Décision

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Gabarit de jugement pour la cour d'appel

Transforce inc. c. Baillargeon

2012 QCCA 1495

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-09-020666-103

(500-17-035596-074)

 

DATE :

 23 AOÛT 2012

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

ALLAN R. HILTON, J.C.A.

JEAN BOUCHARD, J.C.A.

JACQUES R. FOURNIER, J.C.A.

 

 

TRANSFORCE INC.

APPELANTE - défenderesse

c.

 

MARC BAILLARGEON

INTIMÉ - demandeur

 

 

ARRÊT

 

 

[1]           L'appelante se pourvoit contre un jugement rendu le 13 avril 2010 par la Cour supérieure, district de Montréal (l'honorable Nicole Bénard), qui a accueilli la requête introductive d'instance de l'intimé faisant suite à son congédiement et condamné l'appelante à payer à ce dernier la somme de 485 187,47 $ avec intérêts à compter du 1er janvier 2007, plus l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 C.c.Q.;

[2]           Pour les motifs du juge Bouchard, auxquels souscrivent les juges Hilton et Fournier;

LA COUR :

[3]           REJETTE l'appel;

[4]           DÉCLARE l'appel en partie abusif;

[5]           CONDAMNE en conséquence l'appelante à payer à l'intimé la somme de 10 000 $ avec intérêts et l'indemnité additionnelle à compter de la date de l'inscription en appel;

[6]           Le tout avec dépens.

 

 

 

 

ALLAN R. HILTON, J.C.A.

 

 

 

 

 

JEAN BOUCHARD, J.C.A.

 

 

 

 

 

JACQUES R. FOURNIER, J.C.A.

 

Me Daniel Rochefort

Rochefort & Associés

Pour l'appelante

 

Me Bernard Moreau

Kaufman Laramée

Pour l'intimé

 

Date d’audience :

14 février 2012


 

 

MOTIFS DU JUGE BOUCHARD

 

 

[7]           La Cour est saisie d'une délicate affaire de congédiement qui porte sur l'obligation pour une personne qui est en processus d'embauche de révéler ou non à son futur employeur qu'elle a été l'objet de propos calomnieux.

[8]           Engagé par l'appelante le 15 septembre 2006, l'intimé est congédié le 1er décembre suivant pour ne pas avoir informé cette dernière, alors qu'il négociait avec elle ses conditions de travail, qu'il était l'objet d'une enquête interne de la part de son précédent employeur à la suite de l'envoi à celui-ci d'un courriel anonyme et mensonger qui s'est avéré, après enquête, non fondé.

[9]           Il est admis que si l'intimé avait révélé ce fait à l'appelante, elle aurait mis fin instantanément au processus d'embauche.

[10]        La juge de première instance a accueilli le recours en dommages-intérêts de l'intimé pour la somme de 485 187,47 $[1], d'où le pourvoi de l'appelante devant notre Cour.

Les faits

[11]        La nature de l'emploi étant l'un des facteurs que le législateur, à l'article 2091 C.c.Q., a retenu aux fins de déterminer la durée du délai-congé, j'emprunterai ici, au mémoire de l'appelante, le portrait qu'elle dresse d'elle-même et du poste qu'elle cherchait à combler à la fin de l'année 2005 :

1.         L'appelante est une corporation publique de prestige et de haute visibilité cotée à la Bourse de Toronto. Elle est la plus importante entreprise de transport par camionnage au Canada et parmi le peloton de tête en Amérique du Nord […].

2.         Au moment de l'institution des procédures, l'appelante avait un chiffre d'affaires de 1,8 milliard de dollars, employait 12 000 personnes, desservait entre 50 000 et 60 000 clients et était assujettie à 90 conventions collectives […].

4.         En décembre 2005, l'appelante confiait le mandat de recrutement du poste de vice-président exécutif à la firme Korn/Ferry International, soit au chef de file mondial dans le domaine de la recherche en cadres supérieurs, comptant plus de soixante (60) bureaux répartis en Amérique de Nord, en Europe, en Asie/Pacifique, et en Amérique Latine, et ce, au coût substantiel de 100 000 $ […].

5.         S'agissant d'un poste-clé au sein de l'appelante (No 2) et de relève à l'égard du Président et chef de la direction actuel, Monsieur Alain Bédard, le choix du "candidat idéal", de la "perle rare " était crucial.

[12]        On aura compris que nous jouons ici dans les ligues majeures et qu'un poste comme celui décrit précédemment est unique, ou presque.

[13]        Replaçons-nous maintenant à la fin du mois de juillet 2006 lorsque M. Richard Joly, chasseur de têtes à l'emploi de la firme Korn/Ferry, prend contact avec l'intimé pour explorer avec lui la possibilité qu'il comble le poste de vice-président exécutif que l'appelante a ouvert à la suite d'une décision de son conseil d'administration.

[14]        À cette époque, l'intimé est l'un des deux présidents d'une entreprise pharmaceutique connue sous le nom de Ratiopharm Canada et dont la maison mère (Merkle) est située en Allemagne. Dotée d'une structure bicéphale de direction, l'intimé est président des opérations et son collègue, président affecté aux ventes.

[15]        Le siège social de Ratiopharm ayant décidé de mettre fin à sa structure bicéphale en Europe et de confier la présidence au dirigeant qui jusque-là était à la tête des ventes, l'intimé appréhende que ce modèle organisationnel sera également adopté au Canada dans un avenir rapproché. Préoccupé par la chose et craignant de perdre éventuellement son emploi, c'est dans ce contexte que l'intimé accepte de rencontrer Richard Joly, le 4 août 2006, lorsque ce dernier communique avec lui.

[16]        Lors de cette rencontre, l'intimé fait part à Richard Joly de ses inquiétudes. Voici d'ailleurs ce que rapporte ce dernier à ce sujet :

Q         Okay. Lors de cette première entrevue, est-ce qu'il est question avec monsieur Baillargeon de… est-ce qu'il est sur le marché ou pas et s'il veut quitter ou pas?

R         Il me fait part qu'il est en… selon lui, dans un avenir, son poste sera éliminé parce qu'il y a deux (2) présidents de compagnie dans cette entreprise et que la structure voudra qu'il n'y en ait qu'une… qu'un président et il ne croit pas que ce sera lui qui sera retenu parce qu'il n'est pas une personne de l'industrie alors que le collègue qui est à Toronto est une personne plus d'expérience de l'industrie. Donc, il croit que son poste ne sera pas celui qui sera… il ne sera pas la personne retenue pour être le président.

Q         Ça il vous le dit dès le départ, dès la première entrevue?

R         Oui.

