Décision

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R. c. Perry

 

Inconstitutionnalité des articles 742.1 et 752 C.cr.

2011 QCCQ 2293

 

 
COUR DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

TERREBONNE

LOCALITÉ DE

SAINT-JÉRÔME

« Chambre criminelle et pénale »

Nº :

700-01-082733-083

 

DATE :

24 MARS 2011

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

VALMONT BEAULIEU, J.C.Q.

______________________________________________________________________

 

 

LA REINE

Poursuivante

c.

KEVIN PERRY

Accusé - Requérant

et

PROCUREUR GÉNÉNAL DU QUÉBEC

Intimé

______________________________________________________________________

 

PRONONCÉ DE LA PEINE

______________________________________________________________________

 

JB2721

[1]           L'accusé a plaidé coupable à ces chefs d'accusation :

« Le ou vers le 10 octobre 2008, à Sainte-Anne-des-Plaines, district de Terrebonne, a, à l'occasion d'une course de rue, conduit un véhicule à moteur de façon dangereuse pour le public, causant ainsi des lésions corporelles à E... B..., commettant ainsi l'acte criminel prévu à l'article 249 (3) du Code criminel. 

Le ou vers le 10 octobre 2008, à Sainte-Anne-des-Plaines, district de Terrebonne, a, à l'occasion d'une course de rue, conduit un véhicule à moteur de façon dangereuse pour le public, causant ainsi la mort à Éric Brown-Sareault, commettant ainsi l'acte criminel prévu à l'article 249.4 (4) du Code criminel. »

[2]           Suite à l'émission d'un mandat d'arrestation, le 16 décembre 2008, le délinquant est remis rapidement en liberté à ces conditions contenues à une promesse remise à juge de paix ou à un juge :

« Je, KEVIN PERRY, né le 1989-[...], domicilié au [...], BLAINVILLE, comprends que j'ai été inculpé de 249.4(3), 249.4(4), 249(3), 249(4), C.CR..

Afin de pouvoir être remise en liberté, je m'engage à être présent au tribunal le 12 MARS 2009, au Palais de justice de St-Jérôme, salle RC.02, à 9:30 heures, et , par la suite, à être présent selon les exigences du tribunal, afin d'être traité selon la loi.

Je m'engage également à :

1.          Garder la paix, avoir une bonne conduite et être présent devant la Cour lorsque requis.

2.          Demeurer au [...], Blainville.

3.          Aviser la Cour préalablement et par écrit de tout changement d'adresse.

4.          Ne pas communiquer ou tenter de communiquer de quelque façon que ce soit avec E... B....

5.          Autres conditions :

             a) Ne pas conduire quelque véhicule moteur que ce soit au Canada sauf pour se rendre au travail et dans l'exécution dudit travail; b) Ne pas conduire de motocyclette; c) Ne pas avoir de motocyclette immatriculée à son nom; d) Ne pas se rendre à des endroits où l'on fait de la course de rue. »

LES FAITS

[3]           L'accusé est au volant de sa propre moto en compagnie d'un passager alors qu'Éric Brown-Sareault conduit une autre moto et E... B... est passagère.

[4]           Lors de l'événement, l'accusé est détenteur d'un permis de moto d'apprenti conducteur. Il devait circuler en tout temps d'un accompagnateur titulaire d'un permis de moto régulier et valide et par conséquent, ne respecte pas la disposition du Code de sécurité routière à cet égard.

[5]           Auparavant, le 10 août 2008, suite à une conduite de sa moto à une vitesse de 212 km/h dans une zone de 100 km/h, une peine d'amende fut imposée et depuis le 14 janvier 2010, il est soumis à une interdiction de conduire pour une période de trois ans suite à une décision de la Société de l'assurance automobile du Québec. Après l'expiration de cette période, il devra se soumettre à de nouveaux examens afin d'obtenir un nouveau permis de conduire.

[6]           De plus, le jour de l'événement, monsieur Perry conduisait alors que son permis est suspendu en raison de perte de points d'inaptitudes pour excès de vitesse et pour conduite sans accompagnateur en date du 15 juillet 2008 (110 km/h zone de 60 km/h, et 6 juillet 2008, conduite sans accompagnateur).

[7]           Suite à l'événement tragique, le 15 avril 2009, il est intercepté sur l'autoroute 40 alors qu'il conduit un véhicule. Il se déplaçait pour se rendre sur un lieu de travail (lavage de vitres) et croyait qu'il pouvait conduire un véhicule aux fins de travail vu qu'un permis lui avait été octroyé en 2008. Le 1er juin 2009, une amende de 300 $ est imposée.

[8]           Le 10 octobre 2008, les deux amis de longue date se promènent environ depuis une heure en conduisant leurs puissantes motos dans la région des Basses-Laurentides lorsqu'ils se retrouvent sur la route conduisant au pénitencier de Ste-Anne-des-Plaines. Ils décident alors de procéder à une course. L'endroit leur semble idéal, car cette portion de la route est en ligne droite et ils constatent que la chaussée asphaltée est en bon état. La limite de vitesse permise est de 50 km/h.

[9]           Au moyen d'un signe de tête, l'épreuve de vitesse débute afin de tester les capacités d'accélération de leurs motos.

[10]        Alors qu'on circule à une très haute vitesse (120 km/h), l'accusé diminue sa vitesse et s'arrête en bordure de la route avant d'atteindre une courbe prononcée. La victime continue et accélère à une vitesse de 140 km/h.

[11]        Malheureusement, il déborde de sa voie et ne peut éviter le véhicule conduit par madame Picard sortant de la courbe à sens inverse. À l'impact, le conducteur de la moto et la victime sont éjectés.

[12]        Monsieur Brown-Sareault décède sur les lieux et sa passagère, madame E... B..., subira plusieurs blessures : fracture double au bras droit, diverses côtes cassées, poumon perforé, coupure à l'arrière de la cuisse de la jambe droite et brûlure au bas du dos.

[13]        Suite au plaidoyer de culpabilité, le Tribunal ordonne la rédaction d'un rapport à être rédigé par un agent de la probation.

[14]        Lors de la rédaction (juin 2010), le contrevenant est âgé de 21 ans, est propriétaire d'un condo qu'il habite avec sa mère, entretient une relation avec sa copine depuis un an et demi, poursuit ses études en administration au CEGEP, est propriétaire d'une entreprise de lavage de vitres et travaille à temps partiel pour un détaillant de piscines et ne possède aucun antécédent judiciaire.

[15]        En page 3 du rapport, la criminologue nous informe que les policiers et services de santé sont arrivés rapidement sur les lieux. Le délinquant est sous le choc, fournit une déclaration incriminante (les conducteurs désiraient vivre un «rush » d'adrénaline) et selon les policiers, fait preuve de transparence et de responsabilisation à l'égard de la situation.

[16]        Lors des entrevues avec l'agente du service de probation, il maintient le même discours responsable et conscientisé. Il fait preuve de transparence et d'une maturité non négligeable face à sa conduite délictuelle. Il reconnaît son sérieux manque de jugement qui l'a conduit à la perte de son meilleur ami (p. 4).

[17]        Avant ce tragique événement, il se définit comme invincible et que la mort ne pouvait survenir à 20 ans. Il ne cache nullement qu'il banalisait dans le passé la conduite de sa moto sans accompagnateur.

[18]        Il dit craindre maintenant l'incarcération, mais apparaît prêt à assumer l'entière responsabilité de son geste.

[19]        Le père du contrevenant s'est suicidé en 1997 et il en ressent encore la perte, mais semble avoir surmonté cet événement marquant.

[20]        Pendant son enfance et son adolescence, ce dernier a évolué au sein d'un milieu de vie adéquat, fonctionnel et prônant des valeurs prosociales.

[21]        La mère a décrit son fils comme un enfant docile, mais plutôt réservé et rationnel de sorte qu'il était parfois difficile de savoir exactement ce qu'il vivait intérieurement.

[22]        En milieu scolaire, il ne présente pas de difficulté particulière, connaît un bon rendement et fait preuve de sérieux dans ses études.

[23]        Au sujet de sa compagnie, il y travaille pendant trois saisons et emploie deux personnes. Il occupe aussi un poste de commis à temps partiel pour un détaillant de piscines afin d'augmenter ses revenus et sa capacité de rembourser son prêt bancaire.

[24]        Il ne présente aucune problématique de consommation de drogue et fait un usage occasionnel et responsable de l'alcool. (p. 5)

[25]        Suite à sa tentative de suicide par médication en lien avec le présent dossier, il a commencé en janvier 2010 un suivi auprès d'une psychothérapeute. Ce suivi est maintenant terminé.

[26]        En page 5, la criminologue exprime ainsi son évaluation :

« Kevin Perry a offert une bonne collaboration relativement aux exigences de la présente évaluation. […] Il s'est montré ouvert à nos interventions et nous a semblé sincère dans ses propos. Son souci de transparence était perceptible. De plus, c'est sans hésitation qu'il nous a donné accès aux personnes-ressources avec qui nous désirions nous entretenir.

À la lumière de ce qui précède, il appert que nous sommes en présence d'un jeune homme de 21 ans, lequel a évolué au sein d'un environnement adéquat et fonctionnel. Il a bénéficié d'un bon encadrement et de valeurs prosociales auxquelles, il nous apparaît adhérer. Au fil des ans, il a su s'investir positivement tant aux plans social, académique qu'occupationnel. En regard des présents événements toutefois, il présente certaines lacunes au niveau personnel. Sa conduite témoigne d'un manque de jugement critique chez lui, d'une perception peu réelle et amoindrie du risque et de son insouciance quant aux conséquences possibles de tels risques. Elle fait aussi état d'un certain laxisme au niveau de ses valeurs relativement à sa conduite sans accompagnateur et largement au-dessus des limites permises.

En réaction postdélictuelle, M. Perry présente un bon niveau de conscientisation et de remise en question. Il témoigne d'une plus grande maturité dans ses réflexions et fait preuve d'une responsabilisation non négligeable. Bien qu'il se montre quelque peu laxiste, il n'adhère pas à des valeurs délinquantes. Il est confronté pour une première fois à l'appareil judiciaire et celui-ci, ainsi que les conséquences humaines de sa conduite, semble avoir l'effet dissuasif souhaité. Par conséquent, nous estimons, dans un pareil cas, un risque de récidive faible pour un délit en semblable matière.

Nonobstant toute avenue que pourrait emprunter la cour, et ce, sans amoindrir la gravité des gestes commis ni la lourdeur des conséquences découlant d'une telle conduite, notons que M. Perry nous apparaît détenir le potentiel nécessaire à sa prise en charge. »

[27]        Lors des représentations concernant la peine, l'accusé témoigne avec transparence au sujet de sa situation juridique relative à son permis de conduire lors de l'événement. Depuis, celui-ci n'a jamais reconduit une motocyclette. Il entreprendra des études à temps complet à l'Université du Québec à Montréal en septembre 2010 au programme « Certificat en administration C4122 ». La lettre d'admissibilité est déposée sous la cote SD-2.

[28]        Vu le consentement de la Poursuite, est déposée (SD-1) une lettre de la mère du jeune homme décédé. Par respect envers cette dernière, le Tribunal cite au complet celle-ci :

« 15 juin 2010, Blainville

À qui de droit,

Je me nomme Claire Sareault et j'habite au [...], à Blainville. Je suis la mère d'Éric Brown (1988-[...]) décédé le 10 octobre 2008 d'un accident de la route à Ste-Anne-Des-Plaines.

                         Je désire, par le biais de cette lettre, informer la cour de mes opinions et sentiments vis-à-vis cet accident. Kevin Perry est et a toujours été un ami pour mon fils Éric. Ami d'enfance, ils ont été élevés ensemble. Kevin est un fils pour moi. Je désire donc informer la cour, par le biais de cette lettre que, je considère mon fils Éric comme le seul responsable de cet événement. Depuis le 10 octobre 2008, culpabilité et remords sont le lot quotidien de Kevin. Kevin dans cet événement a perdu plus qu'un ami, il a perdu un frère. Les sentiments de culpabilité et la peine que ce jeune a ressentie sont plus qu'une punition.

Nous nous devons d'être justes et équitables. Je crois sincèrement que mon fils Éric est responsable des événements, car lui seul avait le contrôle de la situation. Kevin a subi également un traumatisme celui de perdre un «frère». Je crois en la justice mais non en la vengeance. Mes sentiments comme mère de la victime est que seul mon fils Éric est responsable de sa mort et personne ne me convaincra du contraire.

Je demande donc par la présence la clémence de la cour pour Kevin Perry.

(s) Claire Sareault

Claire Sareault

Signé devant moi à Blainville                                                                                         le 2010-06-15

(s) Pierre Lalonde

Pierre Lalonde #168533                                                                                                 Commissaire à l'assermentation                                                                                    pour tous les districts judiciaires du Québec »

[29]        Il serait superflu de s'attarder à une analyse détaillée des nombreux documents bancaires démontrant que la compagnie de lavage de vitres dont l'accusé est propriétaire fait des affaires avec de nombreux clients depuis l'année 2009 (SD-3). La Poursuite n'a aucunement mis en doute les activités réelles de celle-ci lors de sa plaidoirie.

[30]        En dernier lieu, le Tribunal fut informé de l'état de santé de la conductrice du véhicule heurté par le de cujus.

[31]        Cette dernière a subi un « choc psychologique » et suite à l'impact, deux interventions chirurgicales furent nécessaires à cause de maux ou fractures à l'épaule.

POSITION DES PARTIES

[32]        La représentante du Directeur des poursuites criminelles et pénales recommande au Tribunal d'imposer une peine de pénitencier accompagnée d'une interdiction de conduire pour une période de cinq ans.

[33]        Afin de soutenir son argumentation, la Poursuite insiste entre autres sur les éléments suivants :

§  L'accusé était un adepte de la vitesse;

§  Le statut juridique de l'accusé le jour de l'événement (dossier conducteur);

§  Lorsqu'on participe à une course, il est prévisible que surviennent des décès ou que des personnes soient blessées;

§  Le critère prédominant est l'exemplarité;

§  Conduire est un privilège;

§  L'événement du 15 avril 2009 démontre le « laxisme » du contrevenant à l'égard du respect des lois provinciales;

§  Les propos de l'honorable juge Lamer dans l'arrêt R. c. Proulx [2000] 1 R.C.S. 61 , « des peines de détention fermes pourront avoir un effet plus dissuasif pour les conducteurs »;

§  Gravité objective des infractions;

§  Geste prémédité.

[34]        Le procureur de la défense soumet que le Tribunal devrait imposer une peine inférieure à deux ans de pénitencier. De plus, il recommande que cette peine soit purgée au sein de la communauté et en conséquence attaque la constitutionnalité des articles 742.1 et 752 du Code criminel canadien.

[35]        La poursuite répond que le Tribunal est lié par la nouvelle définition de sévices graves tels que définis par le nouvel article 752 qui était en vigueur lors de la commission de l'infraction.

[36]        Le Tribunal doit décider en premier lieu de la durée de la peine d'emprisonnement à imposer dans le présent dossier puisque les deux procureurs s'entendent au sujet d'une recommandation de détention. Avant de répondre à toute autre question, le Tribunal se doit de quantifier la période, car il deviendrait non nécessaire de s'interroger au sujet d'autres questions en litige si la peine est d'une durée de deux ans et plus.

RÉSUMÉ DE LA JURISPRUDENCE SOUMISE PAR LA REPRÉSENTANTE DU DIRECTEUR DES POURSUITES CRIMINELLES ET PÉNALES

[37]        Duval c. R. [1]:

L'accusé fut déclaré coupable de conduite dangereuse ayant causé la mort d'une personne. L'appelant prend sans permission la moto de son père sans être détenteur d'un permis. Accompagné d'une passagère, il circule à une vitesse nettement supérieure à la limite permise et dépasse un certain nombre de motos.

[38]        Étant le premier du groupe, il fait des manœuvres consistant à ne circuler que sur la roue arrière après avoir fait lever de la chaussée la roue avant de sa moto. En effectuant cette manœuvre, il heurte et tue un piéton traversant le boulevard.

[39]        L'appelant est âgé de 24 ans, sans antécédents judiciaires et est propriétaire d'une entreprise forestière.

[40]        Le juge d'instance[2] s'exprime ainsi :

« LA COUR :

[1] L'accusé a subi son procès devant moi sous une accusation de conduite dangereuse entraînant la mort et a été déclaré coupable.

[2] Il revient aujourd'hui devant le Tribunal afin que lui soit imposée la peine qui découle de ce verdict de culpabilité.

[3] Les faits ayant donné ouverture à ce verdict de culpabilité ont été résumés de façon relativement détaillée à l'occasion du jugement écrit que le Tribunal a livré le treize (13) décembre deux mille six (2006).

[4] Qu'il suffise de rappeler que le trois (3) juillet deux mille quatre (2004), l'accusé, Marc-André Duval, a pris sans permission la moto de son père sans qu'il ait permis et assurance à cet égard.

[5] Avec des amis et connaissances, il a à un moment donné circulé sur le boulevard Fiset de Sorel-Tracy dépassant par la droite un certain nombre de motos, et ce, à une vitesse illégale et nettement supérieure à la limite permise.

[…]

[28] Il ne fait nul doute qu'il existe un consensus unanime à l'effet que ce genre de crime appelle une dénonciation vigoureuse de la part des Tribunaux. Comme l'indiquait l'Honorable Juge Gilles Hébert dans une affaire de R. contre Marco Bérard :

« Il ne faut pas banaliser la mort d'un être humain causée par la commission d'un crime et assimiler ce crime à un vulgaire accident d'automobile. »

[29] Quant à elle, ma collègue, l'Honorable Juge Louise Bourdeau, dans le dossier Éric Gauthier, une affaire de conduite dangereuse, écrivait :

« Le souci de dénoncer les comportements inadéquats afin d'assurer la protection et la sécurité de la population sur nos routes canadiennes préoccupe non seulement les tribunaux mais également le législateur et s'est reflété dans ses amendements législatifs. C'est ainsi qu'il a cru bon d'augmenter en 1999 et 2000 les peines pour les crimes impliquant la conduite d'un véhicule automobile. Un délit de fuite causant la mort est dorénavant passible d'un emprisonnement à perpétuité. Déjà en 1995, on est passé de deux (2) à cinq (5) ans. Les peines pour la conduite avec facultés affaiblies ont été augmentées, celles causant la mort sont dorénavant punissables de l'emprisonnement à perpétuité. Les amendes ont été augmentées de même que la durée des périodes d'interdiction de conduire. Les peines pour conduite pendant les périodes d'interdiction sont passées de deux (2) à cinq (5) ans. »

[30] Tout ceci illustre les efforts sociétaux faits pour combattre les dérèglements criminels en matière de conduite automobile. L'objectif visant à éradiquer les carnages dus à des conduites criminelles sur nos routes apparaît nettement présent à l'esprit .du législateur.

[31] La jurisprudence dans les affaires de Blouin, de Kelley et de Olivier de notre Cour d'appel nous enseigne que généralement les peines imposées pour conduite dangereuse entraînant la mort se situent entre un (1) et trois (3) ans d'incarcération.

[32] Il n'est pas sans intérêt de rappeler à ce niveau que l'Honorable Juge Deschamps, alors juge de la Cour d'appel du Québec, cette dernière étant maintenant juge de la Cour suprême du Canada, dans une affaire de R. contre Paré statuait le onze (11) décembre mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit (1998) que :

« Nul n'est besoin de citer ici les décisions dans lesquelles les cours dénoncent le fléau que constituent les infractions reliées à la conduite automobile. Le présent cas est un exemple dramatique. Bien que le législateur n'ait pas exclu l'application de l'emprisonnement avec sursis pour les infractions reliées à la conduite automobile, j'estime qu'il faut, pour qu'un sursis soit accordé, que des conditions particulières soient réunies afin que les facteurs personnels compensent le grand besoin de dissuasion générale. »

[33] Il apparaît important au Tribunal avant de clore cette revue des paramètres entrant en jeu à l'occasion de l'imposition d'une sentence, de référer aux propos de l'Honorable Juge Lamer dans un des arrêts importants de la Cour suprême, à savoir l'affaire R. contre Proulx. Il s'y exprime ainsi :

« Il est possible que la conduite dangereuse et la conduite avec facultés affaiblies soient des infractions à l'égard desquelles il est plus plausible que l'infliction de peines sévères ait un effet dissuasif général. [...] Souvent, ces crimes sont commis par des citoyens qui respectent par ailleurs la loi, qui sont des bons travailleurs et qui ont un conjoint et des enfants. Il est possible de supposer qu'il s'agit là des personnes les plus susceptibles d'être dissuadées par la menace de peines sévères. [...] L'incarcération produit habituellement un effet dénonciateur plus grand que l'emprisonnement avec sursis, mesure généralement plus clémente qu'une peine d'emprisonnement d'une duré équivalente. [...] L'incarcération, qui est habituellement une sanction plus sévère, peut avoir un effet plus dissuasif que l'emprisonnement avec sursis. Les juges doivent cependant prendre soin de ne pas accorder un poids excessif à la dissuasion quand ils choisissent entre l'incarcération et l'emprisonnement avec sursis... »

[41]        La Cour d'appel confirme la peine de deux ans moins un jour à être purgée en détention ferme accompagnée d'une ordonnance d'interdiction de conduire pour une période de trois ans et soumis à une ordonnance de probation pour la durée de deux ans.

[42]        Fortin c. R. [3] :

L'appelant participe à une course de voiture avec l'oncle de son ami qui avait consommé une grande quantité d'alcool au bar pendant la soirée alors que les trois personnes sont ensemble.

[43]        Lors de la course, l'oncle perd le contrôle de son véhicule dans une courbe et décède sur-le-champ.

[44]        Le juge d'instance prononce une peine de deux ans d'incarcération et une interdiction de conduire pour la période de trois ans.

[45]        Les honorables juges Hilton et Vézina confirment la peine en opinant qu'une peine de cette durée n'est pas nettement déraisonnable et est conforme à la jurisprudence récente de la Cour.

[46]        Quant à l'honorable juge Bich, elle aurait accueilli l'appel et imposé deux ans moins un jour à être purgée dans la communauté.

[47]        Michaud c. R. [4] :

L'appelant a été déclaré coupable de conduite dangereuse ayant causé la mort de deux personnes et condamné à purger une peine de trois ans de pénitencier et d'une ordonnance d'interdiction de conduire pendant une période de cinq ans.

[48]        L'appelant reproche au juge d'instance[5] de ne pas avoir tenu compte du témoignage du père de l'une des victimes, car ce dernier affirme qu'il qualifie l'événement comme un accident et qu'en conséquence, la détention n'est pas justifiée.

[49]        Au sujet de ce sentiment, la Cour s'exprime ainsi :

«[8]  Or, il n'appartenait pas à M. Blais, malgré toute la sympathie que nous avons à son égard, de se prononcer sur une question déjà tranchée par le verdict de culpabilité, en déclaration que la mort de son fils était le résultat d'un accident, mais plutôt de faire état des dommages ou pertes causés à la victime par la perpétration de l'infraction.

[9] Le juge, pour sa part, pouvait constater par lui-même que l'infraction commise par l'appelant avait entraîné la mort de deux personnes.

[10] Dans les circonstances, il était raisonnable pour le juge de considérer comme facteur atténuant, mais à un degré moindre, le témoignage de Daniel Blais. »

[50]        R. c. Olivier  [6] :

Devant le juge d'instance, l'appelant est déclaré coupable d'avoir par négligence criminelle causé la mort de deux personnes. Une peine de trois ans de pénitencier assortie d'une ordonnance d'interdiction de conduire pour une durée de cinq années est imposée.

[51]        L'appelant et un autre conducteur décident spontanément de faire une course sur une route de campagne qui longe la rivière Richelieu. Ils se suivent de très près à des vitesses vertigineuses et se dépassent dans des zones interdites en raison de courbes et de pentes.

[52]        Le véhicule conduit par monsieur Cairns empiète sur la voie inverse, heurte le véhicule des deux victimes, s'élève dans les airs et retombe sur un autre véhicule dont les deux occupants s'en sortent sains et saufs.

[53]        Monsieur Olivier qui conduit le véhicule de marque Mustang perd le contrôle de son véhicule qui s'écrase contre un arbre. Cette course est donc à l'origine de l'accident mortel. La Cour rejette l'appel en ces termes :

« [64] Le juge a examiné avec soin la jurisprudence de la Cour. Il s'en dégage que les peines tant pour la négligence criminelle que pour la conduite dangereuse causant la mort varient entre un à trois ans d'emprisonnement8, quatre ans étant considérés comme une peine sévère, mais non anormale9.

[65] La Cour a déjà fait remarquer, en traitant de la situation particulière des jeunes contrevenants10, que la preuve empirique de l'effet dissuasif des peines n'est peut-être pas concluante. S'exprimant pour la majorité, le juge Fish a écrit :

Social science may in this instance appear to challenge assumptions based on instinct and common sense. The deterrent effect of specific sentences, or of a policy of severe sentences for particular crimes, may or may not be measurable. Nonetheless, we have not in this counrty rejected the notion that penal sanctions deter the commission of further offences.11

[66] Bien au contraire, le législateur, en adoptant l'art. 718 C.cr., a consacré la dissuasion comme un des objectifs du prononcé des peines.

[67] Dans l'arrêt R. c. Proulx12, la Cour suprême a récemment infirmé la décision de la Cour d'appel du Manitoba de substituer l'emprisonnement avec sursis à dix-huit mois d'incarcération pour une conduite dangereuse ayant causé la mort et des lésions corporelles. La Cour suprême a rétabli la peine initiale en considération de la gravité des infractions et de leurs conséquences.

[68] La Cour suprême traite de la possibilité que la conduite dangereuse soit une infraction à l'égard de laquelle « il est plus plausible que l'infliction de peines sévères ait un effet dissuasif général. »

Souvent, ces crimes sont commis par des citoyens qui respectent par ailleurs la loi, qui sont de bons travailleurs et qui ont un conjoint et des enfants. Il est possible de supposer qu'il s'agit là des personnes les plus susceptibles d'être dissuadées par la menace de peines sévères.13

[69] La Cour d'appel du Manitoba, dans l'affaire Proulx, avait donc, suivant la Cour suprême, commis une erreur en statuant que le juge qui a infligé la peine avait accordé trop de poids à l'objectif de dénonciation.14

[70] Le juge en l'espèce n'a pas omis de considérer qu'avant l'accident, l'appelant était généralement (sauf au volant d'une voiture) un bon citoyen et que, depuis

l'accident, il éprouve un remords certain. Il a par ailleurs attaché de l'importance à la gravité particulière des circonstances de la perpétration de l'infraction et de ses conséquences et au fait que l'appelant n'avait aucune excuse pour sa conduite.

[71] Le juge a également relevé que l'appelant, entre 1990 et 1995, a été condamné à six reprises pour avoir conduit une voiture à une vitesse excessive et qu'en 1990, il a été condamné pour avoir fait un dépassement interdit dans une courbe. Étant donné la similitude et la proximité de ces infractions avec la course automobile qui nous concerne et qui a eu lieu en septembre 1995, la pertinence de la conduite antérieure de l'appelant était très grande pour déterminer l'importance de la sanction.

[72] Quant au principe de l'harmonisation des peines, celle infligée à l'appelant n'est que légèrement plus sévère que celle prononcée contre monsieur Cairns, lequel s'est vu infliger 30 mois d'emprisonnement et trois ans d'interdiction de conduite automobile.

[73] Il n'est pas question de justifier cet écart du fait que l'appelant, contrairement à monsieur Cairns, a exercé son droit de subir un procès au lieu de négocier un plaidoyer de culpabilité à une infraction moindre, plaidoyer suivi d'une peine qui en tenait compte.

[74] L'appelant ne peut cependant pas se soustraire aux conséquences légitimes de son choix. Il ne peut pas non plus réclamer les avantages inhérents au choix contraire d'un autre participant aux mêmes infractions.

[75] Ainsi, l'appelant doit être puni pour l'infraction dont il a été déclaré coupable et non pas pour l'infraction à laquelle il aurait peut-être pu, comme son complice, plaider coupable.

[76] En outre, si le fait que le juge n'a pas cru son témoignage ne constitue pas un facteur aggravant, il n'en reste pas moins que, dans le cas de monsieur Cairns, il y a eu plaidoyer de culpabilité. Ce signe d'un début de réhabilitation constituait un facteur atténuant que l'on ne retrouve pas dans le cas de l'appelant.15

[77] Il est certain que le fait que monsieur Cairns ait été condamné pour avoir, après l'accident qui nous intéresse ici, conduit encore deux fois sa voiture à une vitesse excessive a constitué un facteur aggravant lorsqu'il s'est vu infliger sa peine. Il ne ressort pas du dossier que le juge de première instance n'a pas tenu compte de cette situation lorsqu'il a déterminé les peines qu'il a infligées à l'appelant. Il faut toujours se souvenir que la différence de sévérité entre les peines infligées à monsieur Cairns et à l'appelant est minime et qu'elle s'explique raisonnablement par le fait que monsieur Cairns a plaidé coupable à une infraction moindre.

[78] Les peines infligées à l'appelant comportent sans doute, pour lui et ses proches, de lourdes conséquences, mais elles ne justifient pas pour autant l'intervention de la Cour compte tenu des conséquences des infractions pour les victimes et leurs proches et de la norme de contrôle qu'une cour d'appel doit appliquer en examinant la justesse d'une peine en vertu de l'art. 687 C.cr.

_____________________________                                                                             8 R. c. Kelly, [1997] A.Q. no 2360 (QL) (opinion du j. Fish).                                                                               9 R. c. Houle, [1995] R.J.Q. 1012 , 1024 (opinion du j. Delisle).                                                                           10 Protection de la jeunesse - 431, [1990] R.J.Q. 645 . (C.A.).                                                                                11 Id., p. 654.                                                                                                                                                              12 [2000] 1 R.C.S. 61 (juge en chef Lamer pour la Cour).                                                                                13 Id., par. 129.                                                                                                                                                          14 La Cour suprême avait cependant spécifié qu'il n'y a pas lieu d'établir des catégories jurisprudentielles d'infractions pour lesquelles le sursis serait inapproprié. Dans un contexte d'emprisonnement avec sursis, l'objectif de dénonciation et de dissuasion générale pourrait être atteint par des conditions telles que la détention à domicile, ainsi que par une ordonnance de service communautaire intimant au délinquant de parler devant des groupes désignés des conséquences de la conduite dangereuse (par. 130). »

[54]        St-Laurent c. R. [7] :

L'appelant est déclaré coupable par le juge d'instance de conduite dangereuse ayant causé la mort d'une personne et est condamné à une peine de détention de 36 mois et d'une interdiction de conduire de pour une période de 48 mois.

[55]        La Cour d'appel confirme cette peine en ces propos :

« [2] En l’espèce, les antécédents multiples de l’appelant en matière de violation des dispositions du Code de sécurité routière, telles les nombreuses infractions de vitesse excessive, violation de feux de circulation ou signaux d’arrêt, conduite d’un véhicule nonobstant les suspensions de permis de conduire, manifestent un mépris continu à l’égard des lois et de la sécurité et, dans le présent cas, de la vie des usagers de la route.

[3] La peine imposée est sévère mais elle ne s’écarte pas de façon marquée et substantielle des peines habituellement infligées en des cas similaires. Même si en l’espèce, on pouvait conclure que le risque de récidive est maintenant peu élevé, le passé de l’appelant impose que l’on tienne également compte du facteur dissuasif et exemplaire en matière de conduite dangereuse (R. c. Kelly1, R. c. Olivier2).

[4] La Cour est donc d’avis que la peine imposée par la juge de première instance ne saurait certes pas être qualifiée de déraisonnable au sens requis pour justifier l’intervention de notre Cour.

[5] Par ailleurs, il y a lieu de corriger le moment du point de départ de l’interdiction de conduire imposée par la juge de première instance tout en respectant partiellement son intention quant à sa durée.

_________________________                                                                                     1    J.E. 97-1570 (C.A.).                                                                                                    2    J.E. 2002-1628 (C.A.). »

[56]        R. c. Fournier [8] :

Suite à un procès, ce dernier est déclaré coupable de conduite dangereuse causant la mort d'un ami.

[57]        L'accusé est âgé de 18 ans et est un amateur de vitesse et de petites voitures sport modifiées. Deux jours avant le drame, il reçoit une contravention pour excès de vitesse. Dans le passé, il avait déjà reçu un constat d'infraction pour le même motif.

[58]        De nombreuses modifications avaient été apportées au véhicule afin de le rendre plus performant.

[59]        Alors qu'il circule à 174 km/h en négociant une courbe, il perd le contrôle de son véhicule chaussé de pneus de dimensions différentes à l'avant et à l'arrière.

[60]        Le passager décède et était un bon ami de l'accusé. Ce dernier fut affecté par ce deuil, ne possédait pas d'antécédents judiciaires et le risque de récidive est évalué comme faible. Par contre, le juge d'instance qualifie de mitigée la prise de conscience chez l'accusé.

[61]        Afin de motiver la peine de trois ans de pénitencier imposée, mon collègue cite diverses décisions :

« [47] Il me semble par ailleurs qu'il y lieu de faire d'importantes distinctions avec certaines des décisions produites.

[48] Dans R. c. Therrien, 2005 CanLII 13267 QC C.Q., l'accusé a bénéficié d'une peine dans la collectivité, mais les faits ne faisaient état d'aucune vitesse ni d'alcool impliqué, seulement d'un véhicule en mauvais état. Le Ministère public ne s'objectait pas non plus à ce que la peine soit purgée dans la collectivité.

[49] Dans R. c. Massé 2006 QCCQ 13504 , il s'agit d'un accident causant des lésions corporelles. L'accusé ralentit à environ 30 kilomètres-heure pour s'engager dans une intersection. Il cause ainsi un accident. L'accusé est père de famille, dont un enfant gravement malade dont il doit s'occuper. Il n'a aucun antécédent judiciaire et l'alcool, ni la vitesse ne sont impliqués. Immédiatement après l'accident, l'accusé aide la victime à être conduite à l'hôpital. Il a reçu une peine de 6 mois d'emprisonnement à être purgée dans la collectivité.

[50] Dans Jean-François Leclerc c. R. 2007 QCCA 1347 , le Juge Benoit Morin de la Cour d'appel rejette une requête pour permission d'appeler d'une absolution conditionnelle prononcée à la suite d'un cas de rage au volant. Les faits concernent un individu sans antécédent judiciaire qui freine brusquement devant un autre véhicule. Ce dernier conducteur freine alors en catastrophe et perd le contrôle de son véhicule qui fera des tonneaux. La victime n'est pas blessée et la poursuite demandait de 3 à 6 mois d'emprisonnement dans la collectivité.

[51] L'absolution conditionnelle imposée comportait une période probatoire de 12 mois, 200 heures de travaux communautaires à accomplir et un don de 3 000 $ à la victime.

[52] Dans R. c. Leblond 2008 QCCQ 189 , dans des circonstances qui peuvent sembler comparables à celles du présent dossier, l'accusé reçoit une peine de 2 ans moins un jour à être purgée dans la collectivité et une interdiction de conduite de 3 ans. Il m'apparaît toutefois essentiel de préciser que :

a) L'accusé a collaboré avec la justice, évitant les nombreuses remises, renonçant à son enquête préliminaire et à son procès.

b) L'accusé a été 2 ½ années en liberté sous conditions, lesquelles il aurait entièrement respectées, comportant des conditions très sévères telles que :i

i) Interdiction de consommer tout alcool.

ii) Couvre-feu de 23:00 heures à 6:00 heures.

iii) Interdiction de conduire tout véhicule automobile.

c) La Cour a considéré comme une circonstance atténuante "très importante" (paragraphe 54) le support de la famille de la victime face à l'accusé.

[53] Il est évident qu'aucune de ces conditions ne se retrouve dans le présent dossier. [54] Par ailleurs, Monsieur le Juge Gosselin rappelle que les peines à prononcer en semblables matières sont généralement de l'emprisonnement ferme et que ce n'est qu'exceptionnellement que les peines seraient différentes (paragraphe 62 ou 72).

[55] Dans Bazinet c. R. 2008 QCCA 165 , la Cour d'appel accueille le pourvoi et impose une peine de 18 mois à être purgée dans la collectivité. En fait, le Tribunal de première instance avait refusé d'entériner une suggestion commune, alors que selon la Cour d'appel, celle-ci aurait dû être acceptée.

[56] Voici comment la Cour d'appel décrit les faits de l'affaire:

"[22] Sans atténuer la responsabilité de l'appelant, ces propos de la procureure jettent un éclairage plus nuancé sur les circonstances précises de l'accident. Il s'agit d'une manoeuvre imprudente d'un individu qui conduisait un véhicule en mauvaise condition et qui a, sur une courte distance, excédé de 20km/h la vitesse permise et effectué un dépassement interdit. Ces faits particuliers permettent de distinguer ce dossier de ceux retenus par le juge de première instance, comme la Cour l'examinera plus loin."

[57] Dans un tel cas, la Cour d'appel indique que la peine suggérée de façon commune par les parties était à la limite du spectre de la raisonnabilité:

"[32] La peine suggérée par les parties se situait à la limite du raisonnable sans être déraisonnable. N'eût été de cette suggestion commune, le jugement sur la peine aurait été à l'abri de toute erreur révisable."

[58] Il est à noter que c'est une peine de 18 mois en institution qui avait été imposée dans le dossier par le Juge de première instance.

[59] Dans R. c. Goulet 2009 QCCQ 813 , 6 ans après les faits et 4 ans après qui lui fut interdit provisoirement de conduire, une peine dans la collectivité est refusée et l'accusé est condamné à 18 mois d'emprisonnement avec une nouvelle interdiction de conduire pendant 3 ans, à compter de sa sortie de prison. Le déroulement du dossier est par ailleurs très rocambolesque.

[60] Dans R. c. Duval 2009 QCCQ 5201 , Monsieur le Juge Chapdelaine refuse la peine à être purgée dans la collectivité et impose deux ans moins un jour d'incarcération. Duval a plaidé coupable à l'accusation pesant contre lui et "assume pleinement la responsabilité" de son geste (paragraphe 40 du jugement).

[61] Dans R. c. Oligny-Legault 2009 QCCQ 9921 l'Honorable Juge Marleau impose une peine de 4 ans à une jeune femme qui cause un accident sur l'autoroute 35. Elle-même n'a pas d'accident et n'a aucun impact avec d'autres véhicules. C'est l'autre conducteur impliqué dans la course qui cause l'accident. À propos de l'accusée, la Cour écrit ce qui suit:

[74] Son jeune âge y est sans doute pour beaucoup. Dans Ferland, la Cour d'Appel au paragraphe 49 notait que l'appelant était un homme d'âge mûr qui ne pouvait excuser son geste par une «étourderie de jeunesse», expression utilisée parfois en jurisprudence pour décrire le geste délictuel. Mais cette jeunesse n'excuse pas tout. La lecture de la jurisprudence amène aussi à conclure que l'accusée est l'archétype du jeune délinquant commettant ce genre de crime et qu'on doit dissuader: jeune, sans antécédents judiciaires, immature, se croyant invincible, inconscient du danger et décidant de façon irresponsable de conduire sans égard pour les lois, les règlements et la sécurité d'autrui.

[62] Dans R. c. Bélec, 2009 QCCQ 9598 , la peine imposée est de 54 mois dans des circonstances plus graves et pour un délinquant objectivement plus criminalisé que dans le présent dossier.

[63] Enfin, dans R. c. Dupuis, 2009 QCCQ 12470 , la Cour impose une peine de 5 ans de prison à un accusé participant à une course automobile sur la rue Notre-Dame à Montréal. Cette peine n'est pas imposée à la personne qui cause l'impact entre deux véhicules, mais à l'autre, qui s'en est tiré.

[64] Considérant l'ensemble de ces facteurs, et des décisions rendues en semblable matière, il m'apparaît évident qu'un facteur doit prévaloir particulièrement en semblable matière, celui de la dissuasion. Il est peut-être utile de rappeler cet extrait suivant de l'arrêt R. c. Proulx de la Cour Suprême du Canada [2000] 1 R.C.S. 61 .

"Souvent ces crimes sont commis par des citoyens qui respectent par ailleurs la loi, qui sont de bons travailleurs et qui ont un conjoint et des enfants. Il est possible de supposer qu'il s'agit là des personnes les plus susceptibles d'être dissuadées par la menace de peines sévères. "

[65] La prévalence de ce genre de crime est extrêmement grande. La région en souffre énormément et l'accusé est l'archétype du jeune adulte dans l'archétype de la voiture utilisée pour commettre ce genre de crime. En effet, il ne s'agit aucunement d'un accident, mais bien d'un crime.

[66] Le public en général se scandalise du danger que représente ce type d'actes sur nos routes et pratiquement personne qui circule sur les chemins publics sauf peut-être dans les mois les plus rudes de l'hiver, ne peut éviter de passer plus d'une semaine sans être témoin d'un geste de conduite extrêmement dangereuse.

[67] Peut-être toutes ces conduites ne se terminent-elles pas par un drame aussi horrible que celui qui a terrassé Yannick Gagnon et sa famille, mais ces criminels au volant doivent savoir qu'ils doivent s'attendre à de lourdes peines pour leur conduite. »

[62]        R. c. Gauthier[9] :

L'accusé, un homme de 26 ans, fut reconnu coupable de conduite dangereuse ayant causé la mort d'une personne et des lésions corporelles à une autre personne et a été condamné à une peine de 18 mois de détention ferme, accompagnée d'une ordonnance d'interdiction de conduire pour une durée de trois ans.

[63]        Gauthier conduit à 157 km/h dans une zone de 50km/h dans le centre-ville de Montréal sur la rue Ste-Catherine. Auparavant, il avait consommé quelques bières et heurte un autre véhicule. L'impact est très violent, le conducteur de cette voiture décède et son passager a le bras gauche fracturé, les côtes fêlées et une contusion au genou.

[64]        La victime décédée est âgée de 20 ans et étudiant à l'École des Hautes Études commerciales de l'Université de Montréal.

[65]        La vie familiale et personnelle de ses parents est devenue bouleversée et ils vivent à présent un profond désarroi.

[66]        L'accusé, lors des représentations, ressent de la culpabilité, de la honte et demande aux parents de lui pardonner.

[67]        Selon l'agent de probation, le processus judiciaire a eu un effet dissuasif et le risque de récidive est peu probable. 

[68]        Afin de motiver sa décision de condamner l'accusé à 18 mois de détention ferme, ma collègue cite ces décisions :

« [19] Dans l'arrêt R. c. Kelley [1997] A.Q. No 2360, la Cour d'appel après une revue de la jurisprudence établissait les peines pour des crimes de conduite dangereuse causant décès impliquant des antécédents relatifs à la conduite automobile de un (1) à trois (3) ans. Antérieurement, cette même cour, dans l'arrêt Blouin avait établi que les peines pour conduite dangereuse causant des lésions corporelles, se situaient entre neuf (9) et dix-huit (18) mois, et que dans le cas de décès, les peines étaient de deux (2) ans. Une lecture des récentes décisions démontre qu'en dépit de la spécificité de chaque cas, les peines pour conduite dangereuse causant la mort, se situent à deux (2) ans et celles causant des lésions corporelles de neuf (9) à dix-huit (18) mois.3

R. c. Burrows, AZ-50152005 , J.E. 2003-290 (C.Q.), 18 novembre 2002 :

Conduite dangereuse causant un décès et des lésions corporelles à une autre personne. Vitesse de 170 kilomètres/heure, sur un chemin de campagne vallonneux. Accusé jeune, sans antécédents, éprouvant beaucoup de remords et un rapport pré- décisionnel positif. Sentence de deux (2) ans moins un (1) jour a être purgée dans la collectivité; interdiction de conduire de trois (3) ans.

R. c. Duclos, AZ-50145045 , B.E. 2002 BE-908, (C.Q.), 20 septembre 2002 :

Conduite dangereuse causant la mort. Accusé âgé de 19 ans conduisait à haute vitesse et a brûlé un feu rouge. Deux autres passagères blessées. Sans antécédents et éprouvant des remords, il est condamné à une peine de deux (2) ans moins un (1) jour dans la collectivité avec deux-cent quarante (240) heures de travaux communautaires; interdiction de conduire de trois (3) ans.

R. c. Ward, AZ-50107353 , J.E. 2002-251 , (C.Q.), 4 décembre 2001 :

Les deux conducteurs s'amusaient à se dépasser sur l'autoroute à des vitesses de 201 km/heure. L'accusé, détenteur d'un permis probatoire, a perdu la maîtrise de son volant. Sa passagère, non attachée, est décédée. Sans antécédents, avec un emploi, éprouvant de la culpabilité, il est condamné à une peine de dix-huit (18) mois dans la collectivité.

R. c. Hargreaves, [1999] O.J. No 517 4 août 1999 :

L'accusé circulait à plus de 100 kilomètres/heure en ville alors que son ami le  suivait parallèlement. Les véhicules se sont frappés causant un décès et des lésions corporelles à une autre personne. L'accusé était sans antécédents, il était un actif pour sa communauté et avait des remords. Le juge a imposé une peine de quinze (15) mois à être purgée dans la collectivité avec cent (100) heures de travaux communautaires.

R. c. Areco, [1999] 140 C.C.C. (3d) 255 (C.A. Ont.):

L'accusé âgé de 22 ans conduisait dans un centre-ville, à haute-vitesse, causant un décès et des lésions corporelles. Sans antécédents, la Cour d'appel de l'Ontario infirme la décision de douze (12) mois d'emprisonnement ferme et ordonne qu'elle soit purgée dans la collectivité.

R. c. Desormeaux, AZ-50077436 C.Q. 16 juin 2000 :

L'accusé conduisait un camion dont le système de freinage était à sa connaissance déficient. Il brûle un feu rouge et heurte mortellement un jeune circulant à cyclomoteur. Ni l'alcool ni la vitesse ne sont en jeu. Âgé de 48 ans, sans antécédents, son permis était sanctionné pour amendes impayées. Vivant difficilement les conséquences de ses gestes, et vu le peu de risque de récidive, la juge impose un emprisonnement avec sursis de dix-huit (18) mois. Interdiction de conduire de trois (3) ans.

R. c. Giguère, AZ-50107353 C.Q. 27 juin 2001

Une conduite dangereuse causant deux décès. L'alcool et la vitesse de 130 kilomètres/heure dans une zone de 90 kilomètres/heure sont les éléments contributifs de l'accident. L'accusé, un policier, a subi des blessures. Dans une analyse extrêmement étoffée où le juge a répertorié et examiné 48 décisions, il a imposé une peine ferme de deux (2) ans moins un (1) jour. Interdiction de conduire de douze (12) mois.

R. c. Lallier, AZ-50141265 C.Q. 17 juillet 2002 :

L'accusé âgé de 21 ans, conduisait avec les facultés affaiblies et à une vitesse supérieure à la limite permise; il a heurté les deux victimes qui déambulaient paisiblement sur le trottoir; une personne a perdu la vie et l'autre a subi de graves lésions corporelles. L'accusé était en période de permis probatoire et devait respecter la tolérance zéro. Il avait commis des infractions en matière de conduite automobile en attente de son procès. La Cour impose une peine ferme de deux (2) ans moins un (1) jour pour le décès et de dix-huit (18) mois pour les lésions corporelles. Interdiction de conduire de trois (3) ans.

R. c. Truchet, 700-01-03041-001, C.Q. 11 septembre 2002 :

Deux conducteurs effectuent différentes manoeuvres dangereuses à haute  vitesse sur une autoroute; l'accusé perd le contrôle, traverse un terre plein et heurte le véhicule de la victime qui décède: les deux passagers sont blessés. L'accusé est âgé de 44 ans et sans antécédents judiciaires. Compte tenu de la pleine conscience de l'accusé de s'engager dans ce chassé-croisé, et avec un risque de récidive, l'accusé reçoit une peine ferme de deux (2) ans moins un (1) jour et de douze (12) mois concurrents.

R. c. Daley, [2002] N.B.J. No 449 8 novembre 2002 :

L'accusé, âgé de 21 ans, sans antécédents a conduit à une vitesse près du double de celle permise; il n'avait aucun antécédent. Seule la vitesse a contribué à l'accident. Le rapport pré-décisionnel était positif et l'accusé éprouvait des remords. Le juge refuse l'emprisonnement avec sursis, compte tenu de la nécessité de dénoncer ce genre de conduite et impose une peine ferme de deux (2) ans moins (1) jour.

R. c. Dufresne, [2002] J.Q. No 204 7 février 2002 :

L'accusé circulait à une vitesse de 100 kilomètres/heure dans une zone de 30 kilomètres/heure. Accusé de conduite dangereuse causant la mort, le juge entérine la suggestion commune de trente (30) mois d'incarcération. Au moment de l'impact, ses facultés étaient affaiblies par l'alcool et il avait tenté de fausser son taux d'alcoolémie. Il avait effectué plusieurs dépassements illégaux. Policier, il avait perdu son emploi. Interdiction de conduire de trois (3) ans.

R. c. Marco Bérard C.S. 705-01-007362-967, 31 octobre 1997 :

L'accusé nargué par un autre conducteur se lance dans un chassé-croisé à haute vitesse. Il a heurté une dame de 60 ans à bicyclette causant son décès. Âgé de 24 ans, sans antécédents, et détenait un emploi stable. Il ne représentait pas de danger pour la société et ses remords étaient sincères. Son dossier conducteur faisait état de trois (3) condamnations au Code de la Sécurité routière dont deux (2) de vitesses et une (1) autre postérieurement aux événements. Le juge considérant les remords timides et tardifs joints à son dossier conducteur, impose une sentence de deux (2) ans. Interdiction de conduire de cinq (5) ans.

R. c. Proulx, [2000] 1 R.C.S. 61 :

La Cour suprême, tout en acceptant qu'un emprisonnement avec sursis puisse être octroyé même dans les cas où il y a des circonstances aggravantes, rétablit la peine d'incarcération ferme de 18 mois pour un accusé de 18 ans sans antécédents judiciaires. La conduite dangereuse causant décès et des lésions corporelles était due à l'inexpérience du conducteur, au mauvais état mécanique du véhicule, à une manoeuvre risquée de dépassement et à la faible consommation de 1 ½ à 2 bières. Même si le juge Lamer mentionne qu'il aurait peut-être octroyé un emprisonnement avec sursis, il laisse au juge le soin de décider de l'octroi du sursis, dépendant des besoins spécifiques de la communauté où le délit survient. »

[69]        Après avoir cité ces décisions, elle s'exprime ainsi :

« [21] Appliquant la démarche préconisée dans l'arrêt Proulx, je suis convaincue que l'accusé, s'il purgeait sa peine dans la communauté, ne mettrait pas la sécurité de la collectivité en danger.

[22] Toutefois, une telle sentence rencontrerait-elle les principes énoncés à l'article 718 du Code criminel, en d'autres termes les besoins de dénonciation et de dissuasion sont-ils si pressants que seule l'incarcération ferme s'impose?

[23] Traitant de cette question en relation avec la dissuasion, le juge Lamer, dans l'affaire Proulx mentionne au paragraphe 107:

"Une telle décision dépend en partie de la question de savoir s'il s'agit d'une infraction pour laquelle les conséquences de l'incarcération sont susceptibles d'avoir un effet dissuasif réel, ainsi que des circonstances propres à la collectivité au sein de laquelle l'infraction a été perpétrée."

[24] Il ne faut pas perdre de vue qu'il s'agit d'un crime grave commis au volant d'un véhicule automobile. De ce fait, ce crime est susceptible d'être commis par un grand nombre de personnes, et la Cour suprême semble convaincue des effets dissuasifs d'une peine sévère, comme le mentionne le juge Lamer au paragraphe 129 de l'arrêt Proulx:

"Souvent, ces crimes sont commis par des citoyens qui respectent par ailleurs la loi, qui sont de bons travailleurs et qui ont un conjoint et des enfants. Il est possible de supposer qu'il s'agit là des personnes les plus susceptibles d'être dissuadées par la menace de peines sévères."

[25] La Cour d'appel du Québec sous la plume du juge Robert, avait fait des remarques au même effet4:

"Bien que le législateur n'ait pas exclu l'application de l'emprisonnement avec sursis pour les infractions reliées à la conduite automobile, j'estime qu'il faut pour qu'un sursis soit accordé, que des conditions particulières soient réunies afin que les facteurs personnels compensent le grand besoin de dissuasion générale."

[26] Le souci de dénoncer les comportements inadéquats afin d'assurer la protection et la sécurité de la population sur nos routes canadiennes préoccupe non seulement les tribunaux mais également le législateur et s'est reflété dans ses amendements législatifs. C'est ainsi qu'il a cru bon d'augmenter en 1999 et 2000 les peines pour les crimes impliquant la conduite d'un véhicule automobile. Un délit de fuite causant la mort est dorénavant punissable d'un emprisonnement à perpétuité. Déjà en 1995, on était passé de deux (2) à cinq (5) ans. Les peines pour la conduite avec facultés affaiblies ont été augmentées, celles causant la mort sont dorénavant punissables de l'emprisonnement à perpétuité. Les amendes ont été augmentées de même que les durées des périodes d'interdiction de conduire. Les peines pour conduite pendant les périodes d'interdictions sont passées de deux (2) à cinq (5) ans.

[…]

[30] Les décisions des tribunaux doivent refléter cette préoccupation et faire en sorte que d'autres personnes ne soient pas tentées de commettre les mêmes délits. Ce message doit être d'autant plus clair, particulièrement pour les jeunes conducteurs pour qui l'attrait des voitures et leurs performances sont souvent irrésistibles. L'on ne peut associer ces incidents à un malheureux accident d'automobile. »

[70]        R. c. Leblanc [10] :

Dans cette affaire, l'accusé est déclaré coupable de conduite dangereuse causant la mort d'un homme de 39 ans, père de deux garçons âgés de 6 et 10 ans.

[71]        Avant ce triste événement, monsieur Leblanc avait perdu son permis de conduire à quatre reprises sur une période de 10 ans pour accumulation de points de démérite. De plus, au moment de la tragédie, son permis avait été révoqué.

[72]        L'accusé et une autre conductrice engagent une course sur une distance de sept kilomètres. Pendant celle-ci, il y a des dépassements, vitesses excessives et le conducteur perd le contrôle de son véhicule, traverse le terre-plein de l'autoroute 35 pour heurter de plein fouet le véhicule conduit par la victime. Le décès de cette dernière apporte un effet dévastateur sur ses deux enfants et son épouse.

[73]        L'accusé est sans antécédents judiciaires, regrette son geste et a subi un traumatisme crânien de sorte qu'il souffre d'amnésie rétrograde.

[74]        Suite à son plaidoyer de culpabilité, il perd son emploi d'agent au Service correctionnel et veut se réorienter à titre de travailleur social. L'agent de probation qui a rédigé l'évaluation conclut que le risque de récidive est faible.

[75]        Le Tribunal reprend les propos de l'honorable juge Doyon dans l'arrêt R. c. Roy [2010] QCCA 16 (CanLII) :

« [69] Dans un jugement du 12 janvier 20109, la Cour d’appel du Québec a discuté de l’impact des facteurs atténuants dans l’imposition de la peine. Dans cette affaire de tentative de meurtre, le juge de 1re instance avait infligé la peine maximale malgré la présence de facteurs atténuants.

[70] Comme l’écrit le juge Doyon, de ne pas retenir les facteurs atténuants et conclure qu’ils n’atténuent aucunement la gravité des gestes fait en sorte que l’on punit uniquement le crime10.

