Paquette c. Fédération (La), cie d'assurances du Canada |
2012 QCCS 4284 |
||||||||
JC0B37 |
|
||||||||
|
|
||||||||
CANADA |
|
||||||||
PROVINCE DE QUÉBEC |
|
||||||||
DISTRICT DE |
HULL |
|
|||||||
|
|
||||||||
N° : |
550-17-000936-037 |
|
|||||||
|
|
|
|||||||
DATE : |
Le 24 OCTOBRE 2012 |
|
|||||||
______________________________________________________________________ |
|
||||||||
|
|
||||||||
SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
DAVID R. COLLIER, J.C.S. |
|
||||||
______________________________________________________________________ |
|
||||||||
|
|
||||||||
DANIEL PAQUETTE
|
|
||||||||
Demandeur
|
|
||||||||
c.
|
|
||||||||
LA FÉDÉRATION CIE D'ASSURANCE DU CANADA et CAROLE ROLLIN et LUC LABROSSE
|
|
||||||||
Défendeurs |
|
||||||||
|
|
||||||||
______________________________________________________________________ |
|
||||||||
|
|
||||||||
JUGEMENT RECTIFIÉ |
|
||||||||
______________________________________________________________________ |
|
||||||||
|
|
||||||||
MISE EN CONTEXTE
[1] Le 24 juin 2000, le demandeur Daniel Paquette, alors qu'il est ivre, se blesse grièvement en véhicule tout-terrain sur la propriété des défendeurs Carole Rollin et Luc Labrosse. Il poursuit ceux-ci ainsi que la Fédération Compagnie d'assurance du Canada.
[2] Cette cause a été scindée le 13 juin 2005 par un jugement de cette Cour ordonnant que la question de la responsabilité des parties soit décidée avant celle du quantum des dommages. La responsabilité des parties est donc la seule question qui doit être décidée par ce jugement.
LES FAITS
[3] Le 24 juin 2000, M. Labrosse et Mme Rollin déménagent de Gatineau à Saint-André-Avellin, où ils viennent d'acheter une maison de ferme et un terrain de cent acres. Une douzaine d'amis et membres de la famille les aident pour le déménagement. Parmi eux, se trouve M. Paquette, 36 ans, un ami d'enfance de M. Labrosse.
[4] Tôt le matin, les amis remplissent les camions de déménagement à Gatineau. Ils les déchargent à Saint-André-Avellin vers midi. Pendant que les hommes rentrent les meubles, les femmes ouvrent les boîtes et placent les effets dans la maison. Plusieurs enfants jouent dehors ou aident leurs parents.
[5] Au début de l'après-midi, M. Labrosse place une glacière remplie de bières et de boissons gazeuses sur la galerie de la maison et invite ses amis à se servir. En tout, 54 cannettes de bière sont mises à la disposition des adultes au cours de la journée, dont 42 d'entre elles sont consommées. Quelques personnes, dont M. Paquette, consomment la bière sur la galerie pendant que d'autres sont occupées à placer les effets à l'intérieur de la maison.
[6] Dans un hangar situé près de la maison, se trouve un véhicule tout-terrain appartenant à M. Labrosse. C'est une moto à trois roues de marque Honda. Vers 16 heures, un des invités, Claude Boucher, décide de faire une randonnée avec son fils. Selon M. Boucher, il demande l'autorisation à M. Labrosse avant d'emprunter le véhicule.
[7] Sur le véhicule, Claude Boucher et son fils traversent la route devant la maison et entrent dans un champ de pâturage. C'est un terrain clôturé de 82 acres que M. Labrosse loue à un éleveur de bovins. Pour y accéder, il faut ouvrir une barrière qui est verrouillée. Selon M. Boucher, il déverrouille le cadenas avec une clé qui est sur le même trousseau que celle du véhicule tout-terrain.
[8] Claude Boucher et son fils circulent sur le pâturage pendant environ une demi-heure. À leur retour, Michel Rollin, le frère de Mme Rollin, embarque sur le véhicule avec l'autre fils de M. Boucher. Ils empruntent le même trajet en traversant la route et en ouvrant la barrière verrouillée qui mène au champ de pâturage.
[9] Les randonnées de Claude Boucher et Michel Rollin se déroulent sans incident.
