COUR D'APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE QUÉBEC

 

 No:

200-09-002189-980

 

(100-05-000860-988)

 

DATE: 10 janvier 2000

___________________________________________________________________

 

 EN PRÉSENCE De:

LES HONORABLES

LOUISE MAILHOT J.C.A.

THÉRÈSE ROUSSEAU-HOULE J.C.A.

ANDRÉ BIRON J.C.A. AD HOC

___________________________________________________________________

 

LES BÂTIMENTS KALAD'ART INC.,

APPELANTE - intimée

et

CONSTRUCTION D.R.M. INC.,

INTIMÉE - requérante

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ARRÊT RECTIFICATIF

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CONSIDÉRANT que le jugement déposé le 29 décembre 1999 comporte une erreur de numéro de dossier;

Le présent arrêt de rectification corrige ainsi cette erreur :  le jugement déposé porte le numéro de dossier 200-09-001115-960 alors que le bon numéro de dossier est 200-09-002189-980;


PAR CES MOTIFS,

ORDONNE la correction sur le jugement du 29 décembre 1999.

 

 

 

 

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LOUISE MAILHOT J.C.A.

 

 

________________________________

THÉRÈSE ROUSSEAU-HOULE J.C.A.

 

 

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ANDRÉ BIRON J.C.A. AD HOC

 

Me Normand Carrière

Avocat de l'appelante

 

Me John White

Avocat de l'intimée

 

Date d'audience:  20 octobre 1999

 Domaine du droit:

PRÊT

 

 

 

 

 

 

 


COUR D'APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE QUÉBEC

 

 No:

200-09-002189-980

 

(100-05-000860-988)

 

DATE: 29 décembre 1999

___________________________________________________________________

 

 EN PRÉSENCE De:

LES HONORABLES

LOUISE MAILHOT J.C.A.

THÉRÈSE ROUSSEAU-HOULE J.C.A.

ANDRÉ BIRON J.C.A. AD HOC

___________________________________________________________________

 

LES BÂTIMENTS KALAD'ART INC.,

APPELANTE - intimée

c.

CONSTRUCTION D.R.M. INC.,

INTIMÉE - requérante

___________________________________________________________________

 

ARRÊT RECTIFICATIF

___________________________________________________________________

 

[1]    LA COUR, statuant sur l'appel d'un jugement rendu le 2 juillet 1998 par la Cour supérieure, (district de Rimouski l'honorable Roger Banford), qui a accueilli la requête en radiation de Construction D.R.M. Inc. à l'encontre de l'inscription de l'avis d'hypothèque légale et du préavis d'exercice d'un recours hypothécaire faite par les Bâtiments Kalad'Art Inc.

[2]    Après étude du dossier, audition et délibéré;

[3]    Pour les motifs exprimés aux opinions des juges Mailhot et Biron auxquels souscrit la juge Rousseau-Houle;

 


[4]    REJETTE le pourvoi avec dépens.

 

 

 

 

 

________________________________

LOUISE MAILHOT J.C.A.

 

 

________________________________

THÉRÈSE ROUSSEAU-HOULE J.C.A.

 

 

________________________________

ANDRÉ BIRON J.C.A. AD HOC

 

Me Normand Carrière

Avocat de l'appelante

 

Me John White

Avocat de l'intimée

 

Date d'audience:  20 octobre 1999

 Domaine du droit:

PRÊT

 

 


___________________________________________________________________

 

Opinion de la juge MAILHOT

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[5]    Le présent litige se résume à une seule question :  un entrepôt à sel et à sable appartenant à une municipalité peut-il être qualifié de «bien affecté à l'utilité publique» au sens de l'article 916 C.c.Q. ?