[17]        Sélectionné à la suite de cette rencontre comme étant un candidat potentiel, une seconde entrevue se tient le 7 août 2006 lors de laquelle Richard Joly présente à l'intimé M. Sylvain Desaulniers, vice-président aux ressources humaines de l'appelante. Ce dernier passe en revue le C.V. de l'intimé et lui donne de l'information concernant l'appelante et son président, M. Alain Bédard, avec lequel le candidat choisi devra travailler en étroite collaboration. Les changements structuraux envisagés chez Ratiopharm ne sont pas abordés lors de cette entrevue, non plus que lors de celles qui vont suivre et où l'intimé fera la connaissance de Alain Bédard ainsi que d'autres dirigeants de l'appelante. Les parties exposent plutôt leurs exigences et attentes respectives pour finalement conclure, le 15 septembre 2006, un contrat par lequel l'intimé accepte l'offre d'emploi de l'appelante à titre de vice-président exécutif. Le salaire de base annuel est de 325 000 $, plus de lucratifs bonis de performance et d'autres avantages tout aussi intéressants comme l'usage d'une automobile d'une valeur maximale de 60 000 $, etc.

[18]        C'est une chance que l'intimé ait obtenu un pareil emploi car, au cours de la même période, soit entre le 4 août et le 15 septembre 2006, les nouvelles en provenance de Ratiopharm ne sont pas aussi réjouissantes.

[19]        Tout d'abord, le 21 août, l'intimé est avisé par son patron d'alors, M. Watter Bühl, de la décision attendue de mettre fin à la structure de direction bicéphale au Canada et que c'est son collègue affecté aux ventes qui assumera seul la présidence de Ratiopharm. La passation des pouvoirs étant prévue pour le 18 septembre, tout doit demeurer confidentiel jusque-là. En gros, l'intimé comprend que ses jours sont comptés et qu'au mieux, s'il accepte de rester pour faciliter la transition, son emploi chez Ratiopharm se terminera vers la fin du mois de décembre 2006.

[20]        Et comme une mauvaise nouvelle n'arrive jamais seule, quelle n'est pas la surprise de l'intimé d'apprendre de M. Bühl lui-même, le 30 août suivant à son arrivée au bureau, que Ratiopharm a reçu un courriel anonyme alléguant de sa part, ainsi que de la part de deux autres dirigeants, des malversations et autres comportements reprochables. Bien que, selon M. Bühl, ces allégations soient invraisemblables, il informe l'intimé que la décision a été prise en haut lieu d'aller au fond des choses et d'enquêter sur ces allégations. De manière à ce que cette enquête, de nature comptable, se tienne à l'abri de toute influence, on demande également à l'intimé de ne pas se présenter sur les lieux de son travail pendant la durée de celle-ci et de ne pas communiquer avec qui que ce soit pour en discuter. L'intimé respecte cette consigne avec pour résultat que jamais au cours des pourparlers qui se tiennent de manière parallèle avec l'appelante il ne fera état de ce courriel qu'il sait, dans son for intérieur, être complètement faux, ni qu'il a été suspendu le temps qu'on procède à cette enquête.

[21]        Ceci nous amène ensuite au 10 septembre 2006. À cette date, M. Bühl informe l'intimé que l'enquête est terminée et que celle-ci n'a rien révélé de répréhensible à son endroit ainsi qu'à l'endroit des deux autres dirigeants aussi visés par le courriel anonyme. Ceux-ci sont immédiatement réintégrés dans leurs fonctions. Incidemment, ils étaient toujours à l'emploi de Ratiopharm en date du procès tenu au mois de mars 2010.

[22]        L'intimé, quant à lui, passablement secoué par les événements et à quelques jours de l'échéance fixée pour la fin de sa présidence chez Ratiopharm, annonce à M. Bühl qu'il ne reviendra pas. Il est alors agréé que lui et Ratiopharm confient à leurs procureurs le soin de conclure une entente de départ devant demeurer confidentielle. Celle-ci sera signée par l'intimé le 11 octobre 2006, la fin de son emploi chez Ratiopharm prenant fin officiellement le 22 septembre 2006[2]. Cette entente prévoit également le versement à l'intimé d'une somme de 450 000 $ à titre d'indemnité de cessation d'emploi, le tout en conformité avec les termes de son contrat d'emploi avec Ratiopharm conclu quelques années auparavant, plus exactement le 5 décembre 2002[3].

[23]        Là encore, il importe de le préciser car l'appelante en tire un argument, l'intimé ne l'informe pas de la signature de cette entente de départ. En résumé et au risque de me répéter, en aucun moment lors de ses rencontres avec Richard Joly, Sylvain Deslauriers, Alain Bédard et les autres dirigeants de l'appelante, l'intimé ne mentionne qu'il fait l'objet d'une enquête, qu'il est suspendu et qu'il négocie avec Ratiopharm une indemnité de départ.

[24]        De façon concomitante avec les événements qu'il vit chez Ratiopharm, l'intimé accepte donc l'offre d'emploi de l'appelante le 15 septembre 2006, son entrée en fonction à titre de vice-président exécutif devant débuter le 10 octobre suivant.

[25]        L'intimé entre en fonction à la date prévue. Le 1er novembre, l'appelante reçoit à son tour un courriel anonyme concernant des allégations de malversations impliquant l'intimé au sein de Ratiopharm. Informé de la situation, le président et chef de direction de l'appelante, Alain Bédard, demande à son vice-président aux ressources humaines, Sylvain Desaulniers, de tirer cette affaire au clair. Ce dernier tente tout d'abord d'identifier la provenance et l'auteur du courriel, mais en vain. Il communique ensuite avec Richard Joly, de Korn/Ferry, pour l'informer de la situation et prendre conseil. Ce dernier contacte alors M. Sylvain Girard, un dirigeant de Ratiopharm, et une rencontre est fixée dès le lendemain. Lors de cette rencontre, où sont présents M. Desaulniers, M. Joly et M. Girard, ce dernier informe ses interlocuteurs qu'ils ont vécu une situation identique chez Ratiopharm concernant l'intimé et deux autres dirigeants, que les trois ont été momentanément suspendus, mais que l'enquête menée par une équipe d'experts n'a révélé aucune malversation et que les deux autres dirigeants visés ont même réintégré leurs fonctions, ce qui n'est pas le cas de l'intimé qui a quitté son emploi après avoir conclu une entente avec Ratiopharm.

[26]        Sylvain Desaulniers fait ensuite rapport à son président, Alain Bédard. À leurs yeux, il importe peu que les allégations de malversations concernant l'intimé soient mal fondées. Le fait que ce dernier leur a volontairement caché qu'il était sous enquête et suspendu de ses fonctions démontre un manque de transparence et est inacceptable. Si ces informations avaient été portées à leur connaissance, ils auraient mis fin immédiatement au processus d'embauche.

