Décision

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Beaulieu c. Construction Vesta inc.

2012 QCCQ 7746

COUR DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

QUÉBEC

LOCALITÉ DE

QUÉBEC

« Chambre civile »

No :

200-22-062256-128

 

DATE :

9 octobre 2012

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE PIERRE A. GAGNON, J.C.Q.

______________________________________________________________________

 

 

MARTIN BEAULIEU

et

SANDRA BEAULIEU

 

Demandeurs

c.

 

CONSTRUCTION VESTA INC.

et

(…)

et

MAÇONNERIE STÉPHANE LAPOINTE INC.

et

(…)

 

Défendeurs

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT SUR LA DEMANDE D'ORDONNANCE DE SAUVEGARDE

(Article 46 C.p.c.)

______________________________________________________________________

 

[1]           M. Martin Beaulieu et Mme Sandra Beaulieu («les Beaulieu») demandent l'émission d'une ordonnance de sauvegarde contre Construction Vesta inc. («Vesta») et Maçonnerie Stéphane Lapointe inc. («Maçonnerie») pour que ces derniers déposent judiciairement la somme de 50 339,25 $ à titre de garantie de bonne exécution des travaux requis pour corriger les travaux déficients de Vesta et Maçonnerie.

[2]           Les Beaulieu requièrent également qu'ils puissent prélever, à même le montant déposé judiciairement, les sommes équivalentes aux montants qu'ils débourseront pour corriger les déficiences dont Vesta et Maçonnerie sont responsables.

[3]           Les Beaulieu invoquent que Vesta les a empêchés d'exercer leur droit de rétention prévu à l'article 2111 C.c.Q. Puisque la valeur des travaux nécessaires pour corriger les déficiences est de 43 000$ plus taxes et que l'expert unique conclut à une responsabilité partagée entre eux et les entrepreneurs, ils demandent de rétablir l'équilibre entre les parties.

Le contexte:

[4]           Le 18 juillet 2011, les Beaulieu et Vesta concluent un contrat d'entreprise visant la rénovation extérieure de leur résidence et comprenant des travaux de maçonnerie. Le prix du contrat totalise 43 210,14 $ payable en trois versements égaux de 12 963,04 $ et un versement final de 4 321,01 $ au parachèvement des travaux. L'échéancier prévoit que les travaux débutent le jour même pour se terminer le 15 août 2011.

[5]           Maçonnerie agit comme sous-entrepreneur en maçonnerie.

[6]           Le 28 août 2011, les Beaulieu constatent des infiltrations d'eau sur toute la longueur du mur est de l'immeuble. Le représentant de Vesta les rassure en affirmant que la situation est normale et que l'eau entre vraisemblablement aux endroits où les joints du pare-intempérie n'ont pas encore été scellés.

[7]           Le 8 septembre 2011, les Beaulieu payent le troisième versement de 12 963,04 $. Ils payent cette somme parce que le représentant de Vesta les rassure sur le caractère temporaire des infiltrations d'eau et sur le fait que Vesta peut y remédier rapidement.

[8]           Vesta ne finalise pas les travaux. Les Beaulieu allèguent que le 31 octobre 2011, le représentant de Vesta menace de fermer son entreprise ou de faire faillite advenant le cas où les Beaulieu intentent un recours en justice contre Vesta pour faire respecter leurs droits. Vesta quitte le chantier en novembre 2011.

[9]           Le 30 novembre 2011, les Beaulieu constatent à nouveau des infiltrations d'eau.

[10]        Le 2 mars 2012, les Beaulieu déposent leur requête introductive d'instance. Ils affirment que les infiltrations d'eau découlent de la mauvaise exécution des travaux de Vesta et de Maçonnerie. Les estimations obtenues pour corriger les déficiences et finaliser les travaux se chiffrent à 43 000 $ plus taxes, soit 49 939,25 $. Ils doivent également renouveler le permis de construction au coût de 400$.

[11]        La requête introductive d'instance demande une ordonnance de sauvegarde destinée à nommer un expert unique et à déposer judiciairement la somme de 50 339,25 $.

[12]        Le 5 avril 2012, les Beaulieu présentent leur requête. Ils suspendent sans jour fixe le volet de leur demande de sauvegarde destinée à obtenir un dépôt judiciaire et remettent de consentement le volet relatif à la nomination d'un expert unique.

[13]        Le 2 mai 2012, les Beaulieu présentent leur demande d'ordonnance de sauvegarde pour la nomination de l'expert unique, laquelle est accueillie de consentement le 9 mai 2012.