[10] Pendant ce temps, M. Labrosse s'occupe du déménagement. Il sait que Claude Boucher et Michel Rollin font chacun une randonnée sur le véhicule tout-terrain, mais il affirme qu'aucun des deux hommes n'a demandé son autorisation avant de l'emprunter.
[11] Vers 18 heures, M. Labrosse et Mme Rollin servent le souper à leurs amis. Après le repas, plusieurs personnes rentrent chez elles. Il est prévu que M. Paquette ainsi que la mère et les deux sœurs de Mme Rollin couchent à la maison.
[12] Vers 19 h 30, M. Paquette emprunte à son tour le véhicule tout-terrain. Depuis 12 h 30, ce dernier a bu une quinzaine de bières et fumé deux joints de marijuana. Selon l'expert Bernard Vinet, le taux d'alcoolémie de M. Paquette au moment de partir sur le véhicule serait de 179 à 189 mg/dl, bien au-delà du seuil légal de 80 mg/dl[1]. Pour sa part, l'expert Serge Gauthier est d'avis que le niveau d'intoxication de M. Paquette au moment d'embarquer sur le véhicule « portait atteinte, de façon significative, à ses capacités de perception et de concentration »[2].
[13] La preuve est contradictoire à savoir si M. Labrosse donne son accord à M. Paquette pour qu'il emprunte le véhicule tout-terrain.
[14] Selon M. Paquette, M. Labrosse est devant la maison et l'autorise à faire une randonnée. Bien plus, M. Labrosse traverse la route pour déverrouiller la barrière afin de permettre à M. Paquette d'accéder au champ.
[15] Pour sa part, M. Labrosse nie avoir autorisé M. Paquette à utiliser son véhicule. Selon lui, il est dans la maison et ignore que M. Paquette part en véhicule tout-terrain. De plus, il nie avoir déverrouillé la barrière afin de permettre à M. Paquette d'accéder au champ.
[16] Une fois rendu dans le champ, M. Paquette constate que le terrain sur lequel il circule est cahoteux et qu'il « faut faire attention »[3]. Il monte une côte en suivant un chemin. Après sept ou huit minutes, il décide de retourner à la maison; il redescend la côte par le même chemin. En descendant, M. Paquette aperçoit un trou sur le chemin. Il applique les freins mais est incapable d'éviter l'obstacle. La roue avant du véhicule tout-terrain se coince dans le trou et M. Paquette est projeté au sol.
[17] M. Paquette gît par terre sur le ventre, conscient mais incapable de bouger. Le véhicule tout-terrain reste droit et en marche.
[18] Michel Rollin et Claude Boucher sont assis sur la galerie de la maison. M. Rollin remarque au loin le phare du véhicule. À l'aide de jumelles, il constate que le véhicule est immobilisé. Les deux hommes rejoignent M. Paquette et appellent une ambulance. M. Paquette est transporté à l'hôpital.
[19] Un examen médical démontre que M. Paquette s'est fracturé plusieurs vertèbres cervicales. Il demeure quadriplégique et dépendant pour tous ses soins de base, lesquels sont fournis depuis l'accident par sa conjointe, Annie Marcheterre.
[20] En 2003, M. Paquette intente une action en dommages de 7 396 084 $ contre M. Labrosse, Mme Rollin et leur assureur.
LA POSITION DES PARTIES
[21] M. Paquette soutient que M. Labrosse et Mme Rollin sont responsables de l'accident, du moins en partie, puisqu'ils lui ont servi de la bière et lui ont permis d'emprunter le véhicule tout-terrain, malgré son état d'ébriété.
[22] Selon M. Paquette, M. Labrosse et Mme Rollin ont admis leur responsabilité en exprimant des regrets et en lui remettant des sommes d'argent après l'accident.
[23] M. Paquette ajoute que son accident était prévisible, car le danger posé par la consommation d'alcool et la conduite d'un véhicule motorisé est bien connu des défendeurs. Il soutient que M. Labrosse et Mme Rollin auraient dû cacher la clé du véhicule au lieu de la laisser dans le contact.
[24]
M. Paquette plaide que M. Labrosse est présumé responsable de l'accident
puisqu'il est le propriétaire du véhicule. Cette présomption découlerait des
articles
10
et
[25] De plus, M. Labrosse aurait commis une faute statutaire, car son véhicule n'était ni immatriculé ni assuré, le tout en violation de la Loi sur les véhicules hors route[5].