[27]        Aussi, Alain Bédard prend-il la décision de congédier l'intimé. Il charge Sylvain Desaulniers de lui annoncer, un commandement que ce dernier exécute le 1er décembre 2006. L'intimé est stupéfait. Depuis son entrée en fonction, on ne lui a adressé aucun reproche. Il n'a par ailleurs jamais été informé avant de l'existence du courriel reçu par l'appelante, qu'on se garde par ailleurs de lui exhiber, ni de l'enquête menée à son sujet. Simplement, Sylvain Desaulniers lui mentionne qu'il aurait dû révéler qu'il avait été sous enquête chez Ratiopharm et que s'il l'avait su, il n'aurait pas été engagé. Il lui dit de prendre le temps de ramasser ses affaires et de garder son auto pour le moment, que cette question pourra être réglée ultérieurement. Enfin, Sylvain Desaulniers invite l'intimé à réfléchir sur la façon dont on pourrait présenter son renvoi. Il lui suggère de démissionner, que pour l'appelante, la manière dont son départ sera annoncé publiquement lui indiffère.

[28]        D'autres faits mériteraient d'être relatés. Aux fins d'éviter les répétitions, ils seront plus commodément rappelés lors de mon analyse de la preuve. Retenons toutefois à ce stade-ci que l'appelante a continué à rémunérer l'intimé jusqu'au 31 décembre 2006 et que ce dernier a conservé l'usage de l'automobile mise à sa disposition par l'appelante jusqu'au 23 décembre 2006. De l'avis de cette dernière, elle ne doit rien d'autre à l'intimé qu'elle a conservé à son emploi pendant 38 jours seulement. Quant aux efforts de l'intimé pour se trouver un nouvel emploi, ceux-ci ne seront couronnés de succès qu'en février 2008.

[29]        Enfin, pour dire un mot des procédures intentées de part et d'autre, il importe de noter que l'intimé réclamait à l'appelante, en première instance, un délai-congé de onze mois se chiffrant à 670 857 $. L'appelante, de son côté, se portant demanderesse reconventionnelle, réclamait à l'intimé 35 000 $ à titre de troubles et inconvénients et 100 000 $ pour les frais de recrutement payés à Korn/Ferry.

Le jugement de première instance

[30]        La juge de première instance se penche tout d'abord sur le moyen de défense de l'appelante qui consiste à prétendre qu'elle a été induite en erreur par l'omission volontaire et dolosive de l'intimé de ne pas avoir dévoilé des éléments pertinents le concernant, entraînant ainsi la nullité du contrat de travail signé le 15 septembre 2006.

[31]        La juge rejette cet argument en faisant valoir que « Si une personne a droit au respect de sa vie privée pourquoi exiger qu'elle dévoile aux employeurs potentiels d'avoir fait l'objet de fausses accusations par une personne anonyme »[4]. Plus loin, elle ajoute que l'intimé était tenu de garder confidentielle l'enquête commandée par Ratiopharm et revient avec l'idée que ce dernier n'était pas tenu de révéler « des faits négatifs qui s'avèrent sans fondement et qui furent portés à l'intention de son employeur pour lui nuire ou pour se venger dont on ne sait trop quoi »[5]. Toujours selon la juge, « Notre société ne peut permettre que tout individu soit laissé à la merci de personne sans scrupule qui n'hésite pas à porter des accusations fausses sous le couvert de l'anonymat »[6].

[32]        La juge reproche aussi à l'appelante d'avoir placé l'intimé devant le fait accompli sans lui avoir donné l'opportunité de s'expliquer. Elle note au passage qu'il a même fallu une ordonnance du tribunal pour que l'appelante remette à l'intimé une copie du courriel le concernant[7]. De l'avis de la juge, il ressort de la preuve qu'Alain Bédard n'était tout simplement pas intéressé à avoir un vice-président dans son entourage, ce qui est confirmé, selon elle, par le fait qu'aucune démarche par la suite n'a été entreprise pour le remplacer[8]. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'elle rejette la demande reconventionnelle de l'appelante et aussi parce qu'il n'y a eu aucune preuve des troubles et inconvénients allégués par cette dernière.

[33]        Relativement aux dommages-intérêts qu'elle octroie à l'intimé, la juge, en premier lieu, refuse de prendre en compte la somme de 450 000 $ que ce dernier a reçue de Ratiopharm, car celle-ci lui a été remise « en compensation de son poste de président »[9]. Elle lui accorde alors la durée totale du délai de congé de onze mois qu'il demande à compter du 1er janvier 2007, et ce, à partir de son salaire de base et en incluant la majorité des autres avantages reliés à son poste de vice-président exécutif, pour une indemnité totale de 485 187,47 $. La juge considère que ce montant est justifié en raison de l'importance du poste que l'intimé occupait et du fait qu'il ne s'est pas trouvé un emploi équivalent dans ce délai[10].

[34]        Enfin, la juge rejette la réclamation de l'intimé en vertu de l'article 54.1 C.p.c. même si les motifs exacts de son congédiement ne ressortent pas clairement de la défense de l'appelante[11].

 

Questions en litige

[35]        L'appelante continue de plaider devant notre cour qu'aucun contrat de travail n'est intervenu entre les parties en raison du dol de l'intimé qui a manqué de transparence lors des négociations précédant son embauche. Je formulerai donc la première question à trancher comme suit :

1°        une personne en processus d'embauche est-elle tenue de dévoiler à son futur employeur qu'elle est l'objet d'une enquête chez son employeur du moment, enquête déclenchée par un courriel anonyme et calomnieux la concernant?

[36]        Si la réponse à cette question est affirmative, l'appelante a raison de soutenir qu'il y a un vice de consentement et que le contrat de travail est nul ab initio. Elle ne doit donc rien à l'intimé et son appel doit être accueilli.

[37]        À l'inverse, si la réponse à cette question est négative et qu'un contrat de travail est bel et bien intervenu, se posent alors les questions suivantes :

2°        l'appelante était-elle en droit de résilier unilatéralement le contrat de travail de l'intimé sans préavis et sans indemnité?

[38]        Si la réponse à cette question est affirmative, l'appel doit être accueilli.

[39]        Si au contraire la réponse est négative :

3°        la juge de première instance a-t-elle commis une erreur relativement au délai de congé de onze mois qu'elle a accordé à l'intimé de même qu'en refusant de prendre en compte l'indemnité de départ de 450 000 $ que Ratiopharm a payée à l'intimé?

4°        Enfin, et parce que l'intimé plaide de nouveau cette question, le pourvoi de l'appelante est-il abusif au sens de l'article 524 C.p.c. auquel cas l'intimé a droit à des dommages-intérêts qu'elle évalue à 75 000 $?

Analyse

            L'obligation de divulgation de l'intimé

[40]        Selon l'appelante, l'intimé a fait défaut d'agir avec franchise et honnêteté à son endroit en ne l'informant pas de sa réelle situation au sein de Ratiopharm, ce qui a vicié son consentement et conduit erronément à son engagement.

