Décision

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JM 1820

 

 

 

COUR DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

BEDFORD

LOCALITÉ DE

COWANSVILLE

« Chambre civile »

N° :

455-22-000655-019

 

 

 

DATE :

28 janvier 2003

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

FRANÇOIS MARCHAND

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MARC-ANDRÉ DESHAIES

Demandeur

c.

JOANNES ASNONG

Défendeur

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JUGEMENT

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[1]                Le demandeur réclame $13,000.00 à titre de dommages incluant des dommages exemplaires, suite à un événement survenu le 5 décembre 1998, alors qu'il a été victime de voies de fait commis par le défendeur.

[2]                La responsabilité est admise et le Tribunal doit statuer sur le quantum des dommages. Afin d'établir ceux-ci, il y a lieu de résumer les faits et la preuve.

LES FAITS

[3]                Marc-André Deshaies joue au hockey depuis l'âge de huit ans. À quinze ans, il reçoit une formation pour devenir arbitre. De septembre 1996 jusqu'au printemps 1999, il arbitre plusieurs joutes de hockey de catégories novice, atome et pee-wee

[4]                Le 5 décembre 1998, il arbitre trois joutes. Lors du second match, alors qu'il reste quelques minutes à jouer, le défendeur lui assène un coup de poing au visage.

Version du demandeur

[5]                Le demandeur, alors âgé de dix-sept ans, arbitre une joute de niveau pee-wee avec son collègue Francis Couture, âgé d'un peu plus de vingt ans. Le fils du défendeur fait partie de l'une des équipes. Vers la fin de la partie, ce dernier est bousculé par un joueur de l'équipe adverse. Il tombe et se blesse. Le défendeur est dans les estrades. Il s'approche de la rampe de la patinoire, regarde son fils étendu sur la glace, lequel a les deux mains sur sa tête. Il voit le demandeur de l'autre côté de la patinoire, à la hauteur de la ligne rouge. Il lui fait signe de s'avancer. Le demandeur se présente près de lui, il lui dit: "C'est mon jeune qui est sur la glace, est-ce que tu as vu ce qui s'est passé?" Le demandeur lui répond: "Je n'ai rien vu; j'ai pas vu ce qui s'est passé." Alors, le défendeur le prend par le collet, l'approche de la bande de patinoire et le frappe au visage avec la main droite. Le demandeur quitte immédiatement la patinoire, se rend au vestiaire, constate qu'il saigne légèrement et reçoit des soins de la part de collègues. Quelques minutes plus tard, il reprend ses activités et procède à l'arbitrage du troisième match. Par la suite, il se rend à l'hôpital et le rapport médical dévoile les constats suivants:

        i.            Aucun symptôme neurologique;

      ii.            Une ecchymose et un oedème au niveau de la lèvre inférieure gauche;

    iii.            Un hématome de 3 cm à la muqueuse (interne) de la lèvre inférieure gauche;

     iv.            Céphalée légère;

Aucun signe d'atteinte neurologique.

[6]                On lui remet deux pilules, il s'en retourne chez-lui et durant la soirée, il prend quelques tylénols. Il a mal à la tête pendant quatre à cinq jours et sa mâchoire lui occasionne des douleurs pendant trois jours.

[7]                Il affirme que l'événement l'a traumatisé; il n'a plus confiance en lui. Malgré ce fait, il a continué son travail le reste de la saison, jusqu'en mars 1999. En septembre 1999, pour des raisons inconnues, les autorités du hockey mineur n'ont plus fait appel à ses services. Toutefois, il a été engagé à titre d'arbitre pour des joutes de hockey d'adultes durant les saisons 1999-2000, 2001 et 2002. Il ajoute que le geste posé par le défendeur l'a profondément blessé dans son estime personnelle, l'a humilié.