[26] M. Paquette ajoute que M. Labrosse est responsable de l'accident parce qu'en ouvrant la barrière donnant sur le champ, il l'a incité à prendre part à une activité dangereuse, sans lui offrir de consigne de sécurité ou le surveiller.
[27] Selon M. Paquette, la responsabilité de Mme Rollin découle de son imprudence à ne pas surveiller la consommation de bière de ses invités. De plus, elle n'a pris aucune mesure pour empêcher M. Paquette d'emprunter le véhicule tout-terrain, alors qu'il était en état d'ébriété (art. 1457 C.c.Q).
[28] Enfin, selon le demandeur, La Fédération, Compagnie d'assurance du Canada, doit couvrir les dommages résultant de la faute de ses assurés, M. Labrosse et Mme Rollin.
[29] Pour leur part, M. Labrosse et Mme Rollin soumettent que M. Paquette est l'auteur de son propre malheur. M. Paquette est responsable de sa consommation excessive d'alcool et de cannabis et de sa décision d'utiliser le véhicule tout-terrain, alors que ses facultés étaient affaiblies.
[30] M. Labrosse et Mme Rollin affirment qu'ils étaient occupés par le déménagement et qu'ils n'ont pas surveillé la consommation d'alcool de leurs invités. Ils ajoutent que M. Paquette ne leur a pas demandé la permission d'emprunter le véhicule tout-terrain. Puisqu'ils étaient à l'intérieur de la maison après le souper, ils ne savaient pas que M. Paquette était parti faire une randonnée.
[31] M. Labrosse ajoute que M. Paquette était familier avec l'opération du véhicule et les règles de sécurité. M. Paquette a donc sciemment accepté les risques en se livrant à cette activité.
QUESTIONS EN LITIGE
[32] Les questions en litige sont les suivantes :
i) Existe-t-il une présomption de responsabilité contre M. Labrosse?
ii) M. Labrosse et Mme Rollin ont-ils admis leur responsabilité?
iii) M. Labrosse et Mme Rollin ont-ils incité M. Paquette à se livrer à une activité dangereuse?
iv) L'accident de M. Paquette était-il prévisible?
v) M. Labrosse et Mme Rollin avaient-ils une obligation de diligence positive à l'égard de M. Paquette?
vi) Est-ce que la faute statutaire de M. Labrosse le rend responsable des dommages?
ANALYSE
i) Existe-t-il une présomption de responsabilité contre M. Labrosse?
[33] En vertu de la Loi sur l'assurance automobile[6] (« la Loi ») toute personne qui subit un préjudice causé par une automobile est indemnisée par la Société de l'assurance automobile du Québec (« SAAQ »), sans égard à la responsabilité de quiconque[7].
[34] Un véhicule tout-terrain est considéré comme étant une « automobile » aux fins de la Loi[8]. Toutefois, il existe une exception au régime général d'indemnisation pour des dommages causés par des véhicules « destinés à être utilisés en dehors d'un chemin public ». Lorsqu'un tel véhicule est impliqué dans un accident causant un préjudice, la SAAQ n'indemnise pas la victime, et la responsabilité des parties est déterminée « suivant les règles du droit commun »[9], sous réserve de l'application des articles 108 à 114 de la Loi.
[35] L'article 108 de la Loi prévoit que le propriétaire d'une automobile est responsable du préjudice matériel causé par celle-ci. Selon la Cour d'appel, le terme « préjudice matériel » inclut le préjudice corporel[10]. L'article 108 précise que le propriétaire de l'automobile peut néanmoins repousser ou atténuer sa responsabilité en faisant la preuve « que le préjudice a été causé par la faute de la victime ».
[36] L'article 108 de la Loi crée donc une présomption de responsabilité à l'encontre de M. Labrosse en tant que propriétaire du véhicule tout-terrain. Il sera tenu responsable des dommages corporels subis par M. Paquette, à moins qu'il ne prouve que ces dommages ont été causés, en tout ou en partie, par la faute de M. Paquette lui-même. Le fardeau de cette preuve repose sur M. Labrosse.
ii) M. Labrosse et Mme Rollin ont-ils admis leur responsabilité?