LES FAITS   

 

[6]    Les faits ayant conduit au litige sont simples.  La ville de Rimouski conclut un contrat avec Construction D.R.M. Inc. («D.R.M.») pour la construction d'un entrepôt à sel et à sable (le sel et le sable étant destinés à l'épandage dans les rues de la municipalité).  Bâtiments Kalad'Art Inc. («Kalad'Art») fournit à D.R.M. des matériaux pour la construction de l'entrepôt.  D.R.M. faisant défaut de lui payer le solde des matériaux fournis, Kalad'Art procède à l'inscription d'un avis d'hypothèque légale, puis à l'inscription d'un préavis d'exercice.  D.R.M. réplique en présentant une requête en radiation de l'inscription de l'avis d'hypothèque légale et du préavis d'exercice.  Au soutien de sa requête, D.R.M. affirme que l'entrepôt à sel et à sable ne peut faire l'objet de l'inscription d'une hypothèque légale, puisqu'il s'agit d'un immeuble appartenant à la ville de Rimouski et que cet immeuble est d'utilité publique.  Kalad'Art conteste la requête et argumente que le Code civil du Québec, contrairement au Code civil du Bas-Canada, permet l'inscription d'une hypothèque légale appartenant à une municipalité.

LE JUGEMENT DE PREMIÈRE INSTANCE

 

[7]    Le juge de première instance a reconnu d'emblée le caractère d'utilité publique de l'entrepôt à sel et à sable et a conclu que suivant la théorie de la dualité domaniale, un tel bien ne peut être grevé d'une hypothèque légale, puisqu'il est insaisissable.  Selon le juge, le Code civil du Québec n'affecte pas l'application des règles de droit public aux biens faisant partie du domaine public.  En fait, l'article 916 C.c.Q. reconnaît la théorie de la dualité domaniale et qu'en vertu de cette théorie, les biens ayant une utilité publique et appartenant à une municipalité sont insaisissables.  L'article 2668 c.c.Q. prévoit que les biens qui ont une utilité publique sont insaisissables et ne peuvent, par le fait même, être grevés d'une hypothèque légale.  Selon le juge, le législateur ne semble pas avoir eu l'intention de modifier le droit antérieur au moment de l'entrée en vigueur du Code civil du Québec.

[8]    Le juge de première instance a donc ordonné la radiation de l'inscription de l'avis d'hypothèque légale et du préavis d'exercice inscrits par Kalad'Art.  D'où le pourvoi.

* * * * *

 

[9]    Il s'agit donc essentiellement, en l'instance, de déterminer si l'entrepôt à sel et à sable appartenant à la ville de Rimouski est un bien affecté à l'utilité publique.

[10]    L'article 916 C.c.Q. édicte :

Les biens s'acquièrent par contrat, par succession, par occupation, par prescription, par accession ou par tout autre mode prévu par le loi.

Cependant, nul ne peut s'approprier par occupation, prescription ou accession les biens de l'État, sauf ceux que ce dernier a acquis par succession, vacance ou confiscation, tant qu'ils n'ont pas été confondus avec ses autres biens.  Nul ne peut non plus s'approprier les biens des personnes morales de droit public qui sont affectés à l'utilité publique.

Property is acquired by contract, succession, occupation, prescription, accession or any other mode provided by law.

No one may appropriate property of the State for himself by occupation, prescription or accession except property the State has acquired by succession, vacancy or confiscation, so long as it has not been mingled with its other property.  Nor may anyone acquire for himself property of legal persons established in the public interest that is appropriated to public utility.  [mes soulignements]

LE CODE CIVIL DU BAS-CANADA

 

[11]    Afin d'être en mesure de saisir la portée exacte de l'article 916 C.c.Q. et plus particulièrement de la partie relative aux biens affectés à l'utilité publique, il est nécessaire de s'attarder préalablement au texte de l'article 2220 C.c.B.-C. qui a donné lieu à deux courants interprétatifs, l'un basé sur le texte de la version française de l'article et l'autre basé sur le texte de la version anglaise :

Les chemins, rues, quais, débarcadères, places, marchés, et autres lieux de même nature, possédés pour l'usage général et public, ne peuvent s'acquérir par prescription, tant que la destination n'a pas été changé autrement que par l'empiètement souffert.

Roads, streets, wharfs, landing-places, squares, markets and other places of a like nature, possessed for the general use of the public, cannot be acquired by prescription, so long as their destination has not been changed otherwise than by tolerating the encroachment.  [nos soulignements]

[12]    La version anglaise de l'article 2220 C.c.B.-C. semble avoir eu la faveur des tribunaux durant un certain temps.  Cette version de l'article 2220 C.c.B.-C. semble plus restrictive que la version française du même article, les exégètes de la version anglaise de l'article 2220 C.c.B.-C. en ayant restreint l'application aux biens utilisés par le public.  L'arrêt Cité de Montréal c. Hill-Clark-Francis (Quebec) Ltd[1] est une illustration de ce courant.  Dans cette affaire, notre Cour avait considéré un bâtiment municipal affecté à l'entretien comme ne faisant pas partie du domaine public, parce que destiné au seul usage de l'administration municipale.