[41]        L'appelante fait erreur. La Charte des droits et libertés de la personne[12] ainsi que le Code civil du Québec garantissent à toute personne le droit à son intégrité, sa dignité, son honneur et sa réputation[13]. Un candidat à un poste ne saurait donc être tenu de dévoiler les propos calomnieux qui circulent à son endroit sinon on se trouverait à l'obliger à renoncer à ses droits fondamentaux en s'auto-infligeant ce que la loi interdit aux autres de lui faire. De plus, obliger un candidat qui est l'objet d'allégations fausses et calomnieuses à divulguer qu'elle a été l'objet de telles allégations ou qu'une enquête a été menée sur de telles allégations ouvrirait la voie toute large aux intrigants, aux esprits dérangés et autres indésirables qui ont pour seule ambition de nuire, détruire ou ruiner la carrière d'autrui, ou encore empêcher, pour quelque raison obscure, l'accession d'une personne à un emploi qu'elle pourrait légitimement convoiter.

[42]        De fait, et l'appelante ne s'en cache pas, c'est exactement ce qui serait arrivé à l'intimé si ce dernier l'avait informée qu'il était suspendu et faisait l'objet d'une enquête chez Ratiopharm. Voici, à cet égard, ce que l'appelante écrit dans son mémoire :

84.       Plutôt que de choisir de dire franchement toute la vérité à son sujet, l'INTIMÉ a sciemment provoqué le dol de l'APPELANTE et vicié le consentement obtenu à la conclusion d'un contrat d'emploi, alors que la preuve non contredite a irréfutablement établi que si le mandataire et les représentants de l'APPELANTE avaient connu ces informations extrêmement importantes au moment même du processus, l'INTIMÉ n'aurait jamais été sélectionné, n'aurait même pas participé au processus et n'aurait jamais été embauché (Article 1401 C.c.Q.).

[43]        Aussi, c'est avec raison que la juge de première instance écrit que l'intimé était « justifié de ne pas révéler des faits négatifs qui s'avèrent sans fondement et qui furent portés à l'intention de son employeur uniquement pour lui nuire ou pour se venger dont on ne sait trop quoi »[14].

[44]        L'intimé était également tenu de garder confidentielle l'enquête commandée par Ratiopharm et, sous ce rapport, c'est son obligation de loyauté à l'égard de son employeur du moment qui devait primer sur son obligation de divulguer à l'appelante tous les faits pertinents à l'évaluation de sa candidature[15]. J'ajouterai ici qu'une fausse information véhiculée de façon anonyme sur une personne et l'enquête confidentielle qui en confirme la fausseté ne sont pas, de toute manière, des informations objectivement pertinentes pour l'appréciation de la candidature de cette personne.

[45]        Outre l'enquête dont l'intimé était l'objet et sa suspension pendant celle-ci, l'appelante lui reproche également d'avoir entretenu un certain flou sur les circonstances entourant sa fin d'emploi chez Ratiopharm. Là encore, ce reproche est non fondé.

[46]        En effet, dès sa première rencontre avec Richard Joly, de Korn/Ferry, l'intimé a fait part spontanément à ce dernier de ses inquiétudes relativement à l'abolition prochaine de son poste chez Ratiopharm[16]. En tant que mandataire de l'appelante, Richard Joly aurait pu lui faire suivre cette information. S'il ne l'a pas fait, on ne peut certainement pas blâmer l'intimé de ne pas être revenu sur ce sujet si personne, du côté de l'appelante, n'a pas cru bon de le questionner lors des rencontres qui ont suivi et qui ont porté davantage sur les exigences et attentes respectives des parties en lien avec l'emploi convoité par l'intimé.

[47]        J'en viens donc à la conclusion que la juge de première instance n'a pas commis d'erreur en concluant que l'intimé n'avait pas à dévoiler, alors qu'il était en processus d'embauche avec l'appelante, qu'il était l'objet d'une enquête administrative chez son employeur du moment, enquête déclenchée par un courriel anonyme sans fondement.

L'absence de préavis

[48]        Cette première conclusion impliquant qu'un contrat de travail est bel et bien intervenu entre les parties, se pose maintenant la question de déterminer si l'appelante avait un motif sérieux de résilier unilatéralement et sans préavis ce contrat.

[49]        Pour les mêmes raisons que celles données en réponse à la première question, je suis d'avis que l'appelante n'avait aucun motif sérieux pour résilier le contrat de l'intimé sans préavis. À ces raisons, j'ajouterai, en réponse à l'argument de l'appelante qu'elle pouvait agir de la sorte par crainte de l'opinion publique, que je suis d'accord avec la juge de première instance qui n'y a vu là qu'un faux prétexte, sa conclusion à cet égard s'appuyant sur la preuve[17] :

[35]      M. Bédard est clair. On ne veut pas dans notre compagnie publique, dont les actions sont cotées à la Bourse de Toronto, engager à un poste quelqu'un qui a fait l'objet d'une enquête pour dol ou mauvais comportement.

[36]      Il ajoute qu'il n'accorde aucune importance au fait que l'accusation soit fondée ou pas. La valeur de l'action peut être affectée par l'engagement d'une telle personne et cela ne lui importe pas de savoir si les accusations sont véridiques.

[37]      En contre-interrogatoire, il est contraint de nuancer sa position. En effet, le président de la compagnie, détenteur du plus haut pourcentage d'actions dans TransForce et qui est un membre important de son conseil d'administration, a été relié dans un quotidien montréalais à du blanchiment d'argent en Sicile.

[38]      Le quotidien montréalais explique par la suite que toute cette affaire a été inventée de toutes pièces par un journaliste italien qui voulait utiliser cette histoire pour obtenir du financement dans son journal.

[39]      La position de M. Bédard est que quant à M. Baillargeon la vérité de l'histoire n'est pas un facteur à considérer tandis que dans l'autre cas comme il sait dès le départ que c'est faux, car il connaît bien la personne attaquée, l'opinion publique ne sera pas affectée. Cette position ne tient pas, car il affirme avoir congédié M. Baillargeon par crainte de l'opinion publique.

[50]        Si l'appelante, à la suite de la publication d'une histoire aussi préjudiciable que celle impliquant du blanchiment d'argent par son président, un homme d'affaires connu du grand public, peut continuer à lui faire confiance, il est en effet difficile de croire qu'elle était réellement préoccupée par l'opinion publique au point de devoir congédier l'intimé pour des rumeurs non fondées d'une gravité moindre tant par leur nature que par leur source, leur ampleur et leur diffusion.

Le délai-congé

[51]        Ceci nous amène à l'examen de la troisième question, soit celle de la raisonnabilité du délai-congé de onze mois accordé par la juge de première instance.