[37] Le soir de l'accident, alors que M. Paquette est à l'hôpital, son frère Sylvain téléphone chez M. Labrosse pour avoir des nouvelles. Selon Sylvain Paquette, Mme Rollin lui demande au téléphone si Daniel a l'intention de les poursuivre, elle et son mari.
[38] Le lendemain de l'accident, à l'hôpital, M. Labrosse confie à Sylvain Paquette qu'il va « enterrer sa moto dans la cour » en raison de l'accident.
[39] Plus tard, M. Labrosse exprime à M. Paquette son inquiétude d'être poursuivi par ce dernier.
[40] En 2002, M. Labrosse remet une carte de Noël à M. Paquette avec la somme de 200 $ et la mention « un geste pour les fêtes ». À une autre occasion, M. Labrosse participe à une collecte de fonds au profit de M. Paquette.
[41] Selon M. Paquette, par ces actes, les défendeurs ont avoué leur responsabilité en regard de l'accident.
[42] Un aveu est la reconnaissance d'un fait de nature à produire des conséquences juridiques contre son auteur[11]. Dans le cas présent, l'aveu serait des gestes et déclarations de M. Labrosse et Mme Rollin par lesquels, selon M. Paquette, ils reconnaissent que leurs actions fautives ont contribué à son accident.
[43] Selon l'auteur Jean-Claude Royer[12], un aveu « doit être clair, sans ambiguïté et sans équivoque. »
[44] Les tribunaux ont souvent conclu que des actions conciliatoires de la part des défendeurs n'équivalent pas à une reconnaissance de faute. Professeur Royer écrit[13]:
À maintes reprises, les tribunaux ont refusé d'assimiler à un aveu des réparations ou modifications faites après un accident, le remboursement des frais engagés par la victime d'un accident ou des offres, tentatives ou démarches faites dans le but de régler un litige. (notes infrapaginales omises)
[45] Dans le cas présent, le comportement des défendeurs peut aussi bien s'expliquer par leur sympathie envers M. Paquette et leur crainte d'être impliqués dans des procédures juridiques coûteuses, que par leur reconnaissance qu'ils ont commis une faute.
[46] On peut comprendre que l'accident de M. Paquette a provoqué chez ses amis un sentiment de sympathie et de regret. La compassion ressentie par M. Labrosse et Mme Rollin pour M. Paquette est normale. Elle peut expliquer la décision de M. Labrosse de faire un cadeau d'argent à son ami, qui n'avait plus de revenu d'emploi, et de vouloir se débarrasser de son véhicule tout-terrain après l'accident.
[47] Étant donné les diverses raisons qui auraient pu motiver les gestes des défendeurs, le Tribunal ne peut conclure que M. Labrosse et Mme Rollin ont admis leur responsabilité pour le préjudice subi par M. Paquette.
iii) M. Labrosse et Mme Rollin ont-ils incité M. Paquette à se livrer à une activité dangereuse?
[48] M. Paquette soutient que M. Labrosse lui a permis d'utiliser le véhicule tout-terrain et a même ouvert la barrière menant au pâturage. Selon M. Paquette, M. Labrosse l'a ainsi incité à se livrer à une activité dangereuse, sachant qu'il était en état d'ébriété.
[49] M. Labrosse soutient qu'il était dans la maison lorsque M. Paquette est parti sur le véhicule et qu'il ignorait ce que son ami faisait.
[50] Le témoignage de M. Labrosse est corroboré par ceux de Michel Rollin et de Claude Boucher. Ces deux hommes étaient assis sur la galerie de la maison et ont vu M. Paquette partir sur le véhicule. Chacun a témoigné que M. Labrosse n'était pas présent lorsque M. Paquette a quitté la maison. Selon les deux témoins, M. Paquette a lui-même ouvert la barrière pour accéder au champ.
[51] Louise Beauchemin, la sœur de Mme Rollin, a témoigné qu'elle était dans la maison, en train de défaire des boîtes avec sa sœur et M. Labrosse, lorsque M. Paquette est parti sur le véhicule tout-terrain.
[52] Il s'ensuit que le témoignage du demandeur à l'effet que M. Labrosse était devant la maison et qu'il lui a donné la permission d'utiliser le véhicule tout-terrain est contredit par quatre témoins. Bien que d'autres personnes étaient présentes le soir du 24 juin, M. Paquette n'a appelé aucun témoin pour appuyer sa version des faits.
