Décision

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JP1736

 

 

 

 

COUR DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

LOCALITÉ DE

MONTRÉAL

« Chambre civile »

N° :

500-22-106959-052

 

 

 

DATE :

13 mai 2005

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

MICHEL A. PINSONNAULT, J.C.Q.

 

 

 

______________________________________________________________________

 

 

LES IMPORTATIONS AVACO CANADA LTÉE

Demanderesse

c.

NANCY LISI

MARCEL LISI

EUGÉNIE LISI

et

NINON LISI

Défendeurs

 

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]                La demanderesse peut-elle, par le biais de l'article 398 du Code de procédure civile (« C.p.c. »), assigner un des défendeurs afin de donner communication et laisser prendre copie de tout écrit se rapportant à un litige dont le montant en jeu est inférieur à 25 000,00 $?

[2]                Le Tribunal est ainsi saisi d’une requête du défendeur Marcel Lisi en annulation d’un bref de subpoena duces tecum l’intimant de comparaître en Cour pour donner communication et laisser prendre copie de certains documents spécifiques, à savoir :

-          Les relevés de compte bancaire de Les Entreprises Marcel Lisi Inc. (« Entreprises ») depuis le 1er juillet 2004;

-          Copie des états financiers d’Entreprises pour l’année 2003-2004;

-          Copie des états financiers d’Entreprises à compter du 1er janvier 2005;

-          Copie du dernier état financier mensuel d’Entreprises; et

-          Copie du (des) chèque(s) donné(s) au syndic Sylvain Lapointe de Aberback Lapointe & Associés Inc. représentant le dépôt dans la proposition d’Entreprises.

[3]                Monsieur Lisi conteste le subpoena sur la foi que :

-          La valeur du litige est inférieure à 25 000,00 $ rendant irrecevable toute assignation quelle qu’elle soit en vertu des articles 397 et 398 du Code de procédure civile (« C.p.c. ») et ce, conformément aux dispositions de l’article 396.1 C.p.c.

-          Monsieur Lisi a été assigné personnellement alors que les documents requis appartiennent ou émanent d’une tierce partie, à savoir Entreprises qui n’est pas partie aux présentes procédures ou même mise-en-cause.

-          Les documents requis ne sont pas pertinents au présent litige et constituent essentiellement une partie de pêche.

-          La proposition concordataire signée par Marcel Lisi le 15 novembre 2004 ayant été approuvée par les créanciers d’Entreprises et homologuée par le tribunal le 14 janvier 2005, Entreprises est toujours en affaires et les documents requis sont de nature privée et confidentielle.  Dans ce contexte, ils ne peuvent être communiqués à la demanderesse.

-          En dernier lieu, les états financiers annuels pour l’année 2003-2004 n’ont pas encore été finalisés et Entreprises ne préparait pas d’états financiers mensuels.

[4]                Il est opportun à ce stade de résumer les faits essentiels pertinents donnant ouverture au présent litige.

[5]                Entreprises est une société commerciale opérant des magasins vendant des articles à un dollar sous la raison sociale de Dollard Maxima.  Selon les informations provenant du système CIDREQ du registraire des entreprises, cette société a été constituée le 16 janvier 1987 et, selon la déclaration annuelle déposée le 14 janvier 2005, Eugénie Lisi et Marcel Lisi sont administrateurs avec leurs deux filles, Nancy et Ninon.  Marcel Lisi en est également le président.

[6]                Boutique Maxima N. & N. Inc. est décrite comme l’actionnaire majoritaire d’Entreprises.

[7]                Toujours selon les dossiers publics du CIDREQ, Boutique Maxima N. & N. Inc. a été constituée le 27 mars 2002, Ninon Lisi en est la présidente, administratrice et première actionnaire.  Nancy Lisi est administratrice, secrétaire et deuxième actionnaire.  Marcel Lisi en est également administrateur et troisième actionnaire.

[8]                Bref, il s’agit d’une entreprise familiale.

[9]                La demanderesse soutient que Nancy Lisi s’est présentée à trois reprises à sa place d’affaires, les 8, 10 et 11 novembre 2004, pour y acheter diverses marchandises pour une somme totale de 8 025,68 $.  Dans ce contexte, Nancy Lisi a toujours prétendu agir au nom d’Entreprises dont elle est une des administratrices.

[10]            La marchandise choisie par Nancy Lisi a été livrée aussitôt aux différents magasins d’Entreprises.