[71] Le juge ajoute11 :

« Il est vrai que les facteurs atténuants ne peuvent atténuer l’importance et la gravité des gestes posés. Ce qui est fait est fait. Mais là n’est pas la question. Il faut plutôt se demander s’ils peuvent atténuer la peine. »

[72] Il faut en conclure que s’il est vrai que la présence de facteurs atténuants peut atténuer la peine, ces mêmes facteurs ne pourront non plus atténuer l’importance et la gravité des gestes posés. »

[76]        Avant d'imposer la peine de trois ans de pénitencier, monsieur le juge Marleau écrit :

« [75] Par contre, à la lueur des arrêts Ferland, Brutus et Busque, une telle peine ne tiendrait pas compte de la dénonciation et dissuasion souhaitable pour ce type d’infractions. La jurisprudence récente n’appuie pas la proposition de la défense qu’une peine inférieure à deux ans soit imposée ni qu’elle le soit dans la communauté si telle devait être le cas. L’individualisation de la peine ne peut mener à occulter les autres facteurs et objectifs prévus à 718 et suivants.

[76] De toute façon, une peine inférieure à deux ans ne serait pas de nature dénonciatrice ou dissuasive dans les circonstances.

[77] Les tribunaux ont le pouvoir et le devoir de dénoncer ce type de crime. Ils ne doivent pas non plus abdiquer cette responsabilité aux motifs que le mal est fait, que rien ne ramènera la victime en vie ou encore que ce type de crime soit récurrent et que la peine n’y changera rien13.

[78] C’est donc en pondérant l’ensemble de ces facteurs et objectifs que la peine doit être infligée.

__________________________                                                                                   13 Voir à cet effet R. v. Song 2009 ONCA 896, décision du 16 décembre 2009 où la Cour d’appel d’Ontario dénonçait une peine clémente imposée en 1ère instance en matière de plantation de cannabis. Le juge avait énoncé entre autres motifs qu’imposer une peine sévère ne semblait pas dissuasif et n’empêchait en rien que d’autres plantations voient le jour. »

RÉSUMÉ DE LA JURISPRUDENCE SOUMISE PAR LA DÉFENSE

[77]        Parent c. R. [11] :

L'appelant est déclaré coupable de conduite dangereuse causant la mort d'une personne. Il était un routier expérimenté, mais la route où s'est produit l'événement était en construction. Par contre, il conduisait à une vitesse non raisonnable compte tenu des circonstances.

[78]        Suite à l'accident, l'appelant souffre de séquelles permanentes et a dû déclarer faillite.

[79]        Lors du prononcé de la peine, le dossier de conducteur auprès de la SAAQ était vierge et il vivait du remords.

[80]        La Cour d'appel substitue à une peine de 15 mois d'emprisonnement, une peine d'une durée d'une année avec sursis.

[81]        R. c. Gravelle [12] :

Gravelle avait plaidé coupable aux chefs suivants :

« 2. Le ou vers le 22 août 1999, à Rapide-Sept, district de Rouyn-Noranda, ayant eu la garde, la charge ou le contrôle d'un véhicule moteur, soit un Pick-Up Chevrolet 1996 impliqué dans un accident avec une personne, soit Ruby-Ann Poucachiche, a, dans l'intention d'échapper à toute responsabilité civile ou criminelle, omis d'arrêter son véhicule et Ruby- Ann Poucachiche ayant été blessé(e) ou semblant avoir besoin d'aide, de donner ses nom et adresse, commettant ainsi l'acte criminel prévu à l'article 252(1.3) du Code criminel.

3. Le ou vers le 22 août 1999, à Lac Fouillac, district d'Abitibi et à Rapide- Sept, district de Rouyn-Noranda, a conduit un véhicule à moteur, alors qu'il avait consommé une quantité d'alcool telle que son alcoolémie dépassait 80 milligrammes d'alcool par 100 millilitres de sang, commettant ainsi l'acte criminel prévu aux articles 253b) et 255(1) du Code criminel. »

[82]        Une peine de deux ans moins un jour à être purgée dans la communauté est imposée par le juge d'instance ainsi qu'une ordonnance d'interdiction de conduire pour une durée de deux ans.

[83]        La Cour d'appel reprend le résumé des faits énoncé par le premier juge :

« Les événements commencent au chalet de monsieur Aurel Polson où des personnes sont rassemblées près d'un feu et consomment des boissons alcooliques. Marc DeCayser dit «Chico» possède un chalet qu'il est à démolir. À un moment donné, vers environ 23h00, il emprunte le camion de l'accusé pour aller chercher du bois. Il place 2 billots sur la plate-forme arrière du camion, lesquels excèdent d'environ 81 centimètres de chaque côté. Au retour, en reculant dans l'entrée, il frappe un autre véhicule automobile. Aurel Polson, conjoint de la victime (Ruby-Ann Poucachiche) discute avec «Chico» et s'ensuit une altercation. «Chico» saigne du nez, son gilet est brisé. L'accusé s'interpose et retient Aurel Polson. Par la suite, l'accusé monte dans son camion pour se diriger vers le chemin principal en gravelle. Au même moment, des personnes dont, notamment, Aurel Polson et Ruby-Ann Poucachiche (victime) s'amènent près du camion. Alors, l'accusé s'empresse d'inviter «Chico» à monter. À ce sujet, l'accusé dira: «J'avais été pour aider mon chum Chico qui était à se faire battre et Chico a dit: clanche, ce que j'ai fait, j'ai pas vu personne». Au départ du camion, Ruby-Ann Poucachiche aurait été frappée au dos par la partie des billots qui excède la plate-forme pour être projetée, ventre contre terre, sur la route. Elle porte des vêtements foncés. Quelques secondes plus tard, l'accusé fait demi-tour et au même moment une personne se dirige au centre de la route et fait signe à l'accusé d'arrêter. Considérant la situation, il continue sa route, la personne est obligée de se déplacer. Immédiatement derrière elle se trouve la victime étendue sur la chaussée. La ou les roues du camion écrase(nt) la partie supérieure du dos, le cou, et la tête. Le décès est instantané. Après avoir perdu les billots, l'accusé ne s'arrête pas. Toutefois, immédiatement après l'impact, ils réalisent qu'ils ont passé sur le corps de la cousine de «Chico».

Environ 1/2 heure plus tard, soit vers 00:36, ils sont interceptés par la caporale Rachel Caron et l'agent Steeve Tremblay de la Sûreté du Québec.

Selon la version de l'accusé, il ne serait pas resté sur les lieux parce que «Chico» s'était fait battre. De plus, après l'impact et avant l'interception par les policiers, ils ont consommé de la bière dans le camion. Ces faits ne sont pas contredits. D'autre part, le résultat des prélèvements biologiques effectués sur la victime (SD-2) indique, selon le sang fémoral, un taux d'alcoolémie de 295 milligrammes par 100 millilitres de sang et selon le sang cardiaque, de 274 milligrammes par 100 millilitres de sang. »

[84]        Un facteur aggravant à ce dossier se doit d'être souligné, car l'accusé possède trois condamnations pour conduite avec les capacités affaiblies dont la dernière remonte au 3 décembre 1997.

[85]        En pages 9 et 10, l'honorable France Thibault, s'exprime ainsi :

« [40] L'appelante cherche appui sur le dernier critère qui concerne l'objectif et les principes phénologiques de la peine. Plus précisément, elle plaide que les amendements apportés au Code criminel pour augmenter la gravité objective du crime de délit de fuite, en portant la peine maximale à perpétuité de même que les facteurs de dénonciation et de dissuasion, militent en faveur d'une peine d'emprisonnement ferme.

[41] À mon avis, la position de l'appelante est mal fondée compte tenu des circonstances particulières du dossier. D'abord, je rappelle que l'infraction, malgré sa gravité objective, n'est pas exclue de la mesure d'emprisonnement avec sursis. Comme la Cour suprême nous y invite dans Proulx, lorsque les critères énoncés dans l'article 742.1 C.cr. sont réunis, la mesure d'emprisonnement avec sursis doit être sérieusement envisagée. La Cour suprême émet une réserve à ce principe lorsque le besoin de dénonciation et de dissuasion est si important que l'incarcération devient la seule mesure appropriée pour marquer la réprobation de la société.

[42] Nous ne sommes pas en présence d'un tel cas. L'accident survenu ne résulte pas d'une conduite dangereuse ni d'une conduite avec les facultés affaiblies, mais bien d'un malheureux accident.

[43] C'est cet accident qui a causé la mort de la victime; le décès n'est d'aucune façon le résultat du fait que l'intimé ait omis d'arrêter son véhicule. À cet égard, je note que le fait pour l'intimé d'avoir quitté les lieux n'a eu aucune incidence quant aux souffrances et à la survie de la victime. L'intimé a poursuivi sa route parce qu'il se sentait menacé et non pas pour dissimuler son état.

[44] Devrait-on exclure automatiquement la mesure d'emprisonnement avec sursis lorsque l'accusé est reconnu coupable, pour une troisième fois, d'une infraction pour laquelle le législateur a prescrit, en cas de récidive et sujet à un avis de récidive, une période d'emprisonnement minimale?13

[45] Je ne le pense pas. Il faut reconnaître que la conduite avec facultés affaiblies constitue une infraction sérieuse, voire une menace pour la vie et la santé des citoyens de notre pays. De façon à punir les contrevenants et à dissuader les récidivistes, le législateur a prévu une amende substantielle dans le cas d'une première condamnation et des peines minimales d'emprisonnement en cas de récidive.                                                                                             ____________________________    

12 [1997] R.J.Q. 410 (C.A.), 418.                                                                                                                                   13 Voir, à titre d'exemple, les articles 92 et 203 C.cr. »

[86]        R. c. Ward Jason[13] :

Six amis décident de participer à une fête dans un bar dans les Laurentides et tous consomment de l'alcool. L'accusé est choisi comme conducteur étant jugé le plus apte à conduire.

[87]        Les deux autres copains circulent dans un autre véhicule et les deux conducteurs s'amusent à se dépasser à une vitesse de 200 km/h sur l'autoroute 15.

[88]        Ward est titulaire d'un permis probatoire et perd le contrôle du véhicule. Un des passagers est éjecté du véhicule et décède immédiatement.

[89]        L'accusé vit des remords, car la victime était un compagnon de travail. Son employeur le décrit comme très responsable et soucieux.

[90]        Une peine d'incarcération de 18 mois avec sursis est imposée.

[91]        R. c. Corbin[14] :

L'accusé plaide coupable d'avoir conduit dangereusement et causé la mort d'une personne et blessé une autre.  Circulant sur une route provinciale, le conducteur, suivant un camion, perd patience, double un véhicule dans une courbe prononcée et perd le contrôle de celui-ci.

[92]        Le de cujus et la personne décédée étaient des amis de l'accusé. Deschênes est blessé à un genou et doit se soumettre à plusieurs séances de physiothérapie.

[93]        L'accusé regrette amèrement son geste, est inscrit dans une spécialité après avoir obtenu son diplôme en études professionnelles, âgé de 21 ans et sans antécédents judiciaires.

[94]        De plus, le tribunal prend en considération que le drame ne résulte pas de la consommation d'alcool, qu'il a respecté ses conditions de remise en liberté et a de sérieux projets d'avenir.

[95]        Une peine de deux ans moins un jour de détention à être purgée dans la communauté est imposée et un interdit de conduire pour une période de 12 mois.

[96]        R. c. Tessier [15] :

L'accusé a plaidé coupable d'avoir conduit de façon dangereuse et par ce fait, causé la mort de deux personnes. Ce dernier circule à haute vitesse dans une courbe en circulant sur la voie de gauche et heurte une motocyclette. Le conducteur de celle-ci et le passager dans le véhicule décèdent.

[97]        Aux paragraphes 17 et 18, mon collègue écrit :

« [17] La mère de l'accusé a témoigné pour déclarer au tribunal que son fils était un «bon garçon» sans problème, qu'il avait manifesté des regrets importants et qu'il avait des remords eu égard aux circonstances de toute cette affaire qui a entraîné la mort de deux personnes, dont son ami, avec qui il partageait ses moments de loisir et qui est décédé dans l'accident.

[18] Les parents des victimes qui ont produit des déclarations et ont exprimé leurs douleurs et leur souffrance ne réclament pas vengeance, mais une juste et équitable peine qui suscite chez l'accusé la conscience de ses responsabilités et la reconnaissance des torts causés aux victimes et à la collectivité. »

[98]        Une peine de 18 mois d'emprisonnement à être purgée dans la collectivité est imposée et motivée ainsi :

« [28] Aucune infraction n'est exclue de l'application du régime d'octroi du sursis à l'emprisonnement à l'exception de celle pour laquelle une peine minimale d'emprisonnement est prévue, ce qui n'est pas le cas dans le présent dossier.

[29] Pour appliquer une telle sentence, la Cour doit s'assurer que le fait que le délinquant purge sa peine au sein de la collectivité ne met pas en danger la sécurité de celle-ci.

[30] L'examen de l'abondante jurisprudence qui a été déposée au dossier permet de conclure qu'il faut tenir compte de la situation propre à chaque délinquant et aux circonstances particulières de l'infraction.

[31] La Cour estime que l'imposition d'une peine d'emprisonnement et nécessaire pour marquer la désapprobation sociale de la conduite de l'accusé.

[32] Dans le présent cas, l'emprisonnement avec sursis peut avoir un effet dénonciateur et dissuasif appréciable dans la communauté où vit l'accusé. »

[99]        R. c. Duclos[16] :

L'accusé a plaidé coupable à trois chefs d'accusation de conduite d'un véhicule à moteur de façon dangereuse et avoir causé la mort de sa copine et des deux autres passagers.

[100]     Il franchit une intersection alors que le feu de circulation est rouge et heurte de plein fouet un véhicule. La convalescence des deux passagers s'étend sur plusieurs mois.

[101]     L'accusé avait la réputation de conduire à des vitesses excessives et avait reçu dans le passé des constats d'infraction à cet égard.

[102]     Une peine de deux ans mois un jour avec sursis est imposée et en voici la motivation :

« [13] Le rapport présentenciel indique que l’accusé court peu de risque de récidive. Sans se souvenir des événements, il comprend par leurs conséquences, la gravité des gestes qu’il a posés.

[14] Il demeure que ce crime doit être dénoncé et que l’exemplarité de la sentence devrait servir à prévenir la commission d’actes criminels en matière de conduite automobile. Il est à souhaiter que la publicité qui entoure le présent dossier, incite les jeunes conducteurs à suivre le Code de la route avec assiduité. »

 

[103]     R. c. Brouillette[17] :

Suivant un procès devant jury, l'accusé est déclaré coupable d'avoir conduit dangereusement et causé la mort d'une personne. L'accusé ayant atteint ses 18 ans peu de temps auparavant, quitte un bar pour se rendre à l'appartement d'un ami. En quittant le stationnement, il se dit : « On verra qui va arriver le premier ».

[104]     En direction de cette adresse, l'accusé heurte la chaîne de trottoir, perd le contrôle du véhicule et percute un pilier de point alors que la route était réduite à une seule voie au lieu de deux. Le copain de l'accusé, passager, perd la vie.

[105]     Le rapport présentenciel est positif et des témoins démontrent au tribunal que l'accusé poursuit sérieusement ses études en comptabilité à l'université et est sur le point d'être diplômé en « management ».

[106]     Le juge d'instance explique ainsi le pourquoi qu'il  accorde une peine de six mois à être purgée dans la communauté :

« [31] La Cour suprême du Canada dans l'arrêt R. c. Proulx1 nous rappelle que le prononcé d'une ordonnance d'emprisonnement avec sursis est conforme à l'objectif et aux principes de la détermination de la peine visés aux articles 718 à 718.2 du Code criminel.

[32] Cet arrêt nous enseigne que dans tous les cas où les préalables prévus à l'article 742.1 sont réunis, le tribunal doit envisager sérieusement la possibilité de prononcer l'emprisonnement avec sursis en se demandant si pareille sanction est conforme à l'objectif et aux principes de la détermination de la peine.

[33] En effet, l'emprisonnement avec sursis peut avoir un effet dénonciateur et dissuasif appréciable.

[34] Aussi, dans chaque affaire, il faut tenir compte de la situation propre à chaque délinquant ainsi que les circonstances particulières de l'infraction.

[35] Enfin, la Cour suprême précise que l'emprisonnement avec sursis peut aussi favoriser l'atteinte de l'objectif de réparation des torts causés à la victime et à la collectivité, et de l'objectif de prise de conscience par les délinquants de leur responsabilité.

[36] La Cour considère qu'il serait difficile dans la présente affaire de voir qu'une incarcération dans une prison serait utile pour l'accusé et la société en général. »

[107]     R. c. Therrien[18] :

L'accusé s'est reconnu coupable d'avoir, par négligence, causé la mort de deux personnes et avoir causé des lésions corporelles à quatre individus. Le contrevenant était détenteur d'un permis d'apprenti conducteur et n'était pas accompagné d'une personne titulaire d'un permis de conduire régulier.

[108]     De plus, avant l'événement, un mécanicien avait informé l'accusé qu'il ne devait pas prendre la route vu l'état mécanique du véhicule, car il risquait de se tuer.

[109]     Même si la vitesse et l'alcool ne sont pas en cause, à cause de l'état mécanique du véhicule, le conducteur en perd le contrôle et heurte un véhicule venant en sens inverse.

[110]     Les deux adolescentes décédées étaient passagères dans le véhicule conduit par l'accusé.

[111]     Au moment du drame, l'accusé est âgé de 18 ans, le rapport rédigé par l'agent de probation confirme les remords de l'accusé, le crime commis est le fruit de l'immaturité de l'accusé.

[112]     Une peine de détention de deux ans moins un jour est imposée et il est pertinent de citer ces propos de la juge d'instance :

« [48] Les crimes auxquels l'accusé a plaidé coupable sont passibles d'une peine d'emprisonnement à perpétuité et tous conviennent que l'emprisonnement s'impose. La question que le Tribunal doit trancher consiste à en déterminer la durée et la façon dont elle doit être purgée.

[49] Les objectifs de détermination de la peine codifiés à l'article 718 du Code criminel, plus particulièrement ceux de dénonciation et de dissuasion, peuvent-ils être respectés par l'imposition d'une peine d'emprisonnement à être purgée dans la collectivité?

[50] Au niveau des principes, une réponse affirmative s'impose.

[51] En effet, dans R. c. Proulx2 la Cour suprême du Canada reconnaissait qu'une peine d'emprisonnement avec sursis pouvait, dans la réalité, s'avérer une peine plus sévère qu'une peine d'emprisonnement ferme et, par voie de conséquence, pouvait rencontrer ces objectifs de détermination de la peine.

[52] Force est de constater que, plusieurs années après l'adoption par le législateur des dispositions concernant l'emprisonnement avec sursis, cette mesure est encore perçue par bien des citoyens comme une peine trop clémente, sinon inadéquate.

[53] Pourtant, dans les faits, une peine d'emprisonnement avec sursis peut être plus sévère qu'une peine d'incarcération. Comme le souligne la Cour suprême du Canada dans Proulx :

« L’emprisonnement avec sursis peut s’avérer une peine aussi sévère, voire plus sévère que l’emprisonnement comme tel, particulièrement dans les cas où le délinquant est tenu d’assumer la responsabilité de ses actes et de réparer les torts qu’il a causés à la victime et à la collectivité, tout en vivant au sein de celle-ci et en étant assujetti à des mesures de contrôle serrées.

En outre, l’emprisonnement avec sursis n’ouvre droit à aucune réduction de peine par voie de libération conditionnelle3. »

[54] Tenant compte de ce qui précède et du fait qu’une peine d’emprisonnement avec sursis peut être plus longue qu’une peine d’emprisonnement ferme, force est de reconnaître qu’une telle peine, assortie de conditions restrictives de liberté, peut envoyer un message clair de dénonciation et de dissuasion. »

[113]     R. c. Courtemanche-Brisebois[19] :

Cette conductrice a plaidé coupable à ces deux infractions :

« Le ou vers le 31 octobre 2003, à Saint-Hyacinthe, district de Saint-Hyacinthe, ayant eu la garde, la charge ou le contrôle d'un véhicule automobile impliqué dans un accident avec Valérie Pratte ayant causé la mort de Valérie Pratte et sachant qu'elle était morte ou ne se souciant pas que la mort résulterait des lésions corporelles qu'elle savait lui avoir été causées, a omis, dans l'intention d'échapper à toute responsabilité civile ou criminelle, de s'arrêter, de donner ses nom et adresse et Valérie Pratte semblant avoir besoin ou ayant besoin d'aide, n'a pas offert d'aide, commettant ainsi l'acte criminel prévu à l'article 252(1.3) du Code criminel. »

«Le ou vers le 31 octobre 2003, à Saint-Hyacinthe et St-Liboire, district de Saint-Hyacinthe et à Granby, district de Bedford a volontairement tenté d'entraver, de détourner ou de contrecarrer le cours de la justice, en cachant un véhicule impliqué dans un accident, commettant ainsi l'acte criminel prévu à l'article 139(2) du Code criminel. »

[114]     Durant la soirée, l'accusée consomme divers types d'alcool ainsi qu'une ligne de cocaïne.  Vers deux heures du matin, cette dernière quitte le bar frustrée, fâchée et fortement intoxiquée avec le véhicule de son conjoint. Circulant sur la voie publique, elle dévie de sa trajectoire, monte sur la chaîne de trottoir et frappe une dame. Elle poursuit son chemin sans s'arrêter et le lendemain son conjoint décide de cacher le véhicule dans un garage, et ce, à la connaissance de cette dernière.

[115]     Le juge d'instance décrit ainsi l'accusée :

« [57] La défense fait ensuite entendre comme témoin madame Jacqueline Lafrenière qui est la belle-mère de l'accusée et la connaît depuis que cette dernière a 10 ans.

[58] Depuis les événements, l'accusée s'est reprise en main et a respecté toutes les conditions qui lui avaient été imposées par les Tribunaux. Elle a repris son fils en main. Elle ne se donne pas le droit d'être heureuse et se trouve en mode survie pour son fils.

[59] Les démarches qu'elle a entreprises auprès de psychologues et psychiatres ont été bénéfiques et ses attitudes ont complètement changé.

[60] Elle n'est plus la même personne depuis l'accident.

[61] Elle s'est fait un nouveau cercle d'amis dans la région de Victoriaville où elle a dû déménager.

[62] Elle sera en prison toute sa vie dans sa tête. Depuis les événements tragiques elle fait face à ses responsabilités et paie les conséquences de ses gestes.

[63] Elle est soutenue et épaulée par son entourage familial et a beaucoup cheminé et vieilli.

[64] Pour ce témoin, l'accusée mériterait une deuxième chance pour elle et son jeune fils Samuel dont elle a la garde, qui a cinq ans et vient d'entrer à la maternelle.

[65] Elle est personnellement convaincue de la sincérité de l'accusée dans sa lettre de regrets et d'excuses S-7 à l'attention des proches de la victime, lettre qui aurait été écrite le ou vers le 19 avril 2006 au moment de son plaidoyer de culpabilité.

[66] Le 28 septembre 2006, l'accusée se fait entendre sur sentence.

[67] En pleurs, elle verbalise à nouveau sa honte et ses regrets pour les événements passés.

[68] Comme elle se dit incapable de se pardonner elle n'attend pas le pardon des proches de la victime.

[69] Depuis les événements, elle a fait plusieurs dépressions, a consulté une psychologue et est actuellement en attente d'aide psychologique du CLSC.

[70] Entourée par sa famille, elle prend toutes ses responsabilités.

[71] Elle souhaiterait faire des conférences pour expliquer aux jeunes que dès qu'ils entendent un petit bruit au volant de leur véhicule automobile, il est important qu'ils s'arrêtent.

[72] Elle souhaite leurs faire connaître et comprendre toutes les conséquences et douleurs que des gestes comme les siens peuvent apporter aux victimes, leurs proches et à celui qui n'arrête pas son véhicule en pareilles circonstances et surtout le fait que ce n'est pas facile de vivre avec ces gestes là sur la conscience.

[73] Les jeunes devraient être plus sensibilisés à ces conséquences. »

[116]     Quant à l'agente de probation, elle confirme que la délinquante affiche un bon degré de conscientisation sur la gravité objective et subjective de ses gestes. 

[117]     Soulignons qu'avant le prononcé de la peine, l'accusée était détenue depuis 106 jours.

[118]     Le Tribunal doit citer certains paragraphes du prononcé de cette peine qu'il estime pertinents :

« [127] Par ailleurs lors de l'imposition de cette peine, même si plusieurs circonstances peuvent être qualifiées de choquantes, l'on se doit de mettre de côté les émotions et se rabattre sur le raisonnement juridique sans que l'on puisse y retrouver un ton de vengeance.

[…]

[136] Suite à son analyse de la jurisprudence, l'honorable juge Grenier concluait ainsi :

«la jurisprudence citée de part et d'autre comporte très peu de peines de pénitencier, que ce soit pour des conduites dangereuses ou des facultés affaiblies causant la mort, ou encore des délits de fuite s'accompagnant de décès. Les quelques sentences de deux ans d'emprisonnement ou plus se rapportent à des dossiers où l'alcool était en jeu et où l'accusé avait plusieurs antécédents judiciaires. »

[137] Dans cette affaire où l'accusé Steiner fut condamné à une peine d'emprisonnement ferme de deux ans moins un jour, on y relevait entre autres les facteurs aggravants suivants :

- Le décès de «2» victimes dans la fleur de l'âge.

- Un antécédent judiciaire de conduite avec facultés affaiblies

- Le fait qu'au moment de la perpétration des infractions, il attendait son procès pour une autre infraction reliée à la conduite automobile, soit le refus de subir le test de dépisteur routier

- La violation de conditions de remise en liberté

- La dissimulation par l'accusé de son véhicule

- Le fait qu'il ait dit avoir tué deux jeunes filles, mais que tout était O.K. parce qu'il avait un bon avocat.

[138] Il appert donc que dans cette affaire, à cause de l'ampleur des facteurs aggravants, seule une peine d'emprisonnement à être purgée en cellule s'imposait afin d'assurer la réprobation, la dénonciation et la dissuasion générale à l'égard d'un tel comportement démontrant un important degré de turpitude morale.

[139] Bien que chaque cas demeure un cas d'espèce, il faut savoir distinguer les cas où le poids des circonstances aggravantes milite en faveur d'une peine d'emprisonnement ferme de ceux ou l'ampleur des circonstances atténuantes militent plutôt en faveur d'une peine d'emprisonnement dans la collectivité. »

[119]     Le Tribunal désirait insister sur les paragraphes 138 et 139 avec lesquels il est complètement en accord.

[120]     En page 18, monsieur le juge Marier, énumère les nombreuses circonstances atténuantes :

« - Jeune âge de 18 ans et 10 mois de l'accusée au moment des événements.

- Impliquée dans un accident tragique de type circonstanciel et unique.

- Absence d'antécédent judiciaire et aucune accusation depuis.

- Absence de point de démérite à son dossier de conductrice de véhicule automobile.

- Absence de preuve de vitesse, de manoeuvre téméraire, de conduite dangereuse, négligente ou désordonnée au volant du véhicule.

- Caractère accidentel et non prémédité de l'impact entre le véhicule qu'elle conduisait et la victime.

- Son plaidoyer de culpabilité après avoir donné une déclaration incriminante aux policiers le jour même de son arrestation.

- Les remords et les regrets sincèrement exprimés à l'égard de la victime et ses proches.

- Sa compassion et son empathie envers les victimes.

- Sa détention préventive de 53 jours entre le 31 octobre et le 23 décembre 2003.

- Le respect intégral de toutes les conditions privatives de sa liberté depuis près de trois ans dont l'interdiction complète de conduire un véhicule automobile depuis le 4 mars 2004 soit depuis plus de deux ans et demi.

- La reconnaissance de ses torts et de ceux causés aux victimes et à la collectivité.

- Son désir de réparation et de s'impliquer dans des conférences de prévention particulièrement auprès des jeunes conducteurs de véhicules.

- Le fait qu'elle occupe un emploi stable, qu'elle est une bonne travailleuse appréciée de ses employeurs et des collègues de travail.

- Le fait qu'elle a su se reprendre en main, qu'elle ne constitue aucun danger pour la société, ne présente aucun risque de récidive et possède un bon potentiel de réinsertion sociale.

- Le fait que les événements pour lesquels elle fut déclarée coupable remontent à près de trois ans.

- Qu'elle a la charge et prend soin de son jeune fils Samuel âgé de cinq ans.

- Le milieu familial dysfonctionnel dans lequel l'accusée a évolué dans son enfance.

- L'important support de ses proches, de son nouveau conjoint et de sa belle-famille qui l'entourent.

- L'importante couverture médiatique dont elle fut l'objet.

- Son déménagement suite aux pressions sociales.

- Le fait qu'elle soit toujours en dépression majeure et très perturbée par les événements selon le rapport psychiatrique S-11 du docteur Pierre Gagné qui indique chez elle une anxiété de situation post délictuelle nettement supérieure à la moyenne et surtout une culpabilité nettement plus grande que celle à laquelle on pourrait s'attendre.

- Elle a déjà commencé à payer une partie de sa peine en vivant difficilement avec toutes les conséquences de son comportement du 31 octobre 2003. »

[121]     Aux paragraphes 156 et suivants, il écrit :

« [156] Dans le présent dossier les critères prévus pour le prononcé d'une ordonnance d'emprisonnement avec sursis existent.

[157] Il ne s'agit pas d'un cas où l'incarcération à l'intérieur des murs d'une prison soit la seule peine convenable ou adéquate pour exprimer la réprobation et pour décourager des comportements analogues futurs.

[158] Comme dans la présente affaire l'ampleur des circonstances atténuantes l'emporte sur les circonstances aggravantes, le critère de dissuasion sera satisfait par une combinaison d'éléments correctifs et punitifs : ainsi l'emprisonnement avec sursis sera plus approprié que l'incarcération.

[159] L'accusée échappera à l'incarcération à l'intérieur des murs d'une prison mais non au châtiment. »

[122]     En conséquence, l'accusée fut condamnée à une peine de 21 mois d'emprisonnement avec sursis, assortie d'une ordonnance de probation et d'une interdiction de conduire pour la période de trois ans.

[123]     R. c. Paquette[20] :

Après avoir consommé du vin (219 mg), l'accusée se dirige vers son domicile aux alentours de 22 heures. Alors qu'elle suit un camion remorque, le conducteur de celui-ci ralentit pour tourner et la conductrice engage une manœuvre de dépassement malgré que la ligne jaune est continue.  Elle heurte de plein fouet un scooter venant en sens inverse.

[124]     La conductrice de celui-ci subit des blessures très majeures et a dû réapprendre à marcher, à parler et ne pourra devenir comptable agréée. Sa passagère séjournera un mois à l'hôpital et a dû elle aussi réapprendre à marcher.

[125]     La victime la plus blessée, lors de son témoignage, précise qu'elle a pardonné à la conductrice et ce pardon est influencé aussi par la conduite de sa mère.

[126]     L'accusée ne possédait aucun antécédent judiciaire, vivait du remords et le rapport rédigé par l'agent de probation est favorable.

[127]     Le Tribunal juge pertinent de citer certains passages de cette décision :

« [49] Névralgique dans le cadre du processus de détermination de la peine, puisqu'elle constitue l'incarnation du principe de l'individualisation de la peine, cette appréciation requiert de mettre l'accent sur l'individu à sentencer plutôt que sur les crimes à sanctionner. Car, il ne faut jamais l'oublier, ce sont d'abord et avant tout à des personnes qu'il faut infliger des sanctions justes, pour paraphraser l'article 718 du Code criminel : or, pour que la peine soit adéquate et qu'elle convienne à un délinquant comme s'il s'agissait d'un gant, selon l'expression consacrée, il est impératif que soient pris en considération les différents facteurs qui tiennent compte de sa situation personnelle. »

[128]     De plus, mon collègue y cite certaines décisions :

« [64] D'abord, dans l'arrêt Paré c. R., [1999] R.J.Q. 85 (C.A.), la Cour d'appel a confirmé une peine de 14 mois d'emprisonnement ferme imposée à un homme sans antécédent judiciaire déclaré coupable de quatre chefs de conduite dangereuse ayant causé des lésions corporelles; l'accusé n'avait exprimé aucun remords ni aucune empathie envers les victimes et, quelques mois après les faits, il avait été accusé et déclaré coupable de conduite avec facultés affaiblies pour des événements survenus postérieurement à la commission des premières infractions.

[65] La juge Deschamps, qui y siégeait alors, énonçait l'état du droit sur la question dans les termes suivants, à la page 87:

«Nul n'est besoin de citer ici les décisions dans lesquelles les cours dénoncent le fléau que constituent les infractions reliées à la conduite automobile. Le présent cas en est un exemple dramatique. Bien que le législateur n'ait pas exclu l'application de l'emprisonnement avec sursis pour les infractions reliées à la conduite automobile, j'estime qu'il faut, pour qu'un sursis soit accordé, que des conditions particulières soient réunies afin que les facteurs personnels compensent le grand besoin de dissuasion générale.

L'appelant n'a justement pas démontré qu'il réunissait ces conditions particulières. La juge de première instance a noté que l'appelant n'exprime ni remords, ni empathie avec les victimes. De plus, le terrible accident n'a pas eu d'impact immédiat puisqu'il a, quelques mois après les faits qui lui sont reprochés, été accusé de conduite avec facultés affaiblies et sa culpabilité a été reconnue.» [soulignements ajoutés]

[66] Ces commentaires sont par ailleurs complétés par les observations suivantes du juge Robert, avant qu'il ne devienne juge en chef, à la page 88:

«Dans les cas de conduite dangereuse causant des lésions corporelles, les facteurs de dissuasion générale et de dénonciation demeurent des considérations primordiales. Une peine à être purgée dans la communauté ne sera appropriée que lorsque l'ensemble des facteurs atténuants aura un poids tel qu'il favorisera nettement la réhabilitation du prévenu comme c'était le cas dans un arrêt contemporain Scraire c. R., [1999] R.J.Q. 89 (C.A.).» [soulignements ajoutés]

[67] Puis, dans l'arrêt R. c. Proulx, antérieurement cité, c'était au tour de la Cour suprême du Canada de préciser le corridor d'appréciation à l'intérieur duquel se devait d'évoluer le juge appelé à imposer une peine à un délinquant coupable de conduite dangereuse ayant causé la mort ou des lésions corporelles. Dans ce jugement rendu le 31 janvier 2000 et qui constitue l'arrêt de principe en matière d'emprisonnement avec sursis, la Cour suprême était en effet saisie du cas d'un jeune homme qui, s'étant reconnu coupable d'un chef de conduite dangereuse ayant causé la mort et d'un chef de conduite dangereuse ayant causé des lésions corporelles, avait été impliqué dans une collision frontale avec un autre véhicule après avoir, pendant une période de 10 à 20 minutes, «conduit de manière erratique, zigzaguant, talonnant les véhicules qui le précédaient et tentant de dépasser sans actionner son clignotant, et ce malgré la chaussée glissante et le flot constant de véhicules venant en sens inverse» (au par. 3). Le juge qui a initialement déterminé la peine l'avait condamné à une période de détention ferme de 18 mois sur chaque chef, à être purgés concurremment, mais la Cour d'appel du Manitoba avait accueilli l'appel et substitué l'emprisonnement avec sursis à cette peine d'incarcération.

[68] Or, le juge en chef Lamer propose, aux paragraphes 129 et 130, une grille d'analyse susceptible de guider les juges de première instance appelés à configurer des peines en ces matières. Il s'y exprime dans les termes suivants:

«Quoique, en l'occurrence, le juge Keyser semble avoir suivi une démarche rigide en deux étapes distinctes contrairement à l'approche que j'ai exposée, je ne suis pas convaincu qu'une peine de 18 mois d'emprisonnement était manifestement inappropriée pour les infractions en cause et le délinquant concerné. Je souligne que ces infractions étaient très graves et qu'elles ont causé un décès et des lésions corporelles graves. De plus, il est possible que la conduite dangereuse et la conduite avec les facultés affaiblies soient des infractions à l'égard desquelles il est plus plausible que l'infliction de peines sévères ait un effet dissuasif général. Souvent, ces crimes sont commis par des citoyens qui respectent par ailleurs la loi, qui sont de bons travailleurs et qui ont un conjoint et des enfants. Il est possible de supposer qu'il s'agit là des personnes les plus susceptibles d'être dissuadées par la menace de peines sévères: R. c. McVeigh (1985), 22 C.C.C. (3d) 145 (C.A. Ont.), à la p. 150; R. c. Biancofiore (1997), 119 C.C.C. (3d) 344 (C.A. Ont.), aux par. 18 à 24; R. c. Blakely (1998), 40 O.R. (3d) 541 (C.A.), aux pp. 542 et 543.

Je m'empresse toutefois d'ajouter qu'il ne faut pas voir dans ces observations une directive indiquant que l'emprisonnement avec sursis ne peut jamais être prononcé à l'égard d'infractions comme la conduite dangereuse et la conduite avec les facultés affaiblies. En effet, si j'avais présidé ce procès, j'aurais peut-être jugé qu'il s'agissait de la peine appropriée en l'espèce. L'intimé est encore très jeune, il n'avait pas d'antécédents judiciaires et n'a fait l'objet d'aucune déclaration de culpabilité depuis l'accident, il semble avoir réussi sa réinsertion sociale, il veut reprendre ses études, il a beaucoup souffert d'avoir causé la mort d'un ami et il a lui-même été dans le coma pendant quelque temps. Pour répondre adéquatement aux objectifs de dénonciation et de dissuasion générale, j'aurais peut-être imposé des conditions telles que la détention à domicile et rendu une ordonnance de service communautaire intimant au délinquant de parler devant des groupes désignés des conséquences de la conduite dangereuse, comme l'a fait le tribunal dans les affaires Parker, précité, à la p. 239, et R. c. Hollinsky (1995), 103 C.C.C. (3d) 472 (C.A. Ont.).» [soulignements ajoutés]

[69] L'on notera ici, avec grand intérêt, trois facettes des commentaires du juge en chef du Canada qui sont susceptibles de trouver application dans le présent dossier. D'abord si, dans l'affaire Proulx, le juge en chef était ouvert à l'idée d'imposer une peine d'emprisonnement avec sursis à l'égard d'un chef d'accusation de conduite dangereuse ayant causé la mort, encore l'aurait-il vraisemblablement été davantage si l'accusation avait été limitée à celle de conduite dangereuse ayant causé des lésions corporelles. Ensuite si, dans la même affaire, le juge en chef a paru impressionné par l'apparente réussite de la réinsertion sociale de l'accusé, encore l'aurait-il été davantage dans un cas comme celui-ci où, seul soutien de famille pour ses deux enfants, l'accusée maintient un emploi rémunérateur après avoir réussi avec succès une importante opération de recyclage professionnel. Et enfin si, toujours dans l'affaire Proulx, le juge en chef a envisagé d'imposer une assignation à domicile et l'accomplissement de travaux communautaires, il n'aurait vraisemblablement pas été insensible au témoignage de madame Paquette, qui accepte à l'avance de se soumettre à toute condition que pourrait lui imposer le Tribunal, incluant une assignation à domicile et l'exécution de travaux communautaires, notamment par la dispense de cours privés à la victime ou de conférences publiques sur les méfaits de la conduite avec les facultés affaiblies.

[70] Ces précisions étant apportées, il faut encore souligner que la Cour d'appel du Québec a par la suite eu l'occasion de se prononcer de nouveau sur la façon dont doit être abordée l'imposition d'une peine à purger dans la collectivité, en contexte de conduite avec facultés affaiblies ayant causé des lésions corporelles. En effet, dans l'arrêt Boulé c. R., AZ-50082756 , J.E. 2001-417 (C.A.), la Cour a confirmé une peine de six mois d'incarcération imposée à une délinquante déclarée coupable d'un chef de conduite avec facultés affaiblies ayant causé des lésions corporelles, alors que le juge de première instance n'avait «pas cru qu'[elle] était sur la voie de la réhabilitation».

[71] Que retenir de ces enseignements ? Essentiellement que, les objectifs sentenciels de dénonciation et de dissuasion (sur lesquels nous reviendrons ultérieurement) étant prééminents, la détention ferme est la règle, l'emprisonnement avec sursis n'étant envisageable que lorsque, pour paraphraser la juge Deschamps dans l'arrêt Paré antérieurement cité, sont réunies des conditions particulières telles «que les facteurs personnels compensent le grand besoin de dissuasion générale».

[72] Mais cela ne signifie pas pour autant que les tribunaux de première instance en viennent facilement à la conclusion que, en matière de conduite avec facultés affaiblies ou de conduite dangereuse ayant causé des lésions corporelles, de tels facteurs personnels doivent prévaloir dans un cas d'espèce. L'analyse de la jurisprudence récente révèle en effet qu'il se trouve davantage de décisions qui refusent l'emprisonnement avec sursis que de jugements qui l'accordent; car les facteurs personnels doivent être exceptionnels et déterminants pour que l'objectif sentenciel de réinsertion sociale puisse prévaloir sur les objectifs de dénonciation et de dissuasion.

[73] On lira par exemple avec intérêt les décisions suivantes où - comme dans les affaires Paré, Proulx et Boulé précitées - des peines d'incarcération ont été prononcées: 15 mois pour un chef de conduite avec facultés affaiblies ayant causé des lésions corporelles (et 20 mois pour un chef de facultés affaiblies ayant causé la mort) dans R. c. Lauzière, AZ-98031139 , J.E. 98-815 (C.Q.); deux ans moins un jour pour deux chefs de conduite avec facultés affaiblies ayant causé des lésions en contexte de délit de fuite, alors que la seconde victime est finalement décédée, dans R. c. Davignon, AZ-50069290 , J.E. 2000-568 (C.Q.); 9 mois pour un chef de conduite avec facultés affaiblies ayant causé des lésions à deux personnes, alors que le délinquant avait été condamné pour conduite en état d'ébriété un an plus tôt, dans R. c. Fortin, AZ-50114424 , J.E. 2002-698 (C.Q.); 18 mois pour un chef de conduite avec facultés affaiblies ayant causé des lésions corporelles (et deux ans moins un jour pour un chef de facultés affaiblies ayant causé la mort) dans R. c Lallier, 2002 IIJCan 28623 (QC C.Q.); 18 mois pour conduite avec facultés affaiblies ayant causé des lésions et délit de fuite dans R. c. Ménard, AZ-50193276 , J.E. 2003-2089 (C.Q.); 20 mois pour deux chefs de conduite avec facultés affaiblies ayant causé des lésions corporelles (et 42 mois pour un chef de facultés affaiblies ayant causé la mort) dans R. c. Sasseville, AZ-50266586 , J.E. 2004-1992 (C.Q.); deux ans pour trois chefs de conduite avec facultés affaiblies ayant causé des lésions corporelles à trois personnes, alors que le délinquant avait trois condamnations antérieures pour conduite en état d'ébriété et que son rapport présentenciel était mauvais, dans R. c. Gosselin, 2005 IIJCan 14249 (QC C.Q.); l'équivalent de 14 mois (13 mois compte tenu d'une détention préventive de 20 jours) pour deux chefs de facultés affaiblies ayant causé des lésions corporelles et deux autres chefs de conduite dangereuse ayant causé des lésions corporellesdans R. c. Beaulieu, 2005 IIJCan 20337 (QC C.Q.); 15 mois pour un chef de conduite avec facultés affaiblies ayant causé des lésions, alors que l'accusé avait trois condamnations antérieures pour conduite en état d'ébriété et que le rapport présentenciel était mitigé, dans R. c. Valade, 2005 IIJCan 49351 (QC C.Q.); 18 mois pour un chef de conduite dangereuse ayant causé des lésions corporelles, alors que le juge devait aussi sanctionner deux chefs de conduite dangereuse ayant causé la mort, dans R. c. Rousseau, 2006 QCCQ 3607 (IIJCan); 18 mois pour un chef de conduite avec facultés affaiblies ayant causé des lésions corporelles, alors que le juge devait aussi imposer une peine à l'égard d'un chef de facultés affaiblies ayant causé la mort, dans R. c. Bastille, 2006 QCCQ 4525 (IIJCan). [74] Il est intéressant de souligner ici qu'un dénominateur commun ressort de la lecture de tous ces jugements: dans tous les cas, en effet, il a suffi qu'un facteur personnel significatif soit négatif pour faire obstacle à l'octroi du sursis. Tantôt ce sera donc en raison d'antécédents judiciaires en semblable matière, ou d'une problématique de consommation excessive d'alcool non résolue, ou d'un rapport présentenciel défavorable ou mitigé, ou de l'absence de remords et/ou d'excuses sincères, ou du jumelage du crime à sentencer avec d'autres infractions (comme des chefs de conduite dangereuse ou de conduite avec facultés affaiblies ayant causé la mort, ou de délit de fuite, ou d'entrave, ou de bris d'engagement), ou encore en raison d'une combinaison de ces facteurs, que le juge ne sera pas disposé à conclure à une constellation suffisante de «facteurs personnels» pour que ceux-ci prévalent sur les objectifs sentenciels de dénonciation et de dissuasion générale et spécifique.

[75] Il est cependant des cas où cette démonstration a été faite à la satisfaction du juge appelé à configurer la peine: deux ans moins un jour avec sursis pour un chef de délit de fuite et un chef de conduite avec facultés affaiblies ayant causé des lésions corporelles, alors que les victimes n'avaient pas de séquelles permanentes et que le jeune conducteur avait une attitude empreinte de contrition et de désir de réparer les torts qu'il avait causés aux deux victimes, dans R. c. Boulianne, [2004] J.Q. no 8509 (QL) (C.Q.); deux ans moins un jour à être purgés dans la collectivité et 150 heures de travaux communautaires pour deux chefs de conduite avec les facultés affaiblies ayant causé des lésions corporelles, alors que l'accusée était dépressive, n'avait aucun antécédent judiciaire, exprimait des remords et des regrets et ne présentait qu'un faible risque de récidive, dans R. c. De Melo, 2006 QCCQ 811 (IIJCan).

[76] L'on notera par ailleurs que des peines d'emprisonnement avec sursis ont aussi déjà été imposées par les tribunaux de première instance à l'égard d'accusations plus graves de conduite dangereuse ou de conduite avec les facultés affaiblies ayant causé la mort: 18 mois à être purgés dans la collectivité, 240 heures de travaux communautaires et 40 heures de présence obligatoire aux sessions des Alcooliques Anonymes (A.A.) pour un chef de conduite avec les facultés affaiblies ayant causé la mort, alors que l'accusé n'avait aucun antécédent judiciaire, qu'il avait un rapport présentenciel très favorable et que la Couronne ne s'objectait pas à cette modalité, dans R. c. Chicoine, [1999] R.J.Q. 1542 (C.Q.); deux ans moins un jour avec sursis pour un chef de conduite dangereuse ayant causé la mort et deux chefs de conduite dangereuse ayant causé des lésions corporelles, alors que le délinquant avait été lui-même sérieusement blessé, qu'il n'avait pas d'antécédent judiciaire et qu'il exprimait des remords sincères, dans R. c. Duclos, 2002BE-908 (C.Q.); 22 mois d'emprisonnement avec sursis pour des chefs de conduite avec les facultés affaiblies ayant causé la mort et ayant causé des lésions corporelles, alors que l'accusé pouvait justifier l'existence de plusieurs facteurs personnels favorables, dont le fait qu'il ne voulait pas conduire son véhicule le soir de l'accident mais qu'il s'y était finalement résolu après avoir fait l'objet de pressions d'une autre personne, dans R. c. Fortin, J.E. 2002-920 , R.E.J.B. 2002-32038 (C.Q.).

[77] Il faut dire que la Cour d'appel du Québec avait elle-même pavé la voie à la possibilité que des peines d'emprisonnement avec sursis puissent être imposées même pour des infractions dans le cadre desquelles il y avait eu décès en raison de la conduite problématique d'un véhicule automobile. De fait, en 1998, la Cour substituait des peines d'emprisonnement dans la collectivité de la même durée, assortie de l'obligation d'effectuer 150 heures de travaux communautaires, à la peine de 15 mois de détention ferme initialement infligée, par le juge du procès, pour un chef de conduite avec les facultés affaiblies ayant causé la mort, et de 9 mois de détention ferme imposée à l'égard d'un autre chef de conduite avec les facultés affaiblies ayant causé des lésions corporelles. Dans l'arrêt Scraire c. R., [1999] R.J.Q. 89 (C.A.), auquel il référait lui-même dans les notes qu'il rédigeait subséquemment et dans l'arrêt Paré, antérieurement cité, le juge Robert écrivit en effet ce qui suit, aux pages 93 et 94:

«Le premier juge a conclu qu'en matière de conduite avec facultés affaiblies causant la mort, les facteurs de dissuasion et de dénonciation empêchent que la peine puisse être purgée dans la communauté.

Avec égards pour l'opinion du premier juge, je crois que la proposition de droit qu'il formule doit être nuancée. En effet, il est vrai qu'en l'espèce les facteurs de dissuasion générale et de dénonciation demeurent des considérations primordiales. Cependant, l'application du principe de l'individualisation de la peine exige que le juge considère l'ensemble des circonstances de la commission de l'infraction pour déterminer s'il y a lieu d'appliquer le sursis dans la communauté.

Le premier juge a omis cet examen et je crois que nous sommes autorisés à le faire à sa place.

[…]

En l'espèce, il est difficile de voir comment l'incarcération dans une prison, qui forcément obligerait l'appelant à suspendre ses études et à quitter son emploi, serait de quelque utilité pour lui et pour la société en général. Pour ces raisons, je crois qu'il y a lieu de permettre que la peine soit purgée dans la communauté. Cependant, la peine purgée dans la communauté demeure une sanction et, pour qu'elle soit efficace, elle doit être assortie de conditions restrictives.»

[78] On réalise ainsi à quel point en ces matières, il n'y a pas d'automatisme, chaque cas étant un cas d'espèce: le juge appelé à configurer la peine doit en conséquence s'attarder avec minutie à tamiser chacune des circonstances pertinentes à la lumière des objectifs, principes et facteurs applicables.

[79] Tout cela pour conclure que, au titre du principe de l'harmonisation des peines codifié à l'article 718.2 b) du Code criminel, la peine d'emprisonnement avec sursis maintenant requise par la Défense est envisageable, vu l'accumulation de facteurs personnels favorables à l'accusée en nombre et en importance tels qu'il serait en l'espèce possible de les faire prévaloir sur les objectifs sentenciels généraux non liés à la personne de la délinquante à sanctionner. »

[129]     En réponse aux personnes qui croient que seule la détention ferme répond aux critères de dénonciation et dissuasion, monsieur le juge Gosselin propose cette approche :

« [82] Servant à refréner les ardeurs de ceux qui voient dans l'incarcération la seule façon de véhiculer des objectifs sentenciels d'intérêt public comme la dénonciation et la dissuasion, ce principe nous rappelle en effet qu'avec un peu de créativité, il est possible, lorsque les circonstances s'y prêtent, de configurer une peine qui dénonce le comportement criminel et dissuade quiconque de l'adopter sans pour autant priver le délinquant de toute sa liberté. »

[130]     Donc dans cette affaire, une peine de 21 mois à être purgée dans la collectivité fut imposée et une interdiction de conduire pour la durée de deux années.

[131]     R. c. P.G.[21] :

L'accusé a plaidé coupable à une conduite dangereuse d'un véhicule automobile à moteur causant la mort à une personne, des lésions corporelles à une autre et un délit de fuite. Au moment du prononcé de la peine, il est père de trois enfants dont il a la garde partagée. Selon l'agent de probation, ce dernier vit du remords et tient des propos responsabilisants.

[132]     Le Tribunal croit pertinent de citer certains propos de son collègue en ce qui regarde « l'esprit de la peine » :

« [16] Bien sûr, lit-on dans le dossier Godin2, la justice doit être humaine et non vengeresse, mais elle doit aussi être logique et réaliste. De même, la sentence à rendre ressuscitera sûrement la critique: certains la trouveront trop légère en voulant laisser croire particulièrement que les victimes n'ont pas eu droit au respect et au souvenir. Dans leur esprit, l'accusé est une sorte de meurtrier de la route qui n'écope que de quelques mois de prison3.

[17] Par contre, d'autres la considéreront peut-être trop lourde en spécifiant notamment qu'on stigmatise un jeune homme non criminalisé, ce qui amènera malheureusement à en faire un marginal et possiblement un délinquant. Mais le tribunal ne peut être le reflet de la vindicte populaire. Et comme le note la Cour suprême du Canada4, la légitimité du châtiment en tant que principe de détermination de la peine a souvent été mise en doute en raison de l'assimilation malheureuse de ce mot au mot «vengeance» dans le langage populaire, mais le châtiment a peu à voir avec la vengeance.

[18] On mentionne dans l'affaire Laprise5 que même si le Tribunal n’a pas pour rôle de réparer les torts causés aux familles des victimes… il ne faut certes pas minimiser la mort d’un être humain. Par contre, toute sentence que le Tribunal rendra ne pourra jamais réparer le tort causé par la conduite fautive et illégale de l’accusé.

[19] La Cour du Québec reprend le thème précédent dans le cas Lépine6 en répétant que rien ne pourra remplacer la perte d'une fille, d'une soeur ou d'une belle-soeur pour les parents de la victime.

[20] Pour la Cour du Québec dans le cas Lepire7, la Cour suprême du Canada nous enseigne que l’imposition d’une peine se traduit par la détermination objective, raisonnée et pondérée d’une sanction juste et appropriée. La vengeance, comme acte non mesuré et guidé uniquement par l’émotion, n’a aucun rôle à jouer dans un système civilisé de détermination de la peine. L’imposition d’une peine représente une déclaration collective que la conduite du contrevenant doit être punie parce qu’elle porte atteinte aux valeurs fondamentales de notre société qui sont constatées dans notre droit criminel substantiel.

[21] Une autre affaire procède du décès d'une femme de vingt et un ans, happée par une conductrice de dix-huit ans en état d'ébriété. La meilleure amie de la victime crie vengeance mais le Tribunal souligne que même si plusieurs circonstances peuvent être qualifiées de choquantes, l'on se doit de mettre de côté les émotions et se rabattre sur le raisonnement juridique sans que l'on puisse y retrouver un ton de vengeance8.

[22] Dans la même affaire, on rappelle les propos de l'ancien juge en chef du Canada: «La vengeance, si je comprends bien, est un acte préjudiciable et non mesuré qu'un individu inflige à une autre personne, fréquemment sous le coup de l'émotion et de la colère, à titre de représailles pour un préjudice qu'il a lui-même subi aux mains de cette personne».

[23] On le constate, la vengeance constitue donc une influence dont il faut affranchir la détermination des peines. Ces balises posées, il y a maintenant lieu d'analyser les quatre décisions proposées par le procureur public.

[24] Il évoque notamment l'arrêt Kelly9 où il est question de la mort de trois jeunes filles et où ni l'accident ayant causé la mort des trois jeunes filles ni les procédures judiciaires qui ont suivi ne semblent avoir eu d'effet dissuasif sur l'appelant. En effet, il a fait l'objet de nombreuses accusations depuis les événements.

_______________________________

3 R. c. B. Thibault, C.Q., 200-01-010941-940, 1996-02-29, hon. J.-F. Dionne                                            4 R. c. M. (C.A.) AZ-96111036                                                                                                                                  5 R. c. Laprise, AZ-50108080                                                                                                                                 6 R. c. Lépine, AZ-50220957                                                                                                                                  7 R. c. M. Lepire, AZ-50320028                                                                                                                              8 R. c. Courtemanche-Brisebois, AZ-50396080                                                                                                        9 Kelly c. R.* (C.A., 1997-07-07), SOQUIJ AZ-97011668 , J.E. 97-1570  »

[133]     Le Tribunal partage entièrement le paragraphe 23 de ce jugement.

[134]     Une peine de deux ans moins un jour de détention dans la communauté fut imposée.

[135]     R. c. Lavoie [22] :

Le délinquant a plaidé coupable à l'infraction d'avoir conduit un véhicule automobile alors que sa capacité de conduire était affaiblie par l'alcool et y avoir causé la mort d'une personne et causé des lésions corporelles à un autre individu.