[53] Par ailleurs, le témoignage de M. Paquette à l'effet que M. Labrosse lui a ouvert la barrière menant au champ n'est pas crédible.
[54] Selon les témoignages non contredits de M. Labrosse, Michel Rollin et Claude Boucher, la clé de la barrière était sur le même trousseau que la clé du véhicule tout-terrain[14]. M. Paquette avait donc la clé de la barrière avec lui lorsqu'il est parti, et n'avait pas besoin de l'aide de M. Labrosse pour ouvrir la barrière.
[55] Qui plus est, il n'existait qu'une seule clé. Alain Hotte louait le champ de M. Labrosse et avait cadenassé la barrière afin de protéger ses bovins. Selon le témoignage de M. Hotte, il a remis une seule copie de la clé à M. Labrosse[15].
[56] Lorsque Claude Boucher et Michel Rollin sont partis sur le véhicule en après-midi, ils ont ouvert la barrière avec la clé du trousseau, sans l'intervention de M. Labrosse.
[57] La prépondérance de la preuve amène le Tribunal à conclure que M. Labrosse n'était pas présent devant la maison lorsque M. Paquette est parti sur le véhicule tout-terrain et que M. Labrosse n'a pas donné sa permission à M. Paquette d'emprunter son véhicule. Le Tribunal conclut également que M. Paquette a ouvert la barrière menant au champ sans l'intervention de M. Labrosse.
[58] À la lumière de ces conclusions, le Tribunal ne peut retenir l'argument de M. Paquette que M. Labrosse l'a incité à partir sur le véhicule tout-terrain, sachant que M. Paquette était ivre.
[59] De plus, il n'y a aucune preuve permettant de conclure que Mme Rollin a incité M. Paquette à emprunter le véhicule ou qu'elle était au courant de ses actions.
iv) L'accident de Daniel Paquette était-il prévisible?
[60] Même si les défendeurs n'ont pas autorisé M. Paquette à partir sur le véhicule tout-terrain, est-ce qu'il était néanmoins prévisible qu'il partirait en randonnée et qu'il perdrait le contrôle du véhicule vu son état d'ébriété?
[61] Claude Boucher et Michel Rollin se sont servis du véhicule dans l'après-midi. Il était prévisible que quelqu'un d'autre fasse de même après le souper. Le véhicule tout-terrain était près de la maison et la clé était à la portée de tous.
[62] Par contre, le risque d'un accident n'était pas raisonnablement prévisible. Claude Boucher et Michel Rollin sont passés sans incident sur le même chemin que celui emprunté plus tard par M. Paquette. Claude Boucher et Michel Rollin étaient des conducteurs d'expérience, mais M. Paquette était lui aussi familier avec l'opération du véhicule de M. Labrosse. Il s'en était servi quelques années auparavant et encore trois jours avant l'accident, lorsqu'il est demeuré seul à la maison des défendeurs pour sabler les planchers.
[63] De plus, la preuve ne démontre pas que M. Labrosse et Mme Rollin étaient au courant de l'état d'ébriété de M. Paquette. Les invités se servaient de la bière dans la glacière sans demander la permission de quiconque. M. Paquette admet que M. Labrosse et Mme Rollin ne savaient pas combien de bières il consommait; il affirme simplement qu'il buvait en leur présence[16]. Toutefois, M. Paquette reconnaît que Mme Rollin « passait pal mal de son temps dans la maison »[17].
[64] M. Labrosse dit ignorer combien de bières M. Paquette a consommées pendant la journée[18]. Il ajoute qu'il n'a pas vu M. Paquette fumer du cannabis[19]. Un des convives, Charles Ménard, était assis sur la galerie pendant l'après-midi, en la présence de M. Paquette. Selon son témoignage, M. Labrosse n'était pas présent sur la galerie pendant tout l'après-midi[20].
[65] Selon Claude Boucher, M. Labrosse était « occupé » par le déménagement pendant l'après-midi. Monsieur Boucher a vu M. Labrosse prendre une bière sur la galerie seulement à deux occasions, dont une fois « pendant une pause »[21].
[66] M. Labrosse affirme qu'il n'a pas noté de changement dans le comportement de M. Paquette pendant la journée[22].