[11]            Or, selon la requête introductive d’instance, les défendeurs avaient rencontré le syndic en faillite Sylvain Lapointe, le ou vers le 1er novembre 2004, quelques jours avant les achats effectués par Nancy Lisi, moins d’une semaine avant qu’Entreprises dépose auprès du même Syndic une proposition concordataire à ses créanciers dont la demanderesse qui venait tout juste de livrer quelque 8 025,68 $ de marchandises.

[12]            La proposition concordataire a été signée par Marcel Lisi le 15 novembre 2004, soit quatre jours après le dernier achat de Nancy Lisi auprès de la demanderesse.

[13]            En résumé, la demanderesse considère que les défendeurs, tous et toutes administrateurs d’Entreprises à l’époque, connaissaient ou devaient connaître au début de novembre 2004, avant les achats effectués par Nancy Lisi, la situation financière extrêmement précaire d’Entreprises qui a mené au dépôt par Marcel Lisi d’une proposition concordataire à ses créanciers le 15 novembre.

[14]            Ils ont donc agi de mauvaise foi et frauduleusement à l’endroit de la demanderesse en achetant les marchandises en question et en acceptant la livraison de celles-ci sachant que, dans les jours suivants, Entreprises allait déposer une proposition concordataire à ses créanciers avec un dividende estimatif aux créanciers ordinaires de 10,3 %.

[15]            Selon le bilan signé par Marcel Lisi lors du dépôt de la proposition concordataire, Entreprises, quelque quatre jours après l’achat des marchandises auprès de la demanderesse, avait des actifs totalisant 102 502,00 $ avec un passif de    1 459 097,33 $.

[16]            Le passif de 1 459 097,33 $ apparaissant au bilan signé par Marcel Lisi, le 15 novembre 2004, ne mentionne qu’une créance de 1 798,72 $ au nom de la demanderesse.

[17]            Les défendeurs ont produit une défense unique.

[18]            Sans nécessairement s’immiscer dans le fond du litige qui appartiendra au juge qui sera chargé d’entendre cette cause au mérite, cette défense peut se résumer comme suit :

-          La demanderesse tente indirectement d’éviter l’application des dispositions de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité qui, en raison de l’acceptation de la proposition concordataire par une majoritaire statutaire des créanciers ordinaires d’Entreprises et la ratification par le tribunal, lie celle-ci, la demanderesse « par un coup de force » tentant d’être préférée à l’ensemble des créanciers d’Entreprises.

-          Les défendeurs ont toujours été de bonne foi et n’ont jamais tiré un profit personnel de la commande passée chez la demanderesse par Nancy Lisi le 4 novembre 2004 (et non pas les 8, 10 et 11 novembre, comme invoqué par la demanderesse).

-          Avant le 9 novembre, les défendeurs ignoraient l’ampleur du problème financier qui affligeait Entreprises, malgré une visite chez le fiscaliste d’Entreprises le 25 octobre 2004 qui leur avait recommandé une rencontre avec le syndic Sylvain Lapointe et ce, dès le 1er novembre.

[19]            Dans le contexte actuel, le Tribunal doit déterminer si, en l’espèce :

-          Les documents requis sont des « écrits se rapportant au litige » aux termes de l’article 398 C.p.c.

-          Dans l’affirmative, la demanderesse peut assigner, aux termes de l’article 396.1 C.p.c., un des défendeurs à comparaître en cour pour donner communication de certains documents spécifiques et en laisser prendre copie.

-          Monsieur Marcel Lisi n’a pas été assigné correctement, n’ayant pas été assigné en sa qualité d’administrateur d’Entreprises, d’autant plus que ces documents appartiennent plutôt à Entreprises.

-          La proposition concordataire, une fois approuvée par les créanciers et ratifiée par le tribunal, permettant à Entreprises de continuer ses opérations normalement en versant un dividende d’environ 10,3 % à ses créanciers ordinaires dont la demanderesse, permet à Entreprises de considérer les documents requis comme privés et confidentiels et ainsi empêcher que ceux-ci puissent être communiqués à la demanderesse.

-          Enfin, qu’en est-il des documents requis qui n’existent pas ou qui ne sont pas encore disponibles.  Dans un tel contexte, peut-on ordonner à Marcel Lisi de s’engager à transmettre ces documents à la demanderesse dès que disponibles.