[14]        Le 20 juin 2012, l'expert unique, Yves Gilbert, ingénieur, soumet son rapport.  Quant aux travaux de maçonnerie, il conclut:

À la maçonnerie, les correctifs requièrent la réfection complète du solin d'assise. Les autres troubles à la maçonnerie seront corrigés par la même opération. Ce travail découle à la fois de malfaçons du maçon qu'à l'installation du solin par le propriétaire. Donc, je propose un partage de responsabilités à 50% par le propriétaire et 50% par l'entrepreneur.

Questions en litige:

[15]        Les Beaulieu ont-ils droit à une ordonnance de sauvegarde pour que Vesta et Maçonnerie déposent judiciairement la somme de 50 339,25 $ à titre de garantie de bonne exécution des travaux?

[16]        Le Tribunal peut-il autoriser les Beaulieu à prélever, à même cette somme déposée judiciairement, les sommes équivalentes au montant qu'ils devront débourser pour corriger les vices et malfaçons qu'a identifiés l'expert unique et dont Vesta et Maçonnerie sont responsables?

 

Prétentions des parties:

[17]        Les Beaulieu invoquent la garantie de l'entrepreneur et du sous-entrepreneur contre la perte de l'ouvrage qui survient dans les cinq ans qui suivent la fin des travaux[1].

[18]        Ils invoquent également le fait qu'ils n'ont pas pu se prévaloir de la retenue sur le prix qu'ils pouvaient exercer jusqu'à ce que les réparations et les corrections soient faites à l'immeuble[2].

[19]        Ils expliquent que l'ordonnance de sauvegarde est nécessaire afin d'apporter les correctifs à l'immeuble avant l'hiver 2012-2013 de façon à:

·                    éviter que l'immeuble continue à subir des infiltrations d'eau qui affectent la structure du bâtiment;

·                    accomplir les travaux avant l'hiver à moindre coût;

·                    permettre aux Beaulieu d'aménager leur sous-sol, de façon à ce qu'ils puissent en retirer un revenu de location.

[20]        Même si le Tribunal n'ordonne que le dépôt judiciaire sans possibilité de retrait, les Beaulieu prévoient obtenir un financement fondé sur le montant du dépôt afin de corriger les déficiences dans les plus brefs délais de façon à éviter la détérioration de l'immeuble.

[21]        Vesta plaide essentiellement que les critères de l'ordonnance de sauvegarde ne sont pas rencontrés.

[22]        D'abord, l'ordonnance recherchée vise le paiement de dommages qui sont compensables en argent. Il n'y a donc pas préjudice irréparable.

[23]        Les Beaulieu demandent une ordonnance de sauvegarde depuis le 2 mars 2012. Pourtant le 5 avril 2012, ils remettent à plus tard leur demande pour le dépôt judiciaire. Il n'y a donc pas urgence.

[24]        Quant à l'apparence de droit, les Beaulieu ont participé à plusieurs des aspects des travaux. Ils en sont donc responsables. Leur droit est donc loin d'être clair.

 

Analyse et motifs:

[25]        L'article 46 C.p.c. prévoit l'ordonnance de sauvegarde

46. Les tribunaux et les juges ont tous les pouvoirs nécessaires à l'exercice de leur compétence.

Ils peuvent, en tout temps et en toutes matières, tant en première instance qu'en appel, prononcer des ordonnances de sauvegarde des droits des parties, pour le temps et aux conditions qu'ils déterminent. De plus, ils peuvent, dans les affaires dont ils sont saisis, prononcer, même d'office, des injonctions ou des réprimandes, supprimer des écrits ou les déclarer calomnieux, et rendre toutes ordonnances appropriées pour pourvoir aux cas où la loi n'a pas prévu de remède spécifique.

[26]        Historiquement, l'ordonnance de sauvegarde est un accessoire de l'injonction, domaine réservé à la Cour supérieure[3]. Prononcée lors de la présentation de demande d'injonction interlocutoire[4], la Cour supérieure y applique les critères de l'injonction interlocutoire provisoire, soit l'apparence de droit, le préjudice irréparable, la prépondérance des inconvénients et l'urgence.