[52]        En guise de rappel théorique[18], je propose de revenir en premier lieu sur la vocation indemnitaire du délai-congé, lequel a pour but, en ce qui concerne l'employé, « de lui permettre d'avoir un temps raisonnable pour se retrouver un emploi [équivalent] sans encourir de perte économique »[19]. Ceci ne signifie pas que le délai-congé doit équivaloir au temps requis pour se replacer sur le marché du travail[20]. Le délai-congé doit s'apprécier également au regard du droit de l'employeur de mettre fin au contrat de travail, lequel droit pourrait être compromis si le délai-congé octroyé est trop long[21].

[53]        L'article 2091 C.c.Q. parle plutôt d'un délai raisonnable, chaque cas étant un cas d'espèce devant être évalué en fonction des différents critères énumérés à cet article et développés par la jurisprudence. Les plus souvent invoqués sont les suivants[22] :

§  la nature et l'importance du poste occupé par l'employé, l'idée étant que plus le poste sera important, plus le délai-congé sera long;

§  le nombre d'années de service de l'employé. Plus ce dernier sera ancien dans l'entreprise, plus le délai-congé sera long;

§  l'âge de l'employé. Plus l'employé sera âgé, plus on présume qu'il lui faudra du temps pour se replacer sur le marché du travail et plus son délai-congé sera long;

§  les circonstances ayant mené à son engagement. Un employé, par exemple, qui est sollicité et qui laisse un emploi rémunérateur et certain aura droit à un délai-congé plus long que celui qui est sans emploi ou dont l'emploi est incertain;

§  la difficulté de se trouver un emploi comparable. Plus cette difficulté sera grande, plus le délai-congé sera long.

[54]        Chose fondamentale à ne pas oublier, aucun de ces critères ne doit être examiné isolément. C'est dans une perspective globale qu'ils doivent être pris en compte[23], ce qui constitue un délai-congé raisonnable étant « essentiellement une question de fait qui varie avec les circonstances propres à chaque espèce »[24].

[55]        Enfin et parce que la détermination du délai-congé raisonnable est une question de fait, c'est avec beaucoup de réserve et de déférence que la Cour interviendra pour modifier la durée de celui-ci. Les motifs du juge Baudouin, rendus à l'occasion de l'arrêt Standard Radio inc. c. Doudeau[25], sont un bel exemple de la réserve judiciaire qui doit prévaloir en semblable matière car, malgré une hésitation certaine, ce dernier refuse d'intervenir en présence de ce qu'il qualifie d'allocation « très généreuse »[26] :

Comme je l'ai écrit dans le dossier connexe de Standard Broadcasting Corp. c. Stewart, l'évaluation par le juge de première instance du délai-congé est une tâche difficile et subjective puisqu'en la matière une grande part doit être laissée à l'appréciation des circonstances et à l'évaluation de la preuve par le magistrat.

Dans l'affaire Stewart, j'ai été d'opinion que le délai-congé d'une année entière accordé par la Cour supérieure était généreux, mais pas à ce point déraisonnable, eu égard à la jurisprudence, qu'il motivait une intervention de notre cour. Il faut noter que le salaire brut de Stewart était à peu près le même que la rémunération moyenne de l'intimée, que ses fonctions étaient toutefois hiérarchiquement supérieures à celles de l'intimée (mais dans un autre secteur d'activités) et que les bénéfices marginaux dont il jouissait étaient supérieurs à ceux de l'intimée.

En faisant donc la comparaison, je ne peux m'empêcher d'observer que, si dans le cas de Stewart l'allocation d'une année m'apparaissait généreuse, cette même allocation dans le cas de l'intimée me semble très généreuse. Toutefois, là encore, il ne s'agit pas d'un calcul strictement mathématique ou d'une pure et simple évaluation comptable. Des aspects humains entrent aussi en ligne de compte, aspects qui ont pu être directement évalués, mieux que je ne saurais le faire, par le juge de la Cour supérieure. Pour ces raisons donc, et malgré une hésitation certaine, je suis d'avis qu'il n'y a pas lieu d'intervenir à cet égard.

                                                                                                            [je souligne]

[56]        Il convient maintenant d'appliquer ces critères au cas sous étude.

[57]        Décrivant le poste de vice-président exécutif occupé par l'intimé au sein de l'appelante, c'est à dessein que j'ai reproduit un extrait du mémoire de cette dernière au début des présents motifs de manière à couper court à toute discussion[27]. Il s'agit d'un poste unique où l'intimé devait, à moyen terme, devenir président de la plus importante entreprise de transport par camionnage au Canada. Cet élément joue donc très clairement en faveur d'un long délai-congé.

[58]        L'intimé, cependant, n'est resté à l'emploi de l'appelante que pendant 38 jours ce qui, à l'inverse, milite en faveur d'un délai-congé court.

[59]        Au moment de son congédiement, le 1er décembre 2006, l'intimé est âgé de 49 ans. Détenteur de diplômes universitaires en finance et en administration (MBA), il a œuvré toute sa carrière dans le monde des affaires, à la direction de grandes entreprises publiques. Voici ce qu'écrit à son sujet Richard Joly, de Korn/Ferry, dans son rapport destiné à l'appelante :

Commentaires généraux

·         Brillant. Articulé.

·         Forte personnalité.

·         Cultivé.

Forces

·         S'est beaucoup impliqué dans les projets chez UAP.

·         Fortes habiletés en finances.

·         Visionnaire.

·         Analytique. Va au fond des choses.

·         A piloté un projet de transformation chez Ratiopharm au niveau de la distribution et des produits OTC.

·         Sait s'entourer de personnes compétentes.

·         Possède un très bon niveau de contacts dans l'industrie.

·         Ayant un sens politique, il travaille bien avec les gens à tous les niveaux de l'organisation.

·         À l'aise dans des situations complexes et un environnement changeant.

·         Capable de prendre des décisions difficiles. Dans certains cas, il consulte ses vice-présidents pour valider certaines informations avant de prendre une décision finale. Embauche des consultants externes lorsque nécessaire.

·         Reste calme dans des situations stressantes, mais peut paraître plus froid.

·         Chez Ratiopharm en cinq ans, il a contribué à doubler la taille de l'entreprise.

·         À l'aise dans un environnement changeant. A besoin de défis.

Style de gestion du candidat

·         Impressionne par sa capacité intellectuelle.

·         Habileté à bien cerner les problèmes.

·         Présente des objectifs clairs et précis. Utilise des paramètres de mesure des résultats. S'attend à des résultats.

·         Sait reconnaître et récompenser le travail bien accompli.

·         Permet à ses employés d'implanter des idées.

·         Sait s'entourer de personnes fortes. Délègue bien, mais suit ses gens. Fait confiance.

[60]        Bien que la jurisprudence ait tendance à accorder un délai-congé plus long lorsque l'employé congédié sans cause juste et suffisante est âgé d'une cinquantaine d'années[28], je ne suis pas prêt à appliquer cette règle de conduite sans nuance à l'intimé.