[20]            Avant de déterminer si l’article 396.1 C.p.c. s’applique en l’espèce quant à la communication d’écrits, il est utile, sinon essentiel, d’examiner si les documents requis spécifiquement par la demanderesse constituent effectivement des écrits se rapportant au litige.  Dans la négative, la poursuite du présent exercice s’avérera futile.

[21]            À ce stade-ci, le Tribunal doit interpréter l’exigence d’écrits se rapportant au litige dans un contexte de pertinence par rapport aux allégations contenues dans les procédures écrites, en prenant celles-ci pour avérées.

[22]            Les défendeurs considèrent que les documents requis n’ont aucune pertinence sur le présent litige.

[23]            Avec grand respect pour l’opinion contraire, les défendeurs se trompent.

[24]            D’entrée de jeu, la nature précise des documents requis et leur lien potentiel avec la présente réclamation quant à la situation financière d’Entreprises et, surtout, le niveau de connaissance qu’avaient ou devaient normalement avoir les administrateurs de cette compagnie à l’époque de l’achat des nouvelles marchandises chez la demanderesse ne peuvent certes permettre de qualifier l’exercice de « partie de pêche ».

[25]            Ainsi, sur la foi des allégations contenues aux procédures écrites, ces documents peuvent manifestement avoir une pertinence certaine pour permettre au juge, qui sera appelé à entendre cette affaire au mérite, de déterminer le type d’informations financières que les défendeurs, officiers et administrateurs d’Entreprises, avaient, connaissaient ou devaient connaître lorsque Entreprises a commandé de nouvelles marchandises de la demanderesse quelques jours seulement avant de déposer une proposition concordataire à ses créanciers ordinaires en vertu de laquelle elle allait proposer de rembourser la demanderesse jusqu’à concurrence d’environ   10,3 % du prix qu’elle avait accepté de payer à la demanderesse quelques jours auparavant.

[26]            Les documents requis sont tous a priori des écrits se rapportant au litige aux termes de l’article 398 C.p.c.

[27]            Dans ce contexte et compte tenu du fait que le montant en litige est inférieur à 25 000,00 $, la demanderesse peut-elle se prévaloir des dispositions de l’article 398 C.p.c. pour assigner Marcel Lisi à comparaître devant le juge ou le greffier, pour y donner communication et laisser prendre copie d’écrits qui manifestement, comme en l’espèce, se rapportent au litige?

 

Analyse

L’article 401 C.p.c.

[28]            À la date de son abrogation en 1983, l'article 401 C.p.c. se lisait comme suit :

401.  Une partie qui a en sa possession quelque écrit se rapportant au litige peut, après production de la défense, être assignée à comparaître devant le protonotaire pour en donner communication et en laisser prendre copie.

L'écrit dont il s'agit doit être indiqué dans l'assignation.

[29]            L'article 398 al. 1 se lisait alors :

« 398.  Après production de la défense, une partie peut, après avis d'un jour franc aux procureurs des autres parties, assigner à comparaître devant le juge ou le protonotaire, pour y être interrogé sur tous les faits se rapportant au litige.

[…]

[30]            La structure du Code, du moins la partie nous intéressant, n'était pas différente à l'époque.  L'article 398 se trouvait dans la sous-section intitulée «De l'interrogatoire préalable».  L'article 401 se trouvait, quant à lui, dans la sous-section intitulée «De la production de documents».  Il est clair que, jusqu'à l'abrogation de l’article 401, la procédure pour donner communication et laisser prendre copie d'un document se rapportant au litige constituait clairement une procédure distincte de l'interrogatoire au préalable.

L'article 398 C.p.c. actuellement

[31]            Comme nous venons de le préciser, c'est en 1983 que l'article 401 a été abrogé et que l'article 398 a été modifié.

[32]            Compte tenu de ces modifications, il y a maintenant nécessité d'examiner l'impact de l'article 396.1 C.p.c.[1] (entré en vigueur le 1er janvier 2003) sur l'article 398 C.p.c. tel que libellé actuellement  :

398. Après production de la défense, une partie peut, après avis de deux jours aux procureurs des autres parties, assigner à comparaître devant le juge ou le greffier, pour y être interrogé sur tous les faits se rapportant au litige ou pour donner communication et laisser prendre copie de tout écrit se rapportant au litige:……..

