DU QUÉBEC |
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« Division des petites créances » |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
LAVAL |
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« Chambre civile » |
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N° : |
540-32-022325-094 |
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DATE : |
2011-11-22 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
RAOUL P. BARBE, J.C.Q. |
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MURIELLE BELLEMARE et MICHEL FORTIER, parents-tuteurs de MÉLANIE FORTIER, […], Laval (QC) […] |
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demandeurs |
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c. |
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STREAKZ COIFFURE ET SPA INC. et CATERINA MICELI, 5525, Robert-Bourassa, Laval (QC) H7E 0A4 |
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défenderesses |
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JUGEMENT |
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[1] Par une demande judiciaire signifiée le 14 janvier 2010, la demanderesse, représentée par ses tuteurs, réclame 5 434,68 $ pour préjudice causé à sa personne.
[2] La défenderesse Streakz Coiffure et Spa inc. est une compagnie constituée en 2009 pour exploiter des salons de coiffure et de beauté pour hommes et femmes. Caterina Miceli en est l’actionnaire majoritaire, l’administratrice et la présidente. Elle représente la compagnie à l’audition.
[3] Mme Miceli dépose des certificats attestant avoir suivi un cours professionnel en coiffure pour hommes et dames en 1990 (D-2a), un cours de trois cents heures en soins corporels en 2004 (D-2b), en massage thérapeutique suédois en 2006 (D-2c), en méthodologie de coupe féminine en 2007 (D-2d) et en rudiments de techniques de mèches au papier (D-2 e) en 2002, etc.
[4] En 2009, la défenderesse exploite un salon de coiffure au 5525, Robert-Bourassa à Laval.
[5] En 2009, la demanderesse, Mélanie Fortier, fréquentait le Salon de Coiffure de Neuville; elle aimait bien la coiffeuse Mimma qui lui avait fait des mèches.
[6] La coiffeuse Mimma quitte le Salon de coiffure de Neuville pour aller travailler au salon Streakz Coiffure.
[7] Le 12 novembre 2009, la demanderesse Mélanie Fortier va au Salon de coiffure de Neuville pour se faire faire une teinture et une coupe pour un coût de 86,91 $ (P-3a). Sa coiffeuse Mimma n’y travaille plus.
[8] Par la suite, elle apprend que Mimma travaille maintenant pour la défenderesse Streakz Coiffure et Spa inc.
[9] La demanderesse prend un rendez-vous pour le 21 novembre 2009 pour un balayage et une coupe de la frange (P-4).
[10] Le samedi 21 novembre à 13 h, la demanderesse Mélanie Fortier, accompagnée de sa mère, Murielle Bellemare, va à son rendez-vous. Elle rencontre Mimma. Elle lui explique qu’elle veut des mèches comme elle lui en avait déjà fait et l’informe qu’elle a eu un traitement de décoloration le 12 novembre 2009. Elle lui demande s’il y a un risque de faire des mèches (balayage).
[11] Mimma lui aurait répondu qu’il n’y avait aucun risque puisqu’elle ne toucherait pas à la racine de ses cheveux.
[12] Mimma procède donc au traitement. Après le traitement, la demanderesse va au lavage de cheveux. La préposée au lavage montre les cheveux de la demanderesse à Mimma. Cette dernière donne alors la consigne d’appliquer un shampoing bleu durant dix minutes.
[13] Après le shampoing, Mimma peigne et assèche les cheveux; ils tombent en grande quantité. Mimma cesse alors de peigner et d’assécher en recommandant à la cliente de se faire un traitement pour cheveux abîmés en arrivant chez elle et de le garder sur la tête jusqu’au lendemain. La mère demande alors d’appliquer immédiatement ce traitement. Mimma le fait sans assécher les cheveux. Cette visite lui coûte 124,35 $ (95,00 $ + 29,35 $).
[14] La demanderesse quitte le salon alors que ses cheveux sont encore mouillés.
[15] La demanderesse arrive à la maison et constate que ses cheveux ont une teinte orangée et qu’ils tombent.