[67] Selon la preuve, il faut conclure que M. Labrosse et Mme Rollin étaient occupés à préparer la maison pour recevoir leurs invités pour la nuit, et qu'ils n'ont pas remarqué l'état d'ébriété de M. Paquette.
[68] M. Paquette a décrit sa décision d'emprunter le véhicule tout-terrain comme « un coup de tête »[23]. C'était un geste spontané et, dans les circonstances, irréfléchi. Les conséquences de cette décision n'étaient pas raisonnablement prévisibles pour ses hôtes.
v) M. Labrosse et Mme Rollin avaient-ils une obligation de diligence positive à l'égard de M. Paquette?
[69] M. Paquette soutient que les défendeurs ont commis une faute en mettant la bière à la disposition des invités, sans prendre des mesures pour s'assurer qu'ils n'empruntent pas le véhicule tout-terrain. Il affirme que M. Labrosse et Mme Rollin auraient dû cacher la clé du véhicule pour empêcher son utilisation.
[70] La loi n'impose pas une telle obligation de diligence dans les circonstances. Dans l'affaire Childs[24], la Cour suprême identifie trois situations où une obligation de diligence positive peut exister. La première est celle où « le défendeur incite et invite intentionnellement le tiers à prendre un risque inhérent et évident qu'il a créé ou qu'il contrôle »[25]. La deuxième situation est celle où il existe un lien « de type paternaliste comportant un degré de surveillance et de contrôle, comme le lien parent-enfant ou instituteur-élève »[26]. La troisième situation dans laquelle une obligation de diligence positive est créée est celle où les défendeurs « exercent des fonctions publiques ou se livrent à des activités commerciales comportant des responsabilités implicites envers le grand public »[27]. Dans tous ces cas, selon la Cour, il y a « participation réelle du défendeur à la création du risque ou l'exercice par celui-ci d'un contrôle sur un risque que d'autres personnes ont été invitées à courir »[28].
[71] Aucune des trois situations décrites par la Cour suprême ne s'applique dans notre cas. Comme nous l'avons vu, les défendeurs n'ont pas incité ou invité M. Paquette à emprunter le véhicule tout-terrain. M. Paquette n'avait pas la vulnérabilité d'un enfant ou d'une jeune personne inexpérimentée qui aurait pu obliger les défendeurs à porter une plus grande attention à ses activités. Enfin, en tant qu'hôtes privés, M. Labrosse et Mme Rollin n'assumaient pas les devoirs implicites à l'exercice des fonctions publiques ou à des activités commerciales comme ceux qui reposent sur le tenancier de bar envers ses clients.
[72] Dans l'affaire Childs, la Cour suprême a examiné les obligations de l'hôte d'une soirée privée envers ses invités[29] :
La personne qui accepte une invitation à une soirée privée ne laisse pas son autonomie à la porte. L'invité demeure responsable de ses actes. À moins qu'il n'ait participé activement à la création ou à l'accroissement du risque, l'hôte est en droit de respecter l'autonomie de l'invité. La consommation de l'alcool, et l'acceptation des risques liés à un jugement affaibli, constituent dans presque tous les cas un choix personnel et une activité intrinsèquement personnelle. En l'absence des considérations particulières susceptibles de s'appliquer dans le contexte commercial, il n'y a aucune raison, lorsqu'un adulte fait un tel choix, d'en faire porter le fardeau par les autres. On a cité le cas exemplaire d'une hôtesse qui a confisqué et congelé dans la glace les clés de voiture de tous les invités à leur arrivée pour ne les rendre que lorsqu'elle le jugeait opportun. Cette hôtesse était manifestement disposée à restreindre considérablement l'autonomie de ses invités. Mais le droit de la responsabilité délictuelle ne va pas encore aussi loin.
[73] Dans notre cas, M. Labrosse et Mme Rollin n'ont pas « participé activement à la création ou à l'accroissement du risque » que M. Paquette s'enivre et parte sans préavis sur le véhicule tout-terrain. Puisque M. Paquette est autonome et responsable de ses actes, les défendeurs n'avaient pas l'obligation de cacher la clé du véhicule pour s'assurer qu'il ne l'utilise à leur insu.
vi) Est-ce que la faute statutaire de M. Labrosse le rend responsable des dommages?