[33]            Une autre façon d'aborder le problème consiste à se demander quelle est la signification exacte et la portée de l’expression «interrogatoire préalable».  L'interrogatoire préalable comprend-il, notamment, les deux recours mentionnés dans l'article 398 C.p.c., soit l'interrogatoire préalable stricto sensu ainsi que la possibilité d'assigner un défendeur afin de faire en sorte qu’il donne communication de tout écrit se rapportant au litige et permette d’en prendre copie?  Ou bien s'agit-il réellement de deux procédures autonomes et distinctes?

[34]            Les auteurs Royer, d’une part, et Ferland et Emery, d’autre part, se sont penchés sur les articles 397 et 398 et, à première vue, ne semblent pas s'accorder sur l’interprétation à donner aux recours disponibles en vertu de ces articles.

[35]            Dans un premier temps, le Professeur Jean-Claude Royer, dans son traité intitulé La preuve civile[2], écrit sur les articles 397 et 398 du Code de procédure civile :

«  616 - Modification législative - En 1983, le législateur québécois a modifié les règles concernant la communication d'un écrit.  L'ancien article 401 C.p.c., qui a été abrogé le 22 juin 1983, réglementait la communication d'un écrit en la possession d'une partie.  Par ailleurs, l'article 402 C.p.c. traite du document entre les mains d'un tiers et de l'objet en la possession d'une partie ou d'un tiers. Ainsi, le plaideur qui procède à un interrogatoire préalable en application des articles 397 et 398 du Code de procédure civile, peut contraindre un témoin à donner communication et à laisser prendre copie d'un écrit se rapportant à la demande ou, s'il s'agit d'un interrogatoire après défense, d'un écrit se rapportant au litige.  Il ne peut toutefois forcer le témoin à produire le document.  Il pourra le faire ultérieurement en application d'autres articles du Code de procédure civile.  Par ailleurs, l'article 402 C.p.c. permet à une partie, sur assignation autorisée par le tribunal, soit de contraindre un tiers à communiquer un document se rapportant au litige, soit de contraindre une partie ou un tiers à exhiber, conserver ou soumettre à une expertise un élément matériel de preuve se rapportant au litige.  Toutefois, le tribunal ne peut pas ordonner à un témoin d'informer la partie adverse de la possibilité ou non d'obtenir une copie d'un document.  De même, une partie ne peut pas exiger d'une partie adverse qu'elle prépare un document et qu'elle le lui communique.»

(mise en gras ajoutée)

[36]            À la lumière des écrits du professeur Royer, il faut comprendre que c'est dans l'optique où un plaideur procède à un interrogatoire préalable qu'il pourra utiliser la partie de l'article 397 ou 398 qui lui permet de contraindre un témoin à donner communication et à laisser prendre copie d'un écrit se rapportant à la demande ou au litige, selon le cas.  Il s’agirait donc véritablement d’un recours qui ne pourrait être exercé que dans le cadre d'un interrogatoire préalable, que ce soit avant ou après défense.

[37]            Toutefois, force est de constater que les auteurs, Denis Ferland et Benoît Emery, dans leur Précis de procédure civile du Québec, semblent interpréter différemment le contexte dans lequel s'inscrit la demande de production de documents dans le cadre de l'article 398.  Plus précisément, selon Ferland et Emery, par l'utilisation de la conjonction disjonctive "ou", le législateur aurait voulu créer une procédure autonome.

« Le législateur, par l'utilisation de la conjonction disjonctive «ou», a créé ainsi une procédure autonome pour la communication d'un écrit.  Une partie peut assigner l'une ou l'autre des personnes énumérées aux articles 397 et 398 C.p.c. uniquement pour qu'elle donne communication et laisse prendre copie d'un écrit. L'une des conséquences de cette distinction se manifeste notamment par l'inapplicabilité de l'article 398.1 C.p.c. à l'assignation d'un témoin dans le seul but qu'il donne communication et laisse prendre copie d'un écrit.  L'article 398.1 C.p.c. , qui permet à une partie de produire au dossier l'ensemble ou des extraits seulement d'une déposition, se limite ainsi à l'interrogatoire.» [3]

[38]            Pour les raisons énoncées ci-après, l'approche du professeur Royer apparaît, aux yeux du Tribunal, la plus convaincante et la plus conforme à la structure du Code.