[136]     L'accusé est âgé de 23 ans, sans antécédents judiciaires et travaille depuis quatre ans au service d'une compagnie minière.

[137]     Suite à l'événement, il exprime des remords sincères, démontre un bon niveau de conscientisation, ne consomme plus d'alcool.

[138]     L'accusé, après avoir consommé plusieurs bières (170 milligrammes), conduit son véhicule en compagnie de son cousin qui sera blessé lors de l'événement.

[139]     Précédant celui-ci, il est observé roulant à une vitesse de 120 km/h, zigzague et en dépassant un véhicule, heurte la voiture circulant dans la voie inverse.

[140]     Le juge d'instance cite la décision R. c. Scaire[23] :

« [37] Dans Scraire7, la Cour d'appel du Québec transforme en emprisonnement avec sursis les quinze mois de détention ferme prononcée par la Cour du Québec en rappelant que l'application du principe de l'individualisation de la peine exige que le juge considère l'ensemble des circonstances de la commission de l'infraction pour déterminer s'il y a lieu d'appliquer le sursis dans la communauté.

[38] En l'espèce, ajoute le Tribunal, il est difficile de voir comment l'incarcération dans une prison qui forcément obligerait l'appelant à suspendre ses études et à quitter son emploi serait de quelque utilité pour lui et pour la société en général. »

[141]     À une question, mon collègue répond ainsi :

« [55] Aux malheurs irrémédiables déjà causés, faut-il ajouter, l'emprisonnement ferme rendrait-il à la société un meilleur membre? Le délinquant éprouve un sentiment de dissuasion qu'aucune peine de saurait accentuer, il portera toute sa vie le poids de son erreur, comme d'ailleurs sa famille, une forme de justice plus implacable que l'emprisonnement pour quelques années, quelques mois, à toutes fins utiles. Par contre, une plus longue période de contrôle judiciaire tiendra lieu de sanction en l'espèce. »

[142]     Une peine de deux ans moins un jour de détention avec sursis est imposée.

[143]     R. c. Leblond[24] :

Depuis l'enfance, Leblond a noué une solide relation d'amitié avec la victime qui était devenue son meilleur ami. L'accusé et son ami ont la réputation d'apprécier la vitesse et partager la passion des voitures.

[144]     Après avoir consommé dans un bar, les deux amis quittent à bord de la voiture de la victime dont les pneus sont usés. L'accusé circule à une vitesse d'environ 130 km/h dans une zone où la limite permise est de 50 km/h, perd le contrôle du véhicule et celui-ci percute un arbre. Afin d'extirper le corps de la victime, les policiers doivent employer les pinces de désincarcération.

[145]     À cause de la force de l'impact, le véhicule prend feu et l'accusé ne peut réussir à sortir son compagnon des flammes à cause de leur intensité. Mon collègue écrit :

« [33] Deux lettres, produites lors des représentations sur sentence, sont d'ailleurs révélatrices à cet égard.

[34] Dans la première, la conjointe de Kevin Pilon, Abigail Jilesen, s'adresse à monsieur Leblond en lui écrivant: «Kevin et moi étions un couple et vous étiez des frères.[…] Le respect partagé entre votre amitié me donne la certitude que Kevin t'a pardonné avant même que l'accident soit arrivé. Cette nuit-là, vous étiez deux à ne pas penser. Le destin a joué son jeu et c'est toi qui est resté pour en prendre la responsabilité. Vous êtes affectés pour toujours; Kevin est décédé et tu es ici pour le porter en souvenir.»

[35] La seconde lettre a été lue à l'audience par la marraine de Kevin, madame Lise Pilon, qui s'exprimait au nom de la famille de la victime. Il faut savoir ici que Kevin a été élevé par une mère monoparentale jusqu'à l'âge de quatre ans, alors que sa mère est décédée. Ce sont ses grands-parents maternels qui ont pris le relais, de sorte que Kevin a grandi avec ses deux tantes, dont Lise et sa sœur Josée: ce sont ces dernières qui ont représenté la famille, compte tenu de l'âge et de l'état de santé des grands-parents.

[36] Après avoir pris le soin de préciser au Tribunal que, informée par Abigail de l'accident, elle a d'abord spontanément cru que c'était Kevin qui conduisait et qu'elle «savait qu'il était pour se tuer avec son char parce qu'il aimait la vitesse», madame Pilon a notamment exposé ce qui suit:Le juge d'instance résume ainsi la réaction des proches de la victime :

«J'aimerais vous laisser savoir que c'est encore très difficile pour nous, la famille, d'avoir perdu Kevin. Si nous sommes ici pour Benoît aujourd'hui, c'est parce que je sais que c'est ça que Kevin aurait voulu. Benoît était son meilleur ami. Ils étaient toujours ensemble, c'était comme des frères et je suis certaine que pour rien au monde Benoit aurait voulu faire du mal à Kevin et vice-versa.

Je veux aussi vous laisser savoir que si j'avais le moindre doute sur Benoît, je ne serais pas ici aujourd'hui. Je sais qu'on ne fait pas affaire avec une tête folle, un sans souci ou un bon à rien. Je sais que Benoît est une très bonne personne, qu'il vient d'une bonne famille et qu'il regrette énormément son geste. Je crois que toute bonne personne mérite d'avoir une chance. Je suis convaincue qu'il a autant de peine que nous, la famille.»

[146]     Ces propos de la part des proches sont interprétés ainsi par mon collègue monsieur le juge Gosselin :

« [49] Se pose enfin, avant de conclure l'analyse du principe de l'individualisation de la peine, la question de savoir si une circonstance importante de la présente affaire constitue ou non une circonstance atténuante: il s'agit de la position véhiculée par la famille de la victime.

[50] L'on a déjà fait état de la lettre qui, au nom de la famille de Kevin Pilon, a été lue à l'audience par la tante de la victime. En plus de pardonner à monsieur Pilon, la famille formule au Tribunal les représentations suivantes:

«Monsieur le juge, je ne sais pas c'est quoi que vous allez décider pour Benoît, mais j'aimerais vous dire que Benoît est une très bonne personne et que la famille de Kevin lui a pardonné il y a longtemps et nous ne lui voulons aucun mal. C'est un accident. Nous sommes aussi très reconnaissants du fait qu'il a essayé de sauver Kevin. Pour nous, la prison pour Benoît serait une perte de temps. Il n'apprendrait absolument rien en prison. Il mérite d'avoir une chance. C'est certain qu'il doit avoir des conséquences pour son geste mais pourquoi ne pas lui faire faire quelque chose de bien et de constructif dans tout ça. Des travaux communautaires envers les jeunes dans les écoles et parler ouvertement de son vécu. Le danger que peut faire la vitesse en voiture. Être le porte-parole du slogan «La vitesse tue, je sais de quoi je parle». Ça serait beaucoup mieux d'essayer d'éduquer les jeunes que de perdre son temps en prison à ne rien faire.»

[51] D'un point de vue juridique, ces représentations participent de la déclaration de la victime, au sens où l'entend maintenant l'article 722 C.cr.. Or, c'est le paragraphe (3) de cette disposition qui balise l'appréciation que le Tribunal peut faire des observations de cette nature:

«Qu'il y ait ou non rédaction et dépôt d'une déclaration en conformité avec le paragraphe (2), le Tribunal peut prendre en considération tout élément de preuve qui concerne la victime afin de déterminer la peine à infliger au délinquant ou de décider si celui-ci devrait être absous en vertu de l'article 730.»

[52] Les tantes de monsieur Pilon et leurs parents, qui ont agi in loco parentis depuis que sa mère est décédée alors qu'il n'avait que quatre ans, constituent des victimes au sens de l'article 722(4) C.cr.: ils avaient le droit de formuler au juge les représentations prévues à cette disposition. Ces représentations sont dès lors pertinentes pour les fins de l'exercice d'imposition de la peine.

[53] Quant à la qualification des propos qui sont relayés au juge, elle dépend essentiellement de leur contenu. Quand la victime insiste sur les conséquences négatives du crime et sur le tort qui lui a été causé par sa perpétration, elle fait état d'une circonstance aggravante liée à la perpétration de l'infraction et intervient pour que les objectifs sentenciels de prise de conscience et de réparation des torts causés à la victime soient adéquatement véhiculés dans la configuration de la peine. Mais quand, comme c'est le cas ici, elle insiste plutôt pour relativiser les conséquences du crime, son intervention constitue alors une circonstance atténuante qui met davantage l'accent sur les objectifs sentenciels de nature correctrice que sur les objectifs purement punitifs.

[54] Aussi, dans la présente affaire, le Tribunal considère-t-il la position articulée par la famille de Kevin Pilon comme constituant une circonstance atténuante très importante.

[55] Il s'ensuit dès lors que, au titre du principe de l'individualisation de la peine, les circonstances atténuantes, envisagées dans leur ensemble, l'emportent nettement sur les circonstances aggravantes, et ce malgré le caractère sérieux de certaines de ces dernières.

[56] Tout en exerçant un effet modérateur sur le degré de la responsabilité pénale que l'accusé aura finalement à assumer au titre du principe de la proportionnalité, l'examen des circonstances aggravantes et atténuantes liées à la perpétration de l'infraction et à la situation du délinquant permet d'entrevoir l'imposition d'une peine dont la sévérité ne sera certes pas la principale caractéristique.

[57] Cela dit, attardons-nous maintenant au principe de l'harmonisation des peines. »

[147]     De plus, mon collègue reprend les propos du très honorable juge Lamer dans l'arrêt Proulx et y ajoute son commentaire fort pertinent :

« [84] Or, le juge en chef Lamer propose, aux paragraphes 129 et 130, une grille d'analyse d'autant plus susceptible de guider ce Tribunal qu'il s'agissait alors d'un dossier comparable à celui-ci. Il s'y exprime dans les termes suivants:

«Quoique, en l'occurrence, le juge Keyser semble avoir suivi une démarche rigide en deux étapes distinctes contrairement à l'approche que j'ai exposée, je ne suis pas convaincu qu'une peine de 18 mois d'emprisonnement était manifestement inappropriée pour les infractions en cause et le délinquant concerné. Je souligne que ces infractions étaient très graves et qu'elles ont causé un décès et des lésions corporelles graves. De plus, il est possible que la conduite dangereuse et la conduite avec les facultés affaiblies soient des infractions à l'égard desquelles il est plus plausible que l'infliction de peines sévères ait un effet dissuasif général. Souvent, ces crimes sont commis par des citoyens qui respectent par ailleurs la loi, qui sont de bons travailleurs et qui ont un conjoint et des enfants. Il est possible de supposer qu'il s'agit là des personnes les plus susceptibles d'être dissuadées par la menace de peines sévères: R. c. McVeigh (1985), 22 C.C.C. (3d) 145 (C.A. Ont.), à la p. 150; R. c. Biancofiore (1997), 119 C.C.C. (3d) 344 (C.A. Ont.), aux par. 18 à 24; R. c. Blakely (1998), 40 O.R. (3d) 541 (C.A.), aux pp. 542 et 543.

Je m'empresse toutefois d'ajouter qu'il ne faut pas voir dans ces observations une directive indiquant que l'emprisonnement avec sursis ne peut jamais être prononcé à l'égard d'infractions comme la conduite dangereuse et la conduite avec les facultés affaiblies. En effet, si j'avais présidé ce procès, j'aurais peut-être jugé qu'il s'agissait de la peine appropriée en l'espèce. L'intimé est encore très jeune, il n'avait pas d'antécédents judiciaires et n'a fait l'objet d'aucune déclaration de culpabilité depuis l'accident, il semble avoir réussi sa réinsertion sociale, il veut reprendre ses études, il a beaucoup souffert d'avoir causé la mort d'un ami et il a lui-même été dans le coma pendant quelque temps. Pour répondre adéquatement aux objectifs de dénonciation et de dissuasion générale, j'aurais peut-être imposé des conditions telles que la détention à domicile et rendu une ordonnance de service communautaire intimant au délinquant de parler devant des groupes désignés des conséquences de la conduite dangereuse, comme l'a fait le tribunal dans les affaires Parker, précité, à la p. 239, et R. c. Hollinsky (1995), 103 C.C.C. (3d) 472 (C.A. Ont.).» [soulignements ajoutés]

[85] L'on notera ici, avec grand intérêt, trois facettes des commentaires du juge en chef du Canada qui sont susceptibles de trouver application dans le présent dossier. D'abord si, dans l'affaire Proulx, le juge en chef était ouvert à l'idée d'imposer une peine d'emprisonnement avec sursis à l'égard d'un chef d'accusation de conduite dangereuse ayant causé la mort, jumelé à un second chef de conduite dangereuse ayant causé des lésions corporelles, encore l'aurait-il vraisemblablement été davantage si l'accusation avait été limitée au seul chef de conduite dangereuse ayant causé la mort, comme c'est le cas ici. Ensuite si, dans la même affaire, le juge en chef a paru impressionné par l'apparente réussite de la réinsertion sociale de l'accusé, encore l'aurait-il été davantage dans un cas comme celui-ci où, totalement abstinent et ayant respecté toutes les conditions pourtant restrictives de liberté de son engagement pendant près de deux ans, l'accusé maintient le même emploi rémunérateur et légitime depuis près de quatre ans, tout en nourrissant des projets réalistes de retour aux études. Et enfin si, toujours dans l'affaire Proulx, le juge en chef a envisagé d'imposer une assignation à domicile et l'accomplissement de travaux communautaires, il n'aurait vraisemblablement pas été insensible au témoignage de monsieur Leblond, qui accepte à l'avance de se soumettre à toute condition que pourrait lui imposer le Tribunal, incluant une assignation à domicile et l'exécution de travaux communautaires, notamment par la dispense de conférences et de causeries sur les méfaits de la vitesse au volant.

[86] Tout comme il n'aurait certainement pas été insensible non plus aux représentations des membres de la famille de Kevin Pilon, qui demandent avec insistance au Tribunal d'épargner à l'accusé une période de détention ferme pour lui permettre de se rendre plutôt utile en participant aux efforts de la société pour contrer le fléau que représente la vitesse au volant chez les jeunes conducteurs. »

[148]     Suite à cet énoncé, il cite diverses décisions dans lesquelles des peines d'emprisonnement avec sursis ont pu être imposées :

« [87] […] R. c. Chicoine, [1999] R.J.Q. 1542 (C.Q.); 18 mois avec sursis pour un chef de conduite dangereuse ayant causé la mort, alors que le délinquant de 48 ans n'avait aucun antécédent et avait grillé un feu rouge avec un véhicule dont les pneus étaient usés, dans R. c. Désormeaux, [2000] J.Q. no 2266 (C.Q.); 18 mois avec sursis assortis d'une assignation à résidence de 9 mois et de l'obligation d'écrire un texte de 800 mots devant être remis aux étudiants de son CEGEP, pour un chef de conduite dangereuse ayant causé la mort, alors que le délinquant de 20 ans avait conduit à 132 km/h dans une zone de 50 km/h, n'avait aucun antécédent judiciaire et un rapport présentenciel favorable, dans R. c. Tousignant, [2000] J.Q no 3773 (C.Q.); 18 mois avec sursis pour un chef de conduite dangereuse ayant causé la mort, alors que le délinquant détenait un permis probatoire, circulait à 200 km/h dans le cadre d'une course de rue et bénéficiait d'un rapport présentenciel favorable, dans R. c. Ward, 2001 IIJCan 15781 (C.Q.); 2 ans moins 1 jour avec sursis pour un chef de conduite dangereuse ayant causé la mort et deux chefs de conduite dangereuse ayant causé des lésions corporelles, alors que le délinquant avait la réputation de conduire à des vitesses excessives, qu'il avait été lui-même sérieusement blessé, qu'il n'avait pas d'antécédent judiciaire et qu'il exprimait des remords sincères, dans R. c. Duclos, 2002BE-908 (C.Q.); 22 mois d'emprisonnement avec sursis pour des chefs de conduite avec les facultés affaiblies ayant causé la mort et ayant causé des lésions corporelles, alors que l'accusé pouvait justifier l'existence de plusieurs facteurs personnels favorables, dont le fait qu'il ne voulait pas conduire son véhicule le soir de l'accident, mais qu'il s'y était finalement résolu après avoir fait l'objet de pressions d'une autre personne, dans R. c. Fortin, J.E. 2002-920 , R.E.J.B. 2002-32038 (C.Q.); 2 ans moins 1 jour avec sursis et 200 heures de travaux communautaires pour un chef de conduite dangereuse ayant causé la mort et un chef de conduite dangereuse ayant causé des lésions corporelles, alors que le délinquant circulait à 170 km/h et bénéficiait d'un rapport présentenciel très positif, dans R. c. Burrows, [2002] J.Q. no 5264 (C.Q.); 2 ans moins 1 jour avec sursis pour un chef de conduite dangereuse ayant causé la mort et un chef de conduite dangereuse ayant causé des lésions corporelles, alors que le délinquant de 44 ans n'avait aucun antécédent judiciaire et tentait au retour au travail, dans R. c. Truchet, 2002 IIJCan 23704 (C.Q.); 2 ans moins 1 jour avec sursis sur recommandation commune des procureurs pour un chef de conduite dangereuse ayant causé la mort et un chef de conduite dangereuse ayant causé des lésions corporelles, alors que le délinquant n'avait pas d'antécédent criminel, avait circulé à grande vitesse et de façon désordonnée et avait lui-même été sérieusement blessé dans l'accident, dans R. c. Beaulieu, 2003 IIJCan 27320 (C.Q.); 2 ans moins 1 jour avec sursis pour un chef de négligence criminelle ayant causé la mort, alors que le délinquant avait conduit un véhicule dont les freins étaient endommagés, n'avait pas d'antécédent, mais avait des perspectives de réhabilitation mitigées, dans R. c. Létourneau, 2003 IIJCan 20610 (C.Q.); 6 mois avec sursis et 120 heures de travaux communautaires pour un chef de conduite dangereuse ayant causé la mort, alors que l'accusé, sans antécédent judiciaire, avait 18 ans, avait participé à une course avec un autre automobiliste, avait provoqué le décès de son ami et avait lui-même subi un traumatisme crânien, dans R. c. Brouillette, 2003 IIJCan 21269 (CSQ); 2 ans moins 1 jour avec sursis pour deux chefs de négligence criminelle ayant causé la mort et quatre chefs de négligence criminelle ayant causé des lésions corporelles, dans R. c. Therrien, [2005] J.Q. no 4498 (C.Q.); 2 ans moins 1 jour avec sursis pour un chef de conduite avec les facultés affaiblies ayant causé la mort et quatre chefs de bris d'engagement, alors que le taux d'alcoolémie du délinquant était de 148 mg, qu'il n'avait pas d'antécédent, qu'il n'y avait pas de risque de récidive, et ce malgré une absence de compassion et d'empathie, dans R. c. Guay, [2005] J.Q. no 13132 (C.Q.). »

[149]     Au surplus, mon collègue rappelle la modification législative entrant en vigueur le 1er décembre 2007 qui prohibe l'accès au régime de l'emprisonnement avec sursis dans le cas d'une infraction constituant des sévices graves à la personne et précise ce qui suit :

« [92] Le Tribunal désire aussi mentionner qu'il a pris connaissance de quatre arrêts récents rendus au cours des mois de novembre et décembre 2007 par la Cour d'appel du Québec: leur lecture ne permet pas de conclure que la grille d'analyse à privilégier en matière de conduite dangereuse d'un véhicule automobile ayant causé la mort, telle qu'elle a été antérieurement exposée, se trouve modifiée. Ainsi, dans l'affaire R. c. Paris, 2007 QCCA 1532 (le 9 novembre 2007), la Cour a confirmé l'imposition d'une peine de 36 mois en milieu fédéral assortie d'une interdiction de conduire de cinq ans pour un chef de conduite avec les facultés affaiblies ayant causé la mort et deux chefs de conduite avec les facultés affaiblies ayant causé des lésions corporelles, alors que le délinquant avait un antécédent de conduite avec les facultés affaiblies, que son taux d'alcoolémie était de 209 mg lors de l'accident et qu'il purgeait à ce moment une peine d'emprisonnement avec sursis pour trafic de stupéfiants. Puis, le 19 novembre, dans l'affaire R. c. Gilbert, 2007 QCCA 1607 , la Cour d'appel a substitué une peine de détention ferme à une peine d'emprisonnement avec sursis de 2 ans moins 1 jour, assortie d'une interdiction de conduire pendant une période de cinq ans, alors que le délinquant avait causé la  mort d'une personne, en avait blessé une autre et en avait traumatisé une troisième, en plus de devoir être sanctionné pour le crime objectivement très grave de délit de fuite ayant entraîné la mort (lequel est passible de l'emprisonnement à perpétuité). De même, dans l'affaire R. c. Lavoie, 2007 QCCA 1658 (arrêt du 30 novembre 2007), la Cour a, à l'égard de deux chefs de conduite avec les facultés affaiblies ayant causé la mort de deux personnes, substitué une peine de détention ferme de 18 mois à la peine de 2 ans moins 1 jour avec sursis infligée par le premier juge: bien que les motifs de la décision soient laconiques, il faut reconnaître que l'infliction d'une telle peine de détention ferme n'est pas du tout inhabituelle lorsqu'il s'agit de sanctionner le crime objectivement plus grave de conduite avec les facultés affaiblies ayant causé la mort et que ce crime a été commis de façon subjectivement très grave, puisqu'il impliquait deux victimes. Enfin, dans l'affaire Bouchard c. R. (C.A.M. 500-10-003932-074; arrêt du 17 décembre 2007), la Cour a confirmé la peine d'incarcération ferme infligée par le juge d'instance à l'égard d'une accusation de conduite avec les facultés affaiblies ayant causé la mort parce que, «depuis les amendements législatifs de 2001 quant aux crimes de conduite avec les facultés affaiblies ayant causé la mort, les peines sont dans ces cas de plus en plus sévères essentiellement parce qu'il existe un besoin pressant de dénoncer ce type de conduite».

[93] Aussi, tout en insistant sur le fait que, dans ces quatre dossiers, les crimes à sanctionner étaient passibles de l'emprisonnement à perpétuité (trois dossiers de conduite avec les facultés affaiblies ayant causé la mort et un dossier de délit de fuite ayant causé la mort), et en outre sur le fait que dans au moins trois d'entre  eux il y avait plusieurs victimes, le Tribunal perçoit-il ces arrêts comme constituant des cas d'espèce qui ne remettent pas en question les grands principes énoncés dans les arrêts Scraire, Paré et Proulx.  »

[150]     Monsieur le juge Gosselin termine ainsi :

« [113] C'est que, de l'avis du Tribunal, il s'agit en effet ici de l'un de ces dossiers dans lesquels les facteurs personnels sont, en nombre et en importance, tels qu'ils doivent prévaloir sur les seuls objectifs de dénonciation et de dissuasion, et ce d'autant plus que l'affirmation et la prise en compte de ces objectifs peut en l'espèce passer aussi par l'incorporation à la peine d'autres modalités que l'incarcération. Car, ultimement, l'imposition d'une peine de détention à purger dans la collectivité, assortie de mesures punitives comme une assignation à domicile, de mesures correctrices comme des travaux communautaires, de mesures de réhabilitation comme la probation, et de la sanction additionnelle que constitue une interdiction de conduire pendant une période significative, apparaît, en regard de l'ensemble des considérations pertinentes, la peine la plus susceptible de prendre adéquatement en compte les principes de la proportionnalité de la peine, de l'individualisation de la peine, de l'harmonisation des peines et de la modération dans l'infliction des peines; cela constitue aussi la peine la plus susceptible de concilier les objectifs sentenciels affirmés à l'article 718 du Code criminel. Bref, il ne s'agit pas ici d'un cas qui justifierait que l'on n'enfourche que le cheval de la dénonciation et de la dissuasion générale ou, autrement exprimé, celui de l'exemplarité.

[114] Pour ces motifs et toujours à la lumière des enseignements de la Cour suprême dans l'arrêt Proulx, dont la base factuelle est encore une fois comparable - mais en pire - à celle du présent dossier, monsieur Leblond sera condamné à 2 ans moins 1 jour d'emprisonnement avec sursis […] »

[151]     R. c. Dupuis [25] :

L'accusé a plaidé coupable d'avoir conduit d'une façon dangereuse un véhicule et y avoir causé la mort d'une personne et causé des lésions corporelles à trois individus. Ce dernier, au cours de l'après-midi, consomme des boissons alcoolisées, son véhicule dérape à la sortie d'une courbe prononcée, fait de nombreux « tête-à-queue » et percute de plein fouet le véhicule circulant dans sa voie réservée en sens inverse.

[152]     Dans le véhicule de l'accusé, le père de ce dernier est passager. Suite à l'impact, il décède et les autres occupants dans l'autre véhicule subissent des fractures sérieuses.

[153]     L'accusé quitte les lieux et est retrouvé une heure plus tard par les policiers dans une grange. La vitesse excessive est considérée comme la cause principale de la perte de contrôle.

[154]     Le juge d'instance précise qu'à l'endroit où s'est produit l'impact, on devait faire preuve de prudence puisqu'on y compte trois courbes successives sur cette route secondaire et l'accusé connaissait les lieux.

[155]     Monsieur le juge André Vincent énonce les critères exprimés par la Cour suprême dans la décision de Proulx :

« [38] Ces principes sont résumés au paragraphe 127 de la décision qu'il convient de reproduire et qui donnent les lignes directrices de l'application de la Loi :

« Il serait utile à ce moment-ci de résumer brièvement les présents motifs :

1. Le projet de loi C-41 en général et les dispositions créant la peine d'emprisonnement avec sursis en particulier ont été adoptés à la fois pour réduire le recours à l'incarcération comme sanction et pour élargir l'application des principes de la justice corrective au moment de la détermination de la peine.

2. L'emprisonnement avec sursis doit être distingué des mesures probatoires. La probation est principalement une mesure de réinsertion sociale. Par comparaison, le législateur a voulu que l'emprisonnement avec sursis vise à la fois des objectifs punitifs et des objectifs de réinsertion sociale. Par conséquent, une ordonnance de sursis à l'emprisonnement devrait généralement être assortie de conditions punitives restreignant la liberté du délinquant. Des conditions comme la détention à domicile devraient être la règle plutôt que l'exception.

3. Aucune infraction n'est exclue du champ d'application du régime d'octroi du sursis à l'emprisonnement à l'exception de celles pour lesquelles une peine minimale d'emprisonnement est prévue. De plus, il n'existe pas de présomption d'applicabilité ou d'inapplicabilité du sursis à l'emprisonnement à certaines infractions données.

4. L'exigence, à l'art. 742.1, que le juge inflige une peine d'emprisonnement de moins de deux ans ne signifie pas que celui-ci doit d'abord infliger un emprisonnement d'une durée déterminée avant d'envisager la possibilité que cette même peine soit purgée au sein de la collectivité. Bien que le texte de l'art. 742.1 suggère cette démarche, elle n'est pas réaliste et pourrait entraîner des peines inappropriées dans certains cas. Il faut plutôt donner une interprétation téléologique à l'art. 742.1. Dans un premier temps, le juge appelé à déterminer la peine doit avoir conclu que ni l'emprisonnement dans un pénitencier ni des mesures probatoires ne sont des sanctions appropriées. Après avoir déterminé que la peine appropriée est un emprisonnement de moins de deux ans, le juge se demande s'il convient que le délinquant purge sa peine dans la collectivité.

5. Comme corollaire de l'interprétation téléologique de l'art. 742.1, il n'est pas nécessaire qu'il y ait équivalence entre la durée de l'ordonnance de sursis à l'emprisonnement et la durée de la peine d'emprisonnement qui aurait autrement été infligée. La seule exigence est que, par la durée et les modalités dont elle est assortie, l'ordonnance de sursis soit une peine juste et appropriée.

6. L'exigence, à l'art. 742.1, que le juge soit convaincu que la sécurité de la collectivité ne serait pas mise en danger si le délinquant y purgeait sa peine est un préalable à l'octroi du sursis à l'emprisonnement, et non le principal élément à prendre en considération pour décider si cette sanction est appropriée. Pour évaluer le danger pour la collectivité, le juge prend en compte le risque que fait peser le délinquant en cause, et non le risque plus général évoqué par la question de savoir si l'octroi du sursis à l'emprisonnement mettrait en danger la sécurité de la collectivité en ne produisant pas un effet dissuasif général ou en compromettant le respect de la loi en général. Deux facteurs doivent être pris en compte: (1) le risque que le délinquant récidive; (2) la gravité du préjudice susceptible de découler d'une récidive. L'examen du risque que fait peser le délinquant doit inclure les risques créés par toute activité criminelle, et ne doit pas se limiter exclusivement aux risques d'atteinte à l'intégrité physique ou psychologique de la personne.

7. Dans tous les cas où les préalables prévus par l'art. 742.1 sont réunis, le tribunal doit envisager sérieusement la possibilité de prononcer l'emprisonnement avec sursis en se demandant si pareille sanction est conforme à l'objectif et aux principes de la détermination de la peine visés aux arts. 718 à 718.2. Cette conclusion découle du message clair que le législateur a lancé aux tribunaux, savoir qu'il faut réduire le recours à l'incarcération comme sanction.

8. L'emprisonnement avec sursis peut avoir un effet dénonciateur et dissuasif appréciable. En règle générale, plus l'infraction est grave, plus la durée de l'ordonnance de sursis devrait être longue et les conditions de celle-ci rigoureuses. Toutefois, il peut survenir des cas où le besoin de dénonciation ou de dissuasion est si pressant que l'incarcération est alors la seule peine qui convienne pour exprimer la réprobation de la société à l'égard du comportement du délinquant ou pour décourager des comportements analogues dans le futur.

9. L'emprisonnement avec sursis est généralement plus propice que l'incarcération à la réalisation des objectifs correctifs de réinsertion sociale des délinquants, de réparation par ceux-ci des torts causés aux victimes et à la collectivité et de prise de conscience par les délinquants de leurs responsabilités, notamment par la reconnaissance du tort qu'ils ont causé aux victimes et à la collectivité.

10. Lorsqu'il est possible de combiner des objectifs punitifs et des objectifs correctifs, l'emprisonnement avec sursis sera vraisemblablement une sanction plus appropriée que l'incarcération. Lorsque des objectifs tels que la dénonciation et la dissuasion sont particulièrement pressants, l'incarcération

11. Le sursis à l'emprisonnement peut être octroyé même dans les cas où il y a des circonstances aggravantes, quoique la présence de telles circonstances augmente le besoin de dénonciation et de dissuasion.

12. Aucune partie n'a la charge d'établir si l'emprisonnement avec sursis est une sanction appropriée ou non dans les circonstances. Le juge doit prendre en considération tous les éléments de preuve pertinents, peu importe qui les a produits. Toutefois, il est dans l'intérêt du délinquant de faire la preuve des éléments militant en faveur de l'octroi du sursis à l'emprisonnement.

13. Les juges disposent d'un large pouvoir discrétionnaire pour choisir la peine appropriée. Les cours d'appel doivent faire montre de beaucoup de retenue à l'égard de ce choix. Comme il a été expliqué dans M. (C.A.), précité, au par. 90: «Plus simplement, sauf erreur de principe, omission de prendre en considération un facteur pertinent ou insistance trop grande sur les facteurs appropriés, une cour d'appel ne devrait intervenir pour modifier la peine infligée au procès que si elle n'est manifestement pas indiquée».

[156]     De plus, mon collègue y rappelle les principes suivants :

« [39] La Cour circonscrit les critères applicables lors du prononcé de toute condamnation d'emprisonnement avec sursis de la façon suivante :

[47] À mon avis, les trois premiers critères sont des préalables au prononcé de        toute condamnation à l'emprisonnement avec sursis. La présence de ces préalables répond à la question de savoir si une telle peine peut être infligée dans les circonstances. Lorsque ces conditions sont réunies, il faut ensuite se demander si l'objectif essentiel et les principes de la détermination de la peine visés aux art. 718 à 718.2. Je vais maintenant examiner chacun de ces éléments à tour de rôle.

1) Le délinquant doit être déclaré coupable d'une infraction autre qu'une infraction pour laquelle une peine minimale d'emprisonnement est prévue.

[48] Ce préalable est clair. L'infraction dont le délinquant est déclaré coupable ne doit pas être une infraction pour laquelle une peine minimale d'emprisonnement est prévue. Ces infractions sont les seules que la loi exclut du champ d'application du régime d'octroi du sursis à l'emprisonnement.

2) Le tribunal doit infliger au délinquant une peine d'emprisonnement de moins de deux ans.

[61] L'interprétation téléologique de l'art. 742.1 permet d'éviter les écueils découlant de l'interprétation littérale dont nous avons parlé plus tôt, tout en tenant compte constamment des principes et objectifs de la détermination de la peine. Comme je l'ai souligné dans M. (C.A.), précité, au par. 82: 

En dernière analyse, le devoir général du juge qui inflige la peine est de faire appel à tous les principes légitimes de détermination afin de fixer une peine «juste et appropriée», qui reflète la gravité de l'infraction commise et la culpabilité morale du contrevenant.

(3) Le fait pour le délinquant de purger sa peine au sein de la collectivité ne met pas en danger la sécurité de celle-ci

[76] Je souscris à ce raisonnement. Les mots «ne met pas en danger la sécurité de [la collectivité]» devraient être interprétés largement, et ils visent les risques créés par toute activité criminelle. Cette interprétation large englobe les risques de préjudice pécuniaire.

(4) Conformité avec l'objectif et les principes de la détermination de la peine visée aux art. 718 à 718.2

[77] Lorsque le tribunal a déclaré le délinquant coupable d'une infraction pour laquelle aucune peine minimale d'emprisonnement n'est prévue, qu'il a jugé que ni une mesure probatoire ni l'emprisonnement dans un pénitencier n'étaient des sanctions appropriées et qu'il est convaincu que le délinquant ne mettrait pas la sécurité de la collectivité en danger s'il y purgeait sa peine, il doit ensuite se demander si l'octroi du sursis à l'emprisonnement est conforme à l'objectif et aux principes de la détermination de la peine visés aux art. 718 à 718.2.

[40] Elle ajoute qu'il n'existe aucune présomption d'exclusion de l'application du régime d'octroi de sursis à l'emprisonnement à l'égard de certaines infractions :

[79] L'article 742.1 n'exclut du champ d'application du régime d'octroi du sursis à l'emprisonnement aucune infraction autre que celles pour lesquelles une peine minimale d'emprisonnement est prévue. Le législateur aurait pu facilement exclure certaines autres infractions, mais il a choisi de ne pas le faire. Comme a conclu le juge Rosenberg dans Wismayer, précité, à la p. 31 :

[TRADUCTION] Le législateur a clairement voulu qu'une  ordonnance de sursis à l'emprisonnement puisse être prononcée même dans le cas des crimes violents pour lesquels aucune peine minimale d'emprisonnement n'est prévue. Ainsi, suivant l'article 742.2, le tribunal doit, avant d'octroyer le sursis, déterminer si l'ordonnance d'interdiction prévue à l'art. 100 du Code criminel en matière d'armes à feu s'applique. Une telle ordonnance ne peut être rendue qu'à l'égard d'un acte criminel punissable d'une peine maximale d'emprisonnement égale ou supérieure à dix ans et «perpétré avec usage, tentative ou menace de violence contre la personne» (par. 100(1)) et de certaines infractions relatives aux armes à feu et à la drogue (par. 100(2)).

En conséquence, une ordonnance de sursis à l'emprisonnement peut, en principe, être rendue à l'égard de toute infraction pour laquelle les préalables prévus par la loi sont réunis.

[81] À mon avis, bien que la gravité de ces infractions soit clairement pertinente pour déterminer si l'octroi du sursis à l'emprisonnement est justifié dans les circonstances d'une affaire donnée, il serait à la fois inutile et peu avisé que les tribunaux créent des présomptions d'inapplicabilité de sursis à l'emprisonnement à certaines infractions. Des présomptions propres à certaines infractions introduisent une rigidité injustifiée dans l'examen de la question de savoir si le sursis à l'emprisonnement est une sanction juste et appropriée. De telles présomptions sont incompatibles avec le principe de proportionnalité énoncé à l'art. 718.1 ainsi qu'avec la valeur accordée à l'individualisme de la peine, et elles ne sont pas non plus nécessaires pour réaliser les objectifs importants que sont l'uniformité et la cohérence dans le recours à l'emprisonnement avec sursis.

[41] Comme le Tribunal le mentionne au paragraphe 32, la peine de deux ans moins un jour me paraît raisonnable et rencontre le principe d'harmonisation des peines.

[42] Procédant à une revue de la jurisprudence, sans pour autant en constituer  ne norme, le juge Brossard de la Cour d'appel du Québec mentionnait, dans l'affaire de R c. Blouin C.A.Q. 500-10-000250-926 à la page 3 :

« Finalement, une revue de la jurisprudence de la Cour d'appel des autres provinces démontre, dans les cas de conduites dangereuses causant mort ou causant des lésions corporelles, les sentences varient suivant les circonstances, de 18 mois à 2 ½ ans ».

[43] L'abondante jurisprudence fournie par les parties, appuie également cette approche et reflète les propos tenus par le juge Lamer dans l'arrêt Proulx précité :

[82] Notre Cour a statué à maintes reprises que la détermination de la peine est un processus individualisé, dans le cadre duquel le juge du procès dispose d'un pouvoir discrétionnaire considérable pour déterminer la peine appropriée. La justification de cette approche individualisée réside dans le principe de proportionnalité, principe fondamental de détermination de la peine suivant lequel la peine doit être proportionnelle à la gravité de l'infraction et au degré de responsabilité du délinquant. Afin que «la peine corresponde au crime», le principe de proportionnalité commande l'examen de la situation particulière du délinquant et des circonstances particulières de l'infraction. La conséquence de l'application d'une telle démarche individualisée est qu'il existera inévitablement des écarts entre les peines prononcées pour des crimes donnés. Dans M. (C.A.), précité, j'ai dit ceci, au par. 92 :

On a à maintes reprises souligné qu'il n'existe pas de peine uniforme pour un crime donné. […] La détermination de la peine est un processus intrinsèquement individualisé, et la recherche d'une peine appropriée applicable à tous les délinquants similaires, pour des crimes similaires, sera souvent un exercice stérile et théorique. De même, il faut s'attendre que les peines infligées pour une infraction donnée varient jusqu'à un certain point dans les différentes communautés et régions du pays, car la combinaison «juste et appropriée» des divers objectifs reconnus de la détermination de la peine dépendra des besoins de la communauté où le crime est survenu et des conditions qui y règnent.

[157]     Au surplus, le juge d'instance rappelle les facteurs aggravants du dossier tout en les analysant à la lumière des propos de la Cour suprême :

« [56] Malgré les campagnes publicitaires agressives dénonçant la conduite excessive et la consommation d'alcool au volant, malgré l'intention du législateur et de l'exécutif de dénoncer sévèrement de tels comportements, force est de constater que le mélange de ces deux éléments (alcool, vitesse) est toujours présent et est la cause directe de mort et blessés sur nos routes.

[57] La Cour suprême dans R c. C. M (C.A.) [1996] 1 R.C.S. 500 au paragraphe 81, mentionnait :

[81] Pour sa part, l'objectif de réprobation commande que la peine indique que la société condamne la conduite de ce contrevenant. Bref, une peine assortie d'un élément réprobateur représente une déclaration collective, ayant valeur de symbole, que la conduite du contrevenant doit être punie parce qu'elle a porté atteinte au code des valeurs fondamentales de notre société qui sont constatées dans notre droit pénal substantiel. Comme l'a dit le lord juge Lawton dans R c. Sargeant (1974), 60 CR. App. R. 74, à la p. 77 : [TRADUCTION] «la société doit, par l'entremise des tribunaux, communiquer sa répulsion à l'égard de certains crimes, et les peines qu'ils infligent sont le seul moyen qu'ont les tribunaux de transmettre ce message».

[58] Toutefois, comme le mentionne le juge Lamer dans Proulx précité au paragraphe 102 :

[102] […] L'emprisonnement avec sursis peut néanmoins avoir un effet dénonciateur appréciable, particulièrement dans les cas où l'ordonnance de sursis est assortie de conditions rigoureuses et que sa durée d'application est plus longue que la peine d'emprisonnement qui aurait ordinairement été infligée dans les circonstances. »

[158]     L'accusé est âgé de 32 ans mais au moment de la commission du crime, 29 ans et est sans antécédents judiciaires. De plus, le rapport prédécisionnel rédigé à l'attention du tribunal est extrêmement favorable et l'accusé exprime des remords sincères.

[159]     Une peine de deux ans moins un jour à être purgée dans la communauté est imposée et une interdiction de conduire pour une durée de trois ans est prononcée. Il n'est pas superflu de préciser qu'au paragraphe 66, monsieur le juge Vincent rappelle :

« [66] Comme le mentionnait le juge Lamer dans Proulx précité, au paragraphe 130 :

[130] Je m'empresse toutefois d'ajouter qu'il ne faut pas voir dans ces observations une directive indiquant que l'emprisonnement avec sursis ne peut jamais être prononcé à l'égard d'infractions comme la conduite dangereuse et la conduite avec des facultés affaiblies. En fait, si j'avais présidé ce procès, j'aurais peut-être jugé qu'il s'agissait de la peine appropriée en l'espèce. »

[160]     R. c. Miljevic-Laroche [26] :

Suite à un procès devant jury, l'accusé est déclaré coupable d'avoir conduit un véhicule sous l'effet de l'alcool et y avoir causé des lésions corporelles à une personne.

[161]     La victime circule à bicyclette dans la même direction que Laroche afin de se rendre à son travail. Soudainement, elle est heurtée par l'arrière et devra séjourner quatre jours à l'hôpital.

[162]     Le délinquant conduisait avec un taux d'alcoolémie élevé (184mg) mais a porté secours à la victime immédiatement après la collision. De plus, il a collaboré du début à la fin de l'enquête avec les policiers. Le juge d'instance s'exprime ainsi : « il a assumé ses responsabilités presque au détriment de son innocence »

[163]     Le délinquant est âgé de 29 ans, ne possède aucun antécédent judiciaire, ne représente pas de problématique identifiée de consommation abusive d'alcool, vit des remords sincères.

[164]     Lors du prononcé de la peine, mon collègue discute entre autres d'une décision :

« [39] Il y a quelques semaines, la Cour d'appel infligeait une peine d'emprisonnement avec sursis à un prévenu qui avait plaidé coupable à une accusation de conduite d'un véhicule à moteur alors que sa capacité de conduire était affaiblie par l'effet de l'alcool ou d'une drogue. L'accusé avait ainsi causé de graves lésions corporelles à un cycliste. (R. c. Ménard 2008 QCCA 1052 , 4 juin 2008). Dans cette cause, la Cour d'appel a tenu compte des faits et des circonstances qui suivent :

- l'accusé avait 54 ans au moment des événements;

- il n'avait aucun antécédent judiciaire;

- il a plaidé coupable;

- son taux d'alcoolémie était de 172 mg d'alcool par 100 ml de sang;

- à la suite de l'impact, la victime est demeurée coincée sous le véhicule et elle a été traînée sur une distance de 16 mètres.

- la victime a subi des lésions sérieuses.

- les parties avaient suggéré conjointement à la première juge une peine d'emprisonnement avec sursis. »

[165]     De plus, il ajoute :

« [40] Je ne perds pas de vue que l'emprisonnement avec sursis demeure une exception à la règle générale et qu'en matière de conduite avec capacité affaiblie causant des lésions corporelles, les facteurs de dissuasion générale et de dénonciation demeurent des considérations très importantes. (Paré c. R. [1999] R.J.Q. 85 (C.A.)). »

[166]     Malgré les blessures très sérieuses subies par la victime, une peine de 12 mois de détention avec sursis est imposée, car le tribunal estime qu'il y a lieu dans la présente cause de privilégier de façon égale les critères de réhabilitation, réinsertion, dénonciation et dissuasion.

[167]     R. c. Lafleur [27] :

Avec égard envers le savant procureur de la défense, le Tribunal ne s'attardera point au sujet du prononcé de cette peine puisqu'il s'agit d'un cas très particulier. Lafleur avait plaidé coupable à 23 chefs d'accusation et les crimes s'échelonnaient entre le 30 décembre 2004 et le mois de septembre 2007.

[168]     Comme le précise mon collègue, les 23 chefs d'accusation se divisaient en quatre catégories :

« - La première catégorie concerne l'ensemble des comportements violents adoptés par l'accusé envers sa conjointe et le frère de cette dernière.

- La deuxième catégorie vise la conduite dangereuse de véhicules automobiles et de gestes de violence associés à cette conduite.

- La troisième catégorie vise la production de stupéfiants.

- La quatrième catégorie ne concerne pas de victime directe et vise le non-respect d'ordonnances de la cour. »

 

[169]     L'individualisation de la peine a conduit monsieur le juge Boisvert à imposer une peine à laquelle il est fort difficile d'appliquer le principe de l'harmonisation des peines vu l'individualisation de celle-ci.

[170]     R. c. Cloutier [28] :

Ce dernier a plaidé coupable d'avoir causé des lésions corporelles à deux personnes lors d'une conduite dangereuse. Arrivé près d'une courbe, il effectue un dépassement de plusieurs voitures et frappe de plein fouet un véhicule circulant en sens inverse dans sa voie.

[171]     Selon l'agent de probation, l'accusé est un homme travaillant et responsable, regrette son geste, est sans antécédents judiciaires, les risques de récidive sont faibles et n'a pas eu d'accident ni commis d'infraction au Code de la sécurité routière auparavant.

[172]     Mon collègue cite entre autres certaines décisions :

« [24] Dans R. c. Guay 2, le juge Chapdelaine mentionne:

[1] Le 4 juin 2004, le tribunal a déclaré l'accusé coupable d'avoir conduit un véhicule alors que sa capacité de le faire était affaiblie par l'alcool et d'avoir causé ainsi la mort de Michaël Vigneault-Arsenault.

LA JURISPRUDENCE

[41] Une revue des décisions (R. c. Lépine, J.E. 2004-828 (C.Q.); R. c. Bélanger, J.E. 2002-1309 (C.Q.); R. c. Jackson, J.E. 2001-053 (C.Q.); R. c. Carrier, J.E. 99-1321 (C.Q.); R. c. Chicoine, [1999] R.J.Q. 1542 (C.Q.); Scraire c. La Reine [1999] R.J.Q. 89 (C.A.); R. c. Word, C.Q.Laval, no 540-01-013072-007, 4 décembre 2001, j. Duceppe; R. c. Fortin, C.Q.St-Joseph-de-Beauce, no 350-01-009469-013, 13 mars 2002, j. Dionne;R. c. Dalkeith-Mackie, (2003) 44 M.V.R.(4th) 9(C.A.Man.); R. c. McKenzie, [2000] M.J. 370 (C.A. Man.); R. c. Sherlock, (1998) 39 M.V.R.(3d) 47 (C.A. Man.); R. c. Lallier, J.E. 2002-1628 (C.Q.); R. c. Duclos, B.E. 2002BE-908 (C.Q.); R. c. Connor, J.E. 98-1457 (C.S.); R. c. Larson, (1999) 250 A.R. 147 (C.A. Alb.); R. c. Proulx, [2000] 1 R.C.S. 61 ;) des tribunaux sur la peine à imposer dans des cas semblables nous indique que des peines d'emprisonnement variant de 1 an à 3 ans sont généralement imposées. Parfois, les peines de 2 ans et moins ont été purgées dans la collectivité, parfois dans un centre de détention.

La peine doit dissuader l'accusé et quiconque de commettre des infractions semblables

[50] La communauté s'attend à ce que des sanctions rigoureuses soient imposées afin de dissuader des personnes qui, par ailleurs, ont une conduite irréprochable de ne pas commettre ce type de délit. Comme le mentionnait le juge Lamer dans R. c. Proulx ( [2000] 1 R.C.S. 61 ), des peines d'emprisonnement ferme ont souvent un effet dissuasif plus grand chez ces personnes.

La peine doit susciter, chez l'accusé, la conscience de sa responsabilité par la reconnaissance du tort causé

[51] La période plus ou moins longue de réflexion qu'entraîne une peine d'emprisonnement constitue sans doute un moment propice pour l'accusé de reconnaître lui-même le tort causé (ce qui est déjà fait). Il doit le faire face à la famille de la victime et aussi envers la société en général.

La peine doit assurer la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité

[52] Dans notre cas, il est impossible à l'accusé de réparer le tort causé à la victime, ni d'effacer la douleur et la tristesse de sa famille ou de ses proches. Tout au plus peut-il, par des gestes concrets à leur égard, par sa conduite et son attitude, faire montre d'une empathie sincère et bien réelle à leur égard et leur démontrer qu'il se responsabilise. La famille de la victime ne lui en demande pas davantage.

[53] Face à la collectivité, l'accusé pourrait, par le versement d'une somme substantielle à une fondation venant en aide aux victimes de la route, réparer quelque peu le tort causé.

[54] La peine d'emprisonnement avec sursis peut rencontrer les objectifs de dénonciation et de dissuasion requis en l'espèce si l'ordonnance de sursis est accompagnée de mesures rigoureuses privatives de liberté et assortie de conditions véhiculant une certaine exemplarité positive comme, par exemple, le versement d'une somme significative à un organisme oeuvrant à réparer les torts causés par ce type de délit.

[55] Tenant compte de l'âge de l'accusé, de son peu d'expérience de la conduite automobile, de son manque de maturité, de son absence d'antécédent judiciaire, de l'emploi qu'il occupe, le tribunal ne croit pas que la nécessité de dénonciation est telle que l'emprisonnement ferme soit la seule peine qui convienne pour exprimer la réprobation de la société face au comportement de ce dernier.

[25] Dans R. c. Liboiron 3, le juge Marc Bisson a refusé l'emprisonnement avec sursis à un jeune homme qu'il a condamné à 12 mois d'emprisonnement ferme. Les motifs à l'appui de sa décision sont exprimés aux paragraphes 90 et suivants du jugement:

[90] Le manque de maturité de l’accusé, son inexpérience dans la conduite d’un véhicule automobile (l’accusé admet lui-même ne pas avoir su quoi faire quand l’arrière de son véhicule a décroché), son désir d’impressionner ses copains, son inhabilité à tirer une leçon des expériences passées (le Tribunal fait ici référence au billet de vitesse remis à l’accusé la veille de cette tragédie) et sa façon de conduire telle que décrite par le témoin Hébert sont autant de facteurs qui ont contribué directement à l’accident et aux sérieuses blessures subies par la victime.

[92] L’accusé a fait preuve d’insouciance en conduisant un véhicule à grande vitesse sur un chemin public où la limite de vitesse se situe à 50 km/h, plus particulièrement à l’approche d’une courbe importante où il a à peine décéléré.

[98] Il est impossible de conclure que les évènements tragiques sont le fruit d’un malheureux accident.

[99] Comme le souligne mon collègue le juge Falardeau dans l’affaire R. c. Yam Ti (C.Q. Montréal, no 500-01-0009071-033, 20 septembre 2005, juge Jean B. Falardeau), dossier dans lequel l’accusé a plaidé coupable à une accusation de conduite dangereuse causant la mort (au paragraphe 24) :

De plus en plus, la conduite automobile se fait de façon pour le moins désordonnée. Le citoyen moyen non criminalisé a malheureusement tendance à se servir de son véhicule automobile comme d’une arme pour se défouler…

[100] Il s’agit de l’avis du Tribunal d’un cas où la nécessité de dénoncer est si pressante que l’incarcération est la seule peine qui convienne pour exprimer la réprobation de la société à l’égard du comportement de l’accusé.

[103] Il est également important que le message véhiculé par cette sentence porte et que le public sache que la conduite dangereuse d’un véhicule à moteur n’est pas sans conséquence.

[26] Dans R. c. Goulet 4, le juge Valmont Beaulieu, dans une accusation de conduite dangereuse causant la mort, s'exprime de la façon suivante:

[60] Le procureur de la défense suggère au Tribunal d'imposer une peine à être purgée dans la communauté, car déjà l'accusé fut suffisamment puni par la publicité de l'affaire, l'attente du verdict suite à de longues procédures, les blessures importantes causées lors de l'accident et qu'il est difficile pour l'accusé de vivre avec le fait qu'il ne saura jamais ce qui s'est passé vu son amnésie.

[62] Rappelons que la peine de détention ferme doit se prononcer en dernier recours et que le principe de l'harmonisation des peines fut retenu par le législateur.

[63] Même si les propos de l'honorable juge Marchand de la Cour d'appel du Québec datent de 1948, ils sont toujours d'actualité :

« On peut dire qu'une sentence a cette qualité de convenance quand elle est proportionnée à la fois à la gravité objective de l'infraction et à sa gravité subjective pour le délinquant et que, de plus, elle a les qualités nécessaires d'exemplarité protectrice et de correction curative. La gravité objective est décrite dans le code; la gravité subjective d'un acte peut varier suivant le degré de l'intelligence et de la détermination de la volonté du délinquant. L'âge dans les deux extrêmes d'immaturité et de la sénilité doit aussi être considéré.» (Lemire & Gosselin, 5 CR 181, C.A.Q. [1948])

[66] La détermination de la peine est la tâche la plus difficile pour le juge d'instance, car à chaque prononcé de peine, il se doit d'individualiser celle-ci parce qu'il punit un individu et non un crime.

[69] Les propos du Tribunal reposent sur ceux de la Cour Suprême du Canada lorsqu'on consulte l'arrêt R. c. M. (C.A.) (1996 1 R.C.S. 500 ):

«[…] la vengeance n'au aucun rôle à jouer dans un système civilisé de détermination de la peine. Voir Ruby, Sentencing, op. cit., à la p.13. La vengeance, si je comprends bien, est un acte préjudiciable et non mesuré qu'un individu inflige à une autre personne, fréquemment sous le coup de l'émotion et de la colère, à titre de représailles pour un préjudice qu'il a lui-même subi aux mains de cette personne. En contexte criminel, par contraste, le châtiment se traduit par la détermination objective, raisonnée et mesurée d'une peine appropriée, reflétant adéquatement la culpabilité morale du délinquant, compte tenu des risques pris intentionnellement par le contrevenant, du préjudice qu'il a causé en conséquence et du caractère normatif de sa conduite. De plus, contrairement à la vengeance, le châtiment intègre un principe de modération; en effet, le châtiment exige l'application d'une peine juste et appropriée, rien de plus.»

[72] Comme l'enseigne la jurisprudence, les tribunaux ont le devoir, par le prononcé de leurs peines, de rappeler ce consensus social au sujet de certaines valeurs qui sont reconnues par la collectivité canadienne et le Tribunal l'indique ainsi : Le public désire circuler sur les voies publiques en toute sécurité et sans crainte pour leur propre vie ou la vie de leurs proches. Ce public s'attend donc à ce que les tribunaux punissent avec une certaine sévérité ceux et celles qui mettent en péril leur vie à cause de la vitesse ou de l'alcool ou qui tuent un de leurs êtres chers.

[27] Par la suite, le juge Beaulieu fait une revue de la jurisprudence en semblable matière. À noter que cette décision date d'à peine quelques semaines.

[28] De l'étude de l'ensemble des décisions, le juge Beaulieu retient que les tribunaux ont toujours considéré que les facteurs de dissuasion générale et de dénonciation sont très importants. Toutefois, il ajoute que le Tribunal a l'obligation d'individualiser la peine et se rappeler que chaque cas est un cas d'espèce. Ainsi, même si on doit d'insister sur le critère de l'exemplarité, celui de la réhabilitation se doit aussi d'être pris en considération. Ainsi, ce dernier a condamné l'accusé à purger 18 mois d'emprisonnement ferme.