[13]    L'arrêt Cité de Montréal c. Hill-Clark-Francis (Quebec) Ltd. reprenait une certaine interprétation de notre Cour de l'article 2220 C.c.B.-C. confirmée par la Cour suprême[2].  Dans l'arrêt Concrete Column Clamps c. La Compagnie de construction de Québec Ltée[3], la Cour suprême confirmait la décision selon laquelle un système d'aqueduc faisait partie du domaine public, parce qu'affecté à l'usage du public :

C'est en vain que les avocats de l'appelante nous diront que, pour qu'il en soit ainsi, il faut que la chose non seulement soit pour le bénéfice du public, mais en plus soit affectée à l'usage de tous les citoyens, ut singuli.  Même si la distinction existe, il me semble qu'il est permis à tous les citoyens, tous les hommes vivant à Québec, d'utiliser l'eau de l'aqueduc, soit pour se désaltérer, se blanchir, soit pour arrosage ou protection contre l'incendie, etc.[4].

[14]    Dans un arrêt subséquent, notre Cour a considéré un réservoir raccordé à un aqueduc comme étant un bien faisant partie du domaine public de la municipalité[5], suivant le raisonnement établi dans l'affaire Concrete Column Clamps.

[15]    Le courant jurisprudentiel se basant sur la version anglaise du texte de l'article 2220 C.c.B.-C. semble avoir cessé d'obtenir la faveur des tribunaux[6] avec la décision subséquente de notre Cour Calor Ltd c. Kwiat[7].  Dans cette affaire, il fut décidé qu'un incinérateur construit par la municipalité faisait partie du domaine public.  Pour conclure ainsi, la Cour a distingué l'affaire Cité de Montréal c. Hill-Clark-Francis (Quebec) Ltd) en appliquant d'une façon effective le critère d'usage public et général :  «C'est cette destination à l'usage général et public qu'il faut retenir et qui permet de le considérer comme faisant partie du domaine public de la municipalité»[8]

[16]    L'interprétation donnée à la version française de l'article 2220 C.c.B.-C. veut qu'un bien soit considéré comme étant d'utilité publique si ce bien est essentiel au fonctionnement de la municipalité.  Le caractère essentiel du bien est un critère qui a été élaboré au fil des années par les tribunaux, afin de pallier au sens plus restreint des termes «possédés pour l'usage général et public» de la version française de l'article 2220 C.c.B.-C.[9].  Ainsi, un luxueux club de curling appartenant à une municipalité a été considéré comme ne faisant pas partie du domaine public d'une municipalité, puisque «saisir une salle d'amusement qui appartient à la municipalité n'empêchera pas le public de jouir des services vraiment municipaux»[10].

[17]           Toutefois, l'interprétation de l'article 2220 C.c.B.-C. basée à la fois sur la version française de l'article et sur le caractère essentiel du service peut parfois être elle-même trop restrictive;  c'est pourquoi, les tribunaux n'ont pas cessé de recourir à la version anglaise de l'article 2220 C.c.B.-C.[11].

LE CODE CIVIL DU QUÉBEC

 

[18]           Tout comme l’article 2220 C.c.B.-C., l’article 916 C.c.Q consacre la théorie de la dualité domaniale[12]. Selon la théorie de la dualité domaniale, les biens d'une municipalité sont divisés en deux catégories: les biens faisant partie du domaine public de la municipalité, qui sont insaisissables et les biens faisant partie du domaine privé de la municipalité, qui sont saisissables. Pour qu’un bien fasse partie du domaine public de la municipalité, il faut qu’il soit affecté à l’utilité publique, selon les termes de l’article 916 C.c.Q.

[19]           Quelle était l’intention du législateur lorsqu’il a édicté l’article 916 C.c.Q.? Les termes "affectés à l’utilité publique" contenus au libellé de l’article 916 C.c.Q. peuvent être interprétés de plusieurs façons.