[61]        À 49 ans, avec ses qualifications et son expérience, je considère que l'intimé était au sommet de sa carrière, ce qui, abstraction faite des autres critères, milite en faveur d'un délai-congé plus court que long.

[62]        Quant aux circonstances ayant mené à son engagement, je rappelle que les jours de l'intimé chez son précédent employeur, Ratiopharm, étaient comptés. Son poste venait d'être aboli et s'il avait accepté de rester pour assurer la transition de son successeur, il aurait dû néanmoins quitter son emploi avant la fin de l'année 2006. Là encore, ceci milite en faveur d'un délai-congé plus court que long.

[63]        Un autre critère pris en compte par la jurisprudence est celui de la difficulté pour l'employé de se trouver un emploi comparable. Congédié le 1er décembre 2006, l'intimé débute sa recherche d'emploi vers le 15 janvier 2007. Or, c'est en février 2008, après avoir utilisé ses nombreux contacts et passé sept entrevues pour des employeurs différents, qu'il réussit à se replacer sur le marché du travail au sein d'une compagnie pharmaceutique dirigée par un de ses anciens collègues chez Ratiopharm. Ainsi, alors qu'il lui a fallu six semaines seulement pour être engagé par l'appelante, les démarches faisant suite à son congédiement auront duré plus d'un an. Cet élément milite en faveur d'un délai-congé long.

[64]        En résumé, la situation de l'intimé réunit deux critères favorisant un délai-congé long et trois critères favorisant un délai-congé court. Mais, comme le rappelle le juge Baudouin dans l'arrêt Standard Radio inc. c. Doudeau, « il ne s'agit pas d'un calcul strictement mathématique ou d'une pure et simple évaluation comptable »[29]. De plus, tous ces critères doivent être examinés dans une perspective globale[30].

[65]        L'analyse à laquelle la juge de première instance s'est livrée est plutôt sommaire. Elle tient dans les quelques lignes qui suivent :

[84]      Le salaire de base était de 325 000 $ par année. M. Baillargeon réclame 297 916,66 $ soit 11 mois. Le Tribunal considère cette demande justifiée compte tenu de l'importance du poste et du fait qu'il ne se soit pas trouvé un emploi équivalent dans ce délai, ce qui n'est pas étonnant si on considère la manière cavalière de son congédiement.

[66]        La juge de première instance a donc fait prévaloir l'importance du poste qu'occupait l'intimé - vice-président exécutif de la plus importante entreprise de transport par camionnage au Canada ayant un chiffre d'affaires de 1,8 milliard de dollars - ainsi que le temps qu'il lui a fallu pour se replacer sur le marché du travail dans un emploi comparable. Ce faisant, peut-on affirmer que la juge a commis une erreur manifeste et déterminante en accordant à l'intimé un délai-congé de onze mois?

[67]        En apparence très généreux, je note tout d'abord que l'intimé bénéficiait d'un délai-congé de dix-huit mois avec Ratiopharm ainsi qu'en fait foi l'extrait suivant tiré de son contrat avec cette dernière :

9.0       TERMINATION OF EMPLOYMENT

9.1       Termination for cause: The parties understand and agree that the Executive's employment pursuant to this Agreement may be terminated by the Company, for a serious reason, without any notice or pay in lieu thereof, by paying the Executive only the accrued base salary and any accrued but unused vacation benefits earned to the date of termination.

9.2       Termination upon the Executive's disability: The parties understand and agree that the Company, in its absolute discretion may terminate the Executive's employment should the Executive becomes disabled for a continuous period of six (6) months or an aggregate period of six (6) months within any twelve (12) month period, by giving a thirty (3) day written notice of termination to the Executive.

9.3       Termination upon the Executive's death: The parties understand and agree that the Executive's employment shall terminate automatically upon the Executive's death.

9.4       Termination without cause: The parties understand and agree that the Company, in its absolute discretion and for any reason other than the ones mentioned in Articles 9.1, 9.2 and 9.3, may terminate the Executive's employment by paying the Executive an indemnity representing eighteen (18) months of base salary in a lump sum of as salary continuance, at the Company's sole discretion and by paying all accrued base salary, any earned but unpaid bonus amounts at the date of termination on a prorated basis and any accrued but unused vacation benefits, all earned through the date of termination.

                                                                                                [je souligne]

[68]        Ceci est révélateur des préavis qui se donnent dans le milieu sélect des grandes entreprises publiques, lesquels sont sans aucune mesure comparables à ceux offerts aux employés occupant des postes moins prestigieux.

[69]        Ensuite, lorsque l'on considère le temps qu'il a fallu à l'intimé pour se trouver un emploi à la suite de son congédiement, on peut facilement imaginer, sans trop risquer de se tromper, que les raisons qu'il a dû fournir pour expliquer son court passage au sein de l'entreprise de l'appelante, n'ont probablement pas été très convaincantes, faisant ainsi ombrage à un parcours, jusque-là impeccable et sans tache, terni par le geste intempestif de l'appelante.

[70]        Aussi, et compte tenu de la déférence qui s'impose à une cour d'appel chargée de réviser le délai-congé octroyé par un juge de première instance, je ne vois pas matière à intervenir pour réduire la durée de celui-ci, sa mission indemnitaire, évaluée dans une perspective globale, étant au contraire pleinement accomplie.

[71]        Je ne vois pas davantage matière à intervenir pour retrancher certaines des sommes comprises dans l'indemnité de 485 187,47 $ accordée par la juge de première instance.

[72]        Je rappelle que, aux termes du contrat d'emploi signé par les parties, outre son salaire de base de 325 000 $, l'intimé jouissait de nombreux autres avantages faisant en sorte de porter son salaire annuel à hauteur de 679 550 $. Or, comme l'écrit la juge Bich dans l'arrêt Aksich c. Canadien Pacific Railway[31], l'indemnité tenant compte de délai-congé doit être déterminée sur la rémunération totale de l'employé[32] :

[118]    Il est communément admis et reconnu que l'employeur qui se prévaut de l'article 2091 C.c.Q. et résilie le contrat de travail peut choisir de ne pas donner le délai de congé, mais de mettre plutôt fin au contrat de façon immédiate tout en versant au salarié une indemnité équivalente au délai de congé raisonnable. Dans le premier cas, le salarié continue de travailler pour l'employeur pendant la durée du délai de congé et il reçoit en échange toute la rémunération rattachée à l'exécution du travail (c'est-à-dire le salaire et autres avantages et bénéfices ayant une valeur pécuniaire). Dans le second cas, l'employeur, en guise d'indemnité, versera au salarié l'équivalent de la rémunération que celui-ci aurait normalement reçue s'il avait travaillé pendant la durée du délai de congé.   