[29] Récemment, soit le 12 janvier 2009, la Cour d'appel, dans l'affaire Hakim c. R. 5, relativement à une accusation de conduite dangereuse ayant causé de graves lésions corporelles à une victime et ayant comme séquelle de la laisser dans un état quasi végétative suite à de lourds dommages au cerveau, s'exprime comme suit:

[21] Comme l'ont souvent exprimé les tribunaux, l'imposition d'une peine est un art délicat. En cette matière, le juge de première instance possède une grande expertise et une connaissance du milieu. En l'absence d'une « erreur de principe, omission de prendre en considération un facteur pertinent ou insistance trop grande sur les facteurs appropriés, une cour d'appel ne devrait intervenir pour modifier la peine infligée au procès que si elle n’est manifestement pas indiquée ». [R. c. M. (C.A.), [1996] 1 R.C.S. 500 , paragr. 90.].

[24] En l'espèce, en ce qui concerne l’accusation de conduite dangereuse causant des lésions corporelles, les facteurs de dissuasion générale et de dénonciation sont fort importants. Le juge de première instance les a pris en considération, mais il a également considéré toutes les circonstances, tant atténuantes qu’aggravantes, pour imposer une peine qui visait à punir et dénoncer le comportement de l’appelant, tout en ne le décourageant pas de devenir un bon citoyen dans le futur. Il s'exprime ainsi :

[11] Je tiens compte du jeune âge de l'accusé, de ses plaidoyers de culpabilité, de l'absence de drogue et/ou alcool lors de la commission du délit, du rapport présentenciel favorable de ses études et de son emploi, de ses remords que je crois sincères, de son début de suivi en thérapie, de l'absence d'antécédent criminel mais en même temps, de la cause pendante de possession de drogue, au moment des événements.

[12] La sentence que je rends, vise, bien sûr, à punir le comportement dangereusement criminel de l'accusé et à dénoncer ce comportement. Elle vise également, ce faisant, à ne pas décourager l'accusé de devenir un bon citoyen, dans le futur, compte tenu de ses capacités et de son entourage.

[31] La juge Deschamps, dans l'arrêt Paré [ [1999] R.J.Q. 85 (C.A.)., p. 87], s'exprime ainsi :

Nul n'est besoin de citer ici les décisions dans lesquelles les cours dénoncent le fléau que constituent les infractions reliées à la conduite automobile. Le présent cas en est un exemple dramatique. Bien que le législateur n'ait pas exclu l'application de l'emprisonnement avec sursis pour les infractions reliées à la conduite automobile, j'estime qu'il faut, pour qu'un sursis soit accordé, que des conditions particulières soient réunies afin que les facteurs personnels compensent le grand besoin de dissuasion générale.

L'appelant n'a justement pas démontré qu'il réunissait ces conditions particulières. La juge de première instance a noté que l'appelant n'exprime ni remords ni empathie avec les victimes. De plus, le terrible accident n'a pas eu d'impact immédiat puisqu'il a, quelques mois après les faits qui lui sont reprochés, été accusé de conduite avec facultés affaiblies et sa culpabilité a été reconnue. […]

[32] Dans cette affaire, l'appelant avait été déclaré coupable de quatre chefs d'accusation de conduite dangereuse et condamné à purger une peine de 14 mois d'emprisonnement. La juge de première instance avait retenu quatre circonstances aggravantes : - 1) le nombre de victimes (4) - 2) la gravité des blessures et les séquelles permanentes - 3) le fait que l'appelant circulait en sens inverse de la circulation en l'absence d'explications crédibles de sa part et - 4) la consommation d'alcool dans les heures ayant précédé l'accident. Il n'y avait qu'un seul facteur atténuant, soit l'absence d'antécédents judiciaires. Toutefois, la Cour a considéré que ce facteur était annulé par le fait que l'appelant avait été condamné pour conduite avec facultés affaiblies postérieurement à son arrestation pour l’infraction reliée à la conduite dangereuse.

[30] Toutefois, le Tribunal relève aussi le paragraphe [36] de cette décision, lequel se lit comme suit:

[36] L’appelant n’a donc pas démontré que le juge de première instance a commis une erreur révisable par notre Cour en lui imposant une peine d’emprisonnement ferme de 18 mois. Comme c'est souvent le cas dans ce type de dossier, les événements du 29 novembre 2006 ont eu des conséquences dramatiques non seulement pour la victime et sa famille, mais également pour l'appelant et ses proches. Un autre juge aurait pu prononcer une peine différente, compte tenu des circonstances, ce n'est toutefois pas le critère de révision par une cour d'appel, comme l'a rappelé le juge LeBel dans l'arrêt R. c. L.M. [ [2008] 2 R.C.S. 163 ].

[31] Or, la Cour d'appel semble exprimer que la peine aurait pu être différente, mais que ses critères de révision ne pouvaient ouvrir la porte à une modification de la sentence.

[32] Cette même Cour d'appel, le 17 janvier 2008, dans un cas similaire au présent dossier, a reconnu qu'une peine d'emprisonnement avec sursis peut être appropriée. Ainsi, dans l'affaire Jean-Philippe Ménard-Labranche 6, elle modifie une peine d'emprisonnement avec sursis de 6 mois pour la majorer à une peine d'emprisonnement avec sursis de deux ans moins un jour.

[33] Dans cette affaire, les circonstances du délit sont les suivantes: Âgé de 18 ans, l'accusé, pressé par le temps, se rend à la banque pour obtenir des devises étrangères en vue de son départ pour Cuba. Pour ce faire, il circule sur la route 139. Il procède à dépasser quatre véhicules, alors qu'un autre arrive en sens inverse. L'accusé circule entre 115 et 120 kilomètres/heure, dans une zone de 90. Ne pouvant s'immiscer entre le troisième et le quatrième véhicule, il tente une manoeuvre dans le but de se ranger entièrement sur l'accotement à gauche, mais le véhicule qui arrive en sens inverse effectue la même manoeuvre, rendant la collision inévitable. Les deux occupants du véhicule sont blessés et hospitalisés aux soins intensifs. Ils conservent des séquelles physiques et psychologiques, à la suite de cet accident.

[34] Le juge de première instance a prononcé une peine d'emprisonnement avec sursis de six mois avec obligation d'effectuer 75 heures de travaux communautaires et a prononcé une interdiction de conduire tout véhicule pour une période de 18 mois.

[35] La Cour d'appel a majoré la peine d'emprisonnement avec sursis à deux ans moins un jour, augmenté les travaux communautaires à 100 heures et prononcé une interdiction de conduire d'une période de 18 mois, mais à compter du jugement de la Cour d'appel, représentant en réalité, 24 mois.

[36] Le facteur déterminant pour augmenter la sentence est le fait que depuis les événements survenus, Ménard-Labranche a continué à conduire rapidement. Il a écopé de billets d'infraction pour vitesse et défaut de porter la ceinture de sécurité.

[37] Les circonstances aggravantes étaient les suivantes:

- Peu de remords;

- Existence de risques de récidive.

[38] Le principe de l'application d'un emprisonnement avec sursis est donc  reconnu par la Cour d'appel dans l'affaire Jean-Philippe Ménard-Labranche. Le Tribunal voit beaucoup de similarités entre cette dernière affaire et celle du présent accusé. En effet, il s'agit du dépassement de plusieurs véhicules, les victimes ont subi des blessures moins sévères que celles dans le dossier de Jean-Philippe Ménard-Labranche, Jean- Philippe Ménard-Labranche était sobre, alors que dans le présent cas, l'accusé avait de l'alcool dans son sang. Par contre, Jean-Philippe Ménard-Labranche a continué ses comportements délinquants dans la conduite d'un véhicule, ce qui n'est pas le cas dans le présent dossier.

[173]     Au surplus, monsieur le juge Marchand s'exprime ainsi pour conclure à l'imposition d'une peine de deux ans moins un jour avec sursis, accompagnée d'une interdiction de conduire pour trois ans :

« [40] Il faut aussi se rappeler qu'une peine d'emprisonnement dans la collectivité est purgée dans sa totalité. Une peine d'emprisonnement dans la collectivité sera de nature à favoriser davantage la réflexion chez l'accusé et une prise de conscience sincère des torts causés aux victimes. »

[174]     R. c. Gazaille [29] :

Un jury a reconnu la culpabilité de l'accusé sous un chef d'accusation d'avoir commis des voies de fait graves sur J... D... et avoir conduit un véhicule d'une façon dangereuse pour le public. J... D... aperçoit certains de ses amis se disputer dans un stationnement et décide de s'y arrêter sans aucune intention malveillante. Dès qu'il sort de son véhicule automobile, il est assailli par l'accusé et une personne. La victime est rouée de coups de poing et de pied et aspergée de poivre de cayenne. La preuve révèle que J... D... vivra avec des séquelles permanentes.

[175]     Les policiers arrivent et l'accusé fuit les lieux au volant du véhicule de sa mère. L'un des témoins tente de l'arrêter, mais sera traîné sur une certaine distance puisque son bras est coincé dans la ceinture de sécurité.

[176]     L'accusé brûle plusieurs feux rouges, circule à une vitesse de 160 km/h dans une zone de 50 km/h.

[177]     Gazaille était âgé de 18 ans lors de la commission du crime et ne possède aucun antécédent judiciaire. Il demeure maintenant avec sa mère et travaille dans la restauration.

[178]     Monsieur le juge Wagner (juge à la Cour supérieure à l'époque et maintenant juge à la Cour d'appel) impose une peine de deux ans moins un jour à être purgée dans la communauté même si auparavant il énumère ces facteurs aggravants :

« a) l'extrême violence avec laquelle les accusés ont battu la victime, J... D..., qui n'a jamais eu la chance de se défendre;

b) l'attitude des accusés qui abandonnent leur victime et le laissent comme mort, ce qui traduit un mépris total pour la vie humaine;

c) le fait que les deux accusés se sont vantés d'avoir assailli avec violence une victime sans défense;

d) l'absence de tout remord.»

[179]     Au surplus, le tribunal y prononce ces propos :

« [38] Cette analyse amène le Tribunal à conclure, comme les deux parties, qu'une peine d'emprisonnement de moins de deux ans est la sanction appropriée dans ce dossier. Le Tribunal est également d'accord avec la position avancée par le Ministère public que les objectifs de dissuasion et d'exemplarité doivent primer compte tenu de la nature des actes reprochés et la manière avec laquelle ils ont été accomplis.

[39] Cependant, le Tribunal est d'opinion qu'une peine d'emprisonnement avec sursis peut atteindre ces objectifs.

[40] Le Tribunal émet le souhait qu'en raison de cette opportunité qui découle en partie du précédent relatif aux mêmes événements du 11 mars 2006, les accusés prendront conscience de la responsabilité qu'ils ont assumée, du tort qu'ils ont causé de façon permanente à un autre être humain et qu'ils prendront le chemin de la réhabilitation, à défaut de quoi leur avenir sera compromis à jamais. »

[180]     R. c. Chander Lakhwinder [30] :

L'accusé a plaidé coupable d'avoir causé des lésions corporelles à une personne lorsqu'il a conduit dangereusement son véhicule. Il course avec un autre automobiliste malgré la présence de nombreux véhicules et que la circulation est dense.

[181]     Les deux conducteurs effectuent de nombreux dépassements dangereux sur l'autoroute 40 Ouest et circulent à une vitesse d'environ 160 km/h dans une zone de 100 km/h. 

[182]     Le second véhicule percute celui de l'accusé qui heurtera l'arrière de la voiture le précédant. Ce véhicule effectue quelques tonneaux et le conducteur subit diverses blessures qui l'obligeront d'arrêter son travail pour une période d'un mois.

[183]     L'accusé est âgé de 19 ans, regrette son geste, est conscient des graves conséquences vécues par la victime et reconnaît sans détour qu'il a choisi de conduire à haute vitesse dans un élan d'impulsivité et de compétitivité. Le rapport rédigé par l'agent de probation est positif, l'accusé ne possède aucun antécédent judiciaire, a changé sa façon de conduire et respecte dorénavant le Code de la sécurité routière.

[184]     Avant d'imposer une peine de 18 mois de détention avec sursis, mon collègue écrit :

« [38] Cinquièmement, l’âge de l’accusé joue en sa faveur. Au moment de l’accident, l’accusé n’avait pas encore 19 ans. S’il est vrai que jeunes et vieux ont les mêmes responsabilités lorsqu’ils sont au volant d’un véhicule et qu’ils sont égaux devant la loi, il y a cependant lieu de tenir compte de l’âge lorsque vient le temps de déterminer la peine. On ne peut exiger de la part d’un jeune adulte la même maturité que celle d’un contrevenant plus âgé, plus expérimenté. En l’espèce, l’immaturité attribuable au jeune âge de l’accusé a directement contribué à la conduite téméraire qui a occasionné le présent délit.

[39] Sixièmement, il faut souligner l’expression du remords par l’accusé. L’empathie et les regrets exprimés par l’accusé contribue[nt] à remplir les objectifs de réhabilitation et de réinsertion sociale rendant alors moins urgent le besoin de dissuasion ou de réprobation8. Cependant, en l’espèce, leur poids est relatif, puisqu’ils sont exprimés près de quatre ans après les événements.

__________________________

8 François Dadour, De la détermination de la peine : principes et applications, Lexis Nexis Canada, Markham, 2007, p. 102. »

 

[185]     De plus, monsieur le juge Tremblay cite certaines décisions :

« R. v. A.(A.)16

Âgé de 19 ans, a conduit son véhicule à la hauteur de celui d’un ami à une lumière rouge, brève conversation, ont embrayé rapidement, l’ami a perdu le contrôle de son véhicule et s’est écrasé dans une librairie, le passager de l’ami est mort, emploi à temps partiel, a immigré à 17 ans, pas de propension au crime, pas de consommation, risque de récidive peu élevé.

18 mois avec sursis, interdiction de conduire 3 ans.

R. c. Quevillon17

Grande vitesse à moto pour impressionner neveux, collision avec 2 autres motocyclettes, 3 conducteurs gravement blessés, l'accusé a manifesté ses remords aux victimes, a vendu ses motocyclettes, risque de récidive pas exclu à long terme, 2 bières avant l’accident, sursis pour des motifs de réinsertion sociale.

18 mois avec sursis.

R. c. Ménard-Labranche18

Plaidoyer de culpabilité, tentative de dépassement de 4 véhicules dans la voie inverse, 115-120 km/h, risque de récidive, contraventions pour excès de vitesse depuis l’accident, inconscient face aux risques de sa conduite automobile, peu de remords, sobre au moment de l’accident, sans antécédents judiciaires, diplômé, occupe un emploi, victimes blessées sérieusement, hospitalisées aux soins intensifs (séquelles physiques et psychologiques), accusé blessé.

2 ans moins un jour avec sursis (1re instance, 6 mois dans la collectivité).

[65] Tout récemment, la Cour d’appel a confirmé une peine de 18 mois d’emprisonnement avec sursis dans l’arrêt R. c. Lévesque-Chaput19. L’accusé, âgé de 19 ans, circulait sur l’autoroute 440 à une vitesse estimée de 130 à 150 km/h sur une distance de trois kilomètres. Il louvoyait et effectua plusieurs manoeuvres de dépassement pour éviter les véhicules devant lui. Le jeune conducteur téméraire a provoqué un grave accident de la route, qui a fait deux victimes. L’une est morte sur le coup et l’autre a subi de graves blessures qui ont laissé des séquelles importantes et permanentes.

[66] La Cour d’appel, à la majorité, a confirmé la peine de 18 mois d’emprisonnement avec sursis imposée par le juge de première instance, laquelle fut cependant qualifiée de clémente.

_____________________________

16 [2003] B.C.J. No. 900 (B.C. Prov. Ct).                                                                                                                      17 [2007] J.Q. No. 7186 (C.Q.), 2006 QCCQ 7243 .                                                                                           18 2008 QCCA 61 .                                                                                                                                                            19 2010 QCCA 640 . »

[186]     À l'annexe 28 du tome II de son argumentation, le procureur de la défense soumet un tableau résumant l'ensemble des peines prononcées par les tribunaux de diverses juridictions. Le Tribunal souligne la qualité de sa présentation, mais se devait de procéder à un résumé exhaustif de chacune des décisions afin qu'un lecteur bien intentionné du présent jugement puisse comprendre adéquatement la réflexion du Tribunal considérant les questions importantes en litige.

[187]     À ces nombreux prononcés au sujet de la peine, le Tribunal humblement y ajoute une décision de la Cour d'appel. L'honorable juge Rochon, dans l'arrêt Ferland[31], nous donne le bénéfice d'une étude approfondie en matière de conduite dangereuse causant la mort et/ou des lésions corporelles :

« [40] Tout en étant conscient des limites de tout exercice comparatif en la matière, j'ai examiné quatre arrêts récents de notre Cour15.

[41] Il s'agit d'appels de peines imposées à la suite d'accusation de conduite dangereuse causant des lésions corporelles ou causant la mort. Les accusés sont jeunes et n'ont aucun antécédent judiciaire. L'alcool n'est pas en cause. Le risque de récidive est jugé faible. Les accusés éprouvent des remords sincères. Il ne s'agit pas d'individus criminalisés. Les peines varient de 18 mois à 3 ans d'emprisonnement ferme.

[42] Il faut se rappeler que dans l'arrêt Proulx précité, la Cour suprême a rétabli une peine d'emprisonnement de 18 mois pour un jeune sans antécédent, chargé de remords, qui avait plaidé coupable à des accusations de conduite dangereuse ayant causé la mort et conduite dangereuse ayant causé des lésions corporelles. Dans cette affaire, la Cour d'appel du Manitoba était intervenue au motif que le juge du procès avait accordé « trop de poids à l'objectif de dénonciation ». Selon la Cour suprême, il s'agissait d'une erreur puisque, dans ce genre de crime, les facteurs de dénonciation et de dissuasion générale sont particulièrement importants16.

[43] Au cours de l'audition, le procureur de l'appelant a soutenu ne pas avoir trouvé de décision où la peine pour de semblables crimes excédait deux ans d'emprisonnement lorsque l'alcool n'était pas en jeu. Ce serait uniquement lorsque ce dernier facteur est en cause que les peines sont de plus de deux ans. Cette proposition n'est pas rigoureusement exacte, bien que je reconnaisse que plusieurs décisions entrent dans ce cadre. Par ailleurs, la question n'est pas de savoir si la peine s'inscrit dans une moyenne, mais plutôt si elle s'écarte de façon marquée et substantielle des peines infligées à des délinquants similaires pour des crimes similaires.

[44] Sans prétendre à une étude exhaustive de la question, j'annexe à mes motifs un tableau des peines infligées au Canada depuis 2000 pour des infractions de conduite dangereuse ayant causé des lésions corporelles ou ayant causé la mort.

[45] L'examen de ces dossiers m'amène à formuler les observations suivantes. Toute étude comparative comporte en soi des limites. Il m'apparaît difficile, sinon inapproprié, d'isoler un facteur tel l'usage ou non d'alcool, dans le but d'en titrer une conclusion dirimante telle que me le propose le procureur de l'appelant. L'imposition d'une peine est un exercice polycentrique au cours duquel le juge est appelé à prendre en compte plusieurs facteurs dans l'application des objectifs et des principes pénologiques. Dès lors, il m'apparaît hasardeux, voire téméraire, d'établir des catégories en fonction de facteurs précis et isolés des autres. À titre d'exemple, dans le contexte d'une conduite dangereuse, la conduite d'un véhicule à une vitesse excessive dans une zone scolaire peut constituer un facteur aussi aggravant que la conduite sur une autoroute où le taux d'alcoolémie du conducteur dépasse légèrement le seuil autorisé.

[46] Un certain nombre de constats peuvent être tirés du tableau annexé. D'abord, il y a des dossiers où la peine infligée est supérieure à deux ans même si l'alcool n'est pas en jeu. De plus, dans plusieurs cas, la peine imposée est une peine globale pour plusieurs infractions incluant la conduite dangereuse ayant causé la mort ou des lésions corporelles. Il peut s'agir d'accusation de vol de véhicule, de possession de véhicule volé, du défaut de s'arrêter ou de rester sur les lieux d'un accident, d'entrave à la justice ou encore de voies de fait. À cet égard, voir les décisions suivantes : R. v. Carry17, R. v. Duguay18, R. v. Galley19, R. v. Kobelka20, R. v. Cyr21, R. c. Harris22, R. v. L.(J.R.)23, R. v. Pellizzon24, R. v. Rioux25, R. v. Teed26.

[47] Dans d'autres dossiers, la peine excédera deux ans d'emprisonnement en raison des antécédents judiciaires du délinquant (voir notamment R. c. Gale27, R. c.Kechnie28 et R. c. Ernst29). Dans St-Laurent c. R.30, la Cour a maintenu une peine de trois ans d'emprisonnement. Dans ce cas, l'alcool n'était pas en cause. Les risques de récidive étaient faibles. Il n'y avait pas d'antécédents judiciaires. Le dossier de conduite automobile était toutefois chargé de multiples violations au Code de la sécurité routière.

[48] Si je remonte un peu plus loin, je note l'affaire R. c. Kelley31. À la majorité, la Cour a maintenu une peine de six ans d'emprisonnement imposée à l'égard de trois chefs de conduite dangereuse causant la mort. Dans sa dissidence, le juge Fish, alors à notre Cour, aurait réduit la peine à 42 mois. L'individu avait un casier judiciaire (voies de fait contre un agent de la paix, vol par effraction et vol simple). L'alcool n'était pas en cause.

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15 Hakim c. R., 2009 QCCA 25 ; Duval c. R., 2008 QCCA 578 ; St-Laurent c. R., 2008 QCCA 781 ; R. c. Gilbert, 2007 QCCA 1607 .                                                                                                                         16 Proulx, supra, note 1, paragr. 129 et 131.                                                                                                      17 [2008] B.C.J. No. 145 (B.-C. C.A.).                                                                                                                    18 2008 QCCQ 2929 .                                                                                                                                               19 [2006] O.J. No. 1845 (Ont. S.C.J.).                                                                                                   20 [2007] A.J. No. 470 (Alb. Prov. Ct); [2007] A.J. No. 1372 (Alb. C.A.).                                                           21 [2005] A.J. No. 463 (Alb. Prov. Ct), 2005 ABPC 979.                                                                                            22 [2004] A.J. No. 1620 (Alb. Prov. Ct).                                                                                                                          23 [2002] B.C.J. No. 3078 (B.C. S.C.), 2002 BCPC 628.                                                                                           24 [2003] A.J. No. 1445 (Alb. C.A.), 2003 ABCA 347.                                                                                                   25 [2003] J.Q. No. 20709 (C.S.).                                                                                                                            26 [2003] S.J. No. 707 (Sask. C.A.), 2003 SKCA 105.                                                                                           27 2003 BCPC 457.                                                                                                                                                   28 [2005] B.C.J. No. 2822 (B.C. Prov. Ct), 2005 BCPC 594.                                                                                     29 [2006] A.J. No. 949 (Alb. Q.B.).                                                                                                                          30 2008 QCCA 781 .                                                                                                                                                 31 [1997] J.Q. no. 2360 (C.A.). »

[188]     Les faits de l'arrêt  R. c. Kelly[32] se doivent d'être précisés puisque celui-ci est cité dans de nombreuses décisions.  Même si ce dernier avait plaidé coupable, les facteurs aggravants étaient fort nombreux. Ce conducteur circulait à grande vitesse, n'effectue pas un arrêt obligatoire à une intersection alors qu'il heurte un véhicule qui auparavant a effectué son arrêt.

[189]     Trois passagères âgées de 17 et 19 ans décèdent et le conducteur subit des blessures physiques et psychologiques sérieuses. Ces trois jeunes étaient des étudiantes sérieuses et des conséquences dramatiques sont vécues par leurs familles depuis leur décès.

[190]     De plus, Kelly est un homme instable au niveau de l'emploi et de ses relations affectives, connaît des problèmes de consommation de drogues et a suivi des thérapies qui n'ont pas d'effet à long terme.

[191]     Dans le rapport prédécisionnel, l'agent de probation le décrit comme une personne égocentrique, manipulateur, excessif et ayant de la difficulté à apprendre de ses erreurs.  Au surplus, depuis le triste événement, Kelly commet d'autres infractions contraires à certaines dispositions du Code de la sécurité routière dont la dernière est commise une semaine avant le début du procès (ne pas avoir immobilisé son véhicule face à un feu rouge).

[192]     Dans notre dossier présentement sous étude, quel est le quantum de la peine approprié?

LE DROIT

[193]     Le Tribunal, lorsqu'il prononce une peine, doit appliquer la Loi et l'enseignement de la Cour d'appel et de la Cour Suprême du Canada. Il doit imposer une sanction juste et proportionnelle à la gravité de l'infraction et au degré de responsabilité de l'accusé. L'article 718 du Code criminel énumère ainsi les objectifs de celle-ci :

« a) dénoncer le comportement illégal;

b) dissuader les délinquants, et quiconque, de commettre des infractions;

c) isoler, au besoin, les délinquants du reste de la société;

d) favoriser la réinsertion sociale des délinquants;

e) assurer la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité;

f) susciter la conscience de leurs responsabilités chez les délinquants, notamment par la reconnaissance du tort qu'ils ont causé aux victimes et à la collectivité; »

[194]     Rappelons que la peine de détention ferme doit se prononcer en dernier recours et s'il s'agit d'une première peine de détention, le Tribunal doit évaluer avec prudence et avec une certaine retenue la durée de celle-ci.

[195]     Même si les propos de l'honorable juge Marchand de la Cour d'appel du Québec datent de 1948, ils sont toujours d'actualité :

« On peut dire qu'une sentence a cette qualité de convenance quand elle est proportionnée à la fois à la gravité objective de l'infraction et à sa gravité subjective pour le délinquant et que, de plus, elle a les qualités nécessaires d'exemplarité protectrice et de correction curative.  La gravité objective est décrite dans le code; la gravité subjective d'un acte peut varier suivant le degré de l'intelligence et de la détermination de la volonté du délinquant. L'âge dans les deux extrêmes d'immaturité et de la sénilité doit aussi être considérée.» [33]

[196]     Dans l'arrêt R. c. M. (C.A.)[34], la Cour Suprême reprend ce principe d'une grande portée quant à la proportionnalité à la page 530 :

« Le juge Cory a de la même façon reconnu l'importance du «principe de proportionnalité» lorsqu'il a déclaré, au nom de la Cour, dans l'arrêt R. c. M. (J.J.), [1993] 2 R.C.S. 421 , à la p. 431, qu'«[i]l est vrai que, pour les adultes comme pour les mineurs, la peine doit être proportionnelle à l'infraction commise».  En effet, le principe de proportionnalité en matière de punition est fondamentalement lié au principe général de la responsabilité criminelle qui veut qu'on ne puisse imposer de sanction pénale qu'aux contrevenants possédant un état d'esprit moralement coupable. Dans le cours de l'examen de l'obligation constitutionnelle relative à l'existence d'une faute pour qu'il y ait meurtre, R. c. Martineau, [1990] 2 R.C.S. 633 , à la p. 645, j'ai fait état des principes connexe que «la peine doit être proportionnée à la culpabilité morale du délinquant» et que «ceux qui causent un préjudice intentionnellement doivent être punis plus sévèrement que ceux qui le font involontairement».  Pour ce qui concerne le principe de proportionnalité en général, voir l'arrêt R. c. Wilmott, [1967] 1 C.C.C. 171 (C.A.  Ont.), aux pp. 178 et 179; Réformer la sentence : une approche canadienne, op. cit., à la p. 169. »

[197]     De plus, au paragraphe 41, la Cour précise que ce principe de proportionnalité se présente comme une obligation constitutionnelle et que des peines excessives au point de ne pas être compatibles avec la dignité humaine violeront l'interdiction d'imposer des peines cruelles, tel que prévu dans la Constitution canadienne à l'article 12 de la Charte.

[198]     La détermination de la peine est la tâche la plus difficile pour le juge d'instance, car à chaque prononcé de peine, il se doit d'individualiser celle-ci parce qu'il punit un individu et non un crime, soupeser les facteurs atténuants et aggravants.

[199]     À cause de cette individualisation pour un même crime, certaines peines différentes seront prononcées comme le rappelle l'honorable juge Lamer dans l'arrêt R. c. Proulx[35]:

« Notre Cour a statué à maintes reprises que la détermination de la peine est un processus individualisé, dans le cadre duquel le juge du procès dispose d'un pouvoir discrétionnaire considérable pour déterminer la peine appropriée.  La justification de cette approche individualisée réside dans le principe de la proportionnalité, principe fondamental de détermination de la peine suivant lequel la peine doit être proportionnelle à la gravité de l'infraction et au degré de responsabilité du délinquant. Afin que la peine corresponde au crime, le principe de proportionnalité commande l'examen de la situation particulière du délinquant et des circonstances particulières de l'infraction. La conséquence de l'application d'une telle démarche individualisée est qu'il existera inévitablement des écarts entre les peines prononcées pour des crimes donnés. » [Le Tribunal souligne]

 

[200]     Seuls les esprits mal intentionnés ou recherchant le sensationnaliste ne peuvent comprendre ces sages propos. Au surplus, même si le Tribunal est sensible à la peine et douleur vécues par les membres de la famille, rappelons que le but d'une peine est de punir un individu et qu'on ne doit jamais y retrouver un ton de vengeance. Par contre, le Tribunal se doit de considérer les facteurs aggravants et non seulement atténuants lors de son délibéré.

[201]     Les propos du Tribunal reposent sur ceux de la Cour Suprême du Canada lorsqu'on consulte l'arrêt R. c. M. (C.A.)[36]:

« […] la vengeance n'au aucun rôle à jouer dans un système civilisé de détermination de la peine. Voir Ruby, Sentencing, op. cit., à la p.13.  La vengeance, si je comprends bien, est un acte préjudiciable et non mesuré qu'un individu inflige à une autre personne, fréquemment sous le coup de l'émotion et de la colère, à titre de représailles pour un préjudice qu'il a lui-même subi aux mains de cette personne.  En contexte criminel, par contraste, le châtiment se traduit par la détermination objective, raisonnée et mesurée d'une peine appropriée, reflétant adéquatement la culpabilité morale du délinquant, compte tenu des risques pris intentionnellement par le contrevenant, du préjudice qu'il a causé en conséquence et du caractère normatif de sa conduite.  De plus, contrairement à la vengeance, le châtiment intègre un principe de modération; en effet, le châtiment exige l'application d'une peine juste et appropriée, rien de plus.

[…] »

[202]     De plus, le juge d'instance doit prononcer des peines dans lesquelles sont toujours soupesés les critères d'exemplarité, de dissuasion et de réhabilitation. 

 

[203]     Dans l'arrêt Laplante[37], l'honorable juge Lebel, siégeant maintenant à la Cour Suprême, souligne la large discrétion accordée au juge d'instance sur la peine à imposer dans le cas d'homicide involontaire :

« Le premier juge devait sévir devant l'une des infractions les plus graves prévues au Code pénal.  Celui-ci laisse, par contre, une très large discrétion au juge dans la détermination de la peine, à l'égard de l'homicide involontaire coupable. Le maximum est fixé à l'emprisonnement à vie.  Le minimum peut être à l'intérieur de ce continuum très ouvert.  La présence même de cette discrétion suggère qu'à l'intérieur des cas qui, juridiquement, tombent dans la classification d'homicide involontaire coupable au sens de l'art. 217 C. cr. se retrouvent des actes de nature très variable.  Il est en quelque sorte paradoxal d'avoir à juger de la gravité d'un homicide, par rapport à un acte qui a violé le droit fondamental de tout être humain à la vie. Cette situation crée la tentation de croire que l'on est placé devant la limite de l'horreur.  Ce serait cependant restreindre singulièrement la fonction du juge de la peine, que d'arrêter là son enquête et nécessairement, que de faire une adéquation entre l'emprisonnement maximal et la perte de la vie.»

[204]     Le Tribunal cite les propos de l'honorable juge Lebel, car ils pourraient être tenus aussi pour le crime de conduite dangereuse ou négligence criminelle ou de conduite avec les facultés affaiblies dont le résultat est la mort.

[205]     La personne coupable d'homicide involontaire est coupable d'avoir causé la mort d'une personne sans le propos délibéré.

[206]     La personne qui cause la mort d'une autre personne alors qu'elle conduit contrairement aux articles 249, 202 et 255 (3) du Code criminel et cause la mort d'une autre personne agit sans en avoir eu le propos délibéré (intention spécifique).

[207]     Donc dans les deux cas, on se retrouve devant un accusé qui par son action a causé involontairement la mort d'un autre être humain.

[208]     D'ailleurs devant le Tribunal, lorsque l'accusé s'adresse à ce dernier avant le prononcé d'une peine dans une des trois situations visées ci-haut, le tribunal entend le même propos : « je regrette, je ne voulais pas tuer personne. »

[209]     Pour ces deux infractions, le juge d'instance doit punir un accusé :

a) pour l'une des infractions des plus graves prévues au Code criminel, car on a causé la mort d'une personne;

b) les deux crimes sont punissables à perpétuité;

c) le juge d'instance possède une très large discrétion pour évaluer la peine;

d) se retrouvent sous ces deux articles différents du Code criminel, des actes de nature très variable.  À titre d'exemple, combien de coups furent donnés à la victime, le pourquoi de cette conduite concernant l'homicide involontaire. En ce qui regarde la conduite dangereuse causant la mort, le lien de causalité est-il complet ou partiel en plus des manœuvres dangereuses, doit-on y ajouter une alcoolémie inférieure ou supérieure à 80 ml, le nombre de victimes, l'état de la chaussée, présence ou non de travaux de construction etc..

e) l'acte illégal dans les deux cas a violé le droit fondamental de tout être humain à la vie.  Cette situation crée la tentation de croire que l'on est placé devant la limite de l'horreur.

f) le juge ne doit pas se limiter à une équation à faire simplement entre l'emprisonnement maximal et la perte d'une vie;

[210]     Les propos du Tribunal démontrent donc le sérieux de cette accusation pour laquelle l'accusé se doit d'être châtié afin que le public en général et les conducteurs dangereux, faisant fi des dispositions du Code de sécurité routière cessent de banaliser cette disposition législative et que des paroles semblables : « c'est une bonne personne, il (elle) a pas été chanceux (se) » deviennent absentes des conversations dans les salons ou devant le Tribunal.

[211]     Évidemment, tous auront compris que le Tribunal ne songe nullement à harmoniser les peines pour ces deux crimes, car à titre d'exemple, ce dernier mentionne que parfois l'homicide involontaire se rapproche de beaucoup du meurtre non prémédité et dans de telles circonstances, des peines sévères doivent être prononcées.

[212]     Au nom de la précision et clarté, le vocabulaire se doit d'être le même pour ces diverses infractions criminelles : monsieur ou madame X a causé la mort d'une personne. La nature de l'infraction est différente, mais le résultat est le même et on ne peut parler de geste accidentel. Dans les deux cas, l'accusé a violé le droit fondamental à la vie d'autrui en se plaçant volontairement dans une situation dont les circonstances sont différentes, mais le résultat est le même.

[213]     Comme l'enseigne la jurisprudence, les tribunaux ont le devoir, par le prononcé de leurs peines, de rappeler ce consensus social qui existe dans la collectivité canadienne : la vie d'autrui est inviolable.

[214]     La Cour Suprême, dans l'arrêt R. c. M. (C.A.)[38], nous dicte clairement cette conduite à ce sujet :

« Il convient également de faire une distinction, sur le plan conceptuel, entre le châtiment et sa sœur légitime, la réprobation.  Le châtiment exige que la peine infligée par le tribunal reflète adéquatement la culpabilité morale du contrevenant visé. Pour sa part, l'objectif de réprobation commande que la peine indique que la société condamne la conduite de ce contrevenant.  Bref, une peine assortie d'un élément réprobateur représente une déclaration collective ayant valeur de symbole, que la conduite du contrevenant doit être punie parce qu'elle a porté atteinte au code des valeurs fondamentales dans notre société qui sont constatées dans notre droit pénal substantiel.  Comme l'a dit le lors juge Lawton dans R. c. Sargeant (1974), 60 Cr. App. R.74, à la p. 77: [TRADUCTION] «la société doit, par l'entremise des tribunaux, communiquer sa répulsion à l'égard de certains crimes, et les peines qu'ils infligent sont le seul moyen qu'ont les tribunaux de transmettre ce message». La pertinence du châtiment et de la réprobation en tant qu'objectifs de la détermination de la peine fait bien ressortir que notre système de justice pénale n'est pas simplement un vaste régime de sanctions négatives visant à empêcher les conduites objectivement préjudiciables en haussant le coût que doit supporter le contrevenant qui commet une infraction énumérée.  Notre droit criminel est également un système de valeurs.  La peine qui exprime la réprobation de la société est uniquement le moyen par lequel ces valeurs sont communiquées.  En résumé, en plus d'attacher des conséquences négatives aux comportements indésirables, les peines infligées par les tribunaux devraient également être infligées d'une manière propre à enseigner de manière positive la gamme fondamentale des va leurs communes que partagent l'ensemble des Canadiens et des Canadiennes et qui sont exprimées par le Code criminel. »

(p. 558)

[215]     De plus, au paragraphe 82, le regretté honorable juge Lamer définit ainsi le devoir général du juge :

« […] En dernière analyse, le devoir général du juge qui inflige la peine est de faire appel à tous les principes légitimes de détermination afin de fixer une peine «juste et appropriée», qui reflète la gravité de l'infraction commise et la culpabilité morale du contrevenant. »

[216]     Aussi, lorsque le Tribunal est appelé à prononcer une peine, il ne peut ignorer l'importance du crime dans sa communauté comme l'énonce le regretté honorable juge Lamer dans R.  c. M. (C.A.)[39] :

«Fait peut-être le plus important, le juge qui impose la peine exerce normalement sa charge dans la communauté qui a subi les conséquences du crime du délinquant ou à proximité de celle-ci. De ce fait, il sera à même de bien évaluer la combinaison particulière d'objectifs de détermination de la peine qui sera «juste et appropriée» pour assurer la protection de cette communauté. La détermination d'une peine juste et appropriée est un art délicat, où l'on tente de doser soigneusement les divers objectifs sociétaux de la détermination de la peine, eu égard à la culpabilité morale du délinquant et aux circonstances de l'infraction, tout en ne perdant jamais de vue les besoins de la communauté et les conditions qui y règnent. »

[217]     Dans l'exercice de ce « dosage », le juge d'instance, dans la solitude et la sérénité de son délibéré n'a pas à sa portée de main un livre « recette magique ».  Il doit soupeser tous les facteurs à la lumière de la Loi, de la jurisprudence et y joindre son expérience de juge d'instance qui entend quotidiennement les voix des avocats, des accusés, des victimes ou de leurs représentants tout en ayant à l'esprit sans cesse les propos de l'honorable juge Chamberland dans l'affaire R. c. Rodrigue[40] :

« le but fondamental de la sentence est de préserver l'autorité des lois et d'en promouvoir le respect par l'imposition de sanctions justes; la peine est appropriée dans la mesure où elle est proportionnelle à la gravité de l'infraction et au degré de responsabilité de son auteur. Dans cette perspective, la sentence est modulée en fonction de la personnalité de l'accusé; elle est individualisée. Chaque cas est un cas d'espèce et la sentence doit refléter l'ensemble des circonstances du dossier. Il s'agit pour le tribunal de déterminer, sans recourir à un tarif spécifique ou à un point de départ - sauf quand la loi l'impose - la peine qui sera la plus appropriée, la plus juste eu égard aux objectifs visés par l'imposition d'une peine à ceux et celles qui contreviennent à la loi : dénonciation, dissuasion, neutralisation et réadaptation. »

[218]     Même si ces propos datent de 1993, et ce, avant l'adoption par le législateur de l'article 718 du Code criminel (1996), ceux-ci et la sagesse les inspirant, sont toujours d'actualité et ont traversé l'épreuve du temps.

[219]     C'est donc avec une retenue judiciaire, se souvenant qu'une justice qui résulte en pointant une personne comme un héros ou un martyr est une injustice, que le Tribunal se doit de prononcer une peine telle que définit ainsi dans l'affaire R. c. L.M.[41]:

« [41] Il est bien établi que la détermination d'une peine est un exercice individualisé qui relève, au premier chef, du juge de première instance. Dans L.M., la Cour suprême l’affirme en ces termes :

[17] Loin d’être une science exacte ou une procédure inflexiblement prédéterminée, la détermination de la peine relève d’abord de la compétence et de l’expertise du juge du procès. Ce dernier dispose d’un vaste pouvoir discrétionnaire en raison de la nature individualisée du processus (art. 718.1 C. cr.; R. c. Johnson, [2003] 2 R.C.S. 357 , 2003 CSC 46 , par. 22; R. c. Proulx [2000] 1 R.C.S. 61 , 2000 CSC 5 , par. 82). Dans sa recherche d’une sentence adéquate, devant la complexité des facteurs relatifs à la nature de l’infraction commise et à la personnalité du contrevenant, le juge doit pondérer les principes normatifs prévus par le législateur dans le Code criminel :

- Les objectifs de dénonciation, de dissuasion, d’isolation des délinquants, leur réinsertion sociale, ainsi que la reconnaissance et la réparation des torts qu’ils ont causés (art. 718 C. cr.);

- le principe fondamental de la proportionnalité de la peine au regard de la gravité de l’infraction et du degré de responsabilité du délinquant (art. 718.1 C. cr.);

- les principes d’adaptation de la peine aux circonstances aggravantes et atténuantes, d’harmonisation des peines, d’identification des sanctions moins contraignantes et des sanctions substitutives applicables (art. 718.2 C. cr.).

APPLICATION DU DROIT AU PRÉSENT DOSSIER ET ANALYSE DES FACTEURS ATTÉNUANTS ET AGGRAVANTS

 

[220]     Le Tribunal a longuement résumé de nombreuses décisions dans lesquelles chaque partie y trouve son compte afin de justifier sa position. Il n'est pas superflu comme le démontre cette étude jurisprudentielle de signaler que chaque cas demeure toujours un cas d'espèce. Les habitués dans nos salles de Cours entendent cette phrase presque quotidiennement. Mais tous doivent s'y habituer, car le jour où ce principe gouverné par la logique et le bon sens deviendra absent du langage de la magistrature, la Justice dans son sens de plus noble deviendra inhumaine envers les accusés et on n'aura qu'à remplacer le juge par un ordinateur.

[221]     Seules les personnes extrémistes croyant qu'elles-mêmes sont parfaites ou qu'elles-mêmes ou un de leurs proches ne commettront jamais un délit, rêvent de ce jour. Comme l'écrivait si bien le regretté honorable juge Laforest dans l'affaire  R. c. Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309 , on ne peut quand même pas, aux tribunaux, de leur demander d'avoir la capacité de prédire l'avenir comme le font les cartomanciennes. 

[222]     Le Tribunal rappelle que dans les cas comme celui actuellement sous étude, l'exemplarité ou la dissuasion générale est le critère dominant.

[223]     Malgré la publicité gouvernementale le long des routes, des diverses opérations policières, de la publicité percutante à la télévision au sujet des conséquences d'une conduite criminelle d'un véhicule, ainsi que les décisions des tribunaux, le message semble plus ou moins entendu et respecté dans la société, et ce, souvent par « monsieur ou madame tout le monde ».

[224]     Chacun sait très bien que trop souvent le lundi matin ou suite à un congé statutaire les médias nous annoncent que d'innocentes victimes circulant dans leur voie réservée furent tuées par des conducteurs irresponsables.

[225]     Il est donc du devoir des tribunaux de prononcer des peines significatives afin que ce fléau ou plaie sociale cesse dans la société. Les citoyens ont le droit de circuler sur des voies publiques sécuritaires.

[226]     Comme la Cour d'appel l'enseigne, même si le Tribunal désire insister sur le critère de l'exemplarité et de la dissuasion générale, ce dernier se doit aussi d'individualiser la peine, car le critère d'individualisation n'est pas exclu dans une telle situation.

[227]     Le Tribunal retient aussi de cet enseignement qu'après avoir individualisé la peine, ce dernier peut quand même imposer une peine sévère afin de rappeler le consensus social qui existe relativement à une infraction criminelle en matière de conduite dangereuse.

[228]     De plus, le législateur, au cours des années, a augmenté la gravité objective reliée à ce crime. Devant ces nouvelles dispositions législatives, les tribunaux se doivent de continuer à individualiser la peine et ne pas augmenter automatiquement la peine à cause que le crime est maintenant punissable à perpétuité. Par contre, une règle d'interprétation des lois enseigne que le législateur ne parle pas pour rien dire. Certains accusés doivent être punis plus sévèrement, et ce, même pour des délinquants sans ou peu d'antécédents judiciaires.

[229]     Cette action législative s'explique concrètement. Les victimes, de plus en plus, s'organisent et font entendre leurs voix comme les défenseurs des droits des détenus le font. Le législateur a choisi d'accorder une oreille plus sensible à la voix des victimes. Ainsi, se déroule entre autres l'action législative dans une démocratie. Celle-ci se véhicule dans l'exercice d'un pouvoir législatif, exécutif et un pouvoir judiciaire indépendant. Donc les tribunaux doivent aussi continuer de tendre une oreille attentive aux désirs des victimes et à l'esprit du législateur.

[230]     Le Tribunal, à ce sujet, n'a pas besoin d'entendre des experts ou d'analyser des statistiques à ce sujet. Il est de connaissance d'office que les victimes demandent de plus en plus aux juges de se montrer plus sévère dans ces dossiers de cette nature, tel qu'on l'observe lors de leurs témoignages devant le Tribunal ou lors de certaines déclarations rapportées dans les médias.

[231]     Loin du Tribunal l'idée que les tribunaux sont à la remorque de l'opinion publique et des mouvements de pression. En effet, l'histoire a démontré que des innocents furent pendus et que de graves injustices se sont déroulées parce que les tribunaux populaires d'une époque fort lointaine écoutaient la « vox populi » et notons qu'à ces époques, il « fallait un coupable ». Mais aujourd'hui, la personne raisonnable est de plus en plus informée, et ce, rapidement.

[232]     Donc, cette personne doit se reconnaître dans les propos des tribunaux et y trouver dans la peine imposée une illustration du consensus social unanime vis-à-vis ce genre d'infraction. Le jour où cette personne ne s'y reconnaît plus, la légitimité du pouvoir judiciaire sera en danger.

[233]     Les juges par leur sagesse, leur expérience de vie et à titre de magistrat, se doivent d'éviter que l'Institution judiciaire se retrouve affaiblie dans sa légitimité.

[234]     Bien sûr, certains dossiers justifieront d'imposer des peines clémentes à cause de circonstances très particulières et du principe de l'individualisation de la peine. Dans de tels dossiers, les tribunaux auront le courage des prononcer et seuls les yeux aveuglés par la vengeance ou l'ignorance crieront au scandale.

[235]     Ces réflexions du Tribunal se devaient d'être écrites afin de démontrer qu'il ne minimise nullement la gravité objective et subjective de l'infraction pour laquelle l'accusé a plaidé coupable. Par contre, il se doit aussi de soupeser le critère de réhabilitation, de distinguer les faits de chaque dossier qu'il analyse et d'individualiser la peine infligée à tel accusé et non à un autre délinquant.

[236]     Dans la présente affaire, le Tribunal se doit de tenir compte des sentiments de regrets et de remords exprimés par l'accusé. Ceux-ci sont certainement sincères et sa tristesse profonde est compréhensible, car son meilleur ami est décédé suite à une entente intervenue entre eux après discussion et vérification de l'état de la route. Il est évident que ces sentiments vécus par l'accusé doivent être traités à titre de facteur atténuant.

[237]     Par contre, le Tribunal se doit de se mettre en garde devant une conduite de repentance de regrets, de remords. Accorder à celle-ci un poids exagérément élevé serait à l'encontre de l'esprit de la Loi.

[238]     La Cour suprême du Canada reconnaît au juge cette possibilité de se servir de son expérience comme magistrat en autre. Bien humblement, le Tribunal est dans sa vingtième année de banc et siège la plupart du temps en chambre criminelle. Donc, le Tribunal a présidé à de nombreuses reprises l'audition de représentations relatives à des dossiers de cette nature ou d'homicide involontaire.

[239]     À moins de faire face à un criminel endurci et fortement criminalisé, les discours tenus par les accusés sont d'une similarité frappante à ceux de l'accusé. Loin de l'esprit du Tribunal d'adresser un reproche aux accusés de tenir ce propos, car il s'agit de la moindre des choses : à cause de leur conduite, une vie humaine a connu une fin abrupte.

[240]     Les personnes qui plaident coupables à ce type d'infraction sont généralement des personnes sans ou avec peu d'antécédents judiciaires. Dans certains dossiers, s'ajouteront quelques condamnations selon le Code de sécurité routière comme c'est le cas dans le présent dossier.

[241]     Voilà le portrait général de cette catégorie de personnes qui commet ce délit. Il n'y a pas lieu de s'attarder sur les cas particuliers de personnes avec de nombreux antécédents judiciaires.

[242]     De plus, généralement, il s'agira d'un étudiant sérieux, d'un(e) bon(ne) travailleur (se), bon père ou bonne mère de famille, qui le jour de l'événement a commis une infraction en peu de temps en causant une conséquence sans appel.

[243]     Donc, il ne faut nullement se surprendre de ces propos qui semblent toujours sincères puisque ces citoyens comprennent qu'ils ont commis l'irréparable et ne sont pas ou peu criminalisés.

[244]     En présence de ces sentiments légitimes, d'autres vivent profondément de la tristesse; pour le reste de leur vie des victimes devront se déplacer en fauteuil roulant ou être complètement dépendantes des autres. D'autres victimes en pleurs expliquent au Tribunal leur chagrin suite au décès d'un père, mère, sœur, frère, enfant, un (e) conjoint (e). La personne qui décède laisse ordinairement plusieurs victimes autour d'elle. Le Tribunal ne peut tenir compte seulement de la victime qui est décédée ou gravement blessée mais aussi de son entourage.

[245]     Soupeser et prendre en considération la tristesse et les conséquences des victimes lors de l'évaluation de la peine ne constitue nullement un acte de vengeance. Si cette situation était ignorée, il s'agirait d'une grande injustice et on devrait cesser de se servir de la balance à titre de symbole de la justice. Il faudrait plutôt ajouter de nombreux bandeaux aux yeux de la déesse Thémis.

[246]     Donc les peines doivent être punitives afin que le public sache que même si les tribunaux retiennent comme facteurs atténuants les remords et regrets, ils sauront aussi leur dire : « Hélas, il est trop tard, vous avez commis l'irréparable et votre conduite se doit d'être punie sévèrement. » Le Tribunal précise par contre l'obligation de ce dernier de punir avec pondération tout en individualisant la peine.

[247]     Avant d'aborder cette situation particulière, le Tribunal estimait important de rappeler cette règle générale que les tribunaux ont toujours appliquée dans le passé envers les victimes et leurs proches.

[248]     Le Tribunal précise avec respect qu'il n'appartient pas aux victimes ou à leur famille de qualifier si l'acte posé est criminel ou accidentel comme il appartient seulement aux tribunaux d'imposer les peines même si de leur part s'y trouve un appel à la clémence.

[249]     Le 10 octobre 2008, Kevin Perry a commis une infraction criminelle dont la gravité objective est très élevée. Le mot accident doit être employé lorsqu'une faute civile a causé un résultat.  Par contre, le Tribunal doit tenir compte des sentiments vécus par la mère de la victime décédée. Lorsque les membres de la famille d'une victime réclament dans leur douleur au tribunal une peine sévère, ce dernier doit prononcer une sanction dont un des facteurs aggravants sera les conséquences vécues par la famille. Le contraire s'appliquera aussi dans une situation comme la présente, lorsque malgré la douleur vécue par une mère qui perd son fils fait appel à la clémence du Tribunal. Mais en aucun cas le fardeau d'imposer une peine ne doit reposer sur les épaules d'une victime ou de son entourage familial. Il appartient seulement aux tribunaux la tâche de punir un individu conformément à la Loi et la jurisprudence.

[250]     Le temps est venu d'énumérer les différents facteurs à être soupesés :

§  Une personne décède;

§  Gravité objective;

§  Le critère d'exemplarité dans ce genre de cause;

§  La conduite criminelle est posée après réflexion et inspection des lieux afin de s'assurer de la qualité de la chaussée;

§  Les lésions corporelles et le choc émotif vécu par la conductrice puisqu'il s'agit d'une conséquence prévisible;

§  Les lésions corporelles de la passagère sur la moto du défunt;

§  La dissuasion chez les jeunes afin de les responsabiliser à une conduite prudente sur les routes publiques ou terrains privés;

§  Il s'agit d'une course entre conducteurs sur la voie publique et ce crime ne constitue pas une exception autant chez les jeunes que pour les personnes d'un certain âge. La commission de ce crime met en danger non seulement la vie du conducteur, mais aussi de ces passagers et de tout autre utilisateur prudent qui circule sur les routes.

§  Les coûts sociaux des conséquences dus de cette conduite sont élevés. Les conducteurs prudents doivent payer des frais d'assurance et de l'impôt pour que l'État paie tous les frais médicaux et verse des rentes aux accidentés de la route ou à leurs proches en cas de décès. De plus, lorsqu'un décès survient, la société est privée d'un citoyen qui était un actif pour elle et ou sa famille.

§  L'accusé conduisait alors que son permis est suspendu et n'est pas accompagné d'un titulaire d'un permis de conduire.

§  Commissions d'infractions avant l'événement et une postérieurement contrairement au Code de la sécurité routière; par contre, au sujet de cette dernière, même si le Tribunal accepte son explication, l'accusé est quand même coupable puisque son explication ne pouvait servir de moyen de défense.

§  L'accusé a plaidé coupable sans audition de témoins le matin de l'enquête préliminaire;

§  Sur les lieux, immédiatement à l'arrivée des policiers, il relate les faits et s'incrimine sans hésitation.  Comme certains, il aurait pu fuir les lieux en évoquant la panique ou exercer son droit constitutionnel de garder le silence et de consulter un avocat.

§  Le lien de causalité ne peut être supporté que par l'accusé, car la victime elle-même a décidé de participer volontairement à cette course.

§  L'accusé réalisant le danger constitué par sa conduite décide de s'arrêter alors que la victime augmente sa vitesse et continue sa route. Force de conclure que la victime n'a pas constaté cet arrêt, mais en augmentant sa vitesse, il démontre son vœu de gagner la course.

§  Lors du drame, l'accusé est âgé de 19 ans.

§  Ce dernier vit des remords, car il a perdu son meilleur ami et y vit une grande culpabilité face à ce décès.

§  Il est propriétaire d'une entreprise, engage deux personnes et survient à ses besoins.

§  En plus, il occupe un travail à temps partiel et est étudiant à l'Université du Québec.

§  Il vit une relation amoureuse stable depuis un peu plus de deux ans.

§  Ne présente aucune problématique de consommation de drogue ou d'alcool.

§  La tragédie est due à une seule cause : la vitesse.

§  Suite au décès de son meilleur ami, il a tenté de se suicider par médication et a dû compléter un suivi auprès d'une psychothérapeute.

§  Même s'il fut très affecté par le suicide de son père survenu en 1997, il a su traverser cette épreuve et accomplir des réalisations positives.

§  Depuis le décès de son ami, il ne banalise plus le respect des dispositions du Code de la sécurité routière.

§  Il craint l'emprisonnement ferme, mais se dit prêt à assumer l'entière responsabilité de son geste, en reconnaissant son manque de sérieux.

§  Ne possède pas d'antécédents judiciaires;

§  Les sentiments tels qu'exprimés par la mère de la victime;

§  Le fait que l'accusé était au début de sa majorité, ce qui le distingue de plusieurs conducteurs plus âgés et envers qui les tribunaux sont en droit de demander plus de maturité lorsqu'ils utilisent un véhicule automobile.