[20]           Tout d’abord, il est possible de considérer que l’article 916 C.c.Q. reprend l’interprétation donnée à la version française de l’article 2220 C.c.B.-C.[13]. Est-ce que le critère du caractère essentiel du bien doit être repris dans l’interprétation de l’article 916 C.c.Q.? Un auteur soutient que ce critère est restrictif et que son emploi dénaturerait l’intention du législateur[14]. L’opinion contraire a aussi été formulée, à savoir que le caractère essentiel du bien devrait être le critère-pivot de l’interprétation future de l’article 916 C.c.Q.[15]. Il est d’autre part possible de considérer l’article 916 C.c.Q., à la lumière de la portée donnée à l’article 2220 C.c.B.-C. à partir de la version anglaise de cet article[16].

[21]           Enfin, l’article 916 C.c.Q. peut être analysé comme reprenant les interprétations basées sur les deux versions de l’article 2220 C.c.B.-C.[17]. Ainsi, un bien sera considéré comme étant affecté à l’utilité publique s’il est destiné à l’usage public et général, s’il est essentiel au fonctionnement de la municipalité ou s’il est gratuitement à la disposition du public en général[18]. L’utilité publique peut, selon certains auteurs, être soit directe ou indirecte[19]. L’utilité publique est indirecte si le bien meuble ou immeuble n’est pas utilisé par la population mais est possédé par la municipalité dans l’intérêt général et pour une fin municipale[20].

[22]           Il serait aussi possible, dans le cadre de l'interprétation des termes "affectés à l'utilité publique" utiliés à l'article 916 C.c.Q., d'employer la théorie de l'accessoire, calquant ainsi en quelque sorte, la solution adoptée en droit français où la notion de domaine public est perçue largement[21].  Un auteur québécois préconise l'application de la théorie de l'accessoire en matière d'interprétation et de définition des biens "affectés à l'utilisé publique"[22].

LE CAS EN L’ESPÈCE 

 

[23]           Dans l’arrêt Cité de Montréal c. Hill-Clark-Francis Ltd., la Cour a décidé, sous la plume du juge Choquette, en se basant sur le critère d’usage général et public  employé dans les affaires Concrete Column Clamps Ltd. et Stanton Pipes qu’un bâtiment abritant un atelier d’entretien et de réparation, de même qu’une remise à marchandises (tous reliés au service d’assainissement des eaux de la municipalité) n’est pas destiné à l’usage général et public et ne fait donc pas partie, sur la base de cette conclusion, du domaine public de la municipalité, puisqu’il n’est destiné qu’au seul usage de l’administration municipale. Cette solution n’est pas sans surprendre. Je crois que le juge Choquette, n’a pas appliqué le critère d’usage général et public tiré de la version française de l’article 2220 C.c.B.-C., mais plutôt le critère de general use of the public de la version anglaise de l’article 2220 C.c.B.-C.

[24]           L’application de la théorie de l’accessoire à une situation telle que celle de l’affaire Cité de Montréal c. Hill-Clark-Francis (Quebec) Ltd. aurait pour effet de conduire à une solution de loin plus logique. En effet, comment un bâtiment dont la fonction est d’abriter le service d’entretien du système d’aqueduc peut-il ne pas être considéré comme un bien d’utilité publique? Un auteur a écrit à propos de l’arrêt Cité de Montréal c. Hill-Clark-Francis (Quebec) Ltd.: "[L]es dépendances et les accessoires indissociables des biens susdits devraient faire partie des biens du domaine public, par application de la règle de l’accessoire (accessorium sequitur principale). Ainsi, l’atelier d’entretien et les autres accessoires d’un aqueduc municipal devraient relever nécessairement du domaine public de la municipalité concernée"[23].

[25]           L’application de la théorie de l’accessoire n’a cependant rien de totalement nouveau. En effet, notre Cour paraît l’avoir utilisée dans l’affaire Calor Ltd. c. Kwiat:

Il a donc été établi que l’incinérateur «Des Carrières» est un édifice qui sert à tous les citoyens de Montréal et qu’il fait partie intégrante du système de disposition des déchets, le tout en raison du devoir de la ville d’assurer l’hygiène et la salubrité sur son territoire.