[16] La demanderesse et sa mère téléphonent à Mimma pour qu’elle constate la situation. Cette dernière déclare qu’elle ne peut revoir la demanderesse et qu’elle ne pourrait la revoir que le jeudi 26 novembre 2009.
[17] La demanderesse réalise qu’elle ne peut se présenter à l’école le lundi avec des cheveux orangés. Elle téléphone de nouveau, mais Mimma répète qu’il lui est impossible de la revoir avant le jeudi 26 novembre.
[18] La demanderesse téléphone alors au Salon de coiffure de Neuville et prend rendez-vous pour le dimanche 22 novembre.
[19] Le 22 novembre 2009, la demanderesse se présente au Salon de coiffure de Neuville et rencontre Marlen (Marleine Wazin). Après avoir constaté la couleur et l’état des cheveux de la demanderesse, sa perte de cheveux et l’état du cuir chevelu, elle fait le lien avec le traitement du 21 novembre. Elle dit ne pas en revenir, qu’une coiffeuse ait effectué un traitement aboutissant à un tel résultat. Elle dit ne pas pouvoir faire grand chose, et suggère d’appliquer un colorant temporaire non agressif, une teinture sans ammoniaque à effet temporaire afin de masquer la coloration orangée. Cette intervention (teinture, shampoing biolage) coûte 73,35 $ (P-3c).
[20] Dans les jours qui suivent, Marlen parle à son amie Mimma et lui raconte cet événement, et Mimma réalise qu’il s’agit de sa cliente Mélanie Fortier.
[21] Le 26 novembre 2009, vers 9 h, Mimma téléphone à la demanderesse pour lui dire qu’elle a parlé à Marlen et qu’elle annule le rendez-vous de 16 h, mais la demanderesse et sa mère insistent pour conserver ce rendez-vous afin qu’elle constate les dégâts causés au cuir chevelu.
[22] Mimma rassure la demanderesse et ses parents en déclarant que les cheveux repousseraient et propose l’entente suivante :
1- remboursement des frais encourus à son salon le 21 novembre (124,35 $);
2- quatre traitements gratuits à raison d’un par semaine, afin de favoriser le rétablissement du cuir chevelu ainsi que pour hydrater et assouplir les cheveux;
3- une coupe de cheveux gratuite afin de les renforcer.
[23] La demanderesse accepterait ces conditions si Mimma lui rembourse également la somme de 73,35 $ payée à Coiffure de Neuville le 22 novembre 2009 puisque ce traitement n’avait pour but que de masquer la coloration orangée, ce qui était important pour son retour à l’école le lundi 23 novembre.
[24] Mimma n’accepte pas cette dernière condition, mais accepte de recevoir la demanderesse et ses parents à 15 h 30.
[25] Vers 10 h 30, la demanderesse reçoit un appel de Caterina Miceli qui s’identifie comme propriétaire de la défenderesse Streakz Coiffure et Spa inc. , ajoutant que Mimma est sa préposée. Elle annule le rendez-vous de 15 h 30 au motif qu’à 15 h elle quitte le salon.
[26] À 11 h 45, les parents-tuteurs de Mélanie se présentent au salon et rencontrent Mme Miceli et Mimma. Mme Miceli reproche alors aux parents d’avoir eu recours à un autre salon. Les parents lui expliquent que Mélanie était désespérée et qu’ils auraient bien voulu venir plus tôt, mais que Mimma leur avait dit qu’elle ne pouvait les recevoir avant jeudi le 26 novembre.
[27] Mme Miceli a alors déclaré qu’elle n’avait aucune responsabilité, car elle ne savait pas quel était le traitement reçu du Salon de Neuville et que ce dernier pouvait être la cause du problème. Les parents lui montrent alors les photos prises le 21 novembre 2009, photos qu’ils déposent à la cour (P-5).
[28] Mme Miceli leur déclare que cela ne peut dépendre du traitement, mais plutôt d’une maladie du cuir chevelu. Mme Miceli n’admet aucune responsabilité sur un ton plutôt agressif.
[29] Le 27 novembre 2009, Mélanie Fortier et ses parents vont au Salon de Neuville; ils achètent une huile marocaine et une ampoule au coût de 50,74 $ (P-3d).