[39]            Il faut cependant souligner que ces auteurs ne semblent pas s’être penchés sur l’incidence de l’article 396.1 sur les recours visés par les articles 397 et 398.

[40]            Ceci dit, le premier constat qu'il faut faire est que l'article 398 se trouve dans la sous-section du code intitulée «De l'interrogatoire préalable» et non celle intitulée «De la production de documents».  Il s'agit, en l'espèce, d'un élément important à considérer dans cette analyse.  En effet, dans son traité Interprétation des lois, Pierre-André Côté indique :

«  Il est de nos jours admis que les rubriques ou intertitres font partie de la loi et qu'on peut y avoir recours pour l'interpréter.  Les rubriques peuvent être utiles en permettant de situer une disposition dans la structure générale du texte: elles en montrent pour ainsi dire la charpente, l'ossature.  On peut également les considérer comme faisant fonction de préambule aux dispositions qu'elles introduisent: elles constituent une «clé pour l'interprétation des articles qu'elles coiffent[4]

(mise en gras ajoutée)

[41]            Lorsqu'il a abrogé l'article 401, le législateur a fait le choix de transférer un recours qui se trouvait dans la section «De la production de documents» et qui n’avait rien à voir avec l’interrogatoire au préalable à la section intitulée «De l'interrogatoire préalable».  Ce faisant, si le législateur avait voulu que ce recours continue de subsister en tant que recours autonome, il aurait pu conserver l'article 401, ce qu'il n'a pas fait.  Il aurait également pu prévoir le recours dans une sous-section qui aurait pu être intitulée «Dispositions générales», ce qu’il n’a pas jugé opportun de faire.

[42]            L'article 398 et les procédures qu’il autorise doivent être considérés dans le cadre de l'interrogatoire préalable.  La possibilité de contraindre un témoin à donner communication et à laisser prendre copie d'un écrit constitue un outil disponible dans le cadre d'un interrogatoire préalable même si l’on n’entend pas interroger la partie.  Cet outil est néanmoins intimement lié à l’interrogatoire.  Malgré que la proposition des auteurs, Ferland et Emery, soit très séduisante, le Tribunal partage cependant la conception de professeur Royer à cet effet.

[43]            On peut difficilement concevoir qu’une assignation effectuée en vertu de l’article 398 pour obtenir communication de documents se rapportant au litige puisse avoir lieu sans qu’il y ait nécessité de procéder à questionner le témoin de quelque façon que ce soit, dans un monde idéal peut-être, mais pas nécessairement dans la réalité.

[44]            Le cas qui nous occupe est fort révélateur à cet effet.  Le témoin assigné n’a pas tous les documents requis, selon son avocat.  En présumant que monsieur Lisi se présente devant le juge ou le greffier, comme le prévoit l’article 398, et qu’il n’a pas avec lui les documents requis par la demanderesse, le Tribunal peut difficilement s’imaginer que la demanderesse acceptera cet état de fait sans vouloir l’interroger sur les raisons qui peuvent justifier qu’il n’ait pas obtempéré au subpoena.  Dans un tel contexte, on doit nécessairement se retrouver dans le cadre d’un interrogatoire préalable.

[45]            De fait, selon le plan d’argumentation soumis à l’audience par le procureur de la demanderesse, cette dernière insiste sur le fait que le seul but recherché est d’obtenir communication de documents spécifiques.

[46]            Par ailleurs, à la toute fin du plan d’argumentation, le procureur de la demanderesse conclut ainsi  :

[23] Si les documents n’existent pas ou ne sont pas prêts, le Défendeur n’a qu’à le confirmer sous serment et cela suffira, une requête en cassation n’est certainement pas le moyen approprié et constitue ne fait de l’Abus de procédure de sa part.

[24] En effet, un simple affidavit confirmant que les documents n’existent pas ou ne sont pas encore disponibles, avec promesse de les transmettre lorsqu’ils le seront, suffit.

(soulignements ajoutés)

[47]            La nécessité d’obtenir une confirmation du témoin et ce, sous serment, ainsi qu’un affidavit de sa part confirmant certains faits reliés aux documents requis, assorti d’une promesse ou un engagement de transmettre les documents lorsqu’ils seront disponibles relève manifestement de l’interrogatoire préalable.