[26]           Dans cette même affaire, la Cour établit un parallèle avec l’affaire Concrete Column Clamps: "Comme le réservoir de la cité de Québec, l’incinérateur «Des Carrières» de la ville de Montréal n’est qu’un accessoire de son système de disposition des déchets"[24].

[27]           En outre, notre Cour a confirmé le jugement de première instance dans l’affaire Laval (Ville de) c. 139172 Canada Inc.[25]. Dans cette affaire, il a été décidé qu’une caserne de pompiers était un bien faisant partie du domaine public et affecté à l’utilité publique. La conclusion du juge de première instance, à laquelle a adhéré la présente Cour, suit le raisonnement suivant: "Un service de pompier, un service de protection d’incendie, d’une municipalité peut-il fonctionner sans caserne, ou s’agit-il d’un accessoire utile, mais d’un accessoire dont on ne peut se passer?"[26].

[28]           Alors, est-il possible de qualifier ici l’entrepôt à sel et à sable de bien affecté à l’utilité publique au sens de l’article 916 C.c.Q.?  Je crois que l’article 916 C.c.Q. et les termes "affectés à l’utilité publique" qui s’y trouvent devraient recevoir une interprétation large, qui fusionne les diverses interprétations données aux versions française et anglaise de l’article 2220 C.c.B.-C.. De même, je suis d’avis que la théorie de l’accessoire devrait être appliquée au moment de définir si un bien est affecté ou non à l’utilité publique. À mon avis, une portée aussi large donnée à l’article 916 C.c.Q. n’irait pas à l’encontre de la volonté du législateur qui, en édictant la règle du bien affecté à l’utilité publique, n’a voulu qu’empêcher que des biens bénéficiant à la population d’une municipalité, ne tombent dans le domaine privé et deviennent saisissables.

[29]           Au regard de ce qui précède, je suis d’avis que le juge de première instance n’a pas erré en qualifiant l’entrepôt à sel et à sable sur lequel Kalad’Art a inscrit un avis d’hypothèque légale, de bien affecté à l’utilité publique. Cette qualification est en accord avec la portée et l’interprétation que devrait recevoir l’article 916 C.c.Q.. S’il est vrai qu’un entrepôt à sel et à sable n’est pas en soi essentiel au fonctionnement de l’administration de la municipalité et à la fourniture de services, un tel entrepôt est toutefois lié à la fourniture d’un service qui est, lui, essentiel au bon fonctionnement d’une municipalité, à savoir, l’entretien des rues. L’entretien des rues est un service essentiel fourni par la municipalité à ses citoyens, dans le but évident d’assurer leur sécurité à l’intérieur des limites de son territoire. L’utilité publique de l’entrepôt à sel et à sable n’est pas directe, mais indirecte, ce qui ne l’empêche pas d’être, en l’espèce, un bien affecté à l’utilité publique.

[30]           Je serais donc d’avis de qualifier l’entrepôt à sel et à sable de bien affecté à l’utilité publique et, par le fait même, de rejeter avec dépens l’appel de Kalad’Art. Une telle conclusion rend les autres questions soulevées en l’instance par Kalad’Art sans fondement.

[31]           En terminant, j’ai lu le commentaire du juge Biron et je le considère à propos.

 

 

 

 

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LOUISE MAILHOT J.C.A.

 

 

 

 


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Opinion du juge BIRON

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[32]           Je suis d'accord avec l'opinion exprimée par ma collègue, Madame la juge Mailhot, que l'entrepôt à sel et à sable construit pour la ville de Rimouski est un bien affecté à l'utilité publique et comme tel, insaisissable, comme le serait l'aqueduc.  L'hypothèque légale du fournisseur de matériaux qui a participé à la construction de cet entrepôt ne peut donc le grever.

[33]    Je partage donc l'opinion de ma collègue que le pourvoi doit être rejeté avec dépens.  Il me paraît cependant opportun de faire les observations suivantes.

[34]    L'interprétation large qui est donnée à l'art. 916 C.c.Q. crée une zone grise dans ce domaine du droit, interprétation qui risque de causer des problèmes aux municipalités qui doivent faire construire des édifices pour fins municipales, en plus de mettre en péril la créance de gens qui ont contribué à donner une plus-value à un édifice destiné à un usage municipal.