[8]                Au moment des événements, il est étudiant à l'école secondaire de Bedford. Depuis septembre 1999, il étudie au Cegep de St-Hyacinthe. Il n'a consulté aucun médecin depuis le 5 décembre 1998

Version du défendeur

[9]                Le 5 décembre 1998, il assiste au match de hockey de son fils. Il n'a aucune animosité. À cinq reprises, son enfant est mis en échec par des joueurs de l'équipe adverse. Il considère que les mises en échec sont illégales. Lors de la cinquième fois, son fils est accroché. Ce geste provoque sa chute, lequel glisse sur la glace et percute rudement le filet du gardien. Il est légèrement blessé. Il veut retirer son fils de la joute, mais constate que son retrait aura pour conséquence de mettre fin à la partie, puisque le nombre de joueurs obligatoires ne sera plus respecté. Comme il ne reste que deux minutes et demie à jouer, il consent à ce qu'il continue. Durant la dernière minute de jeu, son fils retourne sur la glace et est victime d'un geste d'un joueur de l'équipe adverse lui causant des blessures.

[10]            Il est frustré, puisque les joueurs du club adverse n'ont jamais été punis pour les actes qu'ils ont commis envers son fils. Il perd le contrôle de lui-même. Il veut recevoir des explications du demandeur. Il lui prie de s'approcher et constatant que la visière de ce dernier est embuée, il désire la nettoyer. Il présente donc sa main près du visage du demandeur. Toutefois, celle-ci se referme et se convertit en un coup de poing.

Analyse et droit

[11]            Le défendeur alors âgé de 49 ans, est beaucoup plus grand et corpulent que le demandeur. Le Tribunal peut facilement conclure que le coup de poing donné par le défendeur était relativement fort. D'ailleurs, le demandeur a saigné et subi un hématome et un œdème et ce, malgré la présence de son casque protecteur.

[12]            Le défendeur a reconnu sa culpabilité à des accusations de voies de fait. Il a bénéficié d'une libération conditionnelle, moyennant le versement de $1,500.00 à un organisme appelé le Club Optimiste. Il a été banni de l'aréna pendant une période d'un an. Il ajoute qu'il a déboursé plus de $3,500.00 en frais divers, reliés à cet événement. Il déclare que le 6 décembre 1998, il a communiqué avec les parents du demandeur pour présenter ses excuses.

[13]            L'incompétence ou l'inexpérience de l'arbitre ne peut atténuer la gravité du geste posé par le défendeur. Il s'agit d'un acte vicieux, inacceptable et condamnable. Si le défendeur n'était pas satisfait de l'arbitrage et croyait son fils en danger, il devait prendre des dispositions pour le retirer du match.

[14]            La façon d'agir du défendeur ne peut recevoir aucune explication valable. Il est un homme d'âge mûr, face à un adolescent de dix-sept ans.

[15]            Plusieurs incidents impliquant des parents contre des joueurs ou arbitres, surviennent chaque année lors de joutes de hockey. Cette montée d'agressivité qui dégénère trop souvent en violence est inacceptable dans une société démocratique comme la nôtre. Ces gestes doivent donc être dénoncés et  sévèrement réprimandés.

[16]            Le demandeur détaille sa réclamation comme suit:

Blessures, humiliation, troubles et inconvénients    $4,000.00

Traumatisme et séquelles psychologiques              $4,000.00

Dommages exemplaires                                                        $5,000.00

[17]            La défense prétend que la somme de $2,500.00 offerte, est amplement suffisante pour couvrir tous les dommages, incluant les dommages exemplaires.

[18]            Le demandeur a l'obligation de prouver ses dommages. Il n'a subi aucune séquelle permanente reliée à cet événement. Certes, il a eu des douleurs, des souffrances et très certainement, qu'il a vécu une humiliation.

[19]            Eu égard à la preuve présentée, le Tribunal arbitre à $1,000.00 la valeur des dommages pour blessures, humiliation, troubles et inconvénients.