[74]
M. Paquette soumet que M. Labrosse est responsable parce que son
véhicule n'était ni immatriculé ni assuré, contrairement aux articles
19
et
20
de la Loi sur les véhicules hors route[30].
Or, la faute statutaire alléguée doit avoir un caractère causal par rapport au
dommage[31].
Le fait que le véhicule de M. Labrosse n'était ni immatriculé ni assuré n'a
aucunement contribué à l'accident. Par contre, la décision de M. Paquette de
partir sans porter de casque, contrairement à l'article
CONCLUSION
[75] Le préjudice corporel subi par M. Paquette résulte directement et exclusivement de sa décision d'emprunter le véhicule tout-terrain, alors qu'il était en état d'ébriété. Puisque les dommages ont été causés par la conduite de M. Paquette, sans la contribution des défendeurs, l'action contre ceux-ci sera rejetée. M. Labrosse a repoussé la présomption de responsabilité contre lui en tant que propriétaire du véhicule tout-terrain.
[76] L'accident survenu le 24 juin 2000 a entraîné des conséquences extrêmement regrettables pour M. Paquette et ses proches. Malgré la sympathie que le Tribunal ressent, il doit appliquer les règles de droit et rendre justice de manière impartiale à l'égard des deux parties[32].
[77] Lors de la plaidoirie, le procureur des défendeurs a indiqué que ses clients renonceraient à leur frais advenant que l'action serait rejetée. L'action sera donc rejetée sans frais.
POUR CES MOTIFS LE TRIBUNAL :
REJETTE l'action du demandeur
SANS FRAIS.
|
||
|
__________________________________ DAVID R. COLLIER, J.C.S. |
|
|
||
Me Pierre Périgny |
||
Dupuis Périgny, Avocats |
||
Procureurs du demandeur |
||
|
||
Me Jean Tremblay Me Denis Boudrias |
||
Gilbert Simard Tremblay |
||
Procureurs des défendeurs |
||
|
||
Dates d’audience : |
22, 23, 27, 28 et 29 mars 2012 |
|
[1] Rapport du docteur Bernard Vinet, le 12 mai 2006, pièce D-1, p. 6.
[2] Rapport du docteur Serge Gauthier, le 26 octobre 2004, pièce P-16, p. 7.
[3] Interrogatoire de Daniel Paquette par Me Guy Bélanger, le 1er décembre 2003, p. 71; interrogatoire de Daniel Paquette par Me Denis Boudrias, le 1er décembre 2003, p. 37.
[4] L.R.Q. ch. A-25.
[5] L.R.Q. ch. V-1.2.
[6] Précité, note 4.
[7] Art. 5 et suivants de la Loi.
[8] Art. 1 de la Loi.
[9] Art. 10 de la Loi.
[10]
Bédard c. Royer,
[11]
Art.
[12] Jean-Claude ROYER, La Preuve civile, 4ième éd., Les Éditions Yvon Blais, 2008, no. 865.
[13] Idem.
[14] Interrogatoire de Luc Labrosse, le 26 octobre 2004, p. 106; interrogatoire de Claude Boucher, le 21 mars 2011, p. 24; témoignage de Michel Rollin, le 27 mars 2012.
[15] Interrogatoire de Alain Hotte, le 13 mars 2006, p. 18.
[16] Témoignage de Daniel Paquette, le 22 mars 2012.
[17] Interrogatoire de Daniel Paquette, le 1er décembre 2003, par Me Denis Boudrias, p. 46.
[18] Interrogatoire de Luc Labrosse, le 24 octobre 2004, p. 112.
[19] Interrogatoire de Luc Labrosse, le 24 octobre 2004, p. 136.
[20] Interrogatoire de Charles Ménard, le 26 octobre 2004, p. 33.
[21] Interrogatoire de Claude Boucher, le 21 mars 2011, p. 19.
[22] Interrogatoire de Luc Labrosse, le 26 octobre 2004, p. 114.
[23] Témoignage de Daniel Paquette, le 22 mars 2012.
[24]
Childs c. Desormeaux,
[25] Idem, par. 35.
[26] Idem, par. 36.
[27] Idem, par. 37.
[28] Idem, par. 38.
[29] Idem, par. 45.
[30] Précité, note 5.
[31]
Johnson c. Guindon,
[32]
Lapointe c. Hôpital Le Gardeur,
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.