[251]     Prenant en considération la jurisprudence, l'article 718 du Code criminel, la gravité objective du crime ainsi que les facteurs aggravants et atténuants, le Tribunal conclut qu'une peine de détention de moins de deux ans s'applique dans le présent dossier.

INTERPRÉTATION DE SÉVICES GRAVES

[252]     Avec raison, la Poursuite prétend qu'actuellement le Tribunal, s'il n'avait pas à décider de la constitutionnalité des dispositions en litige, déciderait sans hésitation que les infractions pour lesquelles l'accusé a plaidé coupable ne peuvent être punies par une peine à être purgée dans la communauté.

[253]     La savante procureure de la Poursuite, au soutien de son argumentation à ce sujet, a produit certaines décisions : Her Magesty the Quenn vs. Edgar Richard Goforth[42]; R. v. Nusrat[43]; Reine c. Collin Graham Barton[44]; R. v. Penner[45]; R. c. Grégoire Jourdain[46];R. c. Dupuis[47].

[254]     Soulignons que le procureur de la défense a admis que selon les dispositions législatives actuelles, il s'agit d'infractions dont le résultat constitue des sévices graves. 

[255]     Le Tribunal est d'accord avec les deux procureurs, mais advenant un débat devant la Cour d'appel, ce dernier cite les propos qu'il écrivait dans l'affaire R. c. Boisclair[48] :

« [28] Les deux procureurs recommandent une peine de 18 mois d'emprisonnement. La question en litige est de décider si cette peine peut être purgée dans la communauté.

[29] Le 30 novembre 2007, le Parlement canadien amende l'article 742.1 du Code criminel pour exclure les peines d'emprisonnement avec sursis pour des infractions qui « constituent des sévices graves à la personne au sens de l'article 752 ». De plus, ces infractions doivent être punissables d'une peine d'emprisonnement de 10 ans ou plus.

[30] L'infraction de conduite dangereuse causant lésions corporelles est punissable d'un emprisonnement de plus de 10 ans. Cette infraction constitue-t-elle une situation de sévices graves à la personne? L'article 752 du Code criminel définit ainsi l'expression sévices graves à la personne :

« Selon le cas

a) les infractions… punissables, par mise en accusation, d'un emprisonnement d'au moins dix ans et impliquant..

ii) soit une conduite dangereuse, ou susceptible de l'être, pour la vie ou la sécurité d'une autre personne… »

[31] Au soutien de sa prétention, le procureur de l'accusé a produit les décisions suivantes, R. c. Gosse1 et R. c. Sigouin2.

[32] Monsieur le juge V.H. Myers de la Cour provinciale d'Alberta a conclu qu'une accusation de conduite dangereuse causant la mort ou des lésions corporelles n'est pas automatiquement exclue de l'application de l'article 742.1 du Code criminel.

[33] S'appuyant sur les propos de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt R. c. Betty3, le Tribunal décide qu'un accusé peut être déclaré coupable du crime prévu à l'article 249 du Code criminel même si subjectivement il n'a pas l'intention de conduire d'une manière dangereuse. Selon ce dernier, l'article 752 du Code criminel exige de retrouver chez l'accusé une intention objective de créer un danger. (voir paragr. 14-15 de la décision).

[34] Donc appliquant cette décision à la présente cause, le procureur de la défense soumet au Tribunal que l'accusé n'avait pas l'intention subjective de conduire dangereusement.

[35] Ce dernier est un jeune conducteur sans antécédent judiciaire qui avait consommé peu d'alcool et subitement a conduit dangereusement objectivement, mais subjectivement en peu de temps a décidé « d'essayer » le nouveau véhicule de son père en compagnie de passagers qui faisaient la fête avec ce dernier. À l'agent de probation, l'accusé qualifie ce geste de « gaffe » de sa vie ou erreur de jugement de conduite. Il s'agirait donc d'une étourderie de la part de ce dernier et n'a pas réalisé que sa conduite était dangereuse.

[36] Quant à la décision de monsieur le juge Chevalier, l'accusée avait plaidé coupable à une infraction de délit de fuite sachant que des lésions corporelles avaient été causées à une personne impliquée dans l'accident.

[37] Le Tribunal partage l'opinion de son collègue lorsqu'il s'exprime ainsi :

« [13] La Cour d’appel du Québec, cette fois dans une affaire de délit de fuite mortel, rappelle que le crime commis « n’est pas celui d’avoir causé le décès de la jeune victime, mais bien celui de ne pas s’être arrêté sur les lieux de l’accident. »4

[14] Comme l’énonce la Cour d’appel, le Tribunal doit tenir « compte d’un facteur pourtant fort important, soit que l’accident et [les blessures] de la victime sont le résultat d’un pur accident et n’ont pas été causés par la perpétration d’une infraction… En d’autres termes aucune accusation n’aurait été portée si [l’accusée] était demeurée sur les lieux après l’accident ».5

[15] La culpabilité de l’accusée ne débute donc qu’après l’accident. Sa fuite ne peut en conséquence pas être considérée comme la cause des blessures subies ni comme les ayant aggravées puisque des secours ont été apportés à Mme V... par des témoins immédiatement après l’accident.

[16] Comme le crime commis par l’accusée est survenu après l’accident et après que les blessures aient été causées, l’on ne saurait prétendre que cette fuite a constitué une « conduite dangereuse, ou susceptible de l’être, pour la vie ou la sécurité d’une autre personne ».

[17] Le Tribunal conclut donc que l’accusation de délit de fuite après avoir causé des lésions corporelles (art. 252(1.2) C.cr.) ne constitue pas des « sévices graves à la personne » au sens de l’article 752 C.cr.

[18] Par voie de conséquence, si les circonstances le justifient, la peine peut en être une d’emprisonnement avec sursis. »

[38] De plus, dans cette décision, monsieur le juge Chevalier cite une décision de la Cour d'appel de Terre-Neuve4 qui arrive à une conclusion contraire dans une affaire de conduite dangereuse causant des lésions corporelles. Dans cette affaire, l'accusée avait percuté volontairement l'arrière du véhicule de la conductrice et par ce geste elle ne pouvait ignorer que sa conduite était dangereuse.

[39] La poursuite soutenant une opinion contraire a déposé la décision de monsieur le juge George S. Rideout du 18 février 20105.

[40] L'accusé avait plaidé coupable à une infraction selon l'article 365 (1.1) b) du Code criminel. L'analyse à laquelle se livre monsieur le juge Rideout se doit d'être citée et non résumée puisqu'il y résume diverses décisions :

[16] Pour ce qui est de la question de savoir si une condamnation avec sursis peut être envisagée pour M. Barton, je vais examiner la règle de droit avant de l'appliquer à la présente affaire.

[17] L'article 742.1 du Code criminel est rédigé comme suit :

742.1 S'il est convaincu que la mesure ne met pas en danger la sécurité de la collectivité et est conforme à l'objectif et aux principes énoncés aux articles 718 à 718.2, le tribunal peut ordonner à toute personne qui, d'une part, a été déclarée coupable d'une infraction autre qu'une infraction constituant des sévices graves à la personne au sens de l'article 752, qu'une infraction de terrorisme ou qu'une infraction d'organisation criminelle, chacune d'entre elles étant poursuivie par mise en accusation et passible d'une peine maximale d'emprisonnement de dix ans ou plus, ou qu'une infraction pour laquelle une peine minimale d'emprisonnement est prévue et, d'autre part, a été condamnée à un emprisonnement de moins de deux ans de purger sa peine dans la collectivité, sous réserve de l'observation des conditions qui lui sont imposées en application de l'article 742.3, afin que sa conduite puisse être surveillée.

[18] La question en litige devient alors celle de savoir ce que sont des sévices graves à la personne et l'article 752 les définit comme suit:

"sévices graves à la personne" Selon le cas:

a) les infractions — la haute trahison, la trahison, le meurtre au premier degré ou au deuxième degré exceptés — punissables, par mise en accusation, d'un emprisonnement d'au moins dix ans et impliquant:

(i) soit l'emploi, ou une tentative d'emploi, de la violence contre une autre personne;

(ii) soit une conduite dangereuse, ou susceptible de l'être, pour la vie ou la sécurité d'une autre personne ou une conduite ayant infligé, ou susceptible d'infliger, des dommages psychologiques graves à une autre personne;

b) les infractions ou tentatives de perpétration de l'une des infractions visées aux articles 271 (agression sexuelle), 272 (agression sexuelle armée, menaces à une tierce personne ou infliction de lésions corporelles) ou 273 (agression sexuelle grave). [Je souligne.]

[19] Il faut noter également que l'édition 2010 du Martin's Criminal Code, suivant la grille des infractions, indique que ni l'absolution prévue à l'article 730 ni le sursis prévu à l'article 742.1 ne peuvent être envisagés à l'égard de l'infraction dont il est question au paragraphe 346(1) et à l'alinéa 346(1.1)b).

[20] Dans R. c. Biernat (2009), W.C.B. (2d) 528, 2009 ONCJ 273, le juge Brown a passé en revue la jurisprudence et formulé les observations suivantes aux paragraphes 28, 29 et 30 :

[TRADUCTION]

28 Il existe deux courants jurisprudentiels pour ce qui est de l'interprétation de la définition de "sévices graves à la personne" énoncée à l'article 752 du Code criminel. Le premier, émanant de la Cour d'appel de l'Alberta dans R. c. Neve, [1999] A.J. No. 753 (C.A. Alb.), soutient que le degré de violence ou d'exposition à un danger doit être objectivement grave pour que la définition s'applique. Le deuxième courant, émanant de la Cour d'appel de la Saskatchewan dans R. c. Goforth, [2005] S.J. No. 79 (C.A. Sask.), soutient que la définition s'applique peu importe le degré de violence ou d'exposition à un danger.

29 La jurisprudence alignée sur l'arrêt Goforth part du principe que le législateur n'a pas voulu que l'introduction de procédures contre des criminels dangereux attende la perpétration d'une infraction donnant lieu à des blessures graves [voir R. c. Currie, [1997] 2 R.C.S. 260 (C.S.C.); R. c. Naess, [2005] O.J. No. 936 (C. sup. Ont.)]. L'autre courant jurisprudentiel considère l'issue de la procédure visant un délinquant dangereux et soutient qu'un délinquant qui n'a pas commis ce genre d'infraction ne devrait pas être à risque d'être déclaré délinquant dangereux.

30 La défense soutient que la décision de la Cour d'appel de l'Alberta dans R. c. Neve (1999), 137 C.C.C. (3d) 97 (C.A. Alb.), aux paragraphes 65 à 80, est utile pour déterminer ce qui constitue des "sévices graves à la personne".

[21] La défense s'appuie sur la décision R. c. Hendsbee, [2009]N.S.J. No. 466, dans laquelle la Cour provinciale de la Nouvelle-Écosse a statué qu'une condamnation avec sursis était possible dans le cas d'une personne accusée de vol qualifié. Le juge A.T. Tufts y fait une analyse approfondie de la jurisprudence, aux paragraphes 19 à 26, avant de conclure au paragraphe 27 :

[TRADUCTION]

19 Je vais maintenant examiner les récentes modifications apportées aux dispositions du Code criminel concernant les ordonnances de sursis. Le 1er décembre 2007, le législateur a modifié le Code criminel de manière à restreindre davantage les cas où des ordonnances de sursis peuvent être prononcées. L'article 742 a été modifié pour faire en sorte que les ordonnances de sursis ne soient pas possibles notamment pour les sévices graves à la personne, suivant la définition énoncée à l'article 752 du Code criminel, infractions poursuivies par voie de mise en accusation et passibles d'une peine maximale d'emprisonnement d'au moins dix ans. L'article 752 définit les sévices graves à la personne comme suit:

* « sévices graves à la personne" Selon le cas:

a) les infractions — la haute trahison, la trahison, le meurtre au premier degré ou au deuxième degré exceptés — punissables, par mise en accusation, d'un emprisonnement d'au moins dix ans et impliquant:

(i) soit l'emploi, ou une tentative d'emploi, de la violence contre une autre personne,

(ii) soit une conduite dangereuse, ou susceptible de l'être, pour la vie ou la sécurité d'une autre personne ou une conduite ayant infligé, ou susceptible d'infliger, des dommages psychologiques graves à une autre personne;

b) les infractions ou tentatives de perpétration de l'une des infractions visées aux articles 271 (agression sexuelle), 272 (agression sexuelle armée, menaces à une tierce personne ou infliction de lésions corporelles) ou 273 (agression sexuelle grave).

20 Cette définition sert également de critère préliminaire ou de moyen d'introduction des demandes visant à faire déclarer un accusé délinquant dangereux. Nombre d'affaires dans lesquelles cette définition a été interprétée ont été tranchées dans ce contexte. Il est évident que les mots "sévices graves à la personne" font référence aux circonstances factuelles de l'infraction et non à son caractère ou sa nature juridique. Par conséquent, il faut examiner les faits à l'origine de l'infraction pour déterminer si elle répond à cette définition. La jurisprudence soutient cette conclusion. La question en litige en l'espèce est celle de savoir si l'infraction commise par M. Hendsbee, dans la présente affaire, impliquait "soit l'emploi, ou une tentative d'emploi, de la violence contre une autre personne, [...] soit une conduite dangereuse, ou susceptible de l'être, pour la vie ou la sécurité d'une autre personne ou une conduite ayant infligé, ou susceptible d'infliger, des dommages psychologiques graves à une autre personne" pour reprendre les termes employés dans le Code criminel.

21 Deux courants jurisprudentiels se sont installés, fondés sur l'interprétation législative et, en particulier, sur la manière de bien qualifier l'emploi ou la tentative d'emploi de la violence et la conduite dangereuse dont il est question dans la disposition du Code criminel. La Cour d'appel de l'Alberta, dans R. c. Neve (1999), 137 C.C.C. (3d) 97 (C.A. Alb.), a proposé que la violence et la conduite dangereuse doivent avoir une composante grave de sorte que l'infraction soit objectivement grave. Elle a conclu qu'il doit y avoir un degré élevé de violence ou de conduite dangereuse dans l'infraction sous-jacente.

22 Dans R. c. Goforth, [2005] S.J. No. 79, la Cour d'appel de la Saskatchewan a rejeté ce qu'il est convenu d'appeler le "critère de gravité objectif" qui avait été adopté dans R. c. Neve. Dans cette affaire, la cour a conclu que les termes employés dans la disposition n'invitent pas à une évaluation qualitative du degré de violence ou de conduite dangereuse dans l'infraction sous-jacente. Elle a également conclu qu'exiger l'inclusion de la notion de "gravité" ou de "très grave" n'était pas cohérent avec l'interprétation législative faite par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt R. c. Currie, [1997] 2 R.C.S. 260 , où celle-ci a examiné l'article 752 dans le contexte de la désignation des délinquants dangereux. D'autres instances ont abondé dans le sens de l'analyse Goforth et je fais particulièrement référence aux décisions R. c. Naess, [2005] O.J. No.936, et R. c. Reed, 2009 BCPC 201.

23 Or, cette disposition était alors utilisée seulement comme moyen d'introduction ou critère préliminaire d'une demande visant à faire déclarer un accusé délinquant dangereux ou délinquant à contrôler. Voir le paragraphe 752.1(1) du Code criminel. D'autres aspects devaient être pris en considération pour faire déclarer un délinquant dangereux délinquant à contrôler. Lorsque l'article 742.1 a été modifié de manière à faire en sorte que les "sévices graves à la personne" soient exclus du régime de sursis, une conclusion suivant laquelle une infraction constituait pareils sévices avait une incidence directe sur la peine infligée. Il ne s'agit pas simplement d'un critère préliminaire ou d'un moyen d'introduction d'une demande visant une autre procédure qui établirait subséquemment la détermination de la peine d'un délinquant. En l'espèce, les modifications touchent directement la peine qui serait en bout de ligne infligée.

24 Dans R. c. Nikolovski, [2005] O.J. No. 494 (C.A. Ont.), la Cour d'appel de l'Ontario a conclu que la question de savoir si une infraction commise par un délinquant répond à la définition des sévices graves à la personne dépend grandement des faits de l'affaire. Il faut s'en tenir au principe suivant lequel la détermination de la peine est un processus individualisé à l'égard duquel les principes de détermination de la peine dont je discuterai plus loin sont appliqués.

25 Dans R. c. Lebar, [2009] O.J. No. 895 (C. sup. Ont.), décision invoquée par les avocats, la Cour supérieure de justice de l'Ontario s'est penchée sur une affaire extrêmement similaire à celle dont je suis saisi aujourd'hui. Dans cette affaire, le délinquant avait 50 ans mais il n'avait pas de casier judiciaire. Il traversait une mauvaise passe, si l'on peut dire; il avait perdu son emploi et n'avait plus droit aux prestations d'assurance-emploi. Il est entré dans un magasin de vins et de spiritueux, a brandi un couteau et a dit que c'était un vol. Il est ressorti avec plus de 900 $; personne n'a été blessé. Comme dans la présente affaire, le délinquant n'a rien fait pour cacher son identité. Dans une analyse très détaillée, la juge Warkentin, dans cette affaire, s'est penchée sur la même question que celle que j'ai examinée précédemment. Je souscris entièrement à son analyse et il n'est pas nécessaire de la répéter ici. Dans cette affaire, la cour a conclu que le délinquant n'avait pas commis de sévices graves à la personne. Le sursis à l'emprisonnement était possible et la cour l'a accordé.

26 Je suis d'avis qu'il n'est pas nécessaire que l'infraction soit objectivement grave. En ce sens, je souscris à l'analyse Goforth et aux observations du juge Hill de la Cour d'appel de l'Ontario dans l'affaire à laquelle j'ai fait référence précédemment — R. c. Nikolovski. Toutefois, cela ne change pas le résultat de ma conclusion.

27 En outre, à mon avis, la disposition ne devrait pas être interprétée libéralement pour exclure les ordonnances de sursis à l'égard d'un plus grand nombre d'infractions [...].

[22] C'est à bon droit que l'avocat de la défense a signalé à la Cour la décision R. c. Reed, [2009] B.C.J. No. 1333, dans laquelle la Cour provinciale de la Colombie-Britannique a conclu que l'extorsion et les voies de fait causant des lésions corporelles empêchaient le sursis. Elle a affirmé ce qui suit au paragraphe 47:

[TRADUCTION]

[47] J'ai examiné soigneusement les observations des avocats concernant la possibilité de rendre une ordonnance de sursis à la lumière des articles 742.1 et 752. J'ai également examiné soigneusement la jurisprudence invoquée: Neve, Goforth, Nikolovski, Lebar, et Ferguson et Whitefish. Bien qu'il ne soit pas en bout de ligne déterminant du résultat en l'espèce, à l'instar du juge Baird Ellan, je préfère le raisonnement exposé dans Goforth, à savoir la méthode fondée sur le sens ordinaire des mots. En édictant les modifications apportées en 2007, le législateur a voulu carrément exclure les ordonnances de sursis pour les actes criminels graves où il y a violence ou conduite dangereuse à l'égard d'une personne.

[23] Le ministère public a invoqué devant la Cour la décision R. c. McCraw, [1991] 3 R.C.S. 72 , , dans laquelle la Cour suprême du Canada a affirmé, aux paragraphes 21 à 23, que la menace de viol dans une lettre constituait une blessure grave.

21 Il reste alors la question de savoir de quelle manière le terme "grave" devrait être défini. Le Shorter Oxford English Dictionary (3e éd. 1987) donne la définition suivante du terme "grave":

[TRADUCTION] Grave [...] qui a du poids, de l'importance, sérieux; (quantité ou degré) considérable. b. Comportant un danger; cause d'anxiété.

Donnant au terme "grave" le sens approprié du dictionnaire, je suis d'avis d'interpréter l'expression "blessures graves" comme toute blessure ou lésion qui nuit d'une manière sérieuse ou importante à l'intégrité physique ou au bien-être du plaignant. Par conséquent, l'expression "blessures graves" n'exige pas la preuve du même degré de mal exigé pour les voies de fait graves décrites à l'art. 268 du Code; c'est-à-dire le fait de blesser, mutiler ou défigurer le plaignant ou mettre sa vie en danger. Toutefois il faut des lésions corporelles plus graves que les simples "lésions corporelles" décrites à l'art. 267. C'est-à-dire des lésions corporelles ou des blessures qui nuisent à la santé ou au bien-être du plaignant et qui ne sont pas de nature passagère ou sans importance.

22 L'expression comprend-t-elle les blessures psychologiques? Je suis d'avis que c'est le cas. L'expression "lésions corporelles" visée à l'art. 267 est définie comme "une blessure". De toute évidence, ces termes sont suffisamment généraux pour comprendre la blessure psychologique. Étant donné que l'art. 264.1 vise des blessures "graves", il doit inclure la blessure psychologique grave ou importante. Dans la mesure où la blessure psychologique nuit de manière importante à la santé ou au bien être du plaignant, elle s'inscrit à juste titre dans le cadre de l'expression "blessures graves". Il n'y a aucun doute qu'une blessure psychologique peut souvent avoir des effets plus pénétrants et permanents qu'une blessure physique. À mon avis, aucun principe d'interprétation ni aucune raison de principe ne permet d'exclure la blessure psychologique de la portée de l'al. 264.1(1)a) du Code.

23 En résumé, l'expression "blessures graves" signifie aux fins de l'article toute blessure physique ou psychologique qui nuit d'une manière importante à l'intégrité, à la santé ou au bien-être physique ou psychologique du plaignant. [...]

Cette définition a été utilisée dans l'interprétation de libellés semblables dans différentes dispositions du Code criminel. Je crois qu'elle peut être utilisée dans l'interprétation du sous-alinéa 752a)(ii).

[24] Le ministère public soutient également que la méthode fondée sur le sens ordinaire des mots adoptée dans R. c. Goforth, précité, est la méthode que la Cour devrait suivre. Le ministère public invoque également R. c. Ferguson,[2009] B.C.J. No. 448, une décision de la Cour provinciale de la Colombie-Britannique et, en particulier, le paragraphe 40 :

[TRADUCTION]

40 Je suis d'accord avec le ministère public pour dire que le raisonnement préférable est celui de l'arrêt R. c. Goforth. Selon le sens ordinaire des termes de la disposition, une infraction répond à la définition si elle constitue des sévices graves, décrits comme étant punissables par voie de mise en accusation et passibles d'une peine maximale d'emprisonnement d'au moins dix ans, qui impliquent l'emploi, ou une tentative d'emploi, de la violence contre une personne, ou une conduite dangereuse. Il existe évidemment des façons de commettre un vol qualifié sans emploi ou tentative d'emploi de la violence contre une personne, comme l'emploi de la violence ou de menaces de violence contre des biens, une infraction prévue à l'alinéa 343a). Il s'avère que, en modifiant les dispositions en matière d'ordonnance de sursis, le législateur a voulu que seules les infractions de violence ou de conduite dangereuse à l'endroit de personnes soient visées par l'exclusion.

Voir également R. c. S.M.,[2005] O.J. No. 1041, et R. c. Reed, précité, aux paragraphes 49 et 50. »

[41] Suite à ces diverses citations, le tribunal explique ainsi sa décision :

« [125] L'extorsion est une infraction très grave pour laquelle une peine maximale d'emprisonnement à perpétuité est prévue en cas de déclaration de culpabilité en vertu de l'alinéa 346(1.1)b). Même s'il ne fait pas de doute que M. Barton n'a pas poignardé M. Keith et qu'il n'était au courant que quelque chose du genre allait se produire, il a cependant tenté de recouvrer une dette par des menaces de violence. De plus, la déclaration de la victime laisse entendre que M. Keith a été traumatisé psychologiquement par ce qu'on lui a dit et ce qu'on lui a fait. Tous ces éléments, à mon avis, constituent des sévices graves à la personne.

[126] Compte tenu de compte conclusion, je crois que la jurisprudence établit clairement qu'il n'est pas loisible à la Cour de surseoir à l'emprisonnement. Par conséquent, je dois déterminer quelle est la peine appropriée en écartant la possibilité d'un sursis. »

[42] Suite aux plaidoiries, le 2 novembre 2010, monsieur le juge Réal R. Lapointe du district judiciaire de Hull a dû analyser la présente question en litige6.

_________________________

1 [2009] A.J. No. 1107                                                                                                                                                      2 [2010] QCCQ 4999                                                                                                                                                            3 [2008] 1 RCS 49                                                                                                                                                                     4 R. c. Barry, 2010 Can LII 2439 (C.P. T.-N.)                                                                                                      5 2010 NBBR 51 (CanLII)                                                                                                                                       6 R. c. J.L., [2010] QCCQ 9768

[43] L'accusé avait plaidé coupable à deux chefs d'accusation relatifs à la conduite dangereuse d'un véhicule à moteur. Un des passagers est décédé tandis qu'un autre a subi des blessures graves. Les jeunes hommes se rendaient à l'épicerie chercher des vivres. Pour une raison inconnue, le conducteur a accéléré à une très haute vitesse, a perdu la maîtrise du véhicule dans une courbe et a effectué une sortie de route.

[44] Selon monsieur le juge Lapointe, les circonstances de l'affaire sont exceptionnellement attristantes et les facteurs atténuants sont très nombreux. Ensuite mon collègue s'exprime ainsi :

« [27] Ce courant voulant que la sentence purgée avec sursis ne soit plus disponible à quiconque aurait commis une infraction prévue aux articles 249, 3) et 4) est largement dominant.

[28] Dans R. c. Brault, 455-01-008692-083, le 28 juin 2010, juge Hélène Fabi de notre Cour écrivait :

« Toutes les infractions poursuivies par acte criminel, énumérées à l’article 752 du Code criminel, sont désormais exclues spécifiquement du champ d’application de l’article 742.1 du Code criminel, de même que les infractions de terrorisme et les infractions d’organisation criminelle ».

[29] Dans R. c. Winsor, de la Cour supérieure de l’Ontario du 19 mai 2010, l’Honorable B.J. Wein J. écrivait :

"Dangerous driving causing death, under s. 249(4) of the Criminal Code, is punishable by imprisonment for a term not exceeding 14 years. Previously, a conditional sentence was available, and in appropriate circumstances, was not infrequently imposed on offenders convicted of this offence. One would very likely have been imposed in this case. With the amendment of the Criminal Code on December 1, 2007, to s. 742.1, consideration of conditional sentences was excluded for serious personal injury offences for which the offender may be sentenced for ten years or more. There is no dispute in this case that dangerous driving causing death is such an offence. See, generally on this amendment, R. v. Cepic, [2010] O.J. No 1247 (S.C.J.). Prior cases in which a conditional sentence was imposed are therefore no longer directly relevant." [le souligné est ajouté]

[30] Précédemment (29 mars 2010), le même Tribunal avait statué dans R. c. Cepic, 2010 ONSC 561 le 29 mars 2010 :

"Cases of dangerous driving causing bodily harm inevitably amount toconduct endagering or likely to endanger the life or safety of another person" as comtemplated by s. 752 : if not an essential element of the offence per see (sic), dangerousness and the causing of bodily harm as a practical matter will amount to endangering life or safety. It is hard to posit a circumstance that would not meet the test. Although it is not strictly speaking necessary to decide the issue in this case, in my view the offence of dangerous driving causing bodily harm will always amount toconduct endangering life or safety. Consequently, the offence of dangerous driving causing bodily harm fits the definition of a serious personal injury offence in ss. 752(a)(ii), and thus, a conditional sentence is not available to the offender ".

[31] Et auparavant, dans Du Jardin, (2009) O.J. No 636, du 17 février 2009, toujours en Cour supérieur de l’Ontario :

"Parliament amended the Criminal Code to provide that a conditional sentence would not be available where, as here, there was a serious personal injury offence. However, at the time of the offence with which we are dealing, that amendment was not in place and a conditional sentence would otherwise have been available".

[32] D'autres décisions intéressantes vont aussi dans le même sens :

i. R. c. Penner, (2009) A.J. No 1025, du 16 septembre 2009, Alberta Court of Queen’s Bench par. 47 et 48 en particulier;

ii. R. c. Rupp, (2010), M.J. No 63, du 22 janvier 2010, Cour provinciale du Manitoba au par 36;

iii. R. c. Barry, (2010), N.J. No 22, du 27 janvier 2010, Newfoundland and Labrador Provincial Court au par. 40 à 42.

[33] Devant ces prises de position convaincantes, le Tribunal ne peut se livrer à l’exercice que préconise le juge Myers dans son obiter de l’affaire Gosse.

[34] Il ne pourra non plus suivre la recommandation de la défense. Une telle peine serait inappropriée. Le Tribunal ne partage pas l’avis du procureur en défense voulant que l’Honorable Danielle Côté de notre Cour se soit livrée à semblable exercice et aurait imposé une sentence suspendue plutôt qu’une peine d’incarcération afin de contourner les « nouvelles » dispositions en matière de sursis.

[35] La défense évoque R. c. Rahmoun, 2009 QCCQ 7576 du 28 août 2009. Or, juge Côté écrivait :

« (…) compte tenu de toutes les circonstances atténuantes présentes dans ce dossier, même si la loi permettait d’imposer une peine d’emprisonnement avec sursis, le Tribunal ne l’imposerait pas parce que, à son avis, les principes de détermination de la peine l’amènent à conclure que, exceptionnellement, ce vol qualifié ne mérite pas une peine d’emprisonnement. 

[36] Or, l’article 718.3, 1) C.cr. laisse la discrétion au Tribunal du degré ou du genre de peine. Cette appréciation doit être exercée judiciairement, c’est-à-dire tenant compte de l’ensemble des objectifs et principes sentenciels qui doivent primer. En l’occurrence, la suggestion est disproportionnée et démesurée par rapport aux principes de détermination de la peine. D’ailleurs, rien qui pourrait s’approcher d’une telle mesure ne se retrouve au tableau accompagnant l’arrêt Ferland précité.

[37] Une sentence hors norme serait dénoncée comme la Cour d’appel de l’Ontario l’a fait lorsqu’en apparence une peine de détention discontinue avait été imposée en lieu de la mesure de sursis en raison de sa non-disponibilité. On peut lire au paragraphe 4 de l’arrêt R. c. Bélanger (2009) ONCA 867 :

"4. The sentencing judge was of the view that Mr. Belanger would likely have been a candidate for a conditional sentence. However, he recognized that the ecent amendments to s. 742.1 of the Criminal Code precluded a conditional sentence for a serious personal injury offence such as this one where the Crown had proceeded by way of indictment. He, therefore, imposed a 60-day intermittent term of incarceration, to be served on weekends".

[38] Au paragraphe suivant on peut lire :

"5. We agree with the Crown that the sentence imposed by the sentencing judge was demonstrably unfit. Although the sentencing judge recognized the importance of denunciation and general deterrence, the sentence he imposed did not adequately reflect these principles, or a adequately recognize the profound harm to Ms. Maiolo caused by Mr. Belanger’s dangerous driving. In our view, a non-intermittent custodial sentence was warranted".

[39] En conclusion, le sursis n’est plus une option envisageable. Et, le Tribunal ne peut s’autoriser de l’absence de cette mesure pour choisir une peine qui serait autrement incongrue mais qui aurait la spécificité d’éviter au délinquant l’incarcération. »

[45] Le Tribunal dans la présente affaire partage entièrement les propos de monsieur le juge Rideout ainsi que ceux de monsieur le juge Lapointe. L'esprit du législateur est clairement exprimé. Maintenant, les tribunaux punissent un crime par une peine d'emprisonnement et en second lieu détermineront la durée de celle-ci considérant certains facteurs dont l'individualisation de la peine. En effet, auparavant, au nom du principe de l'individualisation de la peine et pour certaines considérations particulières, le tribunal pouvait prononcer une peine à être purgée au sein de la communauté. »

[256]     La dernière interrogation consiste à décider si le Tribunal permet ou non que cette peine soit purgée dans la collectivité, et ce, en faisant abstraction des nouvelles dispositions législatives.

[257]     En premier lieu, le Tribunal est convaincu que l'accusé a démontré par la prépondérance de preuve qu'il ne serait point dangereux pour la communauté s'il purgeait sa peine dans la communauté. Les critères tels qu'énoncés dans l'arrêt Rondeau (C.A.) 1996 RJQ 1155 , permettent d'en conclure ainsi aisément.

[258]     Le Tribunal a déjà énuméré les objectifs de l'article 718 du Code criminel, la jurisprudence, les facteurs atténuants et aggravants. Permettre que l'accusé purge cette peine au sein de la collectivité serait-il contraire à l'article 718 du Code criminel?

[259]     Le Tribunal ne répétera pas de nouveau les divers extraits de décisions des tribunaux qu'il a déjà cités au sujet de l'article 742.1.

[260]     L'emprisonnement avec sursis peut avoir un effet dénonciateur et dissuasif fort appréciable.

[261]     Dans chaque cas, le Tribunal doit tenir compte des circonstances de l'infraction, de la gravité objective et subjective rattachée à celle-ci, des facteurs atténuants et aggravants ainsi que de ce grand principe de l'individualisation de la peine.

[262]     À cause de ce dernier principe, diverses peines seront prononcées pour un même crime, et ce, même si le Tribunal doit aussi tenir compte de l'harmonisation des peines.

[263]     Pour qu'un sursis soit accordé, des conditions particulières doivent être réunies afin que les facteurs personnels compensent le grand besoin de dissuasion générale.

[264]     Dans le cas de conduite d'un véhicule avec capacités affaiblies, conduite dangereuse et négligence criminelle causant la mort ou des lésions corporelles, même si les facteurs de dissuasion générale sont très importants et commandent généralement des peines de détention ferme, le Tribunal peut accorder des peines à être purgées au sein de la communauté lorsque des circonstances particulières s'y prêtent puisque le but d'une peine est de punir un délinquant sans y retrouver un ton une couleur de vengeance de la part des victimes ou de la société en général.

[265]     Comme l'écrivait le regretté très honorable juge Lamer, une ordonnance de sursis assortie de conditions rigoureuses et que sa durée d'application soit plus longue que la peine d'emprisonnement qui aurait ordinairement été infligée peut néanmoins avoir un effet dénonciateur appréciable.

[266]     Il est opportun de rappeler que la société doit par l'entremise des tribunaux, communiquer son intolérance à l'égard de certains crimes et les peines imposées sont le seul moyen que possèdent les tribunaux de transmettre ce message.

[267]     Ajoutons que la personne raisonnable bien informée du droit et des faits doit retrouver présente dans la motivation de la peine et sa conclusion, une satisfaction intellectuelle vis-à-vis celle-ci. Aussi, sera sauvegardée la légitimité des tribunaux au regard du citoyen tel que déjà défini.

[268]     Afin que la personne raisonnable soit bien informée, il ne suffit pas qu'elle soit renseignée seulement des faits qui se rattachent à la commission du crime, mais aussi de l'ensemble des facteurs dont a tenu compte le Tribunal pour en arriver à l'imposition de la peine.

[269]     Au surplus, cette personne en plus d'apprendre que le délinquant pourra purger sa peine au sein de la communauté, se doit d'être informée des nombreuses conditions sévères contenues dans l'ordonnance de sursis. Alors, la peine pourra être évaluée rationnellement par la personne raisonnable, à savoir la peine à être purgée au sein de la collectivité était la réponse adéquate.

[270]     Il est inexact de croire que seule une peine de détention ferme peut répondre au besoin de l'exemplarité, dissuasion personnelle. Contrairement à certaines expressions populaires qualifiant cette peine de «sentence bonbon » ou « sentence de salon », une peine avec sursis n'est pas une peine clémente et il est faux de croire qu'elle ne peut jamais être une peine aussi sévère que l'incarcération ferme. À cause de certaines modalités sévères, cette peine peut même être plus sévère qu'une peine de détention ferme dans certains cas.

[271]     À ce sujet, la Cour suprême du Canada écrit dans l'arrêt Proulx qu'en adoptant le projet de Loi C-41, le Parlement a voulu accorder une importance nouvelle aux objectifs liés à la justice corrective.

[272]     Dans R. c. Gladue[49], il est enseigné que la justice corrective comporte une forme de restitution et de réinsertion dans la collectivité.

[273]     La présente affaire à l'étude démontre de nombreux facteurs atténuants que le Tribunal a déjà énumérés.

[274]     Le Tribunal est convaincu qu'une peine à être purgée dans la collectivité est une peine juste et équitable envers la société, les victimes et leurs proches ainsi que l'accusé.

[275]     En conséquence, le Tribunal se doit d'analyser la prochaine question en litige.

[276]     Un avis d'intention de soulever l'inconstitutionnalité de certaines dispositions visées par les articles 742.1 et 752 du Code criminel fut conformément signifié aux procureurs généraux du Canada et du Québec selon les articles 95 , 95.1 du Code de procédure civile du Québec.

[277]     Avant le 30 novembre 2007, l'article 742.1 du Code criminel se lit ainsi :

« 742.1 Lorsqu'une personne est déclarée coupable d'une infraction - autre qu'une infraction pour laquelle une peine minimale d'emprisonnement est prévue - et condamnée à un emprisonnement de moins de deux ans, le tribunal peut, s'il est convaincu que le fait de purger la peine au sein de la collectivité ne met pas en danger la sécurité de celle-ci et est conforme à l'objectif et aux principes visés aux articles 718 à 718.2, ordonner au délinquant de purger sa peine dans la collectivité afin d'y surveiller le comportement de celui-ci, sous réserve de l'observation des conditions qui lui sont imposées en application de l'article 742.3. 1992, c. 11, art. 16; 1995, c.19, art.38; 1995, c.22, art. 6; 1997, c. 18, art. 107.1 »

[278]     Depuis cette date, un tribunal ne peut imposer une peine à être purgée dans la communauté compte tenu des nouvelles dispositions législatives :

« 742.1 OCTROI DU SURSIS

S'il est convaincu que la mesure ne met pas en danger la sécurité de la collectivité et est conforme à l'objectif et aux principes énoncés aux articles 718 et 718.2, le tribunal peut ordonner à toute personne qui, d'une part, a été déclarée coupable d'une infraction autre qu'une infraction constituant des sévices graves à la personne au sens de l'article 752, qu'une infraction de terrorisme ou qu'une infraction d'organisation criminelle, chacune d'entre elles étant poursuivie par mise en accusation et passible d'une peine maximale d'emprisonnement de dix ans ou plus, ou qu'une infraction pour laquelle une peine minimale d'emprisonnement est prévue et, d'autre part, a été condamnée à un emprisonnement de moins de deux ans de purger sa peine dans la collectivité, sous réserve de l'observation des conditions qui lui sont imposées en application de l'article 742.3, afin que sa conduite puisse être surveillée.

752 Définitions-Les définitions qui s'appliquent à la présente partie.

« Sévices graves à la personne » Selon le cas :

a)         les infractions - la haute trahison, la trahison, le meurtre au premier degré ou au deuxième degré exceptés - punissables, par mise en accusation, d'un emprisonnement d'au moins dix ans et impliquant :

             i) soit l'emploi, ou une tentative d'emploi, de la violence contre une autre personne,

             ii) soit une conduite dangereuse, ou susceptible de l'être, pour la vie ou la sécurité d'une autre personne ou une conduite ayant infligé, ou susceptible d'infliger, des dommages psychologiques graves à une autre personne; »

[279]     Le résultat de cette modification législative consiste en ce que les tribunaux ne peuvent plus exercer leur discrétion judiciaire pour accorder comme auparavant, une peine pouvant être purgée au sein de la communauté.

[280]     La défense prétend que ces dispositions violent les articles 7, 9 et 12 de la Charte canadienne des droits et libertés et est d'avis que ces violations ne peuvent se justifier selon l'article premier de ladite Charte.

[281]     Ces dispositions contenues dans la Constitution canadienne énoncent ces droits :

« 7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentales. »

« 9. Chacun a droit à la protection contre la détention ou l'emprisonnement arbitraires. »

« 12. Chacun a droit à la protection contre tous les traitements ou peines cruels et inusités. »

[282]     À juste titre, Me Jean-François Paré, représentant le procureur général du Québec, insiste au début de sa plaidoirie que le principe de la retenue judiciaire en matière constitutionnelle prévoit qu'un tribunal ne doit traiter qu'une question constitutionnelle que si cela est nécessaire pour le règlement du litige (ligne 5, page 2, de son argumentation).

[283]     À ce sujet, la Cour suprême du Canada s'exprime ainsi dans Phillips c. Nouvelle-Écosse (Commission d'enquête sur la tragédie de la mine Westray)[50] :

« 6 Notre Cour a dit à maintes reprises qu'elle ne devait pas se prononcer sur des points de droit lorsqu'il n'est pas nécessaire de le faire pour régler un pourvoi. Cela est particulièrement vrai quand il s'agit de questions constitutionnelles et le principe s'applique avec encore plus de force si le fondement de la procédure qui a été engagée a cessé d'exister.

9 La règle de conduite qui dicte la retenue dans les affaires constitutionnelle est sensée. Elle repose sur l'idée que toute déclaration inutile sur un point de droit constitutionnel risque de causer à des affaires à venir un préjudice dont les conséquences n'ont pas été prévues. Au début du siècle, le vicomte Haldane a dit, dans l'arrêt John Deere Plow Co. c. Wharton, [1915] A.C. 330, à la p. 339, que définir logiquement, dans l'abstrait, la portée de dispositions constitutionnelles non seulement était [TRADUCTION] «irréalisable, mais encore créerait sans aucun doute des embarras et peut-être une injustice dans les affaires à venir».

10 C'est la pratique qui a généralement été suivie par notre Cour avant l'entrée en vigueur de la Charte et depuis lors. Dans l'arrêt Winner c. S.M.T. (Eastern) Ltd., [1951] R.C.S. 887, le juge Taschereau (plus tard Juge en chef) a dit, à la p. 915:

[TRADUCTION] Comme le présent pourvoi n'est pas un renvoi, notre Cour ne doit pas, à mon avis, répondre à des questions qu'il n'est pas essentiel de trancher pour juger le litige.

11 Dans l'arrêt Law Society of Upper Canada c. Skapinker, [1984] 1 R.C.S. 357 , le juge Estey a dit, à la p. 383:

L'évolution de la Charte dans notre droit constitutionnel doit nécessairement se faire avec prudence. Lorsque les questions soulevées n'exigent pas de commentaires sur ces nouvelles dispositions de la Charte, il vaut mieux ne pas en faire. »

[284]     Le Tribunal a conclu qu'il imposerait une peine de moins de deux ans de pénitencier et que la conséquence du crime constitue pour les victimes des sévices graves à la personne au sens de l'article 752 C.cr. De plus, il estime qu'une peine à être purgée au sein de la collectivité respecterait l'article 742.1 et 718 du Code criminel.

[285]     Afin de rechercher l'intention du législateur, le Tribunal cite en partie le propos tenu par l'honorable ministre de la Justice et procureur général du Canada Vic Toewes à la Chambre des communes le 2 octobre 2006 (39e Législature, 1er session, Hansard révisé, numéro 057) :

« - Monsieur le Président, j'amorce aujourd'hui le début sur l'importante initiative ministérielle qu'est le projet de loi C-19, Loi modifiant le Code criminel (courses de rue) et la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition en conséquence.

Les Canadiens souhaitent vivre dans une société paisible et respectueuse de la loi. Ils croient important d'assurer la sécurité des rues et des quartiers pour que les enfants puissent y jouer en toute sécurité et que les familles puissent s'y promener le soir. Comme le gouvernement du Canada fait sa part pour la protection des collectivités, des rues et des routes, il s'attaque de front au problème des courses de rue.

Il arrive nettement trop souvent que des Canadiens sont blessés ou tués à cause des courses de rue. On rapporte régulièrement des décès liés à cette dangereuse activité, un peu partout au Canada. Des décès horribles sont survenus récemment à Toronto, Vancouver, Edmonton et Winnipeg. De tels risques, blessures et pertes de vies sont insensés et ne devraient pas se produire.

Le droit pénal vise la justice et la protection de la population ainsi que l'établissement et le maintien de l'ordre social. Ultimement, le droit pénal doit contribuer à une société juste, pacifique et sûre, au moyen d'interdictions, de sanctions et de procédures pour traiter équitablement et de façon appropriée menace grave. Les adeptes de courses de rues doivent explicitement faire l'objet de sanctions et d'interdictions de cette nature.

Le droit pénal peut et, dans le présent cas, doit être, un outil pour faire changer la perception de la population. À cet égard, le message doit être clair : les courses de rues ne sont pas un jeu sans conséquence et sans danger. Elles tuent purement et simplement.

Lors de l'établissement d'un tel système, il faut en premier lieu examiner le cadre juridique dans lequel s'inscrira le projet de loi C-19, notamment la façon dont le Code criminel traite actuellement des courses de rue.

Les courses de rue en soi ne sont pas une infraction au Code criminel, bien que certaines infractions puissent s'appliquer à des collisions survenues durant des courses de rue et ayant causé la mort ou des blessures. Ces infractions sont les suivantes : négligence criminelle causant la mort, qui est passible d'une peine maximale d'emprisonnement à perpétuité; conduite dangereuse causant la mort, qui est actuellement passible d'une peine maximale de 14 ans d'emprisonnement; négligence criminelle causant des lésions corporelles, qui est passible d'une peine maximale de dix ans d'emprisonnement; et conduite dangereuse causant des lésions corporelles, qui est passible d'une peine maximale de dix ans d'emprisonnement. En coutre, l'infraction de conduite dangereuse, qui est passible d'une peine maximale de cinq ans d'emprisonnement par voie de mise en accusation, peut s'appliquer aux cas où il y eut des courses de rue sans que personne ne soit tué ou blessé.

Le projet de loi C-19 propose de faire des courses de rue une infraction distincte dans le Code criminel en se fondant sur les infractions existantes de conduite dangereuse, de conduite dangereuse causant des lésions corporelles, de conduite dangereuse causant la mort, de négligence criminelle causant des lésions corporelles et de négligence criminelle causant la mort. Le projet de loi propose des réformes clés qui feraient passer de 10 à 14 ans la peine maximale pour conduite dangereuse causant des lésions corporelles et pour négligence criminelle causant des lésions corporelles, et de 14 ans à perpétuité la peine maximale pour conduite dangereuse causant la mort, lorsque ces infractions sont commises à l'occasion de courses de rue.

Le gouvernement adopte une vision holistique de la réforme du droit pénal. À cet égard, il est important de noter que, si le projet de loi d'emprisonnement avec sursis présenté par le gouvernement, à savoir le projet de loi C-9, est adopté tel quel, il abolira la possibilité d'imposer une peine d'emprisonnement avec sursis dans les cas où la course de rue a causé la mort d'une personne ou des lésions corporelles à autrui. Je vous rappelle que les peines d'emprisonnement avec sursis se limitent essentiellement à la détention à domicile.

[…]

C'est donc dire que le projet de loi C-19 laisserait aux juges le pouvoir discrétionnaire d'établir la durée appropriée de l'interdiction de conduire, dans certains cas jusqu'à concurrence d'une interdiction à vie, mais dans tout délit ayant trait à une course de rue, le contrevenant se verrait imposer une peine obligatoire d'interdiction de conduire pour une certaine période.

[…]

Comme je l'ai mentionné, dans certains dossiers, et les courses de rue sont un de ces dossiers, le fédéral et le provincial peuvent avoir un pouvoir constitutionnel et chaque ordre de gouvernement peut adopter des mesures législatives comme il se doit. Conformément à la Constitution, les provinces peuvent adopter des lois régissant la circulation et les permis de conduire pour lutter contre les courses de rue. Le Parlement peut adopter des textes de loi contre les courses de rue en vertu de son pouvoir constitutionnel en matière de droit pénal.

Les outils provinciaux et fédéraux complémentaires permettraient d'intervenir énergiquement contre le fléau que sont les courses de rue sur les routes et les rues canadiennes. Par conséquent, j'applaudis les efforts déployés par les corps policiers locaux pour amener les adeptes de courses de rue à utiliser des circuits fermés et non des rues. Ces efforts accroîtront sans aucun doute la sécurité publique sur les routes canadiennes.

La sécurité des rues et des collectivités est l'une des caractéristiques de la vie au Canada. Le gouvernement fait sa part, au moyen de nombreux projets de loi importants que le Parlement étudie actuellement, pour que cette caractéristique demeure. Le gouvernement s'est clairement engagé à assurer la sécurité et la sûreté au Canada. Dans notre pays, les citoyens peuvent marcher dans les rues sans craindre d'être happés par des adeptes de courses de rue.

Pour conclure, le projet de loi C-19 constitue une façon ciblée, mesurée et équilibrée de réagir aux nombreux incidents tragiques attribuables aux courses de rue qui se produisent sur nos routes. Ce projet de réforme ne constitue pas une panacée, mais il enverra un message clair selon lequel la conduite est un privilège et les courses de rue ne sont pas acceptables. Le projet de loi C-19 veillera aussi à ce que ceux qui sont reconnus coupables de participer à une course de rue ne puissent plus conduire pendant une période de temps considérable. »

[286]     L'effet de ces nouvelles dispositions abolit la discrétion judiciaire antérieure que possédaient les tribunaux de pouvoir condamner un délinquant à une peine à être purgée dans la communauté.

[287]     Malgré que les tribunaux d'instance, les cours d'appel du pays et même la Cour suprême du Canada ont interprété à nombreuses reprises l'article 742.1 C.cr. et ont imposé des peines pouvant être purgées dans la communauté, le Parlement a décidé d'interdire à ces tribunaux d'exercer judicieusement leur discrétion.

[288]     Les tristes résultats de la conduite dangereuse ou de la négligence criminelle causée lors des courses ne sont pas récents. Depuis, longtemps les tribunaux ont pris en considération ce facteur à titre de facteur aggravant lors de l'imposition des peines et des peines sévères de détention ferme furent imposées. Par contre, soupesant non seulement les facteurs aggravants, mais aussi atténuants, les tribunaux ont à diverses reprises imposées des peines à être purgées dans la communauté. De plus, même après l'entrée en vigueur des nouvelles dispositions législatives, la Cour d'appel a prononcé des peines pouvant être purgées au sein de la communauté.

[289]     Certains prétendront que la Cour se devait de prononcer ces peines pour des crimes commis avant l'entrée en vigueur de la loi et que par conséquent, on se doit de prononcer la peine la moins sévère lors de l'imposition de celle-ci. Mais la réalité juridique est tout autre. Ces peines furent imposées, car elles répondaient aux exigences des articles 742.1 et 718 C.cr. et de l'enseignement de la Cour suprême du Canada.

[290]     Ne serait-il pas opportun de s'interroger de nouveau relativement à cette intervention législative au sein de la discrétion judiciaire qui doit se retrouver dans les décisions prononcées par le pouvoir judiciaire.

[291]     Depuis fort longtemps notre démocratie repose sur la règle de Montesquieu : l'état est constitué de trois pouvoirs, le législatif, l'exécutif et judiciaire. Ces trois pouvoirs sont indépendants l'un de l'autre. Cette règle est si vraie que dans le passé certains membres de la Législature ont dû démissionner ou s'excuser parce qu'ils avaient tenu des propos à l'encontre du pouvoir judiciaire.

[292]     Quant au pouvoir judiciaire, il doit faire preuve de retenue judiciaire, ne pas descendre dans l'arène, émettre des opinions politiques, toujours se rappeler son devoir de réserve et son impartialité. En retour, il jouit des règles de l'inamovibilité et de l'indépendance judiciaire.

[293]     Parfois, à cause de la nature même de la question en litige et ce entre autres lorsqu'un tribunal doit trancher au sujet du prononcé d'une peine, le tribunal doit tenir compte non seulement des dispositions législatives qu'il se doit d'appliquer, mais aussi d'une multitude d'autres facteurs dont entre autres l'individualisation de la peine et le consensus social à l'égard de certains crimes.

[294]     Rien de mieux pour compléter les propos du Tribunal de citer l'honorable juge Lebel qui écrivait ainsi au sujet de la tâche difficile du juge lors de l'imposition d'une peine dans R. c. L.M.[51] :

« Loin d'être une science exacte ou une procédure inflexiblement prédéterminée, la détermination de la peine relève d'abord de la compétence et de l'expertise du juge du procès. Ce dernier dispose d'un vaste pouvoir discrétionnaire en raison de la nature individualisée du processus. Dans sa recherche d'une sentence adéquate, devant la complexité des facteurs relatifs à la nature de l'infraction commise et à la personnalité du contrevenant, le juge doit pondérer les principes normatifs prévus par le législateur dans le Code criminel :

- Les objectifs de dénonciation, de dissuasion, d'isolation des délinquants, leur réinsertion sociale, ainsi que la reconnaissance et la réparation des torts qu'ils ont causés (art. 718 C.cr.);

- le principe fondamental de la proportionnalité de la peine au regard de la gravité de l'infraction et du degré de responsabilité du délinquant (art. 718.1 C.cr.);

- les principes d'adaptation de la peine aux circonstances aggravantes et atténuantes, d'harmonisation des peines, d'identification des sanctions moins contraignantes et des sanctions subjectives applicables (art. 718.2 C.cr.). »

 

[295]     À ce propos, le Tribunal ajoute ceux de l'honorable juge Gendreau de la Cour d'appel dans R. c. S.T.[52]:

« [14]   La détermination de la peine est, sans doute, l'une des tâches les plus difficiles et les plus délicates de la fonction judiciaire. En effet, trouver et appliquer la norme la plus juste et la plus équitable pour l'accusé tout en manifestant la réprobation sociale adéquate et en assurant la protection de la société est un exercice de pondération complexe puisqu'il tend à assurer un équilibre entre des valeurs qui, sans s'opposer, visent des objectifs différents. […] »

[296]     Tout en se faisant un devoir de conserver son impartialité lorsqu'il rend toute décision, le Tribunal ne peut se désincarner lorsqu'il analyse l'impact de ses peines sur la collectivité en général et non seulement sur la personne de l'accusé, la peine qui doit refléter le consensus social soutenu par la personne raisonnable bien informée dans les faits et en droit, soupeser les facteurs aggravants et atténuants d'une affaire et de punir une personne humaine et ce sans un ton de vengeance ou de vindicte populaire.

[297]     Afin d'appuyer ce qui précède, le Tribunal expose l'enseignement de l'honorable juge Cory de la Cour suprême du Canada :

« Rester neutre pour le juge ce n'est pas faire abstraction de toute l'expérience de la vie à laquelle il doit peut-être son aptitude à arbitrer les litiges. On a fait observer que l'obligation d'impartialité ne veut pas dire qu'un juge n'amène pas ou ne peut pas amener avec lui sur le banc de nombreuses sympathies, antipathies ou attitudes. Tout être humain est le produit de son expérience sociale, de son éducation et de ses contacts avec ceux et celles qui partagent le monde avec nous. Un juge qui n'aurait pas connu ces expériences passées - à supposer que cela soit possible - manquerait probablement des qualités humaines dont a besoin un juge. La sagesse que l'on exige d'un juge lui impose d'admettre consciemment, et peut-être de remettre en question, l'ensemble des attitudes et des sympathies que ses concitoyens sont libres d'emporter à la tombe sans en avoir vérifié le bien-fondé.

La véritable impartialité n'exige pas que le juge n'ait ni sympathie ni opinion. Elle exige que le juge soit libre d'accueillir et d'utiliser différents points de vue en gardant un esprit ouvert.

(Conseil canadien de la magistrature, Propos sur la conduite des juges (1991), à la p. 15). »

[298]     Les devoirs de retenue judiciaire et de réserve de la magistrature ne doivent pas pour autant conduire celle-ci à devenir muette. Les tribunaux avec prudence et retenue dans leurs décisions doivent quand même faire preuve de courage et de transparence afin de contrer parfois certaines réactions qui peuvent se vivre dans la société et parfois soulever de l'indignation que le Tribunal comprend.