                                                                                                            [je souligne]

[73]        C'est donc dire que l'intimé était en droit de toucher, à titre de congé-délai, le salaire, les bonis et les autres avantages qu'il était censé recevoir en contrepartie de sa prestation de travail en vertu du contrat signé avec l'appelante. C'est précisément l'exercice auquel s'est livrée la juge de première instance en retranchant çà et là différents montants quant aux bonis de performance et au régime d'intéressement. Or, l'appelante n'a pas démontré que la juge, ce faisant, a commis une erreur grave et déterminante dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire à l'égard duquel la déférence, de la part de cette cour, est de mise[33].

[74]        Pour terminer avec la question du délai-congé, je répondrai à la prétention de l'appelante selon laquelle la juge de première instance a commis une erreur en ne déduisant pas du montant qu'elle a accordé à l'intimé l'indemnité de 450 000 $ que ce dernier a reçu de Ratiopharm lors de la terminaison de son emploi. Selon l'appelante, l'intimé se trouve à avoir été doublement indemnisé.

[75]        Je ne suis pas d'accord. L'intimé, en vertu du contrat qu'il avait avec Ratiopharm, était en droit de recevoir une telle indemnité de cessation d'emploi. Aussi, en vertu de quel principe de droit un tiers par rapport à ce contrat pourrait en prendre avantage et ainsi éluder ses propres obligations? Le contrat de l'intimé avec Ratiopharm et celui entre l'intimé et l'appelante ne sont pas des vases communicants. Certes, l'appelante avait le droit de résilier sans motif le contrat de l'intimé. Elle devait cependant lui verser une indemnité tenant lieu de délai-congé raisonnable, et ce, peu importe sa situation patrimoniale. Car, à y regarder de près, c'est là où mène la position de l'appelante. N'aurait droit à un délai-congé que l'employé congédié dont la situation financière est précaire. Ce ne peut être là l'état du droit.

Le caractère abusif de l'appel

[76]        L'intimé revient avec cette idée que l'appelante a fait dans la démesure et la vexation par sa défense ainsi que par son appel devant cette cour. La juge de première instance a rejeté ses prétentions relativement à la défense de l'appelante[34] et l'intimé n'a pas fait d'appel incident. Par contre, l'article 524 C.p.c. permet à la Cour d'appel, même d'office, de déclarer abusif un appel qu'elle rejette :

524.     La Cour peut, d'office ou à la requête d'une partie, déclarer dilatoire ou abusif un appel qu'elle rejette ou déclare déserté.

Elle peut condamner l'appelant à payer les dommages-intérêts causés par cet appel si leur montant apparaît au dossier ou s'il est admis par les parties.

Dans les autres cas, l'intimé peut, dans les soixante jours de la date du jugement de la Cour d'appel, réclamer des dommages-intérêts de l'appelant, par requête dressée à la Cour supérieure ou à la Cour du Québec, selon le montant réclamé. Le greffier des appels, sur réception d'une copie de la requête, transmet le dossier au greffe du tribunal auquel la requête s'adresse.

[77]        La Cour, à l'occasion de l'arrêt Royal Lepage Commercial inc. c. 109650 Canada Ltd[35], s'est penchée sur ce qui constitue un abus du droit d'ester en justice. Le juge Dalphond écrit que cette notion implique un « comportement contraire aux finalités du système judiciaire »[36] qui est « associé à la mauvaise foi et à la témérité »[37]. Plus loin, il ajoute :

[45]      Pour conclure en l’abus, il faut donc des indices de mauvaise foi (telle l’intention de causer des désagréments à son adversaire plutôt que le désir de faire reconnaître le bien-fondé de ses prétentions) ou à tout le moins des indices de témérité.

[46]      Que faut-il entendre par témérité? Selon moi, c’est le fait de mettre de l’avant un recours ou une procédure alors qu’une personne raisonnable et prudente, placée dans les circonstances connues par la partie au moment où elle dépose la procédure ou l’argumente, conclurait à l’inexistence d'un fondement pour cette procédure.  Il s’agit d’une norme objective, qui requiert non pas des indices de l’intention de nuire mais plutôt une évaluation des circonstances afin de déterminer s’il y a lieu de conclure au caractère infondé de cette procédure.  Est infondée une procédure n’offrant aucune véritable chance de succès, et par le fait, devient révélatrice d’une légèreté blâmable de son auteur.  Comme le soulignent les auteurs Baudouin et Deslauriers, précités : « L’absence de cette cause raisonnable et probable fait présumer sinon l’intention de nuire ou la mauvaise foi, du moins la négligence ou la témérité ».

[78]        Appliqués au cas sous étude, ces commentaires du juge Dalphond m'amènent à trancher l'argument de l'intimé comme suit.

[79]        J'exclus pour l'instant la demande reconventionnelle de l'appelante que la juge de première instance a rejetée et sur laquelle je reviendrai.

[80]        L'intimé écrit dans son mémoire que l'appelante continue en appel à noircir sa réputation par tout un faisceau d'allégations qui laissent entendre, lorsqu'elles ne l'affirment pas catégoriquement, qu'il a fait preuve de déloyauté et a agi avec malhonnêteté en dissimulant des faits troublants le concernant.

[81]        Le dossier ayant révélé que l'appelante savait, avant de congédier l'intimé, que l'enquête conduite par Ratiopharm l'avait totalement blanchi et que cette dernière lui avait même versé une prime de départ de 450 000 $ - preuve qu'elle n'avait rien à lui reprocher - la facture du mémoire de l'appelante étonne, voire choque par son manque flagrant de « fairplay » notamment en taisant que l'intimé a été blanchi.

[82]        Reste qu'on ne saurait conclure à l'absence de fondement de l'inscription en appel. La juge de première instance a condamné l'appelante à verser à l'intimé 485 187,47 $ alors que ce dernier était à son emploi depuis peu de temps. Le cas est unique. L'appelante avait certainement le droit de tenter sa chance en appel sans en cela se faire taxer d'avoir détourné le système judiciaire de sa finalité.

[83]        Il en va autrement cependant avec la demande reconventionnelle de l'appelante que la juge de première instance, avec raison, a rejetée sommairement. Par cette demande, l'appelante réclamait à l'intimé la somme de 135 000 $, soit 35 000$ à titre de troubles et inconvénients et 100 000 $ en remboursement des frais payés à Korn/Ferry pour recruter l'intimé. Or, voici ce que le dossier révèle à ce sujet.

[84]        Tout d'abord, l'appelante n'a fait aucune preuve des troubles et inconvénients qu'elle allègue. Ensuite et surtout, cette dernière bénéficiait d'une garantie d'un an auprès de Korn/Ferry pour recruter de nouveau quelqu'un pour remplacer l'intimé et elle ne s'est pas prévalue de cette garantie. Le témoignage du représentant de Korn/Ferry, M. Richard Joly, lorsque contre-interrogé par l'avocat de l'intimé, mérite d'être reproduit :

Q         Est-ce que vous donnez une garantie sur les embauches que vous faites?