[20]            Relativement au traumatisme et séquelles psychologiques, aucune évaluation par un spécialiste n'a été déposée. Seul le demandeur prétend qu'il a de la difficulté à arbitrer. Rien dans la preuve ne démontre que celui-ci a cessé d'arbitrer, à cause des événements du 5 décembre 1998. Il a terminé la saison 1998-1999 sans aucun problème particulier. Rien dans la preuve ne permet de conclure qu'il y a un lien de causalité entre les événements du 5 décembre 1998 et la décision de la direction du hockey mineur de ne plus faire appel aux services du demandeur. Bien au contraire, la preuve tend plutôt à démontrer qu'antérieurement au 5 décembre 1998, il éprouvait des difficultés à arbitrer.

[21]            Le fardeau de la preuve repose sur le demandeur. Ce dernier a l'obligation de démontrer, par prépondérance, le traumatisme et les séquelles psychologiques reliés à l'événement du 5 décembre 1998. Le Tribunal conclut qu'il a failli dans cette tâche de démontrer qu'il existe des séquelles psychologiques reliées directement à cet événement.

[22]            Le demandeur réclame $5,000.00 à titre de dommages exemplaires. L'article 1621 du Code civil du Québec stipule:

"           Lorsque la loi prévoit l'attribution de dommages-intérêts punitifs, ceux-ci ne peuvent excéder, en valeur, ce qui est suffisant pour assurer leur fonction préventive.

            Ils s'apprécient en tenant compte de toutes les circonstances appropriées, notamment de la gravité de la faute du débiteur, de sa situation patrimoniale ou de l'étendue de la réparation à laquelle il est déjà tenu envers le créancier, ainsi que, le cas échéant, du fait que la prise en charge du paiement réparateur est, en tout ou en partie, assumée par un tiers."

[23]            La Cour a retracé la cause de Denis c. Cantin[1], jugement de la Cour Supérieure, prononcé par le juge Georges Pelletier, le 22 septembre 1976. Dans cette affaire, le demandeur agissait comme arbitre lors d'une partie de hockey. Il impose une punition à un des joueurs. Ce dernier, frustré et insatisfait, entre en colère et administre un coup de patin au demandeur dans la région du bas-ventre. Le juge Pelletier s'exprime en disant:

"Il s'agit là de l'une des manifestations qu'il importe de bannir du sport du hockey. Les voies de fait sur la personne d'un arbitre en charge d'une partie constituent non seulement un acte illégal mais également un acte des plus répréhensibles pour lequel un joueur devrait être banni définitivement de toutes ligues reconnues."

Et il a accordé la somme de $1,000.00 (Le demandeur avait été transporté à l'hôpital de Donnacona et transféré à l'hôpital St-Sacrement; coup de patin dans les parties sexuelles).

[24]            En 1999, le juge Simon Brossard a rendu un jugement dans l'affaire Sévigny c. Champagne[2]. Éric Sévigny est arbitre en chef lors d'une partie de hockey. Il expulse un joueur. Le père de ce joueur n'accepte pas cette décision. Il saute sur l'arbitre, l'agrippe par le collet et le menace en disant: «Aimerais-tu ça que je te fasse la même chose que tu as fait à mon gars?». Les deux parties tombent et la foule s'est ruée sur eux. L'autre arbitre réussit à sortir Sévigny de cette situation. Ce dernier a subi une légère blessure à la paupière supérieure de l'œil gauche. Le juge Brossard s'exprime de la façon suivante, en disant:

"Le Tribunal est d'avis qu'en vertu du droit civil québécois rien en peut justifier un spectateur, surtout âgé de 35 ans, de s'en prendre à un arbitre, alors âgé de 16 ans, exerçant ses fonctions sur la patinoire.

Même si le spectateur est en désaccord avec la décision de l'arbitre en chef ou avec la façon dont l'arbitre de ligne avait expulsé son enfant, il s'agit d'un comportement parfaitement inacceptable qui dénote une absence d'esprit sportif inquiétante."

Il ajoute:

"Il est inconcevable que les arbitres doivent rester au centre de la patinoire pour se protéger des parents mécontents dans les gradins."

