St-Lambert (Ville de) c. LML Électrique (1995) ltée

2012 QCCS 4723

JC0B37

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

LONGUEUIL

 

N° :

505-17-005571-114

 

 

 

DATE :

Le 3 OCTOBRE 2012

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

DAVID R. COLLIER, J.C.S.

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VILLE DE SAINT-LAMBERT

Demanderesse

c.

L.M.L. ÉLECTRIQUE (1995) LTÉE

Défenderesse

et

CONSTRUCTION BENVAS INC.

et

L'OFFICIER DE LA PUBLICITÉ DES DROITS

DE LA CIRCONSCRIPTION FONCIÈRE DE CHAMBLY

Mis en cause

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JUGEMENT

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[1]           La Ville de Saint-Lambert présente une requête en radiation de l'hypothèque légale de construction et du préavis d'exercice enregistrés par L.M.L. Électrique (1995) ltée sur un immeuble appartenant à la Ville.

[2]           L'immeuble de la Ville est aménagé en parc municipal.  La question soulevée par la présente demande est de déterminer si L.M.L. Électrique peut valablement inscrire une hypothèque légale sur l'immeuble ou si celui-ci est « affecté à l'utilité publique » et donc insaisissable en vertu de l'article 916 C.c.Q.

LES FAITS

[3]           En 2010, la Ville accorde un contrat à Construction Benvas inc. pour la construction et l'aménagement d'un terrain de soccer-football synthétique au parc de la Voie maritime de Saint-Lambert.  Benvas retient les services de L.M.L. Électrique pour l'installation des lampadaires d'éclairage du terrain.  Les travaux de L.M.L. Électrique sont terminés en avril 2011.

[4]           La construction du terrain de soccer-football synthétique est financée par des subventions accordées à la Ville par le ministère de l'Éducation, du Loisir et du Sport du Québec et le gouvernement fédéral.

[5]           Le 17 juin 2011, L.M.L. Électrique inscrit un avis d'hypothèque légale sur le lot 2 355 485 du cadastre du Québec, circonscription foncière de Chambly.  Il s'agit du terrain de la Ville sur lequel est aménagé le parc de la Voie maritime.  L.M.L. Électrique déclare dans son avis que Benvas est en défaut de lui payer un montant de 214 195 $ pour les travaux effectués.

[6]           Le 5 août 2011, L.M.L. Électrique inscrit un préavis d'exercice d'une vente sous contrôle de la justice sur l'immeuble.

[7]           Le parc de la Voie maritime est situé entre l'autoroute 132 et la rue Riverside à Saint-Lambert.  C'est un grand parc municipal de quelque 356 000 mètres carrés qui comprend des espaces à aires ouvertes et plusieurs installations sportives dont le terrain de soccer-football synthétique. 

[8]           Le parc de la Voie maritime est décrit comme suit sur le plan directeur de la Ville (P-14) :

Le parc de la Voie maritime est le parc municipal d'importance de la Ville de Saint-Lambert.  Il offre de nombreux équipements récréatifs dont : une piscine, un terrain de baseball, des terrains de soccer, une piste d'athlétisme, une aire de jeux pour enfant ainsi qu'un enclos pour chiens.  Par ses équipements, sa superficie, ses grandes aires ouvertes et sa localisation le long de la rue Riverside, le parc occupe une place de premier plan dans la ville et la région.  Un des côtés du parc est bordé par des résidences tandis que les autres offrent des vues intéressantes sur Montréal, les îles Ste-Hélène et Notre-Dame ainsi que le parc des Écluses.

[9]           Le parc de la Voie maritime est traversé par une piste cyclable et est un endroit qui attire les amateurs de cerf-volant en raison de sa proximité aux vents du fleuve.

[10]        La Ville ne contrôle pas l'accès au parc, lequel est accessible aux résidents de la Ville comme aux non-résidents.  Toutefois, la Ville gère l'utilisation des plateaux sportifs, la piste d'athlétisme et la piscine.  Ces installations sont réservées, selon des horaires établis, aux activités sportives organisées par la Ville, les associations municipales ou les clubs sportifs.  La plupart des activités organisées font partie du programme de sports et loisirs de la Ville.  Presque la moitié du temps entre les mois d'avril et octobre, les installations sportives du parc sont réservées à ces activités.  Aux autres moments, ils sont ouverts à tous.

[11]        La Ville impose des tarifs à ceux qui veulent réserver les installations sportives.  Des tarifs distincts s'appliquent aux résidents, aux non-résidents, aux organismes accrédités et aux écoles.  Il faut acheter un abonnement ou payer à l'entrée pour se baigner à la piscine.  Par le biais de cette tarification, la Ville récupère 12 % des coûts annuels d'entretien des installations sportives situées au parc. 

LA POSITION DES PARTIES

[12]        La Ville soutient que le parc de la Voie maritime et ses installations sont « affectés à l'utilité publique » (art. 916 C.c.Q.) et sont insaisissables.  Par conséquent, l'hypothèque et le préavis d'exercice inscrits par L.M.L. Électrique sont irréguliers et devraient être radiés.

[13]        L.M.L. Électrique répond que le parc de la Voie maritime et ses installations sont saisissables.  Elle soutient que ces biens ne font pas partie du domaine public de la Ville.  Selon L.M.L. Électrique, le parc n'est pas « affecté à l'utilité publique » parce qu'il n'est pas essentiel à la communauté et l'accès aux installations sportives n'est pas gratuit et ouvert à tous. 

ANALYSE

[14]        Dans l'arrêt Bâtiments Kalad'Art inc. c. Construction D.R.M. inc.[1], la Cour d'appel donne une interprétation large à la définition des biens d'une municipalité qui sont « affectés à l'utilité publique » (art. 916 C.c.Q.) et insaisissables.  Selon la juge Louise Mailhot, une telle interprétation respecte la volonté du législateur de vouloir « empêcher que les biens bénéficiant à la population d'une municipalité ne tombent pas dans le domaine privé et deviennent saisissables »[2].