[299]     Il en sera de même souvent lorsqu'un crime relatif à la conduite d'un véhicule à moteur a comme conséquence la mort d'une personne. Les tribunaux n'ont jamais traité la mort d'une victime suite à un acte criminel comme un fait banal mais par la suite tenant compte de l'ensemble de toutes circonstances et facteurs se rattachant à une affaire, le tribunal punit un citoyen qui en quelques minutes a commis l'irréparable alors qu'il était sans antécédents judiciaires, un citoyen positif dans la société. Lorsqu'il s'agit de récidivistes, les tribunaux ont toujours su prononcer des peines dissuasives. Si un juge d'instance n'a pas suffisamment insisté sur le critère de dissuasion générale, la poursuite pourra alors s'adresser soit à la Cour d'appel ou à la Cour suprême pour réformer cette peine. Lors de ces appels, ces savants juges exerceront eux aussi leur discrétion judiciaire à la lumière de la loi, de la jurisprudence, de leur vécu, de leur serment d'office comme l'avait fait le juge de première instance seul dans la solitude de son bureau avec « son âme et conscience ».

[300]     Il est fort compréhensible qu'une multitude de personnes s'indignent de la mort d'une personne suite à la commission d'un acte criminel. Ceux-ci réagiront rapidement suite à l'événement avec les informations transmises très rapidement par les médias. Le Tribunal insiste afin que par ce propos, on tente de rechercher dans l'esprit du Tribunal une opinion négative envers les médias. Au contraire, ceux-ci sont indispensables au sein d'une démocratie. Même si les propos de la Cour suprême du Canada[53] étaient rédigés relativement à un autre contexte, le Tribunal croit opportun de les citer, car ils démontrent la nécessité de ceux non seulement pour la publicité des débats judiciaires même aussi avant que ceux-ci aient lieu :

« [1] Le principe de la publicité des débats judiciaires revêt une importance cruciale dans une société démocratique. Il garantit aux citoyens l’accès aux tribunaux, leur permettant ainsi de commenter le fonctionnement de ces institutions et les procédures qui s’y déroulent. L’accès du public aux tribunaux assure également l’intégrité des procédures judiciaires en ce que la transparence qu’il génère garantit que justice est rendue non pas de manière arbitraire, mais bien conformément à la primauté du droit.

[2] Le droit à la liberté d’expression est tout aussi fondamental dans notre société. Il favorise le débat démocratique, la recherche de la vérité et l’épanouissement personnel. La liberté de la presse a depuis toujours incarné la liberté d’expression. Elle constitue d’ailleurs le principal vecteur d’information du public au sujet des débats judiciaires. En ce sens, la liberté de la presse est essentielle au respect du principe de la publicité des débats judiciaires. Néanmoins, il est parfois nécessaire d’harmoniser l’exercice de la liberté de la presse et le principe de la publicité des débats pour assurer une saine administration de la justice. Dans le présent pourvoi, notre Cour est appelée à déterminer si certaines règles respectent l’équilibre délicat entre ce droit, ce principe et cet objectif, tous essentiels dans une société libre et démocratique. »

[301]     Mais pendant et suite à ces débats judiciaires, les tribunaux seront souvent appelés à pondérer la pertinence et la force de la preuve des premiers éléments de preuve qui ont été publicisés le jour même de l'événement. Ils déclareront même certains éléments de preuve inadmissibles en vertu des règles de la preuve, écartées des preuves à cause de la règle du ouï-dire et à la fin d'une procédure prononcée un verdict moindre que l'accusation telle que déposée.

[302]     Évidemment, la mort d'un être humain sera toujours dramatique et l'horreur exprimée par les citoyens le jour du drame devrait en conséquence se qualifier par des sentiments plus raisonnés et par conséquent, moindre suite au verdict prononcé par une Cour de justice qui a appliqué les règles de preuve.

[303]     Les tribunaux ont toujours su insister sur le lien de causalité entre l'acte criminel et la mort ou les blessures graves de la victime. Par conséquent, dans certains dossiers les accusés doivent supporter complètement le lien de causalité, mais en d'autres situations le lien sera moindre et parfois peu élevé.

[304]     Dans certains dossiers il arrivera même que la victime ou les proches de celle-ci vivant un deuil vivent du déni face à une conclusion du Tribunal. Le Tribunal respecte et s'incline devant ce sentiment, mais il serait une erreur de ne pas considérer le degré du lien de causalité moindre lorsque la preuve le démontre.

[305]     La présente affaire à l'étude n'est pas unique. Le Tribunal doit le dire : la victime a contribué volontairement au résultat. Sa mère le comprend, mais ce sentiment n'est pas toujours ainsi vécu par d'autres proches des victimes lors de telles circonstances. Par contre, le Tribunal souligne que la présente situation n'est pas exceptionnelle.

[306]     Ce vaste pouvoir discrétionnaire des tribunaux permet de prononcer des peines justes et équitables envers la victime ou ses proches, la société et l'accusé.

[307]     Ce vaste pouvoir discrétionnaire des tribunaux s'exerce judicieusement avec lucidité et courage. Un courage de prononcer parfois une peine sévère, extrêmement sévère ou une peine moins sévère tout dépendant des circonstances.

[308]     Dans l'exercice de cette discrétion judiciaire, les tribunaux ne vivent aucunement dans « une tour d'ivoire ». Tout en considérant les besoins de la collectivité, ils refuseront selon les circonstances liées à la commission du crime à tenir un propos pour satisfaire un besoin démesuré appelant à la sévérité réclamé par un grand nombre de personnes et leurs représentants.

[309]     Le pouvoir judiciaire est étranger aux sondages, au désir d'être populaire et doit parfois même faire preuve de courage dans ses décisions. Les tribunaux doivent aussi ajouter au courage la prévoyance afin de rappeler une valeur qui doit faire partie du consensus social. La vérité et le véritable sens de la Justice ne se retrouvent pas toujours dans la majorité. Le symbole de la Justice est la balance et non le pendule. La balance avec ses deux plateaux soupèse dans l'un les droits de la victime et de la société dans l'autre les droits d'un accusé.

[310]     À titre d'exemple, le Tribunal énumère certains consensus sociaux que l'on retrouvait à une époque dans le Code criminel canadien et qui furent abrogés. Ces exemples doivent être cités à l'époque où le consensus social se vivait et c'est pourquoi il ne faut pas y voir un reproche de la part du Tribunal.

[311]     La loi et le consensus social permettaient l'imposition de la peine de mort, des coups de fouet aux personnes coupables de viol, des peines de deux ans de prison pour le vol d'un véhicule pour un délinquant sans antécédents judiciaires, des peines très élevées pour vols qualifiés pour des individus sans antécédents judiciaires.

[312]     Aujourd'hui, le consensus social majoritaire pourrait se rendre jusqu'à l'indignation face à certaines de ces punitions imposées dans le passé. Pourtant à cette époque, la majorité y croyait. Ainsi, les tribunaux doivent démontrer toujours de la prévoyance, car la Vérité en un enseignement et les intérêts de la Justice ne correspondent pas toujours avec une majorité.

[313]     Lorsque le Tribunal réfléchit ainsi, il ne descend pas dans le prétoire, ni dans l'opinion publique, ne manque pas à son devoir de réserve ni à la retenue judiciaire dont il doit toujours faire preuve. Car l'imposition d'une peine implique non seulement l'application de la loi dans l'abstrait, mais aussi une réflexion basée sur des faits et croyances véhiculées au sein de la société. Lorsqu'un Tribunal prononce une peine, il l'impose dans un milieu X à un individu X. Les propos du Tribunal conduisent à un résultat dont il est convaincu : le pouvoir discrétionnaire du juge au moment du prononcé de la peine est un outil nécessaire pour atteindre les objectifs prévus par les dispositions législatives du Code criminel et d'un consensus social éclairé.

[314]     Il peut même arriver parfois que l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire s'impose malgré les incertitudes de nombreux citoyens à l'égard de certaines dispositions législatives.

[315]     Malgré que de nombreuses personnes dans le public y compris des intellectuels reconnus militent en faveur de la décriminalisation de la possession de drogue, les tribunaux prononcent des peines parfois significatives pour possession simple, possession en vue de faire le trafic et même des peines sévères pour le crime de production.

[316]     Ces peines sont imposées parce que les tribunaux d'instance y constatent que ces crimes sont un fléau dans la collectivité et surtout à cause des conséquences vécues chez les consommateurs.

[317]     La souveraineté du Parlement lui permet d'adopter des lois, mais celle-ci n'est pas sans limite. La Charte canadienne des droits et libertés, à titre de Loi constitutionnelle du pays, énumère certains droits et par conséquent, la souveraineté du Parlement peut être limitée par celle-ci. Cet énoncé s'inspire de l'enseignement de la Cour suprême du Canada contenu dans le Renvoi relatif à la sécession du Québec[54] :

« d) Le constitutionnalisme et la primauté du droit

70. Les principes du constitutionnalisme et de la primauté du droit sont à la base de notre système de gouvernement. Comme l'indique l'arrêt Roncarelli c. Duplessis, [1959] R.C.S. 121 , à la p. 142, la primauté du droit (le principe de la légalité) est [TRADUCTION] «un des postulats fondamentaux de notre structure constitutionnelle». Nous avons noté, dans le Renvoi relatif au rapatriement, précité, aux pp. 805 et 806, que «[l]a règle de droit est une expression haute en couleur qui, sans qu'il soit nécessaire d'en examiner ici les nombreuses implications, communique par exemple un sens de l'ordre, de la sujétion aux règles juridiques connues et de la responsabilité de l'exécutif devant l'autorité légale». À son niveau le plus élémentaire, le principe de la primauté du droit assure aux citoyens et résidents une société stable, prévisible et ordonnée où mener leurs activités. Elle fournit aux personnes un rempart contre l'arbitraire de l'État.

72. Le principe du constitutionnalisme ressemble beaucoup au principe de la primauté du droit, mais ils ne sont pas identiques. L'essence du constitutionnalisme au Canada est exprimée dans le par. 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982: «La Constitution du Canada est la loi suprême du Canada; elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit.» En d'autres mots, le principe du constitutionnalisme exige que les actes de gouvernement soient conformes à la Constitution. Le principe de la primauté du droit exige que les actes de gouvernement soient conformes au droit, dont la Constitution. Notre Cour a souligné plusieurs fois que, dans une large mesure, l'adoption de la Charte avait fait passer le système canadien de gouvernement de la suprématie parlementaire à la suprématie constitutionnelle. La Constitution lie tous les gouvernements, tant fédéral que provinciaux, y compris l'exécutif (Operation Dismantle Inc. c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 441 , à la p. 455). Ils ne sauraient en transgresser les dispositions : en effet, leur seul droit à l'autorité qu'ils exercent réside dans les pouvoirs que leur confère la Constitution. Cette autorité ne peut avoir d'autre source. »

[318]     Donc l'intervention du pouvoir judiciaire est justifiée afin de décider si des nouvelles dispositions sont constitutionnelles et le Tribunal par sa décision ne s’infère nullement dans un discours politique ou dans les débats parlementaires.

[319]     Avant d'aborder les questions en litige, il est plus que pertinent de s'attarder sur l'interprétation de la Cour suprême du Canada relativement à l'article 742.1 avant l'entrée en vigueur des nouvelles dispositions législatives.

[320]     Le regretté très honorable juge en chef de la Cour suprême du Canada Antonio Lamer au cours de nombreuses allocutions ainsi qu'à diverses entrevues avec les médias a toujours rappelé que la Charte canadienne des droits et libertés était  une création non pas du pouvoir judiciaire mais du pouvoir du parlement. Le parlement agissant ainsi demandait donc aux tribunaux d'interpréter celle-ci et de s'assurer que les lois et les actions des représentants de l'État ne violent pas les droits constitutionnels garantis à cette Charte.

[321]     Avec grand respect et humilité, le Tribunal adopte ces sages propos de cet éminent juriste reconnu internationalement au cas sous étude.

[322]     La peine de détention à être purgée dans la communauté n'est pas une création du pouvoir judiciaire. L'État a décidé d'adopter pour des raisons qui seront explicitées ci-bas et par conséquent, les tribunaux ont dû interpréter cette disposition législative. Non seulement les tribunaux ont interprété celle-ci mais la Cour suprême du Canada a imposé un cadre rigoureux dans lequel les tribunaux d'instance et les Cours d'appel du pays doivent décider si la peine peut ou non être purgée au sein de la communauté en exerçant un pouvoir discrétionnaire.

[323]     Malgré que l'adoption de cette disposition et l'application de celle-ci n'est pas récente, les tribunaux doivent encore répéter sans cesse que cette peine n'est pas une peine prononcée en vertu de l'article 732.1 C.cr. (sentence suspendue assortie d'une probation).

[324]     La peine prononcée selon l'article 742.1 purgée au sein de la communauté est une peine de détention. Seul le lieu de détention est différent et de plus en imposant cette peine, le tribunal exerce un pouvoir discrétionnaire pour y ajouter de nombreuses conditions plus ou moins et parfois très sévères.

[325]     Avant de citer certains passage de la décision de la Cour suprême dans l'affaire R. c. Proulx, [2000] 1 R.C.S. 61 , le Tribunal précise que cette décision fut écrite sous la plume de l'honorable juge en chef Lamer sans dissidence avec l'accord des honorables juges L'Heureux-Dubé, Gonthier, McLachlin (maintenant juge en chef de la Cour) Iacobucci, Major, Bastarache et Binnie.

[326]     Dès le début, la Cour précise le but de cette disposition exprimé par le législateur canadien :

« 12 Depuis leur entrée en vigueur le 3 septembre 1996, les dispositions relatives à l’emprisonnement avec sursis ont suscité de nombreux débats. En édictant l’art. 742.1, le Parlement a clairement prescrit que certains délinquants, qui auparavant étaient emprisonnés, purgeront désormais leur peine au sein de la collectivité. En effet, l’art. 742.1 rend admissible à l’octroi du sursis à l’emprisonnement une sous-catégorie de délinquants non dangereux qui, avant l’entrée en vigueur du nouveau régime, auraient été incarcérés pendant moins de deux ans à la suite de la perpétration d’une infraction pour laquelle aucune peine minimale d’emprisonnement n’était prévue. »

[327]     Le Tribunal précise immédiatement que la dangerosité d'un accusé est une analyse basée non seulement sur la façon dont le crime est commis mais aussi avec le grand principe de l'individualisation appliquée à cette personne (analyse de la dangerosité).

[328]     La Cour procède par la suite à une analyse de cette réforme de 1996 en matière de détermination de la peine.

[329]     Avant de citer certains extraits de cette analyse, le Tribunal y constate un message clair de ces propos. Au 21ième siècle, la personne raisonnable bien informée des faits et du droit, ne croit plus que seul la détention ferme est l'unique manière de punir les délinquants accusés d'un crime pour lequel une peine de moins de deux ans peut être imposée. Ce consensus de ces personnes raisonnables est partagé par les tribunaux.

[330]     Attardons nous maintenant à ces extraits de la Cour :

« 15 Comme l’ont expliqué mes collègues les juges Cory et Iacobucci dans R. c. Gladue, [1999] 1 R.C.S. 688 , au par. 39, «[l]’adoption de la nouvelle partie XXIII a marqué une étape majeure, soit la première codification et la première réforme substantielle des principes de détermination de la peine dans l’histoire du droit criminel canadien». Ils ont signalé deux des principaux objectifs que visait le législateur en édictant ces nouvelles mesures législatives: (i) réduire le recours à l’emprisonnement comme sanction, (ii) élargir l’application des principes de justice corrective au moment du prononcé de la peine (au par. 48). »

[331]     Avec égard envers le pouvoir législatif et exécutif, cette codification (art. 718) n'apportait pas de grandes difficultés d'interprétation au pouvoir judiciaire. Humblement, le Tribunal doit l'exprimer ainsi : cette disposition législative résume ce que les tribunaux avaient dans le passé à multiples reprises enseigné dans leurs décisions. Celle-ci se lit ainsi :

« 718. Le prononcé des peines a pour objectif essentiel de contribuer, parallèlement à d’autres initiatives de prévention du crime, au respect de la loi et au maintien d’une société juste, paisible et sûre par l’infliction de sanctions justes visant un ou plusieurs des objectifs suivants:

a) dénoncer le comportement illégal;

b) dissuader les délinquants, et quiconque, de commettre des infractions;

c) isoler, au besoin, les délinquants du reste de la société;

d) favoriser la réinsertion sociale des délinquants;

e) assurer la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité;

f) susciter la conscience de leurs responsabilités chez les délinquants, notamment par la reconnaissance du tort qu’ils ont causé aux victimes et à la collectivité.

718.1 La peine est proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant.

718.2 Le tribunal détermine la peine à infliger compte tenu également des principes suivants:

a) la peine devrait être adaptée aux circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la perpétration de l’infraction ou à la situation du délinquant; sont notamment considérées comme des circonstances aggravantes des éléments de preuve établissant:

(i) que l’infraction est motivée par des préjugés ou de la haine fondés sur des facteurs tels que la race, l’origine nationale ou ethnique, la langue, la couleur, la religion, le sexe, l’âge, la déficience mentale ou physique ou l’orientation sexuelle,

(ii) que l’infraction perpétrée par le délinquant constitue un mauvais traitement de son conjoint ou de ses enfants;

(iii) que l’infraction perpétrée par le délinquant constitue un abus de la confiance de la victime ou un abus d’autorité à son égard;

(iv) que l’infraction a été commise au profit ou sous la direction d’un gang, ou en association avec lui;

b) l’harmonisation des peines, c’est-à-dire l’infliction de peines semblables à celles infligées à des délinquants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables;

c) l’obligation d’éviter l’excès de nature ou de durée dans l’infliction de peines consécutives;

d) l’obligation, avant d’envisager la privation de liberté, d’examiner la possibilité de sanctions moins contraignantes lorsque les circonstances le justifient;

e) l’examen de toutes les sanctions substitutives applicables qui sont justifiées dans les circonstances, plus particulièrement en ce qui concerne les délinquants autochtones. »

[332]     Bien avant l'action législative, les tribunaux à cause de leurs observations à l'égard du consensus social, leur devoir d'appliquer la loi, leur pouvoir discrétionnaire, avaient déjà en d'autres expressions exprimées une intention du législateur à venir dans le futur. Comme le Tribunal l'a commenté auparavant, le principe de la proportionnalité de la peine faisait partie intégrante des décisions judiciaires en 1948.

[333]     Au paragraphe 16, toujours dans l'arrêt Proulx, la Cour écrit :

« 16 Le projet de loi C-41 est, dans une large mesure, une réaction au problème du recours excessif à l’incarcération au Canada. Il a été souligné, dans Gladue, au par. 52, que le taux d’incarcération d’environ 130 détenus pour 100 000 habitants au Canada plaçaient notre pays au deuxième ou troisième rang au sein des démocraties industrialisées à cet égard. Dans leurs motifs dans cet arrêt, les juges Cory et Iacobucci ont fait une revue de nombreuses études dans lesquelles on a uniformément conclu que l’incarcération était une mesure coûteuse et dans bien des cas indûment dure et «inefficac[e], non seulement eu égard à ses objectifs proclamés de réinsertion sociale, mais aussi relativement à ses objectifs publics plus généraux» (par. 54). Voir également: Rapport du Comité canadien de la réforme pénale et correctionnelle, Justice pénale et correction: un lien à forger (1969); Commission canadienne sur la détermination de la peine, Réformer la sentence: une approche canadienne (1987), à la p. xxiv; Comité permanent de la Justice et du Solliciteur général, Des responsabilités à assumer (1988), à la p. 81. Certains ont dit des prisons qu’elles sont des écoles du crime et qu’elles préparent mal les prisonniers à leur réinsertion sociale: voir, de façon générale, Comité canadien de la réforme pénale et correctionnelle, op. cit., à la p. 336; Service correctionnel du Canada, Résumé et analyse de quelques grandes enquêtes sur le processus correctionnel — de 1938 à 1977 (1982), à la p. iv. Dans Gladue, les juges Cory et Iacobucci ont tiré la conclusion suivante, au par. 57:

Ainsi, il appert que même si l’emprisonnement vise les objectifs traditionnels d’isolement, de dissuasion, de dénonciation et de réinsertion sociale, il est généralement admis qu’il n’a pas réussi à réaliser certains d’entre eux. Le recours excessif à l’incarcération est un problème de longue date dont l’existence a été maintes fois reconnue sur la place publique mais que le Parlement n’a jamais abordé de façon systématique. Au cours des dernières années, le Canada, comparativement à d’autres pays, a enregistré une augmentation alarmante des peines d’emprisonnement. Les réformes introduites en 1996 dans la partie XXIII, et l’al. 718.2e) en particulier, doivent être comprises comme une réaction au recours trop fréquent à l’incarcération comme sanction, et il faut par conséquent en reconnaître pleinement le caractère réparateur. [Je souligne.] »  [Mes soulignés]

[334]     La Cour de plus est certes avisée que parfois même devant une volonté accrue de sévérité, le principe de modération conserve toujours son actualité :

« 17 En adoptant les al. 718.2d) et e), le législateur a voulu accorder une plus grande importance au principe de la modération dans le recours à l’emprisonnement comme sanction. L’alinéa 718.2d) impose au tribunal «l’obligation, avant d’envisager la privation de liberté, d’examiner la possibilité de sanctions moins contraignantes lorsque les circonstances le justifient», et l’al. 718.2e) prévoit «l’examen de toutes les sanctions substitutives applicables qui sont justifiées dans les circonstances, plus particulièrement en ce qui concerne les délinquants autochtones». La volonté du législateur de réduire le recours à l’emprisonnement ressort d’autres dispositions du projet de loi C-41: l’al. 718c) tempère l’application de l’objectif d’isolement des délinquants du reste de la société en précisant qu’il faut y recourir «au besoin», indiquant par là aux tribunaux de faire montre de circonspection dans l’emprisonnement des délinquants; le par. 734(2) enjoint au tribunal de s’assurer que le délinquant est en mesure de payer une amende avant de lui en infliger une, dans le but de réduire le nombre de délinquants emprisonnés pour non-paiement d’une amende; et, évidemment, l’art. 742.1, qui crée la sanction de condamnation à l’emprisonnement avec sursis. Dans l’arrêt Gladue, au par. 40, notre Cour a jugé que «[l]a création de la condamnation avec sursis, comme telle, traduit le désir de diminuer le recours à l’incarcération».

20 Le législateur a prescrit le recours accru aux principes de justice corrective en matière de détermination de la peine en raison de l’incapacité générale de l’emprisonnement à assurer la réadaptation du délinquant et sa réinsertion sociale. En insistant davantage que par le passé sur les principes de justice corrective, le législateur compte réduire le taux d’incarcération et accroître l’efficacité du processus de détermination de la peine. Durant la seconde lecture du projet de loi C-41, le 20 septembre 1994 (Débats de la Chambre des communes, vol. IV, 1re sess., 35e lég., à la p. 5873), le ministre de la Justice, Allan Rock, a fait les déclarations suivantes:

[TRADUCTION] On retrouve, tout au long du projet de loi C-41, un principe général voulant que l’on n’emprisonne que les personnes qui méritent d’être emprisonnées. Il faudrait prévoir d’autres solutions pour les personnes qui commettent des infractions ne nécessitant pas une incarcération.

. . .

Les prisons seront là pour ceux qui en ont besoin, ceux qui devraient être punis de cette façon ou exclus de la société [. . .] [L]e projet de loi crée un climat qui encourage les sanctions communautaires et la réinsertion sociale des délinquants parallèlement à la réparation accordée aux victimes, en plus d’amener les criminels à mieux assumer la responsabilité de leurs actes.

Ce n’est pas simplement en étant plus stricts que nous nous doterons d’un système de justice pénale plus efficace. Nous devons utiliser nos ressources limitées de façon judicieuse. » [ Mes soulignés]

[335]     Suite à l'analyse du but de l'article 742.1, la Cour examine la nature de l'emprisonnement au sein de la communauté :

« 21 La peine d’emprisonnement avec sursis a été établie précisément en tant que sanction visant à la réalisation de ces deux objectifs du législateur. Elle constitue une solution de rechange à l’incarcération de certains délinquants non dangereux. Au lieu d’être incarcérés, les délinquants qui satisfont aux critères fixés par l’art. 742.1 purgent leur peine sous stricte surveillance au sein de la collectivité. Leur liberté est restreinte par les conditions dont est assortie leur ordonnance de sursis à l’emprisonnement en vertu de l’art. 742.3*** du Code. Suivant l’art. 742.6, le délinquant qui manque à ces conditions est ramené devant le tribunal. Si le délinquant ne peut apporter d’excuse raisonnable pour justifier le manquement aux conditions de son ordonnance, le tribunal peut ordonner son incarcération pour le reste de la peine, puisque le législateur entendait faire peser une menace concrète d’incarcération en vue d’accroître le respect des conditions assortissant les ordonnances de sursis à l’emprisonnement. » [Mes soulignés]

[336]     Dans ces derniers et prochains propos, la personne raisonnable reconnaît ce vieux principe connu de tous, la crainte est le début de la sagesse :

« 22 La condamnation à l’emprisonnement avec sursis intègre certains aspects des mesures substitutives à l’incarcération et certains aspects de l’incarcération. Parce qu’elle est purgée dans la collectivité, la peine d’emprisonnement avec sursis permet généralement de réaliser plus efficacement que l’incarcération les objectifs de justice corrective que sont la réinsertion sociale du délinquant, la réparation des torts causés aux victimes et à la collectivité et la prise de conscience par le délinquant de ses responsabilités. Cependant, elle est également une sanction punitive propre à permettre la réalisation des objectifs de dénonciation et de dissuasion. C’est cette dimension punitive qui distingue l’emprisonnement avec sursis de la probation, question que je vais maintenant aborder. »

[337]     Donc la Cour suprême tranche clairement que cette peine répond aux objectifs de dissuasion et de dénonciation. Les arrêts jurisprudentiels déjà cités sous un autre titre démontrent clairement et rassurent la personne raisonnable que les tribunaux ont su exercer un pouvoir discrétionnaire en imposant des peines sévères et exemplaires à l'égard de conducteurs qui avaient commis des crimes très sérieux en utilisant leur véhicule.

[338]     Lorsque la Cour s'interroge lors de son examen comparatif entre les dispositions de l'article 732 et 742, il y est écrit :

« 35 À la lumière de ce qui précède, il est évident que le législateur voulait que le sursis à l’emprisonnement ait un caractère plus punitif que le sursis au prononcé de la peine avec mise en probation, malgré les similitudes qui existent entre les deux sanctions du point de vue de leur fonction de réinsertion sociale du délinquant. Je souscris entièrement à l’opinion exprimée par le juge Vancise, dans ses motifs de dissidence dans R. c. McDonald (1997), 113 C.C.C. (3d) 418 (C.A. Sask.), à la p. 443, et selon laquelle le sursis à l’emprisonnement vise à [TRADUCTION] «permettre à l’accusé d’éviter l’emprisonnement, mais non la punition».

36 Par conséquent, une ordonnance de sursis à l’emprisonnement devrait généralement être assortie de conditions punitives restreignant la liberté du délinquant. Des conditions comme la détention à domicile ou des couvre-feux stricts devraient être la règle plutôt que l’exception. Comme l’a souligné le ministre de la Justice lors de la deuxième lecture du projet de loi C-41 (Débats de la Chambre des communes, op. cit., à la p. 5873) [TRADUCTION] «[c]ette sanction vise manifestement les personnes [...] qui seraient autrement en prison, mais qu’on peut maintenir dans la collectivité en exerçant des contrôles serrés» (je souligne). » [Nos soulignés sauf le mot «serrés»]

38 Le caractère punitif de l’ordonnance d’emprisonnement avec sursis devrait également se refléter dans le traitement des manquements aux conditions dont elle est assortie. Comme je l’ai mentionné précédemment, la peine maximale infligée en cas de manquement aux conditions d’une ordonnance de probation est susceptible d’être plus sévère qu’en cas de manquement aux conditions d’une ordonnance de sursis à l’emprisonnement. En pratique, toutefois, les manquements aux conditions d’une telle ordonnance peuvent être punis plus sévèrement que les manquements à une ordonnance de probation. Sans me prononcer sur la constitutionnalité des dispositions concernées, je remarque que, selon le par. 742.6(9), le manquement à une ordonnance de sursis à l’emprisonnement ne doit être prouvé que suivant la prépondérance des probabilités, alors que le manquement à une ordonnance de probation doit être prouvé hors de tout doute raisonnable.

39 Remarque plus importante, lorsque le délinquant enfreint sans excuse raisonnable une condition de son ordonnance de sursis à l’emprisonnement, il devrait y avoir présomption qu’il doit alors purger le reste de sa peine en prison. Cette menace constante d’incarcération est de nature à inciter le délinquant à respecter les conditions qui lui ont été imposées: voir R. c. Brady (1998), 121 C.C.C. (3d) 504 (C.A. Alb.); J. V. Roberts, «Conditional Sentencing: Sword of Damocles or Pandora’s Box?» (1997), 2 Rev. can. D.P. 183. » [Nos soulignés]

[339]     Suite à ce propos, le Tribunal se livre à ce commentaire pertinent et qui répond à ceux et celles qui croient que la peine à être purgée dans la communauté n'est pas une peine de détention.  Comme nous venons de le constater, si un délinquant manque à une condition, le tribunal décide par la prépondérance de preuve et non hors de tout doute raisonnable si le contrevenant a brisé la condition. Donc le fardeau de la preuve que supporte habituellement la Poursuite lors du processus criminel et pénal est fortement diminué.

[340]     Siégeant non seulement en cette matière, le Tribunal est justifié d'employer ce qualificatif au sujet du fardeau de preuve. Par exemple, à diverses reprises, siégeant en vertu de la Loi sur la protection de la jeunesse, le tribunal s'est dit convaincu à cause du fardeau de preuve du requérant en matière civile, que X a commis un abus sexuel sur Y. À la sortie de l'audience, le même juge se dit : dans un procès en exerçant la juridiction en vertu du Code criminel je n'aurais pu déclarer X coupable à cause du fardeau de preuve réservé à la poursuite.

[341]     Donc ce propos relatif au mode de preuve en ce qui regarde un manquement à une condition a certes un effet dissuasif sur un délinquant et aide ce dernier à se réhabiliter et protéger en conséquence la société d'une possible récidive.

[342]     Au surplus, le Tribunal croit important de souligner advenant que des personnes songent à utiliser des statistiques, que celles-ci peuvent être et sont même trompeuses à moins d'une analyse très approfondie, car une peine avec sursis peut être prononcée dans plusieurs dossiers au même moment. Si la peine visait cinq dossiers par exemple, seront inscrits sur le rôle de Cour les cinq dossiers pour audition du manquement. Or, fréquemment, ces cinq dossiers sont visés par le même avis de manquement qui peut être basé sur une seule condition non respectée. Une personne non avisée peut conclure en lisant un rôle que le contrevenant a manqué à plus d'une condition.  Cet exemple démontre que les statistiques sont souvent étrangères aux faits et aux facteurs aggravants et atténuants d'un dossier dans lequel le Tribunal doit imposer une peine.

[343]     Donc si le Tribunal conclut à un manquement comme l'enseigne la Cour suprême, la présomption est que le délinquant doit purger le reste de sa peine dans un centre de détention.

[344]     L'analogie suivante est pertinente. Le délinquant à qui est imposée une période de détention ferme, aura le privilège d'obtenir une libération conditionnelle à un certain moment. Il sera remis en liberté avec des conditions. Si l'agent constate un manquement, un mandat d'arrestation est émis (comme c'est le cas pour un manquement à une ordonnance de sursis) et suite à une audition, un commissaire décide de l'existence ou non du manquement. Si on conclut à un manquement, ce dernier devra habituellement purger le reste de sa peine en prison.

[345]     Ces deux situations conduisent le Tribunal à un constat : deux peines différentes furent prononcées quant au lieu de la détention, en cas de manquement; révocation de la modalité de la peine et le lieu de détention devient le même pour ces deux individus.

[346]     Plus loin dans sa décision, la Cour suprême apporte des distinctions entre l'emprisonnement ferme et la peine purgée dans la communauté :

« 40 Quoique l’emprisonnement avec sursis soit décrit dans la loi comme une forme d’emprisonnement, dans R. c. Shropshire, [1995] 4 R.C.S. 227 , au par. 21, notre Cour a reconnu qu’«il y a une différence très grande entre être derrière les barreaux et vivre dans la société en bénéficiant d’une libération conditionnelle». Voir également Cunningham c. Canada, [1993] 2 R.C.S. 143 , à la p. 150, le juge McLachlin. Ces commentaires s’appliquent également à l’emprisonnement avec sursis. En effet, le délinquant qui purge une telle peine au sein de la collectivité n’est que partiellement privé de sa liberté. Même si sa liberté est restreinte par les conditions assortissant son ordonnance de sursis, le délinquant n’est pas détenu dans un établissement et il peut continuer de vaquer à ses activités professionnelles ou éducationnelles ordinaires. Il n’est pas dépouillé de sa vie privée dans la même mesure que s’il était incarcéré. Il n’est pas non plus soumis à un horaire strict ou à un régime alimentaire institutionnel.

41 Cela ne signifie pas pour autant que l’emprisonnement avec sursis est une peine clémente, qu’elle n’a pas un effet dénonciateur et dissuasif appréciable ou qu’elle ne peut jamais être une peine aussi sévère que l’incarcération. Comme a dit notre Cour dans Gladue, précité, au par. 72:

À notre avis cependant une peine axée sur l’approche corrective n’est pas nécessairement un châtiment moins sévère. Certains tenants de la justice corrective soutiennent que, combinée à des conditions de probation, elle peut imposer dans certains cas un fardeau plus lourd au délinquant qu’une peine d’emprisonnement.

L’emprisonnement avec sursis peut s’avérer une peine aussi sévère, voire plus sévère que l’emprisonnement comme tel, particulièrement dans les cas où le délinquant est tenu d’assumer la responsabilité de ses actes et de réparer les torts qu’il a causés à la victime et à la collectivité, tout en vivant au sein de celle-ci et en étant assujetti à des mesures de contrôle serrées. » [Mes soulignés]

[347]     De plus, la Cour précise avec pertinence la conséquence qui s'ajoute à une peine de détention purgée dans la communauté :

« 42 En outre, l’emprisonnement avec sursis n’ouvre droit à aucune réduction de peine par voie de libération conditionnelle. C’est ce qui semble découler du par. 112(1) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20, qui donne compétence à la commission provinciale des libérations conditionnelles à l’égard des délinquants «qui purgent une peine d’emprisonnement dans un établissement correctionnel provincial» (R. c. Wismayer (1997), 115 C.C.C. (3d) 18 (C.A. Ont.), à la p. 33). » [Mes soulignés]

[348]     Au surplus, la Cour insiste au sujet d'un préalable au prononcé d'une peine d'emprisonnement avec sursis :

« 63 Comme condition préalable au prononcé de toute condamnation à l’emprisonnement avec sursis, le tribunal doit être convaincu que le fait de purger la peine au sein de la collectivité ne met pas en danger la sécurité de celle-ci: voir Brady, précité, au par. 58; R. c. Maheu, [1997] R.J.Q. 410 , à la p. 415; Gagnon, précité, à la p. 2641; Pierce, précité, à la p. 39; Ursel, précité, aux pp. 284 à 286 (le juge Ryan). Le tribunal qui n’est pas convaincu que la sécurité de la collectivité peut être sauvegardée ne peut en aucun cas prononcer l’emprisonnement avec sursis. »

[349]     Avant d'indiquer comment les tribunaux doivent apprécier le danger pour la sécurité de la collectivité, la Cour prend en considération la portée de la peine à être purgée dans la communauté et l'impression que pourrait s'en créer la collectivité :

« 66 La question qui se pose ici est de savoir si la notion de «danger pour la sécurité de la collectivité» s’entend uniquement de la menace posée par le délinquant en cause ou si elle s’entend également du risque plus général de menace au respect de la loi. Les tenants de l’interprétation plus extensive font valoir que, dans certains cas où l’emprisonnement avec sursis est une sanction qui peut être infligée, le fait de l’infliger pourrait donner l’impression que les délinquants reçoivent des peines clémentes et insuffisamment dissuasives pour les personnes qui pourraient être tentées de commettre des infractions similaires, situation qui à son tour mettrait en danger la sécurité de la collectivité.

67 Indépendamment du fait qu’une ordonnance de sursis à l’emprisonnement bien conçue peut également servir les objectifs de dissuasion générale et de dénonciation, je crois que le débat est devenu en grande partie théorique depuis la modification qui a été apportée à l’art. 742.1 (L.C. 1997, ch. 18, art. 107.1), et qui a précisé que le tribunal doit prendre en considération l’objectif et les principes visés aux art. 718 à 718.2 pour décider de l’opportunité d’octroyer le sursis à l’emprisonnement. Cette modification garantit que les objectifs de dénonciation et de dissuasion sont alors pris en compte. Comme ces facteurs sont pris en considération plus tard dans l’analyse, il n’est pas nécessaire de les intégrer à l’examen de la question du danger pour la sécurité de la collectivité.

68 À mon avis, à ce stade de l’analyse, il faut clairement s’attacher à l’examen du risque que poserait le délinquant en cause s’il purgeait sa peine au sein de la collectivité. Je tiens à souligner que la majorité des cours d’appel ont jugé que ce critère visait uniquement la menace posée par le délinquant en cause: voir Gagnon, précité, aux pp. 2640 et 2641 (le juge Fish); R. c. Parker (1997), 116 C.C.C. (3d) 236 (C.A.N.-É.), aux pp. 247 et 248; Ursel, précité, à la p. 260; R. c. Horvath, [1997] 8 W.W.R. 357 (C.A. Sask.), à la p. 374; Brady, précité, aux par. 60 et 61; Wismayer, précité, à la p. 44. »[Mes soulignés]

[350]     Donc dans la présente affaire sous étude comme dans les nombreuses affaires déjà citées sous un autre titre, le Tribunal a déjà décidé en vertu de l'article 718 C.cr. que même si l'accusé purgeait sa peine dans la communauté, cette décision répond au besoin de dissuasion collective.

[351]     Aussi, quant à la personnalité du présent délinquant, le Tribunal en concluant qu'il ne représente pas un danger pour la société à appliquer les critères tels qu'exigés par la Cour suprême :

« 70 Divers facteurs sont pertinents pour évaluer le risque de récidive. Dans Brady, précité, aux par. 117 à 127, le juge en chef Fraser de la Cour d’appel de l’Alberta suggère de vérifier si le délinquant a respecté les ordonnances des tribunaux dans le passé et, de manière plus générale, s’il a des antécédents judiciaires tendant à indiquer qu’il ne respectera pas les conditions de son ordonnance de sursis à l’emprisonnement. Dans Maheu, précité, à la p. 418, Madame le juge Rousseau-Houle a énuméré certains autres facteurs qui pourraient être pertinents:

. . . 1) la nature de l’infraction, 2) les circonstances pertinentes de celle-ci, ce qui peut mettre en cause les événements antérieurs et postérieurs, 3) le degré de participation de l’inculpé, 4) la relation de l’inculpé avec la victime, 5) le profil de l’inculpé, c’est-à-dire son occupation, son mode de vie, ses antécédents judiciaires, son milieu familial, son état mental, 6) sa conduite postérieurement à la commission de l’infraction, 7) le danger que représente pour la communauté particulièrement visée par l’affaire, la mise en liberté de l’inculpé.

71 Cette liste est fort utile, mais elle ne doit pas être considérée comme exhaustive. Le risque que pose un délinquant donné pour la collectivité doit être apprécié au cas par cas, selon les faits propres à chaque affaire. De plus, les facteurs énumérés précédemment ne devraient pas être appliqués de façon mécanique. Comme a conclu le juge en chef Fraser dans Brady, précité, au par. 124:

[TRADUCTION] Le fait qu’un délinquant a oublié de comparaître devant le tribunal une fois il y a dix ans ne le rend pas d’office inadmissible à l’octroi du sursis à l’emprisonnement. Le simple fait de se présenter à son procès ne garantit pas non plus au délinquant l’obtention du sursis. Le tribunal doit évidemment tenir compte de tous les aspects des manquements antérieurs aux ordonnances des tribunaux, notamment la fréquence des manquements, l’âge et la maturité du délinquant, le temps écoulé depuis les derniers manquements, leur gravité et leurs circonstances.

72 Le risque de récidive devrait aussi être apprécié à la lumière des conditions assortissant l’ordonnance de sursis à l’emprisonnement. Dans les cas où il y a un certain risque que le délinquant puisse mettre en danger la sécurité de la collectivité, il est possible de réduire ce risque au minimum en assortissant l’ordonnance de conditions appropriées[…] »  [Mes soulignés]

[352]     La Cour précise que la liste soumise n'est pas exhaustive. Par exemple, dans le présent dossier qui occupe le Tribunal comme dans de nombreuses autres décisions, le Tribunal a considéré des infractions commises en vertu du Code de sécurité routière.

[353]     Au paragraphe 86, la Cour s'interroge relativement à la nécessité d'établir des peines servant de point de départ. Ce propos est pertinent car dans la présente contestation constitutionnelle, les nouvelles dispositions établissent que le Tribunal doit imposer une peine de détention ferme même s'il croit que le régime antérieur permettait une peine à être imposées dans la communauté.

[354]     Afin de répondre immédiatement à un argument du représentant du procureur général du Québec, même si un tribunal décidait d'imposer une peine de 90 jours de détention discontinue, il se doit obligatoirement d'imposer une peine d'emprisonnement dans un centre de détention. Le Tribunal souligne de plus qu'il ne peut songer à un cas dans lequel cette peine pourrait être imposée, car trop clémente.  Cette situation pourrait être une hypothèse envisageable dans un dossier très exceptionnel et le Tribunal ne peut cesser sa réflexion en croyant qu'un jour peut-être un tribunal pourra imposer cette peine.

[355]     Plus loin, la Cour s'exprime ainsi :

« 86 Un régime individualisé de détermination de la peine entraînera nécessairement un certain degré de disparité dans les peines infligées. Je reconnais qu’il est important que les cours d’appel réduisent autant que possible «la disparité entre les peines infligées à des contrevenants similaires, pour des infractions similaires commises dans les diverses régions du Canada»: M. (C.A.), précité, au par. 92. Dans R. c. McDonnell, [1997] 1 R.C.S. 948 , notre Cour a jugé que, à cette fin, des «peines servant de point de départ» peuvent être établies pour guider les juridictions inférieures afin d’assurer une plus grande uniformité et une plus grande cohérence des peines qu’elles infligent. Je suis en outre bien conscient du besoin de donner des indications aux juridictions inférieures en ce qui concerne le recours au sursis à l’emprisonnement, puisqu’il s’agit d’une sanction nouvelle, qui a déjà suscité beaucoup de controverse et de confusion depuis le peu de temps qu’elle existe.

87 Cela dit, je n’estime pas qu’il soit nécessaire, pour certaines infractions, de recourir à des points de départ afin de donner des indications sur la façon dont il convient d’utiliser le sursis à l’emprisonnement. À mon avis, les risques que présente le recours à des points de départ, sous forme de présomptions d’incarcération dans le cas d’infractions précises, l’emportent sur ses avantages potentiels. Des points de départ sont très utiles lorsqu’il y a risque d’importante disparité entre les peines infligées pour un crime donné, du fait que la fourchette des peines prévues par le Code est particulièrement large. Cependant, dans le cas du sursis à l’emprisonnement, les préalables fixés par l’art. 742.1 restreignent considérablement le nombre de cas dans lesquels cette sanction peut être prononcée. Le sursis à l’emprisonnement ne peut être octroyé qu’aux délinquants non dangereux qui seraient autrement emprisonnés pendant moins de deux ans. Par conséquent, la disparité potentielle entre la sanction infligée aux délinquants qui auraient pu se voir accorder le sursis mais qui ont plutôt été emprisonnés, et celle infligée aux délinquants auxquels le sursis à l’emprisonnement a été octroyé est relativement mince.

88 Les avantages minimes que procure l’uniformité dans ces circonstances sont annihilés par les coûts associés à la perte correspondante au titre de l’individualisation de la peine. En créant des points de départ applicables à des infractions précises, il y a un risque que ces points de départ deviennent dans les faits des peines minimales d’emprisonnement. Une telle situation irait à l’encontre de la volonté du législateur de n’exclure aucune catégorie particulière d’infractions du champ d’application du régime d’octroi du sursis à l’emprisonnement; elle pourrait également entraîner l’infliction de peines disproportionnées dans certains cas.

89 Vu le champ d’application restreint des ordonnances de sursis à l’emprisonnement, je suis d’avis que l’examen des principes de détermination de la peine eux-mêmes, sans présomptions applicables à l’égard d’infractions précises, peut fournir des indications suffisantes pour décider de l’opportunité de rendre une telle ordonnance. Certains principes militent en faveur de l’octroi du sursis à l’emprisonnement, tandis que d’autres militent en faveur de l’incarcération. Il appartient à notre Cour de formuler, en termes généraux, les principes qui favorisent chaque sanction. Bien que la formulation de ces principes ne puisse pas garantir l’uniformité des résultats, elle permet au moins d’assurer l’utilisation d’une approche uniforme dans l’application du régime d’octroi du sursis à l’emprisonnement. C’est à cette tâche que je m’attaque maintenant. » [Mes soulignés]

[356]     Lors de cette analyse, la Cour rappelle :

« 90 Premièrement, l’examen des al. 718.2d) et e) m’amène à conclure que le tribunal doit envisager sérieusement la possibilité de prononcer l’emprisonnement avec sursis dans tous les cas où les trois premiers préalables prévus par la loi sont réunis. Les alinéas 718.2d) et e) codifient le principe important de la modération dans la détermination des peines et, avec l’art. 742.1, ils ont été adoptés précisément en vue d’aider à réduire le taux d’incarcération au Canada. Par conséquent, constituerait une erreur de principe le fait de ne pas envisager sérieusement la possibilité de rendre une ordonnance de sursis à l’emprisonnement lorsque les préalables prévus par la loi sont réunis. L’omission de faire allusion à la possibilité d’une telle ordonnance dans les motifs de détermination de la peine, lorsqu’il existe des motifs raisonnables permettant de conclure que les trois premiers préalables fixés par la loi sont réunis, peut fort bien constituer une erreur justifiant l’infirmation de la décision.

98 Comme je l’ai déjà signalé, l’emprisonnement avec sursis est une mesure qui faisait partie des modifications apportées à la partie XXIII du Code. Deux des principaux objectifs de la réforme de la partie XXIII étaient de réduire le recours à l’incarcération comme sanction et d’accorder une plus grande importance aux principes de justice corrective dans la déterminationde la peine — savoir la réinsertion sociale du délinquant, la réparation des torts causés aux victimes et à la collectivité et la prise de conscience par le délinquant de ses responsabilités.

100 L’emprisonnement avec sursis peut donc permettre la réalisation d’objectifs punitifs et correctifs. Dans la mesure où ces deux types d’objectifs peuvent être atteints dans un cas donné, l’emprisonnement avec sursis est probablement une sanction préférable à l’incarcération. Par contre, lorsque le besoin de punition est particulièrement pressant et qu’il y a peu de chances de réaliser des objectifs correctifs, l’incarcération constitue vraisemblablement la sanction la plus intéressante. Cependant, même dans les cas où la réalisation d’objectifs correctifs ne serait pas une tâche facile, l’emprisonnement avec sursis est préférable à l’incarcération lorsqu’il permet de réaliser aussi efficacement que celle-ci les objectifs de dénonciation et de dissuasion. C’est ce qui ressort du principe de modération qui est exprimé aux al. 718.2d) et e) et qui milite en faveur de l’application de sanctions autres que l’incarcération lorsque les circonstances le justifient. » [Mes soulignés]

[357]     Par la suite, la Cour se prononce relativement aux objectifs de la détermination de la peine énoncés à l'article 718 C.c.r :

« 102 La dénonciation est l’expression de la condamnation par la société du comportement du délinquant. Dans M. (C.A.), précité, au par. 81, j’ai écrit ce qui suit:

Bref, une peine assortie d’un élément réprobateur représente une déclaration collective, ayant valeur de symbole, que la conduite du contrevenant doit être punie parce qu’elle a porté atteinte au code des valeurs fondamentales de notre société qui sont constatées dans notre droit pénal substantiel. Comme l’a dit le lord juge Lawton dans R. c. Sargeant (1974), 60 Cr. App. R. 74, à la p. 77: [TRADUCTION] «la société doit, par l’entremise des tribunaux, communiquer sa répulsion à l’égard de certains crimes, et les peines qu’ils infligent sont le seul moyen qu’ont les tribunaux de transmettre ce message».

L’incarcération produit habituellement un effet dénonciateur plus grand que l’emprisonnement avec sursis, mesure généralement plus clémente qu’une peine d’emprisonnement de durée équivalente. Cela dit, l’emprisonnement avec sursis peut néanmoins avoir un effet dénonciateur appréciable, particulièrement dans les cas où l’ordonnance de sursis est assortie de conditions rigoureuses et que sa durée d’application est plus longue que la peine d’emprisonnement qui aurait ordinairement été infligée dans les circonstances. […]

105 Il ne faut pas sous-estimer les stigmates d’une ordonnance de sursis à l’emprisonnement assortie de la détention à domicile. Le fait que le délinquant vive dans la collectivité sous des conditions strictes et que ses voisins soient bien au fait de son comportement criminel peut, dans bien des cas, produire un effet dénonciateur suffisant. Dans certaines circonstances, en raison de la honte que le délinquant ressent lorsqu’il rencontre des membres de la collectivité, il peut même être plus difficile pour ce dernier de purger sa peine au sein de la collectivité qu’en prison.

107 L’incarcération, qui est habituellement une sanction plus sévère, peut avoir un effet plus dissuasif que l’emprisonnement avec sursis. Les juges doivent cependant prendre soin de ne pas accorder un poids excessif à la dissuasion quand ils choisissent entre l’incarcération et l’emprisonnement avec sursis: voir Wismayer, précité, à la p. 36. La preuve empirique suggère que l’effet dissuasif de l’incarcération est incertain: voir, généralement, Réformer la sentence: une approche canadienne, op. cit., aux pp. 150 et 151. Qui plus est, l’emprisonnement avec sursis peut avoir un effet dissuasif général appréciable si l’ordonnance est assortie de conditions suffisamment punitives et si le public est informé de la sévérité de ces sanctions. Un autre moyen de réaliser l’objectif de dissuasion générale est le recours à des ordonnances de service communautaire, notamment des ordonnances dans le cadre desquelles le délinquant serait tenu de parler à des membres du public des maux engendrés par son comportement criminel, dans la mesure où le délinquant est ouvert à une telle condition. Néanmoins, il peut y avoir des circonstances où le besoin de dissuasion justifie l’incarcération du délinquant. Une telle décision dépend en partie de la question de savoir s’il s’agit d’une infraction pour laquelle les conséquences de l’incarcération sont susceptibles d’avoir un effet dissuasif réel, ainsi que des circonstances propres à la collectivité au sein de laquelle l’infraction a été perpétrée.

108 L’objectif d’isolement du délinquant du reste de la société ne s’applique pas lorsqu’il s’agit de décider si la condamnation de celui-ci à l’emprisonnement avec sursis serait compatible avec l’objectif essentiel et les principes de la détermination de la peine, puisqu’un préalable à l’infliction de cette sanction est que le délinquant ne mette pas en danger la sécurité de la collectivité. En conséquence, il n’est pas nécessaire d’isoler complètement le délinquant du reste de la société. Dans la mesure où l’incarcération — qui implique l’isolement complet des délinquants — est justifiée lorsque les préalables prévus par la loi sont réunis, c’est en raison des objectifs de dénonciation et de dissuasion, et non du besoin d’isolement comme tel. 

(iv) Objectifs correctifs

109 Bien que l’incarcération puisse produire des effets dénonciateurs et dissuasifs plus grands que l’emprisonnement avec sursis, cette dernière mesure sera généralement plus propice à la réalisation des objectifs correctifs de réinsertion sociale des délinquants, de réparation des torts causés et de prise de conscience par les délinquants de leurs responsabilités. Comme l’a mentionné notre Cour dans Gladue, précité, au par. 43, «[l]es objectifs correctifs ne concordent habituellement pas avec le recours à l’emprisonnement». Il ne faut pas sous-estimer l’importance de ces objectifs, car ils sont le principal facteur d’abaissement du taux de récidive. En conséquence, lorsque les objectifs de réinsertion sociale, de réparation des torts causés et de prise de conscience des responsabilités peuvent réalistement être atteints dans le cas d’un délinquant donné, l’emprisonnement avec sursis sera vraisemblablement la sanction appropriée, sous réserve de la prise en compte des considérations de dénonciation et de dissuasion exposées plus tôt.

111 La détention à domicile est une autre mesure qui peut contribuer, dans une certainemesure, à la réinsertion sociale du délinquant, en ce qu’elle l’empêche de maintenir ses fréquentations antisociales en plus de favoriser des comportements socialement souhaitables tels que l’assiduité au travail ou aux cours: voir Roberts, «The Hunt for the Paper Tiger: Conditional Sentencing after Brady», loc. cit., à la p. 65. » [Mes soulignés]

[358]     Le Tribunal précise que ce paragraphe 111 fait suite à certains exemples cités par la Cour à l'égard de délinquants qui connaissent des problèmes de dépendance à la drogue.  Par contre, le Tribunal, bien humblement, y accorde une portée plus générale.

[359]     Dans la présente affaire, comme dans les nombreux dossiers déjà cités, les tribunaux ne peuvent omettre les conséquences réelles d'une incarcération ferme envers un individu que les tribunaux qualifient de personne positive au sein de la société, d'un individu réhabilité, conscient des torts qu'il a posé, vivant remords profonds, purgeant leur peine dans la communauté ne constitueront point un danger pour celle-ci. Ces délinquants subiront selon le cas ces conséquences :

§  Perte d'emploi;

§  Perte de la maison familiale;

§  À cause de l'incarcération ferme, ne peuvent subvenir aux besoins de leur famille;

§  Conjoint(e) et enfants deviendront bénéficiaires des prestations de l'État;

§  Arrêt des études;

§  Rencontre en centre de détention de détenus peu recommandables ou très criminalisés;

§  Découragement devant leur situation personnelle à la sortie de prison.

[360]     À la suite de la détention, se retrouvant devant de telles situations, nombreux seront les délinquants qui se décourageront et ne joueront plus le rôle actif et positif au sein de la société. Les tribunaux doivent toujours faire preuve de réalisme dans leurs décisions.  Nombreux délinquants n'ont pas une famille pour les supporter financièrement pendant et à leur sortie de prison.

[361]     Envers les délinquants, toujours en se rappelant que chaque cas est un cas d'espèce et tout dépendant des facteurs aggravants, le Tribunal nourrit sa réflexion avec cet écrit de la Cour :

« 112 L’emprisonnement avec sursis peut aussi favoriser l’atteinte de l’objectif de réparation des torts causés à la victime et à la collectivité, et de l’objectif de prise de conscience par les délinquants de leurs responsabilités, notamment par la reconnaissance du tort qu’ils ont causé aux victimes et à la collectivité. Dans certains cas, par exemple, l’ordonnance de sursis peut être assortie de l’obligation de dédommager la victime. En outre, le fait d’imposer au délinquant une ordonnance de service communautaire peut l’aider à réparer les torts qu’il a causés à la collectivité et l’amener à prendre conscience de ses responsabilités. À cet égard, constituerait une possibilité intéressante une ordonnance l’obligeant à parler en public des conséquences malheureuses de sa conduite, dans la mesure où le délinquant est ouvert à une telle condition. Non seulement une telle ordonnance pourrait-elle amener le délinquant à prendre conscience de ses responsabilités et à reconnaître les torts qu’il a causés, mais elle pourrait également favoriser la réalisation de l’objectif de dissuasion générale, comme je l’ai indiqué précédemment. À mon avis, il y a lieu d’encourager le recours aux ordonnances de service communautaire, dans la mesure évidemment où il existe des programmes appropriés pour le délinquant dans la collectivité concernée. Si les tribunaux recourent davantage aux ordonnances de service communautaire, le public considérera que les délinquants s’acquittent de leur dette envers la société. Une telle mesure aura également pour effet d’aider à accroître le respect de la loi par le public.