[25]            Il conclut donc à la responsabilité extra-contractuelle du demandeur. Il ajoute que les dommages matériels pour une blessure mineure à l'œil, entraînant des douleurs et des inconvénients, et les dommages moraux pour l'humiliation subie par un arbitre devant les joueurs sur lesquels il doit exercer son autorité, sont évalués, par le Tribunal arbitrairement, faute d'expertise, à $500.00. Par ailleurs, l'atteinte illégale était voulue par le défendeur, contrevenait aux articles 1 et 4 de la Charte des droits et libertés de la personne et donne lieu à l'octroi de dommages exemplaires dissuasifs, également fixés à $500.00 en vertu de l'article 49 de cette même Charte.

[26]            Le Tribunal a pris connaissance d'un jugement rendu dans l'affaire Dany Lépine c. Ville de Shawinigan et als.[3]. L'honorable juge Raymond W. Pronovost, J.C.Q., accorde $2,500.00 à titre de dommages exemplaires pour une arrestation illégale qui a duré trente-cinq minutes, mais qui a dégénéré en des problèmes sérieux. Le Tribunal a conclu que les dommages exemplaires prévus poursuivent un but punitif et dissuasif et n'ont pas pour objectif de compenser les dommages subis. Ce sont des dommages assimilés à une amende qui se veulent l'illustration de la réprobation de la société pour une conduite répréhensible. Dans les circonstances, le Tribunal accorde une indemnité de $2,500.00. Il considère que celle-ci est suffisante pour tenter de dissuader le défendeur de récidiver, tout en ne constituant pas un enrichissement démesuré pour le demandeur.

[27]            Les dommages punitifs ne sont pas accordés en fonction de la mesure du préjudice résultant de l'atteinte mais plutôt en fonction du caractère intentionnel de celle-ci. Des actes de violence gratuits, sans provocation, dénotent une intention de nuire à l'intégrité de la victime et constituent une atteinte illicite permettant l'octroi de dommages punitifs.

[28]            C'est pourquoi le Tribunal, dans l'évaluation des dommages punitifs, doit tenir compte, entre autres, des facteurs suivants:

1)     la  situation patrimoniale du débiteur;

2)     la gravité de la faute;

3)     le profit que le débiteur a tiré de sa conduite fautive;

4)     de l'impact de l'acte sur la victime;

5)     de la conduite de l'auteur du délit;

6)     de l'importance du préjudice subi;

7)     de la capacité de payer du débiteur;

8)      de la condamnation prononcée par la Cour du Québec, division criminelle et des peines qui lui ont été imposées.

[29]            À chaque année, plusieurs cas de violence envers les arbitres sont répertoriés à la grandeur du Québec. Ce fléau est récurent d'année en année. Il est donc dans l'intérêt de la justice et de la société que des mesures dissuasives soient imposées. L'une de ces mesures est celle de l'imposition de dommages punitifs exemplaires. Eu égard à toutes les circonstances de cette affaire, et en prenant en compte les éléments précédemment mentionnés et l'âge de la victime, le Tribunal considère qu'il y a lieu d'accorder $2,500.00 à titre de dommages-intérêts exemplaires.

PAR CES MOTIFS, LA COUR:

ACCUEILLE EN PARTIE L'ACTION;

CONDAMNE le défendeur à payer au demandeur la somme de $3,500.00 avec intérêts depuis l'assignation, en plus de l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec et les dépens.

 

 

 

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François Marchand, J.C.Q.

 

Me Dominique Lavin

LAVIN MEROVITZ

Procureur du demandeur

 

Me Robert D. Brisebois

Procureur du défendeur

 

 

Date d’audience :

15 novembre 2002

 



[1] Denis c. Cantin, [1976] C.S. 1593 , AZ-76021439

[2] Sévigny c. Champagne, [1999], AZ-99036541

[3] Dany Lépine c. Ville de Shawinigan et als., [1998] R.R.A. 417 (C.S.), J.E. 98-650 , AZ-98021276

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