[27]        Toutefois, le 1er juin 2003, le législateur incorpore spécifiquement l'ordonnance de sauvegarde à l'article 46 C.p.c., autorisant par le fait même la Cour du Québec à l'émettre. L'auteur Donald Béchard[5] argumente que l'application des critères de l'injonction interlocutoire provisoire à l'ordonnance de sauvegarde de l'article 46 C.p.c. n'est pas de mise parce que:

Ø  Une ordonnance de sauvegarde n'est pas une injonction au sens de l'article 760 C.p.c.;

Ø  Le texte de l'article 46 C.p.c. doit être interprété d'abord pour ce qu'il est;

Ø  L'article 46 C.p.c. doit être interprété de la même façon que la Cour suprême du Canada a interprété le pouvoir de la Cour d'appel de «rendre toute ordonnance propre à sauvegarder les droits des parties» de l'ancien article 523 C.p.c.;

Ø  Le législateur ne réfère pas aux critères de l'injonction dans l'article 46 C.p.c.;

Ø  Si l'ordonnance de sauvegarde est de la nature d'une injonction, pourquoi la Cour du Québec serait-elle alors compétente pour l'émettre?

Ø  Il faut lire l'article 46 C.p.c. en conjonction avec la règle de proportionnalité de l'article 4.2 C.p.c.

[28]        Trois jugements de notre Cour citent l'opinion de Me Béchard et n'appliquent pas automatiquement les critères de l'ordonnance d'injonction interlocutoire provisoire à l'ordonnance de sauvegarde.

[29]        Ainsi, dans Flap Flap Mangement inc. c. Gestion Dumi inc.[6], le Tribunal partage en tous points l'opinion de Me Béchard et ordonne à un acheteur de restaurant de déposer judiciairement une somme de 28 450 $ qu'il reconnaît devoir à titre de solde de prix de vente. Le vendeur croule alors sous les dettes et le fisc est à ses trousses. Le Tribunal juge que l'ordonnance de sauvegarde est appropriée, l'acheteur se finançant à même ce solde de prix de vente aux dépens du vendeur.

[30]        De même, dans Savard c. Entreprises CAM construction inc.[7], le Tribunal approuve l'opinion de Me Béchard et ordonne à un entrepreneur en construction le dépôt judiciaire d'une somme de 34 712,50 $ qu'il admet devoir mais qu'il omet de consigner au greffe du Tribunal.

[31]        Dans ces jugements, le Tribunal a le souci de rétablir l'équilibre entre les parties et remédier au préjudice que le demandeur subit. 

[32]        Le Tribunal partage le point de vue de Me Béchard et de ses collègues. L'ordonnance de sauvegarde vise la protection des droits ou des intérêts des parties pendant une durée déterminée ou jusqu'à jugement final. Le Tribunal recherche par l'ordonnance à rétablir un équilibre entre les droits et les obligations de chacune des parties. Les critères de l'injonction interlocutoire provisoire ne sont pas nécessairement appropriés pour décider du droit d'une partie à l'ordonnance de sauvegarde.

[33]        Au surplus, le législateur octroie de larges pouvoirs lors de la présentation de la demande introductive d'instance, dont celui de décider des demandes particulières faites par les parties[8] ou d'autoriser ou ordonner des mesures provisionnelles[9]. Le dépôt judiciaire durant l'instance est une mesure provisionnelle:

Mesure provisionnelle: Mesure de nature conservatoire par laquelle le tribunal met les biens du défendeur ou les biens faisant l'objet du litige sous contrôle de justice, pendant l'instance, ou ordonne au défendeur de faire ou de ne pas faire quelque chose jusqu'à ce que le jugement final soit prononcé.[10]

[34]        En l'espèce, les Beaulieu ont payé à Vesta une somme de 12 963,04 $ le 8 septembre 2011 malgré le fait qu'ils subissaient des infiltrations d'eau dans leur immeuble. Le témoignage de M. Martin Beaulieu est clair et sans équivoque: il n'aurait pas payé cette somme si le représentant de Vesta ne l'avait pas rassuré sur le caractère temporaire des infiltrations d'eau et sur le fait que Vesta pouvait y remédier rapidement.

[35]        Malheureusement, les infiltrations d'eau se sont manifestées à nouveau. Selon l'expert unique, elles découlent de travaux de maçonnerie défectueux qui requièrent la réfection complète du solin d'assise. La valeur des travaux correctifs avoisine les 50 000 $.

[36]        Les Beaulieu avaient apparemment le droit de retenir une somme de 12 963,04 $ en septembre 2011 ce qu'ils n'ont pas fait vu les représentations de Vesta. À ce jour, Vesta profite de cette somme de 12 963,04 $ alors que l'expert unique confirme que ses travaux sont déficients et qu'elle en est responsable à 50%.