[15]        La Cour d'appel dans l'affaire Kalad'Art endosse la position suivante[3] :

Ainsi, un bien sera considéré comme étant affecté à l'utilité publique s'il est destiné à l'usage public et général, s'il est essentiel au fonctionnement de la municipalité ou s'il est gratuitement à la disposition du public en général.

[16]        Un bien est donc « affecté à l'utilité publique » et insaisissable s'il répond à un des trois critères élaborés par la Cour, lesquels ne sont pas cumulatifs.

[17]        La Cour d'appel confirme sa position quelques années plus tard dans l'arrêt Maçonnerie Demers inc. c. Agence métropolitaine de transport inc.[4] où le juge Melvin Rothman écrit [5] :

I see no error in the interpretation of Art. 916 C.C.Q. adopted by the trial judge.  It is an interpretation that is entirely consistent with the interpretation suggested by our Court in Kalad'Art.  Given the public purposes contemplated in Art. 916 C.C.Q. and the evident desirability of protecting public property serving the ends of public utility (sic) I believe a liberal interpretation was fully justified.

[18]        L'interprétation de l'article 916 C.c.Q. retenue par le juge Rothman est que les biens d'une corporation publique sont insaisissables, sauf lorsque les termes d'une loi particulière le permettent.

[19]        Selon l'auteur Lamontagne[6], cité par la Cour d'appel dans Kalad'Art, les termes « affectés à l'utilité publique » couvrent deux catégories de biens : les biens destinés à « l'usage direct du public », et les biens affectés à « un service public » dont ceux essentiels à la collectivité locale.

[20]        Il est difficile de concevoir que le parc de la Voie maritime ne soit pas destiné à « à l'usage public et général » (Kalad'Art) ou à « l'usage direct du public » (Lamontagne).  La Cour supérieure a même exprimé l'avis qu'un parc en milieu urbain pourrait constituer un service essentiel à la population qu'il dessert [7].

[21]        L'hypothèque de L.M.L. Électrique grève un parc municipal dont l'accès du public est gratuit et sans restriction, sauf en ce qui regarde ses installations sportives à certaines heures de la semaine.  Vu dans son ensemble, le parc est destiné à l'usage public et général.  Cette conclusion s'impose même si on ne regarde que les installations sportives dont l'accès du public est assujetti à des conditions.  Certes, à certaines heures, ces installations sont fermées aux personnes voulant se livrer aux activités individuelles.  Toutefois, il est normal que la Ville réglemente l'accès à la piscine et aux terrains de sport pour permettre les activités collectives, telles les parties disputées entre équipes organisées.  De cette façon, la Ville encourage l'exploitation des installations sportives et assure que celles-ci répondent aux besoins de la communauté.

[22]        Comme la Cour observe dans l'affaire A.L.I. Excavation[8], « il est normal qu'une municipalité réglemente l'accès à ses parcs.  L'article 2220 C.c. [916 C.c.Q.] n'exige pas que les biens du domaine public soient soumis à l'anarchie! ». 

[23]        De la même façon, le parc et ses installations sportives sont « affectés à l'utilité publique » même si la Ville exige le paiement des frais aux utilisateurs.  Les gouvernements ont souvent recours aux « frais utilisateurs » pour alléger le fardeau fiscal lorsqu'ils constatent que certains contribuables retirent plus de bénéfice des services publics que d'autres.  Le transfère d'une partie des coûts aux utilisateurs n'a pas pour effet de changer la destination d'un bien ou service qui est essentiellement affectée à l'utilité publique.  Dans le cas à l'étude, la Ville défraie 12 % des coûts d'entretien par les frais imposés aux utilisateurs, alors que la très grande majorité des coûts est payée à même les taxes municipales.

[24]        Puisque le parc de la Voie maritime et ses installations sont affectés à l'utilité publique, L.M.L. Électrique a enregistré son hypothèque et avis d'exercice sur l'immeuble de la Ville sans droit.  Il y a donc lieu de radier ses inscriptions.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

ACCUEILLE la requête en radiation;

ORDONNE à l'officier de la publicité des droits de la circonscription foncière de Chambly de radier l'avis d'inscription d'une hypothèque légale en faveur des personnes qui ont participé à la construction ou à la rénovation d'un immeuble publié par L.M.L. Électrique (1995) ltée au bureau de la publicité des droits de la circonscription foncière de Chambly sous le numéro 18 232 294;

ORDONNE à l'officier de la publicité des droits de la circonscription foncière de Chambly de radier le préavis d'exercice d'une vente sous contrôle de la justice publié par L.M.L. Électrique (1995) ltée au bureau de la publicité des droits de la circonscription foncière de Chambly sous le numéro 18 376 575;

AVEC DÉPENS.

 

 

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DAVID R. COLLIER, J.C.S.

 

Me Marc-André Lechasseur

Poupart & LeCHASSEUR

Procureurs de la demanderesse

 

Me Guy Gilain

De Grandpré Chait

Procureurs de la défenderesse

 

Date d’audience :

Le 2 mai 2012

 



[1]     [2000] R.J.Q. 72 (C.A.), AZ-50068726 .

[2]     Id., par. 28.

[3]     Id., par. 21.

[4]     [2004] R.D.I. 288 .

[5]     Id., par. 34.

[6]     Denys-Claude LAMONTAGNE, Biens et Propriété, 6e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2009, p. 148.

[7]     A.L.I. Excavation inc. c. Montréal (Communauté urbaine), [1993] R.D.I. 183 , AZ 93021208.

[8]     Id., p. 8.

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