[35]    En effet, il ne sera pas toujours possible pour le sous-traitant de déterminer avec certitude si sa créance éventuelle sera garantie par l'hypothèque légale que l'art. 2726 C.c.Q. accorde à ceux qui participent à la construction d'un édifice.

[36]    Les municipalités y perdraient si, par crainte de ne pas être payés, les architectes, ingénieurs, fournisseurs de matériaux, entrepreneurs et sous-entrepreneurs exigeaient de contracter directement avec la municipalité pour pouvoir bénéficier des dispositions des art.591 à 604 de la Loi sur les cités et Villes, L.R., c. C-19.  Ces dispositions garantissent virtuellement au détenteur d'un jugement rendu contre une municipalité d'être payé.  Ce n 'est pas le cas du sous-traitant qui a contracté avec la municipalité, s'il ne bénéficie pas de l'hypothèque légale prévue par l'art. 2726 C.c.Q.  La municipalité n'y trouve aucun avantage lorsque, comme ici, elle retient les sommes dues au fournisseur de matériaux.


 

[37]    Je suis donc humblement d'avis que le législateur devrait fixer clairement l'état du droit sur la question de façon à ce que les personnes qui participent à une construction destinée à un usage municipal connaissent exactement l'étendue de leurs droits.  Il me semble qu'à défaut de permettre qu'une hypothèque légale en faveur des personnes qui ont participé à la construction puisse être enregistrée sur un bien immeuble d'une municipalité, un autre mécanisme puisse être trouvé qui garantisse la créance des sous-traitants.

 

 

 

 

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ANDRÉ BIRON J.C.A. (AD HOC)

 

 

 

 

 

 

 

 



[1]  [1968] C.A. 211.

 

[2]  Concrete Column Clamps Ltd. c. Cie de construction de Québec Ltée, (1939) 67 B.R. 536 et Concrete Column Clamps Ltd c. Cité de Québec, [1940] R.C.S. 522 .

 

[3]  [1940] R.C.S. 522 .

 

[4]  Concrete Column Clamps Ltd c. Cie de construction de Québec Ltée, (1939) 67 B.R. 536 à la p. 555.

 

[5]  Stanton Pipes (Canada) Ltd c. Sylvain, [1966] B.R. 860 à la p. 863.

  Voir le point «Cas en l'espèce» à la p. 8 et s. du présent texte pour un développement sur l'affaire Cité de Montréal c. Hill-Clark-Francis (Quebec) Ltd.

 

[6]  Voir A. Lemay, «La propriété immobilière municipale» dans Service de la formation permanente du Barreau du Québec, Développements récents en droit municipal, vol. 100, Cowansville, Yvon Blais, 1998, 33 à la p. 42 qui rapporte l'opinion d'un autre auteur sur cette question.

 

[7]  (10 novembre 1975), Montréal, 09-000650-73 (C.A.).

 

[8]  Calor Ltd c. Kwiat, (10 novembre 1975), Montréal, 09-000650-73 à la p. 5 (C.A.).

 

[9]  Voir J. Hétu, Y. Duplessis et D. Pakenham, Droit municipal :  principes généraux et contentieux, Montréal, Hébert Denault, 1998 aux pp. 1130-1131;  A. Lemay, «La propriété immobilière municipale» dans Service de la formation permanente du Barreau du Québec, Développements récents en droit municipal, vol. 100, Cowansville, Yvon Blais, 1998, 33 à la p. 41.

[10]  J. Serrentino Construction Co. Ltd c. Cité de Laval-sur-le-Lac, [1966] C.S. 425 à la p. 428.  Voir Concordia Concrete Floors Ltd c. Louis Laflamme Construction Inc., [1980] R.P. 251 aux pp. 254-255 (C.P.) où le principe de «service essentiel» est repris.  Voir aussi A.L.I. Excavation Inc. c. Montréal (Communauté urbaine de), [1993] R.D.I. 183 à la p. 186 (C.S.).

[11]  A. Lemay, «La propriété immobilière municipale», dans Service de la formation permanente du Barreau du Québec, Développements récents en droit municipal, vol. 100, Cowansville, Yvon Blais, 1998, 33 à la p. 42.