[37]        L'absence de travaux correctifs entraîne de nouvelles infiltrations d'eau qui détériorent nécessairement la structure de l'immeuble. Les travaux doivent être réalisés le plus rapidement possible pour minimiser cette détérioration, éviter les frais de construction additionnels découlant de l'hiver et minimiser les dommages des Beaulieu relatifs à la perte de revenus de location.

[38]        Le Tribunal en conclut donc que l'ordonnance de sauvegarde est appropriée pour rétablir l'équilibre entre les parties et les mettre judiciairement dans le même état que si les Beaulieu avaient exercé leur droit de rétention. N'eût été des représentations de Vesta en août 2011, les Beaulieu auraient en poche une somme additionnelle de 12 963,04 $, laquelle leur servirait à remédier aux infiltrations d'eau. Le Tribunal n'entend pas toutefois prononcer son ordonnance pour le montant de 50 339,25$ demandé. Il la limite au montant de la retenue que les Beaulieu auraient normalement faite en septembre 2011. Le Tribunal prononce son ordonnance uniquement à l'égard de Vesta, puisque les Beaulieu n'ont pas exercé leur droit de rétention en raison des représentations de Vesta.

[39]        Le Tribunal n'entend pas non plus permettre aux Beaulieu de retirer la somme déposée judiciairement afin de faire effectuer les travaux. En ce faisant, il ordonnerait indirectement le paiement d'une somme d'argent, ce que les Tribunaux refusent généralement de faire. Ainsi, la Cour d'appel écrit:

(25)  L'injonction n'est pas, en principe, la procédure appropriée pour obtenir le paiement d'une créance. Notre Cour l'a rappelé dernièrement dans l'arrêt Provindent compagnie d'assurance-vie et accident. Le premier juge a eu raison de ne pas ordonner le paiement des sommes dues. Par ailleurs, la mesure de sauvegarde ne constitue pas la reconnaissance d'un droit d'une partie à une somme d'argent[11].

[40]        Le dépôt judiciaire ordonné n'est pas un paiement à la partie adverse. La somme déposée est mise sous les mains de la justice pendant l'instance. L'ordonnance de sauvegarde prononcée ne décide pas du droit des parties. Il s'agit d'une mesure provisionnelle.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

ORDONNE à Construction Vesta inc. de déposer judiciairement la somme de 12 963,04 $ au plus tard le 19 octobre 2012.

PERMET à Construction Vesta inc. de faire ce dépôt judiciaire selon l'une ou l'autre des façons suivantes: - en la consignant au greffe du Tribunal, -en la déposant au bureau des dépôts du Québec ou auprès d'une société de fiducie et en s'assurant que le récépissé soit versé au dossier judiciaire ou, encore, -en la déposant en fidéicommis dans le compte en fidéicommis des procureurs des Beaulieu.

ORDONNE que la somme de 12 963,04 $ ainsi déposée judiciairement ne puisse être retirée qu'après un jugement final ou, après une entente entre les parties ou, encore, après une permission accordée par le Tribunal.

DÉCLARE qu'en cas de défaut de Construction Vesta inc., l'article 151.7 C.p.c. s'applique.

LE TOUT, avec dépens contre Construction Vesta inc.

 

 

 

 

 

 

__________________________________

PIERRE A. GAGNON, J.C.Q.

 

Me Alain Béland

Béland & Guay (Casier 178)

Procureurs des demandeurs Martin Beaulieu et Sandra Beaulieu

 

Me Jacques Demers

O'Brien & Associés (Casier 41)

Procureurs des défendeurs Construction Vesta inc. et Simon Cloutier

 

Me Julien Bélanger

Jean-François Bertrand Avocats (Casier 25)

Procureurs des défendeurs Maçonnerie Stéphane Lapointe inc. et Stéphane Lapointe

 

Date d’audience :

11 septembre 2012

 



[1]     C.c.Q., article 2118.

[2]     C.c.Q., article 2111.

[3]     C.p.c., art. 751 et ss.

[4]     C.p.c., art. 754.2

[5]     Donald Béchard, La réforme du Code de procédure civile, trois ans plus tard, (2006), Service de la formation continue du Barreau du Québec, EYB 2006 DEV 1145, 24 mars 2006.

[6]     2010 QCCQ 11985 , voir également Flap Flap Management inc. c. Gestion Dumi inc., 2010 QCCQ 11549

[7]     2011 QCCQ 1986 .

[8]     C.p.c. 151.6 (7o)

[9]     C.p.c. 151.6 (9o)

[10]    Hubert Reid, Dictionnaire de droit québécois et canadien, 4e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2010, p. 399.

[11]    Sanimal c. Produits de viande Levinoff ltée, 2005 QCCA 265 .

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