[30] Le 30 novembre 2009, les parents-tuteurs de Mélanie envoient à la défenderesse une mise en demeure de payer 5 434,68 $. Ils relatent les faits dans les trois premières pages et à la page 4, les motifs de la réclamation (P-2) :
Mélanie est une adolescente très fière et orgueilleuse de son apparence. Avec l’état de ses cheveux secs qu’elle voyait tomber et qui lui restaient dans les mains, en voyant cette plaque de cuir chevelu dénudée et le reste de ses cheveux de teinte orangée, et ne sachant pas s’il y avait quelques chose à faire pour changer cette situation, elle s’est retrouvée dans un réel état de détresse. Elle pleurait constamment, ne voulait plus manger et cherchait à s’isoler. Constatant son désarroi, nous avons dû la surveiller de près et nos craintes ont été telles que nous voulions voir un médecin et lui faire consulter un psychologue, ce que refusait Mélanie. Nous avions besoin d’aide; il était urgent que Mélanie sache que vous la sortiriez de cette situation, mais devant l’incapacité d’intervention de votre salon avant d’interminables journées entières, vous ne pouvez certainement pas nous reprocher d’avoir obtenu l’aide du salon Coiffure de Neuville.
Notre démarche a toujours été honnête et sincère. Nous comprenons que l’erreur est humaine et nous croyons même que la relation de confiance aurait pu être rétablie avec votre coiffeuse Mimma, qui s’est dite prête à rembourser le prix du traitement et à rassurer Mélanie, en planifiant une série de traitements gratuits pour rétablir l’état de ses cheveux.
Nous avions alors besoin d’aide et de conseils pour tenter d’atténuer une situation qui prenait des allures dramatiques. Cependant, vous êtes intervenue en prétendant, de mauvaise foi, que la perte de cheveux de Mélanie était due à une maladie, en nous privant de l’empathie que manifestait la coiffeuse Mimma et en mettant fin à tout espoir d’une réparation des dégâts causés à son cuir chevelu. Vous avez ainsi choisi délibérément de nous laisser à nous-mêmes, en rejetant les points d’entente déjà établis avec votre coiffeuse Mimma et en refusant de reconnaître, avec une telle mauvaise foi empreinte d’agressivité, l’évidente relation entre le traitement à votre salon et l’état des cheveux de Mélanie, aggravant d’autant notre situation.
Vous avez définitivement brisé le lien de confiance qui aurait pu être reconstruit avec votre salon de coiffure et nous n’avons d’autre choix que de vous réclamer, comme vous nous avez incités à le faire, le remboursement de nos frais par voie juridique ainsi qu’une compensation pour les préjudices causés. Nous avons toujours été de bonne foi et notre preuve repose principalement sur les photos que nous vous avons déjà présentées ainsi que sur le témoignage de plusieurs personnes qui ont vu Mélanie avant et après le traitement à votre salon de coiffure.
Ainsi, nous vous sommons de payer la somme de 5 434,68 $ pour les frais suivants :
- 95,00 $ pour le remboursement du traitement raté;
- 29,35 $ pour le produit « Absolut Repair » vendu par votre salon immédiatement après le traitement raté;
- 73,35 $ pour la teinture semi-permanente et le shampoing hydratant du salon « Coiffure de Neuville », afin de masquer temporairement la couleur orangée des cheveux de Mélanie;
- 236,98 $ pour des traitements correctifs, afin de faciliter la réparation des dommages causés à son cuir chevelu;
- 5 000 $ pour les dommages moraux et préjudices que vous avez causés.
Soyez assurée, Madame, qu’à défaut de payer cette somme de 5 434,68 $ dans les 10 jours de la présente, nous prendrons contre vous, sans autre avis ni délai, toutes les mesures légales, utiles et nécessaires.
[31] Le 4 décembre 2009, les demandeurs achètent de Coiffure de Neuville une autre ampoule de traitement pour 11,29 $ (P-3 e).
[32] Le 12 décembre 2009, ils achètent chez la Pharmacie Jean Coutu un produit pour cheveux pour 18,05 $ (P-3f).