 

[12] L. Payette, Les sûretés dans le Code civil du Québec, Cowansville, Yvon Blais, 1994 à la p. 297; J. Hétu, Y. Duplessis et D. Pakenham, Droit municipal: principes généraux et contentieux, Montréal, Hébert Denault, 1998 à la p. 1128; A. Lemay, «La propriété immobilière municipale» dans Service de la formation permanente du Barreau du Québec, Développements récents en droit municipal, vol. 100, Cowansville, Yvon Blais, 1998, 33 à la p. 40; F. Pérodeau, «L'impact du Code civil du Québec sur l'étendue du domaine public en matière municipale» (1997) 4 Bulletin de droit municipal 110 à la p. 110; D.-C. Lamontagne, Biens et propriété, 3e éd., Cowansville, Yvon Blais, 1998 à la p. 138.

[13] P.-C. Lafond, Précis de droit des biens, Montréal, Éditions Thémis, 1999 à la p. 1075.

[14] P.-C. Lafond, Précis de droit des biens, Montréal, Éditions Thémis, 1999 à la p. 1076.

[15]  F. Pérodeau, «L'impact du Code civil du Québec sur l'étendue du domaine public en matière municipale» (1997) 4 Bulletin de droit municipal 110 à la p. 115: "La notion d'utilité publique que l'on retrouve maintenant à l'article 916 C.c.Q. réfère donc à l'aspect essentiel du bien, dans l'atteinte d'une fin municipale particulière. [...] Si la dépossession de ce bien empêche le public de jouir de services municipaux au sens propre du terme, il sera alors possible d'affirmer être en présence d'un bien faisant partie du domaine public".

[16] Un auteur a exprimé son désaccord avec cette solution: F. Pérodeau, «L'impact du Code civil du Québec sur l'étendue du domaine public en matière municipale», (1997) 4 Bulletin de droit municipal 110 à la p. 114.

[17] A. Lemay, «La propriété immobilière municipale» dans Service de la formation permanente du Barreau du Québec, Développements récents en droit municipal, vol. 100, Cowansville, Yvon Blais, 1998, 33  à la p. 44; J. Hétu, Y. Duplessis et D. Pakenham, Droit municipal: principes généraux et contentieux, Montréal, Hébert Denault, 1998 aux pp. 1131-1134; D.-C. Lamontagne, Biens et propriété, 3e éd., Cowansville, Yvon Blais, 1998 à la p. 137 et s.. Voir aussi École de technologie supérieure c. Société d'ingénierie C.I.M.A., [1997] R.J.Q. 2852 à la p. 2865 (C.S.) où le Tribunal est d'avis que l'article 916 C.c.Q. ne reprend pas les principes élaborés sous l'article 2220 C.c.B.-C., puisque le mot "général" n'est plus employé dans le cadre de l'article 916 C.c.Q..

[18] Pour ce dernier critère, voir A.Lemay, supra. Généralement, voir D.-C. Lamontagne, Biens et propriété, 3e éd., Cowansville, Yvon Blais, 1998 à la p. 137 qui parle des biens destinés à l'usage direct du public et des biens affecté à un service public, soit les biens essentiels à la collectivité locale ou à l'établissement concerné.

[19]J. Hétu , Y. Duplessis et D. Pakenham, Droit municipal: principes généraux et contentieux, Montréal, Hébert Denault, 1998.

[20] J. Hétu , Y. Duplessis et D. Pakenham, supra p. 1133.

[21] Voir J. Hétu, Y. Duplessis et D. Pakenham, supra p. 1131.

[22] D.-C. Lamontagne, Biens et propriété, 3e éd., Cowansville, Yvon Blais, 1998 à la p. 138.

[23] D.-C. Lamontagne, Biens et propriété, 3e éd., Cowansville, Yvon Blais, 1998 à la p. 138.

[24]Calor Ltd. c. Kwiat, (10 novembre 1975), Montréal, 09-000650-73 à la p. 5 (C.A.).

[25] (31 août 1994), Laval, 540-05-000520-944 (C.S.) confirmé par 139172 Canada Inc. c. Laval (Ville de), (7 février 1997), Montréal, 500-09-001499-946 (C.A.).

[26] (31 août 1994), Laval, 540-05-000520-944 à la p. 3 (C.S.).

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