[48]            Un autre argument, purement de texte cette fois, est à l'effet que l'article 398 ne mentionne pas les mots «interrogatoire préalable», contrairement aux articles 396.1, 396.2 ou encore 396.3.  Son premier alinéa indique « pour y être interrogé sur tous les faits se rapportant au litige ou pour donner communication et laisser prendre copie de tout écrit se rapportant au litige.»  L'article 398 n'indique pas « pour l'interrogatoire préalable ou…».  Un libellé utilisant expressément les mots «interrogatoire préalable» aurait alors été révélateur d'une intention du législateur de créer une procédure autonome.  En l'absence d'une telle précision, il faut comprendre, en n'oubliant pas que nous sommes toujours dans la sous-section intitulée «De l'interrogatoire préalable», que le concept d'interrogatoire préalable comprend effectivement les deux procédures ou recours visés à l’article 398 al. 1.  Autrement dit, la possibilité d'assigner une partie à comparaître, en vertu de l’article 398, pour donner communication et laisser prendre copie de tout écrit se rapportant au litige s'inscrit obligatoirement dans le cadre d'un interrogatoire préalable.

[49]            En l’espèce, la présente requête en annulation du subpoena duces tecum est bien fondée puisque la règle du 25 000,00 $ que l'on retrouve à l’article 396.1 C.p.c. doit nécessairement être appliquée.  Toute assignation s'appuyant sur les articles 397 et 398 s'inscrit nécessairement dans le cadre d'interrogatoires au préalable et est assujettie à la limite ou la restriction imposée par l’article 396.1.

[50]            Compte tenu de ce qui précède, il n’est pas nécessaire ou utile de considérer les autres questions soulevées précédemment.

[51]            Quoi qu’il en soit, même si le montant en jeu est inférieur à 25 000,00 $, rien n’empêche la demanderesse de tenter d’obtenir d’une tierce partie, telle Les Entreprises Marcel Lisi Inc., les documents faisant l’objet du présent litige par l’entremise de l’article 402 C.p.c.[5] , d’autant que tous les documents requis appartiennent ou émanent d’Entreprises.

[52]            Il y a donc lieu d’accueillir la présente requête mais sans frais, compte tenu des circonstances particulières de la présente instance.

 

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

ACCUEILLE la requête du défendeur Marcel Lisi en annulation d’un bref de subpoena,

ANNULLE le bref de subpoena adressé au défendeur Marcel Lisi pour le 2 mai 2005 pour donner communication et laisser prendre copie des documents suivants :

- Copie des relevés de compte bancaire de Les Entreprises Marcel Lisi Inc. (« Entreprises ») depuis le 1er juillet 2004;

- Copie des états financiers d’Entreprises pour l’année 2003-2004;

- Copie des états financiers d’Entreprises à compter du 1er janvier 2005;

- Copie du dernier état financier mensuel d’Entreprises; et

- Copie du (des) chèque(s) donné(s) au syndic Sylvain Lapointe de Aberback Lapointe & Associés Inc. représentant le dépôt dans la proposition d’Entreprises.

LE TOUT sans frais.

 

 

 

 

__________________________________

MICHEL A. PINSONNAULT, J.C.Q.

 

Me Simon Tremblay et

Christine Anagnostou, stagiaire

SEAL SEIDMAN

Procureurs de la demanderesse

 

Me Louis Morency

PRÉVOST FORTIN D'AOUST

Procureurs des défendeurs

 

Date d’audience :

2 mai 2005

 



[1] 396.1. Aucun interrogatoire préalable n'est permis dans les causes dans lesquelles la somme demandée ou la valeur du bien réclamé est inférieure à 25 000 $.

[2] Jean-Claude Royer, La preuve civile, 3è éd., Yvon Blais, 2003, p. 429.

[3] Denis Ferland et Benoît Emery, Précis de procédure civile du Québec, vol. 1, 4è éd., Éditions Yvon Blais, 2003, p. 587.

[4] PA Côté, p. 79.

[5] 402. Si, après production de la défense, il appert au dossier qu'un document se rapportant au litige est entre les mains d'un tiers, celui-ci sera tenu d'en donner communication aux parties, sur assignation autorisée par le tribunal, à moins de raisons le justifiant de s'y opposer.

Le tribunal peut aussi, en tout temps après production de la défense, ordonner à une partie ou à un tiers qui a en sa possession un élément matériel de preuve se rapportant au litige, de l'exhiber, de le conserver ou de le soumettre à une expertise aux conditions, temps et lieu et en la manière qu'il juge à propos.

 

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