[33] La défenderesse consulte une avocate qui répond aux demandeurs le 14 décembre 2009 en niant toute responsabilité (P-6) :
Nous vous avisons que notre cliente nie toute responsabilité quant à la situation décrite à votre lettre.
De plus, nous désirons rétablir certains faits mentionnés à la vôtre. Votre fille a été avisée de la présence de la « plaque de cheveux » manquante avant le début des traitements demandés.
Également, bien que l’employée de notre cliente ne soit en aucun cas responsable de la situation, il a été impossible pour la représentante de notre cliente de « constater » l’état des cheveux de votre fille. En effet, lorsque vous vous êtes présentée au Salon afin de rencontrer la représentante de notre cliente, votre fille Mélanie n’était pas présente et, de plus, celle-ci avait reçu des traitements d’un autre salon.
Ceci étant dit, nous réitérons que notre cliente nie toute responsabilité dans la présente et nous vous avisons que toute procédure entreprise contre elle sera vivement contestée.
[34] Mélanie a poursuivi ses traitements; le 18 décembre 2009, elle achète une autre ampoule-traitement (P-3f) et ainsi de suite (P-3g).
[35] Le 14 décembre 2009, les demandeurs déposent leur action au greffe, laquelle est signifiée à la défenderesse le 14 janvier 2010, en réclamant 5 434,68 $ et alléguant les motifs suivants :
Samedi le 21 novembre 2009, à 13 h, Mélanie Fortier, accompagnée de sa mère, Murielle Bellemare, est allée à son rendez-vous avec votre coiffeuse Mimma à votre salon Streakz Coiffure, situé au 5525, Robert-Bourassa, à Laval. À notre arrivée au salon, votre coiffeuse nous a affirmé que même si Mélanie avait eu un traitement de décoloration trois semaines auparavant, il n’y avait aucun risque à lui faire des mèches (balayage), puisqu’elle ne toucherait pas à la racine de ses cheveux. Cependant, à la fin du traitement, lorsque votre coiffeuse commença à peigner et à sécher ses cheveux, des signes d’évidence d’un traitement raté (perte de cheveux excessive, coloration orangée) se sont manifestés. Dès le retour à la maison, l’ampleur du dégât causé à ses cheveux ainsi qu’à son cuir chevelu s’est révélée sous la forme d’une calvitie de 4 à 5 cm sur le dessus de sa tête et ses cheveux de coloration orangée qui continuaient à tomber de façon excessive. Malgré notre désir de laisser votre coiffeuse Mimma tenter d’améliorer la situation et l’entente téléphonique prise avec cette dernière le 26 novembre 2009, vous avez rejeté toute possibilité d’entente en nous précisant que Mima était votre coiffeuse et que c’était vous la propriétaire du salon et en niant toute responsabilité sous le prétexte final que Mélanie souffrait d’une maladie. En conséquence, nous réclamons la somme de 438,68 $, représentant les frais de traitement déjà engagés pour améliorer l’état de ses cheveux et masquer leur coloration orangée. De plus, nous réclamons la somme de 5 000 $ pour les préjudices causés à son cuir chevelu et ses cheveux, d’autant plus que d’autres frais sont prévisibles. Montant total de la réclamation : 5 434,68 $, plus les frais judiciaires et les intérêts.
[36] La défenderesse nie toute responsabilité en réitérant les arguments contenus dans sa réponse du 14 décembre 2009 (P-6) en prétendant que Mélanie avait une maladie du cuir chevelu, soit la pelade (D-1).
[37]
Les demandeurs invoquent notamment l’article
1458. Toute personne a le devoir d'honorer les engagements qu'elle a contractés.
Elle est, lorsqu'elle manque à ce devoir, responsable du préjudice, corporel, moral ou matériel, qu'elle cause à son cocontractant et tenue de réparer ce préjudice; ni elle ni le cocontractant ne peuvent alors se soustraire à l'application des règles du régime contractuel de responsabilité pour opter en faveur de règles qui leur seraient plus profitables.