R         Nous avons une garantie…

Q         Du maintien d'emploi?

R         Oui. Une garantie d'un an.

Q         Une garantie d'un an? Donc ici, elle s'applique?

R         La garantie, c'est le remplacement de la personne.

Q         Vous ne l'avez pas honorée?

R         On ne nous l'a pas demandé.

Q         On ne vous a pas demandé de l'honorer?

R         Le client ne nous a pas demandé de l'honorer.

Q         De sorte que si TransForce avait choisi de remplacer monsieur Baillargeon, vous auriez…

R         Refait le mandat.

Q         … vous auriez refait le mandat sans frais?

R         À nos… à nos frais. Oui.

Q         Merci, Monsieur Joly.

[85]        Les choses se présentent donc comme suit. Dans son inscription en appel, l'appelante allègue que la juge de première instance a erré en faits et en droit en rejetant sa demande reconventionnelle. Dans son mémoire, elle passe sous silence la garantie offerte par Korn/Ferry et argumente qu'en versant 100 000 $ inutilement à cette dernière, elle a subi un dommage pour lequel l'intimé devrait être tenu de l'indemniser.

[86]        On comprendra que, lors de l'audience, l'avocat de l'appelante n'a pas argumenté longtemps et que, pressé de questions par la Cour, il a mentionné qu'il n'insistait pas, l'appelante n'ayant aucunement tenté de minimiser ses dommages comme l'édicte la règle énoncée à l'article 1479 C.c.Q.

[87]        Il résulte de tout ceci que l'intimé fait face à une poursuite de 135 000 $, ramenée à 100 000 $ en appel, depuis le 12 juin 2007, poursuite à sa face même dénuée de tout fondement qui avait, à mon avis, pour seul but de l'intimider et non pas de faire reconnaître le bien-fondé des prétentions de l'appelante.

[88]        Faisant ici écho aux propos tenus par le juge Dalphond dans Royal Lepage Commercial inc.[38], j'en viens donc à la conclusion que l'appelante a agi avec témérité, dans le seul but de causer des désagréments à l'intimé et que son appel sur cette question doit être déclaré abusif au sens de l'article 524 C.p.c.

[89]        Quel est maintenant le montant des dommages-intérêts causés à l'intimé par cet appel? Le seul élément qui apparaît du dossier est tiré de l'argumentation contenue à son mémoire. L'intimé demande à cette cour de condamner l'appelante à lui verser 75 000 $ « en réparation du préjudice subi par l'intimé du fait de l'inconduite de l'appelante dans son pourvoi ». Il ressort toutefois de l'argumentation de l'intimé que la plus grande part de ce préjudice résulte du caractère vexatoire des propos tenus par l'appelante dans son mémoire que j'ai refusé de déclarer abusifs parce qu'incapable d'y voir là un détournement de la procédure.

[90]        Me fondant sur le pourvoi discrétionnaire qui découle de l'article 524 C.p.c., sur la règle de la proportionnalité énoncée à l'article 4.2  C.p.c., et plutôt que de renvoyer les parties en Cour supérieure encourir inutilement des frais, j'arbitre donc immédiatement à 10 000 $ les dommages-intérêts subis par l'intimé en raison de la persistance de l'appelante à poursuivre sa demande reconventionnelle.

Conclusion

[91]        Sur le tout, je suggère de rejeter l'appel, de confirmer le jugement de première instance, de déclarer l'appel de l'appelante en partie abusif et de condamner l'appelante à payer à l'intimé la somme de 10 000 $ avec intérêts et l'indemnité additionnelle à compter de la date de l'inscription en appel, le tout avec dépens.

 

 

 

JEAN BOUCHARD, J.C.A.

 



[1]     Marc Baillargeon c. TransForce inc., 2010 QCCS 1457 .

[2]     Pièce P-7 gardée sous scellés au dossier de la Cour à la suite d'une ordonnance à cet effet prononcée le 14 février 2012.

[3]     Pièce P-8 gardée sous scellés au dossier de la Cour à la suite d'une ordonnance à cet effet prononcée le 14 février 2012.

[4]     Supra, note 1, paragr. 57.

[5]     Ibid., paragr. 50.

[6]     Ibid., paragr. 73.

[7]     Ibid., paragr. 66 à 68.

[8]     Ibid., paragr. 71, 72 et 76.

[9]     Ibid., paragr. 79 et 80.

[10]    Ibid., paragr. 84 à 92.

[11]    Ibid., paragr. 94.

[12]    L.R.Q., c. C-12.

[13]    Charte des droits et libertés de la personne, articles 1 et 4 , Code civil du Québec, articles 3, 10 et 35.

[14]    Supra, note 1, paragr. 57.

[15]    Code civil du Québec, art. 2088.

[16]    Supra, paragr. 16.

[17]    Supra, note 1, paragr. 35 à 39.

[18]    Voir G. Audet, R. Bonhomme, C. Gascon, Le congédiement en droit québécois en matière de contrat individuel de travail, 3e édition, Editions Yvon Blais, dernière mise à jour : mai 2012, chapitre 5.

[19]    Standard Broadcasting Corporation Limited c. Stewart, [1994] Can LII 5837 QCCA (j. Baudouin, p. 5).

[20]    Surveyer, Nenninger & Chênevert inc. c. Jackson, C.A. Mtl D.J.E. 88T-667, p. 5.

[21]    Standard Broadcasting Corporation Limited c. Stewart, supra, note 19, (j. Baudouin, p. 6).

[22]    G. Audet, R. Bonhomme, C. Gascon, supra, note 18, No 5.2.

[23]    Standard Broadcasting Corporation Limited c. Stewart, supra, note 19, j. Baudouin, p. 6; Société hôtelière Canadien Pacifique c. Hoeckner, [1998] J.E. 805 QCCA, p. 11.

[24]    Standard Broadcasting Corporation Limited c. Stewart, supra, note 19, j. Baudouin, p. 5.

[25]    [1994] R.J.Q. 1782 .

[26]    Ibid., p. 1786.

[27]    Supra, paragr. 11.

[28]    Le congédiement en droit québécois, supra, note 18, No 5.2.2.

[29]    Supra, note 25, p. 1786.

[30]    Supra, note 23.

[31]    2006 QCCA 931 .

[32]    Ibid., paragr. 118.

[33]    Standard Radio inc. c. Doudeau, supra, note 25, p. 1786.

[34]    Marc Baillargeon c. TransForce inc., supra, note 1, paragr. 93 à 95.

[35]    2007 QCCA 915 .

[36]    Ibid., paragr. 40.

[37]    Ibid., paragr. 41.

[38]    Supra, note 35, 36 et 37.

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