113 En résumé, au moment de décider si l’octroi du sursis à l’emprisonnement est conforme à l’objectif essentiel et aux principes de la détermination de la peine, le juge qui détermine la peine doit se demander quels sont les objectifs qui apparaissent prépondérants au regard des faits du cas dont il est saisi. Lorsqu’il est possible de combiner des objectifs punitifs et des objectifs correctifs, l’emprisonnement avec sursis sera vraisemblablement une sanction plus appropriée que l’incarcération. Pour décider s’il est possible de réaliser des objectifs correctifs dans une affaire donnée, le juge doit étudier les chances de réinsertion sociale du délinquant, notamment en tenant compte de tout plan de réadaptation proposé par ce dernier, de l’existence de programmes appropriés de service communautaire et de traitement dans la collectivité, de la question de savoir si le délinquant reconnaît ses torts et manifeste des remords, ainsi que des souhaits exprimés par la victime dans sa déclaration (que le tribunal doit prendre en considération suivant l’art. 722 du Code). Cette liste n’est pas exhaustive.

114 Lorsque des objectifs punitifs tels que la dénonciation et la dissuasion sont particulièrement pressants, par exemple en présence de circonstances aggravantes, l’incarcération sera généralement la sanction préférable, et ce en dépit du fait que l’emprisonnement avec sursis pourrait également permettre la réalisation d’objectifs correctifs. À l’inverse, selon de la nature des conditions imposées dans l’ordonnance de sursis, la durée de celle-ci et la situation du délinquant et de la collectivité au sein de laquelle il purgera sa peine, il est possible que l’emprisonnement avec sursis ait un effet dénonciateur et dissuasif suffisant, même dans les cas où les objectifs correctifs présentent moins d’importance.

115 Finalement, il convient de souligner que le sursis à l’emprisonnement peut être octroyé même dans les cas où il y a des circonstances aggravantes liées à la perpétration de l’infraction ou à la situation du délinquant. Il va de soi que la présence de circonstances aggravantes augmentera le besoin de dénonciation et de dissuasion. Toutefois, il serait erroné d’écarter d’emblée la possibilité de l’octroi du sursis à l’emprisonnement pour cette seule raison. Je le répète, il faut apprécier chaque cas individuellement.

116 Il arrive fréquemment que le juge qui détermine la peine se trouve devant une situation où certains objectifs militent en faveur de l’octroi du sursis à l’emprisonnement et d’autres en faveur de l’emprisonnement. En pareils cas, le juge du procès doit soupeser ces divers objectifs pour déterminer la peine appropriée. Comme a expliqué le juge La Forest dans R. c. Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309 , à la p. 329, «[d]ans un système rationnel de détermination des peines, l’importance respective de la prévention, de la dissuasion, du châtiment et de la réinsertion sociale variera selon la nature du crime et la situation du délinquant». Le juge ne dispose pas d’un critère ou d’une formule d’application simple à cet égard. Il faut s’en remettre au jugement et à la sagesse du juge qui détermine la peine, que le législateur a investi d’un pouvoir discrétionnaire considérable à cet égard à l’art. 718.3. » [Mes soulignés]

[362]     Même si le fait de causer la mort sans l'intention spécifique, ce résultat est toujours une circonstance aggravante mais n'excluait point pour autant comme une jurisprudence imposante le démontre; la possibilité d'imposer une peine d'emprisonnement avec sursis.

[363]     S'en remettre comme le souligne la Cour au jugement et à la sagesse des tribunaux qui analysent le tout, avec distanciation, impartialité, objectivité à l'intérieur des balises juridiques établies par la Cour encadrant le pouvoir discrétionnaire des tribunaux, résultera en une garantie de justice équitable envers la victime ou ses proches, la société et l'accusé. Humblement, le Tribunal est convaincu de son constat.

[364]     Quant à ce pouvoir discrétionnaire, la Cour le rattache expressément à la volonté du législateur :

« 124 Plusieurs dispositions de la partie XXIII confirment que le législateur a voulu conférer un large pouvoir discrétionnaire au juge qui détermine la peine. La règle générale se trouve aux par. 718.3(1) et (2) qui prévoient que la décision quant au type de peine et à sa sévérité est laissée à l’appréciation du tribunal qui condamne le délinquant. De plus, les premiers mots de l’art. 718 précisent que le tribunal doit chercher à réaliser l’objectif essentiel du prononcé des peines «par l’infliction de sanctions justes visant un ou plusieurs des objectifs suivants» (je souligne). Dans le contexte de l’emprisonnement avec sursis, l’art. 742.1 indique que le tribunal «peut» prononcer cette sanction et qu’il dispose d’un large pouvoir discrétionnaire pour l’établissement des conditions appropriées visées au par. 742.3(2). » [Nos soulignés]

[365]     De cette décision, le Tribunal ne peut ignorer l'enseignement de la Cour relativement à l'effet que l'emprisonnement ferme aurait un pouvoir de dissuasion plus important envers les accusés sans ou peu d'antécédents judiciaires.  Cet enseignement fut à l'appui de nombreuses décisions qui furent prononcées par les tribunaux.

[366]     Le Tribunal affirme même que des peines de plus en plus sévères furent prononcées afin de dénoncer ce crime commis trop fréquemment.

[367]     Malgré cette position jurisprudentielle, ces dramatiques événements sont encore trop nombreux devant les tribunaux. Il est indispensable que les peines prononcées aient un impact dans la collectivité mais les tribunaux à eux-mêmes ne pourront mettre une fin à la commission de ces crimes et croire que l'emprisonnement ferme consiste en une unique réponse. La tragique réalité conduit le Tribunal à ce constat. Les mesures d'enseignement sont-elles suffisantes? Les autorités gouvernementales mettent-elle en place des moyens suffisants de contrôle ou de préventions? Un couvre-feu doit-il être imposé aux jeunes conducteurs? Obtient-on trop jeune un permis de conduire? L'obtention d'un permis de conduire est-il trop aisée?

[368]     Le Tribunal cesse son questionnement à ce sujet, car il n'a pas de réponse à y inscrire car il irait à l'encontre de son devoir de réserve.  Ces réponses à ces questionnement ou d'autres appartiennent au gouvernement.

[369]     Mais dans le présent dossier, le Tribunal ne viole nullement son devoir de réserve et son code de déontologie en s'interrogeant ainsi : la représentante de l'État demande une peine sévère pour mettre fin à ce genre de délit mais comment expliquer que l'État permet que de jeunes qui n'ont pas acquis la maturité de l'adulte puissent légalement conduire sur nos routes un tel véhicule qui peut accélérer à une vitesse vertigineuse et être qualifié de bombe qui peut exploser à tout moment?

[370]     Dans le cahier de ses autorités soumis au Tribunal, le procureur de la défense a soumis de la documentation afin de démontrer l'importance de sauvegarder la peine d'emprisonnement avec sursis :

§  Opinion de Me Jean-Claude Hébert;

§  The Pew Center on the States - One in 100 : Behind Bars in America 2008;

§  The Pew Center on the States - One in 31. The long reach of American corrections;

§  Effets de l'incarcération et des sanctions intermédiaires sur la récidive: effets généraux et différences individuelles 2002-01 étude du département de psychologie et du centre d'étude de la Justice criminelle;

§  Commentaires de l'Association des services de réhabilitation du Québec relatifs au projet de loi C-9;

§  Lettre du Bâtonnier du Québec (Me Pierre Chagnon) en date du 15 juillet 2009 au Ministre fédéral de la justice (honorable Robert Douglas Nicholson) concernant le projet de loi C-42.

[371]     L'ensemble de cette documentation fort intéressante et le sérieux de celle-ci démontre :

§  Le coût élevé de l'incarcération des délinquants;

§  La lourdeur des peines n'a pas d'effet dissuasif sur la récidive et entraînerait même une légère augmentation du taux de récidive;

§  Les élus américains préconisent une nouvelle approche en matière de justice criminelle;

§  Une étude réalisée en 2004 auprès des juges des Cours d'appel du Québec, du Manitoba et de l'Ontario révèle que ces derniers croient que toute réforme des dispositions devrait avoir pour but d'améliorer l'administration et la surveillance des ordonnances prononcées plutôt que d'ajouter des exclusions;

§  L'exercice d'un pouvoir discrétionnaire du judiciaire sert très bien l'intérêt public.

ANALYSE DES DISPOSITIONS CONSTITUTIONNELLES

[372]     Lors de cette analyse le Tribunal n'y ajoutera point ce qui fut déjà écrit afin d'éviter une répétition inutile. Mais il faut y comprendre que la réflexion du Tribunal comprend les considérations déjà indiquées.

Article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés

[373]     Cette disposition constitutionnelle précise que les tribunaux ne peuvent imposer une peine cruelle et inusitée.

[374]     Cet article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés fut l'objet d'une première décision de la Cour suprême du Canada dans R. c. Smith [1987] 1 R.C.S. 1045 .

[375]     À l'époque, le crime d'importation d'un stupéfiant au Canada était punissable d'un emprisonnement minimal de sept ans de pénitencier. Smith a plaidé coupable d'avoir importé 7 onces et demi de cocaïne.

[376]     Le sens et la portée de cette disposition est ainsi définit :

« 54. La limite en cause en l'espèce est celle apportée par l'art. 12 de la Charte. A mon avis, la protection accordée par l'art. 12 régit la qualité de la peine et vise l'effet que la peine peut avoir sur la personne à qui elle est infligée. Je suis d'accord avec ce que dit le juge en chef Laskin dans I'arrêt Miller et Cockriell, précité, lorsqu'il définit les termes "cruels et inusités" comme la "formulation concise d'une norme". Le critère qui doit être appliqué pour déterminer si une peine est cruelle et inusitée au sens de l'art. 12 de la Charte consiste, pour reprendre les termes. utilisés par le juge en chef Laskin à la p. 688 de I'arrêt Miller et Cockriell, précité, à se demander "si la peine infligée est excessive au point de ne pas être compatible avec la dignité humaine." En d'autres termes, bien que l'État puisse infliger une peine, l'effet  de cette peine ne dit pas être exagérément disproportionné à ce qui aurait été approprié.

55. En imposant une peine d'emprisonnement, le juge se doit d'évaluer les circonstances de l'affaire afin de prononcer une sentence appropriée. Le critère applicable à l'examen en vertu de I'art. 12 de la Charte est celui de la disproportion exagérée, étant donné qu'il vise les peines qui sont plus que simplement excessives. II faut éviter de considérer que toute peine disproportionnée ou excessive est contraire à la Constitution et laisser au processus normal d'appel en matière de sentence la tâche d'examiner la justesse d'une peine. II n'y aura violation de I'art. 12 que si, compte tenu de l'infraction et du contrevenant, la sentence est inappropriée au point d'être exagérément disproportionnée.

56. En vérifiant si une peine est exagérément disproportionnée, la cour doit d'abord prendre en considération la gravité de l'infraction commise, les caractéristiques personnelles du contrevenant et les circonstances particulières de l'affaire afin de déterminer quelles peines auraient été appropriées pour punir, réhabiliter ou dissuader ce contrevenant particulier ou pour protéger le public contre ce dernier. Ainsi, les autres objectifs que peut viser l'imposition d'une peine, en particulier la dissuasion d'autres contrevenants en puissance, sont sans importance à cette: étape de l'analyse. Cela signifie non pas que le juge ou le législateur ne peut plus, en déterminant une peine, prendre en considération la dissuasion générale ou d'autres objectifs pénologiques qui vont au delà du contrevenant particulier, mais seulement que la peine qui résulte ne doit pas être exagérément disproportionnée à ce que mérite le contrevenant. Si une peine exagérément disproportionnée est prescrite "par une règle de droit", alors l'objectif qu'eue vise devra faire l'objet d'une évaluation en vertu de l'article premier. L'article 12 a pour effet d'assurer que chaque contrevenant se voie infliger une peine appropriée, ou tout au moins non exagérément disproportionnée, à sa situation particulière, alors que l'article premier permet de passer outre à ce droit afin de réaliser un objectif social important.

57. Il faut également évaluer l'effet de la peine qui est effectivement infligé. Si cet effet est exagérément disproportionné à ce qui aurait été approprié, alors elle viole l'art. 12. L'effet de la peine ut souvent le produit de plusieurs facteurs et ne se limite pas à l'importance ou à la durée de cette peine, mais comprend sa nature et les circonstances dans lesquelles elle est imposée. C'est parfois en raison de sa seule longueur ou de sa nature même que la peine est exagérément disproportionnée à l'objectif poursuivi. Dans d'autres cas, c'est le résultat d'une combinaison de facteurs qui pris isolément n'engendreraient pas en soi une disproportion exagérée. À titre d'exemple, une peine de vingt années pour une première infraction contre la propriété serait exagérément disproportionnée, mais il en serait de même d'une peine de trois mois d'emprisonnement dans le cas où les autorités pénitentiaires décideraient qu'eue doit être purgée dans une cellule d'isolement. Enfin, je dois ajouter que certaines peines ou certains traitements seront toujours exagérément disproportionnés et. . incompatibles avec la dignité humaine: par exemple, l'imposition d'un châtiment corporel comme la peine du fouet, sans égard au nombre de coups de fouet imposé ou, à titre d'exemple de traitement, la lobotomie de certains criminels dangereux, ou la castration d'auteurs de crimes sexuels. » [Mes soulignés]

[377]     De plus, au sujet de l'article 12, il faut y ajouter :

« 60. À plus d'une occasion, les tribunaux au Canada ont examiné un autre la peine avait été infligée arbitrairement. Au sujet de ce facteur, quelques commentaires s'imposent car l'art. 9 traite de la détention et de l'emprisonnement arbitraires et, dans la mesure le caractère arbitraire, dans un contexte approprié, pourrait contrevenir à un principe de justice fondamentale, il pourrait engendrer une violation B première vue de l'art. 7. Comme je l'ai dit précédemment. l'art. 12 vise l'effet d'une peine et, avec égards, j'estime que la façon, comme telle, dont la peine est infligée n'est pas très pertinente dans le cas d'une décision fondée sur l'art. 12. Par exemple, il n'y a pas d'atteinte à l'art. 12 si un juge, après avoir refusé d'entendre des représentations sur la sentence, a déclaré qu'il ne tiendrait compte d'aucun facteur pertinent, pour ensuite imposer arbitrairement une peine préconçue mais appropriée. A mon avis, vu que ce résultat serait approprié, la sentence ne pourrait être qualifiée d'exagérément disproportionnée et de contraire à l'art. 12.

61. Cette mention de la nature arbitraire de la peine comme facteur à considérer constitue une transposition directe au Canada de l'un des critères élaborés par les tribunaux américains relativement au Huitième amendement de leur constitution. Si les critères élaborés par les Américains peuvent servir de guide utile, ils n'en découlent pas moins de l'analyse d'une constitution qui diffère à bien des égards de la Charte canadienne des droits et libertés.

62. […] En sus de la protection accordée par l'art. 12, notre Charte offre une protection expresse contre l'emprisonnement arbitraire (art. 9) et contre les atteintes au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne qui ne sont pas conformes aux principes de justice fondamentale (art. 7). De plus, comme l'article premier et l'art. 24 de la Charte n'ont pas d'équivalents dans la Constitution américaine, la dynamique des contestations de validité des lois américaines est différente. C'est pourquoi l'interprétation judiciaire du Huitième amendement a dû être plus large que ce qui serait nécessaire dans le cas de l'art. 12 de la Charte. Au Canada, la protection de la liberté de l'individu se retrouve dans diverses dispositions de la Charte et le contenu de chacun de ces articles doit être établi en fonction des garanties énoncées dans les autres articles et du contenu que les tribunaux attribuent à ces derniers. Ainsi, tout commentaire sur le sens de l'art. 12 doit se faire en ayant l'art. 9 à l'esprit et, dans les cas où les art. 8 à 14 sont en cause, en tenant compte de l'art. 7 (voir Renvoi: Motor Vehick Act de la C.-B., précité). » [Mes soulignés]

[378]     Donc une peine viole l'article 12 si compte tenu de l'infraction et du contrevenant, la sentence est non seulement inappropriée mais au point d'être exagérément disproportionnée.

[379]     La qualification de la peine fut étudiée de nouveau par la Cour suprême du Canada dans l'affaire R. c. Ferguson [2008] 1 R.C.S. 96 :

« [14] Pour décider si une peine donnée est cruelle et inusitée, il faut se demander si elle est exagérément disproportionnée : R. c. Smith, [1987] 1 R.C.S. 1045 . Notre Cour a conclu à maintes reprises qu’il ne suffit pas qu’une peine soit excessive pour être jugée exagérément disproportionnée. Elle doit être « excessive au point de ne pas être compatible avec la dignité humaine » et disproportionnée au point où les Canadiens « considéreraient cette peine odieuse ou intolérable » : R. c. Wiles, [2005] 3 R.C.S. 895 , 2005 CSC 84 , par. 4, citant Smith à la p. 1072 et Morrisey au par. 26. La question devient donc la suivante : une peine de quatre ans d’emprisonnement est-elle exagérément disproportionnée par rapport à l’infraction d’homicide involontaire coupable commise par le gendarme Ferguson? »

[380]     Ferguson était un agent de la GRC qui au cours d'une altercation avec un détenu incarcéré dans une cellule d'un détachement de la GRC, tua ce dernier en utilisant son arme à feu. Il fut déclaré coupable d'homicide involontaire.

[381]     L'article 236 (4) du Code criminel prévoyait une peine minimale de quatre ans d'emprisonnement. La Cour décide que cette peine minimale ne constitue pas une peine cruelle et inusitée.

[382]     Une peine même excessive est insuffisante pour invoquer une violation à l'article 12 CCDL. Une peine sera qualifiée d'exagérément disproportionnée au point de ne pas être incompatible avec la dignité humaine et disproportionnée au point où les Canadiens considéreraient cette peine odieuse ou intolérable.

[383]     De plus, dans Steele c. Établissement Mountain [1990] 2 R.C.S. 1385 , la Cour précise qu'il arrivera très rarement qu'une peine soit si exagérément disproportionnée qu'elle viole l'article 12 CCDL.

[384]     Steele est âgé de 55 ans et avait été détenu près de 37 ans de sa vie dans un pénitencier. Il avait plaidé coupable à l'âge de 18 ans à une accusation de tentative de viol et déclaré atteint de « psychopathie sexuelle criminelle » au sens du Code criminel. La commission des libérations conditionnelles continuait de lui refuser une libération conditionnelle parce qu'il constituait un risque pour la société.

[385]     La Cour suprême décide que l'incarcération prolongée du détenu constituait une peine cruelle et inusitée mais indique clairement :

« Il arrivera très rarement qu'une cour de justice conclura qu'une peine est si exagérément disproportionnée qu'elle viole les dispositions de l'art. 12 de la Charte. Le critère qui sert à déterminer si une peine est beaucoup trop longue est à bon droit strict et exigeant. Un critère moindre tendrait à banaliser la Charte.

Il ne faut pas oublier non plus qu'il existe un moyen pour les cours d'appel de réviser les peines et de faire en sorte qu'elle soient adéquates. Dans l'arrêt R. c. Smith, [1987] 1 R.C.S. 1045 , le juge Lamer énonce ainsi le critère rigoureux qui s'applique à l'examen d'une peine en vertu de l'art. 12 de la Charte. Il écrit, à la p. 1072:

Le critère applicable à l'examen en vertu de l'art. 12 de la Charte est celui de la disproportion exagérée, étant donné qu'il vise les peines qui sont plus que simplement excessives. Il faut éviter de considérer que toute peine disproportionnée ou excessive est contraire à la Constitution et laisser au processus normal d'appel en matière de sentence la tâche d'examiner la justesse d'une peine. Il n'y aura violation de l'art. 12 que si, compte tenu de l'infraction et du contrevenant, la sentence est inappropriée au point d'être exagérément disproportionnée. » [Mes soulignés]

(p. 39)

[386]     La Cour suprême s'est exprimée relativement au critère servant à déterminer le caractère cruel et inusité d'une peine.

[387]     R. c. Goltz [1991] 3.R.C.S. 485, au nom de la Cour, l'honorable juge Gonthier écrit :

« Les éléments énoncés ci-dessus régissent l'application du critère de la disproportion exagérée aux fins de l'art. 12 de la Charte. Ce critère n'est pas simple. Il nécessite que plusieurs facteurs soient minutieusement examinés et soupesés, l'un par rapport à l'autre, quoique chacun des facteurs subsidiaires énumérés par le juge Lamer dans l'arrêt Smith n'ait pas à être pris en considération dans chaque cas. Ce sont des lignes directrices qui, sans être décisives en elles-mêmes, aident à vérifier si la peine est exagérément disproportionnée (Smith, à la p. 1074).

De plus, il se dégage nettement des arrêts Smith et Lyons, précités, que le critère en question ne permet pas l'invalidation inconsidérée de peines établies par le législateur. Les moyens employés et les buts visés par les corps législatifs ne doivent pas être facilement contrecarrés dans le cadre d'une contestation fondée sur l'art. 12. Dans l'arrêt Smith, le juge Lamer au nom de la Cour explique, aux pp. 1077 et 1072:

Une peine minimale obligatoire d'emprisonnement n'est manifestement pas cruelle et inusitée en soi. Le législateur peut, à mon avis, prescrire une peine obligatoire d'emprisonnement dans le cas d'une déclaration de culpabilité de certaines infractions sans porter atteinte aux droits garantis par l'art. 12 de la Charte.

. . .

Il faut éviter de considérer que toute peine disproportionnée ou excessive est contraire à la Constitution et laisser au processus normal d'appel en matière de sentence la tâche d'examiner la justesse d'une peine. Il n'y aura violation de l'art. 12 que si, compte tenu de l'infraction et du contrevenant, la sentence est inappropriée au point d'être exagérément disproportionnée.

Ce principe a été confirmé par le juge La Forest au nom de la Cour, qui s'est prononcée à l'unanimité, dans l'arrêt Lyons, précité, à la p. 345:

Le mot "exagérément", me semble-t-il, traduit le souci qu'avait cette Cour de ne pas astreindre le législateur à une norme à ce point sévère, tout au moins dans le contexte de l'art. 12, qu'elle exigerait des peines parfaitement adaptées aux nuances morales qui caractérisent chaque crime et chaque délinquant.

Parlant au nom de notre Cour, le juge en chef Lamer a de nouveau confirmé ce point de vue dans Luxton, précité, où l'on contestait en vertu de l'art. 12 un article du Code criminel qui augmentait de quinze années la partie minimale de leur peine que devaient purger comme condition d'admissibilité à la libération conditionnelle les personnes reconnues coupables d'un meurtre commis au cours d'une séquestration. En rejetant cette contestation, le juge en chef Lamer a cité un passage de la décision R. v. Guiller (1986), 48 C.R. (3d) 226 (C. dist. Ont.), qu'il avait déjà cité dans l'arrêt Smith. Ce passage, reproduit à la p. 725, porte:

[TRADUCTION] Il n'appartient pas au tribunal de se prononcer sur la sagesse du législateur fédéral en ce qui concerne la gravité de diverses infractions et les différentes peines qui peuvent être infligées aux personnes reconnues coupables de les avoir commises. Le législateur jouit d'une compétence discrétionnaire étendue pour interdire certains comportements considérés comme criminels et pour déterminer quelle doit être la sanction appropriée. Si le jugement définitif quant à savoir si une peine excède les limites constitutionnelles fixées par la Charte constitue à bon droit une fonction judiciaire, le tribunal devrait néanmoins hésiter à intervenir dans les vues mûrement réfléchies du législateur et ne le faire que dans les cas les plus manifestes . . .

Ce message s'applique également aux vues mûrement réfléchies d'une législature provinciale, car il n'y a aucune différence appréciable, en ce qui concerne l'examen fondé sur l'art. 12 de la Charte, entre les lois du Parlement et celles d'une assemblée législative provinciale. Au surplus, comme la peine minimale prescrite par l'al. 88(1)c) revêt la forme de la sanction grave qu'est l'emprisonnement, il est dès lors sans importance que l'art. 88 crée une infraction à une loi provinciale et non au Code criminel. 

La retenue à l'égard des peines établies par voie législative dont témoignent ces passages se comprend particulièrement bien quand ont tient compte des objectifs généraux et divers que visent les sanctions pénales. Dans l'arrêt Lyons, précité, le juge La Forest exprime l'opinion courante selon laquelle les peines, bien que punitives en partie, sont infligées surtout pour la protection du public. Ce point de vue concorde avec l'objet du droit criminel en général et des peines en particulier. Le juge La Forest affirme, à la p. 329:

Dans un système rationnel de détermination des peines, l'importance respective de la prévention, de la dissuasion, du châtiment et de la réinsertion sociale variera selon la nature du crime et la situation du délinquant.

Cette reconnaissance du fait que les sanctions servent à de nombreuses fins vient souligner la légitimité du souci du législateur de voir à ce que les peines soient destinées en grande partie à assurer de façon permanente le bien-être du public grâce à leurs aspects dissuasifs et protecteurs. Ce point de vue est expressément confirmé par le juge en chef Lamer dans l'arrêt R. c. Luxton, précité, à la p. 721. Donc, les divers facteurs qui constituent le critère formulé dans l'arrêt Smith visent surtout à garantir aux particuliers qu'ils ne se verront pas infliger des peines exagérément disproportionnées, mais le critère traduit en outre un souci de maintenir d'autres valeurs légitimes qui justifie l'application de sanctions pénales. Ces valeurs jouent inévitablement un rôle dans l'appréciation des éléments qui se fait dans le cadre d'une analyse fondée sur l'art. 12. » [Mes soulignés]

[388]     Plus récemment dans R. c. Latimer [2001] 1 R.C.S. 3 , à l'unanimité la Cour suprême précise :

« 76 Même si le critère accorde beaucoup d’importance à la situation personnelle, il faut également souligner que, lorsqu’elle soupèse les facteurs relatifs à l’art. 12, la cour doit également tenir compte des objectifs législatifs valides qui sous-tendent les responsabilités du législateur en matière de droit criminel et faire preuve de retenue à cet égard (Goltz, précité, p. 503). À ce propos, le juge Cory affirme, au nom de notre Cour dans Steele c. Établissement Mountain, précité, p. 1417 :

Il arrivera très rarement qu’une cour de justice conclura qu’une peine est si exagérément disproportionnée qu’elle viole les dispositions de l’art. 12 de la Charte. Le critère qui sert à déterminer si une peine est beaucoup trop longue est à bon droit strict et exigeant. Un critère moindre tendrait à banaliser la Charte. [Nous soulignons.]

77 En soulignant la norme de retenue applicable à l’examen fondé sur l’art. 12, notre Cour a adopté à maintes reprises l’extrait suivant de la décision R. c. Guiller (1985), 48 C.R. (3d) 226 (C. dist. Ont.), p. 238, le juge Borins (cité dans Smith, précité, p. 1070; Luxton, précité, p. 725; Goltz, précité, p. 502 :

[TRADUCTION] Il n’appartient pas au tribunal de se prononcer sur la sagesse du législateur fédéral en ce qui concerne la gravité de diverses infractions et les différentes peines qui peuvent être infligées aux personnes reconnues coupables de les avoir commises. Le législateur jouit d’une large discrétion pour interdire certains comportements considérés comme criminels et pour déterminer quelle doit être la sanction appropriée. Si le jugement définitif quant à savoir si une peine excède les limites constitutionnelles fixées par la Charte constitue à bon droit une fonction judiciaire, le tribunal devrait néanmoins hésiter à intervenir dans les vues mûrement réfléchies du législateur et ne le faire que dans les cas les plus manifestes où la peine prescrite est excessive, comparativement à la peine prévue pour d’autres infractions, au point de constituer une atteinte aux normes de la décence. »

[389]     Afin de déterminer si une peine est ou non cruelle et inusité, le Tribunal doit effectuer une analyse composée de deux étapes tel que décidé par la Cour suprême à diverses occasions dont dans R. c. Goltz [1991] 3 R.C.S., p. 485 :

« Les deux aspects d'une analyse de l'application de l'art. 12

Dans l'arrêt Smith, la Cour s'est servie d'un exemple hypothétique qui faisait ressortir le caractère éventuellement inéquitable de la peine minimale de sept ans d'emprisonnement pour l'infraction d'importation de stupéfiants prévue au par. 5(1) de la Loi sur les stupéfiants. Elle a évoqué le cas d'un touriste qui retourne au Canada avec une seule cigarette de marihuana et a mis la situation de ce "petit contrevenant" face à celle du vendeur de drogues dures reconnu coupable d'avoir importé une grande quantité d'héroïne (aux pp. 1056 et 1078). D'après la Cour, la peine contestée serait exagérément disproportionnée à ce qui serait approprié dans le cas de ce petit contrevenant imaginaire. La disposition avait donc une portée trop large, indépendamment du caractère approprié possible d'une peine de sept ans d'emprisonnement pour le contrevenant en cause dans l'affaire Smith -- un individu âgé de 27 ans, dont le casier judiciaire faisait état de deux déclarations de culpabilité antérieures, qui, à son retour de Bolivie, a été surpris en possession de cocaïne d'une valeur marchande supérieure à 100 000 $ et qui a plaidé coupable à l'accusation portée contre lui. Elle était entachée d'invalidité parce que ses effets possibles étaient excessifs au point d'être contraire à ce qui est acceptable.

Dans la présente affaire également, la Cour d'appel de la Colombie-Britannique a, d'une manière abstraite, étudié certaines situations hypothétiques avant de conclure à l'invalidité de l'al. 88(1)c) de la Loi pour cause d'incompatibilité avec l'art. 12. Bien que je sois d'avis que la démarche adoptée par la Cour d'appel était erronée à certains égards, il était néanmoins approprié qu'elle prenne en considération des circonstances hypothétiques.

L'analyse de l'invalidité faite en vertu de l'art. 12 comporte deux aspects. L'un d'eux concerne l'appréciation de la peine ou de la sanction contestée dans l'optique de la personne à qui elle a en fait été infligée, en soupesant la gravité de l'infraction elle-même d'une part et les circonstances particulières de cette infraction et les caractéristiques personnelles du contrevenant d'autre part. Si l'on décide que la disposition contestée prévoit, et infligerait en réalité au contrevenant, une sanction à ce point excessive ou exagérément disproportionnée qu'elle irait à l'encontre de ce qui est acceptable dans ces circonstances réelles et particulières, elle constituera alors à première vue une violation de l'art. 12 et fera l'objet d'un examen visant à déterminer si elle peut se justifier aux termes de l'article premier de la Charte. Il peut ne pas s'avérer nécessaire d'étudier des situations hypothétiques ou des contrevenants imaginaires. Tel n'a pas été le cas dans l'affaire Smith. C'est pourquoi la Cour s'est trouvée dans l'obligation d'examiner d'autres circonstances raisonnablement imaginables dans lesquelles la disposition contestée pourrait violer l'art. 12.

Si les faits particuliers de l'espèce ne justifient pas une conclusion de disproportion exagérée, il peut y avoir un autre aspect à examiner, savoir, une contestation fondée sur la Charte ou une question constitutionnelle concernant la validité d'une disposition législative fondée sur la disproportion exagérée démontrée par des circonstances hypothétiques raisonnables, par opposition à des situations invraisemblables ou difficilement imaginables. (Voir d'une manière générale C. Robertson, "The Judicial Search for Appropriate Remedies under the Charter: The Examples of Overbreadth and Vagueness", dans R. Sharpe, Charter Litigation (1987).)

Il s'agit donc maintenant d'entreprendre l'analyse fondée sur l'art. 12 en tenant compte des deux aspects. Nous devons, dans la partie "particularisée" de l'analyse, examiner à la lumière des faits de la présente espèce la gravité de l'infraction, les circonstances particulières de l'affaire, les caractéristiques personnelles du contrevenant et les effets de la peine. »

[390]     De nouveau l'honorable juge Gonthier écrit plus tard dans R. c. Morrisey [2000] 2 R.C.S. 90 , au sujet de ce test qui comprend deux étapes :

« 26 L’article 12 de la Charte accorde aux Canadiens et aux Canadiennes une grande protection contre l’infliction de peines qui sont excessives au point d’être incompatibles avec la dignité humaine: Smith, précité, à la p. 1072; Goltz, précité, à la p. 499; R. c. Luxton, [1990] 2 R.C.S. 711 , à la p. 724. L’examen du tribunal s’attache non seulement à l’objectif visé par la peine, mais également à l’effet de celle-ci sur le délinquant en cause. Lorsque la peine est simplement disproportionnée, aucune réparation ne peut être accordée en vertu de l’art. 12. Le tribunal doit plutôt être convaincu que la peine qui a été infligée est exagérément disproportionnée en ce qui concerne ce délinquant, au point où les Canadiens et Canadiennes considéreraient cette peine odieuse ou intolérable. Comme je l’ai dit dans l’arrêt Goltz, à la p. 501, «le critère en question ne permet pas l’invalidation inconsidérée de peines établies par le législateur».

27 Afin d’analyser adéquatement la contestation d’une peine sur le fondement de l’art. 12, le tribunal doit tenir compte de tous les facteurs contextuels pertinents. Aucun des facteurs énoncés dans Smith ou dans Goltz n’a un caractère prépondérant: voir Goltz, aux pp. 501 et 502. Dans l’arrêt Smith, à la p. 1073, le juge Lamer, plus tard Juge en chef du Canada, a décrit ainsi certains des facteurs pertinents:

En vérifiant si une peine est exagérément disproportionnée, la cour doit d’abord prendre en considération la gravité de l’infraction commise, les caractéristiques personnelles du contrevenant et les circonstances particulières de l’affaire afin de déterminer quelles peines auraient été appropriées pour punir, réhabiliter ou dissuader ce contrevenant particulier ou pour protéger le public contre ce dernier. »

ANALYSE DES FACTEURS CONTEXTUELS

 

1. Gravité de l'infraction commise

 

[391]     L'infraction pour laquelle l'accusé a plaidé coupable est commise lors d'une course de rue décidée volontairement par les deux conducteurs. La commission de ce crime est malheureusement de plus en plus fréquente.

[392]     Dans le présent dossier, comme le Tribunal l'a précisé, la personne qui est décédée avait sa part de responsabilité à supporter. Par contre, le Tribunal se doit de rappeler que la jurisprudence démontre aussi que d'innocentes victimes décèdent ou sont gravement blessées parce que deux conducteurs décident de se livrer à une course de rue. Même les passagers d'un véhicule dont le conducteur course, sont eux aussi d'innocentes victimes car un conducteur est responsable de la vie et de la sécurité de ses passagers. Donc le requérant, dans la présente affaire, a commis une infraction criminelle très grave le jour de l'événement.

2. Caractéristiques personnelles du contrevenant et circonstances de l'affaire

[393]     Lors de l'étude de ces caractéristiques personnelles reliées au contrevenant et aux circonstances particulières du dossier, il s'agit pour le Tribunal d'énumérer les facteurs atténuants et aggravants se rattachant à ce dossier.

2.1 Facteurs aggravants

[394]     La conduite s'est déroulée sur un chemin public et par conséquent, il était fort prévisible surtout à cette heure du jour que d'autres automobilistes empruntent cette voie publique et en plus :

§  La limites de vitesse permise était de 50 km/h;

§  L'accusé conduit alors que son permis est sanctionné;

§  L'accusé a déjà commis dans le passé des infractions à l'encontre des dispositions du Code de sécurité routière pour de la vitesse;

§  En plus de mettre eux-mêmes leur vie en danger, sur chaque moto s'y trouve un passager;

§  La volonté très claire des deux conducteurs de se livrer à une course, car ils choisissent le lieu (en ligne droite) et examinent l'état de la chaussée.

2.2 Facteurs atténuants

§  Absence d'antécédents judiciaires;

§  Jeune âge de l'accusé lors de l'événement (19 ans);

§  Opère une compagnie de lavage;

§  Inscrit à des études universitaires;

§  Alcool n'est pas en cause;

§  Vit de profonds remords;

§  Perte de son meilleur ami;

§  Perte financière ou perte complète de son entreprise commerciale et arrêt des études universitaires si une peine de détention ferme est imposée;

§  Lettre adressée au Tribunal par la mère de la victime;

§  Lien de causalité moindre compte tenu que la victime elle-même se met en danger et que l'accusé interrompt la course avant la courbe;

§  Rapport présentenciel très favorable.

3.  Peine appropriée à l'égard de ce contrevenant et effet réel de la peine

 

[395]     Comme le précise l'honorable juge Gonthier lors de l'analyse de cette question, le Tribunal en plus de soupeser l'effet réel de la peine sur l'individu, doit aussi rechercher les objectifs pénologiques et les principes de détermination de la peine sur lesquels repose la sentence, l'examen de mesure de rechanges valables à la peine infligée pour ce genre de crimes.

[396]     Il est reconnu par les tribunaux depuis toujours que le législateur peut choisir de punir plus ou moins sévèrement les délinquants. Le Code criminel canadien en énonçant diverses gravités objectives se rattachant à diverses infractions en est la démonstration réelle. Ce pouvoir lui est reconnu par l'article art. 91 (27) de l'acte d'Amérique du Nord Britannique ainsi que par les tribunaux.

[397]     Auparavant, le Code criminel prévoyait des infractions criminelles d'ordre plus général pour punir les conducteurs délinquants. Il fut adopté des dispositions comme l'homicide involontaire coupable, la négligence criminelles, la conduite dangereuse.

[398]     Au cours des années 80 et par la suite, le législateur a précisé certaines infractions criminelles en relation avec l'utilisation des véhicules à moteur.  Ainsi furent adoptés ces dispositions : conduite avec les facultés affaiblies causant la mort ou des lésions corporelles, conduite dangereuse en précisant lors d'une course sur la voie publique.

[399]     À cause du nombre élevé de ces crimes, le législateur a augmenté la gravité objective reliée à ces conduites. De plus, le législateur décide en 2007 d'exclure la possibilité pour les tribunaux de permettre que des peines soient purgées au sein de la collectivité lorsque la commission du crime cause des sévices graves à la personne.

[400]     L'infraction pour laquelle l'accusé a plaidé coupable est très sévère à cause que celle-ci entraîne souvent la perte de vie ou des blessures graves. 

[401]     Comme le Tribunal l'a déjà souligné, le pouvoir législatif, s'est imposé lui-même l'obligation constitutionnelle d'imposer des peines qui ne violent pas entre autres l'article 12 CCDL. Il est valablement légitime dans une démocratie pour le pouvoir législatif de vouloir punir plus sévèrement certaines crimes, même d'imposer des peines minimales ou d'exclure certaines crimes de l'application de certaines dispositions législatives. Mais encore faut-il que ces dispositions législatives respectent les droits garantis dans la constitution à l'article 12 envers l'ensemble des délinquants.

[402]     Au surplus dans son analyse, le Tribunal ne doit pas isoler les dispositions législatives nouvellement adoptées avec l'article 718 du Code criminel. Cette disposition d'ordre général s'applique lors de l'imposition de toute peine prononcée en vertu de ce chapitre du Code criminel.

[403]     Les règles d'interprétation des lois enseignent que le législateur ne « parle pas pour rien dire » et qu'il adopte des dispositions à l'intérieur surtout d'un même chapitre des dispositions qui n'atteignent point des objectifs contraires.

[404]     Dans le cadre de cet article 718, le législateur précise en plus d'une énumération de facteurs aggravants :

§  Un délinquant ne doit pas être privé de sa liberté, si l'imposition de  peines moins restrictives sont appropriées compte tenu des circonstances;

§  La peine doit être proportionnelle à la gravité de l'infraction et au degré de responsabilité du délinquant;

§  Favoriser la réinsertion sociale des délinquants;

§  Isoler, au besoin, les délinquants de la société;

§  La peine doit être adaptée aux circonstances aggravantes et atténuantes liées à la perception de l'infraction ou à la situation du délinquant;

§  Infliction de sanctions justes;  

[405]     Relativement à la comparaison avec les peines infligées, le Tribunal conclut que la peine qu'il a déjà indiquée n'est pas unique mais que des peines similaires furent imposées à d'autres contrevenants et ce, dans diverses affaires.

[406]     Quant à l'existence de solutions de rechanges valables à la peine effectivement imposée, la peine d'imposition d'une amende ou en vertu de l'article 732 ainsi qu'une peine de détention discontinue sont évidemment à exclure. Donc demeure deux possibilités: la détention ferme ou la peine purgée au sein de la communauté telle qu'imposée par les tribunaux avant l'adoption de la nouvelle Loi.

[407]     Cette analyse de ces divers facteurs comme le souligne l'honorable juge Gonthier « ne sont pas en soi déterminante pour décider s'il y a disproportion exagérée ».

[408]     L'ensemble de ces facteurs contextuels doit être maintenant évalué « à la lumière des circonstances particulières du délinquant devant le Tribunal ».

[409]     Le Tribunal, afin de se prononcer sur cette question se doit aussi de considérer de nouveau l'enseignement de la Cour suprême du Canada à l'effet que le tribunal lors d'une analyse fondée sur l'article 12 doit faire preuve de déférence envers les choix faits par le législateur relativement aux peines à être imposées et que les tribunaux doivent faire preuve de retenue judiciaire afin de ne pas «banaliser la Charte canadienne des droits et libertés. »

[410]     De plus, la Cour suprême enseigne qu'il arrivera très rarement que les tribunaux concluront qu'une peine est «si exagérément disproportionnée qu'elle viole l'article 12 ». La Cour reconnaît donc que rarement les tribunaux pourront conclure au contraire et ce évidemment en utilisant sa juridiction à le faire avec grande retenue. Il est aussi du devoir des tribunaux de ne pas attendre une situation si rare qu'aucune situation pourrait être qualifiée de rare.

[411]     En dernier lieu et pour une autre fois, le Tribunal précise de nouveau que la Cour suprême dans R. c. Nasogaluak [55] a décidé que le pouvoir discrétionnaire des tribunaux peut être restreint par le législateur :

« [44] Le vaste pouvoir discrétionnaire conféré aux juges chargés de la détermination de la peine comporte toutefois des limites. Il est en partie circonscrit par les décisions qui ont établi, dans certaines circonstances, des fourchettes générales de peines applicables à certaines infractions, en vue de favoriser, conformément au principe de parité consacré par le Code, la cohérence des peines infligées aux délinquants. Il faut cependant garder à l’esprit que, bien que les tribunaux doivent en tenir compte, ces fourchettes représentent tout au plus des lignes directrices et non des règles absolues. Un juge peut donc prononcer une sanction qui déroge à la fourchette établie, pour autant qu’elle respecte les principes et objectifs de détermination de la peine. Une telle sanction n’est donc pas nécessairement inappropriée, mais elle doit tenir compte de toutes les circonstances liées à la perpétration de l’infraction et à la situation du délinquant, ainsi que des besoins de la collectivité au sein de laquelle l’infraction a été commise.

[45] La loi restreint aussi le pouvoir discrétionnaire du juge de la peine, non seulement par l’adoption de principes et objectifs généraux de détermination de la peine consacrés aux art. 718 à 718.2, qui ont été exposés précédemment, mais aussi par l’existence d’autres dispositions du Code écartant certaines sanctions. À titre d’exemple, l’art. 732 interdit aux tribunaux d’ordonner qu’une peine d’emprisonnement de plus de 90 jours soit purgée de façon discontinue. Des restrictions similaires visent des sanctions comme les absolutions (art. 730), les amendes (art. 734), les ordonnances de sursis (art. 742.1) et les ordonnances de probation (art. 731). Le législateur a également jugé bon de réduire l’étendue des châtiments possibles à l’égard de certaines infractions en établissant des peines minimales obligatoires. Phénomène relativement nouveau en droit canadien, la peine minimale est l’expression claire d’une politique générale dans le domaine du droit pénal. Certaines peines minimales ont été invalidées sur le fondement de l’art. 12 de la Charte au motif qu’elles constituaient des châtiments exagérément disproportionnés eu égard aux circonstances de l’affaire (R. c. Smith, [1987] 1 R.C.S. 1045 ; R. c. Bill (1998), 13 C.R. (5th) 125 (C.S.C.-B.)), alors que d’autres ont été maintenues (R. c. Morrisey, 2000 CSC 39 , [2000] 2 R.C.S. 90 ). À moins qu’elles n’aient été déclarées inconstitutionnelles, les peines minimales prévues au Code sont obligatoires. Le pouvoir discrétionnaire d’un juge n’est pas si large qu’il lui permette de déroger à cette expression claire de la volonté du législateur. »

[412]     En écrivant que l'analyse des facteurs contextuels « doivent être d'abord évalués à la lumière des circonstances particulières du délinquant devant le Tribunal » à l'humble avis du Tribunal, l'honorable juge Gonthier appelle donc le tribunal d'instance à considérer parmi les facteurs non seulement la gravité objective de l'infraction, les critères d'exemplarité et les facteurs aggravants mais aussi l'obligation de soupeser les facteurs atténuants qui permettent d'individualiser la peine.

[413]     Après avoir longuement réfléchit à l'effet de la peine sur le contrevenant devant le Tribunal, ainsi que d'autres délinquants, le Tribunal en vient à la conclusion que le requérant a convaincu ce dernier que l'imposition d'une peine ferme de détention constituerait une peine exagérément disproportionnée à l'égard de Kevin Perry.

[414]     Les propos écrits par le regretté honorable juge en chef Lamer dans R. c Smith, sont toujours d'actualité malgré les années écoulées :

« L'article 12 a pour effet d'assurer que chaque contrevenant se voit infliger une peine appropriée, ou tout au moins non exagérément disproportionnée, à sa situation particulière, […]  (nos soulignés) »

[415]     De plus, il continue ainsi au paragraphe 57 :

« L'effet de la peine est souvent le produit de plusieurs facteurs et ne se limite pas à l'importance ou à la durée de cette peine, mais comprend sa nature et les circonstances dans lesquelles elle est imposée. »

[416]     Avec égard avec l'opinion contraire, le Tribunal est convaincu qu'une peine de  détention ferme est de plus nullement nécessaire et justifiée. Au surplus, l'objectif de dénonciation public ne serait pas atteint par une peine de détention ferme. Au contraire, cette peine de détention aurait comme conséquence disproportionnée que l'accusé ne pourrait continuer l'exploitation de son entreprise et continuer ses études universitaires.

[417]     Alors qu'il est un «actif » pour la société comme d'autres délinquants, il serait inacceptable pour la société qu'à cause d'une peine de détention ferme, il devienne un «passif » pour la société.

[418]     Au surplus, la peine qui est imposée par le Tribunal atteint les objectifs désirés par toute personne raisonnable dans la société : réponse au besoin de dissuasion collective, répare le tort causé, respecte le principe de proportionnalité, le but de toute peine est de châtier un individu et non y retrouver un ton de vengeance, l'obligation d'individualiser la peine et que le tout résulte en une peine juste, équitable envers la société, la victime ou ses proches et le contrevenant.

[419]     Vu ces derniers qualificatifs rattachés à la peine employés par le Tribunal, ce dernier explicite plus sa pensée. Lors de la tenue d'un procès, le Tribunal doit parfois décider d'admissibilité de preuve ou même se prononcer au sujet de la constitutionnalité d'une disposition législative. Le résultat se retrouvera parfois sous cette vieille maxime juridique qui est toujours d'actualité « dura lex sed lex » . À cause de ces dispositions législatives, le Tribunal étant lié par la règle de droit prononcera un verdict qui pourra paraître sévère et parfois inéquitable aux yeux de certaines. Mais la maxime latine y apportera une justification juridique.

[420]     Malgré le contenu d'une autre maxime des juristes romains « surmma injuria, Summum jus », une décision judiciaire devra être prononcée. Par contre, lors de l'imposition d'une peine, celle-ci nous incite à ne pas prononcer une peine contre les droits constitutionnels reconnus à la Charte canadienne des droits et libertés.

[421]     Au niveau d'une analyse constitutionnelle comme dans le présent dossier, différents facteurs d'ordre général, personnel rattaché au contrevenant auront comme conséquence que la première lettre du mot justice aura encore un plus grand J puisqu'un tribunal ne punit pas un crime mais un individu.

VIOLATION DES ARTICLES 7 ET 9 DE LA CHARTE CANADIENNE DES DROITS ET LIBERTÉS

[422]     Avec égard envers l'opinion du représentant du Procureur général du Québec, le Tribunal conclut qu'il se doit d'analyser les nouvelles dispositions législatives en relation avec les articles 7 et 9 de la Charte canadienne des droits et libertés.

[423]     Cette conclusion s'impose à la lecture même des propos de la Cour suprême dans R. c. Smith :

« En sus de la protection accordée par l'art. 12, notre Charte offre une protection expression contre l'emprisonnement arbitraire (art. 9) et contre les atteintes au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne qui ne sont pas conformes aux principes de justice fondamentale (art. 7). De plus, comme l'article premier et l'art. 24 de la Charte n'ont pas d'équivalents dans la Constitution américaine, la dynamique des contestations de validité des lois américaines est différente. C'est pourquoi l'interprétation judiciaire du Huitième amendement a dû être plus large que ce qui serait nécessaire dans le cas de l'art. 12 de la Charte. Au Canada, la protection de la liberté de l'individu se retrouve dans diverses dispositions de la Charte et le contenu de chacun de ces articles doit être établi en fonction des garanties énoncées dans les autres articles et du contenu que les tribunaux attribuent à ces derniers. Ainsi, tout commentaire surs le sens de l'art. 12 doit se faire en ayant l'art. 9 à l'esprit et, dans les cas où les art. 8 à 14 sont en cause, en tenant compte de l'art. 7 (voir Renvoi : Motor Vehicle Act de la C.-B. précité) (nous soulignons) »

[424]     Dans cette décision, la Cour après avoir décidé en vertu de l'article 12, n'a pas cru nécessaire de se prononcer relativement aux articles 7 et 9 de la Charte.

[425]     Par la suite, dans R. c. Golft, les propos de la Cour, comme le prétend le requérant, peuvent permettre d'y conclure que l'analyse d'une violation des articles 7 et 9 doit se faire de façon distincte de l'examen de l'article 12 :

« Bien qu'ils ne soient pas en soi déterminants pour décider s'il y a disproportion exagérée, d'autres facteurs peuvent légitimement entrer en ligne de compte. On peut se demander si la peine est nécessaire pour atteindre un objectif pénal régulier, si elle repose sur des principes reconnus en matière de détermination de la peine, s'il existe des solutions de rechange valables à la peine effectivement infligée et, dans une certaine mesure, si la comparaison avec des peines infligées pour d'autres crimes dans le même ressort révèle une grande disproportion. Une peine infligée arbitrairement n'entraîne pas nécessairement une disproportion exagérée et ne viole pas nécessairement l'art. 12. Le juge lamer affirme que le caractère arbitraire constitue « un facteur minime pour ce qui est de déterminer si une peine ou un traitement est cruel et inusité » (à la page 1076), parce que ce sont les art. 9 et 15 de la Charte qui sont les dispositions les mieux conçues pour protéger contre le caractère arbitraire et parce que l'art. 12 vise surtout l'effet d'une peine (à la page 1075). »

[426]     Le représentant du Procureur général du Québec soumet que le Tribunal ne peut se livrer à cet examen en citant la Cour suprême dans Adil Charkaoui c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration et ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile et als. [2007] 1 R.C.S. 350 :

« 88 L’article 9 de la Charte garantit le droit à la protection contre la détention arbitraire. Cette garantie exprime une des normes les plus fondamentales de la primauté du droit. L’État ne peut pas détenir une personne arbitrairement. Une personne ne peut être mise en détention qu’en conformité avec le droit. M. Almrei soutient que la détention autorisée par la LIPR est arbitraire à l’égard des étrangers parce que, premièrement, elle permet leur détention sans mandat et sans égard à leur situation personnelle et, deuxièmement, elle interdit le contrôle de la détention pendant 120 jours après la confirmation du certificat. À ces deux égards, les étrangers sont traités différemment des résidents permanents.

[427]     Avec égard, le Tribunal estime que cette décision de la Cour  suprême doit être interprétée de sorte qu'il devient pertinent de s'interroger comme le demande le procureur du requérant.

[428]     Dans la présente affaire sous étude, le résultat concret des dispositions 742.1 et 752 C.cr. exclut la possibilité qu'avait jadis les tribunaux d'imposer une peine de détention à être purgée au sein de la communauté et qu'ils sont privés d'exercer leur pouvoir discrétionnaire d'imposer une peine tenant compte de l'article 718 C.cr. De plus, il n'est pas superflu de rappeler qu'il s'agit d'une peine qui est inférieure à la période de deux années.

[429]     Le terme de deux ans a toujours eu une grande importance lors de l'imposition d'une peine. Ce chiffre n'est pas symbolique lorsqu'il distingue entre une peine de détention provinciale ou une peine dans un pénitencier. La peine de deux années et plus est réservée aux personnes criminalisées, aux récidivistes, aux personnes qui représentent un tel danger pour la société que les tribunaux doivent les isoler pour une durée de plus de deux ans, et enfin de ligne, pour des contrevenants qui ont commis une infraction avec une gravité objective et subjective si importante que seule une peine de pénitencier peut répondre aux besoins de protection de la société.

[430]     Par exemple, dans R. c. Luxton [1990] 2 R.C.S. 711 , la Cour suprême s'est prononcée suite à l'examen des articles 7 et 9 de la Charte :

« L'appelant prétend aussi dans un argument distinct que la combinaison de l'al. 214(5)e) et de l'art. 669 va à l'encontre de l'art. 9 de la Charte à cause de l'imposition par un texte de loi d'une période obligatoire d'incarcération pour une infraction qui comporte divers degrés de turpitude morale. Cet argument chevauche grandement celui de l'appelant relatif à l'art. 7 et je n'ajouterai que les commentaires suivants à ceux que j'ai déjà faits. L'effet conjugué des dispositions contestées ne démontre pas d'arbitraire de la part du Parlement. En effet, comme je l'ai déjà souligné, le Parlement a donné une définition restreinte d'une catégorie de meurtriers en vertu d'un principe directeur fondé sur la domination illégale et a défini spécifiquement les conditions auxquelles le délinquant peut être reconnu coupable de meurtre au premier degré. Pour être reconnu coupable de meurtre au premier degré en vertu de l'al. 214(5)e), le délinquant doit avoir commis un meurtre alors qu'il prévoyait subjectivement la mort et il doit avoir commis ce meurtre "en commettant ou tentant de commettre . . . [une] séquestration". Lorsque l'acte qui cause la mort et les actes qui constituent la séquestration font tous partie d'une suite ininterrompue d'événements qui constituent une seule affaire, la mort est "concomitante" d'une infraction aux fins du par. 214(5): voir Paré, précité, à la p. 632. Pour commettre l'infraction sous-jacente de séquestration, le délinquant doit recourir à [TRADUCTION] "la contrainte physique, contrairement aux désirs de la victime, mais à laquelle celle-ci se soumet contre son gré, ce qui la prive de sa liberté de se déplacer d'un endroit à un autre": extrait de l'arrêt R. v. Dollan and Newstead (1980), 53 C.C.C. (2d) 146, cité et approuvé dans R. v. Gratton (1985), 18 C.C.C. (3d) 462 (C.A. Ont.) Il est exact que la définition de séquestration adoptée par les tribunaux laisse place à des circonstances qui varient d'un cas à l'autre. Mais cette situation à elle seule n'est pas un signe d'arbitraire. Telle qu'elle est définie, l'infraction de séquestration se situe clairement sous la rubrique du principe directeur formulé par le juge Wilson dans l'arrêt Paré, savoir la domination illégale d'une personne par une autre. On ne peut pas dire que la décision du Parlement d'assortir le meurtre au premier degré d'une peine minimale de 25 ans d'emprisonnement sans possibilité de libération conditionnelle est, compte tenu de toutes ces circonstances, arbitraire au sens de l'art. 9 de la Charte. La loi autorise l'emprisonnement, elle donne une définition restreinte d'une catégorie de délinquants contre qui on invoquera la peine et elle prescrit de manière très précise les conditions auxquelles un délinquant peut être reconnu coupable de meurtre au premier degré. De plus, la décision de principe du Parlement de qualifier ces meurtres de meurtres au premier degré est conforme aux objectifs plus larges d'un régime de détermination de la peine. Le fait que le meurtre commis au cours d'une séquestration soit élevé au rang de meurtre au premier degré traduit la réprobation par la société des délinquants qui choisissent d'exploiter leur situation de domination et de pouvoir jusqu'au meurtre. » [Mes soulignés]

[431]     Une fois de plus, la Cour suprême a décidé important de se prononcer relativement aux articles 7 et 9 de la Charte canadienne des droits et libertés dans R. c. Lyons [1987] 2 R.C.S. 309 , sous la plume du regretté honorable juge Laforest en énonçant ainsi en premier les questions en litige :

« 21. Avant de se lancer dans une étude approfondie des questions en litige, il peut être utile de souligner que la présente affaire illustre un point assez évident, savoir que les droits et libertés garantis par la Charte ne sont pas séparés et distincts les uns des autres (voir, par exemple, mes observations à ce propos dans l'arrêt R. c. Rahey, [1987] 1 R.C.S. 588 ). Au contraire, la Charte sert à sauvegarder un ensemble complexe de valeurs interreliées, dont chacune constitue un élément plus ou moins fondamental de la société libre et démocratique qu'est le Canada (R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103 , à la p. 136), et la spécification des droits et libertés dans la Charte représente en conséquence une tentative quelque peu artificielle, quoique nécessaire et intrinsèquement valable, de structurer et d'orienter l'expression judiciaire de ces mêmes droits et libertés. La nécessité d'une analyse structurée ne devrait toutefois pas nous amener à perdre de vue l'importance que revêt la manière dont l'élargissement de la portée de chaque droit et liberté énoncé donne sens et forme à notre compréhension du système de valeurs que vise à protéger la Charte dans son ensemble et, en particulier, à notre compréhension de la portée des autres droits et libertés qu'elle garantit.