[38] Le premier alinéa et la première phrase du second alinéa de cet article énoncent les principes généraux applicables à la responsabilité civile résultant de l’inexécution d’une obligation contractuelle, que cette obligation soit de moyens, de résultats ou de garantie.
[39] Pour que la responsabilité de la préposée de la défenderesse soit reconnue, il faut la conjonction de trois éléments : la faute, des dommages et un lien de causalité entre la faute commise et les dommages subis.
[40] Pour savoir s’il y a eu faute, il faut d’abord déterminer la nature de l’obligation de résultat ou de garantie ou obligation de moyens ou de résultat.
[41] Quelle est l’intensité de l’obligation de la coiffeuse qui accepte de faire des mèches à sa cliente? Après avoir été informée que la demanderesse Mélanie avait eu un traitement de décoloration neuf jours auparavant, la préposée de la défenderesse accepte de faire des mèches, mais à la fin de cette opération, la demanderesse commence à perdre ses cheveux. Elle tient la préposée de la défenderesse responsable de ce préjudice et réclame 5 434,68 $ de dommages.
[42] La défenderesse nie toute responsabilité et prétend que cette perte de cheveux était attribuable à une maladie du cuir chevelu de la demanderesse.
[43] Pour résoudre ce litige, il faut identifier la nature de l’obligation à laquelle s’est engagée la défenderesse.
[44] Les obligations peuvent être classées en obligations de moyens et obligations de résultat.
[45] Dans Les Obligations[1], Baudouin et Jobin définissent l’obligation de moyens comme suit :
L’obligation de moyens est celle pour la satisfaction de laquelle le débiteur est tenu d’agir avec prudence et diligence en vue d’obtenir le résultat convenu, en employant tous les moyens raisonnables, sans toutefois assurer le créancier de l’atteinte du résultat.
[46] Les auteurs mentionnent, à titre d’exemples, l’obligation du locataire d’user du bien loué en personne prudente et diligente ou, encore, celle du mandataire dans l’accomplissement de son mandat.[2]
[47] Par ailleurs, ils définissent l’obligation de résultat comme suit :[3]
L’obligation de résultat est celle pour la satisfaction de laquelle le débiteur est tenu de fournir au créancier un résultat précis et déterminé.
[48] L’obligation de délivrance à une date convenue dans un contrat de vente en constitue une illustration, de même que l’obligation de faire ou ne pas faire telle ou telle chose.
[49] Il arrive que le législateur ou les parties au contrat précisent l’intensité de l’obligation à laquelle le débiteur est tenu. Tel n’est pas le cas en l’espèce.
[50] Le contrat qui nous intéresse, ici, est un contrat de service au sujet duquel le législateur a spécifiquement choisi de ne pas se prononcer sur l’intensité des obligations de la défenderesse.
[51]
L’article
2100. L'entrepreneur et le prestataire de services sont tenus d'agir au mieux des intérêts de leur client, avec prudence et diligence. Ils sont aussi tenus, suivant la nature de l'ouvrage à réaliser ou du service à fournir, d'agir conformément aux usages et règles de leur art, et de s'assurer, le cas échéant, que l'ouvrage réalisé ou le service fourni est conforme au contrat.
Lorsqu'ils sont tenus du résultat, ils ne peuvent se dégager de leur responsabilité qu'en prouvant la force majeure.
[52] En l’absence de dispositions législatives ou conventionnelles susceptibles de guider le tribunal, il faut faire appel aux critères de distinction énoncés par la doctrine.[4]
[53] Les auteurs Baudouin et Jobin affirment que le critère le plus utile est celui de l’aléa qu’ils définissent ainsi :[5]
Il s’agit d’examiner concrètement le caractère plus ou moins incertain de la prestation à laquelle s’est engagé le débiteur, c’est-à-dire les probabilités qu’il puisse effectivement procurer au créancier le résultat envisagé.
[54] Le tribunal partage cet avis. La distinction est importante : en effet, dépendamment de la qualification de l’obligation, le fardeau de preuve revient au créancier ou au débiteur.
[55] Dans la présente affaire, le tribunal conclut à l’existence d’une obligation de moyens : la demanderesse a le fardeau d’établir par prépondérance de preuve que la préposée de la défenderesse n’a pas exercé une diligence et une prudence raisonnables dans l’application de la teinture pour faire les mèches, commettant ainsi une faute entraînant sa responsabilité contractuelle.
[56] Par ailleurs, la défenderesse peut faire rejeter l’action si elle démontre une absence de faute de sa part, une faute de la demanderesse ou encore, un cas de force majeure.
[57] D’un autre côté, si le tribunal conclut à une obligation de résultat, la simple constatation de la perte inhabituelle de cheveux suffit à faire présumer la responsabilité de la préposée de la défenderesse qui, pour faire rejeter l’action, ne peut se contenter d’invoquer une absence de faute de sa part.
[58] En effet, dans un tel cas, elle doit établir, par prépondérance de preuve, la faute de la demanderesse ou un cas de force majeure.
[59] On pourrait penser que la distinction est fort simple, mais, à la lecture de la jurisprudence, on constate que, règle générale, les tribunaux qualifient l’obligation d’obligation de moyens ou de résultat sans expliquer pourquoi ils en arrivent à une telle conclusion ou encore, ils ne la qualifient tout simplement pas.[6]
[60] À cet égard, Paul André Crépeau dans L’intensité de l’obligation juridique[7] écrit :
Il ne s’agit certes pas d’une tâche facile. […] La difficulté de la démarche ne saurait, toutefois, fournir un prétexte pour renoncer à l’entreprendre. On peut, à cet égard, s’étonner que la question n’ait été que rarement soulevée en doctrine québécoise et à peu près jamais en jurisprudence où l’on précise l’intensité de l’obligation du débiteur, mais sans en justifier le choix. On constate, on n’explique pas.
[61] Il est exact que la tâche n’est pas facile. Ainsi, en France, la Cour de cassation[8], renversant une décision de première instance, conclut que l’application d’un produit de décoloration par un coiffeur constitue une obligation de moyens et qu’en l’absence de preuve de faute de la part de ce dernier, il ne peut être tenu responsable d’un accident cutané survenu à une de ses clientes.
[62] En adoptant ce raisonnement, il faudrait que la cliente prouve que la coiffeuse n’a pas respecté les prescriptions du fabricant ou encore, qu’il s’agit d’un cas où la coiffeuse devrait faire l’essai du produit avant son application. La cliente conserverait alors son recours contre le fabricant.
[63] L’auteur Georges Durry critique cette décision; il écrit :[9]
Pourtant, ceux qui se rendent chez le coiffeur pensent-ils que la prestation qu’ils attendent de l’artisan présente un aléa quelconque? S’agissant de teintures, chacun sait certes que le ton désiré ne sera peut-être pas exactement atteint. Mais, en ce cas, le client mécontent change de coiffeur; il ne lui demande pas de dommages-intérêts! Mais être brûlé ou couvert de boutons, est-ce quelque chose qui doit normalement arriver? Nous ne le croyons pas et c’est pourquoi, pour notre part, l’idée qu’un coiffeur soit chargé d’une obligation de résultat ne nous aurait pas choqué.
[64] Mais lorsqu’on parle d’aléa, on ne fait pas référence aux attentes du client, mais plutôt au caractère incertain de la prestation à laquelle la coiffeuse s’est engagée : utilisant des produits chimiques, elle s’engage à utiliser tous les moyens raisonnables pour atteindre le résultat escompté.
[65] Dans l’arrêt Roa c. Limoges[10], la Cour d’appel du Québec conclut à la responsabilité du coiffeur qui a entrepris de teindre les cheveux de sa cliente après avoir fait le test recommandé par le fabricant et que ce test se soit avéré négatif. Le juge Rivard écrit :
La demanderesse a demandé aux employés du défendeur de faire le nécessaire pour teindre ses cheveux. Elle s’est confiée aux connaissances et à l’expérience du défendeur et de ses employés pour que ces derniers usent de procédés qui lui obtiennent la teinture désirée sans lui causer d’ennuis ni de dommages. C’est une obligation de moyens qu’a alors assumée le défendeur, sans considérer l’obligation de résultat dont il n’est pas question dans la présente cause.