22. Comme je l'ai déjà mentionné, la présente affaire soulève des questions concernant les art. 7, 9, 11 et 12 de la Charte. De fait, en ce qui concerne l'art. 7, plusieurs questions se posent, dont la plus fondamentale et, en conséquence, celle par laquelle j'entends commencer, est de savoir si la condamnation à une peine de détention préventive pour une période indéterminée contrevient aux principes de justice fondamentale. Quant aux autres questions se rapportant à l'art. 7, elles visent non pas la peine elle-même, mais l'équité de la procédure entraînant la privation de liberté. Je me propose donc d'examiner sous les rubriques suivantes les questions soulevées par l'appelant :[…] »

[432]     Et la Cour définit ainsi «arbitraire » :

« 62. Toutefois, même si l'on donne au mot "arbitraire" son sens le plus large, on se rend vite compte que non seulement l'incarcération est-elle autorisée par la loi, mais que les dispositions pertinentes définissent une catégorie restreinte de délinquants à l'égard desquels ces dispositions peuvent être légitimement invoquées, et qu'elles prescrivent en des termes on ne peut plus précis à quelles conditions un délinquant peut être désigné comme dangereux. Si ces critères sont eux-mêmes frappés d'inconstitutionnalité, c'est parce que, par ailleurs, ils ne protègent pas adéquatement la liberté individuelle et non parce qu'ils sont arbitraires. En réalité, comme l'a souligné le juge Ewaschuk dans la décision Re Moore, précitée, à la p. 314, [TRADUCTION] ". . . les critères législatifs à remplir pour qu'une personne soit déclarée délinquant dangereux [sont] peut-être les plus détaillés et les plus exigeants du Code criminel". De surcroît, mon étude de la question concernant l'art. 12 comporte implicitement la conclusion, commandée par le bon sens, que les critères énoncés à la partie XXI sont loin d'être arbitraires compte tenu des objectifs visés; ils sont nettement conçus pour isoler un petit groupe de criminels extrêmement dangereux qui présentent un danger pour le bien-être physique ou mental de leurs victimes. » [Mes soulignés]

[433]     Contrairement aux situations déjà décidées par la Cour suprême, les nouvelles dispositions législatives excluent toutes les infractions causant des sévices graves à la personne lors d'une conduite de véhicule entre autres et cette exclusion est d'une portée si générale qu'elle n'effectue aucune distinction quant :

§  Au degré de responsabilité du contrevenant;

§  Au degré de prémédication du geste;

§  Au degré peu ou très élevé de la prévisibilité;

§  Au degré du lien de causalité entre la conduite du délinquant et les sévices graves subis par la victime.

[434]     De plus, ces dispositions obligent les tribunaux d'imposer une peine de privation de liberté sans distinguer les circonstances aggravantes et atténuantes :

§  S'agit-il d'un récidiviste?

§  Après l'événement, le contrevenant a-t-il quitté ou pas les lieux?

§  Suite au drame, a-t-on ou pas tenter d'entraver le cours normal de la justice?

§  Le contrevenant est-il un actif ou pas pour la société?

§  L'âge du contrevenant;

§  Le contrevenant vit-il ou pas des remords?

§  L'actus reus s'est-il déroulé sur une longue période ou une courte période?

[435]     Le Tribunal appuie sa réflexion sur les propos de l'honorable juge Lebel de la Cour suprême lorsqu'il s'exprime ainsi dans R. c. Nosagaluak [2010] CSC 6 :

« [40] L’article 718.1 précise les objectifs de la détermination de la peine. Il prescrit que la peine doit être « proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant ». Ainsi, indépendamment du poids que le juge souhaite accorder à l’un des objectifs susmentionnés, la peine doit respecter le principe fondamental de proportionnalité. De plus, l’art. 718.2 comporte une liste non exhaustive de principes secondaires, notamment l’examen des circonstances aggravantes ou atténuantes, les principes de parité et de totalité et la nécessité d’examiner « toutes les sanctions substitutives applicables qui sont justifiées dans les circonstances », plus particulièrement lorsqu’il s’agit de délinquants autochtones.

[41] Il ressort clairement de ces dispositions que le principe de proportionnalité constitue un élément central de la détermination de la peine (R. c. Solowan, 2008 CSC 62 , [2008] 3 R.C.S. 309 , par. 12). L’importance fondamentale accordée à ce principe ne découle pas des modifications apportées au Code en 1996; mais témoigne plutôt du fait qu’il joue depuis longtemps un rôle de principe directeur en matière de détermination de la peine (p. ex. R. c. Wilmott (1966), 58 D.L.R. (2d) 33 (C.A. Ont.)). Ce principe possède une dimension constitutionnelle, puisque l’art. 12 de la Charte interdit l’infliction d’une peine qui est exagérément disproportionnée au point de ne pas être compatible avec le principe de la dignité humaine propre à la société canadienne. Mais qu’entend-on par proportionnalité dans le contexte de la détermination de la peine?

[42] D’une part, ce principe requiert que la sanction n’excède pas ce qui est juste et approprié compte tenu de la culpabilité morale du délinquant et de la gravité de l’infraction. En ce sens, le principe de la proportionnalité joue un rôle restrictif. D’autre part, à l’optique axée sur l’existence de droits et leur protection correspond également une approche relative à la philosophie du châtiment fondée sur le « juste dû ». Cette dernière approche vise à garantir que les délinquants soient tenus responsables de leurs actes et que les peines infligées reflètent et sanctionnent adéquatement le rôle joué dans la perpétration de l’infraction ainsi que le tort qu’ils ont causé (R. c. M. (C.A.), [1996] 1 R.C.S. 500 , par. 81; Renvoi : Motor Vehicle Act de la C.-B., [1985] 2 R.C.S. 486 , p. 533-534, motifs concordants de la juge Wilson). Sous cet angle, la détermination de la peine représente une forme de censure judiciaire et sociale (J. V. Roberts et D. P. Cole, « Introduction to Sentencing and Parole », dans Roberts et Cole, dir., Making Sense of Sentencing (1999), 3, p. 10). Toutefois, sans égard au raisonnement servant d’assise au principe de la proportionnalité, le degré de censure requis pour exprimer la réprobation de la société à l’égard de l’infraction demeure dans tous les cas contrôlé par le principe selon lequel la peine infligée à un délinquant doit correspondre à sa culpabilité morale et non être supérieure à celle-ci. Par conséquent, les deux optiques de la proportionnalité confluent pour donner une peine qui dénonce l’infraction et qui punit le délinquant sans excéder ce qui est nécessaire.

[43] Les articles 718 à 718.2 du Code sont rédigés de manière suffisamment générale pour conférer aux juges chargés de déterminer les peines un large pouvoir discrétionnaire leur permettant de façonner une peine adaptée à la nature de l’infraction et à la situation du délinquant. Sous réserve de certaines règles particulières prescrites par la loi, le prononcé d’une peine « juste » reste un processus individualisé, qui oblige le juge à soupeser les objectifs de détermination de la peine de façon à tenir compte le mieux possible des circonstances de l’affaire (R. c. Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309 ; M. (C.A.); R. c. Hamilton (2004), 72 O.R. (3d) 1 (C.A.)). Aucun objectif de détermination de la peine ne prime les autres. Il appartient au juge qui prononce la sanction de déterminer s’il faut accorder plus de poids à un ou plusieurs objectifs, compte tenu des faits de l’espèce. La peine sera par la suite ajustée — à la hausse ou à la baisse — dans la fourchette des peines appropriées pour des infractions similaires, selon l’importance relative des circonstances atténuantes ou aggravantes, s’il en est. Il découle de ce pouvoir discrétionnaire du juge d’arrêter la combinaison particulière d’objectifs de détermination de la peine et de circonstances aggravantes ou atténuantes devant être pris en compte que chaque affaire est tranchée en fonction des faits qui lui sont propres, sous réserve des lignes directrices et des principes fondamentaux énoncés au Code et dans la jurisprudence.

[44] Le vaste pouvoir discrétionnaire conféré aux juges chargés de la détermination de la peine comporte toutefois des limites. Il est en partie circonscrit par les décisions qui ont établi, dans certaines circonstances, des fourchettes générales de peines applicables à certaines infractions, en vue de favoriser, conformément au principe de parité consacré par le Code, la cohérence des peines infligées aux délinquants. Il faut cependant garder à l’esprit que, bien que les tribunaux doivent en tenir compte, ces fourchettes représentent tout au plus des lignes directrices et non des règles absolues. Un juge peut donc prononcer une sanction qui déroge à la fourchette établie, pour autant qu’elle respecte les principes et objectifs de détermination de la peine. Une telle sanction n’est donc pas nécessairement inappropriée, mais elle doit tenir compte de toutes les circonstances liées à la perpétration de l’infraction et à la situation du délinquant, ainsi que des besoins de la collectivité au sein de laquelle l’infraction a été commise. » [Mes soulignés]

[436]     En restreignant le pouvoir discrétionnaire du tribunal imposant la peine, les nouvelles dispositions peuvent entraîner l'imposition de peine injuste, exagérément disproportionnée, inappropriée et par conséquent, le Tribunal est convaincu qu'en imposant ces peines, il imposerait des peines arbitraires comme dans la présente affaire, et ce, en violation des articles 7 et 9 de la Charte canadienne des droits et libertés.

[437]     Suite à cette réponse, le Tribunal se doit de décider de cette question en litige : cette peine étant exagérément disproportionnée à l'égard du requérant, cette violation de l'article 12 peut-elle être justifiée au regard de l'article premier de la Charte?

[438]     Le Tribunal n'est pas tenu d'examiner la constitutionnalité de la peine au regard d'hypothèses raisonnables, car il y est tenu de le faire parce que le Tribunal a décidé que la peine était exagérément disproportionnée à l'égard du requérant et de d'autres délinquants.

[439]     De plus, lors de cette analyse en vertu de l'article 1, s'ajoutent les conclusions relativement aux articles 7 et 9 de la Charte canadienne des droits et libertés.

[440]     Pour répondre à cette interrogation en vertu de l'article premier de la Charte, le Tribunal se doit de faire abstraction de la peine qu'il estime devoir prononcer dans le dossier à l'étude. 

[441]     Malgré cette conclusion et les explications la justifiant, les dispositions actuelles pourraient être justifiées selon l'article premier car le Tribunal doit se livrer à une analyse comme décidé par la Cour suprême dans R. c. Oakes [56].

[442]     Lors de cette analyse, il appartient à l'intimée - poursuivante d'établir que les articles 742.1 et 752 peuvent se justifier selon l'article premier de la Charte.

[443]     Le Tribunal est en accord avec l'énoncé objectif du procureur du requérant lorsque ce dernier indique que la Cour suprême a décidé à diverses reprises que des dispositions imposant des peines d'emprisonnement minimales obligatoires ne contrevenaient pas aux droits garantis dans la Charte canadienne des droits et libertés. D'ailleurs, comme il le souligne, la Cour suprême n'a pas eu à traiter de l'application de l'article premier dans ces décisions : R. c. Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309 ; R. c. Luxton, [1990] 2 R.C.S. 711 ; R. c. Goltz, [1991] 3 R.C.S. 485 ; R. c. Morrisey, [2000] 2 R.C.S. 90 ; R. c. Ferguson, [2008] 1 R.C.S. 96 .

[444]     Les présentes dispositions contestées portent atteinte au pouvoir discrétionnaire historiquement reconnu aux juges d'instance lorsqu'ils imposent la peine. Il n'est pas superflu de rappeler à nouveau ce qu'écrivait l'honorable juge Lebel de la Cour suprême au sujet de la lourde tâche de ce juge lors de l'imposition de la peine dans R. c. Nasogaluak [57] :

« [43] Les articles 718 à 718.2 du Code sont rédigés de manière suffisamment générale pour conférer aux juges chargés de déterminer les peines un large pouvoir discrétionnaire leur permettant de façonner une peine adaptée à la nature de l’infraction et à la situation du délinquant. Sous réserve de certaines règles particulières prescrites par la loi, le prononcé d’une peine « juste » reste un processus individualisé, qui oblige le juge à soupeser les objectifs de détermination de la peine de façon à tenir compte le mieux possible des circonstances de l’affaire (R. c. Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309 ; M. (C.A.); R. c. Hamilton (2004), 72 O.R. (3d) 1 (C.A.)). Aucun objectif de détermination de la peine ne prime les autres. Il appartient au juge qui prononce la sanction de déterminer s’il faut accorder plus de poids à un ou plusieurs objectifs, compte tenu des faits de l’espèce. La peine sera par la suite ajustée — à la hausse ou à la baisse — dans la fourchette des peines appropriées pour des infractions similaires, selon l’importance relative des circonstances atténuantes ou aggravantes, s’il en est. Il découle de ce pouvoir discrétionnaire du juge d’arrêter la combinaison particulière d’objectifs de détermination de la peine et de circonstances aggravantes ou atténuantes devant être pris en compte que chaque affaire est tranchée en fonction des faits qui lui sont propres, sous réserve des lignes directrices et des principes fondamentaux énoncés au Code et dans la jurisprudence. » [Mes soulignés]

[445]     Le rôle très important du juge d'instance lors de l'imposition d'une peine avait déjà été souligné dans R. c. Proulx [2000] 1 R.C.S. 6 :

« Notre Cour a statué à maintes reprises que la détermination de la peine est un processus individualisé, dans le cadre duquel le juge du procès dispose d'un pouvoir discrétionnaire considérable pour déterminer la peine appropriée. La justification de cette approche individualisée réside dans le principe de proportionnalité, principe fondamental de détermination de la peine suivant lequel la peine doit être proportionnelle à la gravité de l'infraction et au degré de responsabilité du délinquant. Afin que «la peine corresponde au crime »., le principe de proportionnalité commande l'examen de la situation particulière du délinquant et des circonstances particulières de l'infraction. La conséquence de l'application d'une telle démarche individualisée est qu'il existera inévitablement des écarts entre les peines prononcées pour des crimes donnés. Dans M. (C.A.), précité, j'ai dit ceci, au par. 92 :

On a à maintes reprises souligné qu'il n'existe pas de peine uniforme pour un crime donné. La détermination de la peine est un processus intrinsèquement individualisé, et la recherche d'une peine appropriée applicable à tous les délinquants similaires, pour des crimes similaires, sera souvent un exercice stérile et théorique. De même, il faut s'attendre que les peines infligées pour une infraction donnée varient jusqu'à un certain point dans les différentes communautés et régions du pays, car la combinaison « juste et appropriée » des divers objectifs reconnus de la détermination de la peine dépendra de besoins de la communauté où le crime est survenu et des conditions qui y règlent. » [Mes soulignés]

[446]     À l'unanimité dans cette décision R. c. Proulx, la Cour suprême a décidé que l'emprisonnement avec sursis peut constituer dans plusieurs cas une alternative valable et raisonnable à l'emprisonnement ferme et que cette peine répond aux différents objectifs pénologiques établis autant par la Loi que par les décisions des tribunaux. Il y est même précisé que l'emprisonnement avec sursis peut s'avérer une peine plus sévère que l'emprisonnement ferme, car le délinquant est assujetti à des mesures de contrôle serrées et à des obligations sévères.

[447]     Subtilement, le législateur, par ces nouvelles dispositions, élimine le pouvoir discrétionnaire des tribunaux en excluant la possibilité d'ordonner que le contrevenant purge sa peine dans la collectivité tout en lui confiant de déterminer la durée de l'emprisonnement.

[448]     On ampute subtilement le pouvoir discrétionnaire du juge. Le Tribunal a le pouvoir de décider de la durée du terme de détention, mais ne peut qualifier le mode de détention. Cette subtilité apparaît bien étrangère à l'exercice de la discrétion judiciaire du Tribunal au sein d'une société libre et démocratique dans laquelle la règle de droit est appliquée par un tribunal indépendant du pouvoir législatif et exécutif.

[449]     L'article premier de la Charte se lit ainsi :

« 1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique. »

[450]     L'honorable juge Dickson[58], explique ainsi les deux fonctions de cet article :

« 63. Il importe de souligner dès l'abord que l'article premier remplit deux fonctions : premièrement, il enchâsse dans la Constitution les droits et libertés énoncés dans les dispositions qui le suivent; et, deuxièmement, il établit explicitement les seuls critères justificatifs (à part ceux de l'art. 33 de la Loi constitutionnelle de 1982) auxquels doivent satisfaire les restrictions apportées à ces droits et libertés. En conséquence, tout examen fondé sur l'article premier doit partir de l'idée que la restriction attaquée porte atteinte à des droits et libertés garantis par la Constitution -- des droits et des libertés qui font partie de la loi suprême du Canada. Comme le fait remarquer le juge Wilson dans l'arrêt Singh c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, précité, à la p. 218: "... il est important de se rappeler que les tribunaux effectuent cette enquête tout en veillant au respect des droits et libertés énoncés dans les autres articles de la Charte."

64. Un second élément contextuel d'interprétation de l'article premier est fourni par l'expression "société libre et démocratique". L'inclusion de ces mots à titre de norme finale de justification de la restriction des droits et libertés rappelle aux tribunaux l'objet même de l'enchâssement de la Charte dans la Constitution: la société canadienne doit être libre et démocratique. Les tribunaux doivent être guidés par des valeurs et des principes essentiels à une société libre et démocratique, lesquels comprennent, selon moi, le respect de la dignité inhérente de l'être humain, la promotion de la justice et de l'égalité sociales, l'acceptation d'une grande diversité de croyances, le respect de chaque culture et de chaque groupe et la foi dans les institutions sociales et politiques qui favorisent la participation des particuliers et des groupes dans la société. Les valeurs et les principes sous-jacents d'une société libre et démocratique sont à l'origine des droits et libertés garantis par la Charte et constituent la norme fondamentale en fonction de laquelle on doit établir qu'une restriction d'un droit ou d'une liberté constitue, malgré son effet, une limite raisonnable dont la justification peut se démontrer. » [Mes soulignés]

[451]     Suite à cet énoncé général, la Cour précise que ces droits et libertés garantis par la Charte ne sont pas absolus :

« 65. […] Il peut être nécessaire de les restreindre lorsque leur exercice empêcherait d'atteindre des objectifs sociaux fondamentalement importants. C'est pourquoi l'article premier prévoit des critères de justification des limites imposées aux droits et libertés garantis par la Charte. Ces critères établissent une norme sévère en matière de justification, surtout lorsqu'on les rapproche des deux facteurs contextuels examinés précédemment, savoir la violation d'un droit ou d'une liberté garantis par la Constitution et les principes fondamentaux d'une société libre et démocratique.

66. La charge de prouver qu'une restriction apportée à un droit ou à une liberté garantis par la Charte est raisonnable et que sa justification peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique incombe à la partie qui demande le maintien de cette restriction. Il ressort nettement du texte de l'article premier que les restrictions apportées aux droits et libertés énoncés dans la Charte constituent des exceptions à la garantie générale dont ceux-ci font l'objet. On présume que les droits et libertés sont garantis, à moins que la partie qui invoque l'article premier ne puisse satisfaire aux critères exceptionnels qui justifient leur restriction. C'est ce que confirme l'emploi de l'expression "puisse se démontrer" qui indique clairement qu'il appartient à la partie qui cherche à apporter la restriction de démontrer qu'elle est justifiée: Hunter c. Southam Inc., précité. » [Mes soulignés]

[452]     Par la suite, l'honorable juge Dickson énumère les critères dans le but d'examiner si les dispositions législatives satisfont aux critères exceptionnels qui justifient leur restriction :

« 68. Compte tenu du fait que l'article premier est invoqué afin de justifier une violation des droits et libertés constitutionnels que la Charte vise à protéger, un degré très élevé de probabilité sera, pour reprendre l'expression de lord Denning, "proportionné aux circonstances". Lorsqu'une preuve est nécessaire pour établir les éléments constitutifs d'une analyse en vertu de l'article premier, ce qui est généralement le cas, elle doit être forte et persuasive et faire ressortir nettement à la cour les conséquences d'une décision d'imposer ou de ne pas imposer la restriction. Voir: Law Society of Upper Canada c. Skapinker, précité, à la p. 384; Singh c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, précité, à la p. 217. La cour devra aussi connaître les autres moyens dont disposait le législateur, au moment de prendre sa décision, pour réaliser l'objectif en question. Je dois cependant ajouter qu'il peut arriver que certains éléments constitutifs d'une analyse en vertu de l'article premier soient manifestes ou évidents en soi.

69. Pour établir qu'une restriction est raisonnable et que sa justification peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique, il faut satisfaire à deux critères fondamentaux. En premier lieu, l'objectif que visent à servir les mesures qui apportent une restriction à un droit ou à une liberté garantis par la Charte, doit être "suffisamment important pour justifier la suppression d'un droit ou d'une liberté garantis par la Constitution": R. c. Big M Drug Mart Ltd., précité, à la p. 352. La norme doit être sévère afin que les objectifs peu importants ou contraires aux principes qui constituent l'essence même d'une société libre et démocratique ne bénéficient pas de la protection de l'article premier. Il faut à tout le moins qu'un objectif se rapporte à des préoccupations urgentes et réelles dans une société libre et démocratique, pour qu'on puisse le qualifier de suffisamment important.

70. En deuxième lieu, dès qu'il est reconnu qu'un objectif est suffisamment important, la partie qui invoque l'article premier doit alors démontrer que les moyens choisis sont raisonnables et que leur justification peut se démontrer. Cela nécessite l'application d'"une sorte de critère de proportionnalité": R. c. Big M Drug Mart Ltd., précité, à la p. 352. Même si la nature du critère de proportionnalité pourra varier selon les circonstances, les tribunaux devront, dans chaque cas, soupeser les intérêts de la société et ceux de particuliers et de groupes. À mon avis, un critère de proportionnalité comporte trois éléments importants. Premièrement, les mesures adoptées doivent être soigneusement conçues pour atteindre l'objectif en question. Elles ne doivent être ni arbitraires, ni inéquitables, ni fondées sur des considérations irrationnelles. Bref, elles doivent avoir un lien rationnel avec l'objectif en question. Deuxièmement, même à supposer qu'il y ait un tel lien rationnel, le moyen choisi doit être de nature à porter "le moins possible" atteinte au droit ou à la liberté en question: R. c. Big M Drug Mart Ltd., précité, à la p. 352. Troisièmement, il doit y avoir proportionnalité entre les effets des mesures restreignant un droit ou une liberté garantis par la Charte et l'objectif reconnu comme "suffisamment important".

71. Quant au troisième élément, il est évident que toute mesure attaquée en vertu de l'article premier aura pour effet général de porter atteinte à un droit ou à une liberté garantis par la Charte; d'où la nécessité du recours à l'article premier. L'analyse des effets ne doit toutefois pas s'arrêter là. La Charte garantit toute une gamme de droits et de libertés à l'égard desquels un nombre presque infini de situations peuvent se présenter. La gravité des restrictions apportées aux droits et libertés garantis par la Charte variera en fonction de la nature du droit ou de la liberté faisant l'objet d'une atteinte, de l'ampleur de l'atteinte et du degré d'incompatibilité des mesures restrictives avec les principes inhérents à une société libre et démocratique. Même si un objectif est suffisamment important et même si on a satisfait aux deux premiers éléments du critère de proportionnalité, il se peut encore qu'en raison de la gravité de ses effets préjudiciables sur des particuliers ou sur des groupes, la mesure ne soit pas justifiée par les objectifs qu'elle est destinée à servir. Plus les effets préjudiciables d'une mesure sont graves, plus l'objectif doit être important pour que la mesure soit raisonnable et que sa justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique. » [Mes soulignés]

[453]     Avec justesse, le procureur du requérant propose ainsi les questions auxquelles le Tribunal doit répondre :

« Les critères pour déterminer si les dispositions visées par les articles 742.1 et 752 C.cr. satisfont à ce test sévère sont les suivants :

1. L'objectif visé par les articles 742.1 et 752 C.cr. «est-il suffisamment important » pour justifier la suspension de l'emprisonnement avec sursis dans le cas de toutes les infractions causant des sévices graves à la personne?

2. Dans l'affirmative, les « moyens choisis sont-ils rationnels » et leur justification peut-elle se démontrer?

Pour répondre à cette question, on doit adopter un critère de « proportionnalité » qui comporte lui-même trois (3) éléments :

a)  Les mesures adoptées ont-elles un « lien rationnel » avec l'objectif visé?

b)  Dans l'affirmative, ces mesures «portent-elles le moins possible atteinte » aux droits et libertés en jeu?

c)  Malgré l'importance de l'objectif visé, les mesures adoptées « entraient-elles des effets trop graves » sur les droits constitutionnels du contrevenant pour pouvoir se justifier dans le cadre d'une société libre et démocratique? »

L'objectif visé par les dispositions est-il suffisamment important pour justifier la suspension totale de l'emprisonnement avec sursis?

 

[454]     Comme le Tribunal l'a déjà souligné, la conduite dangereuse avec ou sans consommation d'alcool est un crime répandu au sein de la communauté. De plus, très souvent les conducteurs fautifs sont des jeunes au début de la vingtaine.

[455]     Afin de supporter l'État dans sa lutte contre cette criminalité, la Cour suprême a maintenu certaines dispositions législatives même si celles-ci violent des droits constitutionnels reconnus dans la Charte. Il en fut ainsi dans les décisions : R. c. Therens, [1985] 1 R.C.S. 613 ; R. c. Dedman, [1985] 2 R.C.S. 2 ; R. c. Thomson, [1988] 1 R.C.S. 640 ; R. c. Ladouceur, [1990] 1 R.C.S. 1257 .

[456]     La Cour, après avoir employé les expressions « fléau » et «hécatombe », justifiait la constitutionnalité des dispositions législatives afin d'intercepter. Suite à une opération de dépistage, des conducteurs envers qui les agents de l'État possédaient des motifs raisonnables de soupçonner qu'ils conduisaient avec les facultés affaiblies par l'effet de l'alcool ou de la drogue.

[457]     Dans de telles circonstances, les agents de l'État se devaient d'agir très rapidement pour détecter les conducteurs présumés conduire avec une quantité d'alcool dans le sang. C'est pourquoi la Cour même si le conducteur ne pouvait consulter un avocat avant d'obéir aux ordres de l'agent de la paix, décide que cette violation était justifiée.

[458]     De plus, le Tribunal estime fort pertinent d'insister que cette violation est contemporaine au fait que les conducteurs conduisaient alors qu'ils avaient consommé de l'alcool.

[459]     Donc dans de telles circonstances, l'importance de l'objectif visé par le législatif l'emportait sur la violation constitutionnelle, car par ces moyens, les agents de l'État peuvent limiter les conséquences dramatiques de cette conduite.

[460]     Dans la présente affaire, l'objectif recherché par le législatif n'est pas de prévenir ou d'empêcher la commission d'une infraction criminelle grave.  L'objectif consiste à punir et à dissuader plus sévèrement « in abstracto » un conducteur peu importe la gravité subjective se rattachant au crime commis par un délinquant que le tribunal doit punir.

[461]     Ainsi, se doivent d'être distingués les propos de la Cour suprême écrits dans ces décisions citées précédemment afin d'y distinguer l'objectif recherché qui est tout autre.

La rationalité des moyens choisis et la démonstration de leur justification

 

[462]     Ce second point déjà souligné se compose de trois volets :

- L'existence d'un lien rationnel entre les mesures adoptées et l'objectif visé.

[463]     Afin de répondre à l'analyse de cet énoncé en adoptant le critère de proportionnalité, le Tribunal doit prendre en considération trois éléments :

a) Les mesures adoptées ont-elles un « lien rationnel » avec l'objectif visé?

b) Dans l'affirmative, ces mesures « portent-elles le moins possible atteinte » aux droits et libertés en jeu?

c) Malgré l'importance de l'objectif visé, les mesures adoptées «entraînent-elles des effets trop graves » sur les droits constitutionnels du contrevenant pour pouvoir se justifier dans le cadre d'une société libre et démocratique?

LES MESURES ADOPTÉES ONT-ELLES UN « LIEN RATIONNEL » AVEC L'OBJECTIF VISÉ?

 

[464]     Ces nouvelles dispositions qui imposent l'emprisonnement obligatoire pour tout délinquant ayant causé des sévices graves lors de circonstances fort différentes peut-il avoir un lien rationnel avec cet objectif du législateur désirant réduire le nombre de décès ou de blessés graves suite à une conduite criminelle sur les routes?

[465]     Comme le Tribunal l'a déjà précisé,  les circonstances visées par les nouvelles infractions ne sont nullement de nature préventive, car le triste événement est survenu et le Tribunal doit punir le délinquant en tenant compte du déplorable résultat.

[466]     Par contre, de plus en plus d'études sérieuses prouvent que l'imposition d'un emprisonnement ferme ne diminue pas le risque de récidive autant sur le plan personnel que sur l'ensemble de la collectivité.  De nombreuses études aux États-Unis constatent que la justice américaine[59] préfère s'orienter vers des solutions autres à l'égard des délinquants sans antécédents judiciaires et dont le risque de récidive est faible.

[467]     Ces études ont prouvé que le taux de récidive chez les délinquants condamnés à une peine de détention ferme est supérieur à celui observé chez les délinquants soumis plutôt à des peines purgées au sein de la collectivité[60].

[468]     Des enquêtes similaires menées au Canada quant aux taux de récidivistes ont conclu à des résultats semblables[61].

[469]     Aux paragraphes 7 et 8 de cette étude canadienne, les trois auteurs du rapport écrivent :

« Depuis le milieu des années 1970, on fait valoir le rôle des sanctions ou des peines comme moyen efficace de supprimer des comportements criminels  (Wilks et Martinson, 1976) Les deux peines le plus souvent privilégiées par les apôtres de la dissuasion ont été l'incarcération et les sanctions intermédiaires (surveillance intensive, surveillance électronique, etc.) Ce qui est intéressant, c'est qu'on a mis de l'avant aucune justification empirique cohérente du recours à de telles stratégies. Dans notre récession des études consacrées à la question (Gendreau, 1996), nous avons rarement relevé de mention d'études expérimentales ou cliniques s'y rapportant (p. ex., Matson et Dilorenzo, 1984). Ce qui passe pour de la rigueur intellectuelle dans le domaine des sanctions est plutôt un véhément appel au bon sens ou l'idée vaguement exprimée que, d'une manière quelconque, la seule « expérience » d'une sanction, c'est-à-dire l'imposition de ce qu'on qualifie de coûts directs et indirects ou le fait de « faire monter la pression » aura pour effet magique de réformer des traits comportementaux antisociaux qui ont été cultivés la vie durant, et ce, en relativement peu de temps. (cf. Andaneas, 1968l; Erwin, 1986, 1998; Song et Lieb, 1993).

Quelles sont alors les preuves que les peines d'emprisonnement et les sanctions intermédiaires sont de bons moyens de punir les comportements criminels? On peut penser que les études qui se sont faites dans ce domaine auraient invariablement pu faire état d'un rapport inverse entre la gravité des sanctions et le taux de récidive (c'est-à-dire d'un effet suppresseur des peines). Une suite de synthèses quantitatives ont récemment récapitulé les résultats de telles études (cf. Cullen et Gendreau, 2000). Les résultats de ces  méta-analyses (Gendreau et coll., 1999; Gendreau, Goggin, Cullen et Andrews, 2001) n'accréditent pas nettement une hypothèse de punition. Que les études en question comparent a) ces incarcérations dans leur durée, b) les incarcérations aux sanctions communautaires ou c) les sanctions intermédiaires dans leur gravité, leurs résultats associent un accroissement des peines à une augmentation légère (=0,02 à 0,03) ou nulle de la récidive. Ils ne montrent pas l'existence d'une durée optimale des peines qui serait de nature à réduire la récidive, comme l'on affirmé certains économistes (Orsagh et Chen, 1998), ni n'indiquent que les prisons sont des écoles du vrime (voir un exemple détaillé dans Gendreau et coll., 1999). Le seul effet de modération du crime que l'on peut trouver dans tout l'ensemble de données exploité par Gendreau est celui des sanctions intermédiaires : les programmes de surveillance intensive (PSI) qui s'accompagnaient de traitement venaient un peu réduire la récidive (dans une proportion approximative de 10%; Gendreau, Goggin et Fulton, 2000)

[470]     L'opinion des rédacteurs de l'étude suggère donc que l'emprisonnement au sein de la collectivité constituerait une mesure de protection plus efficace que la détention ferme.

[471]     Le Tribunal rappelle que l'article 742.3 C.cr. et suivants obligent le délinquant à se soumettre à de nombreuses conditions de surveillance qui dans certains cas peuvent être très sévères.

[472]     Au surplus, les résultats de l'étude accréditent que l'incarcération ferme des contrevenants n'a pas l'effet recherché relativement au principe de la dissuasion générale ou personnelle :

« À notre avis, les degrés d'effet indiqués par les études mieux conçues étaient informatifs dans le cas des catégories d'incarcération, puisque les groupes expérimentaux et les groupes témoins étaient comparables pour au moins 5 importants facteurs de risque (antécédents criminels, par exemple) et que nombre de comparaisons reposaient sur des mesures de risque validées. Les résultats de ces études n'accréditent pas la thèse de la dissuasion. Signalons en passant que deux valeurs d'effet viennent de plans de recherche aléatoires; il s'agit d'augmentation de 5 % et 9 % de la récidive pour le groupe de l'incarcération (les études consacrées aux sanctions intermédiaires étaient généralement d'une meilleur quantité). »

                                                                                                                           (p. 30)

[473]     Cette thèse confirme également les observations effectuées par des groupes de soutien aux délinquants et qui concluent que la mesure de détention ferme peut nuire à la réhabilitation de ce dernier et à la protection du public à moyen ou long terme. À la lecture de cet extrait, le Tribunal note que cette association partage la préoccupation du pouvoir législatif concernant l'importance d'assurer la sécurité des Canadiens :

« L'Association des services de réhabilitation sociale du Québec (ASRSQ) est très préoccupée de l'impact que peut avoir le projet de loi C-9 sur la sécurité de nos communautés ainsi que sur la réhabilitation sociale des délinquants. D'ailleurs, nous nous inquiétons que le projet de loi semble faire fi de certains principes fondamentaux de la détermination de la peine au Canada (utilisation de l'incarcération en dernier recours, proportionnalité entre la sanction et la gravité de l'infraction et le degré de responsabilisation, individualisation de la peine..).

Nous considérons que l'emprisonnement avec sursis est une mesure sévère, sécuritaire, cohérente et préventive. En plus d'un aspect punitif, l'emprisonnement avec sursis favorise la réinsertion sociale des contrevenants, et ce, sans compromettre la sécurité de nos communautés. Cette mesure, qui reçoit l'appui du public, permet une période de surveillance plus longue des contrevenants incarcérés pour les délits similaires.

En ce sens, nous questionnons la pertinence de l'amendement proposé par le gouvernement, puisque le sursis d'emprisonnement ne semble pas être à l'origine d'une problématique spécifique. Malgré sa mise en application récente, il semble même que cette mesure fonctionne rondement et obtient les résultats escomptés. Pourquoi vouloir en restreindre l'accès? Si nous partageons la préoccupation du gouvernement quant à l'importance d'assurer la sécurité des Canadiens, nous considérons que le fait d'abolir l'accessibilité à l'emprisonnement avec sursis pour plus de 160 infractions ne permettra pas d'assurer une meilleure sécurité de nos communautés. À l'inverse, à moyen et long terme, cela peu même la compromettre. » [62] [Mes soulignés]

[474]     De plus, le Barreau du Québec, lors de son intervention a soutenu que les nouvelles dispositions étaient non seulement incompatibles avec le pouvoir discrétionnaire des tribunaux, mais aussi que les dispositions proposées ne permettraient pas d'atteindre efficacement l'objectif visé par le législateur canadien :

« Il est intéressant de noter les résultats d'une étude publiée en février 2005 par le Conseil Canadien de la sécurité portant sur le lien existant entre la détermination de la peine et la sécurité dans les cas de conduite avec facultés affaiblies ayant causé la mort ou des lésions corporelles. Après avoir constaté que depuis l'an 2000 les peines d'emprisonnement avec sursis étaient de plus longue durée et comportaient des conditions plus sévères, les auteurs du rapport concluent qu'aucune preuve empirique ou scientifique n'appuie la thèse voulant que l'élimination des peines d'emprisonnement avec sursis pour les cas de conduite avec facultés affaiblies graves s'avéreraient efficaces. Également, ils suggèrent au législateur d'évaluer la perception subjective voulant que l'emprisonnement avec sursis ne soit pas suffisamment sévère eu égard à la gravité de l'infraction par rapport aux preuves tangibles.

Une autre étude réalisée en 2004 auprès des juges des Cours d'appel du Québec, du Manitoba et de l'Ontario, portant également sur l'utilisation de la peine d'emprisonnement avec sursis révèle que, de l'avis général, toute réforme de ces dispositions devrait avoir principalement pour but d'améliorer l'administration et la surveillance plutôt que d'ajouter des exclusions. Nous partageons ce point de vue et croyons qu'à la lumière des informations dont nous disposons et dont fait état le résumé du législateur accompagnant le projet de loi, la modification proposée ne répond à aucune véritable préoccupation du système de justice criminel. » [63] [Mes soullignés]

[475]     Le 15 juillet 2009, le Barreau du Québec renouvelle sa position dans une lettre au Ministre de la Justice :

« Comme le Barreau le soulignait en 2006 à l'étape de la détermination de la peine, les tribunaux s'attardent non seulement à la gravité de l'infraction mais également à d'autres facteurs pertinents, dont les caractéristiques personnelles du délinquant, notamment lorsqu'ils examinent les capacités de réinsertion sociale et de réparation. Les modalités proposées ont pour effet de miner l'indépendance des tribunaux en limitant l'exercice de la discrétion judiciaire, qui peut être revue et corrigée, le cas échéant, par les tribunaux d'appel.

[…]

Le Barreau soutient encore que l'emprisonnement avec sursis constitue une mesure utile dans la promotion de la justice réparatrice. Les mesures législatives ayant pour effet d'en restreindre l'application de manière arbitraire ne peuvent recevoir notre accord.

La Cour suprême du Canada a indiqué que l'emprisonnement avec sursis vise à la fois des objectifs punitifs et des objectifs de réinsertion sociale.

Le Barreau soumet que le régime d'imposition des peines d'emprisonnement avec sursis exige un cadre d'application qui permet l'exercice de la discrétion judiciaire. Les modifications envisagées visent à empêcher l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire qui sert bien l'intérêt public. » [64] [Mes soulignés]

[476]     Le Tribunal se doit de décider selon le fardeau de la preuve et la preuve documentaire convaincante produite par le procureur du requérant. On se doit de noter que le Procureur général du Québec n'a produit aucune preuve documentaire relativement à l'analyse prévue à l'article 1 de la Charte.

[477]     Il est évident que le législateur ne fut pas impressionné par cette documentation puisqu'il adopta quand même les dispositions législatives.

[478]     Ce n'est pas parce que le pouvoir législatif a fait un tel choix en se basant sur diverses autres considérations que le Tribunal se doit de conclure à la constitutionnalité de ces dispositions.

[479]     Malgré qu'un document en particulier reproche à l'action parlementaire de miner l'indépendance des tribunaux limitant l'exercice de la discrétion judiciaire, un tribunal pourrait déclarer quand même que selon l'article 1, les dispositions nouvelles sont constitutionnelles.

[480]     D'ailleurs, la Cour suprême a précisé dans le passé que le pouvoir législatif peut limiter cette discrétion. La question est toute autre comme déjà indiqué auparavant dans le présent dossier. Malgré l'objectif louable visé par le législateur, après analyse de la preuve soumise, le Tribunal conclut que ces dispositions législatives ne constituent pas une mesure adéquate et nécessaire pour atteindre cet objectif visé par le législateur afin de diminuer les jeunes ou autres conducteurs de conduire dangereusement un véhicule à moteur sur les routes.

[481]     Ce lien rationnel entre les mesures adoptées et l'objectif visé est nettement insuffisant et les articles 742.1 et 752 C.cr. lus conjointement violent les articles 7, 9 et 12 de la Charte ne peuvent être justifiés par l'article premier de la Charte canadienne des droits et libertés.

LES ARTICLES 742.1 ET 752 C.CR. PORTENT-ILS LE MOINS POSSIBLE ATTEINTE AUX DROITS DU REQUÉRANT-ACCUSÉ?

 

[482]     Comme le précise le requérant, avant le 30 novembre 2007, le Tribunal pouvait suite à l'exercice de son pouvoir discrétionnaire imposer de l'emprisonnement ferme ou au sein de la communauté.

[483]     D'ailleurs, comme le démontre la jurisprudence, à nombreuses reprises les tribunaux ont imposé des peines sévères et même parfois très sévères à des délinquants récidivistes ou même sans antécédents judiciaires considérant l'existence de circonstances très aggravantes.

[484]     À cause de certaines circonstances particulières, des facteurs atténuants et du principe de l'individualisation de la peine, les tribunaux ont aussi prononcé des peines à être purgées au sein de la communauté.

[485]     En interdisant aux tribunaux d'imposer une peine de détention au sein de la communauté, il serait illusoire de croire qu'il n’y aura plus aucune conduite dangereuse susceptible de causer des sévices graves et la mort sur nos routes ou que des certains citoyens deviendront à cause de ces peines moins agressifs ou moins violents.

[486]     De plus, selon la documentation déposée devant le Tribunal, il n'est pas garanti que les peines fermes de détention ont un impact autant sur le public en général que sur le taux de récidives.

[487]     Les nouvelles mesures ont comme conséquence directe qu'un tribunal devra imposer une peine de détention dans un centre de détention sans égard aux circonstances de la commission de l'infraction ni à la situation du contrevenant ni envers des nombreux facteurs atténuants que les tribunaux peuvent retrouver dans plusieurs dossiers.

[488]     En conséquence, le délinquant purgera une peine cruelle et inusitée, c'est-à-dire exagérément disproportionnée, et le Tribunal ne peut conclure que les dispositions portent le moins possible atteinte aux droits, à la liberté, à la sécurité et d'être à l'abri de l'imposition d'une peine telle que visée à l'article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés.

MALGRÉ L'IMPORTANCE DE L'OBJECTIF VISÉ, LES MESURES ADOPTÉES ENTRAÎNENT-ELLES DES EFFETS TROP GRAVES SUR LE DROIT GARANTI PAR LA CHARTE?

 

[489]     À juste titre, le requérant admet que le législateur peut et même doit adopter des mesures de châtiment, de dissuasion et de protection du public envers les conducteurs qui par leur conduite dangereuse d'un véhicule à moteur causent des sévices graves ou la mort afin de prévenir la commission de ce délit et de punir les délinquants.

[490]     Comme le Tribunal l'a déjà décidé, l'emprisonnement dans un centre de détention résulterait en des violations de droits garantis par la Charte. Ces violations sont excessives et ne peuvent se justifier dans le cadre d'une société libre et démocratique.

[491]     Il est excessif et démesuré qu'un délinquant soit soumis à une incarcération obligatoire dans un centre de détention sans qu'un tribunal puisse soupeser ou analyser les circonstances de l'infraction, la situation actuelle du délinquant et les différents facteurs atténuants.

[492]     L'objectif visé par le législateur avant le 30 novembre 2007 pouvait et était atteint par les décisions judiciaires afin de dénoncer ce crime et de protéger le public.

[493]     Les tribunaux prononçaient des peines d'emprisonnement ferme envers les délinquants suite à une application individualisée de l'article 718 C.c.r. lorsque les circonstances le justifiaient. L'individualisation d'une peine amène un tribunal aussi à prononcer des peines très sévères et non seulement des peines moins sévères ou parfois clémentes.

[494]     Par contre, à l'égard de certains délinquants, le Tribunal, après avoir analysé les différents facteurs aggravants et atténuants et individualisé la peine tout en appliquant l'article 718 C.cr., pouvait  et devait même prononcer une peine à être purgée dans la communauté.

[495]     Malgré l'importance de l'objectif visé par le législateur lors de l'adoption des nouvelles dispositions, la violation des droits constitutionnels garantis par la Charte canadienne des droits et libertés est excessive et ne peut se justifier dans le cadre d'une société libre et démocratique.

[496]     Dans R. c. Proulx, [2000] 1 R.C.S. 6, la Cour suprême a précisé des balises à respecter par les juges d'instances.  De plus, par les extraits cités de cette décision auparavant, la Cour suprême a sans ambiguïté décidé que la peine à être purgée au sein de la collectivité non seulement pouvait, mais était une alternative valable et acceptable à la détention ferme.

[497]     Devant un tel enseignement, il est faux ou exagéré de dire que par cette alternative les tribunaux banalisent le droit inviolable à la vie et à la violence et que seule une mesure imposant un emprisonnement dans un centre de détention saura répondre au besoin de dénonciation générale, personnelle et à la protection et sécurité du public sur nos routes ou ailleurs.

[498]     En terminant, il suffit de rappeler que la Cour d'appel et même la Cour suprême du Canada ont le pouvoir de réviser une peine qui ne saurait répondre aux objectifs pénologiques et qui ne tiendrait pas suffisamment compte de la proportionnalité de la gravité de l'infraction et du degré de responsabilité du délinquant.

 

 

[499]     POUR TOUS CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[500]     DÉCLARE que les articles 742.1 et 752 C.cr., lus conjointement, violent les articles 7 et 9 de la Charte canadienne des droits et libertés en empiétant excessivement et déraisonnablement sur le pouvoir discrétionnaire des tribunaux.

[501]     DÉCLARE que la conjugaison des articles 742.1 et 752 C.cr. viole l'article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés et sont déclarés inconstitutionnels dans une telle situation et en conséquence deviennent inopérants.

[502]     DÉCLARE que la conjugaison des articles 742.1 et 752 C.cr. viole les articles 7, 9 et 12 de la Charte canadienne des droits et libertés en empiétant excessivement et déraisonnablement sur le pouvoir discrétionnaire des tribunaux et obligeant ces derniers à prononcer une peine exagérément disproportionnée et par conséquent, sont déclarés inconstitutionnels dans une telle situation et deviennent en conséquence inopérants.

[503]     POUR LES MOTIFS déjà expliqués à la présente décision, le Tribunal CONDAMNE Kevin Perry à purger une peine de 10 mois de détention sur le 1er chef et de deux ans moins un jour de détention sur le 2e chef, à être purgée au sein de la collectivité aux conditions suivantes :

- Ne pas troubler l'ordre public et avoir bonne conduite, répondre aux convocations du tribunal, prévenir le tribunal ou l'agent de surveillance de ses changements d'adresse ou de nom et de les aviser rapidement de ses changements d'emploi ou d'occupation;

- Rester dans le ressort du tribunal, sauf permission écrite d'en sortir donnée par le tribunal ou par l'agent de surveillance.

- Se présenter  à l'agent de surveillance aujourd'hui et par la suite, selon les modalités de temps et de forme fixés par l'agent de surveillance;

- Suivre les conseils et directives de l'agent de surveillance;

- Effectuer 240 heures de service communautaire, dans un délai de 9 mois et respecter les modalités d'exécution indiquées par l'agent de surveillance ; dont certaines heures devront être réservées à des témoignages dans des institutions scolaires (5e secondaire et CEGEP) sur le danger de la vitesse en utilisant une moto et devra auparavant soumettre sa présentation pour obtenir l'accord de l'agent de surveillance pour le contenu de la présentation;

- Si les heures de service communautaire ne sont pas complétées durant l'ordonnance de sursis, elles devront alors l'être durant l'ordonnance de probation;

- Être présent à votre domicile en tout temps pour 12 mois sauf pour les fins d'emploi légitime et rémunéré; pour fins de scolarité; sauf pour fins médicales; sauf pour fins religieux mais avisé auparavant l'agent de surveillance du lieu et de l'heure de l'office religieux; sauf pour faire son épicerie, ses emplettes le samedi de 10 heures à 14 heures; sauf pour effectuer vos travaux communautaires; sauf pour les rencontres avec votre agent de surveillance; sauf les 24, 25, 31 décembre 2011 et 1er et 2 janvier 2012 si vous êtes en compagnie de votre mère ou amie de cœur actuelle;

- Être présent à votre domicile entre 23 heures et 6 heures pour une période de 8 mois sauf pour les fins d'un emploi légitime et rémunéré; sauf pour fins médicales;

- S'abstenir formellement de se trouver dans des bars, discothèques ou autres endroits licenciés, y compris les restaurants avec permis d'alcool, sauf pour y consommer un repas pour la période de 20 mois;

- Verser un don de 600 $ dans un délai de six mois au profit de La Parenthèse, via le greffe;

- Verser un don de 600 $ dans un délai de 12 mois au profit de la Maison des jeunes de Saint-Jérôme, via le greffe;

- Verser un don de 600 $ dans un délai de 18 mois au profit de la Maison Pallia-Vie, via le greffe;

- Si cette somme totale de 1 800 $ n'est pas versée durant l'ordonnance de sursis, elle devra alors l'être dans les six premiers mois de l'entrée en vigueur de l'ordonnance de probation;

- Se présenter dans un délai de sept jours au poste de la sûreté municipale de Terrebonne pour se soumettre à la prise d'ADN;

- Interdiction de conduire tout véhicule à moteur au Canada sur une voie publique selon l'article 259 (3.3) b) C.cr.;

[504]     À la fin de la durée de l'ordonnance de sursis, l'accusé sera soumis à une ordonnance de probation pour la durée d'une année, sans suivi aux conditions suivantes :

- Ne pas troubler l'ordre public et avoir bonne conduite, répondre aux convocations du tribunal, prévenir le tribunal ou l'agent de probation de ses changements d'adresse ou de nom et de les aviser rapidement de ses changements d'emploi ou d'occupation;

[505]     ORDONNE un prélèvement de substance corporelle conformément à l'article 487.04 C.cr.;

[506]     INTERDIT à l'accusé de conduire tout véhicule à moteur pour la période d'une année selon l'article 259 (3.3) b) C.cr. et cette ordonnance prendra effet à la fin de l'ordonnance de sursis;

[507]     INTERDIT à l'accusé de posséder toute arme visée par l'article 109 (1) C.cr. pour une période de 10 ans;

[508]     Un délai de 4 mois vous est accordé pour le paiement de la suramende.

 

 

 

__________________________________

VALMONT BEAULIEU, J.C.Q.

 

Me Virginie Leblond

Procureure de la poursuite

 

Me Louis Gélinas

Procureur de l’accusé

 

Me Jean-François Paré

Représentant du Procureur général du Québec

 



[1] 2008 QCCA 578

[2] 2007 QCCQ 21997

[3] 2010 QCCA 1278

[4] 2010 QCCA 152

[5] 652-01-007019-074, juge Richard Côté, 14 septembre 2009

[6] 2002 QCCA 40808

[7] 2008 QCCA 781

[8] 2009 QCCQ 12470

[9] AZ-50230449

[10] 2010 QCCQ 885

[11] Cour d'appel du Québec, 500-10-001114-972, 26 janvier 1998

[12] AZ-50078783

[13] 540-01-013072-007, Cour du Québec, 4 décembre 2001, juge Michel Duceppe

[14] AZ-50111403

[15] AZ-50312169

[16] AZ-50145045

[17] AZ-50206480

[18] AZ-50310129

[19] 2006 QCCQ 12494

[20] 2007 QCCQ 922

[21] 2007 QCCQ 6508

[22] 2007 QCCQ 6698

[23] 1988 CanLII 12604 (QC C.A.)

[24] 2008 QCCQ 189

[25] 2008 QCCS 6679

[26] 2008 QCCS 3226

[27] 2009 QCCQ 648

[28] 2009 QCCQ 1979

[29] 2009 QCCS 4747

[30] 2010 QCCQ 4873

[31] 2009 QCCA 1168

[32] [1997] J.Q. no 2360 (C.A.)

[33] Lemire & Gosselin, 5 CR 181, C.A.Q. [1948]

[34] [1996] 1 R.C.S. 500

[35] [2000] 1 R.C.S. 61

[36] [1996] 1 R.C.S. 500

[37] Laplante c. La Reine, [1987] R.L. 264

[38] Voir note 36

[39] Id., p. 566

[40] AZ-93011900

[41] 2009 QCCA 1175

[42] 2005 SKCA 12 (CanLII)

[43] 2009 ONCA 31 (CanLII)

[44] 2010 NBBR 51 (CanLII)

[45] 2009 ABQB 535 (CanLII)

[46] 2009 QCCQ 7577

[47] 2009 QCCQ 7582

[48] 2010 QCCQ 11634

[49] [1999] 1 R.C.S. 688

[50] [1995] 2 R.C.S. 97

[51] [2008] 2 R.C.S. 163

[52] 2007 QCCA 1447

[53] Société Radio-Canada c. Canada, 2011 CSC 2

[54] [1998] 2 R.C.S. 217

[55] 2010 CSC 6

[56] [1986] 1R.C.S. 103

[57] 2010 CSC 6

[58] R. c. Oakes, [1986] 1R.C.S. 103

[59] Pew Center on the States, Public Safety Performance Project

[60] Pew Center on the States, One in 100 : Behind Bars in America 2008

[61] Center for Criminal Justice Studies, Université du Nouveau-Brunswick. Plusieurs de ces recherches sont publiées sur le site internet du groupe de recherche

[62] Comité de la justice et des droits de la personne, Commentaires de l'Association des services de réhabilitation sociale du Québec sur le projet de loi C-9 modifiant le Code criminel (emprisonnement avec sursis, 26 septembre 2006)

[63] Lettre du Barreau du Québec au Ministre fédéral de la justice, 9 juin 2006, à la page 2

[64] Lettre du Barreau du Québec au Ministre fédéral de la justice, 15 juillet 2009, à la page 2

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.