Comme conséquence des moyens employés, la demanderesse a été sérieusement atteinte et elle a subi des dommages qu’elle a certainement le droit de réclamer.
[66] Le juge Casey considère lui aussi qu’il s’agit d’une obligation de moyens. Il affirme que la client devait prouver la faute du coiffeur et qu’elle s’est déchargée de son fardeau de preuve en établissant que ce dernier avait utilisé ou permis que soit utilisé un test pour vérifier si la cliente était allergique, alors que ce test était inadéquat et qu’il n’aurait pas dû se fier aux instructions du fabricant à cet égard.
[67] En l’espèce, les agissements de la préposée de la défenderesse ont-ils été ceux d’une coiffeuse raisonnable, prudente et diligente? Était-il raisonnable de prévoir le préjudice qui est advenu? Certainement, si la préposée avait avant fait des tests d’allergie. Le fait que la perte de cheveux soit survenue dans les minutes qui ont suivi le traitement laisse présumer qu’un test aurait ainsi indiqué le préjudice qui en résulterait.
[68] Le fait que les coiffeurs-coiffeuses ne prennent pas, en pratique, le plus souvent de précautions concernant des allergies et travaillent sans filet ne constitue pas une base légale d’exemption de responsabilité; les coiffeurs assument le risque inhérent à l’utilisation des produits chimiques allergènes.
[69] La perte de cheveux dont a souffert la demanderesse aurait pu être évitée si la préposée avait fait le test recommandé par le fabricant.
[70] Il faut donc retenir la responsabilité de la préposée de la défenderesse et en conséquence, de la défenderesse, laquelle est responsable des actes de ses préposés.
[71] La demanderesse réclame 5 434,68 $. Le montant de 434,68 $ est accordé.
[72] Elle réclame également une somme de 5 000 $ pour troubles, inconvénients, stress et souffrances. À cet égard, elle a dû se déplacer à plusieurs reprises pour aller chez un autre coiffeur afin d’obtenir une solution adéquate au problème.
[73] La demanderesse est très soucieuse de son apparence et elle a beaucoup souffert de devoir rencontrer ses compagnes de classe, alors que ses cheveux étaient dans un piteux état.
[74] Nul doute que la demanderesse a subi des douleurs et des souffrances physiques et psychologiques durant cette période qui sont décrites de façon détaillée dans le résumé de la preuve.
[75] Cela dit, il y a lieu de limiter le montant de ces dommages à 1 000 $.
[76] Notons que la préposée de la défenderesse avait proposé, le 26 novembre 2009, une solution qui s’avérait intéressante, mais la défenderesse a préféré adopter une attitude rigide et attribuer les dommages à une maladie du cuir chevelu qui n’est supporté par aucune preuve médicale.
[77] PAR CES MOTIFS, LA COUR :
[78]
CONDAMNE la défenderesse Streakz Coiffure et Spa inc. à payer aux
demandeurs ès qualité la somme de 1 434,68 $ plus l’intérêt au taux légal de 5
% l’an, plus l’indemnité additionnelle prévue à l’article
[79] REJETTE l’action contre Caterina Miceli personnellement sans frais.
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__________________________________ RAOUL P. BARBE, J.C.Q. |
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Date d’audience : |
2011-07-22 |
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[1] Jean-Louis BAUDOUIN, Jean-Gabriel JOBIN, Les Obligations, 6e Édition, Éditions Yvon Blais, 2005, p. 43
[2] id. p. 38
[3] id. p. 38
[4] id. p. 43, note 216
[5] id, p. 43
[6]
Poitras c. Privé,
1998, R.R.A. 1120
; Baril c. Brassard,
[7] Paul André CRÉPEAU, L’intensité de l’obligation juridique, Éditions Yvon Blais, 1989, p. 29
[8] Soc. Anon, Eugene Gallia c. Dompnier , G.P., 1967, 2314
[9] R.T.D.C. 1968, 163, obs.G. DURRY, 89-2
[10]
Roa c. Limoges,
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.